Khmer Krom
Les Khmers Krom (en khmer : áááááááááá /khmae kraom/ littĂ©ralement « Khmers d'En-bas ») sont les membres de la minoritĂ© khmĂšre du ViĂȘt Nam et vivent pour la plupart au sud du pays, dans le delta du MĂ©kong dont ils sont les autochtones. En Vietnamien ils se nomment NgÆ°á»i Viet Goc Mien (Vietnamiens dâorigine khmĂšre), NgÆ°á»i KhÆĄ-me Nam Bo (Khmers du Sud) ou encore plus simplement NgÆ°á»i Khmer.
ViĂȘt Nam | 2 900 000 (2020) |
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RĂ©gions dâorigine | |
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Langues | khmer, vietnamien, pali langue liturgique |
Religions | bouddhisme theravÄda |
Ils forment lâun des 54 groupes ethniques du ViĂȘt Nam officiellement reconnus par le gouvernement.
Population
Le nombre de Khmer Krom reste sujet Ă controverse. Alors que le recensement du gouvernement vietnamien de 1999 en aurait dĂ©nombrĂ© 1 055 174[1], la FĂ©dĂ©ration des Khmers du KampuchĂ©a Krom les estime Ă plus de 8 millions[2]. Toutefois, les rĂ©cents rapports des organisations AusAID[3] et Human Rights Watch[4] se rapprochent des chiffres vietnamiens et parlent de « plus dâun million » dâindividus.
DâaprĂšs ces Ă©tudes, les 13 provinces du delta du MĂ©kong compteraient 17 millions dâhabitants, soit un cinquiĂšme de la population totale du ViĂȘt Nam. Les Khmers constituent le second groupe ethnique du delta derriĂšre les Kinh (ViĂȘt), mais devant les Hoa (Chinois) et les Cham[5]. Aujourdâhui, les Khmers vivent surtout dans les provinces de SĂłc TrÄng (oĂč ils reprĂ©sentent plus de 30 % de la population), TrĂ Vinh (30 %), KiĂȘn Giang (13 %), An Giang, BáșĄc LiĂȘu, Cáș§n ThÆĄ, VÄ©nh Long et CĂ Mau[3].
Selon le site de la Khmer Kampuchea-Krom Federation[6], les Vietnamiens portant les noms TháșĄch, SÆĄn, KiĂȘn, Kim, ChĂąu, Danh, ÄĂ o, Cao sont les descendants des premiers Khmers ayant subi l'assimilation culturelle du XIXe siĂšcle.
Habitat - Histoire du delta du MĂ©kong
Les Khmers continuent Ă appeler KampuchĂ©a Krom (Cambodge du bas) les provinces mĂ©ridionales de lâactuel ViĂȘt Nam dont ils se considĂšrent comme les descendants des premiers occupants de la rĂ©gion[2]. NĂ©anmoins les autoritĂ©s vietnamiennes rĂ©futent ces affirmations.
Des dĂ©couvertes archĂ©ologiques prĂšs dâĂc Eo montrent que lâendroit a Ă©tĂ© habitĂ© depuis plus de 2 000 ans et que du commerce sây faisait[7].
Ă partir du IIIe siĂšcle, le delta fera partie du Fou-nan puis de lâempire khmer.
Au XVIIe siĂšcle, une guerre civile entre les Trinh et les Nguyen ravage lâAnnam voisin. Câest en 1623, alors que lâempire khmer est en pleine dĂ©liquescence, que le roi Chey Chettha II autorise des rĂ©fugiĂ©s Ă s'installer dans la rĂ©gion autour de Prey Nokor (aujourdâhui HĂŽ Chi Minh-Ville)[8]. Ce sera le dĂ©but dâun long processus de « vietnamisation » de la rĂ©gion qui connaitra son apogĂ©e en , lorsquâun traitĂ© est conclu avec le roi cambodgien Ang Duong et qui confirme lâannexion dĂ©finitive du delta du MĂ©kong au profit de lâAnnam[9] - [10] - [11] - [note 1].
Le souverain khmer n'abandonnait pas pour autant tout espoir de rĂ©cupĂ©rer un jour ces provinces et allait notamment le montrer dans sa lettre de 1856 Ă NapolĂ©on III oĂč il confirmait que le Cambodge ne renonçait nullement Ă ses droits[note 2] - [14].
Mais le , les Français sâimplantent dans la rĂ©gion et mettent un terme aux opĂ©rations de « pacification » contre les populations autochtones khmĂšres[15]. Les forces françaises savent jouer des antagonismes interethniques et utilisent notamment des combattants Khmer Krom[16] pour conquĂ©rir ce qui correspond aujourdâhui aux rĂ©gions administratives du delta du MĂ©kong et du Sud-est vietnamien. La colonie française de Cochinchine sera crĂ©Ă©e en 1867[17] et durera plus de 80 ans.
Toutefois, les espoirs des Khmer Krom de voir Ă©vincer la communautĂ© annamite seront vite déçus. En effet, lâexploitation de la nouvelle colonie exigera rapidement lâutilisation dâune main dâĆuvre nombreuse que la rĂ©gion nâĂ©tait pas en mesure de fournir. La France puisa alors les bras qui lui manquaient dans les plaines surpeuplĂ©es du Tonkin â essentiellement par lâethnie Kinh -, ne faisant quâaccentuer dâautant le sentiment des Khmer Krom d'ĂȘtre relĂ©guĂ©s au rĂŽle dâintrus sur leurs terres[18].
L'arrivĂ©e des Français n'avait pas non plus marquĂ© la fin du grignotage de terres et la nouvelle colonie de Cochinchine poursuivait, Ă ses dĂ©buts, son expansion au dĂ©triment du Cambodge. Dans les annĂ©es 1870, tout un territoire khmer situĂ© entre ceux de Prey Veng et TĂąy Ninh est annexĂ©. Dans les annĂ©es 1890, de nouveaux cantons, dont ceux de Lá»c Ninh et PhÆ°á»c LĂȘ, dans lesquels on compte Ă©tendre les plantations d'hĂ©vĂ©a sont Ă leur tour rattachĂ© Ă l'administration de SaĂŻgon. Les frontiĂšres ne seront fixĂ©es que par lâarrĂȘtĂ© du Gouverneur gĂ©nĂ©ral de l'Indochine datĂ© du , qui de surcroĂźt rend au Cambodge le district de Cai Cay, dans la rĂ©gion du « bec de canard », de l'actuelle province de Svay Rieng[19].
