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Impacts environnementaux du projet de la Baie-James

Au Canada, les impacts environnementaux du projet de la Baie-James ont Ă©tĂ© Ă  l'origine de multiples controverses depuis l'annonce de ce projet en . Le gigantesque complexe de 11 centrales hydroĂ©lectriques qui produit annuellement plus de 90 tĂ©rawattheures a Ă©tĂ© construit sur une pĂ©riode de 40 ans dans un territoire d'une superficie de 200 000 km2.

RĂ©servoir de la Centrale Robert-Bourassa (LG2).

Il comprend trois dĂ©rivations majeures[Note 1], la rĂ©duction du dĂ©bit d'une demi-douzaine de rivières et de fleuves, une augmentation de 200 % du dĂ©bit de la Grande Rivière Ă  l'embouchure et la crĂ©ation d'immenses rĂ©servoirs qui ont ennoyĂ© plus de 10 000 km2 de terres dans la forĂŞt borĂ©ale du Moyen-Nord quĂ©bĂ©cois.

Même si les grandes catastrophes appréhendées par les opposants environnementalistes et autochtones ne se sont pas matérialisées, la construction et l'exploitation du complexe hydroélectrique d'Hydro-Québec a quand même eu des impacts de durées variables sur le milieu, qu'il s'agisse de l'élévation des niveaux de mercure des poissons, de la qualité physicochimique de l'eau et de l'érosion de certaines berges[1].

Bien qu'un seul village ait dû être déplacé pour les besoins du projet, il a eu un impact social considérable. Le mode de vie des Autochtones, et particulièrement des Cris, a été modifié positivement et négativement par les compensations financières et le désenclavement, et ce, même s'ils vivent parfois à des centaines de kilomètres des installations du complexe La Grande.


La construction du Complexe hydroĂ©lectrique La Grande comprenait la dĂ©rivation des rivières Caniapiscau, Opinica et Eastmain vers le bassin versant de la Grande Rivière et l’inondation d’environ 11 000 km2 de forĂŞt borĂ©ale. Le dĂ©bit de la rivière Eastmain Ă  son embouchure a Ă©tĂ© rĂ©duit de 90 %, près du village cri d'Eastmain, celui de la Caniapiscau de 45 % Ă  sa confluence avec le fleuve Koksoak, et celui du Koksoak de 35 % Ă  son embouchure près du village nordique de Kuujjuaq. Le dĂ©bit de la Grande Rivière, par contre, a Ă©tĂ© doublĂ©, passant de 1 700 m3/s Ă  3 400 m3/s sur une base annuelle (et de 500 m3/s Ă  5 000 m3/s pendant l’hiver), près du village cri de Chisasibi, Ă  l’embouchure de la Grande Rivière.

La construction de la première phase du complexe La Grande est le premier projet d'Hydro-Québec à considérer les impacts environnementaux des aménagements hydroélectriques. L'émergence d'un mouvement écologiste inspiré des États-Unis, la contestation judiciaire des Cris et Inuits et la controverse entourant Projet Champigny, un projet de centrale à réserve pompée sur la rivière Jacques-Cartier, près de Québec ont forcé le promoteur à se doter d'un service Environnement qui avait pour mission d'analyser les problèmes environnementaux, de conseiller les concepteurs, de surveiller les travaux et d'effectuer des travaux correcteurs[2].

Contexte

Le village de Kuujjuaq.

La construction de la première phase du complexe La Grande coïncide avec une plus grande prise en compte des impacts environnementaux. Cette préoccupation environnementale s'exprime dans une opinion publique plus exigeante ainsi que par l'adoption de lois environnementales comme laNational Environment Policy Act aux États-Unis et la Loi sur la qualité de l'environnement au Québec. Cette évolution incite Hydro-Québec à entreprendre une série d'études scientifiques pour d'abord faire l'inventaire des milieux naturels et surveiller leur évolution. À compter de 1971, plus de 200 scientifiques de toutes les disciplines prennent part à un groupe d'étude fédéral-provincial qui mène une campagne de recherche dont est issue la première génération québécoise d'experts en environnement[3].

Gagnon et Gingras 1999 expliquent que les pressions des environnementalistes embarrassent le gouvernement Bourassa. Le gouvernement du Québec dégage des millions de dollars pour réaliser des études biophysiques et des études d'impact et entame des discussions avec Environnement Canada afin de mener des études qui serviront à « justifier après coup une décision déjà prise et en voie d'exécution » Les scientifiques trouvent leur compte dans cette décision, qui leur fournit une occasion inespérée de créer un « laboratoire écologique à l'échelle d'un pays »[4].

