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Effet papillon

« Effet papillon » est une expression qui résume une métaphore concernant le phénomÚne fondamental de sensibilité aux conditions initiales de la théorie du chaos. La formulation exacte qui en est à l'origine fut exprimée par Edward Lorenz lors d'une conférence scientifique en 1972, dont le titre était :

« Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »

Un graphique de l'attracteur Ă©trange de Lorenz pour les valeurs ρ = 28, σ = 10, ÎČ = 8/3


Historique

La conférence liminaire

Le battement d'ailes du papillon.

En 1972, le météorologue Edward Lorenz fait une conférence à l'American Association for the Advancement of Science intitulée[1] : « Predictability: Does the Flap of a Butterfly's Wings in Brazil Set off a Tornado in Texas? », qui se traduit en français par :

« Prédictibilité : le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »

Lorenz explique[2] :

« De crainte que le seul fait de demander, suivant le titre de cet article, « Un battement d'ailes de papillon au BrĂ©sil peut-il dĂ©clencher une tornade au Texas ? », fasse douter de mon sĂ©rieux, sans mĂȘme parler d'une rĂ©ponse affirmative, je mettrai cette question en perspective en avançant les deux propositions suivantes :

  • Si un seul battement d'ailes d'un papillon peut avoir pour effet le dĂ©clenchement d'une tornade, alors, il en va ainsi Ă©galement de tous les battements prĂ©cĂ©dents et subsĂ©quents de ses ailes, comme de ceux de millions d'autres papillons, pour ne pas mentionner les activitĂ©s d'innombrables crĂ©atures plus puissantes, en particulier de notre propre espĂšce ;
  • Si le battement d'ailes d'un papillon peut dĂ©clencher une tornade, il peut aussi l'empĂȘcher. Si le battement d'ailes d'un papillon influe sur la formation d'une tornade, il ne va pas de soi que son battement d'ailes soit l'origine mĂȘme de cette tornade et donc qu'il ait un quelconque pouvoir sur la crĂ©ation ou non de cette derniĂšre. »

Les travaux de Lorenz

Une trajectoire dans l'espace des phases de l'attracteur de Lorenz

Edward Lorenz travaillait sur des problĂšmes de prĂ©dictibilitĂ©, Ă  savoir, des prĂ©visions mĂ©tĂ©orologiques grĂące Ă  des systĂšmes informatiques. D’aprĂšs les lois dĂ©terministes — Ă©galement dites prĂ©visionnistes — crĂ©Ă©es par GalilĂ©e et dĂ©veloppĂ©es par Isaac Newton selon lequel les conditions initiales permettraient de dĂ©terminer l’état futur d’un systĂšme grĂące Ă  la mise en place d’une nouvelle technique mathĂ©matique, le calcul diffĂ©rentiel alors en vigueur, toute action X aurait des consĂ©quences Y prĂ©visibles grĂące Ă  des formules mathĂ©matiques, pourvu que les fonctions lipschitziennes en cause fussent continĂ»ment dĂ©rivables (il n’était pas question par exemple de prĂ©voir le mouvement d’un chat par ce moyen). Lorenz a incorporĂ©, en 1963, le fait que des variations infimes entre deux situations initiales pouvaient conduire Ă  des situations finales sans rapport entre elles.

Il affirma ainsi qu’il n’était pas envisageable de prĂ©voir correctement les conditions mĂ©tĂ©orologiques Ă  trĂšs long terme (par exemple un an), parce qu’une incertitude de 1 sur 106 lors de la saisie des donnĂ©es de la situation initiale pouvait conduire Ă  une prĂ©vision totalement erronĂ©e. Or :

  • d’une part, ces incertitudes sont inĂ©vitables,
  • et d’autre part, l’homme ne peut pas prendre en compte tous les Ă©lĂ©ments qui constituent son environnement, surtout lorsqu’il s’agit de variations infimes.

Les utilisateurs des prĂ©dictions mĂ©tĂ©o Ă  5 jours sur Internet peuvent aujourd'hui se rendre compte de la volatilitĂ© des prĂ©dictions Ă  mesure de l'Ă©coulement des jours.

Laplace

Le mathĂ©maticien Pierre-Simon de Laplace exprimait le dĂ©terminisme en affirmant qu'un gĂ©nie connaissant exactement la position et le mouvement de tous les objets, mĂȘme infinitĂ©simaux, de l'univers, aurait accĂšs Ă  la connaissance du passĂ© comme du futur de l'univers. Il notait que cette certitude nous Ă©tait inaccessible et que seul un rĂ©sultat stochastique pouvait ĂȘtre proposĂ©[3]. Cette position n'est pas contredite par la thĂ©orie du chaos. Ce qu'affirme la thĂ©orie du chaos, c'est qu'une dĂ©viation trĂšs faible sur un paramĂštre peut avoir une influence importante sur la situation rĂ©sultante Ă  une date ultĂ©rieure.

Poincaré

Un exemple exposé par Poincaré pour illustrer la notion de chaos.

