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Noyer du Brésil

Bertholletia excelsa

Le Noyer du BrĂ©sil ou Noyer d’Amazonie (Bertholletia excelsa) appartient Ă  la famille des Lecythidaceae. C’est l'un des plus grands arbres de la forĂŞt amazonienne qui peut mesurer plus de 50 mètres de haut. Il produit la noix du BrĂ©sil, formĂ©e d’une coque Ă©paisse et dure, d’une dizaine de centimètres de diamètre, contenant une vingtaine de graines, elles-mĂŞmes enfermĂ©es dans un tĂ©gument lignifiĂ©. Ă€ l’intĂ©rieur, l’amande blanche, comestible, riche en lipide, est commercialisĂ©e dans le monde entier.

Le noyer du Brésil est disséminé dans les forêts tropicales chaudes et humides, longeant le fleuve Amazone et le rio Negro, situées au Brésil, et en Bolivie, Pérou, Colombie et Venezuela.

De par son mode de reproduction peu efficace, le noyer du Brésil ne supporte pas les modifications de son écosystème forestier. D’abord protégé par les Amérindiens qui consommaient sa noix, il fut ensuite géré suivant le « modèle extractiviste » s’appuyant sur des collecteurs qui devaient se rendre en famille en forêt primaire au moment de la récolte et des commerçants qui servaient d’intermédiaires avec les maisons de commerce, qui elles, se chargeaient d'exporter les noix vers les États-Unis et l’Angleterre au XIXe siècle. Au XXe siècle, les stations de noyers du Brésil en forêt furent peu à peu privatisées au bénéfice d’un nombre restreint de grands propriétaires fonciers. Dans les années 1970, la politique conduisit à préférer l’élevage et l’agriculture à l’extractivisme considéré comme arriéré. Entre cette date et le début des années 2000, la production de noix d’Amazonie s’effondra au Brésil mais fut compensée par l’augmentation de la production en Bolivie et au Pérou.

La noix du Brésil fut le premier aliment globalisé à être ramassé directement en forêt dans des zones qui étaient encore restées éloignées des communautés humaines jusque dans les années 1970.

DĂ©nominations

  • Nom scientifique valide : Bertholletia excelsa Humb. & Bonpl.
  • Nom vulgaire (vulgarisation scientifique) recommandĂ© ou typiques en français : noyer du BrĂ©sil[1]. Longtemps le BrĂ©sil a largement dominĂ© la production mondiale. Mais en raison du dĂ©boisement de l’Amazonie brĂ©silienne, la production ne cessa de diminuer alors que celle de ses voisins, Bolivie et PĂ©rou, augmentait - jusque vers les annĂ©es 2003 oĂą elle fut finalement dĂ©passĂ©e. Les producteurs boliviens rĂ©clamèrent alors que la noix du BrĂ©sil soit appelĂ©e de « noix d’Amazonie » afin de ne pas induire en erreur les acheteurs Ă©trangers[2].

Étymologie et histoire taxinomique

Noyer du Brésil, imposant et majestueux dans une clairière

L’arbre nommé Castanha-do-Brasil (ou Castanha-do-Pará « châtaignier du Para ») par les Portugais reçut en 1807 le binom latin Bertholletia exelsa par les naturalistes Aimé Bonpland et Alexandre de Humboldt à leur retour de l’exploration scientifique du bassin de l’Orénoque et de l’Amazone (ainsi que des Andes, Cuba et les États-Unis) qu’ils menèrent ensemble entre 1799 et 1804. Le genre a été nommé Bertholletia par Aimé Bonpland qui, dit-il, « le dédie à l’illustre Berthollet, à qui l'on doit tant de découvertes, et dont les travaux actuels promettent beaucoup à la physiologie et à la chimie des végétaux »[4]. Les auteurs, n’ayant pas vu de fleurs, furent fort embarrassés pour le classer aussi bien dans le système sexuel de Linné que dans les familles naturelles de Jussieu. En 1822, le botaniste Poiteau, qui fut Directeur des Cultures aux habitations royales de la Guyane française de 1817 à 1822, créa la famille des Lécythidacées[8] dans laquelle il le plaça.