Entre 1972 et 2000, Hydro-QuĂ©bec et ses partenaires ont rĂ©digĂ© 8 000 rapports, publiĂ© des centaines d'articles scientifiques et crĂ©Ă© plusieurs bases de donnĂ©es qui examinent les milieux naturels et humains sous toutes ses facettes. Forts de leur expertise, les gestionnaires et spĂ©cialistes de l'environnement d'Hydro-QuĂ©bec communiquent leurs recherches en participant activement Ă  des panels internationaux[5].

En parallèle, les négociations avec les Cris et Inuits forcent les promoteurs du projet de la Baie-James à accepter des mesures de surveillance, qui seront mises en place à compter de 1978. Plus spécifiquement, la création du réservoir et la réduction de débit en aval ont fait l'objet d'un programme de suivi, conformément aux dispositions des articles 8.9, 8.10 et 8.11 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois[6] - [7].

Deux organismes, la Société des travaux de correction du complexe La Grande (SOTRAC) et le Groupe d’étude conjoint Caniapiscau-Koksoak (GECCK) ont été créés. La SOTRAC avait pour mandat de planifier et exécuter des travaux correcteurs pour limiter les conséquences négatives des aménagements sur les activités traditionnelles des communautés cries. Le GECCK avait plutôt pour objet d'étudier les conséquences de la réduction des débits de la rivière Caniapiscau en aval du réservoir sur la population de salmonidés du bassin du fleuve Koksoak, une importante source alimentaire pour la population inuite de Kuujjuaq[6].

Cours d'eau

Évolution physique, chimique et biologique

Les études de suivi environnemental au réservoir de Caniapiscau et dans les autres réservoirs du complexe se sont notamment intéressées à la qualité de l'eau dans l'écosystème. Les études ont porté sur 26 paramètres physico-chimiques, dont les plus représentatifs sont le pourcentage de saturation en oxygène, le pH ainsi que les niveaux de carbone inorganique total, de phosphore, de chlorophylle et de silice[8]. Dans le cas du réservoir de Caniapiscau, la modification des caractères physico-chimiques, en particulier les niveaux de phosphore et de silice, a atteint son point culminant entre la sixième et la dixième année après la mise en eau, pour ensuite redescendre à des valeurs semblables aux conditions naturelles après 14 ans[9] - [10].

L'augmentation des teneurs en phosphore s'est traduite par une hausse des niveaux de chlorophylle a, et ont été accompagnés d'une réduction des concentrations de silice. Les niveaux du pigment responsable de la photosynthèse et indicateur de la population de phytoplancton en suspension dans l'eau ont triplé dans les premières années au réservoir de Caniapiscau. Ils sont revenus à la normale en 1996, 14 ans après la mise en eau[11]. Les concentrations de zooplancton ont rapidement augmenté au cours des deux premières années pour ensuite redescendre à des valeurs comparables à celles des lacs de la région, ce qui s'explique par l'allongement du temps de séjour moyen, permettant à ces organismes de compléter leur cycle de vie[12].

La diversité des organismes benthiques a été réduite, en raison de la raréfaction des espèces peu mobiles ou mieux adaptées aux rivières. Cependant, les espèces lacustres ont rapidement occupé les nouveaux milieux créés par le réservoir. L'examen de spécimens de poissons se nourrissant au benthos a démontré que la variété et la quantité des organismes benthiques avaient augmenté le taux de croissance et l'indice d'embonpoint chez le grand corégone ainsi que chez son prédateur, le brochet[13].

Mercure

Pollution de l'air Ă  Cleveland, en 1970.

Bien qu'il n'existe aucune source directe de mercure dans la région, ce métal lourd est relativement présent dans l'environnement du nord du Québec. On le retrouve dans les couches organiques des sols, où il s'est progressivement accumulé depuis la dernière glaciation[14].

Depuis un siècle toutefois, du mercure aéroporté de source anthropique s'est ajouté aux dépôts doublant, voire triplant, les valeurs mesurées dans les sédiments lacustres dans les régions du Québec entre le 45e et le 54e parallèle. Les concentrations relativement uniformes de ces dépôts suggèrent une source commune, probablement les établissements industriels du secteur des Grands Lacs[15].

