Hypercorrection
L'hypercorrection consiste à s'exprimer de maniÚre « trop correcte », et finalement incorrecte à force de trop vouloir parler ou écrire de façon irréprochable.
L'hypercorrection consiste également à combattre autour de soi des usages linguistiques corrects perçus à tort comme fautifs. Exemple : la croyance erronée propagée par Voltaire selon laquelle la locution « par contre » serait fautive, bien qu'elle ne le soit aucunement[1], porte certaines personnes à la remplacer systématiquement par la locution « en revanche ».
Linguistique
L'hypercorrection est due à des phénomÚnes linguistiques (analogie, contamination, régularisation...) utilisés de maniÚre fautive et dans les situations voulues formelles et normées : le locuteur essaie de pallier l'insécurité linguistique qu'il ressent.
Une manifestation courante de l'hypercorrection se trouve dans les liaisons erronĂ©es (non justifiĂ©es par l'orthographe). Par exemple, lorsque la phrase il va ĂȘtre midi est prononcĂ©e [ilvatÉtÊ(É)midi] (« il va-t-ĂȘtre midi »), le locuteur rĂ©vĂšle une volontĂ© de faire les liaisons Ă chaque fois qu'il le faut, Ă tel point qu'il en fait mĂȘme quand l'orthographe ne le justifie pas.
Lâhypercorrection est souvent aussi due Ă lâorthographe. Par exemple, les locutions « crĂ©dit agricole », « gouvernement actuel » seront prononcĂ©es [kÊeditaÉĄÊikÉl] et [ÉĄuvÉÊnÉmÉÌtaktÉ„Él] alors quâen français standard, il nây a pas de liaison au singulier pour ces mots[2].
Orthographique
- Ajout fautif de « h » non étymologique, ex. : hypoténuse orthographiée fautivement hypothénuse[3].
- Ajout fautif d'accents circonflexes (« faßtes comme chez vous »).
- Ajout fautif de « h » étymologiques (« enthropie »).
- Ajout fautif de « s » aprÚs une consonne muette (« le camps »)[4].
- Ajout fautif de « ç » devant un « i » ou un « e ».
Grammaticale
- Phrase avec un verbe au subjonctif aprĂšs la locution conjonctive aprĂšs que[5].
- Cumuls dâĂ©lĂ©ments ayant la mĂȘme fonction au sein dâun mĂȘme Ă©noncĂ©, produisant un plĂ©onasme.
- Lorsque le locuteur cumule deux procĂ©dĂ©s morpho-syntaxiques (« est-ce que » et lâinversion de pronom clitique) pour marquer le caractĂšre interrogatif dâun Ă©noncĂ© : « Est-ce quâen recrĂ©ant le monde, le roman ne nous apprend-il pas Ă mieux le connaĂźtre ? »[6].
- Des redondances du type « c'est de... dont...»[7]. Exemple fautif : « C'est de sa mÚre dont cet enfant a besoin. » Il faut choisir entre les formes suivantes : « C'est de sa mÚre que cet enfant a besoin » ou « C'est sa mÚre dont cet enfant a besoin. » NB : En français classique, cette redondance était pratiquée jusque chez les meilleurs auteurs. Ainsi dans la Princesse de ClÚves de Mme de La Fayette : « M. de Nemours, alors caché dans le parc, entend ce discours. Il ne peut croire que c'est de lui dont parle la princesse : malgré les signes de son attachement, il ne s'en sait pas si fort aimé. »
Lexicale
- La substitution Ă un mot d'un autre considĂ©rĂ© par le locuteur comme plus valorisant, cherchant Ă provoquer un jugement de valeur plus favorable de la part de lâallocutaire, par ex. remplacer « gens » par « personnes », « plus » par « davantage », ou « parce que » par « car »[6].
Sociologie
L'hypercorrection, « phĂ©nomĂšne caractĂ©ristique du parler petit-bourgeois » (Pierre Bourdieu[8]), rĂ©vĂšle, dans une sociĂ©tĂ© donnĂ©e, l'estime ou la valeur qu'attribuent ses locuteurs Ă certaines rĂšgles de langage. Lâhypercorrection dĂ©coulerait du concept dâinsĂ©curitĂ© linguistique introduit par William Labov en 1976, selon lequel le scripteur est pris dans une norme et en est conscient, ce qui le pousse Ă ajouter des marques graphiques perçues comme prestigieuses. Dans son Ă©tude sur lâaccent circonflexe, Marie-Anne Paveau soulĂšve lâidĂ©e quâune faute dâorthographe serait alors plus souvent due à « des zones dâinstabilitĂ© et dâinsĂ©curitĂ© du français » qu'Ă un manque de culture du scripteur[4].
