Premier Empire bulgare
La dĂ©nomination Premier Empire bulgare (en bulgare : бŃлгаŃŃŃĐșĐŸ ŃŃŁŃĐ°ŃŃŃŃĐČОф, bĆlgarĐ»sko cÄsarÄstvije) dĂ©signe deux Ătats mĂ©diĂ©vaux successifs : le khanat bulgare du Danube (681-864) et le tsarat bulgare (864-1018) gouvernĂ©s par une aristocratie proto-bulgare de boyards initialement tengristes, convertis au christianisme oriental Ă partir de 864 et rĂ©gnant, de part et dâautre du bas-Danube, sur des populations slaves, valaques, grecques, albanaises et autres, dĂ©jĂ chrĂ©tiennes. Cet Ătat du sud-est de lâEurope, fondĂ© Ă la suite de la victoire bulgare dâOngal gagnĂ©e par Asparoukh contre les Byzantins de Constantin IV, exista entre le VIIe siĂšcle et le XIe siĂšcle. Il rĂ©alisa une brillante osmose culturelle entre ses diffĂ©rentes composantes, adoptant le nom de sa noblesse fondatrice (ĐŃлгаŃĐžŃ et en grec ÎÎżÏ Î»ÎłÎ±Ïία : Bulgarie[3]), la langue de la majoritĂ© slave de ses sujets (qui devĂźnt aussi sa langue liturgique), la foi chrĂ©tienne de rite grec, et deux alphabets nouveaux adaptĂ©s aux langues slaves, dĂ©rivĂ©s de lâalphabet grec : le glagolitique et le cyrillique. Au sommet de sa puissance, sous SimĂ©on Ier, le Premier Empire bulgare sâĂ©tendait du coude du Danube au Dniepr et de la mer Adriatique Ă la mer Noire, ne laissant aux Byzantins que les cĂŽtes des actuelles Albanie, GrĂšce et Thrace.
Statut |
Khan (865-917) Tsar (917-1019) |
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Capitale |
Pliska (865-893) Preslav (893-972) Skopje (972-992) Ohrid (992-1018) |
Langue(s) | Protobulgare (en), vieux-slave et grec médiéval |
Religion |
Tengrisme (632-864) Christianisme grec (864-1018) |
Population (en 681[2]) | env. 400 000 habitants |
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âą 814[2] | env. 900 000 habitants |
âą 927[2] | env. 1 400 000 habitants |
âą 970[2] | env. 1 800 000 habitants |
âą 1017 | env. 500 000 habitants |
852 | DĂ©but du rĂšgne de Boris Ier de Bulgarie |
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864 | Conversion au christianisme grec de l'aristocratie protobulgare |
1018 | Chute |
Entités précédentes :
- Khanat bulgare du Danube
- Khaganat avar (nord-ouest)
- Sklavinies et Valachies (joupanats dispersés)
- Empire byzantin (sud)
Entités suivantes :
- Grande-principauté de Hongrie (nord-ouest)
- PétchénÚgues et Coumans (nord-est)
- Empire byzantin (sud)
AprĂšs avoir consolidĂ© sa position dans les Balkans, la Bulgarie entra dans une pĂ©riode sâĂ©tendant sur plusieurs siĂšcles de relations parfois amicales, mais la plupart du temps hostiles avec lâEmpire byzantin. Ămergeant comme principal adversaire de lâEmpire byzantin au nord, le Premier Empire bulgare sauva toutefois Constantinople, notamment lors du deuxiĂšme siĂšge arabe de la capitale impĂ©riale, au cours duquel lâarmĂ©e bulgare brisa le siĂšge et dispersa les assaillants, Ă©vitant ainsi lâinvasion arabe du sud-est de lâEurope. De son cĂŽtĂ© Constantinople exerça une forte influence culturelle, architecturale, religieuse et littĂ©raire sur la Bulgarie. AprĂšs la dĂ©sintĂ©gration du khaganat avar, la Bulgarie commença Ă Ă©tendre son territoire au nord-ouest vers la plaine du moyen-Danube (que les gĂ©ographes hongrois modernes appellent plaine de Pannonie). Plus tard, les Bulgares mirent fin Ă lâavancĂ©e des PetchenĂšgues et des Coumans vers le bas-Danube et remportĂšrent dans le Boudjak une Ă©clatante victoire sur les Magyars, forçant ceux-ci Ă sâĂ©tablir dans cette mĂȘme plaine de Pannonie.
Ă la fin du IXe siĂšcle et au dĂ©but du Xe siĂšcle, aprĂšs une sĂ©rie de victoires contre les Byzantins, ceux-ci reconnurent Ă SimĂ©on Ier le titre de « CĂ©sar » (en bulgare « Tzar ») soit « empereur », dâoĂč le nom de Premier « Empire » bulgare donnĂ© Ă son Ătat par lâhistoriographie moderne. AprĂšs la dĂ©faite de lâarmĂ©e byzantine Ă la bataille dâAnchialos en 917, les Bulgares mirent le siĂšge devant Constantinople en 923 et 924. Les Byzantins devaient toutefois sâen relever et sous Basile II infliger aux Bulgares une dĂ©faite dĂ©cisive lors de la bataille de la passe de Kleidion. En 1018, les derniĂšres possessions bulgares durent se rendre aux Byzantins et le Premier Empire bulgare cessa dâexister pour se rĂ©tablir en 1185 sous le nom de DeuxiĂšme Empire bulgare.
Appellation
Depuis 681 et sa reconnaissance par lâEmpire byzantin, le premier Empire bulgare fut connu simplement dans les textes sous le nom de Bulgaria (en grec : ÎÎżÏ Î»ÎłÎ±Ïία)[3]. Pour la distinguer de lâancienne Grande Bulgarie (632-668, situĂ©e en Ukraine) et de la Bulgarie de la Volga fondĂ©e par un autre groupe Proto-Bulgares, on utilise aussi les termes « Bulgarie du Danube »[4] ou « Premier Ătat bulgare »[5] - [6]. Pour la pĂ©riode 681-864, on trouve Ă©galement dans lâhistoriographie moderne le titre de « Khanat bulgare (Bulgarian Khanate)»[7] ou le « Khaganat bulgare (Bulgar Khaganate) »[8], dâaprĂšs le titre turcophone de « khan » ou « khagan » que portaient ses dirigeants. On spĂ©cifie souvent khanat bulgare du Danube (Danube Bulgarian Khanate ou Danube Bulgar Khanat)[9] - [10].