Une partie du mercure nouvellement déposé est entraîné dans les lacs par le ruissellement. L'action des bactéries convertit la forme inorganique du mercure en méthylmercure, une forme facilement assimilable par les organismes vivants[14]. L'activité bactérienne intense dans les années suivant la création des nouveaux réservoirs, qui dure habituellement de 20 à 30 ans en région boréale[16], convertit une partie du mercure présent dans la terre et les matières organiques submergées en méthylmercure (CH3Hg). Sous cette forme, le mercure est neurotoxique et s'accumule dans la chaîne alimentaire aquatique, notamment dans des espèces de poissons piscivores, tels que le grand brochet, le touladi et le doré jaune. Une partie du mercure qui se trouve dans tous les lacs, rivières et réservoirs du Nord québécois provient des émissions polluantes des centrales thermiques fonctionnant au charbon des pays industrialisés, notamment les États-Unis et le Canada.

Concentrations

Un grand brochet nage dans un aquarium.
Les concentrations de mercure sont plus élevés chez les espèces piscivores, comme le grand brochet (Esox lucius).

Les concentrations de mercure mesurĂ©es chez les poissons des lacs et rivières naturels du Nord-du-QuĂ©bec sont relativement Ă©levĂ©es chez les espèces piscivores, oĂą elles dĂ©passent souvent la norme canadienne de commercialisation des produits de la pĂŞche de 0,5 mg/kg[17]. «La crĂ©ation des rĂ©servoirs du complexe La Grande pendant la phase I du projet a entraĂ®nĂ© une augmentation significative de la teneur de mercure total dans la chair de toutes les espèces de poissons »[18]. Toutefois, l'impact se fera sentir de manière diffĂ©rente selon que l'espèce est piscivore ou non.

Chez le meunier rouge et le grand corĂ©gone, deux espèces non piscivores qui frĂ©quentent les eaux de la JamĂ©sie, les concentrations en mercure sont moins Ă©levĂ©es et le rĂ©tablissement des populations est en grande partie complĂ©tĂ© depuis la fin des annĂ©es 1990, 20 ans après la mise en eau[19]. Le retour Ă  la normale pour le grand corĂ©gone de 400 mm est survenu 10 ou 11 ans après la mise en eau[20] et 17 après pour le meunier rouge de 400 mm de longueur[21].

La situation est diffĂ©rente pour les espèces piscivores. Les grands brochets de 700 mm du rĂ©servoir de Caniapiscau ont atteint une concentration maximale de mercure de 2,08 mg/kg 12 ans après la mise en eau. Il s'agit d'une teneur infĂ©rieure Ă  celle mesurĂ©e chez des spĂ©cimens de la mĂŞme espèce dans le rĂ©servoir Robert-Bourassa, mais supĂ©rieure Ă  celle des lacs naturels de la rĂ©gion de Caniapiscau, oĂą elle varie entre 0,38 et 0,92 mg/kg[21].

Une teneur maximale de mercure 2,08 mg/kg chez les touladis de 700 mm a Ă©tĂ© atteinte 9 ans après la mise en eau du rĂ©servoir de Caniapiscau, mais cette teneur a eu tendance Ă  stagner dans les annĂ©es 1990. Cette stabilitĂ© s'expliquerait par le fait que le recrutement de cette espèce est très faible depuis la crĂ©ation du rĂ©servoir et que les spĂ©cimens pĂŞchĂ©s sont essentiellement des poissons nĂ©s avant la mise en eau[21].

Prévention

Après la découverte de la présence de mercure à des niveaux élevés dans le sang des Cris de la région de la Baie-James, avant même la création des réservoirs sur la Grande Rivière, les autorités de santé locales ont dressé des consignes particulières concernant la consommation du poisson. Bien que la consommation du poisson sauvage est encore fortement recommandée par les autorités sanitaires, en raison de sa grande valeur nutritive, la capture de poissons à certains endroits spécifiques des nouveaux réservoirs est, pour l'instant, déconseillée et la consommation du poisson prédateur (ou piscivore) devrait être restreinte, surtout chez les femmes enceintes. Lors de certaines études de suivi, seuls quelques habitants du village cri de Whapmagoostui – qui mangent du poisson provenant des rivières vierges du Nunavik – affichaient encore un taux élevé de mercure. En 2005, le milieu aquatique des réservoirs du Complexe La Grande, dont l’âge moyen atteint 18 ans en 2005, ressemble de plus en plus à celui des lacs naturels de la région.

