Historiquement, La vache qui rit est l'une des premières marques de fromages industriels ; elle a été créée à une époque où ce domaine d’activité était encore largement artisanal[12] ou de production fermière. Très longtemps associée à un seul produit, la marque La vache qui rit est devenue une marque « ombrelle » qui se décline sur plusieurs produits différents[13]. En France, les restaurants indiens proposent souvent des cheese nan — spécialité de pain au fromage — qui, à défaut de fromages locaux, sont en fait fondés sur de La vache qui rit.
Origines du nom et du dessin
Couverture de la partition du foxtrotLa Wachkyrie (1919).
Lors de la Première Guerre mondiale, Léon Bel, affineur du fromage Comté, est âgé de 36 ans lorsqu'il est affecté au « Train », qui s'occupe de la logistique[14]. Parmi les régiments du train, on trouve celui du « Ravitaillement en Viande Fraîche » (RVF). À cette époque, dans chaque unité, les soldats se choisissent des emblèmes spécifiques qu'ils apposent sur tous les véhicules, en particulier sur les camions[15]. Sollicité, l'illustrateur Benjamin Rabier va offrir un de ses dessins à l'une de ces unités : celui d’une vache hilare. Le dessin fut surnommé la « Wachkyrie », allusion aux Valkyries, rendues célèbres par Richard Wagner et emblèmes des transports de troupes allemandes[16]. Le titre et l'illustration furent repris pour un foxtrot de Clapson en 1920 (voir illustration ci-contre).
En 1921, Léon Bel, à la recherche d'un nom pour son fromage fondu, se souvient de ce nom d'emblème et dépose la marque La vache qui rit[17]. Il demande alors à une première entreprise de lui dessiner une vache, mais la piètre qualité de l'illustration le pousse à faire appel à Rabier. Celui-ci reprend son dessin original de Wachkyrie. Bel l'affuble de boucles d'oreilles, a priori sur les conseils de sa femme, afin de « féminiser » l'animal[18]. L'imprimeur Vercasson est chargé de faire des retouches et donne à la vache sa couleur rouge. Il fait déposer le dessin à son nom, sous le titre de Vache rouge. Par la suite, Léon Bel et sa société devront négocier les droits exclusifs du logo en rachetant les droits de la Vache rouge aux successeurs de l'imprimeur en 1952[19], ainsi que les droits de l'illustration du Camembert St-Hubert (établissements Couillard à Nancy) dessinée par Rabier en 1921 et que le motif de la Vache qui rit[20] reprenait presque à l'identique (la vache hilare du Camembert St-Hubert était déjà rouge, mais elle ne portait pas de boucles d'oreilles - elle était en outre « inversée », c'est-à-dire qu'elle présentait son profil gauche).
À l'origine, les portions triangulaires sont vendues dans des boîtes en fonte, lesquelles sont pourtant rapidement remplacées par un réceptacle en carton[18]. L’emballage de La vache qui rit (avec la petite tirette rouge) a été inventé par Yves Pin[8]. À l’origine, son idée était de faciliter l’ouverture des enveloppes postales[8] de sorte que lorsqu'il avait écrit ses lettres, il les faisait piquer à la machine à coudre par sa femme. Les destinataires, pour ouvrir ce courrier avaient juste à tirer sur la cordelette pour ouvrir l'enveloppe. Il a présenté son projet au concours Lépine où une personne (inconnue) a acheté le brevet approximativement 50 000 anciens francs[21].
Léon Bel est l'un des premiers à utiliser ce qu'on n'appelle pas encore le « marketing », notamment en apposant l'image de sa marque sur des objets pour les enfants, en particulier à l'école (buvards, protège-cahiers ou portemines) et pour les adultes (la mascotte fait partie de la caravane publicitaire du Tour de France entre 1933 et 2009). Dans les années 1950, elle apparaît dans des films publicitaires au cinéma, et en 1968 à la télévision ; en 2010, on la dote même d'un corps, ce qui permet de multiplier les possibilités publicitaires. Au fil du temps, le dessin change peu malgré les cornes qui sont raccourcies et arrondies alors que le personnage s'humanise. Julie Régis, responsable de la marque chez l’agence Young & Rubicam analyse son succès : « Elle est à la fois rouge comme un diablotin, femme avec boucles d'oreille et mère nourricière. Peu de marques sont restées aussi longtemps sur de tels fondamentaux et ont traversé ainsi les générations ».
De nos jours, l'entreprise est présente dans 120 pays et possède 15 usines de production (dont deux sur des sites historiques en France). La marque se diversifie dès 1960 avec La vache qui rit cocktail, un cube de fromage pour l'apéritif (rebaptisé ensuite Apéricube) et en 1995 avec Pik & Croq', du fromage fondu avec du gressin[22].