L'épithète spécifique excelsa, qui signifie « haute » en latin[9], a été choisie en raison de sa taille imposante[10].

Description

Morphologie

Feuillage de noyer du Brésil
Noyer du Brésil abattu lors de l’ouverture de la voie de chemin de fer Madeira-Mamoré

Le noyer d'Amazonie est tout Ă  fait remarquable par sa taille tout d'abord[11] (de 30 Ă  50 mètres de haut), mais aussi par sa forme caractĂ©ristique : grand tronc vigoureux, cylindrique, totalement dĂ©nudĂ©, de 1 Ă  m de diamètre, sans contrefort, se terminant par une sorte de grande couronne Ă©mergente. Certains individus colossaux peuvent atteindre 60 m de haut et 16 m de circonfĂ©rence[10]. Son architecture est de type coloniaire.

Ses feuilles simples, alternes, coriaces, mesurent 20-35 cm sur 10-15 cm et sont de formes oblongues et ovales, Ă  marge ondulĂ©e[8].

Coupe de la fleur et du fruit de Bertholletia excelsa (d'après Marc Gazel[8])
Coupe transversale du fruit, à paroi (péricarpe) épaisse et graines enfermées dans un tégument dur, roux brun
Graine fraîche non décortiquée et graine décortiquée (une partie du tégument solide a été cassé)
Abeille charpentière Xylocopa frontalis (mâle) collectant le nectar dans une fleur de Bertholletia excelsa
Eulaema meriana femelle repoussant la ligule pour collecter le pollen des étamines qu’elle transporte dans les corbeilles à pollen de ses pattes postérieures

En haut de cet arbre poussent des inflorescences composĂ©es, d’environ 20 cm (en Guyane[8]) et jusqu’à 45 cm dans l’État de Pará (au BrĂ©sil[12]), en panicules, portant de petites fleurs d’un blanc jaunâtre. Chaque fleur hermaphrodite, Ă  symĂ©trie bilatĂ©rale (zygomorphes), possède un calice dĂ©cidu, d’abord entier puis s’ouvrant en deux valves concaves, avec 2 Ă  3 lobes de 0,8-1,4 cm de long. La corolle odorante est formĂ©e de six pĂ©tales de cm, d’une couleur allant du blanc au jaune canari et de nombreuses Ă©tamines fertiles et de staminodes, soudĂ©s Ă  la base pour former un androphore[n 1] en forme d’un large capuchon [8], rabattu sur le pistil et Ă©troitement appliquĂ© au sommet de l'ovaire. Le capuchon hĂ©misphĂ©rique de l’androphore ne porte que des staminodes rabattus vers l’intĂ©rieur (appelĂ©es ligule) alors que sa base porte une centaine d’étamines fertiles, Ă  filet blancs et anthère jaune. L’ovaire infère, possède 4 loges Ă  4 Ă  6 ovules, soit en moyenne 20 ovules. Seulement 0,28 Ă  0,40 % des fleurs produisent des fruits[13].

La période principale de floraison se déroule d’août à novembre dans l’État de Pará, durant la saison sèche et la période fructification principale dure d’octobre à décembre[12].

Le fruit est une pyxide subglobuleuse Ă  pĂ©ricarpe ligneux, dĂ©hiscente par un petit opercule de mm[8] de diamètre. Ă€ maturitĂ©, l’opercule est entrainĂ© Ă  l’intĂ©rieur du fruit mais ne dĂ©gage pas une ouverture suffisante pour permettre la libĂ©ration des graines. Les fruits se prĂ©sentent comme des coques marron et dures, qui pour la majoritĂ© des cas (95 %) font de 9 Ă  11,5 cm de diamètre, avec une paroi de 1,2 Ă  1,5 cm d’épaisseur et pèsent moins de 800 g (d’après l’étude statistique de MĂĽller et al.[14], 1995). Toutefois, la classe des fruits les plus gros (de plus 1 400 g, reprĂ©sentant 1,25 % du total) pèsent en moyenne 1 508 g.