Les environnementalistes craignaient à l’origine que le projet de la Baie-James aurait un impact important sur les oiseaux migratoires; or, les réservoirs hydrauliques n’ont submergé que 1 % des zones utilisées par les oiseaux et leur population est demeurée stable depuis plus de 30 ans. De plus, le panache d’eau douce au large de l’embouchure de la Grande Rivière, qui est nettement plus grand en période hivernale, semble ne pas avoir d’impact significatif sur la vie aquatique et faunique de la région. Le réchauffement planétaire semble avoir un impact plus important dans cet environnement nordique que le changement du régime hydraulique de la Grande Rivière, empêchant par exemple la formation des banquises au large des côtes dont dépend les phoques, près des villages de Whapmagoostui et de Kuujjuarapik à l'embouchure de la Grande rivière de la Baleine.

Réduction du débit en aval

Exondation des berges de la rivière Caniapiscau à la hauteur de la gorge d'en Bas, en amont du canyon Eaton.

Les travaux de fermeture du réservoir ont eu un impact substantiel sur la rivière Caniapiscau et le fleuve Koksoak en aval, avec des réductions des débits moyens à l'embouchure de 48 % et 35 % respectivement[22]. Ces modifications des caractéristiques hydrologiques ont provoqué une baisse des niveaux d'eau, une réduction des habitats aquatiques, une diminution de l'ampleur des variations saisonnières et interannuelles du niveau des eaux ainsi qu'une augmentation du temps de renouvellement[23].

Sur environ 150 km en aval du point de coupure, « la rivière Caniapiscau n'est plus qu'un petit cours d'eau s'Ă©coulant au milieu des affleurements rocheux et des matĂ©riaux grossiers qui composent le fond de la rivière », admet la SEBJ dans un rapport de 1987. Cette rĂ©duction reprĂ©sente « une perte considĂ©rable d'habitats » pour les poissons[24].

Les effets de la rĂ©duction de dĂ©bit sont plus limitĂ©s sur les 300 km suivants puisque la rivière reçoit les apports de plusieurs tributaires importants. Des seuils naturels limitent aussi les abaissements et les exondations. En raison de la nature du terrain, les berges sont peu soumises Ă  l'Ă©rosion, Ă  l'exception du secteur du lac Cambrien —à 180 km au sud de Kuujjuaq—, oĂą les sols argileux ou silteux sont plus sensibles[24]. Les travaux correcteurs dans la rivière Caniapiscau se sont limitĂ©s Ă  amĂ©nager deux frayères en dĂ©versant des graviers pour former une litière. La crĂ©ation de nouvelles zones de fraie favorise les populations de salmonidĂ©s[25].

Les effets de la réduction du débit sur le fleuve Koksoak sont faibles et l'habitat des poissons n'a pas été affecté. Cependant, les niveaux plus bas ont compliqué la navigation commerciale à proximité de Kuujjuaq et le long du trajet emprunté par les Inuit pour remonter la rivière, les niveaux plus bas révélant de nouveaux écueils[24].

La SEBJ a procédé au dynamitage de blocs qui rendaient l'accostage difficile en plus de baliser un chenal de navigation dans l'estuaire. Une carte bathymétrique a également été produite. Elle a notamment servi à délimiter un chenal sécuritaire pour la navigation domestique[25].

Marnage et déboisement des berges

Constituées principalement de moraine et de roc, les berges et la zone de marnage du réservoir sont demeurées stables après la mise en eau. Le délavage par les vagues des particules fines ne laisse sur les berges que les matériaux grossiers, formant un genre de perré qui résiste à l'action des vagues[26].

Faune

Un caribou mâle dans une forêt de conifères couverts de neige.
Un caribou des bois (rangifer tarandus caribou) dans le Moyen-Nord québécois.

Caribou

La SEBJ, Hydro-Québec et le ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche ont réalisé des inventaires et des études de comportement du caribou des bois (latin : Rangifer tarandus caribou) sur le territoire du projet depuis les années 1970. Selon ces études, présentées en 1992 lors du 59e congrès de l'Association francophone pour le savoir, les effets de la construction du complexe La Grande sur les populations de caribous sont négligeables[27].

D'autres études, comme celle de Messier et al (1988)[28], tendent à démontrer par exemple que l'augmentation de la concurrence pour les sources de nourriture et la hausse de l'énergie nécessaire à l'agrandissement du territoire occupé sont des «facteurs probables de régulation» pour le troupeau.

Un incident en 1984 a toutefois provoquĂ© une certaine controverse. Les 28 et , 9 604 caribous se sont noyĂ©s en tentant de traverser la rivière Caniapiscau Ă  la chute du Calcaire, Ă  400 km en aval de l'Ă©vacuateur de crues du rĂ©servoir de Caniapiscau. La mort d'environ 1,6 % du troupeau de la rivière George a Ă©tĂ© fortement mĂ©diatisĂ© et a soulevĂ© plusieurs questions sur l'impact du projet hydroĂ©lectrique sur les populations animales, certains observateurs faisant le lien entre la construction et l'exploitation du rĂ©servoir et les variations importantes du dĂ©bit de la Caniapiscau enregistrĂ©s entre 1981 et 1984[29] - [30].

