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Hans Hartung

Hans Hartung, né le à Leipzig, et mort le à Antibes, est un peintre français, photographe et architecte d'origine allemande, l'un des plus grands représentants de l'art abstrait.

Hans Hartung
Hans Hartung photographié par Paolo Monti en 1960.
Naissance
DĂ©cĂšs
Nom de naissance
Hans Heinrich Ernst Hartung
Nationalités
Activités
Représenté par
Galerie Emmanuel Perrotin (d), Artists Rights Society
Mouvement
Influencé par
Conjoints
Anna-Eva Bergman (de Ă  )
Anna-Eva Bergman (Ă  partir de )
Distinctions

Ses expĂ©rimentations techniques extrĂȘmement libres des annĂ©es 1920 en font aux yeux de nombreux historiens et critiques, et notamment Will Grohmann, le prĂ©curseur et le pionnier de nombreux mouvements d’avant-garde qui se dĂ©velopperont dans la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle : entre autres les courants dits informels, gestuels, tachistes, lyriques, ainsi que l'action painting.

Hartung fut par ailleurs l’architecte d’une villa Ă  Antibes devenue aujourd’hui la fondation Hartung-Bergman reconnue d’utilitĂ© publique, classĂ©e « Architecture contemporaine remarquable », et qui est chargĂ©e de la conservation et de la valorisation de son Ɠuvre, ainsi que de celle de son Ă©pouse, l’artiste d’origine norvĂ©gienne Anna-Eva Bergman. La Fondation a Ă©tĂ© dirigĂ©e de 1994 Ă  2014 par François Hers et l’est depuis 2014 par Thomas Schlesser.

Biographie

La formation

Son grand-pĂšre maternel et son pĂšre, musicien amateur et peintre autodidacte, sont mĂ©decins. Sa vocation est prĂ©coce ; Hans Hartung raconte cette expĂ©rience faite dĂšs l'Ăąge de six ans : « Sur un de mes cahiers d'Ă©cole, j'attrapais des Ă©clairs dĂšs qu'ils apparaissaient. Il fallait que j'aie achevĂ© de tracer leurs zigzags sur la page avant que n'Ă©clate le tonnerre. Ainsi, je conjurai la foudre »[1]. De 1912 Ă  1914, sa famille s'installe Ă  BĂąle. L'astronomie et la photographie l'Ă©merveillent : il construit son propre tĂ©lescope grĂące auquel il observe des « fragments du rĂ©el » dont l'apparence abstraite anticipe sur ses futures Ɠuvres. Il frĂ©quente ensuite jusqu'en 1924 le lycĂ©e de Dresde, se passionnant pour Rembrandt, Goya, Frans Hals, Le Greco, puis les expressionnistes allemands, Oskar Kokoschka, Emil Nolde. Copiant librement certaines Ɠuvres, il en simplifie la composition pour n'en retenir que les masses colorĂ©es. DĂšs 1922, il atteint l'abstraction dans une sĂ©rie d'aquarelles dĂ©terminantes.

Ces Ɠuvres comptent Ă©normĂ©ment pour Hartung car, dit-il, « la tache y devenait libre, elle s’exprimait par elle-mĂȘme, par sa forme, par son intensitĂ©, par son rythme, par sa violence, par son volume[2]. » Un an plus tard, il exĂ©cute dans un mĂȘme registre d’abstraction pure, des fusains, des craies noires et des sanguines plus structurĂ©s dont il explique : « On trouve ici en prĂ©mices presque la totalitĂ© de mes Ă©lĂ©ments, de mes signes et rythmes futurs, les taches, les « poutres », les courbes, les lignes[3]. »

Matricielles et pionniĂšres, ces expĂ©rimentations ne seront nĂ©anmoins vĂ©ritablement connues et exposĂ©es qu’aprĂšs la deuxiĂšme guerre mondiale. Quelques aquarelles de 1922 sont montrĂ©es pour la premiĂšre fois, et de façon relativement confidentielle, galerie Craven en 1956 et elles sont surtout reproduites et prĂ©sentĂ©es dans un ouvrage fondamental de Will Grohmann : Hans Hartung Aquarelle 1922. Cet ouvrage publiĂ© en 1966 inscrit la pratique de Hartung du dĂ©but des annĂ©es 1920 comme un prĂ©cĂ©dent historique remarquablement prĂ©coce de tout l’art informel et gestuel de la seconde partie du XXe siĂšcle.

