Sondage d'opinion
Un sondage d'opinion, ou une enquĂȘte d'opinion, est une application de la technique des sondages Ă une population humaine visant Ă dĂ©terminer les opinions probables via l'Ă©tude d'un Ă©chantillon confectionnĂ© par les entreprises de sondages.
En France, par exemple, les enquĂȘtes d'opinion rĂ©alisĂ©es avant lâĂ©lection prĂ©sidentielle, Ă l'historique dĂ©sormais facilement traçables grĂące Ă Internet, sont passĂ©es de 111 en 1981 Ă 293 en 2007 puis ont Ă nouveau triplĂ©[1], apportant aux entreprises de sondages l'essentiel de leur notoriĂ©tĂ©[2] et suscitant un dĂ©bat sur leur fiabilitĂ©[1] - [3] - [4].
Aspects méthodologiques
Utilisation d'un Ă©chantillon
- Soit un sondage alĂ©atoire de grandeur et la proportion de personnes qui rĂ©pondent « oui » Ă la question posĂ©e. Le thĂ©orĂšme central limite dit que si est grand alors suit approximativement une distribution normale avec moyenne (la proportion dans la population) et Ă©cart-type . Lâintervalle de confiance Ă 95 % est . Par prudence, prenons la valeur qui donne lâĂ©cart-type le plus grand. Lâintervalle de confiance devient . Si on obtient . La marge d'erreur est plus ou moins 3 points de pourcentage[5].
Soit lâerreur dâestimation, câest-Ă -dire la diffĂ©rence entre et . Pour une erreur donnĂ©e la grandeur nĂ©cessaire de lâĂ©chantillon est .
- Le sondage stratifiĂ© -qui consiste Ă diviser la population en plusieurs groupes et Ă prendre un Ă©chantillon dans chaque groupe- est prĂ©fĂ©rable Ă un sondage alĂ©atoire simple car lâĂ©cart-type est plus petit.
- Un sondage selon la mĂ©thode des quota nâest pas basĂ© sur la thĂ©orie statistique et ne permet pas de calculer la probabilitĂ© dâune certaine marge dâerreur. Cette mĂ©thode postule une corrĂ©lation entre certains caractĂšres de la population. Les caractĂšres retenus pour former lâĂ©chantillon sont souvent le sexe, lâĂąge, la profession et la rĂ©gion. La proportion de ces variables dans la population donne des quotas quâon applique Ă lâĂ©chantillon. On suppose que lâopinion de la population est corrĂ©lĂ©e avec ces variables dites de contrĂŽle.
Un sondage selon la mĂ©thode des quotas peut donner de meilleurs rĂ©sultats que ceux dâun sondage alĂ©atoire. Entre 1970 et 1979 la moyenne des erreurs lors des Ă©lections anglaises a Ă©tĂ© de 3 points de pourcentage pour la mĂ©thode des quotas contre 6.3 points pour les sondages alĂ©atoires[6].
Un Ă©chantillon biaisĂ© donnera un rĂ©sultat mauvais mĂȘme sâil contient plusieurs millions de personnes. Lâexemple le plus fameux est celui du sondage du Literary Digest en 1936.
Erreur d'Ă©chantillonnage
En statistiques, le calcul d'erreur suppose un échantillonnage au hasard. Or, les sondages se font en général en considérant un panel dit représentatif. Ceci rend plus complexe le calcul d'erreur.
Dans le cas des sondages politiques, JĂ©rĂŽme Sainte-Marie, directeur de BVA Opinion, estime qu'ils accusent une erreur de 2 ou 3 %[7] voire peuvent dĂ©passer 6 %, comme les sondages relatifs Ă des Ă©lections primaires en France[8] en raison de la mĂ©thodologie et du faible nombre ou d'Ă©chantillons d'individus sondĂ©s. Les sondages politiques sont rĂ©vĂ©lateurs de ces limites ; ainsi, des rĂ©sultats de plusieurs entreprises de sondages portant sur un mĂȘme domaine et sur la mĂȘme pĂ©riode sont publiĂ©s, ce qui permet de les comparer et Ă©ventuellement de mettre en Ă©vidence certaines divergences ou contradictions concernant une mĂȘme question.
Ă titre d'exemple, les rĂ©sultats comparĂ©s des sondages des diffĂ©rents organismes Ă la mĂȘme pĂ©riode pour l'Ă©lection prĂ©sidentielle française de 2007 sont significatifs :
Entreprise de sondages | Candidat | ||||
---|---|---|---|---|---|
Nicolas Sarkozy | SégolÚne Royal | Indécis | François Bayrou | Jean-Marie Le Pen | |
IFOP | 32,5 | 25,5 | 16 | 11 | |
Entreprise de sondages CSA | 28 | 29 | 17 | 14 | |
BVA | 33 | 26 | 21 | 15 | 10 |
LH2 | 33 | 25 | 19 | 14 | 13 |
TNS-Sofres | 33 | 26 | 18 | 13 | 12 |
Moyenne | 31,9 | 26,3 | 19,3 | 15 | 12 |
Ăcart type | 1,4 | 1,4 | 1,2 | 1,4 | 1,4 |
Si l'on considÚre un intervalle de confiance de 95 %, il faut multiplier les écarts types par 2,8 (3,2 pour les indécis)[9], soit une erreur entre 3,5 et 4,5 points. Si maintenant on fait figurer les intervalles d'erreur, on obtient :
Nicolas Sarkozy | SégolÚne Royal | Indécis | François Bayrou | Jean-Marie Le Pen | |
Moyenne | 31,9 | 26,3 | 19,3 | 15 | 12 |
---|---|---|---|---|---|
Intervalle d'erreur | 27â36 | 22â30 | 15â24 | 11â19 | 8â16 |
Taille des Ă©chantillons
La reprĂ©sentativitĂ© des Ă©chantillons sur lesquels s'appuient bon nombre de sondages publiĂ©s dans les mĂ©dias sont l'objet de vives discussions. Cette question est particuliĂšrement importante dans les cas oĂč les chiffres sont trĂšs serrĂ©s.
Ces derniĂšres annĂ©es, il est apparu qu'environ 50 % de la population ne peut pas ĂȘtre sondĂ©e car soit elle a seulement un tĂ©lĂ©phone portable (surtout pour les jeunes), soit parce qu'elle n'est pas prĂ©sente chez elle aux heures oĂč les sondeurs appellent[10].
