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Compensation carbone

La compensation carbone consiste à essayer de contrebalancer ses propres émissions de CO2 par le financement de projets de réduction d'autres émissions ou de séquestration de carbone[1]. Elle est présentée comme étant l'un des outils disponibles pour atteindre la neutralité carbone dans le cadre de l'atténuation du réchauffement climatique. Elle s'applique essentiellement au CO2, mais peut s'appliquer également aux émissions d'autres gaz à effet de serre (GES).

La "Nederlands eerste internetbos" ou première forêt-Internet néerlandaise est un exemple de compensation carbone ; ce bois de bouleaux (essence à croissance rapide) a été planté en 2008 près d'Apeldoorn aux Pays-Bas à l'initiative de Cleanbit, une entreprise visant à compenser les émissions de CO2 induites par les serveurs de l'Internet.

Cette démarche, souvent volontaire, peut être adoptée par des particuliers, des acteurs économiques (individuellement ou regroupés par secteurs), des collectivités publiques ou même des États. La compensation carbone est aussi utilisée dans des cadres institutionnels comme le Mécanisme de développement propre (MDP) inclus dans le protocole de Kyoto, ou le dispositif CORSIA sous l'égide de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), entré en phase pilote en .

Elle s'appuie sur des règles strictes et des standards de référence, comme le Gold Standard, développé par le WWF.

Malgré ses co-bénéfices vis-à-vis d'autres aspects du développement durable, la compensation carbone fait l'objet de critiques, dont la principale est qu'elle permettrait aux pays riches de se donner bonne conscience à bon compte en reportant les efforts à faire sur les pays les plus pauvres. Pourtant ce mécanisme a été créé lors du Protocole de Kyoto à la demande des pays en développement, afin que ceux-ci bénéficient de financements et de transferts de technologie.

DĂ©finition, objectifs et domaine d'application

La compensation carbone consiste à contrebalancer ses propres émissions par le financement de projets de réduction d'autres émissions de CO2 ou de séquestration de carbone[1]. Elle est utilisée dans le cadre général de l'atténuation du réchauffement climatique pour atteindre la neutralité carbone quand il n'est pas possible de réduire ses propres émissions ou qu'il est plus économique de procéder à une réduction équivalente ailleurs. Elle s'appuie sur le principe d'universalité du CO2 qui contribue à l'effet de serre quel que soit l'endroit où il a été émis.

Elle s'applique essentiellement au CO2, mais peut s'appliquer également aux émissions d'autres gaz à effet de serre comme le méthane (CH4), le protoxyde d'azote (N2O) ou certains hydrocarbures halogénés. Les émissions compensées ou évitées sont appelées crédits carbone, exprimés en tonnes d'équivalent CO2.

L'Article 6 de l'Accord de Paris sur le climat de 2015 prévoit d'organiser et de réguler le marché mondial de la compensation carbone. Les crédits carbone ne représentent que 0,5 % des émissions mondiales de gaz à effets de serre, mais ce marché est en plein boom depuis 2019. Selon les estimations, il pourrait représenter 300 milliards de dollars en 2030. Mais ce marché n'est pas du tout unifié. Il est inondé de crédits générés par des projets anciens, datant du Protocole de Kyoto, et sans aucune valeur. Alors que la tonne de carbone vaut 60 euros sur le marché européen des quotas carbone en 2021, certains crédits s'échangent pour à peine 3 euros. Le Brésil, grand générateur de crédits carbone, a bloqué les négociations lors de la COP25 à Madrid en refusant d'abandonner le double comptage[2]. En novembre 2021, la COP26 aboutit enfin à un accord sur les règles de ces marchés, qui rendra plus difficile le double comptage et met fin au désordre qui règne sur les marchés volontaires du carbone[3].

En France, la Commission d'enrichissement de la langue française a introduit en 2019 l’expression « compensation des émissions de gaz à effet de serre » (en abrégé : compensation des GES), définie comme l'« ensemble des mesures techniques ou financières permettant de contrebalancer, en partie ou en totalité, les émissions, dans l'atmosphère, de gaz à effet de serre d'origine anthropique qui n'ont pu être évitées. »[4].