En 1924 et 1925, Hartung poursuit des Ă©tudes de lettres classiques, de philosophie et d'histoire de l'art Ă  Leipzig. Il assiste Ă  une confĂ©rence de Kandinsky, artiste Ă  l’égard duquel il manifestera frĂ©quemment une certaine distance critique[4]. Il s'inscrit en 1925 et 1926 Ă  l'AcadĂ©mie des beaux-arts de Dresde oĂč, Ă  l'occasion de l'Exposition internationale qui se tient de juin Ă  septembre Ă  la Jahresschau Deutscher Arbeit, il dĂ©couvre le parcours de la peinture française, de l'impressionnisme au cubisme. Durant l'Ă©tĂ©, il visite l’Allemagne, la Suisse, la France, l'Italie Ă  bicyclette, lors d’un long voyage au cours duquel il fait de nombreuses photographies, en particulier de sites remarquables comme Venise ou les temples de SĂ©linonte.

C’est cette mĂȘme annĂ©e 1926, Ă  l’ñge de 22 ans, qu’il part s’installer Ă  Paris. Il s’inscrit Ă  la Sorbonne « avec la ferme intention de ne jamais en franchir le seuil[5] », Ă  l’acadĂ©mie d’AndrĂ© Lhote dont il n’aime guĂšre l’enseignement, Ă  celle de Fernand LĂ©ger, qui ne le satisfait pas davantage. Il Ă©crit : « Fernand LĂ©ger n’acceptait qu’une maniĂšre de peindre : la sienne. Il fallait le copier, le servir, s’asservir. Je n’y restai que deux semaines[5]. » Il arpente surtout les galeries modernes, notamment celle des frĂšres Rosenberg, s’enthousiasme pour ce qu’il voit de Picasso, et frĂ©quente abondamment le Louvre, y passant des journĂ©es entiĂšres Ă  regarder les maĂźtres anciens et Ă  les copier en les adaptant Ă  ses propres visions : il signe ainsi sur papier une version complĂštement abstractisante d’un tableau du Greco. Il effectue deux sĂ©jours au BarcarĂšs, prĂšs de Perpignan, et voyage en Belgique et Hollande. Il rencontre Anna-Eva Bergman, jeune peintre norvĂ©gienne qu'il Ă©pouse en . En 1931, aprĂšs un sĂ©jour sur la CĂŽte d'Azur pendant l'hiver, il expose pour la premiĂšre fois Ă  Dresde, et avec Anna-Eva Bergman l'annĂ©e suivante Ă  Oslo, travaillant un moment dans une Ăźle du sud de la NorvĂšge.

À la conquĂȘte d'une mĂ©thode

AprĂšs la mort de son pĂšre et face Ă  la montĂ©e du nazisme, Hartung quitte l'Allemagne pour les BalĂ©ares, confiant au passage Ă  Paris quelques toiles Ă  la galerie Jeanne Bucher. Il construit une petite maison sur la cĂŽte nord de Minorque. Il y vit avec Anna-Eva Bergman, mais souffre de mauvaises conditions sanitaires et est accusĂ© d’espionnage par la population locale. Sans argent, il regagne Paris en 1934, passe par Stockholm puis rentre en Allemagne, Ă  Berlin. N'acceptant pas le rĂ©gime nazi, victime d’un interrogatoire brutal de la Gestapo pour avoir rendu visite Ă  des amis juifs pour certains et communistes pour d’autres (Fritz Schultze et Eva Knabe), il parvient Ă  passer en France et s'installe Ă  Paris. Il s'y lie avec Jean HĂ©lion et Henri Goetz, rencontre Kandinsky, Mondrian, Alberto Magnelli, CĂ©sar Domela, MirĂł et Calder avec qui il expose.

Ces annĂ©es sont, sur le plan esthĂ©tique, marquĂ©es par le perfectionnement de sa mĂ©thode, qualifiĂ©e de « spontanĂ©itĂ© calculĂ©e[6] » mais qui demeura, sinon secrĂšte, du moins trĂšs peu connue de son vivant. Pour Ă©laborer ses peintures Ă  l’huile, Hartung faisait un premier dessin pulsionnel et automatique suivi, de maniĂšre diffĂ©rĂ©e, lente et minutieuse, d’une mĂ©thodique mise au carreau Ă  une Ă©chelle plus grande. Il utilisera cette mĂ©thode jusqu’à la fin des annĂ©es 1950 et son abandon de la peinture Ă  l’huile au profit de peintures industrielles.

