Mark Rothko
Mark Rothko, né Markuss Rotkovičs le à Dvinsk (gouvernement de Vitebsk, actuelle Daugavpils en Lettonie) et mort le à New York, est un peintre américain. Il est classé parmi les représentants de l'expressionnisme abstrait américain, mais Rothko refusait cette catégorisation jugée « aliénante ».
Naissance | |
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Décès | |
SĂ©pulture |
East Marion Cemetery (d) |
Nom dans la langue maternelle |
Markuss RotkoviÄŤs |
Nom de naissance |
Marcus Rothkowitz |
Nationalité | |
Activités | |
Formation | |
Représenté par |
Pace Gallery (en), Artists Rights Society |
Lieux de travail | |
Mouvement | |
Influencé par |
GMM |
Conjoint |
Mary Ellen Beistle (d) |
Enfants |
Biographie
Né en 1903 à Dvinsk dans l’Empire russe (aujourd’hui Daugavpils en Lettonie)[1] - [2], Markuss Rotkovičs[1] est le benjamin d'une famille juive de quatre enfants, fils du pharmacien de la ville[3]. Pour que ses fils ne soient pas embrigadés de force dans l'armée impériale russe, son père émigre aux États-Unis, puis y fait venir ses aînés en 1912 et ses plus jeunes enfants fin 1913[1]. Il émigre donc, avec sa mère et sa sœur, aux États-Unis (à Portland, en Oregon) en 1913[2] - [4] pour y rejoindre son père et ses frères, «emportant avec lui son éducation talmudique comme ses souvenirs des pogroms et des persécutions de son enfance»[3]. Son père meurt un an après leur arrivée. Il fait ses études à la Lincoln High School de Portland, puis à l'université Yale.
En 1929, il devient professeur de dessin pour des enfants, se marie en 1932 avec Edith Sachar puis fonde, en 1934, l’Artist Union de New York. Ce n'est par ailleurs qu'en 1940 qu'il adoptera le nom anglicisé de Mark Rothko, deux ans après avoir pris la nationalité américaine. D'après ses amis, il était d'un naturel difficile, profondément anxieux et irascible, mais malgré cela il pouvait aussi être plein de dévouement et d'affection.
C'est dans les années 1950 que sa carrière démarre véritablement, notamment grâce au collectionneur Duncan Phillips qui lui achète plusieurs tableaux et, après un long voyage du peintre en Europe, lui consacre une salle entière de sa collection. C'était le rêve de Rothko, qui souhaitait que les visiteurs ne soient pas perturbés par d'autres œuvres. Les années 1960 seront pour lui la période des grandes commandes publiques (université Harvard, Marlborough Gallery de Londres, chapelle à Houston) et du développement de ses idées sur la peinture.
Mais cet élan créateur et de reconnaissance est stoppé par la maladie, un anévrisme de l’aorte handicapant l'empêchant de peindre des grands formats. Mark Rothko se suicide en 1970 à New York[5].
Ĺ’uvres
Rothko était un grand travailleur, son catalogue raisonné recense 834 tableaux dont 424 avec ses fameux colorfield. C’était également un intellectuel qui aimait la musique,la littérature et la philosophie, plus particulièrement les écrits de Nietzsche et la mythologie grecque. Influencé par l'œuvre d'Henri Matisse – à qui il a d'ailleurs consacré un hommage dans une de ses toiles – Rothko occupe une place singulière au sein de l'École de New York. Après avoir expérimenté l'expressionnisme abstrait (mouvement artistique dans lequel il côtoiera notamment Jackson Pollock et Adolph Gottlieb) et le surréalisme, il développe à la fin des années 1940 une nouvelle façon de peindre. En effet, hostile à l'expressionnisme de l'Action Painting, Mark Rothko (ainsi que Barnett Newman et Clyfford Still) invente une nouvelle façon, méditative, de peindre[6], que le critique Clement Greenberg définira comme le Colorfield Painting, littéralement « peinture en champs de couleur »[6]. Dans ses toiles, en effet, il s’exprime exclusivement par le moyen de la couleur qu’il pose sur la toile en aplats à bords indécis, en surfaces mouvantes, parfois monochromes et parfois composées de bandes diversement colorées. Il atteint ainsi une dimension spirituelle particulièrement sensible[6].
Maturité artistique
Rothko se sépare de son épouse Edith Sachar durant l'été 1937 à la suite du succès de celle-ci dans ses affaires de bijouterie. Apparemment, il ne prenait pas plaisir à travailler avec son épouse et se serait senti menacé et jaloux de son succès financier. Edith et lui se réconcilient en automne, mais leurs rapports restent tendus.