La démarche de compensation est le plus souvent volontaire, c'est-à-dire que ceux qui s'y engagent ne sont pas soumis à une obligation de réduire leurs émissions de GES. Elle est le fait de particuliers, d'entreprises (individuellement ou regroupées par secteurs), de collectivités publiques ou même d'États. Ils font en général appel à des entreprises spécialisées qui servent d'intermédiaire avec les porteurs de projets. Un particulier peut par exemple compenser les émissions liées à un voyage en avion en finançant un projet de reboisement en Afrique. Une entreprise peut acheter des crédits carbone pour compenser les émissions attachées à ses produits ou services.

La compensation carbone est aussi utilisée dans le cadre de mécanismes institutionnels de marché, du type échange de crédits carbone, par des acteurs tenus à une obligation de résultat :

  • dans le cadre du protocole de Kyoto, le MĂ©canisme de dĂ©veloppement propre (MDP) et la mise en Ĺ“uvre conjointe (MOC) peuvent ĂŞtre considĂ©rĂ©s comme de la compensation carbone[5]. Les entreprises qui dĂ©passent leurs quotas de carbone peuvent acheter des unitĂ©s de rĂ©duction certifiĂ©e des Ă©missions (en) (URCE) garantis par l'Onu (certification Kyoto).
  • l'accord du sous l'Ă©gide de l'OACI a instituĂ© un "programme de compensation et de rĂ©duction de carbone pour l’aviation internationale" (CORSIA, Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation). Il se traduira par l’achat de crĂ©dits carbone par les compagnies aĂ©riennes auprès d’autres secteurs via une bourse d’échanges Ă  partir de 2021.

Compensation volontaire

Démarche recommandée

La compensation doit suivre des règles strictes. Si les projets ne répondent pas à des critères précis (mesurabilité, vérifiabilité, permanence et additionalité), l’utilisation du terme compensation carbone peut être remise en question[6].

Selon la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) : « Réduisez votre empreinte au maximum, compensez le reste avec des URCE (Unité de réduction certifiée des émissions) »[7]. Selon le guide de l'Ademe publié en 2012, la compensation volontaire ne devrait intervenir que « postérieurement à la mise en œuvre d’efforts de réduction de ses émissions sur son périmètre d’action », elle-même précédée d'un bilan des émissions de l'entité concernée[8].

ICROA (International Carbon Reduction and Offset Alliance) est un organisme à but non lucratif qui a développé le guide de référence le plus exigeant sur les meilleures pratiques en matière de compensation[9].

Évaluer ses émissions

Le Bilan carbone, initialement développé par l'Ademe et repris par l'association Bilan Carbone, est la méthode de comptabilité carbone la plus utilisée en France. Il permet aux entreprises et collectivités territoriales de réaliser une évaluation globale de leurs émissions de GES, que celles-ci soient directes ou indirectes. Une méthode spécifique a été développée pour effectuer un bilan à l’échelle d'un territoire, et d'autres méthodes, protocoles, et outils ont été développés pour répondre aux spécificités de secteurs comme les exploitations agricoles ou les forêts. Pour les organisateurs d'évènements, le site ADERE propose un diagnostic environnemental contenant un volet climatique[10].

Pour les particuliers, plusieurs outils gratuits[11] existent pour faire son Bilan carbone personnel, comme celui de la Fondation GoodPlanet, l’outil Nos GEStes Climat (porté par l’Ademe et l’Association Bilan Carbone, issu de MicMac d’Avenir Climatique[12]) ou encore des calculateurs automatisés s'appuyant sur la méthode des ratios monétaires comme Carbo.

Choisir un opérateur

Le marché volontaire présente une grande diversité d’acteurs, avec de nombreux intermédiaires entre le porteur de projet et le client final qui cherche à compenser ses émissions : courtiers, entreprises, ONG, grossistes, opérateurs spécialisés, etc. Comme ce marché n'est pas réglementé, on trouve une grande diversité de méthodes de calcul des émissions, ainsi que de certification et de suivi des projets. Dans ce contexte, les labels existants constituent une certaine garantie pour le client[8].