La colonie perdurera jusquâau , date Ă laquelle lâempire colonial français est remplacĂ© par lâUnion française qui donne des pouvoirs toutefois trĂšs limitĂ©s aux anciennes dĂ©pendances. Ă cette occasion, la Cochinchine est rĂ©intĂ©grĂ©e Ă lâĂtat du ViĂȘt Nam[20]. Mais, le roi Norodom Sihanouk affirme les prĂ©tentions cambodgiennes sur la rĂ©gion, se rĂ©fĂ©rant notamment Ă une promesse de rĂ©trocession des provinces de Vinh Long, ChĂąu DĂŽc et HĂ TiĂȘn qu'aurait faite en 1864 l'amiral de la GrandiĂšre Ă Norodom Ier lors d'une visite Ă SaĂŻgon[21]. Devant ces rĂ©serves, l'article 3 de la loi de cession du territoire rendra ce rattachement provisoire et susceptible dâĂȘtre remis en cause si le statut du ViĂȘt Nam venait Ă changer[22] - [note 3].
Ce changement interviendra le lors des accords de GenĂšve qui scellent lâindĂ©pendance totale du ViĂȘt Nam, mais sans toutefois que le statut de la Cochinchine, intĂ©grĂ©e Ă la RĂ©publique du Sud ViĂȘt Nam, ne soit rediscutĂ©.
Depuis, le delta du MĂ©kong est un sujet de ressentiment rĂ©current des Cambodgiens et des Khmer Krom envers le ViĂȘt Nam voire envers les Français Ă qui il est reprochĂ© dâavoir cĂ©dĂ© en 1949 une terre sur laquelle dâaprĂšs eux, le Cambodge nâavait jamais renoncĂ© Ă faire valoir ses droits[24].
Encore aujourdâhui, certains partis politiques de Phnom Penh, tel le Mouvement dĂ©mocratique de Hang Dara, nâhĂ©site pas Ă inclure nommĂ©ment la restitution du KampuchĂ©a Krom au Cambodge dans leur programme[25].
Nationalisme
Lors de la rĂ©sistance au rĂ©gime colonial des annĂ©es 1940, quelques Khmers Krom soutenaient les forces communistes Viá»t Minh, qui sâĂ©taient alliĂ©es aux nationalistes khmers issarak (littĂ©ralement Khmers libres) et combattaient aussi bien dans le delta du MĂ©kong quâau Cambodge[26]. Dâautres Khmers Krom soutenaient les Français, notamment certains moines bouddhistes qui se serait battus dans des milices locales mises en place par le pouvoir colonial[26].
AprĂšs lâindĂ©pendance, la RĂ©publique du ViĂȘt Nam mit en place des campagnes dâassimilation agressives, ponctuĂ©es en 1956 par un dĂ©cret de « nationalisation » [27]. Le gouvernement ordonna la fermeture des Ă©coles liĂ©es aux pagodes, entrava lâutilisation de la langue khmĂšre et obligea les Khmers Krom Ă adopter un nom vietnamien[26]. Cette derniĂšre pratique nâĂ©tait pas toutefois nouvelle, puisque dĂ©jĂ au XIXe siĂšcle, lâempereur Minh MáșĄng avait obligĂ© les Khmers Ă choisir entre cinq patronymes, Ă savoir Danh, Kien, Son, Kim, ou Thach[28]. LâĂ©cole de Soc Trang est transformĂ©e en institution vietnamienne[26].
NgĂŽ ÄĂŹnh Diá»m, le dirigeant â catholique â de la RĂ©publique du ViĂȘt Nam met en place durant sa prĂ©sidence (de 1955 Ă 1963) des lois destinĂ©es Ă restreindre la progression du bouddhisme au ViĂȘt Nam. Les rĂ©formes fonciĂšres incluent des incitations gouvernementales aux Kinh qui sâinstallent au sud, poursuivant le processus visant Ă priver les Khmers Krom de la terre de leurs ancĂȘtres[27]. Ces efforts de « vietnamisation » remirent en selle les mouvements ethno-nationalistes au sein des Khmers Krom[26]. Parmi ces mouvements, le plus important Ă©tait le Front des Khmers du KampuchĂ©a Krom, dirigĂ© par le moine Chau Dara qui au dĂ©part demandait une Ă©galitĂ© de droit entre les Khmers Krom et la majoritĂ© Kinh. En 1963, Chau Dara est arrĂȘtĂ© aprĂšs que le front aurait mis sur pied une armĂ©e dâenviron 1 500 hommes et exigĂ© du ViĂȘt Nam quâil « rende » le KampuchĂ©a Krom au Cambodge[27].
Dâautres mouvements Ă©mergĂšrent, aussi bien chez les Khmers Krom que chez les Chams (les descendants des habitants de lâancien Royaume de Champa, au centre du ViĂȘt Nam) et les minoritĂ©s des hauts plateaux appelĂ©es « Montagnards » ou Dega. En 1964, le Front des Khmers du KampuchĂ©a Krom et le Front de LibĂ©ration du Champa fusionnent avec le Bajaraka, un groupe ethno-nationaliste montagnard - dont le nom est formĂ© des premiĂšres lettres des groupes ethniques qui le composent (Bahnar, JaraĂŻ, Rhade et Co Ho) â et qui Ă©tait le prĂ©curseur du FULRO â Front Uni de Lutte des Races OpprimĂ©es) [27].
Vu la longue tradition de soutien aux mouvements nationalistes et la profonde animositĂ© animant les Khmers Krom Ă lâencontre de lâethnie Kinh, le gouvernement actuel du ViĂȘt Nam reste sensible Ă toute tentative de rĂ©Ă©mergence dâun mouvement ethno-nationaliste. Les autoritĂ©s sont par consĂ©quent promptes Ă rĂ©primer toute forme de dissidence, mĂȘme pacifique, dans la communautĂ© khmĂšre du ViĂȘt Nam[29]. Ă ces tensions, sâajoute le nombre croissant de fermiers Khmers Krom qui protestent et se plaignent au gouvernement de la perte de leurs terres (voir par ailleurs le chapitre litiges fonciers).
