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Art martial

Un art martial est un style ou une Ă©cole dont l’enseignement porte principalement sur des techniques de combat, Ă  mains nues ou avec arme. Historiquement, cet apprentissage intĂšgre une dimension spirituelle et morale visant Ă  la maĂźtrise de soi (essentielle, tant pour renoncer au combat s'il est Ă©vitable, que pour y faire face dans le cas contraire), et s’enrichit de multiples connaissances (culturelles, philosophiques et mĂ©dicales, notamment). Ainsi, les arts martiaux visent au dĂ©veloppement global de l’individu : externe (force, souplesse), interne (Ă©nergie, santĂ©), intellectuel et moral.

Estampe japonaise représentant un homme en armure avec deux sabres de bois, en position de combat.
Miyamoto Musashi (1584-1645), ici reprĂ©sentĂ© avec deux bokken, est l'un des plus fameux escrimeurs de l'Histoire, l'auteur du Livre des cinq anneaux, un classique de stratĂ©gie militaire, et le fondateur de l'Ă©cole de sabre Hyƍhƍ niten ichi ryĆ«. Estampe d'Utagawa Kuniyoshi de la sĂ©rie des Histoires du sens du devoir et de la loyautĂ© dans la revanche (vers 1847-1848).

Du fait de son histoire, le terme « art martial » est le plus souvent, dans le langage courant, utilisĂ© pour dĂ©signer une discipline de combat asiatique, et les arts martiaux les plus populaires en Europe et en AmĂ©rique. Ils incluent les arts martiaux japonais, chinois, vietnamiens ou corĂ©ens. Cependant, des Ă©coles similaires d’« arts du combat » existent dans de nombreuses rĂ©gions et cultures, et les arts martiaux, au sens large, englobent aujourd’hui une grande variĂ©tĂ© de disciplines.

L'histoire des arts martiaux remonte aux premiers ùges de l'humanité et se caractérise par un systÚme complexe de diffusion parmi les cultures et les régions du monde.

Présentation

« Concept » occidental

Les difficultĂ©s Ă  cerner le cƓur et les limites du concept d’« arts martiaux » sont une problĂ©matique essentiellement occidentale. En Asie, ces questions ne se posent pas, chaque pays, chaque langue ayant son propre terme pour dĂ©signer sa pratique, voire plusieurs si cela s’avĂšre nĂ©cessaire. Par souci de clartĂ©, les ouvrages spĂ©cialisĂ©s utilisent ainsi, le plus souvent, ces termes « d’origine », retranscrits : WǔshĂč pour les arts martiaux chinois, Bujutsu ou Budƍ pour les arts martiaux japonais, Vo Thuat pour le ViĂȘt Nam, Thaing en birman, etc.

Origine de la locution

La locution française « arts martiaux » est la traduction de l’anglais « martial arts », un nĂ©ologisme crĂ©Ă© vers 1933 pour dĂ©signer initialement les techniques de combat du Japon[1]. Toutefois, le terme dĂ©signe, Ă  l'origine, le systĂšme de combat en Europe, vers 1550. Il est dĂ©rivĂ© du latin et signifie arts de Mars, dieu romain de la guerre[2].

PrĂ©sents en Asie depuis longtemps, les Occidentaux n’avaient cependant pas apprĂ©hendĂ© la richesse des arts martiaux, dont l’enseignement leur restait interdit, cachĂ©, et qu’ils assimilaient Ă  des variantes de leur « boxe ». Ainsi, les journalistes occidentaux relatant la cĂ©lĂšbre rĂ©volte de 1900 en Chine, parlĂšrent simplement de « boxeurs », d’oĂč le nom « RĂ©volte des Boxers »[3].

Mais de leur cĂŽtĂ©, les Japonais, Ă©pris de modernitĂ© et voulant cadrer avec la tendance sportive de l’époque, commencĂšrent vers 1880 Ă  crĂ©er les « Budƍ » actuels (Judo, Kendo, Karatedo, AĂŻkido
), versions Ă©purĂ©es de leurs arts martiaux traditionnels (bu-jutsu ou bu-jitsu), expurgĂ©es de leurs techniques les plus dangereuses. En meilleurs termes avec les Occidentaux, dĂ©sireux de les sĂ©duire et de rehausser l’image du Japon, ils leur prĂ©sentĂšrent ces « Budƍ », ouvrant l’Occident Ă  la connaissance des « arts martiaux », comme on commença alors Ă  les nommer
[4]

Étymologie

Parce qu’elle est souvent mal, ou incomplĂštement comprise en Occident, la locution « art martial » donne souvent lieu Ă  discussion, ou prĂȘte Ă  critiques et laisse certains pratiquants insatisfaits. Un petit dĂ©tour par l’étymologie s’impose donc.

Que ce soit en Chine, au Japon ou au ViĂȘt Nam, par exemple, le sinogramme (pictogramme) qui sera ultĂ©rieurement traduit par « martial » est le mĂȘme : « Wu », en chinois, « Bu » en japonais, « Vo » en vietnamien. UtilisĂ© comme signifiant « guerre », « combat », il reprĂ©sente de façon stylisĂ©e un garde avec une lance, et peut se dĂ©composer en deux caractĂšres[5], « arrĂȘter » la « lance », de sorte que son sens est plutĂŽt « celui qui maintient la paix », Ă©tant bien entendu que celui qui veut assurer la paix doit ĂȘtre « capable de se battre pour que cette valeur survive »[6]. Il y a donc une double signification : arrĂȘter la lance de l’adversaire, et arrĂȘter sa propre lance[7]. Ainsi se trace un portrait du combattant plus proche de notre notion du « chevaleresque » (avec ce que cela implique de bravoure, d’aspiration Ă  la justice et de rectitude morale) que de l’image du guerrier assoiffĂ© de conflit. On est assez loin, on le voit, des connotations courantes du terme « martial » en français. Venu du latin « Martialis » (de Mars, dieu de la guerre chez les Romains), le terme « martial » est dĂ©fini par « qui dĂ©note une Ăąme belliqueuse », et renvoie Ă  une idĂ©e d’agressivitĂ©, de violence assumĂ©e, voire souhaitĂ©e, l’emploi de la force Ă©tant ici prĂ©conisĂ© pour rĂ©soudre un dĂ©saccord.

De plus, il est utile de s’interroger sur le sens vĂ©ritable avec lequel il faut entendre le mot « art ». En effet, il n’y a pas vraiment de connotation artistique ou esthĂ©tique dans les termes japonais ou chinois d’origine, en dehors des formes ou katas traditionnels qui sont effectivement artistiques. Certains considĂšrent le mot « art » en son sens premier : « ensemble de moyens, de procĂ©dĂ©s conscients par lesquels l’homme tend Ă  une certaine fin, cherche Ă  atteindre un certain rĂ©sultat »[8], tel qu’il est venu du latin : « ars : habiletĂ©, mĂ©tier, connaissance technique »[9], c’est-Ă -dire sans implication d’esthĂ©tisme. Il ne s’agit pas de nier le fait, Ă©vident, que de certaines pratiques martiales se dĂ©gage un rĂ©el plaisir esthĂ©tique. D'autres adoptent l'esprit oriental qui associe Ă  leur pratique martiale une forme d'art comme enseignĂ© en facultĂ© des beaux-arts, Ă  l'instar de la peinture ou la calligraphie. Leur art rĂ©sulte alors de la recherche de la perfection, ainsi que de l’harmonie des mouvements devant combiner Ă©quilibre, prĂ©cision, puissance et vitesse, pour un maximum d’efficacitĂ©[10]. La dimension physique, technique, du combat est une dimension de l’apprentissage, l’ensemble formant un tout dense et nĂ©cessaire.