Le , Rothko obtient la nationalité américaine, incité par ses craintes que l'influence nazie croissante en Europe puisse provoquer la déportation soudaine des juifs américains. L'apparition de sympathies nazies aux États-Unis augmente ses craintes ; en , Marcus Rothkovich change son nom en Mark Rothko, l'abréviation commune « Roth » étant identifiée comme juive. Après le Pacte germano-soviétique entre Hitler et Staline en 1939, Rothko, Avery, Gottlieb et d'autres, quittent le Congrès des artistes américains en signe de protestation à l'encontre du rapprochement du congrès avec le communisme radical. En juin, il forme avec d'autres artistes la Fédération des peintres et sculpteurs modernes. Leur objectif est de maintenir l'art exempt de propagande politique.
Inspiration mythologique
Craignant que la peinture moderne américaine ait atteint une impasse, Rothko est attentif à l'exploration de sujets différents des scènes naturelles et urbaines ; des sujets qui compléteraient son souci croissant de la forme, la spatialité et la couleur. La crise mondiale de la guerre prête à cette recherche une immédiateté — une urgence — de même que son insistance à trouver de nouveaux thèmes ayant un impact social, capables de transcender les limites des valeurs et symboles politiques. Dans son important essai, The Romantics Were Prompted publié en 1949, Rothko observe que « l'artiste archaïque (...) trouve vis-à -vis des dieux et demi-dieux la nécessité de créer un groupe d'intermédiaires, monstres, hybrides[7]. » d'une manière similaire à l'homme moderne trouvant des intermédiaires dans le parti fasciste ou communiste.
Cependant, en raison des découvertes, de l'impérialisme et des avancées scientifiques de l'Europe, les liens traditionnels se sont érodés et la mythologie a été remise en question ; les anciennes mythologies (basées sur le social) auraient été remplacées par l'individu. Pour Rothko, « sans monstres ni dieux, l'art ne peut figurer un drame » et « quand ils furent abandonnés comme superstitions intenables, l'art tomba dans la mélancolie[8] ». Par conséquent, les « grandes réalisations » de civilisations qui acceptèrent l'improbabilité du mythe « sont celles de la figure humaine solitaire dans un moment d'immobilité complète » capable « d'indiquer son souci du principe moral et un insatiable appétit pour une expérience omniprésente de ce principe. », dans l'idée que chacun, libéré des dieux et des monstres, pourrait être capable de « respirer et d'étirer son bras vers l'autre ». Cette « figure humaine seule dans un moment d'immobilité complète[9] » a servi de prototype aux dernières peintures de Rothko : le style singulier de ses champs irradiant de couleur, solitaires mais tout autant liés aux images transcendantes de la mythologie.
L'utilisation par Rothko de la mythologie comme commentaire de l'histoire actuelle n'était nullement une innovation. Rothko, Gottlieb et Newman lisaient et discutaient des travaux de Freud et Jung, en particulier leurs théories respectives à propos des rêves et des archétypes de l'inconscient collectif, et envisageaient les symboles mythologiques comme des images auto-référentes — opérant dans un espace de conscience humaine qui transcende les histoires et cultures spécifiques. Par conséquent, des images de la Grèce déchirée par les guerres antiques auraient un impact similaire (sinon supérieur) à une coupure de journal présentant Londres déchiré par la guerre, en première page du Sunday Times.
Indépendamment de la connaissance de l'homme moderne des symboles mythologiques, ces images parleraient directement à l'inconscient jungien et réveilleraient des énergies cachées chez l'homme, les remontant à la surface. Rothko expliqua plus tard que son approche artistique fut « réformée » par son étude des « thèmes dramatiques du mythe. » Il cessa apparemment de peindre durant toute l'année 1940, et étudia L'Interprétation des rêves du psychanalyste Sigmund Freud et Le Rameau d'or de l'anthropologue James George Frazer. Rothko expliquera par la suite avoir voulu transgresser les canons artistiques pour intégrer un espace d'expression plus vaste et grand, celui de la création en général.
Inspiration nietzschéenne
Pourtant le livre le plus crucial pour Rothko dans cette période serait La Naissance de la tragédie de Friedrich Nietzsche[10] - [11].
La nouvelle vision de Rothko essaierait donc de s'adresser aux exigences de la spiritualité de l'homme moderne et aux exigences créatives mythologiques, à l'identique de Nietzsche clamant que la tragédie grecque est une recherche humaine pour racheter les terreurs d'une vie mortelle. Les objectifs artistiques modernes ont cessé d'être le but de Rothko. À partir de ce moment-là , son art soutiendrait en tant que but le « fardeau » de soulager le vide spirituel fondamental de l'homme moderne; un vide créé en partie par l'absence d'une mythologie adressée correctement à « la croissance d'un esprit enfantin et (...) à la vie et les luttes d'un homme[12] » et pour fournir la reconnaissance esthétique nécessaire à la libération des énergies inconscientes, précédemment libérées par les images, symboles et rituels mythologiques.
