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Erreur (linguistique)

En linguistique, le terme erreur dĂ©signe en gĂ©nĂ©ral un Ă©cart par rapport Ă  une rĂšgle dans l’usage d’une langue[1] - [2]. L’erreur est considĂ©rĂ©e de plusieurs points de vue :

  • la variĂ©tĂ© de langue par rapport Ă  laquelle un fait de langue est vue comme une erreur ;
  • la cause des erreurs ;
  • les types d’erreurs ;
  • l’attitude envers les erreurs.

Les erreurs sont en général involontaires mais sont parfois utilisées consciemment avec une fonction stylistique par certains écrivains[2].

Conceptions sur l’erreur

L’une des questions qui se posent au sujet de l’erreur est oĂč se trouve la rĂšgle par rapport Ă  laquelle un fait de langue d’un locuteur est une erreur. Cela dĂ©pend de l’orientation linguistique. La linguistique normative ou l’enseignement de la langue, surtout en tant que langue Ă©trangĂšre, prend pour point de dĂ©part la variĂ©tĂ© standard de la langue et considĂšre comme une erreur le non-respect d’une rĂšgle Ă©tablie dans celle-ci. Par exemple, le groupe de mots eux autres au lieu de eux est une erreur en français standard de France et n’est pas enseignĂ© aux apprenants de français. Par contre, la linguistique purement descriptive, non normative, non prescriptive et non corrective ne voit pas dans cet usage un Ă©cart par rapport aux rĂšgles du français en gĂ©nĂ©ral, mais seulement par rapport au standard. Dans sa conception, les variĂ©tĂ©s d’une langue, y compris rĂ©gionales, ont leurs propres normes. Par consĂ©quent, dans cette conception, eux autres n’est par une erreur dans la langue courante au QuĂ©bec[3]. Pour cette orientation linguistique, aucun fait de langue de l’usage de sa langue maternelle par un locuteur natif adulte et normal, dans des conditions normales, ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une erreur[4]. Dans sa conception ne sont des erreurs que les Ă©carts par rapport aux rĂšgles de la langue en gĂ©nĂ©ral, par exemple Le mur est trois mĂštres haut au lieu de Le mur a trois mĂštres de haut[5].

Aspects de la langue dans lesquels on fait des erreurs

Il y a des erreurs dans tous les aspects de l’utilisation de la langue[6].

Certaines erreurs concernent la compĂ©tence linguistique. Ce sont les erreurs de prononciation, les Ă©carts par rapports aux rĂšgles grammaticales (morphologiques et syntaxiques), ainsi que les erreurs sĂ©mantiques, par exemple l’emploi des mots avec des sens qu’ils n’ont pas.

D’autres erreurs tiennent de la compĂ©tence communicative, c’est-Ă -dire des normes d’adĂ©quation situationnelle des Ă©noncĂ©s, par exemple si un locuteur s’adresse avec d’autres formes grammaticales que celles de politesse Ă  un destinataire avec lequel il devrait utiliser ces derniĂšres conformĂ©ment aux normes civilisationnelles de la communautĂ© linguistique en cause. Un exemple d’un tel Ă©cart en français est de tutoyer une personne que l’on devrait vouvoyer.

Il y a des erreurs dans l’aspect Ă©crit de la langue aussi. À cĂŽtĂ© des erreurs de compĂ©tence linguistique et communicative il y a, dans une vision normative, celles d’orthographe.

Causes des erreurs et types d’erreurs

Les erreurs du point de vue de la linguistique purement descriptive peuvent avoir plusieurs causes.

Il y des erreurs faites par certains locuteurs natifs affectĂ©s par des dysfonctionnements du cerveau. Telles sont diverses formes d’aphasie, causĂ©es par des lĂ©sions, qui provoquent, par exemple, l’agrammatisme. Celui-ci se caractĂ©rise par la suppression quasi constante des morphĂšmes grammaticaux (en français, prĂ©positions, articles, pronoms sujets, dĂ©sinences verbales) et la rĂ©duction des phrases Ă  la seule sĂ©quence des morphĂšmes lexicaux, ex. HĂŽpital vite trois heures piqĂ»re, c’est-Ă -dire On m’a conduit trĂšs vite Ă  l’hĂŽpital Ă  trois heures, on m’a fait une piqĂ»re[7].