Henri PoincarĂ© travailla plus tard sur des phĂ©nomĂšnes chaotiques, en particulier en rĂ©flĂ©chissant Ă  la stabilitĂ© du systĂšme solaire et au problĂšme des trois corps[4]. Ses travaux n’eurent pas d’applications immĂ©diates, faute de calculateurs Ă©lectroniques avec lesquels effectuer plusieurs millions ou milliards d’itĂ©rations.

Conséquences de la théorie du chaos

Le concept

Le double pendule (simulation Algodoo©) illustre un phénomÚne physique de sensibilité aux conditions initiales

Dans l’exemple de Lorenz, un mĂ©tĂ©orologue ne penserait pas forcĂ©ment Ă  prendre en compte les variations du courant d’air provoquĂ©es par le battement d’ailes d’un papillon. Son idĂ©e de « non infaillibilitĂ© du systĂšme prĂ©visionnel », thĂ©orisĂ© sous la forme de « l’effet papillon », rappelle qu’il existe au moins une diffĂ©rence entre le dĂ©terminĂ© et le dĂ©terminable.

Des travaux récents ont montré que la modélisation de l'atmosphÚre n'est pas affecté par l'effet papillon, car un effet minime est « noyé » et oublié sans incidence perceptible pour la totalité[5].

Il n'en est pas moins vrai que de petits facteurs peuvent avoir d'immenses effets. Blaise Pascal l'avait mentionnĂ© Ă  propos du nez de ClĂ©opĂątre. Le naturaliste Stephen Jay Gould mentionne de mĂȘme que le processus darwinien n'est que statistique et que si l'on ramenait la planĂšte Terre 65 millions d'annĂ©es en arriĂšre, Ă  l'identique, faune comme flore suivraient des chemins sans doute aussi diffĂ©rents que ceux du continent africain et de l'Ăźle de Madagascar.

En revanche, l'effet papillon n'est pas une fatalitĂ© et les travaux de Jacques Laskar montrent que l'orbite de la Terre ne serait pas restĂ©e stable pendant plus d'un milliard d'annĂ©es sans la petite influence gravitationnelle de la Lune, qui aurait stabilisĂ© son orbite - et donc assurĂ© qu'elle reste dans la zone « habitable », et empĂȘchant ainsi l'orbite de divaguer en fonction de variations minimes des conditions ab initio.

Résultats de la théorie du chaos

Avec Lorenz, les limites pratiques du modĂšle de Newton sont mieux perçues, et un nouveau concept de « dĂ©terminisme relatif » Ă©merge. Le terme de « thĂ©orie du chaos » rĂ©apparaĂźt et c’est au dĂ©but des annĂ©es 1970 que le monde connaĂźt un engouement pour ce paradigme. On dĂ©couvre alors deux rĂ©sultats Ă©tonnants :

  • Le chaos possĂšde une sorte de signature (voir Nombres de Feigenbaum) ;
  • Il peut conduire lui-mĂȘme Ă  des phĂ©nomĂšnes stables. On parle alors d’émergence. On ne pourra en connaĂźtre le dĂ©tail de rĂ©alisation, mais les Ă©tats finaux peuvent ĂȘtre connus sans qu’on sache par quel chemin on y arrivera : c’est une gĂ©nĂ©ralisation de la notion d’attracteur dĂ©jĂ  posĂ©e par PoincarĂ©.

L'Institut de Santa Fe a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 1984 pour tenter d’étudier les conditions par lesquelles, parfois, c’est l’ordre qui Ă©merge du chaos.

Extrapolations Ă  partir de l'effet papillon

L’effet papillon est utilisĂ© comme mĂ©taphore de la vie quotidienne ou de l'histoire. Toutefois il faut se mĂ©fier du rapprochement entre ces problĂ©matiques. En effet, une des PensĂ©es de Blaise Pascal est souvent rĂ©sumĂ©e par la phrase « Le nez de ClĂ©opĂątre, s’il eĂ»t Ă©tĂ© plus court, toute la face de la terre aurait changĂ©[6]. »

Le livre Impostures intellectuelles indique l'erreur qu'il y a Ă  rapprocher ces rĂ©flexions de l'effet papillon. Dans le cas de l'effet papillon, la variation forte est due Ă  une modification trĂšs faible en valeur relative d'une variable mathĂ©matique. Dans le cas de l'Histoire, l'imprĂ©visibilitĂ© est due au fait qu'on ne sait pas du tout la mettre en Ă©quations. Il n'est donc mĂȘme pas possible d'affirmer que les diffĂ©rences donnant intuitivement l'impression d'ĂȘtre insignifiantes (clou d'un fer Ă  cheval) donnent lieu Ă  une faible variation d'un argument numĂ©rique. Il n'est pas possible de savoir, tant que l'Histoire n'aura pas Ă©tĂ© mise en Ă©quations (ce qui n'est pas forcĂ©ment possible), si le systĂšme d'Ă©quations est effectivement chaotique[7]. En tout cas, Ă  ce point de nos connaissances, la thĂ©orie du chaos n'apporte pas plus d'informations supplĂ©mentaires sur ces phĂ©nomĂšnes que celles qui se trouvaient dĂ©jĂ  dans les proverbes.