Aujourd'hui un certain retour à la base du sondage de certaines entreprises de sondages qui privilégient la qualité de l'échantillonnage sur les calculs statistiques qui multiplient les marges d'erreur. Ainsi, des études média peuvent comprendre 75 000 interviews (pour la radio). D'autres, peuvent travailler sur des échantillons composés de 50 000 interviews téléphoniques avec des questionnaires qui croisent des données média avec des données de consommation et de fréquentation.
En effet l'insuffisance d'individus d'un Ă©chantillon ne peut garantir la vĂ©racitĂ© des rĂ©sultats proposĂ©s par le sondage. L'idĂ©al, comme le mentionne E. Jeanne ([11], ), est de sonder le maximum de personnes pour apporter la meilleure qualitĂ© et donc de rĂ©duire les marges d'erreur. Le dĂ©sintĂ©rĂȘt de la population pour les sondages ne facilite pas le travail des entreprises rĂ©alisant les Ă©tudes.
Questions propres à la méthode des quotas
Si la technique aléatoire était utilisée, le calcul des intervalles de confiance montrerait que des fluctuations aussi faibles doivent inciter à une grande prudence dans leur interprétation. D'autre part il est indiscutable que la méthode des quotas ne satisfait pas la condition rigoureuse d'indépendance à la base des sondages aléatoires, ce qui exigerait en principe d'autres approches de sa précision.
Face Ă ce problĂšme, la position exprimĂ©e systĂ©matiquement Ă l'occasion des campagnes Ă©lectorales tient en deux points : le calcul des intervalles de confiance est inapplicable et â cela demanderait un minimum de justifications â la mĂ©thode des quotas est plus prĂ©cise que la mĂ©thode alĂ©atoire.
Une autre position, plus rarement exprimée, se trouve par exemple sur le site internet d'Ipsos : si on veut fournir une indication sur la validité d'un sondage, on est bien obligé d'utiliser ce qui existe, tout en sachant que ce n'est qu'une approximation.
Il semble qu'il soit possible de renforcer un peu cette position. En effet c'est l'indĂ©pendance des rĂ©ponses, difficile Ă assurer dans un sondage Ă l'Ă©chelle de la France, qui permettrait le calcul des intervalles de confiance. Ă l'opposĂ©, on peut imaginer un sondage Ă prĂ©tentions nationales effectuĂ© dans un seul quartier, ou une seule entreprise ; celui-ci donnerait Ă©videmment des rĂ©sultats sans signification pour le pays parce qu'il y aurait probablement de forts liens entre les diffĂ©rentes rĂ©ponses. La mĂ©thode des quotas, en contraignant les enquĂȘteurs Ă interroger des personnes appartenant Ă divers milieux, brise un grand nombre de ces liens et ne peut que rapprocher ce type de sondage du sondage alĂ©atoire, sans qu'on puisse mesurer la distance qui existe entre les deux.
En France, les sondages électoraux, contrairement aux autres sondages aux méthodes plus éprouvées, se passent quasiment exclusivement au téléphone fixe alors que certains sondés se sont désabonnés pour ne garder que le téléphone portable[12], d'autres ne sont guÚre joignables ou sur liste rouge ce qui induit un biais supplémentaire, dit « biais de sélection ».
Corrections des rĂ©sultats bruts des enquĂȘtes
Les statisticiens, notamment en matiÚre de sondages politiques opÚrent un grand nombre de corrections des données obtenues. Par exemple, les données CVS, corrigées des variations saisonniÚres, tentent de corriger les effets dus à la saisonnalité du phénomÚne mesuré. Si certains sont particuliÚrement évidents - une forte baisse de l'activité économique en août n'est pas le signe d'un effondrement économique - d'autres en revanche sont plus sujets à caution.
En matiÚre de sondages électoraux par exemple, on corrigera certains décalages entre déclaration et réalité des votes passés effectifs. On observe par exemple un décalage entre les déclarations d'intention de vote Front national et les votes réels, plus nombreux. Les statisticiens mesurent cet écart et le reportent pour les mesures suivantes afin de donner un chiffre plus représentatif de la réalité, c'est ce que l'on nomme le « redressement des résultats bruts ». Les détracteurs des sondages considÚrent que l'on sort ici de la stricte mesure des déclarations d'intention de vote pour donner un chiffre ayant la prétention d'indiquer ce que les électeurs comptent faire en réalité, d'autant plus qu'aucune entreprise de sondages ne publie les pourcentages réellement exprimés ou leur multiplicateur[13].
Formulation des questions
La formulation de la question peut influencer les réponses.
Une étude menée sur trois sondages effectués au moment du bombardement de la Libye par l'armée américaine en 1986 a par exemple révélé des décalages considérables de réponse en fonction de l'intitulé de la question, certaines étaient particuliÚrement abstraites citant « l'action américaine contre Kadhafi » alors que de l'autre cÎté un magazine parlait de l'armée américaine, de bombardements et nommait les villes touchées. Avec la plus abstraite des formulations, l'événement recueillait 60 % d'assentiments, la formulation intermédiaire 50 %, la formulation la plus précise 40 %.
Ce dĂ©calage ne pose pas de problĂšme si l'on conserve Ă l'esprit que les sondages mesurent une rĂ©ponse Ă une question et non pas la rĂ©alitĂ© d'une opinion dans la population. Aux yeux de leurs dĂ©tracteurs, la confusion apparaĂźt pourtant particuliĂšrement frĂ©quente et trĂšs volontiers entretenue par ceux qui commandent les sondages et qui peuvent mĂȘme choisir de ne pas les publier si les rĂ©sultats ne correspondent pas Ă ce qu'ils veulent dĂ©montrer.
Il s'avĂšre, dans la rĂ©alitĂ© du terrain, que plus une question est longue, plus elle comprend de mots et de phrases, moins elle est comprise, et donc plus le rĂ©sultat est sujet Ă caution. Alors que quasiment tous les interviewĂ©s comprennent facilement des questions courtes. De mĂȘme, les questions interronĂ©gatives sont moins aisĂ©es Ă comprendre. Ces deux situations font augmenter le taux de NSP (ne se prononcent pas) sur une question.
Afin de formuler des questions qui mesurent avec certitude le concept d'intĂ©rĂȘt, Saris et Gallhofer (2007)[14] proposent une procĂ©dure en 3 Ă©tapes, qui consiste en :
- DĂ©finir si le concept Ă mesurer est un concept par postulation ou un concept par intuition[15] ;
- Pour chaque concept par intuition, formuler une affirmation ;
- Transformer chaque affirmation en une requĂȘte de rĂ©ponse.