Religion - Un bouddhisme militant
Contrairement Ă la grande majoritĂ© de lâethnie dominante Kinh, fidĂšle au Bouddhisme mahÄyÄna ou au Catholicisme, les Khmers Kroms suivent les prĂ©ceptes du bouddhisme theravÄda. Beaucoup voient dans cette forme de bouddhisme lâorigine de leur culture spĂ©cifique et de leur identitĂ© ethnique.
Ces bouddhistes ont traditionnellement manifestĂ©s de maniĂšre pacifique pour obtenir des changements politiques au moins depuis lâĂ©poque coloniale. On comptait parmi les figures importantes de la lutte indĂ©pendantiste cambodgienne des intellectuels Khmer Krom tels Son Ngoc Thanh ou dâanciens moines bouddhistes nĂ©s au sud du ViĂȘt Nam comme notamment Son Ngoc Minh ou Tou Samouth[30]. Ils recrutaient en prĂȘchant dans les pagodes khmĂšres du Cambodge et du sud du ViĂȘt Nam oĂč ils appelaient Ă prĂ©server le bouddhisme theravÄda et exhortaient la population Ă rejoindre la lutte anticoloniale[26].
Le , la police française rĂ©prima brutalement la « rĂ©volte des ombrelles », une manifestation pacifique rĂ©unissant Ă Phnom Penh plus dâun millier de moines et de laĂŻques qui protestaient contre la dĂ©cision des autoritĂ©s dâarrĂȘter et de dĂ©froquer le vĂ©nĂ©rable Hem Chieu, un moine nationaliste qui sâĂ©tait opposĂ© de maniĂšre vĂ©hĂ©mente Ă la proposition française de « romaniser » lâalphabet khmer[31]. Lâadministration française rĂ©pondit Ă ce quâon peut considĂ©rer comme « la premiĂšre action concertĂ©e contre le colonialisme au Cambodge » [26] en exigeant de lâĂ©cole PĂąli et de lâInstitut bouddhique de Phnom Penh de ne plus se mĂȘler de politique et dâinterdire Ă leurs moines de prononcer des sermons subversifs[31]. Beaucoup de contestataires sâenfuirent en ThaĂŻlande et lâĂ©cole PĂąli fut fermĂ©e plus de six mois[32]. Le vĂ©nĂ©rable Hem Chieu fut envoyĂ© au bagne de Poulo Condor oĂč il mourut en 1943[26].
Dans les annĂ©es 1960, alors que lâindĂ©pendance avait Ă©tĂ© acquise, plusieurs moines Khmer Krom furent assassinĂ©s ou exĂ©cutĂ©s au ViĂȘt Nam, dont le supĂ©rieur de la pagode Khleang, dans la Province de SĂłc TrÄng en 1960 et celui de la pagode de Chek Chroun, dans la Province de TrĂ Vinh en 1963[26]. MalgrĂ© la rĂ©pression qui obligea de nombreux Khmer Krom Ă trouver refuge au Cambodge, le gouvernement vietnamien estimait en 1974, quâil y avait 500 000 ressortissants de lâethnie khmĂšre sur son territoire et plus de 400 pagodes actives au sud du ViĂȘt Nam[26].
En , Ă SaĂŻgon, plusieurs milliers de policiers dispersent durement une manifestation pacifique de 200 moines Khmer Krom qui protestaient contre la politique dâassimilation du gouvernement. Dâautres manifestations moins importantes eurent lieu dans le delta du MĂ©kong lâannĂ©e suivante[26].
Certains Khmers du ViĂȘt Nam ne se contentaient pas de sâopposer passivement au gouvernement du sud, mais soutenaient activement les mouvements communistes cambodgien et vietnamien. Parmi eux, Ieng Sary et Son Sen deviendront des hauts responsables khmers rouges, dont le programme inclura de reprendre le « KampuchĂ©a Krom » au ViĂȘt Nam. AprĂšs la rĂ©unification en 1975, la RĂ©publique socialiste du ViĂȘt Nam reconnut la contribution pendant la guerre de nombreux moines bouddhistes et intellectuels Khmer Krom dans la rĂ©volution et les mouvements indĂ©pendantistes qui lâont prĂ©cĂ©dĂ©e[26].
Les nouvelles politiques religieuses et fonciĂšres qui suivirent la rĂ©unification du ViĂȘt Nam, ainsi que les violents combats frontaliers opposant en 1978 - 1979 les troupes vietnamiennes et khmĂšres rouges affectĂšrent sĂ©vĂšrement la communautĂ© Khmer Krom du delta du MĂ©kong, engendrant notamment des « dĂ©placements de population » et des restrictions sur certaines pratiques bouddhiques dont lâordination des moines[4].
Pendant le rĂ©gime de Pol Pot, les autoritĂ©s vietnamiennes permirent toutefois aux moines qui fuyaient le Cambodge, de sâinstaller dans les pagodes bouddhistes du delta du MĂ©kong. AprĂšs que le ViĂȘt Nam eut renversĂ© les khmers rouges, en 1979, beaucoup de ces moines retournĂšrent au Cambodge oĂč, avec la bĂ©nĂ©diction des autoritĂ©s, ils participĂšrent Ă la remise en place dans les pagodes des Sangha (communautĂ© bouddhiste des moines) qui avaient Ă©tĂ© dĂ©cimĂ©s.