L’adoption unanime d’« art martial » provient donc de la traduction occidentale des kanji japonais. Le mieux est d'en revenir aux langues (Vietnamien, Chinois, Japonais, etc.) et aux contextes d'origine (guerres civiles, lois interdisant le port d'armes, recrutement de jeunes soldats dans l'armĂ©e, etc.). Les arts martiaux contribuent donc Ă  embellir la personnalitĂ© de leurs pratiquants, tout en renforçant leur Ă©quilibre, leur bravoure et leur morale vis-Ă -vis de la sociĂ©tĂ© actuelle.

Sens moderne

À l’origine, la locution « arts martiaux » ne s’appliquait qu’à des disciplines de combat d’origine japonaise, et c’est encore ainsi qu’on la trouve dĂ©finie par certains[11] - [12]. Cependant, l’usage a fait s’ouvrir cette dĂ©finition Ă  toutes les disciplines d’origine asiatique, et c’est gĂ©nĂ©ralement cette acception que l’on retrouve dans les ouvrages gĂ©nĂ©ralistes actuels[13], et dans l’usage courant.

Au XXIe siĂšcle, la tendance Ă  l’extension du concept semble se poursuivre, celui-ci se retrouvant parfois associĂ© Ă  une large variĂ©tĂ© de disciplines de combat, sans plus mentionner de critĂšre d’origine gĂ©ographique. En effet, tous les peuples du monde ont, face aux dangers et aux guerres, dĂ©veloppĂ© leurs propres systĂšmes de combat, que la mondialisation ou les travaux d’historiens ont permis de dĂ©couvrir et de pratiquer. On parle ainsi d’arts martiaux historiques europĂ©ens, d’arts martiaux brĂ©siliens, d’arts martiaux tunisiens, etc. Pour certains, cet usage est abusif. Bien que ne remettant pas en cause l’authenticitĂ© de ces « arts du combat », ils considĂšrent l’origine gĂ©ographique et l’ancrage culturel comme essentiels ou soulignent le fait que la « simple » pratique d’une technique de combat, aussi efficace soit-elle, ne suffit pas Ă  faire d’une discipline un « art martial »[14]. Pour d’autres, la langue est vivante et Ă©volue en fonction de l’usage qu’on en fait. Le dĂ©bat reste ouvert.

Histoire

L’histoire des arts martiaux remonte aux premiers Ăąges de l’humanitĂ©, et se caractĂ©rise par un systĂšme de diffusion complexe ayant vu s’entremĂȘler les cultures, voyager les techniques et s’échanger les connaissances.

Autodéfense

À l’origine Ă©tait la nĂ©cessitĂ© pour l’Homme de se dĂ©fendre, lui, ses proches et ses biens. Ainsi se dĂ©veloppĂšrent les premiĂšres techniques de combats, diffĂ©rentes selon leurs lieux d’origine car adaptĂ©es aux circonstances : climat, environnement naturel, etc. En effet, on ne se bat pas de la mĂȘme façon selon qu’il fait chaud (vĂȘtements lĂ©gers, possibilitĂ© de sauts et de frappes aĂ©riennes) ou froid (vĂȘtements Ă©pais, prĂ©fĂ©rence pour un systĂšme Ă  base de lutte et de saisies), selon la nature du sol (riziĂšre ou ariditĂ©, par exemple), ou le type de « paysage » (vĂ©gĂ©tation, relief)[15].

Les traces de ces pratiques sont rares. Les plus anciennes se trouvent en Inde, oĂč les arts martiaux se dĂ©veloppĂšrent prĂ©cocement[16] : on en trouve mention dans le Rig-VĂ©da, dont la composition remonterait entre 1500 et Et en Chine, par exemple, on a trouvĂ© des poteries et des fresques datant de 1400 avant notre Ăšre, reprĂ©sentant des techniques de combat utilisant poings et pieds[17].

Arts guerriers

Ensuite, les sociĂ©tĂ©s se structurant, vinrent les guerres. À la guerre, perdre, c’est mourir. En Asie, rĂ©gion du monde Ă  l’origine de la plupart des arts martiaux, les guerres et conflits s’enchaĂźnaient sans rĂ©pit. Les techniques de combat primitives trouvĂšrent Ă  se dĂ©velopper, se complexifier et se structurer, jusqu’à atteindre un trĂšs haut niveau de technicitĂ©. L’idĂ©e de stratĂ©gie militaire vit le jour. De nombreux rĂ©cits et lĂ©gendes relatent ainsi les exploits de grands souverains et guerriers, vainqueurs grĂące Ă  leur excellence et leur inventivitĂ© au niveau des techniques martiales.

Au VIe siĂšcle avant l'Ăšre actuelle, les thĂ©ories exposĂ©es par Sun Tzu, (cĂ©lĂšbre — mais peut-ĂȘtre lĂ©gendaire — stratĂšge) dans son « Art de la guerre » amorcent l’évolution des pratiques martiales vers les arts martiaux[18]. En effet, la Chine d'alors Ă©tait constituĂ©e d’une multitude d’états en guerre quasi permanente. Ces batailles de grande ampleur Ă©taient coĂ»teuses en vies humaines, des paysans enrĂŽlĂ©s, pour l’essentiel. Or, la prospĂ©ritĂ© de chaque pays reposait sur la production agricole par ces mĂȘmes masses paysannes. Toute opĂ©ration militaire impliquait donc une saignĂ©e durable dans la population et les revenus du pays. Pour Sun Tzu, l’important devient donc de limiter au maximum les pertes humaines, l’idĂ©al Ă©tant d’amener l’adversaire Ă  concĂ©der sa dĂ©faite sans avoir Ă  livrer combat, en prenant avant mĂȘme l’affrontement un avantage stratĂ©gique insurmontable. Au-delĂ  de cet aspect assez « pragmatique », les thĂ©ories de Sun Tzu intĂšgrent aussi l’influence du TaoĂŻsme et du Yi Jing, important dans le domaine guerrier les notions de vertu et de moralitĂ©. Ainsi, alors qu’auparavant maĂźtriser sans tuer Ă©tait prendre un risque inutile, le but est maintenant devenu de maĂźtriser, sans tuer ni se faire tuer, et de le faire avec noblesse[19]


Voie pour l’accomplissement spirituel

Mais le vĂ©ritable tournant vers les arts martiaux en tant que tels intervient environ un siĂšcle plus tard, avec la fusion entre pratique martiale et pratique spirituelle, sous l’influence du bouddhisme, venu d’Inde. Selon la lĂ©gende, Bodhidharma, un moine indien nĂ© Ă  Kanchipuram dans le sud de l'Inde, aurait fondĂ© prĂšs de Kottayam, au Kerala, la premiĂšre Ă©cole de kalarippayatt, puis serait parti pour la Chine au dĂ©but du VIe siĂšcle pour y rĂ©nover le Bouddhisme en pleine dĂ©cadence. Le courant rĂ©formateur qu’il initia prit le nom de Chan en Chine, et donna naissance au bouddhisme Zen au Japon. À la fin de sa vie, aprĂšs avoir beaucoup voyagĂ©, il se fixa au monastĂšre de Shaolin. Y constatant que les moines (passant leur temps Ă  recopier des sĂ»tras, pratiquant l’ascĂšse, etc.) Ă©taient affaiblis, il leur aurait imposĂ© une discipline physique leur permettant de renforcer leur santĂ© et de rĂ©tablir une union harmonieuse entre le corps et l’esprit, afin de supporter les longues heures de mĂ©ditation assise. En guise d’exercice, il leur enseigna des mouvements issus des arts martiaux indiens et chinois, qu’il avait lui-mĂȘme perfectionnĂ©s au cours de ses pĂ©rilleux voyages[20].