Des Ă©tudes menĂ©es par le gouvernement et la SEBJ ont plutĂ´t conclu que des prĂ©cipitations exceptionnelles de la troisième semaine de septembre, telles qu'enregistrĂ©es Ă  Nitchequon[31] et Ă  Schefferville[32] ont crĂ©Ă© «des conditions impraticables» pour une harde de caribous nombreuse et en proie Ă  la panique[33]. Par ailleurs, le dĂ©bit de 3 145 m3/s mesurĂ© le lendemain de l'Ă©vĂ©nement — dont un dĂ©bit supplĂ©mentaire de 1 475 m3/s en raison de l'ouverture du dĂ©versoir —, est infĂ©rieur Ă  un dĂ©bit naturel modĂ©lisĂ© de 3 500 m3/s qui aurait Ă©tĂ© enregistrĂ© dans des conditions Ă©quivalentes si l'ouvrage hydraulique n'avait pas Ă©tĂ© construit[34].

En 2008-2009, le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du QuĂ©bec (MRNF) a enregistrĂ© une prise de 16 830 caribous pour la province[35].

Noyades massives de caribous

Des torrents d'eau sont déversés par la chute du Calcaire. À l'aval, l'eau vive se fracasse contre des rochers.
La chute du Calcaire.

Le mois de est particulièrement pluvieux dans le nord du QuĂ©bec. La station mĂ©tĂ©orologique de Nitchequon enregistre des prĂ©cipitations de 181,3 mm, un record depuis le dĂ©but des registres, en 1942, alors qu'il est tombĂ© 134 mm de pluie Ă  Schefferville, comparativement Ă  une moyenne de 84 mm. Rempli depuis le dĂ©but de l'annĂ©e 1984, le rĂ©servoir doit ouvrir l'Ă©vacuateur de crues de Duplanter Ă  plusieurs reprises au cours du mois, ce qui augmente les dĂ©bits en aval[36].

Pendant ce temps, des milliers de caribous de la harde de la rivière George qui poursuivent leur migration annuelle se trouvent en face de la rivière Caniapiscau près de la chute du Calcaire, une cascade de 22 m situĂ©e Ă  400 km en aval du rĂ©servoir.

Les 28 et , les animaux s'engagent dans l'eau, poussĂ©s par le reste du troupeau et n'arrivent pas Ă  rejoindre la rive escarpĂ©e d'une Ă®le au milieu de la rivière. Au total, 9 604 caribous sont emportĂ©s par un courant de 5 m/s et pĂ©rissent en tombant de la chute du Calcaire. La scène de dĂ©solation en aval est abondamment filmĂ©e et dĂ©crite par les mĂ©dias du monde entier et provoque une controverse sur la gestion de cette crue automnale par Hydro-QuĂ©bec, l'exploitant du complexe La Grande[29].

Après analyse, les scientifiques concluent toutefois Ă  un dĂ©sastre naturel et indiquent qu'en l'absence du rĂ©servoir, le dĂ©bit au moment de la noyade aurait dĂ©passĂ© 3 500 m3/s, soit 400 m3/s de plus que le dĂ©bit enregistrĂ© au moment de l'Ă©vĂ©nement[29].

Un incident semblable s'est produit en , alors que 300 cervidés ont été trouvés noyés sur les berges de la Caniapiscau au même endroit que 23 ans plus tôt. Cette fois, l'intervention rapide des agents de protection de la faune a permis d'éviter la répétition du scénario de 1984. Des clôtures ont été installées le long de la rivière sur la rive ouest, forçant la harde de caribous à traverser plus loin en amont de la chute du Calcaire. Des clôtures semblables avaient été posées sur l'autre berge après la noyade de 1984[37].

Gaz Ă  effet de serre

RĂ©servoir de LG2.

Dans le sillage de la conférence de Kyoto sur les changements climatiques de 1997, s’est élevé un débat sur les émissions de gaz à effet de serre produites par les grands réservoirs hydrauliques, notamment à cause de la production de méthane par l’activité biotique du milieu aquatique. Toutefois, les émissions de gaz à effet de serre des grands réservoirs en région boréale représentent de 1 à 4 pour cent des émissions associées aux centrales thermiques fonctionnant au charbon et de 2 à 8 pour cent des émissions d'une centrale à cycle combiné fonctionnant au gaz naturel.