En 1936, l’historienne et critique d’art allemande Herta Wescher Ă©crit au sujet de Hartung dans la revue Axis : « Ce langage ne cesse de s’enrichir, et la dynamique des deux dimensions est poussĂ©e Ă  l’extrĂȘme, tout en Ă©tant soumise Ă  un dĂ©licat Ă©quilibre formel[7]. » En 1937, Hartung vend au collectionneur amĂ©ricain Albert Eugene Gallatin T1936-1 qui rejoint les collections du Museum of Living Art, premier musĂ©e d’art moderne aux États-Unis.

Face à de grandes difficultés matérielles, la maladie de sa femme, leur divorce, le retrait de son passeport par l'ambassade d'Allemagne, Hartung bénéficie de l'hospitalité d'Henri Goetz et travaille dans l'atelier du sculpteur Julio Gonzålez.

Il y signe notamment la seule et unique sculpture de toute sa carriĂšre en 1938, annĂ©e au cours de laquelle on retrouve certaines de ses Ɠuvres dans deux importantes expositions londoniennes : l’une sur le collage (« Exhibition of Collages » chez Guggenheim Jeune) oĂč il prĂ©sente T1938-16, l’autre aux New Burlington : « Exhibition of Twentieth Century German Art », manifestation qui rĂ©unit des artistes allemands considĂ©rĂ©s comme « dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s » dans leur propre pays, mĂȘme si Hartung ne sera pas officiellement et publiquement qualifiĂ© de la sorte par le rĂ©gime nazi, qui l’ignore.

L'engagement contre le nazisme

En 1939, il s'inscrit sur la liste des volontaires contre l'hitlĂ©risme en cas de guerre et Ă©pouse Roberta GonzĂĄlez (1909-1976), la fille du sculpteur, elle-mĂȘme peintre et sculptrice. En septembre 1939, la France est dĂ©cidĂ©e Ă  arrĂȘter et enfermer un certain nombre de ressortissants allemands prĂ©sents sur le territoire national. MalgrĂ© son opposition au rĂ©gime, Hans Hartung fait partie de ceux qui sont arrĂȘtĂ©s. LibĂ©rĂ© le , il s'engage dans la LĂ©gion Ă©trangĂšre pour la durĂ©e de la guerre sous le nom de Jean Gauthier et est envoyĂ© en Afrique du Nord. PrĂ©sentant peu de goĂ»t pour la chose militaire, il est dĂ©signĂ©, avec un autre camarade du nom d'AndrĂ©as Rosenberg, pour repeindre l'intĂ©rieur du rĂ©fectoire du quartier militaire de Sidi Bel AbbĂšs. AprĂšs la signature de l'armistice, il est dĂ©mobilisĂ©, quittant l'armĂ©e le [8].

Il se rĂ©fugie alors avec la famille GonzĂĄlez dans le Lot. Pendant toute cette pĂ©riode, dans des conditions matĂ©rielles difficiles, il continue de produire, notamment des sĂ©ries d’encres abstraites, quelques peintures, mais aussi des sĂ©ries de « tĂȘtes » inspirĂ©es par Julio GonzĂĄlez et Guernica de Pablo Picasso. AprĂšs la mort de Julio GonzĂĄlez en 1942 et l'occupation de l'ensemble de la France, Hartung passe en 1943 en Espagne. dans des conditions trĂšs pĂ©rilleuses : il doit trouver des faux papiers, un passeur, traverse les chemins de crĂȘte des PyrĂ©nĂ©es de nuit alors que veillent les sentinelles allemandes et finit par ĂȘtre arrĂȘtĂ© par la police franquiste une fois la frontiĂšre passĂ©e. Il est incarcĂ©rĂ© dans plusieurs prisons, notamment Ă  Figueras, et raconte Ă  ce sujet avoir Ă©tĂ© « interrogĂ© par la police secrĂšte de Figueras Ă  coups de poing dans le visage, de gifles et de mises au secret dans des cellules minuscules et sans nourriture ni couvertures pendant plusieurs jours. » Il ajoute : « j’ai Ă©tĂ© menacĂ© d’ĂȘtre livrĂ© aux Allemands si je ne voulais pas donner des indications sur mon guide et le chemin prĂ©cis pour le passage des PyrĂ©nĂ©es[9]. » Il est finalement envoyĂ© au camp de concentration de Miranda del Ebro durant sept mois. LĂ , il enseigne l’histoire de l’art Ă  ses codĂ©tenus d’aprĂšs les souvenirs de l’enseignement de Wilhelm Pinder Ă  Leipzig, fait des portraits et au moins un autoportrait.