Aspects culturels

Films

Plusieurs films utilisent l'effet papillon comme point important de l'intrigue, comme titre, ou les deux. On notera cependant la confusion entre la sensibilité aux conditions initiales (ce que Lorenz a décrit) et le fait qu'une cause infime peut avoir de grands effets (ce qui est un énoncé erroné et dénaturé de l'effet papillon).

SĂ©ries

Bandes dessinées

Musiques

Jeux vidéo

Émissions de tĂ©lĂ©vision

Notes et références

  1. Le titre n'est en fait pas de Lorenz, mais d'un autre mĂ©tĂ©orologue, Philip Merilees, organisateur de la confĂ©rence ; Lorenz l'a dĂ©couvert trop tard pour pouvoir en changer. Cf. Nicolas Witkowski, « La chasse Ă  l'effet papillon », Alliage, no 22, 1995, p. 46-53 et l'intervention d'Étienne Ghys Ă  l'Ă©mission La TĂȘte au CarrĂ© du 7 janvier 2019.
  2. Edward N. Lorenz, « Un battement d'ailes de papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas ? », Alliage 22 (1993), 42-45. Traduction française du texte de la conférence de 1972, publié (en anglais) dans : The essence of chaos, The Jessie and John Danz Lecture Series, University of Washington Press (1993). Ce livre contient une série de conférences de vulgarisation données à l'université de Washington (Seattle) en 1990.
  3. Pierre-Simon Laplace, Essai philosophiques sur les probabilitĂ©s, Courcier, (lire en ligne), p. 2. : Laplace, Essai philosophique sur les probabilitĂ©s : « Une intelligence qui, pour un instant donnĂ©, connaĂźtrait toutes les forces dont la nature est animĂ©e et la situation respective des ĂȘtres qui la composent, si d'ailleurs elle Ă©tait assez vaste pour soumettre ces donnĂ©es Ă  l'analyse, embrasserait dans la mĂȘme formule les mouvements des plus grands corps de l'Univers Ă  ceux du plus lĂ©ger atome. Rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passĂ©, serait prĂ©sent Ă  ses yeux. Mais l'ignorance des diffĂ©rentes causes Ă  l'origine des Ă©vĂ©nements et leurs complexitĂ©s nous empĂȘchent d'atteindre la mĂȘme certitude dans la plupart des phĂ©nomĂšnes. Ainsi il y a des choses qui sont incertaines pour nous, des choses qui sont plus ou moins probables, et nous cherchons Ă  compenser notre impossibilitĂ© de les connaĂźtre en dĂ©terminant leurs diffĂ©rents degrĂ©s de vraisemblance. C'est ainsi que nous devons Ă  la faiblesse de l'esprit humain l'une des plus dĂ©licates et des plus ingĂ©nieuses thĂ©ories mathĂ©matiques, les probabilitĂ©s. »
  4. PoincarĂ©, Science et MĂ©thode : « Une cause trĂšs petite, et qui nous Ă©chappe, dĂ©termine un effet considĂ©rable que nous ne pouvons ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dĂ» au hasard. Si nous connaissions exactement les lois de la Nature et la situation de l'Univers Ă  l'instant initial, nous pourrions prĂ©dire la situation de ce mĂȘme Univers Ă  l'instant ultĂ©rieur. Mais, lors mĂȘme que les lois naturelles n'auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrions connaĂźtre la situation initiale qu'approximativement. Si cela nous permet de prĂ©voir la situation ultĂ©rieure avec la mĂȘme approximation, c'est tout ce qu'il nous faut, nous disons que le phĂ©nomĂšne a Ă©tĂ© prĂ©vu, qu'il est rĂ©gi par des lois ; mais il n'en est pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites diffĂ©rences dans les conditions initiales en engendrent de trĂšs grandes dans les phĂ©nomĂšnes finaux ; une petite erreur sur les premiĂšres produirait une erreur Ă©norme sur les derniers. La prĂ©diction devient impossible et nous avons le phĂ©nomĂšne fortuit. »
  5. Dossier Pour la Science, « La modélisation informatique, exploration du réel », no 52, juillet/septembre 2006.
  6. En ligne sur Wikiquote.
  7. Voir d'ailleurs l'article Cliodynamique

Annexes

Ouvrages

  • Marie-NoĂ«lle Charles, Ces petits hasards qui bouleversent la science, Papillon Rouge Éditeur, 2012
  • Edward N. Lorenz, « Un battement d'ailes de papillon au BrĂ©sil peut-il dĂ©clencher une tornade au Texas ? », Alliage, no 22, 1995, p. 42-45. Traduction française du texte de la confĂ©rence de 1972, publiĂ© dans : (en) The Essence of Chaos, The Jessie and John Danz Lecture Series, University of Washington Press, 1993. Ce livre contient une sĂ©rie de confĂ©rences de vulgarisation donnĂ©es Ă  l'universitĂ© de Washington (Seattle) en 1990.

Articles

Vidéo

Articles connexes

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