Certification

La certification n'est pas obligatoire sur le marché de la compensation volontaire. Son objectif est de fournir aux acheteurs de crédits carbone des garanties de fiabilité et de crédibilité relatives aux projets[8] en s'assurant que les compensations sont bien réelles et pérennes, additionnelles (que les émissions ne seraient pas réduites en l'absence du projet), mesurables et vérifiables[13].

Les labels volontaires sont dérivés des exigences de la certification Kyoto, mais adaptés pour réduire coûts et délais et permettre d'élargir la gamme de projets autorisés[8]. La grande majorité des projets présents sur le marché de la compensation volontaire sont certifiés par des organismes indépendants[14].

En Europe, les labels les plus utilisés sont le Verified Carbon Standard (ou Verra) et le Gold Standard[8] - [13]. Le Gold Standard a été développé par le WWF.

En France, le label bas-carbone élaboré par l'I4CE - Institute for Climate Economics a été lancé le . Son référentiel a été élaboré à partir de projets pilotes dans les secteurs forestier et agricole (boisement/reboisement, gestion forestière améliorée, élevage bovin), mais d'autres secteurs pourront bénéficier du label à l'avenir. Il intègre, outre la réduction des émissions et le stockage de carbone, les co-bénéfices socio-économiques des projets[15] - [16] - [17].

Cycle de vie d'un crédit carbone

Entre l'idée d'un projet et la vente de crédits carbone à un acheteur final, il y a plusieurs étapes à franchir. La première, qui passe en général par une étude de faisabilité, l'évaluation des risques, le calcul des émissions compensées et la certification par un organisme indépendant, aboutit à l'émission de crédits carbone (en anglais, "issuance"). Elle se traduit concrètement par leur inscription sur un registre. Ils peuvent ensuite être mis en vente et achetés, soit en direct, soit par des intermédiaires. Quand la vente est conclue avec un acheteur qui souhaite revendiquer l'impact du projet, les crédits carbone sont retirés de la vente et ne peuvent plus être revendus (c'est le retrait, "retirement" en anglais)[14].

Marché

Le marchĂ© de la compensation carbone volontaire a dĂ©marrĂ© au dĂ©but des annĂ©es 2000 mais n'a vraiment dĂ©collĂ© qu'en 2008. De 2005 Ă  2017, 437 millions de crĂ©dits carbone ont Ă©tĂ© Ă©mis, pouvant permettre d'Ă©viter, de rĂ©duire ou de sĂ©questrer 437 Mt Ă©q. CO2[13].

Évolution du marché mondial de la compensation carbone volontaire[18] - [13] - [19]
(Millions tonnes Ă©q. CO2)
20052006200720082009201020112012201320142015201620172018
Émissions8,830,437,339,448,946,941,447,136,762,7
Retraits0,31,66,113,720,331,432,840,732,742,8
Transactions123270135107131100103687784654698

Les retraits, c'est-à-dire les crédits définitivement acquis, sont inférieurs aux émissions à cause du décalage dans le temps entre les deux opérations, et aussi parce qu'un certain nombre de crédits ne trouvent pas preneur[13].

Les transactions, qui incluent celles du marché primaire (vente des porteurs de projet à des intermédiaires ou directement à des acheteurs finaux) et du marché secondaire (vente des intermédiaires à des acheteurs finaux ou à d'autres intermédiaires) sont plus nombreuses que les émissions, car les crédits carbone peuvent changer plusieurs fois de mains avant d'être retirés du marché[20].

Les volumes échangés sur le marché volontaire sont faibles par rapport à ceux qui sont échangés sur le marché de conformité : en 2010, ils ne représentaient que 3,4 % des échanges totaux[8].

Marché français

Une Ă©tude du marchĂ© français de la compensation volontaire rĂ©alisĂ©e en 2016 a estimĂ© son potentiel Ă  Mt Ă©q. CO2 Ă  l'horizon 2026. Elle souligne que son Ă©volution est incertaine, notamment du fait du « caractère temporaire de certaines dĂ©marches ». Les prix relevĂ©s allaient de 4 Ă  24 â‚¬/t[21].