Si la lĂ©gende n’est pas historiquement avĂ©rĂ©e, il n’en reste pas moins que c’est effectivement dans un lent phĂ©nomĂšne d’osmose entre connaissances monastiques, pratiques prophylactiques et techniques guerriĂšres que naissent les arts martiaux. À partir du VIe siĂšcle, en Chine, des membres de la caste guerriĂšre, sĂ©duits par la nouvelle sagesse du TaoĂŻsme, font retraite dans les monastĂšres et voient tout l’intĂ©rĂȘt qu’ils peuvent tirer des techniques de concentration des moines, ainsi que de leurs connaissances spirituelles et mĂ©dicinales. De leur cĂŽtĂ©, les moines intĂšgrent certaines pratiques de combat Ă  leur quotidien, tant pour leurs aspects Ă©nergĂ©tiques qu’afin de pouvoir se dĂ©fendre contre les pillards. Les deux sphĂšres de prĂ©occupations (combat ou spiritualitĂ©) apparemment si diffĂ©rentes vont donc trĂšs lentement s’influencer l’une l’autre, jusqu’au plein Ă©panouissement des arts martiaux sous l’influence du Bouddhisme et des techniques venues d’Inde dans son sillage[21].

Diffusion et Ă©volution en Asie

Ainsi se crĂ©a un systĂšme complet, constituĂ© Ă  la fois d’une spiritualitĂ©, d’une pratique de combat, de techniques prophylactiques et de connaissances diverses. Cet enseignement se rĂ©pandit dans toute l’Asie et se popularisa, suivant les trajets des moines itinĂ©rants utilisant leurs techniques de combat pour se dĂ©fendre des alĂ©as de la route qu’ils prenaient pour diffuser leur discours et leurs savoirs. Les guerres, encore elles, contribuĂšrent aussi Ă  cette diffusion, au grĂ© des affrontements de « styles », des occupations et des mouvements de populations.

Arts martiaux cambodgiens, bas-relief Ă  Angkor Vat (XIIe siĂšcle).

Les arts martiaux, en tant que systĂšmes complexes de connaissances, gagnĂšrent ainsi au cours des siĂšcles suivants toutes les rĂ©gions de Chine, le Tibet, puis le Sud-est asiatique : Birmanie dĂšs le VIe siĂšcle (Thaing ou Bando, Banshay, Lethwei, Naban), ThaĂŻlande (Krabi krabong, Muay thaĂŻ), Laos, puis un peu plus tard la CorĂ©e, le Vietnam et le Japon. Se confrontant et s’assimilant aux pratiques locales, ils les firent Ă©voluer et/ou s’y intĂ©grĂšrent, de sorte qu’on se trouve face Ă  des pratiques de combat en apparence trĂšs diversifiĂ©es. Ce qui les rĂ©unit, c’est, sous l’influence du Bouddhisme, du TaoĂŻsme et du Confucianisme, l’apparition du terme « tao »/« do »/« dao ». Ici se trace la frontiĂšre entre arts de la guerre et arts martiaux : la pratique martiale est maintenant considĂ©rĂ©e comme une « Voie » pour l’accomplissement spirituel de l’individu[22]. Avec cette Ă©volution, certains arts martiaux se dĂ©tachent insensiblement du combat rĂ©el. Alors qu’elles n’étaient auparavant enseignĂ©es qu’aux militaires, les techniques de combats se popularisent mais « secret militaire » oblige, les mystifications sont nombreuses, les techniques rĂ©ellement efficaces restant cachĂ©es, accessibles seulement au cercle restreint des Ă©lĂšves les plus assidus et les plus mĂ©ritants. En outre, l’« entraĂźnement » avec des pairs implique de limiter le risque de blesser l’adversaire, et l’affrontement se ritualise donc, des conventions se mettant en place. L’enseignement se sophistique, et y perd souvent de son applicabilitĂ© en situation rĂ©elle de combat de survie, s’enjolivant par exemple de techniques impressionnantes, sophistiquĂ©es ou esthĂ©tiques, mais n’ayant pas de sens, ou l’ayant Ă©garĂ©[23].

  • Technique de dĂ©fense ancestrale des moines birmans – forme de type « tigre » (thaing).
    Technique de dĂ©fense ancestrale des moines birmans – forme de type « tigre » (thaing).
  • Technique de dĂ©fense de type aigle (thaing).
    Technique de défense de type aigle (thaing).
  • Technique de dĂ©fense ancestrale des moines birmans (pongyi-thaing).
    Technique de défense ancestrale des moines birmans (pongyi-thaing).

Enfin, vers le milieu du XXe siĂšcle, certains arts martiaux ont Ă©voluĂ© vers la pratique « sportive » : dans le but de pouvoir organiser des compĂ©titions, on en Ă©limina les techniques les plus dangereuses, on Ă©dicta des rĂšgles strictes pour l’affrontement, on Ă©tablit des catĂ©gories de poids ou d’ñge, etc. L’orientation rĂ©crĂ©ative et Ă©ducative prend ici le pas sur les aspects d’autodĂ©fense et d’accomplissement personnel.

Reste du monde

Illustration de pugilat sur une fresque grecque. Akrotiri, Fresque des boxeurs, 1600-. Musée national archéologique d'AthÚnes.

Face aux dangers et aux guerres, tous les peuples du monde ont dĂ©veloppĂ© leurs propres arts de combat, que la mondialisation et/ou les travaux d’historiens ont permis de (re)dĂ©couvrir et, parfois, de pratiquer.

L'histoire des arts martiaux europĂ©ens est extrĂȘmement riche et diverse, remontant Ă  l'antiquitĂ© avec le pancrace et le pugilat, mais elle a, plus qu'en Asie, subi la pression de l'Ă©volution des armes Ă  feu. Beaucoup de ces disciplines ont soit disparu, ou ont Ă©voluĂ© en sports, telle que l'escrime sportive, la canne, la savate, la boxe. NĂ©anmoins, les formes de lutte ou d'escrime ancienne sont rĂ©Ă©tudiĂ©es aujourd’hui au sein du mouvement des arts martiaux historiques europĂ©ens. Le combattant mĂ©diĂ©val Ă©tait polyvalent et maĂźtrisait aussi bien la lutte que le combat Ă  la dague, Ă  l'Ă©pĂ©e, Ă  l'arme d'hast en armure ou non, en mĂ©langeant des techniques provenant des diverses sous-disciplines. PassĂ© la Renaissance, la lutte est passĂ©e de mode dans les hautes classes de la sociĂ©tĂ©, qui n'a gardĂ© que l'escrime comme forme de combat valorisĂ©e ; cependant elle est restĂ©e vivace dans les couches populaires. Ainsi des formes traditionnelles de lutte telle que le gouren breton, la glima scandinave ou la lutte suisse subsistent toujours aujourd’hui. Des systĂšmes Ă  visĂ©e purement militaire telles que le close combat, le systema, le samoz sont nĂ©s en Europe et en Russie, et elles font Ă©galement partie de l'histoire trĂšs rĂ©cente des arts martiaux d'origine europĂ©enne.

Ailleurs dans le monde, on peut encore mentionner, par exemple, le lua, trĂšs ancien art du combat des Ăźles d'HawaĂŻ ; la capoeira, d’origine africaine mais s’étant dĂ©veloppĂ©e essentiellement au BrĂ©sil, le moringue nĂ© Ă  Madagascar, toutes les autres luttes traditionnelles africaines, etc.