Tout locuteur natif aux fonctions cĂ©rĂ©brales normales peut faire des erreurs accidentelles, dont il sait que ce sont des erreurs, et qu’il corrige d’habitude tout de suite. Exemples en anglais :

  • inversion de sons initiaux de deux mots qui diffĂšrent seulement par ces sons : heft lemisphere au lieu de left hemisphere « hĂ©misphĂšre gauche »[8] ;
  • transfert de terminaison d’un mot au mot suivant : It's not tell ussing anything new au lieu de It's not telling us anything new « Ça ne nous dit rien de nouveau »[8] ;
  • remplacement d’un mot par un autre Ă  cause d’une relation sĂ©mantique entre eux, par exemple l’antonymie, comme unsure « incertain » au lieu de sure « certain »[8] ;
  • inversion de deux mots de façon qu’il deviennent erronĂ©s par la forme grammaticale, par ailleurs correcte, qu’ils reçoivent dans la phrase devenue sĂ©mantiquement incorrecte : Take the freezes out of the steaker au lieu de Take the steaks out of the freezer « Sors les escalopes du congĂ©lateur »[8] ;
  • tĂ©lescopage de deux mots, dont il rĂ©sulte un mot-valise occasionnel : Mozart’s symphonatas « les symphonates » de Mozart » ← symphonies + sonatas[8] ;
  • contrepĂšterie accidentelle, c’est-Ă -dire inversion de segments de deux mots de façon qu’il en rĂ©sulte des mots existants, le syntagme ou la phrase isolĂ©s restent correctes, mais dans leur contexte, ces entitĂ©s n’ont plus de sens: the flea of my cat « la puce de mon chat » au lieu de the key of my flat « la clĂ© de mon appartement »[9].

Les enfants qui apprennent leur langue maternelle font eux aussi des erreurs. Certaines sont des erreurs d’analyse de ce que disent les adultes. Exemple de dialogue en anglais[1] :

Adulte : He's got his hat on « Il a son chapeau sur la tĂȘte » (littĂ©ralement « Il a son chapeau sur »)
Enfant : Where's his hat on? litt. « OĂč est son chapeau sur ? »

Les locuteurs parlant une langue qui leur est étrangÚre font eux aussi des erreurs par rapport aux rÚgles de cette langue, surtout au cours de son apprentissage, à cause de la méconnaissance des rÚgles ou de leur assimilation insuffisante.

L’une des causes de ces erreurs est l’interfĂ©rence, appelĂ©e aussi transfert nĂ©gatif, qui consiste en l’application de rĂšgles de la langue maternelle diffĂ©rentes de celles de la langue Ă©trangĂšre, dans l’utilisation de cette derniĂšre. De telles erreurs sont prĂ©sentes dans tous les aspects de la langue. Exemples :

  • interfĂ©rence phonĂ©tique, c’est-Ă -dire prononciation de sons comme dans la langue maternelle, ex. [r] de l’espagnol ou du russe prononcĂ© [ʁ] par un locuteur natif de français[10] ;
  • interfĂ©rence morphologique, par exemple attribution du genre qu’il a en langue maternelle Ă  un mot Ă©quivalent de la langue Ă©trangĂšre : le mort (cf. (de) der Tod), dit par un locuteur d’allemand au lieu de la mort[10] ;
  • interfĂ©rence syntaxique, ex. I am going at school dit par un francophone au lieu de (en) I am going to school « Je vais Ă  l’école », parce que les deux prĂ©positions anglaises ont une seule correspondante en français[10] ;
  • interfĂ©rence lexico-sĂ©mantique, causĂ©e par ce qu’on appelle « des faux-amis », c’est-Ă -dire des mots de formes identiques ou presque dans deux langues, ayant Ă©ventuellement la mĂȘme origine, mais des sens diffĂ©rents, par exemple :
(it) macchina « machine, voiture » vs (fr) machine[10] ;
(en) figure « nombre » vs (fr) figure[11] ;
(en) cold « froid » vs (it) caldo « chaud »[11] ;
(es) presidio « prison » vs (de) PrÀsidium « présidence »[11].