Finalement, les exportations d'électricité québécoise de 1989 à 1996, pendant la période où le Québec avait d'importants surplus d'électricité, ont eu pour effet d'éviter des émissions de gaz à effet de serre dans les centrales au charbon et au pétrole en Ontario, dans l'État de New York et dans les États de la Nouvelle-Angleterre, soit quelque 87 millions de tonnes équivalents de CO2.

Une vaste étude a été menée pendant 7 ans afin de quantifier les émissions de gaz à effet de serre émis par l'ennoiement du territoire consécutif au remplissage d'un nouveau réservoir, celui créé en 2005 dans le cadre de la construction de l'aménagement de l'Eastmain-1. L'équipe de 80 scientifiques a enregistré les niveaux d'émission avant, pendant et après la création du réservoir. Les émissions de GES des lacs naturels environnants ont également été mesurées. Les chercheurs confirment que les niveaux élevés qui suivent la mise en eau ont tendance à réduire rapidement pour atteindre des niveaux équivalents à ceux des lacs naturels à l'intérieur d'un délai de 10 ans[38].

Impacts sociaux

Le projet a entraîné des changements importants dans le mode de vie des Cris de la Baie-James, surtout chez les habitants des villages de Chisasibi et d'Eastmain, qui se trouvent en aval des aménagements hydroélectriques.

En novembre 1975, la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois représente un point tournant dans l’histoire des relations entre les Québécois d’origine européenne, établis dans la vallée du fleuve Saint-Laurent, et les Nations autochtones du Québec[39]. Au moment où la chasse, la pêche et le piégeage étaient en déclin dans les villages cris de la région, à la fin des années 1960, le projet a fourni aux Cris les ressources financières et matérielles pour affronter les conséquences environnementales et sociales du projet et pour prendre en main le développement économique futur de leurs communautés en créant, par exemple, des entreprises de construction et de transport (Air Creebec). De 1975 à 1999, les Cris ont reçu des indemnités totalisant 450 millions de dollars (canadiens courants) et des contrats d'une valeur de 215 millions de dollars, tandis que les Inuits ont reçu des indemnités de 140 millions de dollars et des contrats d'une valeur de 120 millions de dollars.

Le projet de la Baie-James a aussi permis aux Cris de forger une identité collective et de créer des institutions politiques et sociales collectives, dont le Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee) en 1974. La Convention de 1975 a aussi créé des structures administratives et politiques pour les affaires locales, le développement économique, les écoles et les services de la santé, pour la plupart sous le contrôle de nouvelles institutions politiques régionales, l'Administration régionale crie dans la région de la Baie-James et l’Administration régionale Kativik au Nunavik[39].

L’impact social du projet de la Baie-James lui-mĂŞme demeure modeste par rapport Ă  l'impact des contacts de plus en plus frĂ©quents entre les communautĂ©s cries du Nord et les forces sociales et Ă©conomiques du QuĂ©bec francophone. L'impact principal dĂ©coule de l’ouverture en 1974 de la route liant la ville de Matagami au nouveau centre administratif de Radisson, près de la centrale Robert-Bourassa (La Grande-2) et du village cri de Chisasibi. Pendant la pĂ©riode de pointe de la construction de la première phase du Complexe La Grande, vers la fin des annĂ©es 1970, Radisson avait une population de 2 500 habitants[40], soit plusieurs fois supĂ©rieure Ă  celle de Chisasibi.

NĂ©anmoins, les communautĂ©s cries encore isolĂ©es de la rĂ©gion de Baie-James ont militĂ© en faveur de la construction de nouvelles routes afin de lier les villages de Wemindji, d’Eastmain et de Waskaganish Ă  la route de la Baie-James, Ă  environ 200 km Ă  l’est. Ces dernières routes d’accès, ouvertes entre 1995 et 2001, ont facilitĂ© l’accès aux territoires de chasse et encouragĂ© les Ă©changes commerciaux et sociaux avec les villes du sud (Matagami et les villes d’Abitibi-TĂ©miscamingue). Une route distincte relie aussi la route de la Baie-James Ă  Chibougamau, via le village de Nemaska. La construction de ces nouvelles routes Ă©tait gĂ©nĂ©ralement confiĂ©e aux entreprises cries de la rĂ©gion.