AprĂšs une intervention du consul de la France libre, Hartung rejoint l'Afrique du Nord et s'engage Ă  nouveau dans la LĂ©gion, sous le nom de Pierre Berton cette fois-ci. AffectĂ© au RĂ©giment de marche de la LĂ©gion Ă©trangĂšre comme brancardier, blessĂ© durant l'attaque de Belfort en , plus prĂ©cisĂ©ment dans le bois de Buc. Comme il n’y a aucune organisation ou presque pour les victimes, il est expĂ©diĂ© dans la cour d’une ferme sur son brancard ; Hartung reste deux jours sans secours. La gangrĂšne commence Ă  gagner sa plaie. Il est enfin conduit Ă  Dijon, Ă  200 kilomĂštres. Dans l’ambulance, un soldat postĂ© au-dessus de lui fait une hĂ©morragie et le sang dĂ©gouline sur Hartung. Mais la voiture n’a pas le temps de s’arrĂȘter. L’homme meurt sur le trajet. Hans arrive enfin Ă  l’hĂŽpital. On lui annonce qu’on va l’opĂ©rer. Et quand il se rĂ©veille, il explique avoir eu « la sensation bizarre qu’il [lui] manquait quelque chose[10] ». Il surprend la conversation des infirmiers Ă  cĂŽtĂ© de lui et il comprend alors qu’on lui a coupĂ© la jambe au niveau du genou. Malheureusement, le genou ne cicatrice pas et se gonfle de pus : il faut transfĂ©rer Hartung de Dijon Ă  Toulouse avec cette fois trois jours de trajet dans des conditions de souffrance atroces. Les mĂ©decins qui le rĂ©ceptionnent l’examinent et dĂ©cident de couper Ă  nouveau, au niveau de la cuisse. Il assiste Ă  la seconde amputation, lucide, car il n’y a pas moyen de l’anesthĂ©sier complĂštement. Il vieillira avec une prothĂšse et deux bĂ©quilles. Il est rĂ©formĂ© le .

Une figure de la seconde Ă©cole de Paris

De retour Ă  Paris en 1945, oĂč il est aidĂ© par Calder, il est naturalisĂ© français en 1946, dĂ©corĂ© de la croix de guerre 1939-1945, de la mĂ©daille militaire et de la LĂ©gion d'honneur (chevalier en 1952).

Dans les annĂ©es suivantes, Hartung participe Ă  plusieurs expositions : une premiĂšre exposition personnelle a lieu Ă  Paris en 1947 Ă  la galerie Lydia Conti qui le rĂ©vĂšle au public, et il est remarquĂ© par les critiques. Il est notamment l’objet d’un vif intĂ©rĂȘt de Charles Estienne et de LĂ©on Degand, mais aussi de Denys Sutton, James Johnson Sweeney et Madeleine Rousseau, qui Ă©crit dans le premier ouvrage monographique qui lui soit consacrĂ©, Ă  l’instigation du collectionneur allemand Ottomar Domnick : « C’est ainsi qu’une toile de Hartung c’est, sans doute, un moment de l’existence du peintre ; mais, plus encore, c’est un moment de notre civilisation, avec les contraintes, les dangers, les espoirs qu’elle apporte et qui, en grande partie, dĂ©terminent l’attitude individuelle de chacun[11]. »

Lors de la 24e édition de la Biennale de Venise, en 1948, Hartung apparaßt dans deux espaces : tandis que sa toile T1946-17 est exposée dans le pavillon français, sa toile T1947-27 est quant à elle dans la section consacrée à la collection de Peggy Guggenheim.

Alain Resnais rĂ©alise sur lui un film, intitulĂ© Visite Ă  Hans Hartung, qui est prĂ©sentĂ© en 1948 en Allemagne et en 1950 Ă  Paris. À partir de 1949, il rĂ©alise plusieurs expositions personnelles ou collectives et fait la connaissance de GĂ©rard Schneider, Pierre Soulages, Georges Mathieu, Willi Baumeister et Mark Rothko. Il est alors reconnu comme l'un des chefs de file de l'art informel et un des prĂ©curseurs de l’Action Painting. Une rĂ©trospective de son Ɠuvre est prĂ©sentĂ©e dĂšs 1952 au musĂ©e de BĂąle.

En 1952, Hans Hartung et Anna-Eva Bergman se revoient pour la premiĂšre fois depuis prĂšs d’une quinzaine d’annĂ©es lors de la rĂ©trospective du beau-pĂšre dĂ©cĂ©dĂ© de Hartung : le sculpteur Julio Gonzalez. Ils retombent amoureux.

Hans Hartung photographié par Paolo Monti en 1955.