Rothko se considérait lui-même comme un « faiseur de mythe » et proclamait que le seul sujet valable était celui qui est tragique. « L'expérience tragique ragaillardie », a-t-il écrit, « est pour moi la seule source d'art[13] ».
Vers l'effacement du moi ?
Chez cet artiste, la couleur est débarrassée de l'objet et devient l'unique objet de vision. Dans son œuvre intitulée Number 12 (1949, huile sur toile, 171,61 × 108,11 cm) et dans d'autres similaires, il joue avec les bandes et cela lui permet de développer davantage la dimension de l'expression par rapport à celle de la couleur. Selon Hugues de Chanay, sémiologue (professeur - Université Lumière Lyon 2), Mark Rothko déplace sciemment le centre d'intérêt : acte de voir et non plus acte de comprendre.
Sublime abstrait, selon Rosenblum en 1961, cet artiste réussit à nier dans son travail l'individuation personnelle grâce à cet effacement du soi et par conséquent rend son œuvre plus « sublime » encore[14].
Cote
- En novembre 1999, une de ses toiles de 1952 a été vendue pour la somme de 10,2 millions d'euros.
- En novembre 2005, sa toile Hommage à Matisse de 1953 a été vendue chez Christie's New York pour 22,5 millions de dollars[15].
- En mai 2007, sa toile Centre blanc de 1950 a battu ce record, se vendant pour 72,8 millions de dollars chez Sotheby's New York[16]. Elle était vendue par David Rockefeller, qui était présent lors de la vente.
- En mai 2012, Orange, Red, Yellow (1961) a été adjugée près de 87 millions de dollars[17].
- En mai 2014, la toile Untitled (Yellow and Blue) a été adjugée pour 46,5 millions de dollars à New York par Sotheby’s[18].
Expositions (sélection)
- Mark Rothko, Museum of Modern Art, New York, janvier 1961 - mars 1961, puis Whitechapel Gallery, Londres[5],
- Mark Rothko, Musée d'Art moderne de Paris, janvier - avril 1999[19]
- Rothko. The Late Series, Tate Modern, Bankside, Londres, décembre 2008 - janvier 2009[20] - [21].
- Rothko in Britain, Whitechapel Gallery, Londres, septembre 2011 – février 2012[5]
- Abstract Expressionism, Royal Academy of Arts, Londres, septembre 2016 — décembre 2016[22]
- Mark Rothko, Kunsthistorisches Museum Wien (Vienne/Autriche), mars 2019 - juin 2019[23]
Écrits
Rothko n'a laissé que peu d'écrits : essentiellement une correspondance avec divers artistes ou professionnels de l'art. Il a cependant laissé un manuscrit inachevé, La Réalité de l'artiste, datant des années 1940 (donc antérieur à sa période la plus connue de « Colorfield Painting » ), où il disserte sur l'art occidental et son évolution. Cet ouvrage a été découvert en 1988, soit dix-huit ans après son décès, et édité par son fils, Christopher Rothko, en 2004[24].
Voir aussi
Articles connexes
- Liste des Ĺ“uvres de Mark Rothko
- Rouge (Red), pièce de théâtre de John Logan sur Mark Rothko
Bibliographie
- Mark Rothko, La Réalité de l'artiste, éd. et introd. de Christopher Rothko, Paris, Flammarion, 2004, trad. de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat ; rééd. Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2015.
- Mark Rothko, Écrits sur l'art, textes réunis et préfacés par Miguel Lopez-Remiro, Paris, Flammarion, 2005.
- Mark Rothko: 1903 - 1970, Alan Bowness Ă©d., avec des Ă©crits de Mark Rothko, Londres, Tate Gallery, 1987.
- Jacob Baal-Teshuva, Rothko, Paris, Le Monde, 2005 ; Taschen, 2009.
- Emmanuel Bénézit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays, vol. 11, Paris, Éditions Gründ, , 13440 p. (ISBN 978-2-7000-3021-1, LCCN 2001442437), p. 954-956.
- Annie Cohen-Solal, Mark Rothko, Arles, Actes Sud, 2013.
- Stéphane Lambert, Mark Rothko : rêver de ne pas être, Les Impressions nouvelles, 2011 ; rééd. Arléa.