Spécificités traditionnelles

Au sens restreint, le terme « arts martiaux » reste gĂ©nĂ©ralement, de par son histoire, appliquĂ© aux arts du combat d’origine asiatique. Il dĂ©coule de cet ancrage dans une culture et une spiritualitĂ© particuliĂšre certaines spĂ©cificitĂ©s qui, bien que n’étant pas systĂ©matiquement partagĂ©es par tous les styles et Ă©coles, mĂ©ritent nĂ©anmoins d’ĂȘtre mentionnĂ©es.

Dimension spirituelle et code moral

Pour un combattant, la survie se joue en une fraction de seconde : pas question donc que la peur ou l’hĂ©sitation ne fasse trembler sa main
 Au-delĂ  du travail physique, l’entraĂźnement au combat nĂ©cessite donc aussi un travail mental : le guerrier doit pouvoir regarder la mort en face, en accepter sereinement l’éventualitĂ©, faute de quoi, au moment dĂ©cisif, l’affolement risque d'aveugler ses facultĂ©s. Il doit donc atteindre une disposition d’esprit lucide et sereine, permettant concentration et stratĂ©gie dans le combat
 et discernement quant aux combats Ă  mener. Ce travail sur soi, sur la maĂźtrise de soi, sur le sens et la valeur de la vie et de la mort, relĂšve de la sphĂšre de la spiritualitĂ© et doit ĂȘtre, on le voit, partie intĂ©grante de la formation du combattant accompli.

Chaque art martial possĂšde des valeurs spirituelles et philosophiques qui lui sont propres ; ces valeurs peuvent diffĂ©rer en fonction des styles et des Ă©coles[24], mais, en Asie, on y retrouvera toujours l’influence des courants spirituels dominants : bouddhisme, taoĂŻsme et confucianisme. Dans cet esprit, l’essentiel pour tout ĂȘtre humain est d’atteindre Ă  son accomplissement ou, en d’autres termes, Ă  la « sagesse ». Y arriver nĂ©cessite un travail long et difficile, oĂč s’approfondit l’expĂ©rience de la rĂ©alitĂ© et de la prĂ©sence Ă  soi-mĂȘme[25]. Ainsi, la pratique martiale est considĂ©rĂ©e comme une Voie (« tao » en chinois, « dao » en vietnamien[22], « dĂŽ » en japonais) pour l’accomplissement de l’individu, le travail extĂ©rieur devenant le support d’une mĂ©tamorphose intĂ©rieure[26]. L’effort persĂ©vĂ©rant, permettant d’atteindre l’excellence (sens premier de « Kung-Fu ») en passant par la maĂźtrise de soi, ne vise pas tant, dans les arts martiaux, Ă  devenir techniquement supĂ©rieur qu’à devenir un homme meilleur (mĂȘme si les deux sont souvent liĂ©s).

À cette quĂȘte spirituelle est liĂ©e un code d’honneur qui, bien au-delĂ  du « fair-play » occidental, lie le pratiquant en art martial pour l’ensemble de ses actes et dĂ©cisions, tant dans le combat que dans sa vie quotidienne. Il est exigĂ© de lui rectitude et vertu morale dans tous les aspects de son existence. Un cĂ©lĂšbre exemple formalisĂ© de ce code d’honneur est le Bushido, au Japon.

Composantes culturelles et Ă©ducatives

Si la pratique martiale est une Voie, elle n’est pas la seule, et l’éducation d’un pratiquant en arts martiaux incluait, traditionnellement, d’autres apprentissages nĂ©cessaires, de prĂšs ou de loin, pour devenir un homme meilleur, et un meilleur combattant : calligraphie, jeu d’échecs, philosophie, littĂ©rature, notions poussĂ©es de mĂ©decine traditionnelle, mĂ©ditation, etc. Au pur niveau de la pratique martiale, les apports de ces apprentissages sont variĂ©s : maĂźtrise de soi, du geste et de la respiration, stratĂ©gie et psychologie du combat, santĂ© par le renforcement du « Qi », connaissance des points vitaux (tant pour mettre l’adversaire hors d’état que pour se soigner), etc. Il reste gĂ©nĂ©ralement peu de traces de cette « Ă©ducation totale » dans la pratique occidentale des arts martiaux.

Par ailleurs, les arts martiaux les plus traditionnels vĂ©hiculent encore, pour certains, un riche hĂ©ritage culturel, tĂ©moin de leurs origines respectives via des rites (cĂ©rĂ©monial, salutations rituelles, etc.), des traditions (fĂȘtes religieuses ou populaires
) ou des poĂšmes. Concernant ces derniers, rappelons que l’analphabĂ©tisme Ă©tait largement rĂ©pandu jusqu’il y a peu, et que la transmission orale Ă©tait donc la rĂšgle. Elle se faisait sous forme de poĂšmes ou de chants (pour des raisons mnĂ©motechniques) accompagnant l’exĂ©cution des enchaĂźnements (« kata », « tao » ou « thao »). De par la volontĂ© de chaque Ă©cole de garder ses techniques secrĂštes, ces poĂšmes travestissaient les instructions techniques, les « enrobaient » dans des rĂ©cits imagĂ©s et lĂ©gendaires, typiques de leur culture et rĂ©gion d’origine, porteurs de sens et dĂ©positaires de l’« Ăąme » de l’école[27].

Lieu réservé aux arts martiaux

Contrairement au sport occidental, qui se pratique dans des salles d’entraĂźnement polyvalentes, des gymnases sans Ăąme, la plupart des Ă©coles d’arts martiaux traditionnels disposent d’un lieu consacrĂ© Ă  l’enseignement, spĂ©cifique et privĂ©, gĂ©nĂ©ralement connu en Occident sous son nom japonais : le Dojo (Guan ou Kuan en Chine, Do-jang en corĂ©en, Vo-duong en vietnamien). Il est Ă©vident que, selon la forme de pratique ou d’enseignement, ces lieux peuvent ĂȘtre trĂšs diffĂ©rents : vĂ©ritable « institut » pour les Ă©coles ayant pignon sur rue, temple, demeure privĂ©e en cas d’enseignement familial, mais aussi simple piĂšce au dĂ©corum restreint ou cour intĂ©rieure pour les Ă©coles modestes, voir place publique ou clairiĂšre pour les maĂźtres itinĂ©rants
 L’important est que ce lieu devienne, du fait de quelques symboles et rituels (orientation gĂ©ographique, autel, objets symboliques, calligraphie, portrait du maĂźtre fondateur, salut, etc.), le « lieu de la Voie », c’est-Ă -dire, un lieu quasi sacrĂ©, de travail et de recueillement, et non un espace de loisir[28] - [29].

À l’heure actuelle, en Occident mais aussi en Asie, bien des Ă©coles pratiquent, Ă©videmment, dans des « salles de sport » qu’elles partagent avec d’autres disciplines. Mais beaucoup d’entre elles tentent de recrĂ©er cet esprit au moyen d’un « dĂ©corum » minimal, et en veillant aux aspects comportementaux des Ă©lĂšves (discrĂ©tion, courtoisie, politesse, ponctualité ).

Transmission par des « formes »

Beaucoup d’arts martiaux (mais pas tous) utilisent dans leur enseignement des enchaĂźnements de mouvements prĂ©dĂ©terminĂ©s, Ă  mains nues ou avec arme(s), que l’on nomme « formes » en français, kata dans les arts martiaux japonais, poomsae dans les arts martiaux corĂ©ens, « akas » dans les arts martiaux birmans, taolu ou thao dans les arts martiaux chinois, « jurus » dans les arts martiaux indonĂ©siens, thao quyĂȘn ou thao binh khi dans les arts martiaux vietnamiens.