Dâabord appelĂ© « prince » ou « knyaz »[11] depuis Boris Ier, le souverain bulgare prit en 917 avec SimĂ©on Ier le titre dâ « empereur » ou « tsar »[12] et le pays fut connu comme « Empire bulgare »[13].
Migrations slaves et proto-bulgares dans les Balkans
LâEmpire romain dâOrient
Au Ier siĂšcle lâest de la pĂ©ninsule des Balkans jusquâau Danube avait Ă©tĂ© graduellement incorporĂ© dans lâEmpire romain[14]. Les invasions des Goths et des Huns avaient fait en sorte que la rĂ©gion Ă©tait, au Ve siĂšcle, dĂ©peuplĂ©e et dĂ©vastĂ©e[15]. NĂ© de la scission de lâEmpire romain, lâEmpire byzantin nâĂ©tait plus en mesure dâassurer le contrĂŽle de ces territoires, sauf sur les cĂŽtes et dans quelques villes de lâintĂ©rieur. Toutefois, il continuait Ă prĂ©tendre que sa souverainetĂ© sâĂ©tendait sur lâensemble de la rĂ©gion jusquâau Danube. Des rĂ©formes administratives, lĂ©gislatives, militaires et Ă©conomiques tentĂšrent de remĂ©dier Ă la situation, mais le dĂ©sordre continuait Ă rĂ©gner dans la plus grande partie des Balkans[16]. Au VIe siĂšcle, lâempereur Justinien Ier (r. 527-565) tenta de reprendre le contrĂŽle de la situation en reconstruisant notamment nombre de forteresses, mais aprĂšs sa mort, faute de ressources militaires et financiĂšres, lâempire fut incapable de contenir la menace que les Slaves faisaient maintenant peser sur ses frontiĂšres[17].
Les migrations slaves dans les Balkans
Peuples dâorigine indo-europĂ©enne, les Slaves sont mentionnĂ©s dans les sources comme habitant au Ve siĂšcle les territoires situĂ©s au nord du Danube; toutefois, la plupart des historiens estiment que leur arrivĂ©e sâĂ©tait effectuĂ©e plus tĂŽt[18]. Le groupe auquel on donne le nom de « Slaves du sud » Ă©tait divisĂ© entre les Antes et les SclavĂšnes qui parlaient la mĂȘme langue[18] - [19]. Les incursions slaves dans les Balkans augmentĂšrent au cours de la deuxiĂšme partie du rĂšgne de Justinien Ier. Sâil ne sâagissait au dĂ©but que de raids de pillage, les dĂ©cennies 570 et 580 devaient voir les premiĂšres installations de colons sur une grande Ă©chelle[19] - [20] - [21]. Cette migration coĂŻncidait avec lâarrivĂ©e des Avars qui sâinstallĂšrent dans les plaines de Pannonie entre le Danube et la Tisza dans les annĂ©es 560, assujettissant au passage diverses populations proto-bulgares et slaves[19] - [22].
Tout entiers Ă leurs guerres avec les Perses sassanides, il ne restait aux Byzantins que peu de ressources disponibles pour lutter contre les Slaves[23] - [24], dâautant plus que leur grand nombre et lâabsence dâorganisation politique structurĂ©e rendaient difficile de les combattre[23]. Les guerres perses se poursuivant, les dĂ©cennies 610 et 620 virent de nouvelles vagues de migrants slaves qui avancĂšrent dans les Balkans, atteignant la Thessalie, la Thrace et le PĂ©loponnĂšse pendant que des raids ravageaient certaines iles de la mer ĂgĂ©e[25]. Si les Byzantins rĂ©ussirent Ă se maintenir Ă Thessalonique et dans dâautres villes cĂŽtiĂšres, lâautoritĂ© impĂ©riale ne rĂ©ussit plus Ă sâimposer Ă lâintĂ©rieur du pays[26].
Les Proto-Bulgares
Les Proto-Bulgares formaient des tribus guerriĂšres semi-nomades venues de lâAsie centrale, lesquelles absorbĂšrent durant leurs migrations vers lâouest dâautres groupes ethniques appartenant Ă des cultures variĂ©es : hunniques, iraniennes et indo-europĂ©ennes[27]. Parmi les tribus proto-bulgares se trouvaient entre autres les Onoghours, les Outhigours, les Kouthrigours[28] - [29].
La premiĂšre mention spĂ©cifique concernant les Proto-Bulgares dans les sources Ă©crites date de 480 alors quâils Ă©taient alliĂ©s de lâempereur ZĂ©non (r. 474-491) contre les Ostrogoths[30] quoique lâon trouve une obscure rĂ©fĂ©rence Ă un Ziezi ex quo Vulgares dans le Chronographe de 354, dans lequel Ziezi serait un rejetant de Sem, fils de NoĂ©, dans la Bible[31] - [32]. Dans les annĂ©es 490, les Kouthrigours sâĂ©taient dĂ©placĂ©s Ă lâouest de la mer Noire alors que les Outhigours habitaient Ă lâest. Dans la premiĂšre moitiĂ© du VIe siĂšcle, les Proto-Bulgares firent des raids dans lâEmpire byzantin, mais dans la deuxiĂšme moitiĂ© de ce siĂšcle, les Kouthrigours furent conquis par le khaganat Avar et les Outhigours passĂšrent sous la domination du khaganat turc occidental[33] - [34].