Il commence à exposer à Paris à la galerie de France de Myriam Prévot et Gildo Caputo et est élu en 1956 membre de l'Académie des arts de Berlin. En 1957, Hartung se remarie avec Anna-Eva Bergman. Multipliant les expositions de ses peintures, gravures et lithographies, il reçoit en 1960 le grand prix international de peinture de la Biennale de Venise.

Un changement technique et stylistique majeur intervient en 1960. Expérimentant les peintures industrielles, acryliques et vinyliques, Hartung cesse de procéder par la mise au carreau minutieuse de dessin spontané, mais attaque directement le support et recourt beaucoup au grattage dans la matiÚre fraßche. Au sujet de évolution, Jean Clair écrit :

« En 1961, commençait pour Hartung une pĂ©riode nouvelle. Non pas tant mutation que passage, dans la dynamique interne de l’Ɠuvre Ă  un palier diffĂ©rent, Ă  quelque chose de plus ample et plus tendu Ă  la fois. Comme au cinĂ©ma on voit s’ouvrir l’écran du format ancien au format du cinĂ©mascope, on vit la toile se dĂ©ployer en longueur jusqu’à atteindre les 2,50 m. Sur sa surface, de grandes nĂ©buleuses en suspension, zĂ©brĂ©es de traits Ă©pars, non pas peints, mais imprimĂ©s dans l’épaisseur fraĂźche de la pĂąte, comme des graffites sur la muraille[12]. »

La maßtrise et la renommée

En 1964, Hartung effectue avec Anna-Eva Bergman un voyage en bateau au long de la cĂŽte de l'extrĂȘme nord de la NorvĂšge et en rapporte des milliers de photographies. À l'occasion de la publication du catalogue de ses gravures, celles-ci sont dans leur totalitĂ© exposĂ©es Ă  Brunswick (Basse-Saxe) en 1965. De larges rĂ©trospectives de son Ɠuvre sont prĂ©sentĂ©es au musĂ©e de Turin en 1966, au MusĂ©e national d'Art moderne de Paris en 1968, puis Ă  Houston, Ă  QuĂ©bec et Ă  MontrĂ©al en 1969, tandis que ses toiles rĂ©centes sont exposĂ©es Ă  New York. Hans Hartung reçoit le prix d'honneur de la Biennale de gravure de Ljubljana en 1967, le grand prix des Arts de la ville de Paris en 1970. Pour son soixante-dixiĂšme anniversaire, le musĂ©e de Cologne lui consacre en 1974 une nouvelle rĂ©trospective et la revue Cimaise un numĂ©ro spĂ©cial. En 1968, Hartung fait construire prĂšs d'Antibes une maison et des ateliers dont il conçoit les plans et oĂč il sĂ©journe en permanence Ă  partir de 1972. D'autres rĂ©trospectives lui sont consacrĂ©es en 1975 Ă  Berlin et Ă  Munich, le Metropolitan Museum of Art de New York exposant une trentaine de ses Ɠuvres monumentales. En 1975-1976, AndrĂ© Parinaud organise l'exposition itinĂ©rante en France, Trente crĂ©ateurs, rĂ©unissant Pierre Alechinsky, Olivier DebrĂ©, Hans Hartung, François HeaulmĂ©, Roberto Matta, Zoran MuĆĄič, Edouard Pignon et Pierre Soulages. Les Éditions Skira publient Un monde ignorĂ© vu par Hans Hartung, avec des reproductions de ses photographies et des textes de Jean Tardieu.

Hartung est Ă©lu en 1977 Ă  l'AcadĂ©mie des beaux-arts et le Centre Pompidou organise une exposition itinĂ©rante de ses gravures et lithographies. Un timbre-poste reproduisant l'une de ses peintures est Ă©mis en 1980[13]. À cette occasion, le musĂ©e de la Poste prĂ©sente les tapisseries et gravures sur bois de Hartung et d'Anna-Eva Bergman. Hartung est en 1981 le premier peintre Ă  recevoir le prix Kokoschka crĂ©Ă© par le gouvernement autrichien. La mĂȘme annĂ©e, la StĂądtische Kunsthalle de DĂŒsseldorf, puis la Staatsgalerie Moderner Kunst de Munich organisent une grande exposition rĂ©trospective ainsi que la Fondation Henie-Onstad en NorvĂšge. Hartung se voit consacrer en 1982 une salle personnelle permanente Ă  la Staatsgalerie Moderner Kunst de Munich. Le conseil rĂ©gional de Provence-Alpes-CĂŽte d'Azur inaugure en 1983 au musĂ©e Picasso d'Antibes une exposition de ses photographies tandis que le Kupferstich-Kabinett der Staatlichen Kunstsammlungen de Dresde expose les soixante et une lithographies et gravures qu'il lui a offertes. En 1984 est ouverte au Hessisches Landesmuseurn de Darmstadt une salle consacrĂ©e Ă  ses peintures, et Hartung reçoit la croix de grand officier de l'ordre du MĂ©rite de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d'Allemagne. En 1989, il est Ă©levĂ© Ă  la dignitĂ© de grand officier de la LĂ©gion d'honneur[14]. Dans les derniĂšres annĂ©es de sa vie, Hartung va peindre au pistolet Ă  peinture, ce qui lui permit de faire plus trois cents toiles l'annĂ©e de sa mort, en 1989.