La coque est divisĂ©e intĂ©rieurement en 4 loges, qui renferment chacune plusieurs graines trigones aux arĂŞtes vives, de 35 mm de long, de section triangulaire. Leur nombre au total varie de 18 et 23 selon la grosseur de la coque. Chaque graine est protĂ©gĂ©e par un tĂ©gument brun-noir, dur, ligneux et rugueux. L’amande est blanche, huileuse et un excellent comestible. Les cotylĂ©dons sont rĂ©duits Ă  deux minuscules Ă©cailles.

Le noyer du Brésil fait partie des arbres pouvant atteindre des âges considérables : jusqu'à un millénaire, dit-on[15].

Pollinisation et fructification

Le noyer du Brésil est une plante allogame où chaque fleur doit être fécondée par le pollen d’une autre fleur. La structure fermée de la fleur formée par les staminodes congruents (l’androphore) créé une chambre enfermant les étamines (mâles) et le stigmate (femelle), plus favorable à une autopollinisation qu’à une fécondation croisée pourtant absolument obligatoire[13].

Cette chambre peut cependant être visitée par des insectes pollinisateurs à condition d’être suffisamment vigoureux pour être capables de lever la ligule (le capuchon) et de s’introduire jusqu’aux organes reproducteurs pour collecter le nectar et le pollen. Les principaux visiteurs sont des abeilles et bourdons de la famille d’Apidae (Bombus brevivillus, B. transversalis, Eulaema cingulata, E. nigrita, Trigonia Hialinats etc. ainsi que des Xylocopa frontalis, Centris similis, Epicharis rustica, E. affinis etc.[12]). Le visiteur le plus important dans la région de Manaus est l’abeille charpentière Xylocopa frontalis ; elle est la première à arriver sur les fleurs (à 5 h 15 du matin) pour collecter nectar et pollen[13]. Elle se pose sur la ligule et pousse la tête à l’intérieur pour collecter le nectar à la base de la ligule. La seconde abeille la plus fréquente est Centris denudens qui entre dans la fleur immédiatement après l’avoir atteinte.

Les pollinisateurs qui rentrent en force sous la ligule pour collecter le nectar ou le pollen, ressortent le thorax couvert de pollen. En visitant une autre fleur, ils transmettent le pollen au stigmate récepteur d’une autre fleur (étude de Maués[12], 2002, effectuée dans l’État de Pará). Toutefois, bien que beaucoup d’espèces visitent les fleurs du noyer du Brésil, seulement quelques espèces d’abeilles pénètrent sous la ligule et permettent la pollinisation croisée.

Le cycle de dĂ©veloppement des fruits se dĂ©roule sur une longue pĂ©riode de 14 mois, en moyenne. Les fruits arrivent Ă  maturitĂ© sur l’arbre environ un an après la floraison, mais ils ne tombent au sol que 3 Ă  5 mois plus tard[8]. Les graines germent dans le fruit tombĂ© Ă  terre : quelques plantules parviennent Ă  sortir par l’ostiole (petite ouverture de l’opercule) et leurs racines se dĂ©veloppent en mĂŞme temps que le pourrissement du pĂ©ricarpe. Les fruits peuvent Ă©galement ĂŞtre rongĂ©s par les agoutis qui font de rĂ©serves de graines et aident ainsi Ă  leur dissĂ©mination.

De par son mode de reproduction alambiqué, ayant besoin de pollinisateurs spéciaux et produisant un fruit doté d’une coque ligneuse très dure ne laissant pas sortir ses graines, le noyer du Brésil ne supporte pas les modifications de son écosystème forestier

En moyenne, un arbre produit environ 150 kg de noix par an. Mais cela dépend évidemment de plusieurs facteurs, tels que le climat, l'âge de l'arbre, la grosseur des coques...