Quelques plates-formes françaises de compensation carbone volontaire :

  • CO2Solidaire, crĂ©Ă©e en 2004 par le Geres, a Ă©tĂ© la première plateforme de compensation carbone volontaire en France. Avec le principe de "SolidaritĂ© climatique" mis en avant par cette plateforme, l'association visait Ă  inciter particuliers et entreprises Ă  agir pour rĂ©duire leurs Ă©missions de gaz Ă  effet de serre et Ă  soutenir le dĂ©veloppement durable bas-carbone des plus pauvres. CO2Solidaire a cessĂ© son activitĂ© en 2019.
  • EcoAct, entreprise sociale, crĂ©Ă©e en 2006, leader français, primĂ©e en 2019 pour avoir dĂ©veloppĂ© le meilleur projet de compensation au monde par Environmental Finance (projet de foyers amĂ©liorĂ©s au Darfour)[22] - [23].
  • La Fondation GoodPlanet, fondĂ©e par Yann Arthus-Bertrand, une des premières entitĂ©s françaises Ă  avoir proposĂ© de la compensation[24] ;
  • Climateseed, une entreprise Ă  vocation sociale crĂ©Ă©e en 2018 par le groupe BNP Paribas en partenariat avec le Grameen Creative Lab[25] - [26].
  • Reforest'Action, une entreprise Ă  vocation sociale fondĂ©e en 2010, dont l'activitĂ© consiste Ă  financer des reboisements en France et Ă  l’étranger[27] - [28].

Entreprises clientes

Les entreprises qui font de la compensation volontaire le font dans le cadre de leur responsabilité sociale et environnementale (RSE) ou pour améliorer leur image. Certaines le font par anticipation d'obligations auxquelles elles pourraient être soumises dans le futur [29].

En France, par exemple, La Poste[30] - [31] et Taxis G7 compensent les émissions carbone liées à leurs activités[32]. D'autres, comme le Club Méditerranée[33] se contentent de proposer à leurs clients de compenser les émissions liées à leurs produits ou services.

Dans le monde, près d'un tiers des compagnies aériennes proposent des voyages neutres en carbone. La plupart proposent l'option de compensation sur leur propre site, tandis que d'autres renvoient les clients vers des plates-formes spécialisées[34] - [35]. En novembre 2019, la compagnie EasyJet annonce qu'elle va compenser l'ensemble de ses vols pour un montant estimé à 22 millions € en 2020[36]. De son côté, Air France compensera les émissions de ses vols intérieurs à partir de 2020 en contribuant à des projets certifiés sélectionnés avec EcoAct[37].

Type de projets développés

Les projets mis sur le marché de la compensation volontaire sont extrêmement variés et couvrent la plupart des moyens mis en œuvre pour atténuer le réchauffement climatique, aussi bien par la réduction des émissions de GES que par l'élimination du CO2 présent dans l'atmosphère. Depuis 2005, les projets qui ont le plus contribué à l'émission de crédits carbone peuvent être regroupés dans les catégories suivantes, par ordre d'importance décroissante[13] :

En 2016, les 18,5 Mt Ă©q. CO2 de crĂ©dits carbone Ă©mis sur les marchĂ©s primaires Ă©taient issus de projets de rĂ©duction des Ă©missions liĂ©es Ă  la dĂ©forestation et Ă  la dĂ©gradation des forĂŞts (REDD+), de projets territoriaux d'efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique et de projets de cuisinières domestiques propres[39].

Les projets qui ont le plus émis de crédits carbone depuis 2005 se situent en Asie (39 %), en Amérique du Nord (26 %) et en Afrique (13 %). Les pays qui abritent le plus de projets sont l'Inde (442), la Chine (426) et les États-Unis (351)[13].