Lorsque faiblit la puissance des Turcs occidentaux dans les annĂ©es 600, les Avars rĂ©affirmĂšrent leur domination sur les Proto-Bulgares. Entre 630 et 635, le khan Koubrat appartenant au clan Doulo rĂ©ussit Ă unifier les principales tribus proto-bulgares et Ă se libĂ©rer de la domination avare, crĂ©ant une puissante confĂ©dĂ©ration de tribus appelĂ©e Ancienne Grande Bulgarie aussi connue sous le nom de Patria Onoguria entre la mer Noire, la mer dâAzov et le Caucase[35] - [36]. BaptisĂ© Ă Constantinople en 619, le khan Koubrat conclut une alliance avec lâempereur HĂ©raclius (r. 610-641) et les deux pays demeurĂšrent en paix jusquâĂ la mort de Koubrat entre 650 et 663[35]. Koubrat dut combattre les Khazars Ă lâest, mais ceux-ci eurent le dessus aprĂšs sa mort entraĂźnant la dissolution de lâAncienne Grande Bulgarie en 668[37], ses cinq fils se dispersant avec leurs partisans. LâainĂ©, Batbayan, demeura sur place en tant que successeur de Koubrat et devint par la suite vassal des Khazars. Le second frĂšre, Kotrag, se dirigea vers la rĂ©gion de la mi-Volga et fonda le Khanat bulgare de la Volga[38]. Le troisiĂšme, Asparoukh, conduisit son peuple vers lâouest sur le cours du Danube infĂ©rieur[35]. Le quatriĂšme, Kuber, sâinstalla dâabord en Pannonie sous suzerainetĂ© avare, mais se rĂ©volta par la suite et se dirigea vers la MacĂ©doine. Le cinquiĂšme, Alcek, sâinstalla en Italie centrale[39] - [40].
La Bulgarie sous les khans (681 â 852)
Sous Asparoukh et Tervel (681 â 721)
Sous la conduite dâAsparoukh, les Proto-Bulgares migrĂšrent vers lâouest dans ce qui est aujourdâhui la Bessarabie, conquĂ©rant les territoires au nord du Danube dans la Valachie moderne avant de sâinstaller dans le delta du Danube[41]. PossĂ©dant dâimposants troupeaux, ils traversĂšrent le Danube dans les annĂ©es 670 et sâĂ©tablirent en Scythie Mineure, thĂ©oriquement territoire byzantin, ajoutant ainsi les vastes pĂąturages de cette rĂ©gion Ă ceux quâils contrĂŽlaient dĂ©jĂ Ă lâouest du Dniester[40] - [42] - [43]. Ayant rĂ©cemment dĂ©fait les Arabes, lâempereur Constantin IV (r. 668-685), conduisit une expĂ©dition terrestre et maritime en 680 pour chasser les Proto-Bulgares mais essuya un Ă©chec retentissant aux mains dâAsparoukh Ă Onglos, rĂ©gion marĂ©cageuse Ă lâembouchure du delta du Danube oĂč les Proto-Bulgares avaient Ă©tabli un camp fortifiĂ©[41] - [44]. Les Proto-Bulgares se dirigĂšrent alors vers le sud, traversĂšrent le Grand Balkan et envahirent la Thrace[45]. En 681, les Byzantins durent signer un traitĂ© humiliant les forçant Ă reconnaitre lâindĂ©pendance de la Bulgarie, Ă lui cĂ©der les territoires au nord du Grand Balkan et Ă payer au khan un tribut annuel[41] - [46]. Dans sa chronique universelle, Sigebert de Gembloux, chroniqueur bĂ©nĂ©dictin des XIe siĂšcle-XIIe siĂšcle, note que lâĂtat bulgare fut crĂ©Ă© en 680[47]. CâĂ©tait le premier Ătat indĂ©pendant que reconnaissait lâEmpire byzantin dans les Balkans et la premiĂšre fois quâil acceptait de cĂ©der une partie des territoires dont il rĂ©clamait la suzerainetĂ©[41]. Le chroniqueur byzantin ThĂ©ophane le Confesseur Ă©crira au sujet de ce traitĂ© :
« ⊠lâempereur [Constantin IV] conclut la paix avec eux [les Bulgares] et agrĂ©a de leur payer tribut, Ă la grande honte des Romains pour expier leurs pĂ©chĂ©s. Car il Ă©tait scandaleux pour tous les peuples, lointains ou rapprochĂ©s, dâapprendre que celui Ă qui tout le monde devait payer tribut, Ă lâest et Ă lâouest, au nord et au sud, avait Ă©tĂ© dĂ©fait par ce peuple sauvage et nouvellement arrivĂ©[45] - [48]. »
Le sujet des relations entre Proto-Bulgares et populations slaves font encore lâobjet de dĂ©bats dĂ©pendant de lâinterprĂ©tation que lâon fait des sources byzantines[49]. Selon Vasil Zlatarski, ils auraient conclu un traitĂ© avec elles[50], mais selon la plupart des autres historiens, ces derniĂšres auraient Ă©tĂ© soumises[49] - [51]. Sur le plan de lâorganisation et de la dĂ©fense, les Proto-Bulgares avaient la supĂ©rioritĂ©, ce qui leur permit de dominer lâĂtat, mais une collaboration existait entre eux et les Slaves pour la protection du pays. Les Slaves eurent la permission de conserver leurs chefs traditionnels et leurs coutumes, mais durent payer un tribut en nature et fournir des fantassins pour lâarmĂ©e[52]. Les sept tribus slaves furent relocalisĂ©es vers lâouest pour protĂ©ger la frontiĂšre contre les Avars, alors que les SĂ©verianes furent transportĂ©s dans la rĂ©gion montagneuse des Balkans pour protĂ©ger les cols vers lâEmpire byzantin[49].
Il est difficile dâestimer lâimportance numĂ©rique de la population proto-bulgare sous Asparoukh. Vasil Zlatarski et John Van Antwerp Fine estiment que celle-ci ne devait pas ĂȘtre particuliĂšrement nombreuse, avançant le chiffre de 10 000 personnes[53] - [54]. Steven Runciman croit pour sa part quâelle devait ĂȘtre considĂ©rable[55]. Les Proto-Bulgares sâĂ©tablirent principalement dans le nord-est du pays Ă©tablissant leur capitale Ă Pliska, laquelle Ă©tait Ă lâorigine un campement colossal de quelque 23 km2 protĂ©gĂ© par des remparts de terre[53] - [43].