Distribution

Le bassin de l’Amazone

L’aire naturelle du Bertholletia excelsa comprend tout le bassin amazonien, zone à cheval sur le Brésil, le Venezuela, la Colombie, le Pérou, la Bolivie et le sud de la région des Guyanes [13]. Elle s’étend de la latitude 5° N dans le haut Orénoque (Venezuela) au 14° S dans Madre de Dios (au Pérou). En Guyane, on rencontre cette espèce dans le haut Oyapock et elle a été introduite depuis le XIXe siècle dans la zone côtière, en particulier dans l’île de Cayenne[8].

Le noyer du Brésil pousse sur des sols argileux et sablo-argileux bien drainés en forêt de terre ferme.

Disséminés en forêt primaire sur terrain sain, les noyers du Brésil, se trouvent regroupés en agrégats ou « poches » d’une cinquantaine d’individus[n 2], distants les uns des autres de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres. À l’exception du bassin du fleuve Juruá, toutes les zones de terres fermes du bassin amazonien semblent contenir ces agrégats[2]. L’étude de la diversité génétique par les marqueurs microsatellites et l’ADN des chloroplastes a mis en évidence une faible variabilité à grande échelle géographique, suggérant une irradiation rapide de l’espèce à partir d’une population d’une zone géographique limitée[10]. Si la distribution des noyers du Brésil dépendait principalement de la dispersion à courte distance par les agoutis et quelques rares événements de dispersion à longue distance pour former de nouveaux agrégats, le processus aurait pris beaucoup de temps et aurait donné une structure génétique variée. Tout un faisceau d’observations suggèrent donc que l’homme est impliqué dans la dispersion du noyer du Brésil. C’est pourquoi ces agrégats façonnés d’une manière ou d’une autre par l’homme sont appelés castanhais « châtaigneraies » au Brésil et « noyeraies » en français.

Au Brésil à la fin du XXe siècle, le noyer du Brésil a connu une diminution drastique due à une déforestation sévère. Dans les états de Pará et du Rondônia, les arbres ont cédé la place au soja et aux cheptels mais comme il est interdit de les couper, les agriculteurs les ont laissé isolés au milieu des pâturages. Ils périclitent et souvent meurent victimes de la foudre. En basse Amazonie, depuis 1984, la grande entreprise de cellulose de Monte Dourado sur le rio Jari qui est tenue aussi d’épargner les noyers du Brésil, lorsqu’elle effectue ses défrichements, laisse des agrégats très caractéristiques de noyers du Brésil au milieu de terrains défrichés[8]. En 2018, l’État Acre (à l’extrême ouest du Brésil) est devenu le principal producteur suivi de près par les régions frontalières situées en Bolivie et au Pérou.

Histoire de la gestion du noyer d’Amazonie

Depuis le début de l'Holocène, la gestion du noyer du Brésil a suivi l'histoire humaine et notamment celle, mouvementée, de l’entrée à marche forcée de l’Amazonie coloniale puis postcoloniales dans le marché global et la recherche continue de gains de productivité. Son aire de distribution actuelle semble être un héritage des amérindiens. Cette essence pionnière a une longue durée de vie. Ils sont issus de graines ayant germé dans un chablis naturel ou à la suite d'une ouverture faite par l'homme[16].

La cueillette pour les besoins locaux

La noix du BrĂ©sil a Ă©tĂ© consommĂ©e par les populations amĂ©rindiennes autochtones dès le PalĂ©olithique, comme l’atteste l’exhumation de noix d’Amazonie carbonisĂ©es sur le site de Pedra Pintada (Amazonie centrale), occupĂ© par des chasseurs-cueilleurs, il y a 11 000 ans[10].
Des bosquets dominées par des noyers du Brésil ont été retrouvés près des terras pretas (terres noires d’origine anthropique) et de sites archéologiques. Même si les agoutis en dispersent des graines, le travail de terrain des chercheurs montre que les interventions humaines semblent être déterminantes pour l’établissement de nouveaux bosquets. Dans des réserves, ils ont observé les Amérindiens actuels dégager de jeunes plants de noyers d’Amazonie des herbes envahissantes et des lianes, pour leur éviter d’être étouffés et faciliter leur croissance[10].