Co-bénéfices

Bien que l'objectif premier de la compensation carbone soit de réduire la concentration des GES dans l'atmosphère, de nombreux projets ont également d'autres impacts bénéfiques comme la création d'emplois locaux, la préservation de la biodiversité ou la réduction de la pollution de l'air ou de l'eau. Les co-bénéfices sont même souvent invoqués comme la motivation principale des porteurs de projet et des acheteurs de crédits carbone[29]. Plusieurs labels incluent des co-bénéfices dans leurs exigences ou proposent des certifications supplémentaires. La tendance actuelle est de prendre comme référence les 17 objectifs de développement durable des Nations unies[13].

Ainsi par exemple l'amélioration des cuisinières domestiques au bois, en freinant la déforestation, a un impact favorable non seulement sur le climat, mais aussi sur la biodiversité. En réduisant la pollution intérieure, elle améliore également la santé. En réduisant les besoins en bois, elle libère du temps ou de l'argent pour d'autres usages.

En assurant un financement à des projets sans rentabilité économique, la compensation volontaire encourage l'innovation technologique et sociétale[40].

Les projets de compensation carbone peuvent également avoir des impacts négatifs. L'amélioration des cuisinières domestiques au bois peut par exemple se traduire par une baisse d'activité des marchands de bois et par du chômage[40].

Critiques

Un moyen de se donner bonne conscience

Le marché de la compensation carbone est souvent comparé au commerce des indulgences, une pratique qui s'est développée dans l'Église catholique à la fin du XVe siècle et qui permettait aux fidèles d'obtenir, contre rémunération, la rémission totale ou partielle d'une peine encourue en raison d'un péché pardonné[41] - [42] - [43]. Sauf que dans le cas de la compensation carbone, de véritables projets de terrain existent. De la même manière, selon ses opposants, la compensation carbone permet de ne rien changer à son mode de vie, dès lors qu'on s'acquitte du prix demandé. Selon George Monbiot, on se donne bonne conscience en payant quelqu'un d'autre pour réparer le mal qu'on fait[43]. Selon Kevin Anderson, « cela nous aide à bien dormir, alors qu'on ne devrait pas bien dormir »[41].

Des critiques concernent le fait de s'acheter bonne conscience en compensant ses propres émissions, sans toutefois remettre en cause les projets par eux-mêmes[34] - [44]. Le Transnational Institute, opposé à la compensation, se défend de pousser les gens à « ne rien faire », mais veut les inciter à se saisir des nombreuses opportunités d'action efficaces et stimulantes[41].

Incertitudes sur la réalité et l'efficacité de la compensation

  • Quand la compensation est liĂ©e Ă  des produits ou services, le prix des crĂ©dits carbone est trop faible pour envoyer un signal prix efficace au marchĂ©[34] ;
  • Selon une enquĂŞte de l’Öko-Institut pour la Commission EuropĂ©enne sur les projets liĂ©s au mĂ©canisme de dĂ©veloppement propre (MDP), 85% de ceux qui ont Ă©tĂ© analysĂ©s, principalement chinois, correspondant Ă  73 % des crĂ©dits carbone Ă©mis, avaient une faible probabilitĂ© que les rĂ©ductions d'Ă©missions soient additionnelles et qu'elles n'aient pas Ă©tĂ© surestimĂ©es. Inversement, seulement 2% des projets, correspondant Ă  7 % des crĂ©dits Ă©mis, sont additionnels et n'ont pas Ă©tĂ© surestimĂ©s[45]. D'autres chercheurs ont analysĂ© 1350 projets de parcs Ă©oliens en Inde dans le cadre du MĂ©canisme de dĂ©veloppement propre (MDP) et ont conclu que plus de 52 % des crĂ©dits carbone Ă©mis Ă©taient attachĂ©s Ă  des projets qui auraient Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s sans cela et que la vente de ces crĂ©dits Ă  des pollueurs soumis Ă  rĂ©glementation avait augmentĂ© les Ă©missions mondiales de CO2 de manière significative[46]. D'autre part, les auditeurs chargĂ©s de vĂ©rifier l'additionnalitĂ© sont gĂ©nĂ©ralement payĂ©s par l’opĂ©rateur du projet[34]. ;
  • Selon Les Amis de la Terre, « brĂ»ler une tonne de pĂ©trole et mettre en circulation dans l’atmosphère le carbone contenu est une action certaine alors qu’imaginer qu’un projet va vraiment conduire Ă  une rĂ©duction des Ă©missions dans le futur, sans simplement dĂ©placer le problème ailleurs par exemple, est incertain »[44] ;
  • Risque de double comptage : avec l'accord de Paris sur le climat, tous les pays se sont engagĂ©s sur des objectifs de rĂ©duction d'Ă©missions de GES, les contributions dĂ©terminĂ©es au niveau national. Aucun dispositif n'a toutefois Ă©tĂ© mis en place pour Ă©viter que les projets qui donnent lieu Ă  l'Ă©mission de crĂ©dits carbone ne soient comptabilisĂ©s Ă  la fois dans le pays qui les Ă©met et dans celui qui les achète[34].