Au milieu des annĂ©es 1980, le gouvernement vietnamien adopta des mesures plus rĂ©pressives Ă lâencontre des Khmer Krom. Lâune des premiĂšres fut de demander aux moines une carte dâidentitĂ© pour pouvoir voyager. En 1984, la plupart des bibliothĂšques monastiques furent fermĂ©es et les moines qui enseignaient le bouddhisme ou la culture khmĂšre furent emprisonnĂ©s. Il semblerait que les autoritĂ©s vietnamiennes croyaient que les Khmer Krom Ă©taient mĂȘlĂ©s Ă une organisation subversive nommĂ©e KC-50, soi-disant financĂ©e par les Ătats-Unis et dont le but aurait Ă©tĂ© de rĂ©installer le gouvernement anticommuniste de lâancienne RĂ©publique du ViĂȘt Nam. La rĂ©pression fut particuliĂšrement brutale dans la Province de TrĂ Vinh oĂč par exemple Khim Tok Choeng, supĂ©rieur de la pagode de Preah Trapeang fut arrĂȘtĂ© en 1985 avant que son corps ne soit retournĂ© dans un cercueil scellĂ© de style vietnamien. Ces compagnons prĂ©tendirent quâil avait Ă©tĂ© Ă©ventrĂ©. Dâautres moines furent assassinĂ©s Ă la mĂȘme Ă©poque et de maniĂšre similaire, tels les vĂ©nĂ©rables Thach Kong, Thach Ret ou Kim Sang, le prĂ©sident du comitĂ© central des moines theravÄda du ViĂȘt Nam[26].
Alors que les persĂ©cutions ont diminuĂ© depuis les annĂ©es 1990, des observateurs prĂ©tendent que le gouvernement vietnamien a gĂ©nĂ©ralement remplacĂ© les maniĂšres brutales par des mĂ©thodes plus douces et plus subtiles visant Ă contrĂŽler les libertĂ©s de mouvement, dâassociation, de rĂ©union et de religion des Khmers Krom[26] - [29]. Par exemple, les libertĂ©s religieuses sont perçues au ViĂȘt Nam comme un privilĂšge octroyĂ© par le gouvernement au lieu dâĂȘtre un droit inaliĂ©nable. En outre, les activitĂ©s soupçonnĂ©es de menacer lâautoritĂ© du Parti communiste vietnamien sont interdites ou sĂ©vĂšrement contrĂŽlĂ©es.
Certains bouddhistes Khmer Krom voudraient gĂ©rer et pratiquer leurs activitĂ©s religieuses sous la conduite de leur propre ordre monastique plutĂŽt que â comme cela est le cas pour toutes les religions au ViĂȘt Nam â sous la surveillance dâun comitĂ© nommĂ© par le gouvernement[33]. Pour les bouddhistes, il sâagit du conseil exĂ©cutif du Sangha bouddhiste vietnamien, une organisation dominĂ©e par des dirigeants du bouddhisme mahÄyÄna et proches du pouvoir. Câest ce conseil â et non les dirigeants bouddhistes theravÄda khmers â qui prennent toutes les dĂ©cisions concernant les ordinations, les cĂ©rĂ©monies religieuses et le contenu des programmes dâĂ©ducation religieuse donnĂ©e dans les Ă©coles des pagodes.
Toujours comme pour les autres religions, le gouvernement impose des restrictions aux bouddhistes khmers, telle que lâinterdiction de se rendre librement vers une autre pagode sans permission officielle. Pour lâĂtat, les groupes religieux qui essaient de fonctionner indĂ©pendamment des comitĂ©s gouvernementaux mettent Ă mal lâautoritĂ© du parti. Le gouvernement rĂ©pond brutalement aux demandes dâindĂ©pendance religieuse, plus particuliĂšrement dans des rĂ©gions comme le sud du ViĂȘt Nam oĂč la religion a traditionnellement Ă©tĂ© liĂ©e aux mouvements politiques ou aux influences dâorigine Ă©trangĂšres qui auraient pu Ă©branler la suprĂ©matie du Parti Communiste[4].
Ainsi, en 2007, des moines khmers protestĂšrent et demandaient de lever les restrictions sur le nombre de jours autorisĂ©s pour cĂ©lĂ©brer certaines fĂȘtes religieuses ainsi que de pouvoir nommer eux-mĂȘmes des responsables religieux qui pourront dĂ©cider de lâordination des moines et du contenu des cours religieux dans les Ă©coles des pagodes. Les moines rĂ©clamaient aussi lâouverture de plus dâĂ©coles primaires et secondaires en khmer et dâinclure dans leur programme la culture, lâhistoire et la gĂ©ographie du Cambodge. MalgrĂ© la promesse de certains dirigeants de prendre en compte ces demandes, quelques jours plus tard la police encercla les pagodes de ceux quâelle tenait pour les meneurs. Afin dâenvoyer un message fort Ă ceux qui avaient participĂ© aux manifestations, les autoritĂ©s locales et les responsables bouddhistes, choisis par le gouvernement, dĂ©froquĂšrent au moins 20 moines et les expulsĂšrent de leurs pagodes vers leurs villages natals oĂč ils furent placĂ©s en rĂ©sidence surveillĂ©e ou emprisonnĂ©s. La dĂ©cision de faire quitter la robe Ă un moine, lâobligeant de fait Ă abandonner le monachisme, appartient traditionnellement au Sangha et non Ă des officiels du gouvernement[4].
Il ne faut toutefois pas perdre de vue que les manifestations de 2008 et la maniĂšre dont les autoritĂ©s les ont rĂ©primĂ©es, ne sont pas spĂ©cifiques aux Khmer Krom. Les fidĂšles dâautres religions tels les bouddhistes HoĂ Hao[34], les membres de l'Ăglise bouddhique unifiĂ©e du ViĂȘt Nam[34], ainsi que les protestants, catholiques[35], mennonites[36] et adepte du CaodaĂŻsme souffrent eux aussi dâentraves gouvernementales Ă leurs pratiques religieuses et Ă leur libertĂ© de rĂ©union. Les minoritĂ©s ethniques qui, comme les Khmer Krom, mais aussi comme les Hmong ou les chrĂ©tiens montagnards des Hauts-plateaux du centre et du nord, tentent de gĂ©rer eux-mĂȘmes leurs affaires religieuses sont lĂ encore constamment en conflit avec les autoritĂ©s locales[37].