Une autre cause d’erreur est l’analogie, par laquelle l’apprenant applique une rĂšgle Ă  une exception ou inversement, il pense qu’un fait de langue est une exception, alors qu’il est rĂ©gulier. C’est le cas en français, par exemple de la forme de pluriel les chevals par analogie avec les moutons, ou de les chacaux par analogie avec les chevaux[10].

Si une erreur par analogie comme celle de l’exemple ci-dessus est faite par un locuteur natif adulte normal, alors elle l’est par rapport Ă  une rĂšgle ou une exception du standard, et elle est causĂ©e par la mĂ©connaissance de celui-ci, ou accidentelle. Un locuteur qui a une certainte variĂ©tĂ© de langue maternelle et qui ne connaĂźt pas suffisamment la variĂ©tĂ© standard mais veut s’y conformer, fait parfois des erreurs appelĂ©es hypercorrections, ex. vous contredites pour vous contredisez[12].

L’attitude Ă  l’égard de l’erreur

La linguistique purement descriptive accepte les écarts en langue maternelle par rapport aux rÚgles de la variété standard comme tout fait de langue et précise éventuellement dans quelle variété est présent tel ou tel fait de langue. Au contraire, la linguistique normative prescrit les rÚgles standard et condamne les écarts par rapport à celles-ci[13].

L’enseignement des langues Ă©trangĂšres se fait en gĂ©nĂ©ral sur la base du standard mais dans ce domaine il ne s’agit pas de condamner les erreurs. Il existe ce qu’on appelle « analyse des erreurs », une technique d’identification, de classement et d’interprĂ©tation systĂ©matique de celles des apprenants. L’analyse des erreurs est censĂ©e reflĂ©ter de maniĂšre systĂ©matique le niveau de compĂ©tence atteint par ceux-ci, ce qui peut ĂȘtre le point de dĂ©part de la conception de procĂ©dĂ©es et de matĂ©riaux pĂ©dagogiques[1]. Cette technique est associĂ©e Ă  la vision sur les erreurs comme faisant partie de ce qu’on appelle « systĂšmes intermĂ©diaires approximatifs » prĂ©sents dans la pĂ©riode d’apprentissage, dans laquelle les apprenants utilisent une « interlangue »[14] - [15].

L’erreur dans l’histoire de la langue

Étant donnĂ© que la langue Ă©volue de façon continue par des changements, chacun de ceux-ci peut ĂȘtre vu comme une erreur lorsqu’il apparaĂźt. Au cours de l’histoire de la langue, de nombreuses erreurs se sont gĂ©nĂ©ralisĂ©es, se sont enracinĂ©es et, si la langue possĂšde une variĂ©tĂ© standard, certaines y ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©es.

Un exemple est l’erreur d’analyse de certains syntagmes, qui est Ă  la base d’un phĂ©nomĂšne d’étymologie populaire. Elle consiste en la rĂ©interprĂ©tation de la limite entre les mots composant le syntagme. Par exemple, le syntagme l’agriotte de l’ancien français est devenu la griotte en français actuel[16]. Un exemple analogue est a naddre en ancien anglais > an adder « un serpent » en anglais actuel[17].

Certains cas d’hypercorrection se sont Ă©galement gĂ©nĂ©ralisĂ©s au cours de la l’histoire de la langue et sont devenus standard. En roumain, par exemple, on a empruntĂ© au hongrois le mot szĂĄm « nombre » dans la forme samă qui, par la suite, a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme une forme des parlers moldaves et est devenue seamă en roumain standard[18].

La mĂ©tathĂšse, c’est-Ă -dire l’inversion de sons ou groupes de sons dans un mot, est une erreur accidentelle frĂ©quente, c’est pourquoi il s’est crĂ©Ă© de nombreuses formes mĂ©tathĂ©tiques aussi bien de mots hĂ©ritĂ©s que d’emprunts lexicaux, et certaines se trouvent dans la variĂ©tĂ© standard, par exemple :

(la) formaticum > (fr) fromage[19] ;
(la) periculum > (es) peligro « danger »[19] ;
(la) integrum > (ro) ßntreg « entier »[20] ;
(hu) féntereg > ténfereg « il/elle musarde »[21] ;
(ancien anglais) brid > (anglais moderne) bird « oiseau »[17] ;
(proto-slave) *berza > (vieux-slave) brěza > (BCMS)[22] breza « bouleau »[23].