Écoblanchiment

La compensation carbone par les entreprises ou d'autres organisations est parfois assimilée à de l'écoblanchiment (greenwashing)[41]. Les entreprises peuvent aussi l'utiliser pour anticiper et influencer des contraintes réglementaires[44] ou barrer la route à des réglementations plus contraignantes, comme a réussi à le faire le transport aérien avec CORSIA[34].

La compensation volontaire affaiblit la volonté de changer et d'innover

[47]

La compensation reporte les efforts sur les pays les plus pauvres

Selon George Monbiot (et d'autres), pour maintenir le réchauffement dans la limite de 2 °C, il faudrait réduire les émissions de GES de 60 % d'ici 2030, ce qui se devrait se traduire par une réduction de 90 % dans les pays riches. Donc, même si aucun pays pauvre n'émettait plus de carbone, cela n'exonérerait pas pour autant les pays riches de leur part[43]. Pour les Amis de la Terre, la compensation carbone légitime un transfert de responsabilité des plus riches vers les plus pauvres : « Partir en vacances en avion n’est pas un besoin fondamental alors que défricher un lopin de terres pour sa famille en est un : il n’est donc pas moralement acceptable de proposer de compenser une action évitable en demandant aux plus modestes de modifier leur mode de vie »[44]. Les projets de compensation sont vus comme une forme de néocolonialisme par beaucoup de ceux qui en sont affectés et par les représentants des peuples autochtones et des mouvements sociaux des pays concernés[34].

La part d'Ă©missions incompressibles est subjective

La compensation ne devrait intervenir que lorsqu'on a épuisé tous les moyens pour réduire ses propres émissions. Mais l'évaluation de la part d'émissions incompressible est souvent faite par les organisations concernées elles-mêmes[44]. Ainsi, l'industrie du transport aérien se refuse à envisager des mesures qui auraient pour effet de réduire le trafic aérien[34].

Abus

La commercialisation de crĂ©dits carbone a donnĂ© lieu Ă  des abus. Le plus important d'entre eux a concernĂ© des fabricants chinois d'HCFC-22, un gaz rĂ©frigĂ©rant, dont la production gĂ©nère comme sous-produit du HFC-23, un gaz Ă  effet de serre très puissant (PRG100 = 11 700). Ces entreprises ont pu rĂ©aliser des profits de plusieurs milliards d'euros en installant des incinĂ©rateurs pour dĂ©truire le HFC-23 et en vendant les crĂ©dits carbone correspondants. Ces profits dĂ©mesurĂ©s ont suscitĂ© la crĂ©ation de nouvelles unitĂ©s de production d'HCFC-22 dans le seul but de gĂ©nĂ©rer des crĂ©dits carbone[41] - [48].

Autres

La compensation n’aurait pas d'effet d’entrainement : vu de l’extérieur, celui qui compense et celui qui ne compense pas se comportent de la même manière[42].

Par ailleurs, alors que plus on attend, plus il sera difficile de prévenir le réchauffement climatique, la compensation incite à reporter à plus tard les efforts à faire sur ses propres émissions. D'autre part, la plupart des schémas de compensation mettent du temps à produire des effets[43] - [41].