La pratique d’un art martial ne peut se limiter Ă  l’étude de ces enchaĂźnements, mais ils sont un important pĂŽle de transmission, car ils constituent une vĂ©ritable bibliothĂšque de gestes d’attaque et de dĂ©fense, liĂ©s avec finesse. Permettant d’assimiler et de travailler de techniques et des tactiques en simulant des situations de combat (y compris les plus dangereuses telles que l’affrontement Ă  mains nues contre une arme), ils sont un excellent entraĂźnement ayant des implications directes dans le combat libre. Ils sont aussi bĂ©nĂ©fiques pour la concentration, pour la coordination physique et respiratoire et, dans le cas des arts martiaux dits « internes », renforceraient la santĂ© en dynamisant la circulation du Qi. Enfin, chaque Ă©cole ayant ses propres formes, parfois d’origine trĂšs ancienne, ces enchaĂźnements sont souvent imprĂ©gnĂ©s de culture et de symbolisme, et ils servent ainsi littĂ©ralement de mĂ©moire ou de testament, porteurs d’un message, codĂ© sur plusieurs niveaux (tant au niveau de la gestuelle que du « poĂšme » qui souvent les accompagne), inaccessible au dĂ©butant.

Armes et mains nues

Certains arts martiaux se pratiquent uniquement Ă  mains nues (le KaratĂ©, par exemple, dont le nom signifie, justement, « art de la main vide »), d’autres concentrent leur pratique sur l’apprentissage d’une seule et unique arme (le Kendo, par exemple), et d’autres Ă©coles, enfin, combinent pratique Ă  mains nues et pratiques des armes (l’AĂŻkido, pour rester dans les exemples japonais
). Les armes peuvent ĂȘtre extrĂȘmement variĂ©es, et la liste serait trop longue Ă  faire ici ; mentionnons, Ă  titre d’exemple, les quatre armes de base en art martial chinois : Ă©pĂ©e, lance, bĂąton et sabre.

SystĂšme de grades

PopularisĂ© en Occident par la glorieuse « ceinture noire », le systĂšme des ceintures n’est cependant pas unanimement partagĂ© par les arts martiaux asiatiques, loin de lĂ . En fait, ce qui est plus caractĂ©ristique des arts martiaux asiatiques, traditionnellement Ă©trangers Ă  l’idĂ©e de compĂ©tition, c’est l’évaluation du niveau des pratiquants par un systĂšme de rangs (Ă©lĂšve/enseignant/maĂźtre) ou de grades : kyu et dan au Japon, duan en Chine, etc. Ce systĂšme marque l’évolution de la maĂźtrise du pratiquant via des « certificats » attribuĂ© par le maĂźtre ou Ă  la suite de la prĂ©sentation d’un examen devant un collĂšge d’« experts » pour les niveaux plus avancĂ©s. Si certains arts martiaux refusent de marquer le grade par un signe extĂ©rieur (l’aĂŻkido, par exemple), beaucoup d’autres ont adoptĂ© au XXe siĂšcle le systĂšme hĂ©ritĂ© du Judo, oĂč la ceinture, par sa couleur, symbolise le niveau. Les couleurs, et l’ordre de celles-ci peuvent cependant varier d’une discipline Ă  l’autre[30].

Les arts martiaux comme phénomÚne social

Du point de vue de la sociologie, les reprĂ©sentations sociales des pratiquants d’arts martiaux permettent de comprendre ce dans quoi ceux-ci s’inscrivent actuellement : les loisirs sportifs et plus globalement les valeurs admises au sein de la sociĂ©tĂ© dans laquelle vivent les pratiquants. À partir de ce que pensent les pratiquants avancĂ©s des arts martiaux, il est possible de comprendre la notion de maĂźtre, Ă©tablir le profil de l’attitude et du comportement de l’étudiant parfait, prĂŽner des vertus qui font des pratiquants un citoyen idĂ©al, ou se prononcer sur la valeur des grades, on voit se dessiner des variations et des diffĂ©rences qui vont au-delĂ  de la critique intergĂ©nĂ©rationnelle. Ces critiques que l’on associe souvent Ă  un fossĂ© entre les gĂ©nĂ©rations sont plutĂŽt un moyen dĂ©tournĂ© pour parler des changements survenus dans l’univers des arts martiaux. Les reprĂ©sentations sociales des pratiquants d’aujourd’hui sont des indices de la dĂ©mocratisation des disciplines martiales correspondant aux aspects fonctionnalistes du loisir sportif contemporain[31].

Ce partage des valeurs communes entre les pratiquants peut se nommer le sport commun. Il peut se comprendre comme des expĂ©riences communes vĂ©cues Ă  cĂŽtĂ© des institutions sportives comme un phĂ©nomĂšne de masse. C’est exactement ce que sont les arts martiaux : des Ă©coles, des clubs aux finalitĂ©s et aux objectifs divers, qui peuvent prendre des formes allant de la pratique sportive au divertissement ludique de loisir. Toutefois, il importe de ne pas oublier que cette rĂ©alitĂ© n’a rien de dichotomique et ne se dĂ©coupe pas uniquement entre les activitĂ©s de sport et de loisirs, mais se prĂ©sente plutĂŽt sous la forme de centaines de clubs ou d’écoles, qui se situent Ă  des degrĂ©s divers sur une Ă©chelle entre deux pĂŽles. Et, Ă  cet Ă©gard, la compĂ©tition sportive institutionnalisĂ©e n’est pas la seule diffĂ©rence. Certes, la forme compĂ©titive est la plus visible et la plus connue, mais il s’agit plutĂŽt de voir la configuration des modes de pratique que permet la dĂ©mocratisation en rĂ©cupĂ©rant et en institutionnalisant les nouvelles maniĂšres de pratiquer des arts martiaux, et, cela, sans nĂ©cessairement en faire un sport de compĂ©tition. Ne pensons qu’aux divers types de spectacles qui mettent en vedette des performances martiales : par exemple, le Cirque du Soleil a rĂ©cemment recrutĂ© de jeunes quĂ©bĂ©cois spĂ©cialistes de kata acrobatique dans sa troupe et continue de chercher d’autres personnes possĂ©dant ce genre de talent[31].

Prises dans leur ensemble, les disciplines martiales peuvent prendre des configurations et proposer des objectifs qui varient Ă©normĂ©ment les uns par rapport aux autres. Les notes d’observations, les entrevues semi-dirigĂ©es et les multiples observations participantes (Bernard, 2014) portant sur les clubs et les Ă©coles d’arts martiaux sont les sources d’informations privilĂ©giĂ©es qui permettent le classement des dits clubs et Ă©coles sur l’échelle des modes de pratiques. Leur situation sur l’échelle ne signifie en rien que toutes les disciplines portant le mĂȘme nom se classent au mĂȘme endroit. Leur position confirme seulement l’existence d’un Ă©tat de fait montrant que les arts martiaux oscillent entre les pĂŽles que sont le sport et le loisir, ou encore les sports de combat et les loisirs d’inspiration martiale, voire Ă  connotation martiale imaginaire. Il s’agit d’une rĂ©alitĂ© qui les tiraille, car ces disciplines doivent se soustraire aux attentes des gens qui voudraient les pratiquer et aux modes d’aujourd’hui pour continuer Ă  ĂȘtre actives dans la sociĂ©tĂ©. Sans participer Ă  la logique Ă©conomique et d’offre de services propre Ă  notre sociĂ©tĂ©, les arts martiaux pourraient alors demeurer des disciplines plus marginales[31].