Postérité

La derniĂšre sĂ©ance de travail de Hartung, le , a lieu une semaine aprĂšs la chute du mur de Berlin et Hartung meurt le . Les nĂ©crologies et hommages qui succĂšdent au dĂ©cĂšs lient souvent la disparition du peintre et la rĂ©unification de l’Allemagne, en particulier Jack Lang, ministre de la Culture, qui dĂ©clare : « Homme de crĂ©ation et de libertĂ©, Hans Hartung nous quitte au moment oĂč Leipzig, sa ville natale, retrouve ses valeurs[15]. » AprĂšs sa mort, Hartung connaĂźt un relatif oubli et une certaine marginalisation dans les annĂ©es 1990, mais il est toutefois l’objet de plusieurs expositions importantes, dont une Ă  la Tate Gallery Ă  Londres consacrĂ©e Ă  ses Ɠuvres sur papier en 1996 : Hans Hartung : works on paper 1922 - 1956[16]. Il est aussi redĂ©couvert par des commissaires d’exposition et des artistes d’une gĂ©nĂ©ration postĂ©rieure Ă  la sienne, comme Xavier Douroux, qui lui consacre une exposition en 1996[17] et, vingt ans plus tard, le prĂ©sente au Fonds HĂ©lĂšne et Édouard Leclerc pour la Culture avec Hans Hartung et les peintres lyriques, dont Cy Twombly, Albert Oehlen, Charline von Heyl ou encore Shirley Jaffe. Depuis les annĂ©es 2000, de nombreux crĂ©ateurs contemporains, de courants et de technique trĂšs diversifiĂ©s, ont manifestĂ© leur intĂ©rĂȘt et admiration pour Hartung, notamment Jean-Luc Godard qui l’expose entre Matisse et Nicolas de StaĂ«l au centre Pompidou en 2006[18], Markus LĂŒpertz[19], Christopher Wool[20], Larry Clark[21], Abraham Poincheval[22], Katharina Grosse, ou encore Romain Goupil qui lui consacre un film de 52 minutes en 2019[23].

Hartung photographe

Hans Hartung avec un télescope, Dresde, 1916

Hartung s’intĂ©resse trĂšs tĂŽt Ă  la photographie. Enfant, il confectionne son propre appareil, en fixant sur un tĂ©lescope une boĂźte Ă  cigare faisant office de chambre noire. Il photographie ainsi ses premiĂšres vues lointaines, dont un clichĂ© de la lune en 1916. Ces expĂ©rimentations prĂ©coces marquent le dĂ©but d’une passion qui durera toute une vie, et se dĂ©veloppera en parallĂšle Ă  sa peinture.

« J'ai la manie de tout photographier », confie l’artiste au milieu des annĂ©es 1970. Muni d’un appareil Leica et d’un Minox, Hartung a notamment pour habitude de photographier quotidiennement les personnes de son entourage et celles qu’il rencontre. Il en rĂ©sulte une abondante production de portraits, parmi lesquels ceux de Georges Pompidou, Mark Rothko, Marcel Breuer, Alexander Calder, Zao Wou-Ki, Henry Geldzahler, Hans Richter, etc. Les Ɠuvres ainsi rĂ©alisĂ©es agissent, selon ses propres termes, comme une « seconde mĂ©moire » : « fixĂ© sur la pellicule, affirme-t-il, le souvenir reprend toute sa force, toute son acuitĂ©, rĂ©veille les circonstances[24]. »

Pour l’artiste, tout est sujet : outre les portraits, il effectue Ă  partir des annĂ©es 1960 de nombreux clichĂ©s aĂ©riens lors de ses voyages en avion, notamment des parterres de nuages. L’abstraction n’est jamais loin dans ses choix de prise de vue : effets d’ombre et de lumiĂšre, cailloux oblongs, fissures et taches forment un rĂ©pertoire de motifs qui ne sont pas sans liens avec sa peinture. À l’affĂ»t de la moindre Ă©trangetĂ© visuelle, il n’hĂ©site pas Ă  tirer parti des dĂ©fauts et accidents de la pellicule[25]. Il joue en outre sur les temps de pose, obtenant, dans les annĂ©es 1960, des effets lumineux comparables Ă  ceux de ses toiles rĂ©alisĂ©es au spray.

