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Impostures intellectuelles

Impostures intellectuelles est un ouvrage d'Alan Sokal et Jean Bricmont publié en français en 1997.

Impostures intellectuelles
Auteur Alan Sokal, Jean Bricmont
Genre Philosophie
Éditeur Éditions Odile Jacob
Date de parution
Nombre de pages 276
ISBN 2-7381-0503-3

L'ouvrage constitue une critique de ce que les auteurs regroupent sous le nom de « philosophie postmoderne ». Il vise en particulier des penseurs qui utilisent les concepts ou le vocabulaire des mathématiques ou de la physique, relève des erreurs, dénonce des pensées vides de sens et commente des extraits de livres de Jacques Lacan, Julia Kristeva, Luce Irigaray, Bruno Latour, Jean Baudrillard, Gilles Deleuze, Félix Guattari, et Paul Virilio[1].

Cet ouvrage a été publié en anglais l'année suivante sous le titre Fashionable Nonsense: Postmodern Intellectuals' Abuse of Science. Une nouvelle édition française, revue et augmentée, est sortie en 1999.

Contexte

Au cours du XXe siècle, la sociologie des sciences et la philosophie des sciences ont vu se développer des courants relativisant radicalement la valeur des thèses admises en science en tant que vérités. Certains défendaient l'idée que les connaissances scientifiques telles qu'elles existent ne sont pas des descriptions d'une réalité extérieure à la société, mais une simple construction de la société humaine. Dans le débat aux États-Unis, les défenseurs de cette position étaient appelés « postmodernes », leurs adversaires étant les « réalistes ».

En 1996, la revue de sciences humaines Social Text publia un recueil d'articles allant dans le sens des postmodernes, sous le nom Science wars. Mais le physicien Alan Sokal parvint à faire publier parmi ces articles une parodie d'article scientifique (intitulé : Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique[1]), volontairement absurde. Cet épisode est appelé « affaire Sokal ».

Le canular l'ayant rendu assez célèbre, Sokal s'associa au physicien belge Jean Bricmont pour écrire un livre détaillant son point de vue sur ce qu'il cherchait à mettre en évidence.

L'objectif de l'ouvrage

L'introduction du livre annonce les intentions des auteurs en ces termes :

« Le but de cet essai est d’apporter une contribution, limitée mais originale, à la critique de la nébuleuse postmoderne. Nous ne prétendons pas analyser celle-ci en général mais plutôt attirer l’attention sur des aspects relativement peu connus, atteignant néanmoins le niveau de l'imposture, à savoir l’abus réitéré de concepts et de termes provenant des sciences physico-mathématiques. Plus généralement, nous analyserons certaines confusions intellectuelles, fort répandues dans les écrits post-modernes, qui portent à la fois sur le contenu du discours scientifique et sur sa philosophie.»

Critique du post-modernisme

Selon les auteurs, le mot « abus » désigne une ou plusieurs des caractéristiques suivantes :

  • Parler abondamment de thĂ©ories scientifiques dont on n'a, au mieux, qu'une très vague idĂ©e. Dans la plupart des cas, les auteurs visĂ©s par ce travail ne font qu'utiliser une terminologie para-scientifique sans trop se soucier de la vĂ©ritable signification des mots.
  • Importer des notions de sciences exactes dans les sciences humaines sans donner la moindre justification empirique ou conceptuelle Ă  cette dĂ©marche. Un biologiste qui voudrait utiliser dans son domaine de recherche des notions Ă©lĂ©mentaires de topologie (telles que le tore), de la thĂ©orie des ensembles ou encore de la gĂ©omĂ©trie diffĂ©rentielle, serait priĂ© de donner quelques explications. Une vague analogie ne serait pas prise très au sĂ©rieux par ses collègues. Par exemple, Lacan Ă©crit que la structure du nĂ©vrosĂ© est exactement le tore, Kristeva que le langage poĂ©tique relève de la puissance du continu et Baudrillard que les guerres modernes se dĂ©roulent dans un espace non-euclidien.
  • Exhiber une Ă©rudition superficielle dans un contexte oĂą il n'a aucune pertinence.
  • Manipuler des phrases dĂ©nuĂ©es de sens et se livrer Ă  des jeux de mots. Il s'agit d'une vĂ©ritable intoxication verbale, combinĂ©e Ă  une indiffĂ©rence pour la signification des termes utilisĂ©s.
  • Parler avec une assurance que la compĂ©tence des auteurs ne justifie nullement. Jacques Lacan se vante d'utiliser « le plus rĂ©cent dĂ©veloppement de la topologie » et Bruno Latour se demande s'il n'a pas appris quelque chose Ă  Einstein.