Le projet de la Baie-James a entraĂ®nĂ© la construction de 2 000 km de route, 6 aĂ©roports et 7 villages[40]. Ces infrastructures ont entraĂ®nĂ© une rĂ©duction subite des coĂ»ts associĂ©s au transport et ont ainsi ouvert la rĂ©gion de la Baie-James Ă  l’exploration minĂ©rale et Ă  l’exploitation de sa forĂŞt borĂ©ale. Ces activitĂ©s exercent des pressions supplĂ©mentaires sur les activitĂ©s traditionnelles de chasse, de pĂŞche et de piĂ©geage dans la rĂ©gion, notamment dans les villages de Waskaganish et de Nemaska. Ces activitĂ©s, qui reprĂ©sentaient plus de la moitiĂ© de l’activitĂ© Ă©conomique des villages Ă  la fin des annĂ©es 1960, reprĂ©sentent moins de 20 % de l’activitĂ© Ă©conomique Ă  la fin du siècle. La chasse et le piĂ©geage sont pratiquĂ©s surtout par les jeunes adultes et les adultes âgĂ©s qui n’ont pas de qualifications professionnelles. Ces activitĂ©s sont aussi renforcĂ©es par un rĂ©gime de soutien du revenu, financĂ© par le gouvernement du QuĂ©bec (15 millions de dollars par annĂ©e), qui offre l’équivalent d’un modeste salaire aux chasseurs et Ă  leurs familles qui vivent de la chasse pendant au moins quatre mois chaque annĂ©e.

Notes et références

Notes

Références

  1. Lewandowski 2005
  2. Dumas 1979, p. 76-78
  3. Dubeau 1995, p. 242
  4. Gagnon et Gingras 1999, p. 70-71
  5. Hayeur 2001, p. 18
  6. Hayeur 2001, p. 11-12
  7. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 10
  8. Hayeur 2001, p. 30
  9. Hayeur 2001, p. 32
  10. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 75
  11. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 76
  12. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 77
  13. Hayeur 2001, p. 33-34
  14. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 45
  15. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 46
  16. Richard Verdon, Roger Schetagne, Claude Devers, Denis Brouard et Richard Lalumière. « Évolution de la concentration en mercure des poissons du complexe La Grande », dans Les Enseignements de la phase I du complexe La Grande (Actes du colloque tenu à Sherbrooke les 22 et 23 mai 1991 dans le cadre du 59e congrès de l'ACFAS), Université de Sherbrooke et Hydro-Québec, avril 1992, p. 66.
  17. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 49
  18. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 82
  19. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 95
  20. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 87
  21. Schetagne, Therrien et Lalumière 2002, p. 88
  22. Société d'énergie de la Baie James 1987a, p. 115
  23. Société d'énergie de la Baie James 1987a, p. 447
  24. Société d'énergie de la Baie James 1987b, p. 88
  25. Société d'énergie de la Baie James 1987b, p. 90
  26. Société d'énergie de la Baie James 1987b, p. 115
  27. Gaétan Hayeur et Jean Doucet. « Le Caribou et le complexe La Grande », dans Les Enseignements de la phase I du complexe La Grande (Actes du colloque tenu à Sherbrooke les 22 et 23 mai 1991 dans le cadre du 59e congrès de l'ACFAS), Université de Sherbrooke et Hydro-Québec, avril 1992, p. 137 et 143.
  28. Messier et al 1988
  29. Turgeon 1992, p. 132
  30. Trinôme Inc. Chantiers : Bâtir au cœur de la Taïga. Documentaire diffusé sur la chaîne Historia. 2006
  31. Environnement Canada, « Rapport de données quotidiennes pour septembre 1984: Nitchequon, Québec » [archive du ] (consulté le )
  32. Environnement Canada, « Rapport de données quotidiennes pour septembre 1984: Schefferville, Québec » [archive du ] (consulté le )
  33. Hydro-Québec 1993, p. 6
  34. Hydro-Québec 1993, p. 5
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  40. Trinôme Inc. Chantiers : Sur la terre des grands barrages. Documentaire diffusé sur la chaîne Historia. 2006.