En outre, une partie seulement du prix payé pour les crédits carbone bénéficie directement aux projets, une part importante étant captée par les intermédiaires ainsi que par la certification[49] - [41].

Critiques spécifiques aux projets relatifs à la forêt et à l'utilisation des sols (UTCATF)

Un nombre important de projets de compensation carbone ont pour objectif d'éviter la déforestation ou la dégradation des forêts, de procéder à de la reforestation ou de l'afforestation, ou d'augmenter le stockage de carbone dans les sols. Certaines critiques dont font l'objet ces pratiques ne visent toutefois pas la compensation carbone en elle-même.

  • La dĂ©forestation Ă©tant une source nette d'Ă©missions de CO2 au niveau mondial, la compensation basĂ©e sur sa prĂ©vention n'a pas vraiment de sens[50].
  • La durabilitĂ© de la captation de carbone n'est pas garantie (incendies, maladies, coupes illĂ©gales, effets du rĂ©chauffement climatique, dĂ©clin naturel)[51] ;
  • La captation du carbone n'est pas immĂ©diate : beaucoup de jeunes plants meurent dans les cinq ans (44 % selon une Ă©tude rĂ©alisĂ©e sur 176 sites situĂ©s dans des forĂŞts tropicales ou subtropicales du sud et du sud-est asiatique[52]) et les arbres ont besoin de plusieurs dĂ©cennies pour croĂ®tre et absorber du carbone alors que les Ă©missions ont un effet immĂ©diat sur le climat[53].
  • L'estimation des quantitĂ©s de carbone sĂ©questrĂ©es est très imprĂ©cise et coĂ»teuse[54] - [55] ;
  • La capacitĂ© d'absorption de carbone des sols est limitĂ©e et dĂ©croĂ®t au fil des annĂ©es[56] ;
  • Ce type de projets est souvent source de conflits locaux sur l'utilisation des ressources de la forĂŞt et la propriĂ©tĂ© foncière et peut conduire Ă  l’accaparement des terres (green grabbing) et compromettre la sĂ©curitĂ© alimentaire[44] - [34] - [35] ;
  • Ces projets n’empĂŞchent pas la dĂ©forestation massive liĂ©e Ă  l’agriculture industrielle (aux plantations de palmiers Ă  huile par exemple), Ă  l’exploitation forestière illĂ©gale, aux activitĂ©s minières, aux projets d’infrastructure, parce que la valeur des crĂ©dits carbone est insuffisante par rapport aux gains attendus de la dĂ©forestation[34] ;
  • Ces projets concernent souvent des monocultures agro-industrielles qui rĂ©duisent la biodiversitĂ©[34] - [57] ;
  • Ces pratiques peuvent modifier l'albĂ©do du sol dans le sens d'un rĂ©chauffement accru qui peut annuler les effets de l'absorption de carbone[58] - [59].

Prises de position de personnalités

Le pape François dans son encyclique Laudato si’ pointe du doigt le risque de spéculation (sur le prix des crédits carbone) qui « ne servirait pas à réduire l’émission globale des gaz polluants ». Il note également que « ce système semble être une solution rapide et facile, sous l’apparence d’un certain engagement pour l’environnement, mais qui n’implique, en aucune manière, de changement radical à la hauteur des circonstances. Au contraire, il peut devenir un expédient qui permet de soutenir la surconsommation de certains pays et secteurs (économiques) »[60].

Notes et références

  1. « Compensation carbone », sur Grand dictionnaire terminologique (GDT) (consulté le ).
  2. Les crédits carbone, point clé des négociations de la COP26, Les Échos, 7 novembre 2021.
  3. Les petites et grandes avancées de la COP26, Les Échos, 14 novembre 2021.
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Voir aussi

Bibliographie

Rapports
Livres
  • BenoĂ®t Leguet, Valentin Bellasen, Comprendre la compensation carbone, Pearson, 2008 (ISBN 978-2744063541)
  • Augustin Fragnière, La compensation carbone : illusion ou solution ?, PUF, 2015

Articles connexes

Liens externes

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