On aurait tort toutefois de rĂ©sumer sa pratique photographique Ă  un travail prĂ©paratoire Ă  son Ɠuvre peint, ni mĂȘme Ă  un dĂ©doublement de celui-ci. En , la revue Camera, dans un dossier pionnier consacrĂ© Ă  ce sujet, estime que le peintre a trouvĂ© dans la photographie un outil lui permettant de confirmer l'existence de ses intuitions abstraites dans le monde environnant[26].

Si le dossier de Camera amorce la diffusion vĂ©ritable des photographies d’Hartung, les premiĂšres expositions de cette partie de son Ɠuvre ne voient le jour que dans les annĂ©es 1970. L'une des rĂ©trospectives les plus marquantes a lieu en 1982, au MusĂ©e national d'Art moderne, sous le commissariat d'Alain Sayag. Exhaustives, ces expositions prennent en compte les tout premiers clichĂ©s de l'artiste, soulignant le rĂŽle prĂ©curseur jouĂ© par la photographie dans sa quĂȘte de formes remarquables et abstraites.

Expositions

Citations

  • « Mes Ă©clairs enfantins ont eu, j’en suis sĂ»r, une influence sur mon dĂ©veloppement artistique, sur ma maniĂšre de peindre. Ils m’ont donnĂ© le sens de la vitesse du trait, l’envie de saisir par le crayon ou le pinceau l’instantanĂ©, ils m’ont fait connaĂźtre l’urgence de la spontanĂ©itĂ©. Il y a souvent, dans mes tableaux, des lignes zigzaguĂ©es, brisĂ©es, qui courent et traversent mes toiles comme elles le faisaient sur mes livres des Ă©clairs[27]. »
  • « J’avais le sentiment de participer aux forces qui rĂ©gissent la nature. Je voulais traduire par des formes, des images, les lois de la matiĂšre qui peuvent paraĂźtre dĂ©sordonnĂ©es, arbitraires mais qui pourtant s’organisent dans une volontĂ© qui, en fin de compte, les harmonise et qui maintient l’ordre[28]. »
  • « Cela me fait plaisir d’agir sur la toile. C’est cette envie qui me pousse : l’envie de laisser la trace de mon geste sur la toile, sur le papier. Il s’agit de l’acte de peindre, de dessiner, de griffer, de gratter[29]. »
  • « Le plaisir de vivre se confond pour moi avec le plaisir de peindre. Quand on a consacrĂ© toute sa vie Ă  la peinture, quand on a essayĂ© d’aller toujours plus loin, il est impossible de s’arrĂȘter[30]. »
  • « L’art me paraĂźt un moyen de vaincre la mort[30]. »
  • « Peindre a donc toujours supposĂ© pour moi l’existence de la rĂ©alitĂ©, cette rĂ©alitĂ© qui est rĂ©sistance, Ă©lan, rythme, poussĂ©e, mais que je n’apprĂ©hende totalement qu’autant que je la saisis, que je la cerne, que je l’immobilise pour un instant que je voudrais voir durer toujours[30]. »

Collections publiques

DĂ©corations

  • LaurĂ©at du prix Rubens de la ville Siegen en 1958
  • Grand Prix international de peinture de la Biennale de Venise en 1960
  • LaurĂ©at du prix Oskar Kokoschka en 1981

Notes et références

  1. Hartung 2016, p. 20.
  2. Hartung 2016, p. 82.
  3. Hartung 2016, p. 83.
  4. Hartung 2016, p. 87.
  5. Hartung 2016, p. 94.
  6. Collectif, Hans Hartung, Spontanes KalkĂŒl, catalogue d'exposition, Leipzig, Museum der Bildenden KĂŒnste, 4 novembre 2007 - 10 fĂ©vrier 2008, Kiel, Kunsthalle zu Kiel, 15 mars - 18 mai 2008, Bielefeld / Leipzig, 2007.
  7. Herta Wescher, « New Work in Paris », Axis, Londres, no 6,‎ , p. 29.
  8. A.-P. Comor, La LĂ©gion Ă©trangĂšre, histoire et dictionnaire, Paris, Éditions Robert Laffont, 2013, p. 452-453.
  9. Hartung 2016, p. 206.
  10. Hartung 2016, p. 217.
  11. Madeleine Rousseau, Hans Hartung, Stuttgart, Domnick Verlag, , « Vie et oeuvre »
  12. Jean Clair, « Hans Hartung, la nue, les Ă©clairs », L’Art vivant, no 20,‎
  13. « ƒuvre originale de Hans Hartung », sur www.ladressemuseedelaposte.fr (consultĂ© le )
  14. Décret du 30 décembre 1988.
  15. Jack Lang citĂ© sur France Inter, « Disparition du peintre Hans Hartung mort Ă  Antibes », journal du 9 dĂ©cembre 1989, archives de l’INA.
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Annexes