Au ViĂȘt Nam, oĂč les organisations indĂ©pendantes de la sociĂ©tĂ© civile sont interdites et la libertĂ© dâassociation fortement limitĂ©es, les organisations religieuses rĂ©pondent parfois Ă des attentes qui sortent normalement de leurs attributions. Des dirigeants religieux indĂ©pendants tels Thich Quang Do de l'Ăglise bouddhique unifiĂ©e du ViĂȘt Nam, le pasteur Mennonite Nguyen Hong Quang ou le prĂȘtre catholique Nguyen Van Ly se doublent de dĂ©fenseurs des droits de l'homme, mais en payent le prix fort en goĂ»tant aux geĂŽles du pays[36].
Les rassemblements tels que les fĂȘtes bouddhiques, les messes catholiques oĂč les rĂ©unions dans les Ă©glises montagnardes remplissent un rĂŽle religieux mais peuvent aussi servir de tribunes de discussions sur les problĂšmes sociaux[33].
Dans le discours du Parti communiste vietnamien, les expressions populaires de contestation et toute forme dâagitation sociale sont perçues comme des conspirations manigancĂ©es par des « forces Ă©trangĂšres hostiles » qui abusent de la dĂ©mocratie, des droits de lâhomme, des conflits sociaux et des libertĂ©s religieuses pour manipuler et attiser lâopposition au gouvernement dans les groupes dĂ©favorisĂ©s et marginalisĂ©s.
Le gouvernement vietnamien tend Ă traiter toute revendication dâorigine ethnique comme un mouvement sĂ©paratiste ou irrĂ©dentiste. De fait, beaucoup de Khmers sont nationalistes et reprochent au ViĂȘt Nam la confiscation de lâancestral territoire du delta du MĂ©kong. Dans des documents internes, les autoritĂ©s justifient leurs efforts pour annihiler les mouvements Khmer Krom par la crainte dâavoir Ă faire face Ă une demande de crĂ©ation dâun Ătat indĂ©pendant. Toutefois, rien nâindique que les cinq moines incarcĂ©rĂ©s en pour trouble Ă lâordre public et plus particuliĂšrement pour avoir perturbĂ© la circulation avaient des visĂ©es indĂ©pendantistes[4].
Litiges fonciers
Pendant les accrochages entre les khmers rouges et les troupes vietnamiennes en 1978â1979, les Khmer Krom durent quitter leurs habitations situĂ©es dans la zone des combats. Lorsque les Ă©vacuĂ©s voulurent revenir en 1979, beaucoup trouvĂšrent leurs maisons dĂ©molies et des personnes de lâethnie Kinh installĂ©s sur leurs terrains. Le gouvernement vietnamien leur a distribuĂ© de petites parcelles pour rebĂątir leurs maisons, mais comme les terres ne sont pas fertiles, elles ne leur permettent pas de cultiver de quoi subvenir Ă leurs besoins[4].
En 1986, le sixiĂšme congrĂšs national du parti communiste lance le Äá»i má»i qui doit permettre au pays dâadopter lâĂ©conomie de marchĂ©. En 1988, le bureau politique dĂ©cide de la mise en place dâun systĂšme de contrats pour les paysans qui se voient allouer une parcelle de terrain. Si la loi fonciĂšre vietnamienne de 1993 conserve Ă lâĂtat la propriĂ©tĂ© du sol, il donne aux fermiers le droit dâoccuper leurs terrains, mais aussi de vendre, dâĂ©changer, de louer, dâhĂ©riter et dâhypothĂ©quer ce droit. Les paysans obtiennent un certificat dâutilisation de terrain aussi appelĂ© « livre rouge » qui est censĂ© les prĂ©munir dâune confiscation de leur parcelle[38].
Des chercheurs ont montrĂ© quâen pratique les lois fonciĂšres de 1993 ont conduit beaucoup de paysans pauvres, notamment Khmer Krom, Ă vendre leurs titres pour payer leurs dettes ou tout simplement pour pouvoir gĂ©rer la hausse des prix des engrais et des soins de santĂ© combinĂ©s Ă la chute des cours du riz[39]. Les consĂ©quences en ont Ă©tĂ© une flambĂ©e de la spĂ©culation, des transactions frauduleuses et du nombre de conflits fonciers[40].
Les articles 28.3, 38, et 38.2.c de la loi fonciĂšre de 1993 stipulent que les conflits doivent se rĂ©gler par la conciliation Ă travers des comitĂ©s municipaux, de district puis de province. Si une des parties conteste la dĂ©cision des comitĂ©s, elle peut faire appel Ă un corps administratif gouvernemental ou aux tribunaux. Toutefois, les fermiers Khmer Krom rechignent Ă faire usage de ces dispositions. Ils se plaignent de la corruption des autoritĂ©s locales et de leurs manques de rĂ©ceptivitĂ© Ă leurs plaintes, quand elles ne prennent pas des dĂ©cisions en faveur des Kinh ou des dignitaires qui ont acquis leurs terres soit de maniĂšre illĂ©gale soit Ă des prix trĂšs largement infĂ©rieurs Ă ceux du marchĂ©[41]. Comme lâa fait remarquer Philip Taylor, chercheur en sciences sociales, le principal handicap de beaucoup de Khmer Krom est leur recours limitĂ© au systĂšme judiciaire qui a de toute façon tendance Ă favoriser le droit des nouveaux occupants par rapport Ă celui des anciens rĂ©sidents[39].
DĂ©sespĂ©rant de trouver une voie lĂ©gale efficace et Ă©quitable pour rĂ©cupĂ©rer leurs terres, les paysans Khmer Krom organisent des protestations qui, parfois, sont dispersĂ©es de maniĂšre brutale. Par exemple, le , la police a utilisĂ© des chiens et des matraques Ă©lectriques pour rĂ©primer un rassemblement dans la province d'An Giang. Plusieurs manifestants furent blessĂ©s et neuf arrĂȘtĂ©s[36].
Il est toutefois important de rappeler que les manifestations de 2007 et 2008 dans le delta du MĂ©kong et la maniĂšre dont les autoritĂ©s les ont rĂ©primĂ©es, ne sont pas spĂ©cifiques au Khmer Krom. Dans beaucoup de rĂ©gions du ViĂȘt Nam, les paysans protestent contre la confiscation de leurs terres et la corruption[33].