Cependant, la majoritĂ© des questions dans les sondages sont des questions fermĂ©es qui proposent Ă©galement une Ă©chelle de rĂ©ponse. Il faut donc rajouter Ă ce processus une Ă©tape, qui est celle du choix de l'Ă©chelle de rĂ©ponse. De nombreuses dĂ©cisions doivent ĂȘtre prises quant Ă la formulation exacte de l'Ă©chelle[16] qui peuvent influencer grandement les rĂ©ponses[17], la qualitĂ© de ces rĂ©ponses[18], et par consĂ©quent aussi les conclusions finales[19].
Pour aider les chercheurs Ă dĂ©cider de la meilleure formulation possible Ă la fois de la question elle-mĂȘme et de son Ă©chelle de rĂ©ponse, il existe des livres donnant des consignes gĂ©nĂ©rales[20] - [21]. Cependant, parce que les diffĂ©rentes dĂ©cisions sont en interaction, il est difficile de donner des consignes gĂ©nĂ©rales sur la maniĂšre de formuler exactement les questions d'un sondage, au-delĂ de quelques rĂšgles basiques (par exemple, les rĂ©ponses dans l'Ă©chelle proposĂ©e doivent couvrir toutes les possibilitĂ©s).
C'est pourquoi Willem Saris et collÚgues ont développé un programme, appelé Survey Quality Predictor (SQP), qui permet de prédire la qualité des questions en fonction de leurs caractéristiques exactes, et propose des suggestions de comment modifier la question ou son échelle pour améliorer cette qualité[22]. Ce programme peut s'utiliser gratuitement en ligne (at sqp.upf.edu) et permet d'aider les chercheurs à décider de la meilleure formulation possible pour leurs questions, en fonction du concept qu'ils veulent mesurer.
MĂ©thode du "Rolling"
La technique dite du rolling â « rolling » en anglais â consiste Ă renouveler une partie de l'Ă©chantillon trĂšs souvent, ce qui permet de publier le sondage Ă des intervalles plus rapprochĂ©s, grĂące Ă ce renouvellement, le plus souvent partiel.
Par exemple, Ă partir de , l'IFOP rĂ©alise un rolling avec un Ă©chantillon cumulĂ© de 1 500 personnes renouvelĂ© quotidiennement par tiers[23] - [24]. Harris Interactive procĂšde de mĂȘme Ă partir du [25].
Aspects légaux et réglementaires par pays
Droit actuellement en vigueur
Il existe un droit des sondages électoraux, qui est aujourd'hui mieux connu[26]. En effet, la loi no 77-808 du a institué un régime juridique encadrant les sondages électoraux - c'est-à -dire en rapport avec une élection prévue par le Code électoral, un référendum ou l'élection des parlementaires européens, ce qui n'inclut donc pas l'ensemble des sondages d'opinion politique - ayant fait l'objet d'une publication ou d'une diffusion[27].
Cette loi a notamment instituĂ© une Commission des sondages, autoritĂ© administrative indĂ©pendante composĂ©e de magistrats du Conseil d'Ătat, de la Cour de cassation et de la Chambre des comptes, qui a pour mission de contrĂŽler la qualitĂ© et l'objectivitĂ© de ces sondages et, dans le cas oĂč une dĂ©faillance est constatĂ©e, de faire publier des mises au point - c'est-Ă -dire des correctifs dans les journaux visant Ă alerter l'opinion publique sur les dĂ©fauts de ces sondages - voire de saisir le juge pĂ©nal[28]. La Commission des sondages a ainsi dĂ©veloppĂ© un vĂ©ritable droit matĂ©riel, au contenu substantiel, visant Ă garantir le caractĂšre scientifique de la mĂ©thodologie suivie par les entreprises de sondages : il existe dĂ©sormais de nombreuses rĂšgles de fond applicables Ă l'Ă©laboration et aux conditions de publication des sondages Ă©lectoraux[29].
Le contrĂŽle est en outre renforcĂ© en pĂ©riode Ă©lectorale, puisqu'il est interdit de publier des sondages la veille et le jour du scrutin, cette interdiction Ă©tant sanctionnĂ©e par une amende de 75 000 euros[30]. Le respect de cette interdiction pose toutefois aujourd'hui certains problĂšmes au regard des potentialitĂ©s des nouvelles technologies, qui trouveront probablement leur rĂ©solution dans l'harmonisation des horaires de fermeture des bureaux de vote sur le territoire. La question se pose aussi de sa conciliation avec l'article L. 52-2 du Code Ă©lectoral, qui prĂ©voit une interdiction de diffuser les rĂ©sultats avant 20 heures et qui n'est sanctionnĂ©e que d'une amende de 7 500 euros, ce qui n'est guĂšre dissuasif, ainsi qu'avec l'article L 97 du mĂȘme code[31], qui prĂ©voit que : « Ceux qui, Ă lâaide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manĆuvres frauduleuses, auront surpris ou dĂ©tournĂ© des suffrages, dĂ©terminĂ© un ou plusieurs Ă©lecteurs Ă sâabstenir de voter, seront punis dâun emprisonnement de deux ans et dâune amende de 15 000 euros »[32].
Si ce rĂ©gime juridique semble avoir fait la preuve d'une certaine efficacitĂ©, il est aujourd'hui critiquĂ© pour son manque de transparence. En effet, alors que les citoyens ont thĂ©oriquement le droit de consulter les notices des sondages auprĂšs de la Commission des sondages[33], les informations effectivement fournies sont peu nombreuses en pratique[34]. Cette pratique discutable a nĂ©anmoins Ă©tĂ© validĂ©e par le Conseil d'Ătat[35] au terme d'un raisonnement juridiquement et factuellement trĂšs contestable[36].
Pour rĂ©pondre Ă ces critiques, le SĂ©nat adoptait le , Ă l'unanimitĂ©, une proposition de loi sur les sondages visant Ă mieux garantir la sincĂ©ritĂ© du dĂ©bat politique et Ă©lectoral[37]. Certaines propositions visaient Ă augmenter le niveau d'expertise de la commission des sondages et Ă Ă©tendre son champ d'intervention Ă ceux qui portent sur des opinions et pas seulement sur des intentions de vote. Toutefois, lâAssemblĂ©e Nationale est revenue en arriĂšre sur ses propositions et le projet finalement n'a pas abouti[29]. Toutefois, les travaux de la Commission de rĂ©novation et de dĂ©ontologie de la vie politique, dite Commission Jospin, qui doit rendre son rapport pour la mi-, pourraient relancer ce projet[38].