Or, on remarque facilement que ces disciplines ne sont pas marginalisĂ©es, car, outre les Ă©coles et les clubs d’arts martiaux qui s’affichent dans les villes et villages, on les rencontre Ă  une multitude d’endroits : les sports olympiques, les spectacles de danse, au cinĂ©ma, dans les publicitĂ©s, les Ă©missions pour enfants, les dessins animĂ©s, dans les foyers pour personnes ĂągĂ©es en tant que technique de physiothĂ©rapie, dans les milieux dĂ©favorisĂ©s en tant que moyen d’intervention auprĂšs des jeunes en difficultĂ©, dans les programmes de sport-Ă©tude pour les Ă©lĂšves des Ă©coles primaires et secondaires, dans les romans, les manga, les bandes dessinĂ©es, les vidĂ©oclips, sans oublier les publications et les recherches universitaires qui s’y intĂ©ressent, etc.[31].

On peut comprendre la rĂ©alitĂ© des clubs et des Ă©coles d’arts martiaux comme un grand espace dynamique : un univers du loisir sportif qui tente de satisfaire les multiples exigences d’une clientĂšle tout aussi variĂ©e. Cet espace est Ă©galement compris comme une Ă©chelle graduĂ©e, oĂč chacun des Ă©chelons se dĂ©finit comme un point spĂ©cifique reprĂ©sentant un mode de pratique. Chaque mode de pratique se compose de caractĂ©ristiques qui le situent entre le pĂŽle des activitĂ©s sportives et celui des activitĂ©s de loisirs. C’est pourquoi la plupart des Ă©coles possĂšdent des caractĂ©ristiques propres Ă  ces deux sphĂšres sociales. Plus on est dans les extrĂ©mitĂ©s de l’échelle, plus l’activitĂ© se dĂ©finit simplement. Les ambiguĂŻtĂ©s s’accumulent du moment oĂč les disciplines offrent un produit diversifiĂ© dans le but de satisfaire le plus grand nombre d’attentes possibles. Pour en parler, il devient nĂ©cessaire d'utiliser le terme de sport dans ses deux acceptions, stricto sensu (institutions, rĂšglements, compĂ©tition) et lato sensu (activitĂ©s et produits dĂ©rivĂ©s du sport). ConsĂ©quemment, les orientations Ă©conomiques, politiques et d’enseignements des Ă©coles et des clubs tentent de trouver le juste milieu entre les diverses facettes qui composent la rĂ©alitĂ© sociale de notre Ă©poque[31].

Les diffĂ©rentes disciplines martiales se classent donc sur l’échelle des modes de pratique Ă  l’intĂ©rieur de l’univers social des loisirs sportifs Ă  partir de la rĂ©partition ou du « dosage » des diffĂ©rentes dimensions qui les composent et les caractĂ©risent. Cette oscillation entre deux pĂŽles se caractĂ©rise par les intĂ©rĂȘts et les orientations des Ă©coles et des clubs d’arts martiaux, en grande partie assujettis aux attentes et aux dĂ©sirs des diverses gĂ©nĂ©rations de pratiquants qui les frĂ©quentent. Si l’on veut donner une portĂ©e plus gĂ©nĂ©rale Ă  ces propos, on peut dire que les diverses formes de combats codifiĂ©s se positionnent entre les divers pĂŽles que sont :

  • la performance sportive et la transmission de valeurs ;
  • l’accessibilitĂ© Ă  tous et les besoins spĂ©cifiques des gens de la rĂ©gion ;
  • l’efficacitĂ© technique et l’esthĂ©tique des mouvements ;
  • le dĂ©sir de rayonner internationalement et le besoin de demeurer une communautĂ© chaleureuse[31].

Sujets connexes

Comme soulignĂ© Ă  de multiples reprises, les frontiĂšres du concept d’« art martial » sont floues, et il n’existe pas de stricts critĂšres permettant de dĂ©terminer quelle pratique en relĂšve. Au sein mĂȘme des arts martiaux asiatiques, les diffĂ©rents styles et Ă©coles proposent des pratiques extrĂȘmement dissemblables, et le terme gĂ©nĂ©rique d’« arts martiaux » recouvre une grande complexitĂ© d’approches : vocation pratique de self-dĂ©fense, approche spiritualiste, activitĂ© de type sportif, mĂ©thode axĂ©e sur l’interne
 À titre d’exemple, la nomenclature mise en place par le gouvernement japonais distingue trois types d’arts martiaux : les « Bujutsu » (techniques guerriĂšres Ă  vocation pratique), les « Budƍ » (leur Ă©volution fin XIXe siĂšcle, non lĂ©tal), et les « sports martiaux » (hĂ©ritiers sportifs nĂ©s dans les annĂ©es 1970)[32].

À partir du moment oĂč l’on ouvre l’acceptation du concept « art martial » aux disciplines de combat d’origine non-asiatique, l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des pratiques augmente encore. Ainsi, la capoeira, Ă  mi-chemin entre danse et art martial, est un bon exemple de la variĂ©tĂ© de disciplines qu’englobent les arts martiaux.

En outre, un mĂȘme « bagage » technique peut ĂȘtre pratiquĂ© dans diffĂ©rentes optiques, en fonction de la maniĂšre dont le maĂźtre l’enseigne et des intentions de l’apprenant : application en combat rĂ©el, approche sportive de compĂ©tition, entretien de la forme physique et hygiĂšne de vie, travail spirituel, etc. Ainsi, parce que le domaine est complexe et que le terme « art martial » peut servir d’étiquette commune Ă  une large gamme de pratiques, il est intĂ©ressant d’étudier de plus prĂšs les liens particuliers que les arts martiaux entretiennent avec les systĂšmes de combat rĂ©el, avec le sport, et avec les arts Ă©nergĂ©tiques.

Arts internes

Détail d'une peinture murale du monastÚre Shaolin représentant des moines pratiquant le Shaolin quan (début du XIXe siÚcle).

Il y a des millĂ©naires, en mĂȘme temps que l’homme dĂ©veloppait des techniques de combat lui permettant de se dĂ©fendre des agresseurs, il chercha Ă  mieux comprendre le fonctionnement de son propre corps dans la santĂ© et la maladie, et dĂ©veloppa des remĂšdes et techniques afin de guĂ©rir, de vivre mieux, et plus longtemps. Ainsi, pour ce qui concerne les arts martiaux, furent mis au point, en Inde et en Chine, diverses pratiques corporelles et gymniques Ă  visĂ©es thĂ©rapeutiques : massage, enchaĂźnements de mouvements, travail de respiration
 Ces pratiques de santĂ© furent en bonne partie Ă©laborĂ©es, Ă  l’origine, par les femmes, pour prĂ©parer et rĂ©cupĂ©rer de leurs grossesses, puis furent aussi adoptĂ©es par les vieillards ou les personnes affaiblies afin d’amĂ©liorer ou de conserver leur santĂ©. IntĂ©grĂ©es dans le cadre spirituel du TaoĂŻsme sous le terme gĂ©nĂ©ral de « Qi gong », ces gymnastiques thĂ©rapeutiques visent, par une parfaite coordination de la respiration avec des mouvements corporels entraĂźnant un massage interne des organes et une activation de points d’énergie, Ă  favoriser la bonne circulation de l’énergie interne et Ă  la renforcer[33]. En termes de mĂ©decine chinoise, il s’agit d’équilibrer les forces yin et yang, et de renforcer le Qi. Ce « Qi gong » intĂ©ressa bien vite les combattants et pratiquants en arts martiaux, tant pour rĂ©cupĂ©rer aprĂšs l’effort que pour apprendre Ă  mieux gĂ©rer leur Ă©nergie pendant le combat, augmentant ainsi leur efficacitĂ©. Ainsi, au Ve siĂšcle av. J.-C., Bodhidharma l’intĂ©gra au kung-fu qu’il enseigna aux moines du monastĂšre Shaolin.