Pauvreté
Alors que le delta du MĂ©kong est la premiĂšre rĂ©gion rizicole du ViĂȘt Nam, les Khmer Krom nâen tirent quâun faible profit. Une Ă©tude prĂ©parĂ©e par un groupe de travail comprenant le gouvernement, des donateurs et des Organisations Non Gouvernementales, tend Ă dĂ©montrer que le taux de pauvretĂ© est liĂ© Ă lâorigine ethnique et que les Khmer Krom sont les moins favorisĂ©s, en partie parce quâil reste sur les sols les moins fertiles. Toujours dâaprĂšs ce rapport, les provinces qui prĂ©sentent le plus fort taux de pauvretĂ© (SĂłc TrÄng et TrĂ Vinh) sont aussi celles oĂč les communautĂ©s Khmer Krom sont les plus importantes. Dâautre part, dans toutes les provinces oĂč ils sont prĂ©sents, la pauvretĂ© des Khmer Krom est plus importante que celle des autres ethnies[42].
Les rĂ©formes fonciĂšres des annĂ©es 1980 et 1990 qui donnĂšrent le « droit dâutilisation » de terres Ă ceux qui y vivaient et la travaillaient depuis un certain temps ont souvent pĂ©nalisĂ© les Khmer Krom qui avaient auparavant Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s. Dâautres ont dĂ» vendre ou hypothĂ©quer leurs parcelles pour attĂ©nuer leur pauvretĂ© ou leur endettement[4].
ComparĂ© aux sept autres rĂ©gions du ViĂȘt Nam, le delta du MĂ©kong est celle qui compte le plus de personnes Ă faible revenus (4 millions) et le second taux de sans abris[3]. DâaprĂšs les donateurs australiens de lâAusAID, les Khmer Krom sont les plus dĂ©savantagĂ©s Ă©conomiquement et socialement des trois principaux groupes ethniques du delta[3].
Beaucoup de Khmer Krom louent maintenant leurs bras sur dâautres terres ou ont abandonnĂ© dĂ©finitivement lâagriculture pour des postes peu rĂ©munĂ©rĂ©s qui requiĂšrent un niveau dâĂ©tude sommaire et de faibles compĂ©tences tels que la manutention ou le recyclage[3]. On assiste Ă un flux constant de jeunes qui quitte le delta pour les usines dâHĂŽ Chi Minh-Ville[43].
Se trouvant eux-mĂȘmes progressivement privĂ©s de leurs terres ainsi que de leur moyens de subsistance et dĂ©sespĂ©rant de trouver des recours, de plus en plus de Khmer Krom descendent dans la rue pour manifester[33].
Discrimination
Le gouvernement de HanoĂŻ dĂ©clare que les discriminations raciales « nâexistent pas » au ViĂȘt Nam oĂč « toutes les ethnies ont, depuis des temps immĂ©moriaux, coexistĂ© pacifiquement sans conflit racial ni discrimination. Tous les groupes ethniques, quelle que soit leur taille, leur langue, leur culture, leur histoire ou leur niveau de dĂ©veloppement, ont les mĂȘmes droits dans tous les domaines de leur vie[44]. »
Un article paru sur le site de la radio dâĂtat « Voice of Vietnam » en 2007 prĂ©sentait les programmes gouvernementaux censĂ©s ĂȘtre en faveur de lâethnie khmĂšre. Durant les cinq annĂ©es prĂ©cĂ©dentes (2001-2006) lâĂ©tat a investi plus de mille milliards de Dongs (prĂšs de 59 millions de dollars US) pour construire des infrastructures dans plus de 200 communes habitĂ©es par des Khmers, 108 pagodes ont Ă©tĂ© construites ou rĂ©novĂ©es, plus de 60 000 mĂ©nages Ă revenus modeste ont reçu des terrains pour y bĂątir des maisons, plus de 100 000 ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de prĂȘts pour plus de 150 milliards de Dongs (8 millions de dollars US) afin de dĂ©velopper leur production. Plus de 80 % des mĂ©nages auraient un Ă©quipement audio-visuel et apprennent la langue khmĂšre. Les provinces comme TrĂ Vinh ou SĂłc TrÄng oĂč la communautĂ© des Khmer Krom est importante, ont des journaux en Khmer et tous les ans, leurs fĂȘtes traditionnelles sont fĂȘtĂ©es en grande pompe[45].
La Constitution de la rĂ©publique socialiste du ViĂȘt Nam adoptĂ©e le affirme les droits des minoritĂ©s ethniques. Lâarticle 5 dĂ©clare que le gouvernement interdit tout acte de discrimination ethnique et garantie le droit des groupes Ă utiliser leur langue et leur systĂšme dâĂ©criture, de prĂ©server leur identitĂ© et de promouvoir leurs traditions et leur culture. Les articles 36 et 39 autorisent des traitements prĂ©fĂ©rentiels en termes dâĂ©ducation et de santĂ© pour les minoritĂ©s ethniques[46]. La commission Ă la nationalitĂ© de lâAssemblĂ©e nationale vietnamienne Ă©labore et coordonne les politiques en faveur des minoritĂ©s, alors quâun organe gouvernemental, le ComitĂ© pour les minoritĂ©s ethniques et les zones montagnardes supervise les problĂšmes tels que les programmes de rĂ©duction de la pauvretĂ© et les incitations fiscales en leur faveur[47] - [48].
MalgrĂ© lâexistence de ces politiques et programmes officiels, la perception dâune discrimination est trĂšs prĂ©sente chez les Khmer Krom. Beaucoup se plaignent dâĂȘtre dĂ©savantagĂ©s par le gouvernement qui ne leur fournit pas assez de possibilitĂ©s de suivre des Ă©tudes secondaires en Khmer, dâinterdire les publications dans leur langue sur leur histoire et leur culture, de restreindre la pratique du bouddhisme theravÄda, de rĂ©primer leurs manifestations pacifiques, de les empĂȘcher de contacter des groupes de dĂ©fense Ă©trangers, de dĂ©tourner lâaide au dĂ©veloppement qui leur est destinĂ©e et de nâoffrir que des compensations et des recours virtuels Ă la confiscation de leurs terres[49]. Ils ajoutent que malgrĂ© les discours prĂŽnant une sociĂ©tĂ© multiethnique, le gouvernement ne prend en fait aucune mesure concrĂšte visant Ă prĂ©server la culture des khmers Krom. La rhĂ©torique multiculturelle et les gestes symboliques tendraient juste Ă laisser croire Ă la communautĂ© internationale que lâĂtat se prĂ©occupe de la situation alors quâen rĂ©alitĂ© sa politique appauvri et isole les Khmers, procĂ©dant ainsi Ă la lente extinction de leur culture[29] - [39].