Les situations dans lesquelles est produite lâhypercorrection concernent notamment les Ă©tablissements scolaires. Les maĂźtres peuvent en effet la pratiquer et la perpĂ©tuer, comme lorsquâen corrigeant une copie, ils barrent un mot pour le remplacer par un lexique plus spĂ©cifique, plus dĂ©coratif que nĂ©cessaire (ex. : « Djamil rĂ©pondit oui [affirmativement] avec [par] un signe de tĂȘte. »). Ătant des modĂšles pour leurs Ă©lĂšves, ceux-ci vont tenter de les imiter. De plus, les manuels de grammaire, par la catĂ©gorisation des diffĂ©rents registres de langue, participent Ă ce principe dâhypercorrection. Il en va de mĂȘme pour les manuels de lecture : les textes Ă©tudiĂ©s Ă lâĂ©cole comportent bien plus dâinversions interrogatives que dans la littĂ©rature du xxe siĂšcle. Cet enchaĂźnement de normes et procĂ©dĂ©s auxquels invite lâinstitution scolaire incite Ă la faute. Celle-ci aura un effet trompeur, car lâĂ©lĂšve nâaura pas su adapter ces principes arbitraires au contexte et au registre. En effet, les manuels ne prĂ©cisent pas ces nuances, mais prĂ©conisent ces marques comme des « mots magiques » visant Ă valoriser leur utilisateur. LivrĂ© Ă lui-mĂȘme, l'Ă©lĂšve doit dĂ©couvrir seul les conditions tacites auxquelles doit satisfaire chaque forme de prestige pour ĂȘtre appropriĂ©e et ĂȘtre coopĂ©rative[6].
Le procĂ©dĂ© dâhypercorrection se constate aussi au-delĂ de la sphĂšre scolaire. Cette pratique de transmission de normes est dissociĂ©e en deux catĂ©gories par les sociolinguistes. Dâune part, les « rĂšgles dâusage » doivent ĂȘtre respectĂ©es pour ne pas ĂȘtre mis Ă l'Ă©cart du jeu social ; dâautre part, les « normes dâexcellence » dĂ©terminent une hiĂ©rarchie entre les sujets, leur classement sur une Ă©chelle de valeurs. Une diffĂ©rence essentielles rĂ©side dans la façon dont elles sont communiquĂ©es. Si les premiĂšres sont proclamĂ©es publiquement et explicitĂ©es, les secondes sont elles implicites et transmises individuellement, par l'exemple ou la parole, de façon confidentielle. Selon le linguiste Alain Berrendonner, en ne dĂ©voilant pas cette norme implicite, la didactique prĂ©serve les normes d'excellence et ce faisant perpĂ©tue les distinctions sociales[6].
La rĂšgle de la liaison est, en cela, un enjeu plus important que la concordance des temps, par exemple. En effet, d'une part, les liaisons sont plus faciles Ă respecter que la concordance des temps et, d'autre part, les fautes de liaison sont parfois beaucoup plus marquantes que les fautes de temps. Leur Ă©tude concerne alors la sociolinguistique.
Ainsi, selon V. Francis, sociologue, l'étude de l'hypercorrection permet de comprendre que, dans un groupe social, un élément qui s'exprime à l'oral réalise forcément des choix linguistiques qui révÚlent sa posture par rapport au groupe :
« Dans le domaine de la langue comme dans d'autres domaines, le rapport Ă la norme varie d'une situation Ă l'autre, d'un groupe social Ă l'autre Ă l'intĂ©rieur de la mĂȘme sociĂ©tĂ©. Dans certaines situations les marges de libertĂ© que les individus s'octroient par rapport Ă la norme tĂ©moignent d'une hypocorrection ou Ă l'inverse d'une hypercorrection qui sont, l'une comme l'autre, l'occasion de marquer leurs diffĂ©rences[9]. »
L'hypercorrection d'un locuteur rĂ©vĂšle aussi la valeur qu'il attribue au respect des rĂšgles dans un contexte d'Ă©nonciation prĂ©cis. Le mĂȘme locuteur fera des fautes d'hypercorrection dans un contexte et pas dans un autre. L'intĂ©rĂȘt de l'Ă©tude de l'hypercorrection est Ă ce moment psycholinguistique.
Dans dâautre cas, lâhypercorrection dâun scripteur pourrait ĂȘtre aussi due Ă lâoutil dâĂ©criture. Par exemple, la linguiste Marie-Anne Paveau trouve plus dâajouts superflus dâaccents circonflexes dans un texte Ă©crit avec un clavier que dans une copie manuscrite. Lâexplication donnĂ©e par Camille Martinez serait que, dans les copies manuscrites, lâaccent circonflexe ralentit la vitesse dâĂ©criture, ce qui ne serait pas le cas au clavier, et nâempĂȘche pas la lecture sâil nâest pas prĂ©sent[4].
Notes et références
- « Contre », dans le Dictionnaire de l'Académie française, sur Centre national de ressources textuelles et lexicales.
- Défense de la langue française, n° 181, juillet-août-septembre 1996
- « wikt:hypothénuse », Wiktionnaire (consulté le ).
- Marie-Anne Paveau, « Les formes graphiques de l'insécurité : l'exemple de l'accent circonflexe », Le Français aujourd'hui, 3/2010 (no 170), p. 71-82 [lire en ligne].
- « AprÚs que », sur Académie française (consulté le ).
- Alain Berrendonner, « Normes d'excellence et hypercorrections », Cahiers de linguistique française, no 20,â , p. 87-101 (lire en ligne [PDF]).
- « C'est de cela dont il s'agit », sur Académie française (consulté le ).
- Pierre Bourdieu, revue Le français aujourd'hui, no 41, mars 1978, p. 4-20 et Supplément au no 41, p. 51-57.
- V. Francis, « La construction du langage : dimension sociologique, l'exemple de la conversation », actes du colloque « Lâoral, si on en parlait ? », OrlĂ©ans, Tour,â (lire en ligne).
Voir aussi
Articles connexes
Lien externe
- Explication de Bernard Cerquiglini en vidéo
- [vidéo] Ces FAUTES que PERSONNE ne calcule ... MLTP#38 sur YouTube, chaine Linguisticae de Romain Filstroff.