Documentaire
Il existe un film de 52 minutes présentant la vie et l'œuvre de Mark Rothko en version française et anglaise intitulé Mark Rothko, un humaniste abstrait, réalisé par Isy Morgensztern. Ce film retrace le parcours du peintre et montre nombre de ses œuvres, dont celles peu connues des périodes qui précèdent et suivent la période abstraite dite « classique ». Le DVD de ce film, édité aux Éditions Montparnasse, est assorti en bonus d'une interview du fils du peintre, Christopher Rothko (33 minutes).
Liens externes
- Ressources relatives aux beaux-arts :
- Musée des beaux-arts du Canada
- MusĂ©e national centre d'art Reina SofĂa
- Tate
- (en) Art Institute of Chicago
- (en) Art UK
- (de + en) Artists of the World Online
- (en) Bénézit
- (en) British Museum
- (en) Grove Art Online
- (da + en) Kunstindeks Danmark
- (en) Musée d'art Nelson-Atkins
- (en + es) Musée Thyssen-Bornemisza
- (en) Museum of Modern Art
- (en) MutualArt
- (en) National Gallery of Art
- (en) National Gallery of Victoria
- (nl + en) RKDartists
- (en) Smithsonian American Art Museum
- (en) Te Papa Tongarewa
- (en) Union List of Artist Names
- Ressources relatives Ă la musique :
- Discogs
- (en) MusicBrainz
- Ressource relative au spectacle :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- (en) Collection de 19 Ĺ“uvres au MoMA.
- (en) Site sur Rothko de la National Gallery of Art de Washington
- La Chapelle Rothko
- (en) Mark Rothko dans Artcyclopedia
- Daugavpils Mark Rothko Art Centre[25] - [26] (Daugavpils, Lettonie)
Notes et références
- Valérie Duponchelle, « Mark Rothko, le miracle de la peinture », Le Figaro,‎ (lire en ligne)
- « Rothko, Mark », sur Encyclopædia Universalis
- Annie Cohen-Solal, Mark Rothko, Arles, Actes Sud,
- (en) « Mark Rothko », sur Encyclopædia Britannica
- (en) Laura Cumming, « Rothko in Britain – review », The Guardian,‎ (lire en ligne)
- Vincent Brocvielle, « Rothko. Sans titre (noir rouge sur noir sur rouge). Vous qui entrez, laissez toute espérance », dans Pourquoi c’est connu ? Le fabuleux destin des chefs d’oeuvre du Centre Pompidou, Centre Pompidou, (ISBN 978-2-7118-7517-7), p. 98-99
- (en) Trad. « archaic artist . . . found it necessary to create a group of intermediaries, monsters, hybrids, gods and demigods »
- (en) Trad. « without monsters and gods, art cannot enact a drama (...) when they were abandoned as untenable superstitions, art sank into melancholy. »
- (en) Trad. « human figure alone in a moment of utter immobility »
- (en) « Abstract Expressionism in colors by Mark Rothko », ArtWizard,‎ (lire en ligne)
- Annick Colonna-Césari, « Les brûlures de Rothko », L'Express,‎ (lire en ligne)
- Nietzsche
- (en) Trad. The exhilarated tragic experience is for me the only source of art
- « Plonger dans la couleur, deux analyses complémentaires: Hugues de Chanay et Christian Schmitt », sur Espace Trévisse (consulté le )
- Madame Figaro no 1 115.
- (en) Huge bids smash modern art record - BBC News.
- (en) Vente du Orange, Red, Yellow sur le site de Christie's.
- (en) Vente de Yellow and Blue sur Business Insider.
- Élisabeth Lebovici, « Rétrospective parisienne de l'œuvre du peintre américain Rothko, choc rétinien. 69 tableaux immenses, sans limites, aux couleurs incroyables:une expérience visuelle. Mark Rothko jusqu'au 18 avril au musée d'Art moderne de la Ville de Paris », Libération,‎ (lire en ligne)
- Harry Bellet, « Rothko, histoire du don indésirable », Le Monde,‎ (lire en ligne)
- Valérie Duponchelle, « Nuit rouge dans le mausolée sensuel de Rothko », Le Figaro,‎ (lire en ligne)
- (en) Laura Cumming, « Abstract Expressionism review – a colossal event », The Observer,‎ (lire en ligne)
- (de) « Mark Rothko - Traditionsbrecher mit Achtung vor dem Alten », Die Welt,‎ (lire en ligne)
- Harry Bellet, « Mark Rothko, théoricien de son art », Le Monde,‎ (lire en ligne)
- AFP, « Lettonie : Un musée Mark Rothko ouvre dans sa ville natale », sur rfi.fr, (consulté le ).
- (en) « The Mark Rothko Center : Rothko’s Stunning Legacy In Latvia », sur Art Weekenders, (consulté le ).