Monographies

  • Hans Hartung, Autoportrait, Les presses du rĂ©el, (ISBN 978-2-84066-654-7)
  • Madeleine Rousseau et Ottamar Domnick, Hans Hartung, prĂ©face de James Johnson Sweeney, Stuttgart, Domnick Verlag, 1949.
  • Giuseppe Marchiori, Hans Hartung, Rome, galleria II Segno, 1958
  • RenĂ© De Solier, Hartung. Peintures, Antibes, musĂ©e d’Antibes, chĂąteau Grimaldi, 1959.
  • Roger Van Gindertael, Hans Hartung, Paris, Éditions Pierre TisnĂ©, 1960 (Ă©ditions en anglais et en allemand en 1961 et 1962).
  • Dominique Aubier, Hans Hartung, Paris, Le MusĂ©e de Poche, Édition Georges Fall, 1961.
  • Jean Tardieu, Hans Hartung, Paris, Éditions Fernand Hazan, 1962.
  • Raymond Bayer, Entretiens sur l'art abstrait, GenĂšve, Pierre CaillĂ©, 1964.
  • Rolf SmĂŒcking, Hans Hartung [L'Ɠuvre gravĂ© 1921-1965], Brunsweig, Galerie SchmĂŒcking, 1965 (Ă©dition complĂ©tĂ©e en 1990).
  • Umbro Appolino, Hans Hartung, Milan, Fratelli Fabbri, 1966.
  • Will Grohmann, Hans Hartung.Aquarelle 1922, Saint-Gall, Erker Verlag, 1966.
  • Jiri Sliblik, Hans Hartung, Prague, Odeon, 1967.
  • Jean Tardieu, Un monde ignorĂ© vu par Hans Hartung, GenĂšve, Éditions Albert Skira, 1974.
  • Hans Hartung, Autoportrait, rĂ©cit recueilli par Monique Lefebvre, Paris, Bernard Grasset, 1976 (ISBN 978-2246004066).
  • Pierre Descargues, Hartung, Paris, Éditions Cercle d'Art, 1977 (Ă©ditions en anglais et en allemand en 1977 et 1983).
  • Jean Tardieu, Les Figures du mouvement : 12 dessins de Hans Hartung, Paris, Éditions de Grenelle, 1987.
  • Pierre Daix, Hartung, Paris, Bordas/Gervis, 1991.
  • Lydia Harambourg, Hans Hartung, dans L'École de Paris 1945-1965, Dictionnaire des peintres, NeuchĂątel, Ides et Calendes, 1993 (ISBN 2825800481).
  • Jacques Damez, Hans Hartung photographe – La LĂ©gende d’une Ɠuvre, Bruxelles, La Lettre volĂ©e, 2003
  • Annie Claustres, Hans Hartung. Les alĂ©as d'une rĂ©ception, Dijon, Les Presses du rĂ©el, 2005 (ISBN 978-284066133-7).
  • Collectif, Hartung.10 perspectives, Milan, 5 Continents Éditions, 2006.
  • Davide Rampello, Nicole Laffont, Hartung. L’Ɠuvre ultime, GaĂšte, Artistic Publishing, 2009.
  • Odile Burluraux , Hans Hartung. The Final Years 1980-1989, Londres, Timothy Taylor Gallery, 2011.
  • Collectif, Beau Geste, Hans Hartung, Peintre et lĂ©gionnaire, Aubagnes, Gallimard/Fondation Hartung-Bergman, 2016 (ISBN 978-2-07-017873-5).
  • Pierre Wat, Hans Hartung : la peinture pour mĂ©moire, Paris, Hazan, 2019.
  • Thomas Kirchner, Antje Kramer-Mallordy, Martin Schieder (dir.), Hans Hartung et l’abstraction. « RĂ©alitĂ© autre, mais rĂ©alitĂ© quand mĂȘme », actes du colloque international Hans Hartung, Deutsches Forum fĂŒr Kunstgeschichte et Fondation Hartung-Bergman, Dijon, Les presses du rĂ©el, 2019.

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