Notes et références

  1. Crystal 2008, p. 173.
  2. Bidu-Vrănceanu 1997, p. 11.
  3. Grevisse et Goosse 2007, p. 444.
  4. Andersson et Trudgill 1990 affirment : (en) We believe, as do most linguists, that native speakers do not make mistakes « Nous pensons, comme la plupart des linguistes, que les locuteurs natifs ne font pas d’erreurs » (citĂ©s par Nordquist 2020).
  5. Delatour 2004, p. 54.
  6. Section d’aprùs Bidu-Vrănceanu 1997, p. 11.
  7. Dubois 2002, p. 23.
  8. Bussmann 1998, p. 1111.
  9. Bussmann 1998, p. 1116.
  10. Dubois 2002, p. 252–253.
  11. Bussmann 1998, p. 405.
  12. Dubois 2002, p. 236.
  13. Bidu-Vrănceanu 1997, p. 144–145.
  14. Dubois 2002, p. 254.
  15. Bussmann 1998, p. 582.
  16. Grevisse et Goosse 2007, p. 207.
  17. Crystal 2008, p. 303.
  18. Bidu-Vrănceanu 1997, p. 238.
  19. Dubois 2002, p. 302.
  20. Constantinescu-Dobridor 1998, article metateză.
  21. Zaicz 2006, article ténfereg.
  22. Bosnien, croate, monténégrin et serbe.
  23. Bussmann 1998, p. 746.

Sources bibliographiques

  • (en) Andersson, Lars et Trudgill, Peter, Bad language [« Mauvaise langue »], Oxford (Angleterre) / Cambridge (Massachussets, USA), Blackwell,
  • (ro) Avram, Mioara, Gramatica pentru toți [« Grammaire pour tous »], Bucarest, Humanitas, (ISBN 973-28-0769-5)
  • (ro) Bidu-Vrănceanu, Angela et al., Dicționar general de științe. Științe ale limbii [« Dictionnaire gĂ©nĂ©ral des sciences. Sciences de la langue »], Bucarest, Editura științifică, (ISBN 973-440229-3, lire en ligne)
  • (en) Bussmann, Hadumod (dir.), Dictionary of Language and Linguistics [« Dictionnaire de la langue et de la linguistique »], Londres – New York, Routledge, (ISBN 0-203-98005-0, lire en ligne [PDF])
  • (ro) Constantinescu-Dobridor, Gheorghe, Dicționar de termeni lingvistici [« Dictionnaire de termes linguistiques »] (DTL), Bucarest, Teora, (sur Dexonline.ro)
  • (en) Crystal, David, A Dictionary of Linguistics and Phonetics [« Dictionnaire de linguistique et de phonĂ©tique »], Blackwell Publishing, , 4e Ă©d. (ISBN 978-1-4051-5296-9, lire en ligne [PDF])
  • Delatour, Yvonne et al., Nouvelle grammaire du français, Paris, Hachette, (ISBN 2-01-155271-0, lire en ligne)
  • Dubois, Jean et al., Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse-Bordas/VUEF,
  • Grevisse, Maurice et Goosse, AndrĂ©, Le bon usage, Bruxelles, De Boeck UniversitĂ©, , 14e Ă©d. (ISBN 978-2-8011-1404-9)
  • (en) Nordquist, Richard, « What Is a Grammatical Error? » [« Qu’est-ce qu’une erreur de grammaire ? »], sur Thought.Co, (consultĂ© le )
  • (hu) Zaicz, GĂĄbor (dir.), EtimolĂłgiai szĂłtĂĄr. Magyar szavak Ă©s toldalĂ©kok eredete [« Dictionnaire Ă©tymologique. Origine des mots et affixes hongrois »], Budapest, Tinta, (ISBN 963-7094-01-6, lire en ligne)
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