En toute hypothĂšse, dans l'attente de ces Ă©volutions, c'est bien la sociĂ©tĂ© civile qui cherche Ă exercer, Ă cĂŽtĂ© de la Commission des sondages, le rĂŽle de vigie afin que les sondages, dont la publication est protĂ©gĂ©e par la libertĂ© d'expression et qui peuvent participer Ă l'amĂ©lioration de la dĂ©mocratie lorsqu'ils sont bien utilisĂ©s, soient bien contrĂŽlĂ©s. Plusieurs sites internet sont consacrĂ©s Ă cette surveillance, mĂȘme si leurs positionnements idĂ©ologiques par rapport aux sondages diffĂ©rents[39]. Ils permettent en tout cas mieux qu'hier, de suivre au jour le jour les problĂ©matiques liĂ©es aux aspects lĂ©gaux et rĂ©glementaires des sondages d'opinion.
Avant la Loi n°2002-214 du 19 février 2002
L'article 11 de la loi n°77-808 du [40] prévoyait l'interdiction des sondages d'opinion en période électorale une semaine avant le scrutin. Cette disposition a été modifiée en 2002, suivant l'argumentaire exposé à l'Assemblée nationale par le ministre de l'Intérieur de l'époque :
« M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - L'article 11 de la loi du interdit la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage d'opinion ayant un rapport direct ou indirect avec une élection ou un référendum pendant la semaine qui précÚde chaque tour de scrutin ainsi que pendant le déroulement de celui-ci. Cette interdiction, assortie d'une sanction pénale, est cependant de plus en plus fréquemment détournée.
Tout d'abord, la loi de 1977 ne s'applique pas aux organes de presse situĂ©s hors du territoire national. Ceux-ci peuvent diffuser sur leurs sites Internet les rĂ©sultats de sondages effectuĂ©s dans la semaine prĂ©cĂ©dant le scrutin. Ce fut le cas lors de l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 1995, au cours de laquelle fut diffusĂ© un sondage portant sur le second tour du scrutin. Lors des lĂ©gislatives de 1997, certains mĂ©dias indiquĂšrent mĂȘme Ă leurs lecteurs les adresses de sites Internet Ă©trangers livrant les rĂ©sultats de ces sondages.
Ă ces situations de fait s'est ajoutĂ©e une difficultĂ© juridique. Saisis de recours fondĂ©s sur l'incompatibilitĂ© de l'article 11 de la loi du et de l'article 10 de la convention europĂ©enne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertĂ©s fondamentales - qui consacre le droit de toute personne Ă la libertĂ© d'expression, celui-ci incluant la libertĂ© de recevoir et de communiquer des informations ou des idĂ©es -, le Conseil dâĂtat en 1995 et 1999 et la Cour de cassation en 1996 avaient jusqu'alors dĂ©boutĂ© les requĂ©rants.
Un rĂ©cent revirement de jurisprudence de la Cour de cassation est toutefois intervenu. Par un arrĂȘt rendu le , celle-ci a en effet jugĂ© qu'« en interdisant la publication, la diffusion et le commentaire, par quelque moyen que ce soit, de tout sondage d'opinion en relation avec l'une des consultations visĂ©es par l'article premier de la loi du , les textes fondant la poursuite instaurent une restriction Ă la libertĂ© de recevoir et de communiquer des informations qui n'est pas nĂ©cessaire Ă la protection des intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes Ă©numĂ©rĂ©s par l'article 10-2 de la convention ». Il en rĂ©sulte que la mĂ©connaissance des dispositions de l'article 11 de la loi du ne peut plus, aujourd'hui, faire l'objet d'une sanction pĂ©nale, quel que soit le moment de la diffusion du sondage.
Le Conseil supĂ©rieur de l'audiovisuel a, pour sa part, fait observer dans sa recommandation du , que la diffusion de sondages interdits pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e par le Conseil constitutionnel comme de nature Ă altĂ©rer la sincĂ©ritĂ© du scrutin et avoir donc d'importantes consĂ©quences Ă©lectorales. Le juge de l'Ă©lection est en effet naturellement attentif Ă tout ce qui peut affecter le comportement des Ă©lecteurs et la diffusion de sondages pendant la pĂ©riode d'interdiction pourrait, en cas de faible Ă©cart de voix notamment, valablement motiver l'annulation d'un scrutin.
Le présent projet de loi substitue à l'interdiction d'une durée d'une semaine prévue par l'article 11 de la loi du , une interdiction qui ne commencera à courir qu'à compter de la veille du scrutin, soit le vendredi à minuit. Cette interdiction s'appliquera également aux sondages ayant déjà fait l'objet d'une publication, d'une diffusion ou d'un commentaire avant la veille de chaque tour de scrutin. »[41]
Critique des sondages d'opinions
Biais de non-neutralité des sondeurs
L'impartialité des entreprises de sondages est de plus en plus questionnée[42]. DÚs 2007, Le Figaro a constaté un mouvement de concentration des entreprises de sondages, désormais détenues par des groupes financiers[43]. L'entrepreneur Vincent Bolloré, ami proche du Président Sarkozy, détient l'intégralité du capital de CSA-TMO aprÚs le rachat des parts de Roland Cayrol[44] tandis que l'actuelle présidente du MEDEF, Laurence Parisot, était présidente de l'IFOP.
La définition de la problématique, le choix des sujets abordés, la formulation des questions, ne sont plus confiés à la société civile (associations, syndicats, intellectuels) qui possÚde une réflexion formée sur le sujet mais plutÎt à des groupes de presse et de télévision appartenant à des hommes d'affaires.
Deux exemples sont souvent cités :
- François Bayrou a raillé les entreprises de sondages, qui le plaçaient en dessous de Jean-Marie Le Pen le [45], alors qu'il a fait 8 points de plus (18,5 % contre 10,5 %) le soir du 1er tour, le . En 2012, il réclame que les candidats rendent publics les budgets qu'ils y consacrent et le nom des instituts bénéficiaires[45]. Il dénonce les résultats des instituts Ifop Fiducial et TNS-Sofres-Sopra présentant favorables à Nicolas Sarkozy et François Hollande[45].
- la semaine prĂ©cĂ©dant le deuxiĂšme tour de l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 2007, les principales entreprises de sondages donnent toutes Nicolas Sarkozy gagnant avec entre 5 et 9 points d'Ă©cart avec SĂ©golĂšne Royal, alors qu'une petite entreprise de sondages, 3C Ătudes, pratiquant la mĂȘme mĂ©thode des quotas, aussi sĂ©rieusement, donne Nicolas Sarkozy Ă Ă©galitĂ© avec SĂ©golĂšne Royal[46].