La situation rĂ©elle des Khmer Krom est difficile Ă vĂ©rifier, vu les difficultĂ©s encourues par les groupes de dĂ©fense des droits humains lors de leurs enquĂȘtes au ViĂȘt Nam. Toutefois, la perception largement rĂ©pandue dans la communautĂ© dâune discrimination Ă leur Ă©gard est elle-mĂȘme source de conflit. Pour ne rien arranger, les efforts du gouvernement pour nier le problĂšme et pour punir ceux qui protestent ne font quâattiser cette rancĆur[4] - [29].
Aussi, afin de pouvoir mieux faire entendre leurs doléances, les Khmer Krom ont rejoint l'Organisation des nations et des peuples non représentés (UNPO)[50].
Illettrisme et faible scolarisation
Ă la base de beaucoup de plaintes pour discrimination, on retrouve le fait que les khmer Krom sont les plus pauvres du delta du MĂ©kong et aussi ceux qui ont le moins dâinstruction, deux taux qui interagissent fortement lâun sur lâautre. Tout cela ne fait que renforcer leur sentiment de marginalisation. Beaucoup pensent que la politique dâĂ©ducation mise en place par le gouvernement est destinĂ©e avant tout Ă les assimiler dans une sociĂ©tĂ© dominĂ©e par lâethnie Kinh, les empĂȘchant dâaccĂ©der aux hautes Ă©tudes et affaiblissant les fondations de leur culture : la langue khmĂšre[4].
Alors que le delta du MĂ©kong dĂ©tient un pourcentage dâĂ©coles primaires et secondaires plus Ă©levĂ© quâaucune des sept autres rĂ©gions du ViĂȘt Nam, il a aussi le second taux dâillettrisme chez les adultes et le plus bas niveau de scolarisation, avec un tiers de lâensemble des abandons scolaires de tout le pays, 83 % des travailleurs Ă bas salaires, 96 % de la population Ă faible revenus et Ă niveau dâinstruction sommaire[3] - [39]. Dans la Province de TrĂ Vinh (environ 100 000 habitants), 6 000 Ă©coliers ont abandonnĂ© lâĂ©cole en 2007. DâaprĂšs un instituteur de la province, 70 % dâentre eux lâont fait pour des raisons financiĂšres qui les ont obligĂ© Ă travailler alors que seuls 30 % lâont fait pour leur « incapacitĂ© Ă apprendre[51] ».
Le mauvais taux de frĂ©quentation est en partie dĂ» aux familles Khmer Krom Ă faible revenu qui ont besoin de faire travailler leurs enfants pour subvenir aux besoins du mĂ©nage, contribuant Ă entretenir la spirale de la pauvretĂ©. Beaucoup des enfants ayant une faible capacitĂ© dâapprentissage viennent de la minoritĂ© khmĂšre[51]. Pour eux, les handicaps se cumulent; ne maitrisant pas la langue vietnamienne du professeur, leur milieu social dĂ©favorisĂ© leur rend peu abordables les frais de scolaritĂ© dâĂ©coles souvent Ă©loignĂ©es de leur domicile[39].
Un rapport de lâAusAID datant de 2003 et qui avait montrĂ© que beaucoup dâenfants issus de familles khmĂšres pauvres ne finissaient pas leur scolaritĂ©, recommandait de modifier le systĂšme Ă©ducatif pour le rendre « plus accessible aussi bien socialement que linguistiquement aux Ă©lĂšves khmers[3]. »
Le gouvernement vietnamien avait rĂ©pondu que sa politique Ă©tait dâencourager tous les groupes ethniques Ă apprendre le vietnamien, la langue officielle du pays, tout en reconnaissant aux minoritĂ©s le droit dâĂ©tudier et dâutiliser leurs langues parlĂ©es et Ă©crites[46]. Les lois en matiĂšre dâĂ©ducation devraient permettre aux Ă©tudiants des minoritĂ©s ethniques dâĂȘtre partiellement ou totalement exemptĂ©s de frais de scolaritĂ© et d'avoir des bourses pour Ă©tudier dans des Ă©coles qui leur sont destinĂ©s[44].
Toutefois, dans la rĂ©alitĂ©, les Ă©lĂšves Khmer Krom, en plus dâavoir des difficultĂ©s avec la langue vietnamienne, ne peuvent pas non plus bĂ©nĂ©ficier dâune bonne Ă©ducation en Khmer. Les Ă©coles publiques du delta du MĂ©kong dispensent la grande majoritĂ© de leurs cours en Vietnamien, avec souvent que deux heures par semaine dâapprentissage du Khmer[39].
Pour beaucoup de Khmer Krom, le seul moyen dâapprendre Ă lire ou Ă Ă©crire leur langue est dâaller Ă©tudier dans les Ă©coles pĂąlies tenues par des pagodes bouddhistes ou de devenir moine. Cela exclut la plupart des filles qui ne peuvent devenir moines et qui traditionnellement ne sont pas Ă©duquĂ©es dans les pagodes[4].
Relation avec le Cambodge
Les Khmer Krom, tout comme le royaume du Cambodge se considĂšrent comme les hĂ©ritiers de lâempire khmer qui prĂ©sida aux destinĂ©es de la rĂ©gion, du IXe siĂšcle au XVIe siĂšcle. Dâautre part, comme Ă©voquĂ© au chapitre sur lâhistoire du delta du MĂ©kong, lâirrĂ©dentisme cambodgien sur cette rĂ©gion est toujours vivace. Enfin, Ă©tant constituĂ© Ă 90 % de membres de lâethnie khmĂšre, le Cambodge a traditionnellement fait preuve dâune grande tolĂ©rance Ă lâĂ©gard des Khmers du ViĂȘt Nam, les autorisant Ă traverser la frontiĂšre pour venir vivre, travailler ou Ă©tudier. Le gouvernement a Ă maintes reprises dĂ©clarĂ© quâil considĂ©rait les Khmer Krom qui avaient fui le ViĂȘt Nam comme citoyens cambodgiens[52] - [53].