Au nord-est, la guerre avec les Khazars continuait de faire rage et, en 700, le khan Asparoukh pĂ©rit alors quâil leur livrait bataille[56] - [57]. En dĂ©pit de ce revers, la consolidation du pays se poursuivit sous la direction du successeur dâAsparoukh, le khan Tervel (r. 700-721). En 705, il aida lâempereur dĂ©posĂ© Justinien II Ă regagner son trĂŽne moyennant lâaddition Ă la Bulgarie de la rĂ©gion de Zagore dans le nord de la Thrace, la premiĂšre expansion du pays au-delĂ du Grand Balkan[57]. De plus, Tervel se vit confĂ©rer le titre de « CĂ©sar »[58], et assis sur un trĂŽne aux cĂŽtĂ©s de lâempereur, reçut les hommages de la population de Constantinople ainsi que de nombreux cadeaux[57] - [58]. NĂ©anmoins, trois ans plus tard, lorsque Justinien voulut reprendre le territoire quâil avait cĂ©dĂ©, il fut dĂ©fait lors de la bataille dâAnchialos[59]. Les Ă©chauffourĂ©es continuĂšrent jusquâen 716 lorsque Tervel signa un important accord avec Byzance dĂ©finissant les frontiĂšres entre les deux pays, fixant le tribut que Constantinople devait lui payer, rĂ©glant les relations commerciales, ainsi quâun Ă©change de prisonniers et fugitifs[58] - [60]. Lors du siĂšge de Constantinople par les Arabes en 717-718, Tervel envoya son armĂ©e au secours de la capitale assiĂ©gĂ©e. Lors de la bataille dĂ©cisive qui se dĂ©roula sous les murs de la ville, les Bulgares massacrĂšrent entre 22 000[61] et 30 000 Arabes[62], les forçant Ă abandonner leur entreprise. La plupart des historiens voient dans cette victoire lâarrĂȘt des offensives arabes contre lâEurope[60].
La lutte pour la survie (753-803)
La dynastie des Doulo sâĂ©teignit Ă la mort du khan Sevar (r. 738 â 753); le khanat devait connaitre une longue crise politique au cours de laquelle le pays vint prĂšs de disparaitre. En lâespace de sept ans, sept khans se succĂ©dĂšrent sur le trĂŽne qui moururent tous assassinĂ©s. Les seules sources subsistant pour cette pĂ©riode trouble sont toutes byzantines et ne donnent que le point de vue byzantin[60]. Elles nous prĂ©sentent deux factions luttant pour le pouvoir, lâune qui cherchait Ă maintenir de bonnes relations avec lâempire et qui domina la scĂšne jusquâen 755, lâautre qui voulait la guerre[60]. Ces mĂȘmes sources byzantines font ainsi des relations avec lâEmpire byzantin la principale raison des conflits internes en Bulgarie; il est probable toutefois quâil y eut dâautres motifs, plus importants aux yeux des Ă©lites locales[60], au nombre desquels les relations entre la population bulgare et la population slave, beaucoup plus nombreuse. Il nâexiste toutefois aucune preuve qui viendrait corroborer cette hypothĂšse[63]. Pour Zlatarski, il semblerait que lâaristocratie militaire bulgare ait Ă©tĂ© en faveur de la guerre, alors que les autres Ă©lites ainsi que la population slave auraient plutĂŽt Ă©tĂ© en faveur de la paix avec Byzance[64].
Constantin V (r. 745-775), lâ « empereur-soldat », profita de cette instabilitĂ© intĂ©rieure pour lancer pas moins de neuf campagnes contre la Bulgarie[65]. Ayant rĂ©ussi Ă mettre en Ă©chec le pĂ©ril arabe durant la premiĂšre partie de son rĂšgne, il put se concentrer sur la Bulgarie aprĂšs 755[66]. Il battit les Bulgares lors des batailles de Marcellae (756), dâAnchialos (763), de Lithosoria (774), mais fut dĂ©fait lors de la bataille du col de Rishki en 759 et perdit des centaines de navires lors dâune tempĂȘte en mer Noire. Si les succĂšs militaires byzantins eurent comme effet dâexacerber la crise en Bulgarie, elles amenĂšrent aussi diffĂ©rentes factions Ă sâunir pour rĂ©sister aux Byzantins comme on le vit Ă la grande rĂ©union de 766 lorsque la noblesse et « le peuple en armes » dĂ©nonça le khan Sabin avec ces mots : « GrĂące Ă vous les Romains ont enchainĂ© la Bulgarie! »[66] - [67]. En 774, le khan Telerig (r. 768-777) prit Constantin V au piĂšge en lui faisant avouer le nom de ses espions Ă la cour de Pliska, lesquels furent exĂ©cutĂ©s[66]. Lâempereur byzantin devait mourir lâannĂ©e suivante au cours dâune campagne de rĂ©torsion contre la Bulgarie[68] - [69]. En dĂ©pit de nombreuses victoires, les Byzantins ne purent jamais ni conquĂ©rir la Bulgarie, ni lui imposer leur suzerainetĂ© et une paix durable, tĂ©moignage de la rĂ©silience, des compĂ©tences militaires et de la cohĂ©rence interne de lâĂtat bulgare[70] - [71]. La dĂ©solation qui suivit les neuf campagnes successives de Constantin V rĂ©ussit surtout Ă unir les Slaves derriĂšre les Bulgares, Ă faire dĂ©tester les Byzantins et Ă ancrer la Bulgarie dans son rĂŽle de voisin hostile[70]. Les hostilitĂ©s se poursuivirent jusquâen 792 lorsque le khan Kardam (r. 777-803) remporta une imposante victoire lors de la bataille de Marcellae et obligea les Byzantins Ă payer Ă nouveau tribut aux khans[72]. Ă la suite de cette victoire, la Bulgarie put surmonter sa crise interne et aborder le nouveau siĂšcle plus forte et consolidĂ©e[73].
Sous le khan Krum (803-814)
Au cours du rĂšgne du khan Krum, la Bulgarie rĂ©ussit Ă doubler sa superficie au sud et au nord-ouest annexant les territoires le long du moyen Danube et de la Transylvanie. De 804 Ă 806, les armĂ©es bulgares rasĂšrent le khaganat avar qui avait dĂ©jĂ subi de terribles dĂ©faites aux mains des Francs en 796; la frontiĂšre avec lâEmpire franc fut fixĂ©e le long du moyen Danube ou de la Tisza[70]. Les tentatives byzantines pour consolider leur pouvoir sur les populations slaves de MacĂ©doine et du nord de la GrĂšce ainsi quâun raid byzantin contre le pays provoquĂšrent les Bulgares, lesquels se prĂ©parĂšrent Ă nouveau Ă affronter lâEmpire byzantin[74] - [75]. En 808 ils sâaventurĂšrent dans la vallĂ©e de la Struma, dĂ©firent lâarmĂ©e byzantine qui sây trouvait et, en 809, capturĂšrent lâimportante ville de Serdica (aujourdâhui Sofia)[74] - [76] - [77].