Une étude dendrochronologique a montré comment les conditions de croissance ont varié depuis 400 ans en Amazonie centrale pour cette espèce (selon la variabilité climatique loco-régionale, et selon les contextes socio-politiques et économiques co-enregistrés par les archives historiques dans la région de Manaus depuis la mi-XVIIIe siècle[16]. La période coloniale a coïncidé avec un recul du recrutement de B. excelsa (évoquant une interruption de la gestion par les amérindiens autochtones dans le cadre de l'effondrement des sociétés précolombiennes. Les cernes des arbres conservent ensuite la mémoire d'une impulsion de recrutement puis de cycles sans précédent de relâchement et de suppression de la croissance correspondant à la "modernisation" de l'exploitation forestière au XXe siècle[16].

L’extractivisme ouvre les filières marchandes globales

Noyer du Brésil (État de Pará), avec sa grande couronne émergente

De la période coloniale jusqu’au début du XXe siècle, la noix du Brésil entra dans des filières marchandes globales aux côtés du caoutchouc et du cacao. Mais alors qu’aujourd’hui ces deux derniers produits commercialisés à l’échelle planétaire sont issus de plantations situées en dehors de l’Amazonie, la noix d’Amazonie continue à être extraite de la forêt amazonienne. Le terme d’« extractivisme » végétal est utilisé pour désigner les systèmes d’exploitation des produits de la forêt destinés à être proposés sur un marché régional, national ou international[2]. On l’oppose généralement au terme de « cueillette » qui est réservé dans ce contexte, aux activités dont les produits sont limités à la consommation familiale ou à un échange local.

Au cours de la pĂ©riode coloniale mercantile, de la conquĂŞte de l’AmĂ©rique jusqu’à la seconde moitiĂ© du XVIIIe siècle, la noix du BrĂ©sil n’a pas fait l’objet d’un commerce rĂ©gulier. Les commerçants nĂ©erlandais commencent Ă  emmener quelques chargements de noix du BrĂ©sil en Europe, au cours des XVIIe – XVIIIe siècle. Quand en 1808, s’ouvrent les ports amazoniens, commencent alors vĂ©ritablement les premières expĂ©ditions vers l’Angleterre (en particulier Liverpool), les États-Unis (New York) et les Pays Bas (Amsterdam)[2]. L’Angleterre devint le premier partenaire commercial d’importation de la noix d’Amazonie et le restera jusqu’en 1930. Ce commerce international sera plus rĂ©gulier après l’indĂ©pendance du BrĂ©sil en 1822 et plus intense Ă  partir de l’introduction des moteurs Ă  vapeur dès 1853. Paul le Cointe estime les exportations moyennes de noix du BrĂ©sil (les amandes non dĂ©cortiquĂ©es) entre 1836 et 1850, Ă  31 000 hectolitres par an, soit environ 1 700 tonnes[17].

Toutefois à cette époque, la noix du Brésil est concurrencée par un autre produit extractiviste, rapportant beaucoup plus : le caoutchouc, tiré du latex de l’hévéa, qui était très demandé en Europe pour la fabrication des bottes et des pneus. La découverte de la vulcanisation et de la chambre à air (1850) donna lieu à la fièvre du caoutchouc qui connut son apogée entre 1879 et 1912 en Amazonie. L’offre de caoutchouc étant insuffisante, les Anglais réussissent à produire à Singapour de jeunes plants d’hévéa à partir de graines prises en Amazonie et à développer la monoculture de l’hévéa en Malaisie. Conformément à la loi des avantages comparatifs que Ricardo avait formulée en 1817, l’exploitation du caoutchouc en Amazonie tomba alors dans une profonde léthargie[2].