Dans un proche passĂ©, les autoritĂ©s cambodgiennes, notamment celles de la RĂ©publique de Lon Nol, nâhĂ©sitaient pas au besoin Ă recourir Ă eux pour les besoins de leur politique antivietnamienne ; ainsi, des milices Khmer Krom furent-elles directement impliquĂ©es dans les massacres de rĂ©sidents vietnamiens au Cambodge en [54], alors que dans le mĂȘme temps, lâarmĂ©e rĂ©publicaine put compter sur le renfort de « mercenaires khmers du ViĂȘt Nam » Ă©quipĂ©s et entrainĂ©s prĂšs de SĂ i GĂČn par des instructeurs amĂ©ricains[55] - [56].
Aujourdâhui, le problĂšme des Khmer Krom reste un sujet politique sensible Ă cause des ressentiments viscĂ©raux Ă lâĂ©gard du ViĂȘt Nam et parce que beaucoup de Cambodgiens pensent que le Parti du peuple cambodgien du Premier ministre Hun Sen â mis au pouvoir par les troupes vietnamiennes en 1979, Ă la suite de leur victoire sur les forces khmĂšres rouges â est toujours politiquement contrĂŽlĂ© par HanoĂŻ. LâidĂ©e, plus ou moins reçue, que lâempire angkorien autrefois glorieux ait Ă©tĂ© affaibli au cours des siĂšcles par la perpĂ©tuelle acquisition vietnamienne de territoire cambodgien est un reproche frĂ©quemment utilisĂ© par tous les mouvements populaires dâopposition pour attaquer le gouvernement qui, de son cĂŽtĂ©, se montre trĂšs susceptible sur la question.
Ă cause de lâaffinitĂ© entre la plupart des Cambodgiens et les Khmer Krom, les dirigeants tolĂšrent un certain niveau dâactivisme politique de la part de ces derniers, tant que cela ne compromet pas les relations avec le ViĂȘt Nam.
NĂ©anmoins, aprĂšs la rĂ©ponse brutale des autoritĂ©s vietnamiennes aux manifestations de moines et de paysans en 2007, le gouvernement cambodgien a lui aussi rĂ©primĂ© des mouvements de protestation pacifiques de moines Khmer Krom qui avaient fui le ViĂȘt Nam et voulaient publiquement dĂ©noncer les abus dont ils y auraient Ă©tĂ© victimes. La mort suspecte du moine Eang Sok Thoeun peu aprĂšs avoir participĂ© Ă une manifestation Ă Phnom Penh en [57] et la participation des autoritĂ©s cambodgiennes dans lâarrestation en de Tim Sakhorn, un autre moine qui fut ensuite dĂ©froquĂ© avant dâĂȘtre extradĂ©, au ViĂȘt Nam[58], constituent des avertissements aux Khmer Krom aussi bien du Cambodge quâau ViĂȘt Nam. En , un tribunal vietnamien a condamnĂ© Tim Sakhorn Ă un an de prison pour avoir « conspirĂ© contre lâunitĂ© nationale » [59].
Aujourdâhui, le Cambodge ayant cessĂ© dâĂȘtre la terre dâasile quâil a Ă©tĂ©, de plus en plus de Khmer Krom (environ 50 moines et une centaine de laĂŻcs en 2008[4]) se rĂ©fugient en ThaĂŻlande, renouant ainsi avec une pratique qui avait dĂ©jĂ cours au dĂ©but du protectorat[15].
Personnalités Khmer Krom
Comme on pourra le constater ci-dessous, vu les liens trĂšs forts qui unissent le Cambodge et la communautĂ© des Khmer Krom, la plupart, pour ne pas dire la totalitĂ©, des personnalitĂ©s ont acquis leur notoriĂ©tĂ© dans ce pays et non au ViĂȘt Nam.
- Chau Sen Cocsal, homme politique, ancien Premier ministre du Cambodge
- Ieng Sary, ministre des affaires Ă©trangĂšres khmer rouge
- Son Ngoc Minh, dirigeant du gouvernement révolutionnaire provisoire des Khmers Issarak
- Son Ngoc Thanh, homme politique indépendantiste, ancien Premier ministre du Cambodge
- Son Sann, homme politique, ancien Premier ministre du Cambodge
- Son Sen, ministre de la défense khmer rouge
- Tou Samouth, membre fondateur du parti communiste du Kampuchéa
Notes et références
Notes
- Cette annexion est toujours contestĂ©e par de nombreux khmers qui affirment que la rĂ©gion nâest devenue vietnamienne quâen 1949[12].
- « Je pris votre Majesté de connaitre le nom des provinces ravies, ce sont celles de Song Nay, enlevée depuis plus de 200 ans, mais beaucoup plus récemment celles de Saïgon, de Long HÎ, Psar Dec, Mi ThÎ, Pra-trapang Ong MÎr, Tiec Khmau, Peam ou Hatien, les ßles de CÎ Trol et de Tralach. Si par hasard les Annamites venaient à offrir à V.M. quelqu'une de ces contrées, je la prie de ne pas la recevoir parce qu'elles appartiennent au Cambodge »[13].
- DâaprĂšs dâautres sources, cette limitation avait surtout pour but de rendre le rattachement nul et non avenu si le ViĂȘt Nam devait ĂȘtre administrĂ© par un rĂ©gime autre que celui de BáșŁo ÄáșĄi[23].
Références
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Voir aussi
Bibliographie
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Articles connexes
Liens externes
- (en) « Khmer Kampuchea-Krom Fédération (KKF) » (consulté le )
- (en) « The Khmer », sur Committee for Ethnic Minorities Affairs (consulté le )
- (en) « On the Margins - Rights Abuses of Ethnic Khmer in Vietnamâs Mekong Delta », Human Right Watch,