En 811, lâempereur NicĂ©phore Ier lança une offensive majeure contre la Bulgarie, sâempara, pilla et brula la capitale Pliska. Mais sur le chemin du retour, lâarmĂ©e byzantine subit une dĂ©faite majeure lors de la bataille du col de Pliska. NicĂ©phore Ier devait y trouver la mort ainsi quâune bonne partie de son armĂ©e; son crĂąne fut coulĂ© dans lâargent pour servir de coupe au khan Krum[78] - [79]. Ce dernier devait reprendre lâinitiative en 812, se dirigeant vers la Thrace, capturant le port de Messembria sur la mer Noire et dĂ©faisant une nouvelle fois les Byzantins lors de la bataille de Versinikia en 813, aprĂšs quoi il offrit Ă ses adversaires un traitĂ© de paix magnanime[76] - [80]. Toutefois au cours des nĂ©gociations, les Byzantins tentĂšrent dâassassiner Krum. En rĂ©ponse, les Bulgares pillĂšrent lâest de la Thrace et sâemparĂšrent de lâimportante ville dâAndrinople, relocalisant 10 000 de ses habitants « en Bulgarie, au-delĂ du Danube »[81] - [82]. Le khan se prĂ©para ensuite Ă faire lâassaut de Constantinople dĂ©ployant dâimportants moyens pour y parvenir : 5000 chariots recouverts de plaques de mĂ©tal furent construits pour transporter lâĂ©quipement nĂ©cessaire. EffrayĂ©s, les Byzantins demandĂšrent lâaide de lâempereur Louis le Pieux[83]. Soigneusement prĂ©parĂ©e, cette campagne ne devait jamais ĂȘtre lancĂ©e, Krum dĂ©cĂ©dant subitement le 14 avril 814[81].
Le khan Krum fut Ă©galement un grand lĂ©gislateur. Câest sous son rĂšgne que fut publiĂ© le premier code de lois Ă©crit de Bulgarie qui devait Ă©tablir le principe de lâĂ©galitĂ© des lois pour tous les peuples vivant Ă lâintĂ©rieur de lâempire, tentant de rĂ©duire la pauvretĂ© et solidifiant les liens sociaux dans un empire considĂ©rablement agrandi[84] - [85].
Sous Omourtag (814 â 831)
Le successeur du khan Krum, Omourtag (r. 814-831) conclut un traitĂ© de paix avec les Byzantins qui permit aux deux pays de refaire leurs Ă©conomies et leurs finances aprĂšs les conflits qui avaient ensanglantĂ© la premiĂšre dĂ©cennie du siĂšcle. La frontiĂšre fut fixĂ©e sur la fosse dâErkesia entre Debeltos sur la mer Noire et la vallĂ©e de la Maritsa Ă Kalugerovo[86] - [87]. Ă lâouest les Bulgares contrĂŽlaient dĂšs les annĂ©es 820 Alba Bulgarica (aujourdâhui Belgrade); au nord-ouest, la frontiĂšre avec lâEmpire franc fut fixĂ©e sur le cours du Moyen Danube[88] - [89] - [8].
Omourtag combattit Ă©galement les Khazars le long du Dnieper qui marquait la frontiĂšre ultime de la Bulgarie Ă lâest[90]. La capitale, Pliska, fut lâobjet de nombreuses constructions en pierre et en briques : palais, temple, rĂ©sidence royale, forteresse, citadelle, rĂ©servoirs dâeau et bains[89] - [91]. En 814, commença la persĂ©cution des chrĂ©tiens[92], en particulier ceux ayant Ă©tĂ© faits prisonniers de guerre, maintenant Ă©tablis au nord du Danube. Le MĂ©nologe de Basile II rend gloire Ă lâempereur dâavoir Ă©tĂ© le dĂ©fenseur de la foi face aux attaques des Bulgares.
Lâexpansion vers le sud et le sud-est se poursuivit avec les successeurs dâOmourtag, sous la conduite de lâinfatigable kavhan (premier ministre) Isbul. Lâimportante citĂ© de Philippopolis (Plovdiv) fut annexĂ©e durant le court rĂšgne du khan Malamir (r. 831-836). Sous son successeur, Pressiyan Ier (r. 836-852), les Bulgares conquirent la presque totalitĂ© de la MacĂ©doine; les frontiĂšres du pays sâĂ©tendirent alors jusquâĂ la mer Adriatique prĂšs de Valona et Ă la mer ĂgĂ©e[8]. Les historiens byzantins ne mentionnent aucune rĂ©sistance de la part des populations de MacĂ©doine Ă cette expansion, ce qui porte Ă croire quâelle se fit de façon plutĂŽt pacifique. La Bulgarie devenait ainsi la puissance dominante de la rĂ©gion[8]. Toutefois, lâexpansion vers lâouest fut arrĂȘtĂ©e par lâapparition dâun nouvel Ătat slave sous la suzerainetĂ© de Byzance, la principautĂ© de Serbie[8]. Les Bulgares firent la guerre aux Serbes de 829 Ă 842, mais sans parvenir Ă enregistrer de progrĂšs. Selon lâhistorien Mark Whittow, la victoire serbe mentionnĂ©e dans le De Administrando Imperio ne fut quâun vĆu pieux de la part de Constantin VII, et toute soumission allĂ©guĂ©e des Serbes aux Bulgares se serait limitĂ©e au paiement dâun tribut[8].