Au-delà des querelles de chapelles et de personnes, la dispute porte sur la façon de parler des sciences, certains procédés rhétoriques s'apparentant à un usage détourné du prestige des sciences exactes, une forme d'extension de l'argument d'autorité qui permet de donner un vernis de rigueur à son discours. Pour Sokal et Bricmont, les auteurs attaqués ont cru que personne ne relèverait leur usage abusif des concepts scientifiques. Qui est assez autorisé pour s'écrier que « le roi est nu » ? Le but des auteurs est justement de dire que le roi est nu.

Ils ne veulent nullement attaquer les sciences humaines ou la philosophie en général ; au contraire, ils pensent que ces domaines sont fort importants et veulent mettre en garde ceux qui y travaillent (surtout les jeunes) contre des exemples manifestes de charlatanisme. En particulier ils veulent « déconstruire » la réputation qu’ont ces textes d'être profonds parce que difficiles. Dans bien des cas, ils peuvent montrer que s’ils semblent incompréhensibles, c’est pour la bonne raison qu’ils ne veulent rien dire.

RĂ©actions

Le livre a suscitĂ© un numĂ©ro de la revue Alliage intitulĂ© Impostures scientifiques, les malentendus de l'affaire Sokal[2], critiquant le travail d'Alan Sokal et Jean Bricmont : selon les participants — certains des participants Ă©tant des « cibles » de Sokal et Bricmont — de la revue, Latour n'a fait aucune erreur dans son interprĂ©tation de la thĂ©orie de la relativitĂ©, ni Lacan en topologie, au sujet duquel Nathalie Charraud, qui se prĂ©sente elle-mĂŞme comme mathĂ©maticienne et psychanalyste, affirme que « les attaques de Sokal et Bricmont, [...] reposent toutes sur une certaine prĂ©cipitation, une immense mauvaise foi, et une volontĂ© de n'en rien savoir de la psychanalyse. Leur conclusion concernant Lacan est particulièrement consternante d'arrogance et de prĂ©tention. Les connaissances mathĂ©matiques de Lacan sont loin d'ĂŞtre « superficielles Â», il savait s'entourer de mathĂ©maticiens qui lui apportaient la garantie nĂ©cessaire dans ses avancĂ©es ; les propriĂ©tĂ©s qu'il exploitait ne sont jamais fausses, mĂŞme si, aux yeux des spĂ©cialistes, elles sont prĂ©sentĂ©es sous une formulation inhabituelle, qui prouve qu'il les avait travaillĂ©es et assimilĂ©es pour en faire quelque chose de personnel, ce que prĂ©cisĂ©ment ne supportent pas Sokal et Bricmont »[3].

À l'inverse Jacques Bouveresse, philosophe spécialiste en épistémologie, a rédigé de son côté un opuscule, Prodiges et vertiges de l'analogie, où il soutient largement Sokal et Bricmont et où il s'intéresse de près à une « imposture » particulière : l'usage douteux que fait Régis Debray des travaux de Kurt Gödel. Il a aussi écrit plusieurs articles sur le sujet.

De manière assez amusante, Jacques Bouveresse a rapidement prophétisé que cette affaire ne ferait que renforcer le prestige des cibles d'Alan Sokal, vues comme les victimes d'attaques antifrançaises d'un Américain. Cette interprétation a effectivement été très répandue parmi les opposants à Sokal. Surtout, le livre fut classé comme critique de droite, ce qui déplut à Sokal - qui se réclame de gauche et prétendait justement protéger la gauche des charlatans ; Sokal avait précisément critiqué cette démarche de politisation en accusant dans son texte parodique Gross et Levitt d'avoir attaqué Derrida parce qu'il est de gauche, alors que la critique de Derrida était purement physique.