En 1937, Robert Fiévet, gendre de Léon Bel, prend la tête de l'entreprise, qu'il quitte en 1996. Son petit-fils Antoine Fiévet lui succède[22].
Notoriété et médias
Bâtiment des fromageries de La vache qui rit, à Dole.
La vache qui rit est actuellement l’une des marques commerciales les plus connues de France : près de 87 % des Français la connaissent[23]. Mais elle est en outre largement reconnue dans le monde entier où elle porte généralement un nom local ayant la même signification :
Selon son fabricant le groupe Bel, 125 portions de vache qui rit sont consommées à chaque seconde dans le monde. Par ailleurs, de nombreux industriels du fromage ont tenté de s’approprier une part du succès commercial de La Vache qui rit, la plus connue est la marque La vache sérieuse qui avait pour slogan « Le rire est le propre de l’homme ! Le sérieux celui de la vache ! La vache sérieuse. On la trouve dans les maisons sérieuses » et qui perdit son procès en contrefaçon en 1959[25]. La marque Mère Picon a existé également, elle était fabriquée en Haute-Savoie (Saint-Félix, dans l'Albanais).
Le côté médiatique est également inspiré par la marque. Notamment chez les dessinateurs et affichistes. Ces artistes la détournent, comme Rancillac, d’autres la multiplient, comme Wim Delvoye à la biennale de Lyon en 2005, et son installation composée de plus de 4 000 étiquettes de La vache qui rit[8]. D'après l'humoriste Roland Magdane, dans le sketch Le bonheur (dans le DVD Magdane Show), la vache se moquerait de la personne cherchant à ouvrir la portion de fromage sans en mettre partout. À proximité de la fromagerie Bel qui fabrique et conditionne des portions depuis 1926, dans le centre-ville de Lons-le-Saunier dans le Jura[26], un musée de La vache qui rit (La Maison de La Vache qui rit) a été construit. Ce bâtiment de 2 350 m2 d’un coût de 10 millions d’euros est ouvert depuis le [27] - [28]. Une usine de la célèbre vache rouge jurassienne est également implantée à Dole dans le Jura. Les deux seuls sites en France sont jurassiens.
Critiques
Le logo
L'image de La vache qui rit qui arbore les produits de la marque avec un grand sourire est dénoncée pour son caractère contradictoire entre la représentation de l'animal sur le plan marketing et ses conditions d'élevage réelles[29]. Ces pratiques marketing sont caractérisées de « suicide food »[30].
Claire Delfosse, « L'émergence de deux conceptions de la qualité du fromage dans l'entre-deux-guerres », dans François Nicolas et Egizio Valceschini (dir.) (préf. de Guy Paillotin), Agro-alimentaire : une économie de la qualité, Paris, INRA et Economica, coll. « Économie agricole et agro-alimentaire », (réimpr. Quæ, 2011), 1re éd., 1 vol., 433, 24 cm (ISBN2-7178-2768-4, 978-2-7178-2768-2, 2-7380-0570-5 et 978-2-7380-0570-0, OCLC300913099, BNF35762352, SUDOC003571289, présentation en ligne, lire en ligne), p. 199-208, p. 201, n. 4 (lire en ligne).
Michel Galmiche, « Hyponymie et généricité », Langages, vol. 25e année, no 98 : « L'hyponymie et l'hyperonymie »,juin 1990, p. 33-49 (DOI10.3406/lgge.1990.1579, lire en ligne[fac-similé], consulté le 1er février 2017), p. 38, n. 5 (consulté le 1erfévrier 2007).
Daniel Birck, « La Vache qui rit », sur rfi.fr, 6 novembre 2009 (consulté le 11 novembre 2011).
Benjamin Rabier : Gédéon, La vache qui rit et Cie, Christophe Vital (éd.), éd. Somogy, 2009 (ISBN978-27572-0281-4)
La Chevauchée de la vache qui rit, Guillaume Villemot et Vincent Vidal, éd. Hoëbeke, 1991 (ISBN978-29052-9243-8)
La Vache qui rit tire la langue à la Joconde, Michel Piquemal et Didier Millotte, éd. du Mont, 2011, (ISBN978-2-915652-47-5)
Michel Renaud avec la contribution de Gilbert Bonin, L'empire des frères Graf de Dole (Jura) ou les débuts de la crème de gruyère et du fromage fondu en France, 2019, 1 vol. (368 p.). (ISBN978-2-9542705-8-6)