Sous Boris Ier (852-889)
Le rĂšgne de Boris Ier commença sous de fĂącheux auspices. Pendant dix ans, lâempire dut combattre lâEmpire byzantin, la Francie orientale, la Grande Moravie, les Croates et les Serbes, concluant de nombreuses alliances, mais changeant dâalliĂ©s Ă tout moment[93] - [94]. Autour du mois d', des tremblements de terre se firent sentir pendant quarante jours ; les rĂ©coltes furent mĂ©diocres crĂ©ant la famine dans le pays qui fut ravagĂ© par des sauterelles. Pourtant, en dĂ©pit de ces catastrophes, la diplomatie prudente de Boris Ier parvint Ă Ă©viter toute perte de territoire et Ă garder lâempire intact[93]. Dans cette situation politique complexe, le christianisme qui permettait de forger des alliances sures et des relations diplomatiques solides devenait une religion plus attrayante que lâancienne[95].
Tenant compte de la situation extĂ©rieure et de divers autres facteurs internes, Boris Ier se convertit en 864 et prit le titre de Knyaz (prince)[95]. Jouant de la rivalitĂ© entre la papautĂ© de Rome et le patriarcat ĆcumĂ©nique de Constantinople, lâempereur rĂ©ussit Ă assurer lâindĂ©pendance de lâĂglise nouvellement constituĂ©e[96]. Pour Ă©viter une trop grande dĂ©pendance de Byzance dans les affaires religieuses du pays, il encouragea les disciples de Cyrille et MĂ©thode Ă crĂ©er une littĂ©rature propre en vieux-bulgare[97]. Il devait se montrer sans pitiĂ© devant toute rĂ©sistance Ă cette conversion, Ă©crasant dans lâĆuf une rĂ©volte de la noblesse en 866 et renversant son propre fils Vladimir (r. 889-893) qui voulait rĂ©tablir lâancienne religion[98]. En 893, il convoqua un concile Ă Preslav au cours duquel il fut dĂ©cidĂ© que la capitale serait transfĂ©rĂ©e de Pliska Ă Preslav, que le clergĂ© byzantin serait banni du pays et que le vieux-Bulgare remplacerait le grec dans la liturgie[99]. La Bulgarie devait devenir au cours du Xe siĂšcle la principale menace Ă la sĂ©curitĂ© et Ă la stabilitĂ© de lâEmpire byzantin[100].
LâEmpire bulgare (893 â 927)
Siméon Ier (893-927)
Les dĂ©cisions du concile de Preslav mettaient fin aux espoirs que pouvait encore entretenir lâEmpire byzantin dâexercer une influence sur le nouvel Ătat chrĂ©tien[101] - [102]. En 894, les Byzantins dĂ©placĂšrent le marchĂ© des Bulgares de Constantinople Ă Thessalonique, heurtant ainsi les intĂ©rĂȘts commerciaux bulgares et les principes qui rĂ©glaient le commerce entre les deux Ătats depuis le traitĂ© de 716 ainsi que dâautres accords postĂ©rieurs sur ce que nous appellerions « la nation la plus favorisĂ©e »[103] - [104] - [105].
Le nouveau prince, SimĂ©on Ier (r. 893-927), connu par la suite comme SimĂ©on le Grand, dĂ©clara la guerre aux Byzantins et dĂ©fit ceux-ci en Thrace[106] - [107]. Les Byzantins se tournĂšrent alors vers les Magyars qui habitaient Ă lâĂ©poque les steppes au nord-est de la Bulgarie. Ceux-ci remportĂšrent deux victoires contre les Bulgares et pillĂšrent Dobrudzja; en rĂ©ponse, SimĂ©on sâallia aux PetchenĂšgues plus loin Ă lâest et, en 895, les Bulgares infligĂšrent une dĂ©faite cuisante aux Magyars dans les steppes qui longent le Boug mĂ©ridional. En mĂȘme temps, les PetchenĂšgues qui sâavançaient vers lâouest empĂȘchĂšrent les Magyars de rentrer chez eux[108]. Le coup fut si dur pour ces derniers quâils furent contraints de migrer vers lâouest, sâĂ©tablissant finalement dans la plaine de Pannonie oĂč ils crĂ©Ăšrent le royaume de Hongrie[108] - [109].
En 896, les Byzantins furent Ă©crasĂ©s lors de la bataille de Bulgarophygon et durent implorer la paix, confirmant ainsi la supĂ©rioritĂ© de lâEmpire bulgare dans les Balkans[110]. Les accords commerciaux antĂ©rieurs furent rĂ©tablis de mĂȘme que le statut de la Bulgarie comme « nation la plus favorisĂ©e » et les restrictions au commerce furent abrogĂ©es. Enfin, lâEmpire byzantin dut se rĂ©signer Ă payer un tribut annuel[111] - [112]. Le traitĂ© de paix devait rester en force jusquâen 912, bien que SimĂ©on Ier le viola aprĂšs le sac de Thessalonique en 904, exigeant de nouvelles concessions territoriales en MacĂ©doine[113].
En 913, lâempereur byzantin Alexandre dĂ©cida dâannuler le paiement du tribut annuel Ă la Bulgarie[114] fournissant ainsi Ă SimĂ©on le casus belli quâil cherchait pour lancer un conflit au terme duquel il aspirait se voir reconnu comme empereur (en bulgare, tsar) et conquĂ©rir Constantinople, jetant ainsi les bases dâun empire byzantino-bulgare unifiĂ©[115]. En 917, lâarmĂ©e bulgare infligea une dĂ©faite cuisante Ă lâarmĂ©e byzantine lors de la bataille d'Anchialos, confirmant ainsi la suprĂ©matie militaire de la Bulgarie dans les Balkans[116] - [117]. Selon ThĂ©ophane ContinuĂ©, "il ne sâĂ©tait pas produit un tel carnage depuis des siĂšcles"[118]; LĂ©on le Diacre pour sa part devait voir les tas dâossements entassĂ©s des soldats ayant pĂ©ri dans la bataille cinquante ans plus tard[119].