À cette pratique de techniques gymniques thĂ©rapeutiques se mĂȘle intimement un autre savoir de la mĂ©decine chinoise, essentiel lui-aussi pour le combattant : la connaissance prĂ©cises des points vitaux du corps humain permettant, lorsqu’ils sont touchĂ©s, massĂ©s ou frappĂ©s de maniĂšre adĂ©quate, de mettre l’adversaire hors d’état de nuire en interrompant l’écoulement du Qi (ou au contraire de rĂ©animer en le rĂ©tablissant, les « katsu » japonais, par exemple)[34]. Certains arts martiaux s’élaborĂšrent ainsi en basant l’essentiel de leur pratique sur cette connaissance de la circulation du Qi et des moyens de l’interrompre[35].

On peut donc, trÚs schématiquement, distinguer :

  • les arts internes, ou Ă©nergĂ©tiques (ki cong, yoga, par exemple) Ă  visĂ©es hygiĂ©nistes et prophylactiques, et/ou spirituelles, et sans nulle implication de combat ;
  • les arts martiaux dits externes (« wai-jia » en Chine), traditionnellement associĂ©s Ă  Shaolin (parentĂ© bouddhiste) : la force prime, et l’efficacitĂ© est recherchĂ©e par une certaine puissance Ă  l’impact visant Ă  faire perdre connaissance ou Ă  mettre hors d’état de nuire par rĂ©action au cervelet (KO), fracture osseuse, etc.[35] La prĂ©fĂ©rence ira au poing fermĂ©, aux mouvements linĂ©aires et discontinus, aux parades en blocage ; les Ă©nergies s’opposent et se contrecarrent. Le travail Ă©nergĂ©tique, lorsqu’il est pris en compte, vise essentiellement Ă  amĂ©liorer les capacitĂ©s du pratiquant ;
  • les arts martiaux dits « internes » (« nei-jia » en Chine), traditionnellement associĂ©s au Mont Wudang (parentĂ© taoĂŻste) : il ne s’agit plus de frapper fort, mais vite et avec beaucoup de prĂ©cision pour toucher des « points » trĂšs prĂ©cis, ce qui nĂ©cessite dans un premier temps un lent travail d’apprentissage afin de dĂ©velopper exactitude, souplesse et fluiditĂ©[36]. La prĂ©fĂ©rence va Ă  la « main souple », aux mouvements circulaires et continus, aux parades par enroulements et aux esquives de maniĂšre Ă  dĂ©tourner ou absorber l’énergie de l’adversaire, voire Ă  la retourner contre lui. Le travail Ă©nergĂ©tique est fondamental, tant dans la pratique que dans la stratĂ©gie de combat.

On entend souvent dire qu’aucun art martial n’est purement interne ou externe, et qu’il s’agit plutĂŽt de deux approches entre lesquelles chacun se situe. Certes, la plupart des styles externes ont intĂ©grĂ© un travail Ă©nergĂ©tique dans leur pratique afin d’amĂ©liorer souffle, Ă©nergie, coordination, concentration, etc., et des Ă©lĂ©ments techniques ont Ă©tĂ© Ă©changĂ©s, partagĂ©s, intĂ©grĂ©s, de part et d’autre. Reste que, bien qu’en partie compatibles et complĂ©mentaires, ces approches sont fondamentalement diffĂ©rentes au niveau de la finalitĂ©, et donc de la stratĂ©gie : les styles externes font confiance dans la force, dans une puissance « explosive », les styles internes cherchent la clef de la science des Ă©nergies et parient sur fluiditĂ© et extrĂȘme prĂ©cision du mouvement. Des nuances peuvent ĂȘtre apportĂ©es en parlant plutĂŽt de styles « durs », « doux », etc.[35]

Cette mise au point quant aux styles internes et externes permet de mieux comprendre le cas un peu particulier du Tai-chi-chuan, « souvent considĂ©rĂ© comme une simple gymnastique thĂ©rapeutique qui n’aurait d’intĂ©rĂȘt que pour les femmes et les vieillards ! »[37] ou « une danse-exercice destinĂ©e aux vieilles dames perturbĂ©es[35] »  Il est, en effet, essentiellement pratiquĂ© en Occident comme art Ă©nergĂ©tique Ă  finalitĂ© de santĂ© et bien-ĂȘtre et a, dans ce cadre, trĂšs gĂ©nĂ©ralement perdu de vue son origine et sa finalitĂ© martiale. L’immense succĂšs de ce Tai-chi « partiel », « inaccompli » pourrait-on dire, a crĂ©Ă© dans les esprits occidentaux une incomprĂ©hension et une ambiguĂŻtĂ© autour de ce que sont rĂ©ellement les arts martiaux dits internes, dans leur ensemble.

Disciplines de combat réel

Les arts martiaux ont pour vocation premiĂšre d’apprendre des techniques permettant d’immobiliser, de blesser et/ou de tuer l’adversaire, et son enseignement laisse donc une grande place Ă  la recherche de l’efficacitĂ© martiale (placement vis-Ă -vis de l’adversaire, Ă©valuation de la distance, prĂ©cision et puissance des coups, Ă©conomie des forces
), hĂ©ritĂ©e d’un savoir-faire traditionnel longuement accumulĂ© et enrichi. Cependant, du fait de l’histoire mĂȘme des arts martiaux, les techniques vĂ©ritablement efficaces en combat rĂ©el sont parfois perdues, soit qu’elles aient Ă©tĂ© oubliĂ©es ou mystifiĂ©es, soit qu’on ait prĂ©fĂ©rĂ© les laisser de cĂŽtĂ© pour des raisons de sĂ©curitĂ© de l’entraĂźnement, ou pour mettre l’accent sur d’autres aspects de l’apprentissage. En outre, sous l’influence spirituelle du bouddhisme et du taoĂŻsme, les arts martiaux ont intĂ©grĂ© une dimension morale qui peut s’avĂ©rer contradictoire avec les conditions rĂ©elles de combat de survie (un contre un, pas d’attaque par surprise ou par derriĂšre, pas de coup sous la ceinture, etc.). Ainsi, ce que proposent aujourd’hui beaucoup d’écoles d’arts martiaux, c’est une approche essentiellement ritualisĂ©e du combat[38], avec ce risque que le pratiquant soit dans une certaine illusion quant Ă  sa capacitĂ© Ă  rĂ©agir en situation rĂ©elle.

À l'Ă©poque moderne, l’éventualitĂ© d’avoir Ă  se battre Ă  mains nues ou Ă  l’arme blanche est improbable, et l’utilisation de ces techniques ne peut survenir qu’en des occasions rares et extrĂȘmes, essentiellement dans les grandes villes oĂč la criminalitĂ© urbaine expose Ă  toutes sortes de dangers, ou en cas de guerre. Les principaux lieux oĂč sont encore enseignĂ©es de telles techniques de combat « de survie » sont donc bien sĂ»r la police et l’armĂ©e. En Asie, les arts martiaux y sont enseignĂ©s dans leur version la plus « dure », c’est-Ă -dire avec comme seul et unique critĂšre une efficacitĂ© immĂ©diate (ce qui donna, pour la version occidentale, le « close combat »). Ailleurs dans le monde aussi, certaines techniques forment des systĂšmes complets et organisĂ©s, tels par exemple le Krav-maga israĂ©lien ou le Sambo et le Systema russes[39].

Ces techniques, mises au point dans des contextes militaires, ont Ă©voluĂ© vers une pratique plus sportive, et sont aujourd’hui disponibles sur le « marchĂ© » des arts martiaux. Ce qui les distingue principalement des arts martiaux asiatiques traditionnels, c’est l’absence des composantes spirituelles, morales et culturelles : l’apprentissage se centre uniquement sur des aspects pragmatiques (renforcement physique, assimilation de techniques, stratĂ©gie
), et ne vise pas au dĂ©veloppement « global » de l’individu.