La noix du BrĂ©sil prit alors la place de la gomme en tant que produit issu de l’extractivisme. Dans les annĂ©es 1860, la noix du BrĂ©sil Ă©tait principalement originaire du Bas-Tocantins, de l’estuaire du rio Madeira et globalement tout le Bas Amazone. On dĂ©couvrit dans le sud-est du Pará d’immenses stocks de noyeraies qui fourniront le gros des noix d’Amazonie durant une partie du XXe siècle. La ville de Manaus, ruinĂ©e par le crash du caoutchouc, devint un centre d’exportation important de la noix du BrĂ©sil. Elle arrivait en tĂŞte des exportations de l’État de Para, avec 20 000 tonnes.

Au début, les collecteurs de noix n’opéraient qu'au voisinage immédiat des cours d’eau facilement navigables pour limiter le transport de la récolte à dos d’homme en forêt. Abandonnant sa maison et ses plantations, le collecteur caboclo, parti en canot avec femmes et enfants, allait s’installer dans une cabane sur la rive aussi près que possible de la noyeraie. Les fruits (ouriços) tombés à terre sont ramassés et ouverts au sabre d’abatis pour en extraire les « châtaignes ». Le soir, elles sont transportées à la baraque dans des paniers ou des hottes (voir le récit vivant de Le Cointe[17] p. 455).

L'appropriation privée des noyeraies

Le bassin de l’Amazone
Coques du fruit laissées à terre par les collecteurs

Au XXe siècle s’ouvre une période d’appropriation privée des terres de noyeraies d’Amazonie et des moyens de production. Le gouvernement vendit les principaux castanhaes (noyeraies) d’accès facile à des particuliers qui les firent exploiter par du personnel à leur solde. Les simples « chercheurs de châtaignes » indépendants durent aller explorer plus loin en forêt des régions encore vierges[17].

D’autres moyens d’appropriation furent utilisés. Par exemple, le propriétaire terrien José Julio de Andrade dans la vallée du rio Jari (actuel Amapá) arrive à dominer par le moyen de titres de propriétés fantoches, une superficie estimée à 2 millions d’hectares en 1900. En s’appuyant sur des marchands-intermédiaires, il y fait extraire la noix du Brésil[2].

A cette Ă©poque, la Couronne d’Angleterre tente de transplanter les noyers du BrĂ©sil dans ses colonies d'Asie. Dès 1848, l'anglais Robert Fortune avait Ă©tĂ© chargĂ© de prĂ©lever secrètement des milliers de plants et graines de thĂ©iers en Chine pour les transplanter (avec succès) Ă  Darjeeling, dans leurs colonies indiennes. Wickham avait de mĂŞme envoyĂ© en 1876 de graines d’hĂ©vĂ©a en Angleterre. Onze de celles-ci germèrent Ă  Singapour, lançant la monoculture de l’hĂ©vĂ©a en Malaisie, laquelle ruina le commerce brĂ©silien du caoutchouc. Les Anglais tentèrent de rĂ©itĂ©rer ces procĂ©dures lucratives avec Bertholletia excelsa qu’ils transplantèrent Ă  Ceylan (Sri Lanka actuel) en 1880, Ă  Singapour en 1881 et Ă  Kuala Lumpur. Après 33 ans, les arbres de Ceylan donnèrent 30 fruits. Les 23 arbres de Malaisie donnèrent au plus 200 kg de fruits, ce qui fut jugĂ© insuffisant pour une exploitation commerciale Ă  grande Ă©chelle. Les tentatives menĂ©es Ă  Singapour et en Australie Ă©chouèrent aussi[2].

Le Brésil resta donc le seul producteur et exportateur de noix d’Amazonie au début du XXe siècle. Ce fut une époque où quelques familles s’approprièrent toute la filière de production et de commercialisation des noix d’Amazonie. Les familles les plus aisées devaient leur fortune à la maîtrise du commerce amazonien qui consistait à approvisionner les collecteurs de noix isolés en forêt et à écouler le produit de leur travail. Les collecteurs étaient prisonniers d’un système d’endettement (aviamento) systémique. « Qui ne lui vendait pas la noix d’Amazonie, ne pouvait louer la noyeraie à la prochaine récolte » disait-on de Deodoro de Mendoça qui s’était approprié 11 noyeraies. Cette phase d’intensification du développement correspond aussi aux premières créations d’usines de lavage et de sélection des noix dans les villes.