Les Bulgares devaient par la suite remporter dâautres succĂšs : Katasyrtai (917), Pegae (921) et Constantinople (922). Ils capturĂšrent Ă©galement lâimportante citĂ© dâAndrinople en Thrace et sâemparĂšrent de la capitale du thĂšme dâHellas, ThĂšbes, au sud de la GrĂšce[120] - [121]. Ă la suite du dĂ©sastre dâAnchialos, les Byzantins incitĂšrent les Serbes Ă attaquer la Bulgarie Ă partir de lâouest, mais leur entreprise Ă©choua. En 924, les Serbes dĂ©firent une petite armĂ©e bulgare Ă la suite d'une embuscade[122] provoquant une importante campagne de rĂ©torsion qui devait se terminer par lâannexion de la Serbie Ă la fin de la mĂȘme annĂ©e[123] - [124]. Toute nouvelle avancĂ©e Ă lâouest des Balkans fut toutefois mise en Ă©chec par le roi Tomislav de Croatie, alliĂ© des Byzantins, qui empĂȘcha une invasion bulgare en 926[125] - [126]. SimĂ©on Ier finit par ĂȘtre convaincu quâil ne pouvait conquĂ©rir Constantinople sans lâaide dâune flotte; en 922 il envoya une ambassade au calife fatimide Ubayd Allah al-Mahdi Billah Ă Mhadia pour obtenir une telle assistance. Le calife rĂ©agit favorablement et voulu envoyer des Ă©missaires pour nĂ©gocier une telle alliance, mais ceux-ci furent capturĂ©s prĂšs de la cĂŽte de Calabre par les Byzantins. Lâempereur byzantin Romain Ier LĂ©capĂšne rĂ©ussit Ă renverser lâalliance proposĂ©e grĂące Ă de gĂ©nĂ©reux prĂ©sents[127] - [128]. La guerre devait se poursuivre jusquâĂ la mort de SimĂ©on Ier en mai 927. La Bulgarie contrĂŽlait alors la presque totalitĂ© des possessions byzantines dans les Balkans, mais faute de flotte ne pouvait tenter de sâemparer de Constantinople[129].
Les deux pays Ă©taient Ă©puisĂ©s par lâeffort de guerre qui avait lourdement grevĂ© leurs populations et leurs Ă©conomies. Le successeur de SimĂ©on Ier, Pierre Ier (r. 927-969) parvint Ă nĂ©gocier un accord de paix favorable. Les Byzantins acceptaient de le reconnaitre comme empereur de Bulgarie; lâĂglise bulgare orthodoxe obtenait un patriarcat distinct; Constantinople paierait un tribut Ă la Bulgarie[130] - [131] - [132]. La paix fut scellĂ©e par le mariage de Pierre avec la petite-fille de Romain, IrĂšne LĂ©capĂšne[131] - [133]. Lâaccord devait marquer le dĂ©but dâune Ăšre de paix qui dura quarante ans entre les deux puissances.
Durant les premiĂšres annĂ©es de son rĂšgne Pierre Ier dut faire face Ă la rĂ©volte de deux de ses trois frĂšres, Jean en 928 et Michel en 930, mais les deux furent maitrisĂ©s[134]. Par la suite, Pierre Ier put jouir dâun rĂšgne paisible marquĂ© par la consolidation politique, lâexpansion Ă©conomique et le dĂ©veloppement de la culture[135] - [136].
DĂ©clin et chute
En dĂ©pit de ce traitĂ© et de la paix qui rĂ©gna pendant la pĂ©riode qui sâensuivit, la position de lâEmpire bulgare demeurait prĂ©caire. Le pays Ă©tait entourĂ© de voisins turbulents : les Magyars au nord-ouest, les PetchenĂšgues et la puissance montante que reprĂ©sentait la Rusâ kiĂ©vienne au nord-est, ainsi que lâEmpire byzantin, ennemi traditionnel et imprĂ©visible[137]. La Bulgarie dut faire face Ă plusieurs raids dĂ©vastateurs de la part des Magyars entre 934 et 965. LâinsĂ©curitĂ© croissante dans le pays ainsi que lâinfluence grandissante de la noblesse terrienne et du haut clergĂ© aux dĂ©pens des droits traditionnels de la paysannerie conduisirent Ă lâĂ©mergence du bogomilisme, une secte hĂ©rĂ©tique dualiste qui, dans les siĂšcles suivants, devait essaimer dans lâEmpire byzantin, dans le nord de lâItalie et dans le sud de la France[138]. Au sud, lâEmpire byzantin rĂ©ussit Ă inverser le cours des guerres byzantino-arabes contre le califat abbasside dĂ©clinant et, confiant dans sa nouvelle force, cessa en 965 de verser aux Bulgares le tribut traditionnel, ce qui conduisit Ă une nette dĂ©tĂ©rioration des relations entre les deux pays[139]. En 968 les Byzantins incitĂšrent la Rusâ de Kiev Ă envahir la Bulgarie. Au cours des deux annĂ©es subsĂ©quentes, le prince Svyatoslav Ier dĂ©fit lâarmĂ©e bulgare, captura Preslav et Ă©tablit sa capitale dans lâimportante ville de Preslavets (signifiant « petit Preslav »)[140]. Voyant sa situation dĂ©sespĂ©rĂ©, le tsar Pierre Ier dut abdiquer, cĂ©dant la couronne Ă son fils Boris II (r. 969-971) qui nâeut dâautre choix que de collaborer avec Svyatoslav[141]. Le succĂšs inattendu des Rusâ inquiĂ©ta Constantinople et devait conduire Ă un conflit entre les deux[140]. Lâempereur byzantin Jean Ier TzimiscĂšs (r. 969 â 976) devait finalement venir Ă bout des forces de Svyatoslav et forcer celles-ci Ă quitter les Balkans en 971[142] - [143]. Durant cette campagne, les Byzantins sâemparĂšrent de Preslav et firent prisonnier Boris II. Jean Ier tenta dâabord de se faire passer pour un libĂ©rateur, mais bientĂŽt il amena Boris II Ă Constantinople oĂč celui-ci dut abdiquer publiquement[144]. Bien que les Byzantins ne contrĂŽlassent que la partie orientale de la Bulgarie, lâensemble du pays fut dĂ©clarĂ© « province byzantine »[145].