Ă la suite de la croissance du nombre de sondages publiĂ©s, des sites se proclamant indĂ©pendants, comme « DĂ©lits d'opinion »[47] ont lancĂ© une pĂ©dagogie des enquĂȘtes d'opinion en faisant appel aux professionnels des entreprises de sondages, aux politologues ainsi qu'aux acteurs Ă©conomiques et politiques.
Biais de négligence de l'électorat jeune et populaire
La biais le plus souvent Ă©voquĂ© est de « sous-reprĂ©senter un Ă©lectorat moins politisĂ© et moins informĂ©, gĂ©nĂ©ralement plus jeune, qui ne se dĂ©cidera quâau dernier moment »[1]. Ainsi, en fĂ©vrier 2022 comme en fĂ©vrier 2017, prĂšs de 4 Français sur 10 ne savaient pas encore pour qui voter Ă la prĂ©sidentielle, et parmi eux 2 sur 10 pourraient sâabstenir, selon une Ă©tude Kantar Public - Epoka[48]. Le biais vient du fait que les instituts mesurent le plus souvent seulement ceux qui ont une certitude d'« intention de vote »[3]. Au plan sociologique, les Ă©lecteurs « qui se dĂ©cident le plus tard sont essentiellement dans les catĂ©gories populaires »[4]. Les sondages ne portent, sauf exception, que sur les personnes « certaines » dâaller voter[3], en proposant au sondĂ© de se situer sur une Ă©chelle de 1 Ă 10[3], ce qui rĂ©duit parfois lâĂ©chantillon des rĂ©pondants de moitiĂ©[3] et le concentre sur un profil sociologique moyen plus socialement favorisĂ©[3], plus ĂągĂ©[3], et plus politiquement motivĂ© que lâensemble de la population par la politique en gĂ©nĂ©ral ou par l'actualitĂ© du moment[3].
Par ailleurs, les diffĂ©rents instituts n'ont pas la mĂȘme dĂ©finition de la « certitude » d'aller voter[3]: en France, pour Ipsos-Sopra Steria et OpinionWay, seule la note 10 garantit la certitude dâaller voter[3], alors pour l'Institut Elabe câest dĂšs le 8[3]. Les intentions de vote des Ă©lecteurs « certains » dâaller voter Ă©cartent les indĂ©cis[3], les incertains[3], et ceux qui le plus souvent, ou bien dans un contexte particulier, ne se dĂ©cident que tardivement[3]. Ainsi, « une catĂ©gorie dâĂ©lecteurs passerait systĂ©matiquement sous les radars » des instituts de sondages[4].
Biais de sélection des candidats
Les sondages peuvent inciter à se présenter à une élection. Ainsi, portés par les sondages, Edouard Balladur et Raymond Barre se sont présentés aux présidentielles de 1995 et 1988, mais ont finalement perdu.
L'alternative à la sélection des candidats par les sondages est le recours à une élection primaire pour désigner le candidat de chaque parti, jusqu'à un an avant l'élection, et permettre aux personnalités et militants de ce parti de s'unir dans la campagne, les divergences ayant été débattues en amont, avant l'élection primaire. à partir de 2011 se sont tenues des élections primaires en France qui ont opté pour le libre accÚs aux non-adhérents. Le grand nombre de participants, 2,66 millions au 1er tour et 2,86 millions au second pour la Primaire citoyenne de 2011, commune au PS et au PRG, amenant les partis LR, PCD à mettre sur pied cinq ans aprÚs la Primaire ouverte de la droite et du centre qui a réuni respectivmeent 4,30 millions et 4,40 millions de participants.
Biais dans la fiabilité des réponses
La critique des sondages montre que les réponses apportées par les sondés ne présentent aucune garantie de véracité[49]. Plusieurs phénomÚnes peuvent biaiser les réponses des sondés qui :
- n'ont pas d'idĂ©es formĂ©es sur les questions et rĂ©pondent au hasard, pour le privilĂšge d'ĂȘtre sondĂ© ;
- trouvent le questionnaire trop long, s'ennuient, pensent à autre chose et répondent au plus vite ;
- répondent en fonction des idées qui circulent dans leur entourage proche[50];
- répondent en fonction des résultats qu'ils aimeraient voir publiés ;
- n'assument pas la réalité de leur opinion ou pratique, préférant quelque chose de plus consensuel.
RĂ©pondre Ă un sondage donne la gratification de pouvoir dĂ©terminer la rĂ©alitĂ© sociale, mĂȘme sans avis personnel jusque lĂ sur la question. Les sociologues ont observĂ© que trois Ă©chantillons reprĂ©sentatifs peuvent exprimer des rĂ©ponses opposĂ©es sur un mĂȘme sujet, en fonction de la façon de poser la question.
Lorsque l'interviewĂ© rĂ©pond « je ne sais pas » il est parfois sollicitĂ© avec insistance car l'enquĂȘteur a pour consigne de le « relancer ». MalgrĂ© ce biais, l'addition de toutes les rĂ©ponses fait comme si elles avaient toutes la mĂȘme valeur, qu'elles soient spontanĂ©es ou obtenues en insistant[51] - [52].
Les sondages par Internet présentent le biais de représenter plus facilement les personnes motivées par l'actualité[53].
Biais d'interprétation par les médias
Le 6 fĂ©vrier 2014 un sondage BVA dans Challenges, diffusĂ© sur BFM TV, mesure ce que pensaient les Français des rĂ©centes mesures Ă©conomiques du prĂ©sident de la RĂ©publique François Hollande. Pour le site de BFM-TV, « le pacte de responsabilitĂ© ne convainc pas les Français »[54], alors que pour le site de Challenges, « le "pacte" de Hollande ne convainc quâĂ moitiĂ© les Français »[55]. Ă l'inverse, avec les mĂȘmes chiffres, le site du Figaro conclu de son cĂŽtĂ© que « les Français approuvent le pacte de responsabilitĂ© »[56].
Pour FrĂ©dĂ©ric Lemaire, dans un article publiĂ© en sur le site de l'association de critique des mĂ©dias Acrimed, cette situation illustre la propension des commentateurs mĂ©diatiques à « voir le verre Ă moitiĂ© vide, ou Ă moitiĂ© plein » en fonction de leurs intĂ©rĂȘts[57].
Effet sur le vote
La sociologie électorale distingue différents effets:
- L'effet bandwagon, ou effet contagion, décrit le phénomÚne selon lequel la probabilité qu'une croyance, une idée, un comportement, soit adopté augmente en fonction de la proportion d'individus l'ayant adopté auparavant[58].