Le schéma organisationnel de la filière de la noix du Brésil est semblable à celui du caoutchouc. Elle est faite d’une multitudes d’organisations familiales alimentant une grande industrie par l’intermédiaire d’un réseau de commerçants-marchands (regatões-atravessadores), tenant en leur pouvoir les collecteurs par une série d’avances financières avec intérêt[2].

La déforestation de l’Amazonie brésilienne

Le gouvernement autoritaire des annĂ©es 1970 a dĂ©fini des politiques de dĂ©veloppement ayant conduit Ă  une dĂ©forestation sauvage. L’ouverture de routes, l’installation de migrants, l’incitation Ă  l’élevage dans la rĂ©gion prĂ©cise des noiseraies du Tocantins frappèrent durement la production de noix du BrĂ©sil de cette rĂ©gion. De 1970 Ă  2003, la production totale de noix du BrĂ©sil s’effondra de 76 % (voir tableau section suivante). Pendant ce temps la Bolivie augmentait sa production de 183 % et le PĂ©rou d’un peu plus.

Noiseraie d’Amazonie près d'Oriximiná (État du Pará)

Dans la deuxième moitiĂ© du XXe siècle, les oligopoles de production-exportation mettent en place l’écossage de l’amande. Le gouvernement continue Ă  concĂ©der Ă  une poignĂ©e de famille des noiseraies. En 1970, 80 % des concessions de noiseraies se trouvent concentrĂ©es entre la propriĂ©tĂ© de deux familles, les Mutran et Almeida[2].

Les annĂ©es 1980, fut celle des grands projets de dĂ©veloppement de l’élevage, de l’exploitation forestière, de l’extraction minière, de la construction de barrage hydroĂ©lectrique, de la construction de ligne de chemin de fer et de grands axes routiers. Ces projets d’amĂ©nagement du territoire eurent pour consĂ©quence un effondrement de la production de noix du BrĂ©sil de 51 % entre 1970 et 1990 puis Ă  nouveau de 51 % cette fois-ci en seulement treize ans (de 1990 Ă  2003), selon les statistiques de la FAO[18] (voir le tableau de la section suivante).

De 1984 Ă  1997, près de 70 % des noiseraies d’Amazonie disparaĂ®ssent, malgrĂ© leur protection lĂ©gale, par manque de compĂ©titivitĂ© : il Ă©tait plus lucratif de vendre des arbres, faire du charbon, faire des cultures agricoles ou de l’élevage[19]. L’expression de « cimetière des noyers » vit le jour pour dĂ©signer ces zones aux souches d’arbres carbonisĂ©es qui jonchaient le sol, avec encore quelques noyers du BrĂ©sil restĂ©s sur pieds mais devenus improductifs. Car au milieu des pâturages, les groupements de noyers dĂ©pĂ©rissent (taux de mortalitĂ© des noyers de plus de 70 cm de diamètre : 23 % dans les pâturages selon l'ORSTOM[20] alors qu'en forĂŞt voisine, aucun arbre de mĂŞme taille ne mourut dans la mĂŞme pĂ©riode. Le piĂ©tinement des jeunes pousses par le bĂ©tail empĂŞche en outre la rĂ©gĂ©nĂ©ration des peuplements. Toutes les Ă©tudes soulignent la vulnĂ©rabilitĂ© de cette espèce aux modifications de l’écosystème forestier.

À la fin du XXe siècle, la production de noix d’Amazonie de la Bolivie avait rattrapé celle du Brésil, avec des fluctuations saisonnières importantes des récoltes.