La partie occidentale Ă lâest de la riviĂšre Iskar demeurait nĂ©anmoins libre et les Bulgares purent sây regrouper sous lâĂ©gide des quatre frĂšres dits « CometopuloĂŻ »[146]. Lâun d'eux, Samuel, prit la direction des opĂ©rations en 976, ses trois autres frĂšres Ă©tant dĂ©cĂ©dĂ©s. Lorsquâen 976 Romain, le frĂšre de Boris II, parvint Ă sâĂ©chapper de Constantinople, Samuel le reconnut comme hĂ©ritier lĂ©gitime du trĂŽne[N 1] et demeura comme gĂ©nĂ©ral en chef de lâarmĂ©e[147]. La paix devenait impossible : aprĂšs lâabdication de Boris et la fin thĂ©orique de lâEmpire bulgare, Romain et plus tard Samuel furent considĂ©rĂ©s comme des rebelles, ce qui conduisit Ă plus de quarante ans dâune guerre larvĂ©e de plus en plus cruelle[147].
Excellent gĂ©nĂ©ral et habile politicien, Samuel rĂ©ussit Ă inverser le courant en faveur des Bulgares. Le nouvel empereur byzantin Basile II (r. 960 â 1025) fut dĂ©fait lors de la bataille des Portes de Trajan en 986 et eut la vie sauve de justesse[148] - [149].
Profitant de cette victoire Samuel se dirigea vers lâest et reprit le nord-est de la Bulgarie et, du mĂȘme coup, les anciennes capitales de Pliska et Preslav. Au cours de la dĂ©cennie qui suivit, les armĂ©es bulgares devaient annexer lâensemble de la Thessalie et de lâĂpire, pillant au passage la pĂ©ninsule du PĂ©loponnĂšse[150]. Au vu des succĂšs militaires bulgares et alors que nombre de haut placĂ©s byzantins faisaient dĂ©fection vers les Bulgares, les Byzantins durent faire face Ă la possibilitĂ© de voir lâensemble de leurs thĂšmes des Balkans se retrouver sous souverainetĂ© bulgare[151]. MenacĂ© par une alliance entre les Byzantins et lâĂtat serbe de DioclĂ©e, Samuel fit la guerre et dĂ©fit le prince de cet Ătat, Jovan Vladimir et sâempara de ses territoires[152]. La mĂȘme annĂ©e, Romain, dernier descendant de la dynastie de Krum Ă©tant mort, Samuel Ier fut proclamĂ© empereur de Bulgarie (tsar : 997 â 1014).
Il Ă©tablit des relations amicales avec Ătienne Ier de Hongrie, scellĂ©es par le mariage de son fils et hĂ©ritier Gavril Radomir et de la fille dâĂtienne. Toutefois, Gavril Radomir devait bientĂŽt se sĂ©parer de son Ă©pouse et les Hongrois participĂšrent en 1004 Ă une guerre contre la Bulgarie aux cĂŽtĂ©s des Byzantins[153]. Avec le tournant du millĂ©naire, lâavantage devait tourner au bĂ©nĂ©fice de ces derniers conduits par lâempereur en personne. Basile II (r. 960-1025) devait entreprendre une sĂ©rie de campagnes annuelles contre les villes et places fortes bulgares, certaines dâentre elles sâĂ©tendant sur douze mois alors que ce genre de campagnes Ă©tait gĂ©nĂ©ralement limitĂ© aux mois dâĂ©tĂ© permettant aux troupes de rentrer chez elles pour lâhiver[154]. En 1001, il sâempara de Pliska et de Preslav Ă lâest et en 1003 une grande offensive le long du Danube permit de rĂ©cupĂ©rer Vidin aprĂšs un siĂšge de huit mois. En 1004, Basile II dĂ©fit Samuel Ă la bataille de Skopje aprĂšs quoi il prit possession de la citĂ©[154]. Cette guerre dâusure sâĂ©tendit sur une dizaine dâannĂ©es jusquâĂ ce quâen 1014 les Bulgares soient dĂ©finitivement vaincus Ă la bataille de la passe de Kleidion. Selon les sources, 14 000 Bulgares auraient Ă©tĂ© capturĂ©s. De chaque 100 hommes, 99 auraient Ă©tĂ© aveuglĂ©s, le dernier nâĂ©tant quâĂ©borgnĂ© pour lui permettre de guider ses compagnons dâinfortune sur le chemin du retour. Cette victoire devait donner Ă Basile II le surnom de « Bulgaroktonos » (tueur de Bulgares)[155] Lorsquâils arrivĂšrent Ă Prespa oĂč rĂ©sidait Samuel, celui-ci aurait subi un arrĂȘt cardiaque Ă la vue de cette foule de malheureux; il devait dĂ©cĂ©der deux jours plus tard, le 6 octobre[155].
La rĂ©sistance devait se poursuivre pendant quatre ans sous les rĂšgnes de Gavril Radomir (r. 1014-1015) et dâIvan Vladislav (r. 1015-1018), mais aprĂšs le dĂ©cĂšs de ce dernier Ă Dyrrachium la noblesse se rendit aux Byzantins et la Bulgarie fut annexĂ©e Ă lâEmpire byzantin[156]. Lâaristocratie bulgare devait conserver ses privilĂšges, bien que nombre de ses membres fussent transfĂ©rĂ©s en Asie mineure pour priver la population de ses leaders naturels[157]. Le patriarcat bulgare fut rĂ©trogradĂ© au rang dâarchevĂȘchĂ© mais put conserver ses Ă©vĂȘchĂ©s suffragants et se vit accorder une autonomie relative[158].
En dĂ©pit de nombreuses tentatives pour rĂ©tablir son indĂ©pendance, la Bulgarie devait demeurer sous domination byzantine jusquâĂ la rĂ©volte des frĂšres Asen et Pierre, lesquels affranchirent le pays en 1185, crĂ©ant ainsi le Second Empire bulgare[159].
Notes et références
Notes
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « First Bulgarian Empire » (voir la liste des auteurs).
- Boris II mourut sans enfant et Romain avait été chùtré par les Byzantins pour assurer la fin de la dynastie de Krum.
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Voir aussi
Sources premiĂšres
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- « Chronographia by Theophanes the Confessor » (dans ) GIBI, vol. III, Bulgarian Academy of Sciences, Sofia. [en ligne, textes grec et bulgare] http://macedonia.kroraina.com/gibi/3/gal/3_264.html.
Sources secondaires
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Articles connexes
Liens externes
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- Study of Antiquity and the Middle Ages. âThe First Bulgarian Empireâ. You Tube. URL: https://www.youtube.com/watch?v=GYyjd3MtFIw.