- L'effet underdog ou effet outsider est l'effet inverse. Littéralement effet challenger, il consiste en une sympathie pour le candidat donné perdant, ou une incitation à se remobiliser pour le camp annoncé dans ce cas[59].
- Les effets humble-the-winner (démobilisation des électeurs qui pensent que le candidat va gagner)[60] et snob-the-loser (démobilisation des électeurs qui pensent que l'élection est perdue)[60].
- L'effet de décalage entre les derniers de sondage et le résultat le soir du vote, avec une atténuation des victoires et une relativisation de la défaite, analysé par JérÎme Sainte-Marie[61].
Création d'une « démocratie d'opinion »
Les politologues parlent de l'avĂšnement d'une dĂ©mocratie d'opinion, ou sondagiĂšre, via un lien quasi instantanĂ© entre gouvernants et peuple, s'opposant Ă la dĂ©mocratie reprĂ©sentative et l'emportant sur les partis politiques et syndicats. Un mouvement social pourrait ĂȘtre ainsi discrĂ©ditĂ© sâil nâest pas soutenu par une majoritĂ© de personnes sondĂ©es.
Cet avÚnement influerait sur la communication politique : coups de communication (petites phrases, vidéos, tweets, interventions au Parlement, dans les médias, dans les manifestations) pour conquérir l'opinion par son image plus que par les idées.
Les hommes politiques seraient amenĂ©s Ă suivre lâopinion majoritaire, plutĂŽt qu'un projet politique rĂ©flĂ©chi et cohĂ©rent, et Ă abandonner les mesures discrĂ©ditĂ©es dans les sondages.
Pour Jacques Le Bohec, professeur en sciences de l'information et de la communication, ils « rythment de plus en plus fortement la dramaturgie Ă©lectorale » et favorisent la dĂ©mocratie d'opinion car cette forme d'enquĂȘte, malgrĂ© ses nombreux biais techniques, reste aurĂ©olĂ©e du prestige du chiffrage[62].
Les sondages, en transformant une « opinion publique » globalisĂ©e en acteur central de la vie politique, sur le thĂšme « les Français pensent que » (dans le cas de la France), favoriseraient le consensus, le conformisme et feraient taire les opinions divergentes, d'oĂč l'accusation d'instrumentalisation et de manipulation. Pour le politologue Patrick Champagne, les sondeurs pourraient correspondre Ă des « faiseurs d'opinion ». Ils contribueraient Ă dicter l'agenda mĂ©diatique et Ă organiser les dĂ©bats.
Par exemple, la photo d'Alan Kurdi, jeune migrant mort en mer, a donné lieu en France à des sondages immédiats, accusés d'instrumentaliser l'émotion sans effet durable, faisant croire que les Français étaient devenus majoritairement complaisants à l'accueil de réfugiés, ce qui n'a pas été le cas ensuite.
Années 1930
Les sondages d'opinion politiques naissent aprĂšs le dĂ©veloppement de cette technique en marketing, selon Loic Blondiaux[63]. Le journaliste G.H. Gallup fonde l'« American Institute of Public Opinion » Ă l'occasion de lâĂ©lection prĂ©sidentielle amĂ©ricaine de 1936. Puis en 1937, l'organisme de recherches Mass-Observation fondĂ© Ă Londres, lance une sĂ©rie d'enquĂȘtes auprĂšs de centaines de volontaires.
En France, la premiĂšre enquĂȘte d'opinion est lancĂ©e en par l'IFOP (Institut Français d'Opinion Publique) de Jean Stoetzel. Sa revue Sondages demande aux sondĂ©s « Faut-il mourir pour Dantzig ? » en juin, juillet et et le 22 juillet 1939 paraĂźt dans Paris-Soir le premier sondage d'opinion français diffusĂ© par la presse[64] - [65]. Il est rĂ©alisĂ© par le Centre d'Ă©tudes de l'opinion publique[66], crĂ©Ă© par Alfred Max[67], peu avant que la publication de sondages ne soit interdite par la censure[68].
Années 1940
Les critiques des sondages d'opinion sont anciennes. DĂšs 1943 Jean Stoetzel dans sa thĂšse consacrĂ©e Ă la « ThĂ©orie des opinions »[69] met en garde contre le caractĂšre parfois dangereux et abusif de l'enquĂȘte d'opinion : celle-ci porte en effet sur des Ă©lĂ©ments souvent Ă©phĂ©mĂšres, insincĂšres, vagues ou incomprĂ©hensifs et de surcroĂźt traitĂ©s par des enquĂȘteurs dont la neutralitĂ© n'est pas toujours assurĂ©e. De plus, sur le fond, l'enquĂȘte va Ă l'encontre de la rĂšgle-postulat en sociologie, « Ă savoir que la motivation consciente de nos actes n'a rien Ă voir avec leur vĂ©ritable causalitĂ© ». En 1948, un autre psycho-sociologue, Herbert Blumer s'interroge Ă©galement Ă leur propos[70] tandis que Bourdieu affirme en 1973 dans un article des Temps modernes « L'Opinion publique n'existe pas ».
Années 1960
Les années 1960 voient l'arrivée dans la vie publique du référendum populaire. Les sondages, en suivant le modÚle du référendum ont permis de construire une notion d'opinion publique qui demeure une construction idéologique attribuant une et une seule opinion à une société perçue comme un phénomÚne simple et unifié. Elle n'est pourtant pas une personne, elle est constituée de structures, de groupes aux compétences et aux connaissances variées. La capacité de construire une opinion, de connaßtre un sujet n'est pas uniformément répartie dans la population. Le sondage donne pourtant une forme prédéfinie à la question et place toutes les opinions sur un pied d'égalité.
Ă partir de la fin des annĂ©es 1960, alors que la place des sondages sâaccroĂźt considĂ©rablement avec l'essor de la communication politique, une loi est promulguĂ©e pour rĂ©glementer la fabrication et la diffusion des sondages d'opinion en pĂ©riode Ă©lectorale (loi no 77-808 du , modifiĂ©e le [71]). Le souci du lĂ©gislateur est de protĂ©ger la libre dĂ©termination du corps Ă©lectoral d'une influence dĂ©mesurĂ©e des sondages en les interdisant la semaine prĂ©cĂ©dant le scrutin (pĂ©riode ramenĂ©e Ă 1 jour depuis 2002) et en crĂ©ant une autoritĂ© de rĂ©gulation, la Commission des Sondages.