Sports de combat

Projection de judo.

Dans son acception moderne, le terme sport apparaĂźt au XIXe siĂšcle pour dĂ©signer une activitĂ© physique de loisir, rĂ©gie par des rĂšgles, et le plus souvent orientĂ©e vers la compĂ©tition. Le nouveau mode de vie (et la richesse) induit par la rĂ©volution industrielle fait en effet Ă©merger, en Occident, la notion de « loisir » (occupation du temps libre, visĂ©e ludique) et la nĂ©cessitĂ© d’instituer de nouvelles modalitĂ©s d’exercices en plein air (visĂ©e hygiĂ©niste). Cette pratique du « sport » voit le jour dans l’élite sociale europĂ©enne, puis gagne la bourgeoisie, et enfin les classes populaires. Les anciennes activitĂ©s de combat ou de chasse (escrime, lutte, tir Ă  l’arc, Ă©quitation
), ayant perdu l’essentiel de leurs raisons d’ĂȘtre, rejoignent d’anciens jeux et activitĂ©s de « dĂ©tente » (canotage, vĂ©lo, tennis, jeux de ballons
), les deux domaines formant une nouvelle catĂ©gorie d’activitĂ©s de loisirs, dĂ©veloppĂ©es sur le mode neuf de la « compĂ©tition ». Gymnastique et athlĂ©tisme sont en vogue. Ce qui caractĂ©rise toutes ces nouvelles pratiques, ce qui Ă©tablit l’existence de ces nouveaux « sports », c’est la codification et la rĂ©glementation (rĂšgles du jeu, comptage des points, durĂ©es, distances, catĂ©gories d’ñge ou de poids, etc.), puis trĂšs vite la naissance de fĂ©dĂ©rations et l’organisation de compĂ©titions nationales et internationales. Amusement, victoires et exploits sont les nouveaux maĂźtres-mots[40].

C’est Ă  cette Ă©poque, et sous l’influence de cette « mode », que le Japon, dĂ©sireux de cadrer avec la tendance sportive internationale, transforma ses « bujutsu », arts martiaux japonais traditionnels, en « Budo », pratiques expurgĂ©es de tout ce qui Ă©tait rĂ©ellement dangereux : judo en 1882, kendo en 1903, kyudo en 1905, karatedo en 1935, aĂŻkibudo en 1930 puis enfin aĂŻkido en 1942[4]. C’est ainsi que les Occidentaux dĂ©couvrirent les arts martiaux, et que certains arts martiaux (judo, karaté ), dĂ©veloppant au XXe siĂšcle une expression de compĂ©tition qui leur Ă©tait originellement Ă©trangĂšre, entrĂšrent dans la sphĂšre du sport, et plus prĂ©cisĂ©ment des « sports de combat », aux cĂŽtĂ©s de la boxe, de la lutte, de l’escrime, etc. On vit aussi apparaĂźtre les « Mixed Martial Arts », dits MMA (littĂ©ralement « arts martiaux mixtes »), terme anglophone pour dĂ©signer des rencontres interdisciplinaires qui ne sont possibles qu’en combat libre : Ă  l’origine caractĂ©risĂ© par une presque totale absence de rĂšgles, le MMA est ensuite devenu un sport Ă  part entiĂšre, trĂšs encadrĂ© et rĂ©glementĂ©.

Ce qui distingue, essentiellement, les sports de combat des arts martiaux traditionnels, c’est la finalitĂ© : amusement et compĂ©tition pour les premiers, dĂ©veloppement personnel et « survie » pour les seconds. Il ne s’agit plus de devenir un homme meilleur, mais de prendre part Ă  un « jeu », dont le but est d’ĂȘtre le meilleur dans un systĂšme codifiĂ©[39]. Ce basculement en entraĂźne d’autres : l’orientation rĂ©crĂ©ative implique la limitation de la prise de risque, et donc l’élimination des techniques dangereuses, et l’établissement de rĂšgles strictes ; la composante culturelle se trouve rĂ©duite Ă  sa portion congrue (le vocabulaire technique, grosso modo), et la composante spirituelle disparaĂźt quant Ă  elle totalement.

Reste en partage l’aspect « santĂ© », ainsi que la composante Ă©ducative et morale, mĂȘme si sa portĂ©e en est amoindrie dans le « sport ». En effet, le sport ne se limite pas Ă  ses aspects ludiques, il est aussi porteur d’un projet Ă©ducatif et moral, soulignĂ© par Pierre de Coubertin lors de la recrĂ©ation des Jeux olympiques en 1896 : en tant qu’activitĂ© rĂ©gie par des rĂšgles identiques pour tous, le sport porte des valeurs d’égalitĂ© et de justice. En outre, dans le cadre de l’éducation des enfants principalement, le sport s’avĂšre, outre ses aspects de santĂ© et de limitation de la violence, un excellent instrument Ă©ducatif en vue de dĂ©velopper le sens moral, l’esprit de groupe et la discipline (consentement volontaire au respect des rĂšgles)[40]. La pratique du sport favoriserait donc le bien-vivre ensemble et, par le biais du « fair-play », le dĂ©veloppement du sens moral. Cependant, l’injonction morale Ă  la rectitude et Ă  la maĂźtrise de soi ne concerne le sportif que dans le cadre de sa pratique sportive, tandis qu’elle lie le pratiquant en arts martiaux Ă  l’ensemble des actes de son existence.

Dans le monde

Notes et références

  1. Valet 1999, p. 104
  2. (en) John Clements, « Short Introduction to Historical European Martial Arts », Meibukan Magazine, janvier 2006.
  3. Plée 1998, p. 70
  4. Plée 1998, p. 44
  5. « La saga du wu shu », Georges Charles (page consultée le 10 mai 2013)
  6. Cousergue 2009, p. 71
  7. Fauliot 1984, p. 18
  8. TLFi
  9. Wiktionnaire
  10. Fauliot 1984, p. 26
  11. CNRTL
  12. Mediadico
  13. Larousse
  14. G &R Habersetzer 2012, p. 20
  15. Cousergue 2009, p. 46
  16. Les arts martiaux indiens (page consultée le 10 mai 2013).
  17. Fauliot 1984, p. 20
  18. The Martial Arts and Sun Tzu, The Science of Strategy Institute (page consultée le 10 mai 2013).
  19. Plée 1998, p. 36
  20. Fauliot 1984, p. 22
  21. G &R Habersetzer 2012, p. 656
  22. Le Maléfan 1988, p. 15
  23. Plée 1998, p. 32,65 & 311
  24. Damaisin d’ArĂšs & PassĂ© 2008, p. 10-11
  25. Deshimaru 1983, p. 17
  26. Fauliot 1984, p. 18,19
  27. Plée 1998, p. 65
  28. Le Maléfan 1988, p. 21
  29. Fauliot 1984, p. 19
  30. Les ceintures et les couleurs en arts martiaux (consulté le 10 mai 2013).
  31. BERNARD, Olivier. (2014). Les arts martiaux : entre sports et loisirs. Dans BERNARD, Olivier. L’arriĂšre-scĂšne du monde des arts martiaux (pp.27-68). PUL, QuĂ©bec (Canada).
  32. Cousergue 2009, p. 14.
  33. G &R Habersetzer 2012, p. 652
  34. Plée 1998, p. 68-69.
  35. Plée 1998, p. 91.
  36. Fauliot 1984, p. 24
  37. Fauliot 1984, p. 23
  38. Plée 1998, p. 280, 298 & 299
  39. Définition des arts martiaux (consulté le 10 mai 2013).
  40. Encyclopédie Larousse.

Voir aussi

Bibliographie

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