Voir aussi

Ouvrages

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  • (en) James F. Hornig (dir.), Social and Environmental Impacts of the James Bay Hydroelectric Project, MontrĂ©al, McGill-Queen's University Press, , 169 p. (ISBN 0-7735-1837-1, lire en ligne).
  • Serge Payette et Line Rochefort, Écologie des tourbières du QuĂ©bec-Labrador, QuĂ©bec, Presses de l'UniversitĂ© Laval, , 621 p. (ISBN 2-7637-7773-2, lire en ligne).
  • Jean-Jacques Simard, Tendances nordiques, les changements sociaux 1970-1990 chez les Cris et les Inuits du QuĂ©bec, QuĂ©bec, UniversitĂ© Laval, (ISBN 2-921438-12-7).
  • Pierre Turgeon, La Radissonie, le pays de la baie James, MontrĂ©al, Libre expression, , 191 p. (ISBN 2-89111-502-3).
  • (en) Alain Tremblay, Louis Varfalvy, Charlotte Roehm et Michel Garneau, Greenhouse Gas Emissions : Fluxes and Processes, Springer, , 732 p. (ISBN 3-540-23455-1, prĂ©sentation en ligne).

Articles

  • Pierre Dumas, « La maĂ®trise d'une nouvelle dimension: l'environnement », Forces, MontrĂ©al, no 48,‎ , p. 76-85.
  • Robert Gagnon et Yves Gingras, « La baie James : de territoire Ă  laboratoire », Bulletin d'histoire politique, vol. 7, no 3,‎ , p. 67-78 (lire en ligne).
  • RenĂ© Lewandowski, « Ce que la Baie-James nous a appris », L'ActualitĂ©, vol. 30, no 1,‎ , p. 5.
  • (en) F. Messier, J. Huot, D. Le Henaff et S. Luttich, « Demography of the George River Caribou Herd: Evidence of Popilation Regulation by Forage Exploitation and Range Expansion », Arctic, vol. 41, no 4,‎ , p. 279-287 (lire en ligne)
  • (en) Alain Tremblay, Julie Bastien, Marie-Claude Bonneville, Paul del Giorgio, Maud Demarty, Michelle Garneau, Jean-Francois HĂ©lie, Luc Pelletier et Yves Prairie, « Net Greenhouse Gas Emissions at Eastmain 1 Reservoir, Quebec, Canada », Congrès mondial de l'Ă©nergie, MontrĂ©al,‎ 12–16 septembre 2010 (lire en ligne, consultĂ© le ).
  • AndrĂ© Duchesne, « Les caribous de la Baie-James Ă©chappent Ă  une hĂ©catombe », La Presse, MontrĂ©al,‎ , A11.

Publications officielles

  • GaĂ«tan Hayeur, Synthèse des connaissances environnementales acquises en milieu nordique 1970-2000, MontrĂ©al, Hydro-QuĂ©bec, , 110 p., PDF (ISBN 2-550-36963-7, prĂ©sentation en ligne, lire en ligne).
  • Hydro-QuĂ©bec, 16. La noyade des 9604 caribous : Le complexe hydroĂ©lectrique La Grande, MontrĂ©al, Hydro-QuĂ©bec, , 6 p. (lire en ligne).
  • Roger Schetagne, Jean Therrien et Richard Lalumière, Évolution des teneurs en mercure dans les poissons : Suivi environnemental du complexe La Grande. Rapport synthèse 1978-2000., Groupe conseil Genivar inc. et direction Barrages et Environnement, Hydro-QuĂ©bec Production, , 193 p. (lire en ligne).
  • Roger Schetagne et Jean Therrien, Suivi environnemental du complexe La Grande. Évolution des teneurs en mercure dans les poissons. : Rapport synthèse 1978-2012., GENIVAR inc. et Hydro-QuĂ©bec Production., , 174 p. (lire en ligne)
  • SociĂ©tĂ© d'Ă©nergie de la Baie James, Connaissance du milieu des territoires de la Baie James et du Nouveau-QuĂ©bec, MontrĂ©al, SociĂ©tĂ© d'Ă©nergie de la Baie James, , 297 p. (OCLC 15895755).
  • SociĂ©tĂ© d'Ă©nergie de la Baie James, Le complexe hydroĂ©lectrique de la Grande Rivière : rĂ©alisation de la première phase, MontrĂ©al, SociĂ©tĂ© d'Ă©nergie de la Baie James / Éditions de la Chenelière, , 496 p. (ISBN 2-89310-010-4).
  • SociĂ©tĂ© d'Ă©nergie de la Baie James, Le DĂ©fi environnement au complexe hydroĂ©lectrique de La Grande Rivière, MontrĂ©al, SociĂ©tĂ© d'Ă©nergie de la Baie James, , 199 p. (ISBN 2-550-16812-7).
  • Convention de la Baie-James et du Nord quĂ©bĂ©cois et conventions complĂ©mentaires (Ă©dition 1998), Sainte-Foy, Les Publications du QuĂ©bec, , 754 p., PDF (ISBN 2-551-17981-5, lire en ligne).

Articles connexes

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