Années 1970
En bref, les sciences humaines sont divisĂ©es sur la notion d'opinion publique, depuis leurs origines. Pas moins d'une cinquantaine de dĂ©finitions en ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© donnĂ©es, dont certaines ne pourront jamais ĂȘtre conciliĂ©es avec d'autres ce qui semble rendre illusoire de croire qu'il existe une opinion publique simple et Ă©tablie, ce que pourtant prĂ©tendent faire les entreprises de sondages.
Pierre Bourdieu a pointé ce danger dans un article de 1973 intitulé L'opinion publique n'existe pas[72].
Années 1990
En 1990, dans « Faire l'opinion, le nouveau jeu politique »[73], le sociologue Patrick Champagne estime que des professions para-politiques (sondeurs, journalistes, chercheurs) se sont emparées des sondages pour imposer leur vision du monde, via leur propre interprétation de ce que veut le peuple et en 1997 Loïc Blondiaux parle « d'OPA sur la notion d'opinion publique »[74] : le principe de la démocratie représentative ne consiste à faire trancher les votants qu'aprÚs un débat entre positions majoritaires mais aussi minoritaires, assuré par des représentants, experts et militants.
Les grĂšves massives de la fin 1995 en France ont lieu quelques mois aprĂšs une grosse erreur des sondeurs lors de l'Ălection prĂ©sidentielle française de 1995, remportĂ©e par Jacques Chirac, qui Ă©limine son rival de droite le premier ministre Edouard Balladur au premier tour[75].
A trois mois de la prĂ©sidentielle, dĂ©but fĂ©vrier 1995, les sondages donnaient pourtant Balladur en tĂȘte au premier tour avec 29% des voix[75], devant Lionel Jospin (24%)[75], trĂšs loin aussi devant Jacques Chirac (16%)[75], et Ă©lu au second dans un fauteuil avec 58% contre 42% Ă Jospin[75]. Mais finalement Jacques Chirac (20,84%) arrive avec deux points de demi devant Balladur (18,5%) au premier tour[75] et l'emporte largement au second tour contre Lionel Jospin pourtant en tĂȘte au premier tour avec 23,3%[75].
Présidentielle 2002
Lors de la prĂ©sidentielle 2002, les prĂ©visions erronĂ©es des sondeurs ont fortement Ă©cornĂ© leur crĂ©dibilitĂ©[76]. Ă 90 jours du scrutin, Ipsos donnait au prĂ©sident de la RĂ©publique Jacques Chirac 28% au premier tour contre 24% Ă Lionel Jospin, son Premier ministre, trĂšs loin devant Jean-Pierre ChevĂšnement 10% et Jean-Marie Le Pen 8%. Les deux premiers feront 36% Ă eux deux , soit 18 points de moins que ce qui leur Ă©tait promis. Toutes les enquĂȘtes d'opinion, y compris celles menĂ©es la semaine prĂ©cĂ©dant le premier tour du , prĂ©voyaient encore sans ambiguĂŻtĂ© un second tour opposant Lionel Jospin Ă Jacques Chirac[77].
Finalement, c'est Jean-Marie Le Pen qui a accédé au second tour avec un score plus que doublé par rapport à celui promis en février. Prévenu de sa montée, Jospin aurait refusé de changer sa campagne et montrer son affaiblissement[78]. L'argument généralement avancé par les sondeurs est que les sondages sont une « photographie » de l'opinion, et non pas un outil de prédiction.
Présidentielle 2007
Le leader centriste François Bayrou avait critiqué au cours de cette campagne avec virulence les sondeurs, qui le plaçaient en dessous de Jean-Marie Le Pen encore le [45], alors qu'il a fait 8 points de plus (18,5 % contre 10,5 %) le soir du 1er tour, le [45]. Les sondages sur l'élection présidentielle française de 2007 furent marquées par cette percée éclair de Bayrou: encore à 10% en moyenne fin janvier avant de décoller le mois suivant pour culminer à 24% le 7 mars (CSA), 23% le 9 mars (IFOP) et le 15 mars (Sofres), et 22,5% le 22 mars et 22% (LH2) le 19 mars, puis finir à 18,5%. A gauche, SégolÚne Royail, un temps distancée par François Bayrou dans certains sondages avait finalement bénéficié du vote utile au détriment de José Bové, Dominique Voynet (EELV) et Marie-Georges Buffet (PCF).
LĂ©gislatives de 2007
Les lĂ©gislatives de 2007 ont mis en difficultĂ© les sondeurs opĂ©rant par rapport au dĂ©bat politique national[79] alors que ces Ă©lections obĂ©issent Ă d'autres logiques plus locales, dans les 577 circonscriptions, toutes diffĂ©rentes. Enfin, depuis les annĂ©es 2000, les sondages sont principalement rĂ©alisĂ©s par Internet Ă partir de bases de donnĂ©es crĂ©Ă©es et administrĂ©es par les instituts eux-mĂȘmes oĂč des volontaires viennent s'inscrire eux-mĂȘmes. Or, pour Jean Chiche, statisticien au CEVIPOF, « En statistique il n'est jamais bon de travailler sur des Ă©chantillons de volontaires car ils peuvent ĂȘtre plus sensibles aux thĂ©matiques des enquĂȘtes, plus en adĂ©quation avec le systĂšme »[80]. Jean Chiche ajoute qu'avec cette mĂ©thode basĂ©e sur le volontariat, « une partie de plus en plus importante de la population va passer au travers ».
Enfin, pour motiver les volontaires, les sondeurs leurs remettent des gratifications, c'est-à -dire des cadeaux, des bons d'achat ou de petites rémunérations, risquant ainsi d'entraßner une professionnalisation des sondés[80] - [81].
Présidentielle de 2012
Les sondages se sont aussi largement trompĂ©s lors de l'Ă©lection prĂ©sidentielle française de 2012, d'abord marquĂ©e par la suprĂ©matie des candidats socialistes : LH2 en va mĂȘme jusqu'Ă crĂ©diter Dominique Strauss-Kahn d'une avance de 30 points sur Nicolas Sarkozy avec 65 % d'intentions de vote au second tour. François Hollande et Martine Aubry, autres candidats potentiels du PS, bĂ©nĂ©ficient d'avances presque aussi Ă©levĂ©es, mais au soir du second tour François Hollande n'aura finalement que 3 points de plus que Nicolas Sarkozy. Un sondage BVA en crĂ©dite François Hollande de 16 points d'avance au premier tour et de 28 au second et plusieurs sondages placent mĂȘme la candidate du Front national, Marine Le Pen, devant le prĂ©sident sortant, mais Nicolas Sarkozy s'est finalement qualifiĂ©, avec seulement un point de moins que son rival François Hollande au premier tour.