Noam Chomsky disait que ce livre Ă©tait « très important Â» et que « beaucoup de la critique dite « gauche Â» [de la science] semble ĂŞtre n'importe quoi Â»[4]

D'une manière générale, le travail de Sokal et Bricmont a provoqué les réactions suivantes dans la presse (c'est surtout en France qu'il y a eu des réactions passionnées) :

  • DĂ©nonciation d'un complot antifrançais ou antiphilosophique de la part des partisans des cibles du livre[5].
  • Applaudissement et appel au retour au sĂ©rieux de la part de leurs dĂ©tracteurs.
  • Acceptation du contenu mais critique de la mĂ©thode de la part d'une assez large partie des intervenants : Sciences et Avenir doute que la comprĂ©hension des sciences dures soit suffisante pour juger les intellectuels la mĂŞlant aux disciplines littĂ©raires, Le Canard enchaĂ®nĂ© trouve tout simplement les remarques sans intĂ©rĂŞt (le journaliste considère qu'on savait depuis longtemps que ces textes n'Ă©taient pas bâtis sur des sciences dures correctement agencĂ©es) ; de plus, certains journaux font remarquer qu'il faut croire sur parole les auteurs en ce qui concerne les mathĂ©matiques et la physique.
  • Souvent, les applaudissements sont rĂ©servĂ©s : par exemple Sokal et Bricmont ont Ă©tĂ© critiquĂ©s pour avoir adoptĂ© un ton trop dur avec les philosophes analysant la relativitĂ©, alors que leurs textes datent d'une Ă©poque oĂą les physiciens ne l'avaient pas encore assimilĂ©e. Souvent, on reproche aux auteurs leur manque de pĂ©dagogie : leur critique de Latour n'amĂ©liore pas la comprĂ©hension de la relativitĂ©. Les auteurs ne prĂ©tendent d'ailleurs pas expliquer ces erreurs, argumentant du fait que de très bons livres ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©crits – et explicitement conseillĂ©s aux intĂ©ressĂ©s par le passĂ© – sur le sujet.

Notes et références

  1. « Présentation de Impostures intellectuelles », sur http://www.odilejacob.fr (consulté le ).
  2. Impostures scientifiques, les malentendus de l'affaire Sokal.
  3. Nathalie Charraud, « Mathématiques avec Lacan », Alliage, nos 35-36,‎ (lire en ligne).
  4. (en) Noam Chomsky, « Chomsky on science and postmodernism ».
  5. Pascal Bruckner, « Le risque de penser » et Julia Kristeva, « Une désinformation », Le Nouvel Observateur n° 1716 (1997). Max Dora, « Métaphore et politique », Le Monde du 20 novembre 1997. Robert Maggiori, « Fumée sans feu », Libération du 30 septembre 1997. Juliette Simon, « La haine de la philosophie », Les Temps modernes, n° 600 (1998).

Bibliographie

  • Alan Sokal et Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Paris, Odile Jacob, , 276 p. [dĂ©tail des Ă©ditions] (ISBN 978-2-7381-0503-5)
  • (en) Alan Sokal et Jean Bricmont, Intellectual Impostures : Postmodern Philosophers' Abuse of Science, Londres, Profile Books, , 276 p. (ISBN 978-1-86197-631-4)
  • (en) Alan Sokal et Jean Bricmont, Fashionable Nonsense : Postmodern Intellectuals' Abuse of Science, New York, Picador, , 300 p. (ISBN 978-0-312-19545-8)
  • Éthique et Ă©pistĂ©mologie autour du livre Impostures intellectuelles de Sokal et Bricmont 2001, sous la direction d'Angèle Kremer-Marietti, L'Harmattan, 2001.
  • RĂ©gis Debray et Jean Bricmont, Ă€ l'ombre des lumières : DĂ©bat entre un philosophe et un scientifique, Odile Jacob, collection Sciences, 2003.
  • Alan Sokal, Pseudosciences & postmodernisme : adversaires ou compagnons de route ? Traduit de l'anglais (États-Unis) par Barbara Hochstedt. Odile Jacob, (ISBN 2-7381-1615-9).

Voir aussi

Articles connexes

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