Au dĂ©but des annĂ©es 1980, commença un des rares exemples rĂ©ussis Ă©cologiquement et viables Ă©conomiquement de plantation de noyers d’Amazonie. SituĂ©e Ă  Itacoatiara (État de l'Amazonas), la Fazenda AruanĂŁ comporte actuellement une plantation de 3 700 hectares, au milieu de la forĂŞt primaire, indispensable Ă  la pollinisation croisĂ©e des noyers[2] - [21]. Sur un million six cent mille noyers plantĂ©s depuis 30 ans, seuls 300 000 plants sĂ©lectionnĂ©s et greffĂ©s l’ont Ă©tĂ© pour rĂ©colter les noix, les autres sont destinĂ©s Ă  produire du bois. Le modèle est rentable grâce Ă  une certification biologique, permettant de vendre les noix plus cher dans les boutiques de produits biologiques du pays.

Depuis une vingtaine d’annĂ©es, la demande de noix d’Amazonie augmente dans les pays occidentaux. En 2013, cinq pays reprĂ©sentent 95 % des parts de marchĂ© Ă  l’exportation des noix d’Amazonie dĂ©cortiquĂ©es : les États-Unis (32 %), l’Allemagne (25 %), le Royaume-Uni (22 %), les Pays-Bas (10 %) et l’Australie (%). Aux deux importateurs traditionnels de noix du BrĂ©sil, les États-Unis et le Royaume-Uni, sont venus se joindre les Pays-Bas, en tant que marchand international (trader) et l’Allemagne, comme consommateur final notamment au sein des marchĂ©s biologiques et Ă©quitables.

Production

Selon FAOSTAT[18], la production de noix du Brésil non décortiquée (l’amande avec son tégument solide) dans le Brésil, la Bolivie et le Pérou se distribue ainsi depuis une demi siècle :

Rang Pays1970 (t)1990 (t)2003 (t)2016 (t)2017 (t)
1 Drapeau du Brésil Brésil104 48751 19524 89442 33532 942
2 Drapeau de la Bolivie Bolivie8 50017 00024 09034 80925 749
3 Drapeau du PĂ©rou PĂ©rou1 6801 6394 8006 1346 042
Amérique du Sud114 66769 83453 78483 27864 733

Dans les annĂ©es 1950, la production se situait autour de 25 000 tonnes puis elle monta rĂ©gulièrement avec d’importantes fluctuations d’une annĂ©e Ă  l’autre. Elle passa par un pic d’extraction en 1970, avec 115 000 tonnes, suivi de creux d’environ 40 700 t en 1996 et 1998, selon FAOSTAT[18].

Ă€ la suite de la politique brĂ©silienne de dĂ©veloppement relĂ©guant au second plan l’extractivisme, la production de noix du BrĂ©sil s’effondra de 76 % entre les annĂ©es 1970 Ă  2003. Pendant ce temps, les forĂŞts des rĂ©gions du bassin amazonien se trouvant en Bolivie et PĂ©rou, furent prĂ©servĂ©es et l’extraction de noix se dĂ©veloppa rĂ©gulièrement pour finalement dĂ©passer leur grand voisin brĂ©silien.

Articles connexes

Notes

  1. chez les Angiospermes, axe situé dans le prolongement du pédoncule floral et supportant l’androcée
  2. ces regroupements sont appelés castanhais au Brésil et manchales au Pérou et en Bolivie. Certains auteurs français, comme Beaufort, les appellent noyeraies d’Amazonie

Références

  1. Katia AMRIOU, Le noyer du Brésil ((Bertholletia excelsa, Lecythidacées), sa noix, son huile), thèse de l'Université Claude Bernard, Lyon, 2010. DOI : http://hdl.handle.net/10068/850233.
  2. Bastien Beaufort, Thèse : La fabrique des plantes globales: une géographie de la mondialisation des végétaux du Nouveau Monde et particulièrement de l’Amazonie, Géographie. Université Sorbonne Paris Cité, (lire en ligne)
  3. Nom en français d’après Termium plus, la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada
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