Dans le vote final, les « petits candidats » sont victimes du "vote utile" et ne dĂ©passent guĂšre les 2 %, y compris Eva Joly, qui avait frĂŽlĂ© la barre des 10 % dans un sondage en 2011, Ă l'exception de Jean-Luc MĂ©lenchon, qui passe d'environ 6 % dĂ©but janvier[82] et 7% Ă 8 % en fĂ©vrier, Ă 17 % Ă moins de deux semaines du premier tour[83] contribuant Ă l'Ă©rosion des intentions de vote en faveur du candidat socialiste mĂȘme s'il retombe finalement.
Présidentielle de 2017
Lors de l'Ă©lection prĂ©sidentielle française de 2017, les sondages effectuĂ©s en fĂ©vrier placent Benoit Hamon, vainqueur de la primaire socialiste, dans une fourchette de 15-17%, soit 9 Ă 11 points de plus que son rĂ©sultat final. Il Ă©tait alors environ six points devant Jean-Luc MĂ©lenchon puis les courbes se sont croisĂ©es Ă la mi-mars, avant une envolĂ©e de Jean-Luc MĂ©lenchon fin mars, qui l'amĂšne Ă 19,6%, 9 points de plus que dĂ©but fĂ©vrier et seulement un point et demi du 2Ăšme tour, oĂč c'est Marine Le Pen qui se qualifie mais avec seulement 21% contre 25% en moyenne encore dans les sondages dĂ©but avril[84] - [85].
Européennes de 2019
Avant les europĂ©ennes de 2019, les sondages donnaient en moyenne 8,5% Ă EELV qui a fait finalement 13,5% et 13,5% Ă LR qui le jour du vote n'a fait que 8,5%, une double erreur de 5 points, expliquĂ©e par le biais d'un vote des jeunes finalement plus important que prĂ©vu, mĂȘme si beaucoup d'entre eux ne rĂ©pondaient peu aux sondeurs.
Dans les annĂ©es 2010, les sondages font de plus en plus face Ă un Ă©lecteur imprĂ©visible : participation intermittente, ou dâune Ă©lection Ă lâautre, fluiditĂ© Ă©lectorale, vote cachĂ©, problĂšmes de fidĂ©litĂ© des rĂ©ponses Ă l'opinion politique. D'oĂč le recours Ă un autre type d'analyse prĂ©dictive, les marchĂ©s de prĂ©diction mais ces deniers ont Ă©galement des problĂšmes de fiabilitĂ©[86].
RĂ©gionales de 2021
Comme ses concurrents, l'Ifop avait estimĂ© lâabstention le vendredi prĂ©cĂ©dent le premier tour des Ă©lections rĂ©gionales Ă 60 %, trĂšs en dessous des 66,72 %, ce qui a selon eux expliquĂ© aussi l'Ă©cart entre les prĂ©visions des instituts et les rĂ©sultats, notamment pour le Rassemblement national, dont les scores dans la plupart des RĂ©gions ont Ă©tĂ© plus bas que prĂ©vu[87]. Selon FrĂ©dĂ©ric Dabi, le responsable de l'Ifop, pour tenir compte de cette difficultĂ© il faut parfois remonter ou baisser de quelques points un candidat ou un autre. Par ailleurs, selon lui, l'arrivĂ©e d'Internet a facilitĂ© le travail permettant de crĂ©er de base de donnĂ©es de consommateurs affiliĂ©s Ă diffĂ©rentes marques commerciales permettant de trouver plus facilement de quoi constituer un Ă©chantillon, sans passer par « une fastidieuse recherche par tĂ©lĂ©phone » et autant d'enquĂȘteurs qu'avant.
Historique des sondages par pays
Présidentielles françaises
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 1965
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 1969
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 1974
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 1981
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 1988
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 1995
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 2002
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 2007
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 2012
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 2017
- Liste des sondages ayant précédé l'élection présidentielle française de 2022
Législatives françaises
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 1968
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 1973
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 1978
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 1981
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 1986
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 1988
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 1993
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 2002
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 2007
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 2012
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 2017
- Liste des sondages ayant précédé les élections législatives françaises de 2022
Notes et références
- "5 choses Ă surveiller absolument lorsque vous lisez un sondage" par Lucie Alexandre le 22 octobre dans L'Obs
- Ădouard Lecerf (TNS Sofres) et JĂ©rĂŽme Sainte-Marie (CSA) dans l'Ă©mission Ligne j@une du 9 mars 2011 sur www.arretsurimages.net
- "Ălection prĂ©sidentielle 2022 : biais et disparitĂ©s mĂ©thodologiques des intentions de vote" par Bruno CautrĂšs, chercheur au CNRS et au Cevipof-Sciences Po, Le Monde, 10 octobre 2021
- "PrĂ©sidentielle : les sondeurs en quĂȘte des Ă©lecteurs cachĂ©s" par ValĂ©rie de Senneville, Les Ăchos, 17 avril 2017
- En général, soit
- la probabilitĂ© selon la distribution normale, on a et la marge dâerreur .
- Voir Robert Worcester, « Political Polling : 95% Expertise and 5% Luck », J.R. Statist. Soc. A, 1996, 159, p. 8
- L'élection dans le miroir des sondages, Jean-Dominique Merchet, Paul Quinot, Libération, 27 février 2007
- (fr) « Primaire: zĂ©ro Ă©lecteur Ă©colo dans le sondage LibĂ©rationâViavoice ? Possible⊠»(Archive.org âą Wikiwix âą Archive.is âą Google âą Que faire ?) (consultĂ© le ), Marianne,
- si l'on estime que la mesure de l'opinion est une variable aléatoire réelle suivant une loi normale, on peut déterminer l'intervalle de confiance grùce à la loi de Student
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Annexes
Articles connexes
- Technique des sondages
- L'intelligence sociale
- Les sondages en sciences humaines.
- Bibliographie pour les méthodologies pratiques en sociologie
- Push poll (en)
- Opinion publique
- Entreprise de sondages
- Cote d'avenir
Bibliographie
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- Michel Lejeune, La SinguliĂšre Fabrique des sondages d'opinion, L'Harmattan, 2021, 168 p.
- Frédéric Micheau, Le sacre de l'opinion - Une histoire de la présidentielle et des sondages, éditions du Cerf, 2022.
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Cours de Conception et administration de questionnaires pour les sondages
- La Commission des Sondages, chargée du contrÎle des entreprises de sondages