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Grande guerre (Uruguay)

On appelle la grande guerre (Guerra Grande en espagnol) les Ă©vĂ©nements qui se produisirent dans la rĂ©gion du Rio de la Plata, entre le et le . Il s'agissait Ă  l'origine d'une guerre civile orientale[1] qui se transforma en conflit rĂ©gional avec l'intervention de l'Argentine (elle-mĂȘme en proie Ă  une guerre civile) et du BrĂ©sil. Le conflit prit Ă©galement une dimension internationale lorsque la France, la Grande-Bretagne et des forces Ă©trangĂšres - notamment la LĂ©gion italienne de Giuseppe Garibaldi – se joignirent aux combats.

Grande guerre
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Une illustration de la défense de Montevideo empruntée au livre d'Isidoro De-Maria, Anales de la defensa de Montevideo.
Informations générales
Date 1839 Ă  1851
Lieu Uruguay
Issue Victoire des Colorados

La grande guerre opposa les blancos uruguayens dirigĂ©s par Manuel Oribe (soutenus par les fĂ©dĂ©ralistes argentins avec, Ă  leur tĂȘte, Juan Manuel de Rosas) aux colorados, conduits dans un premier temps par Fructuoso Rivera et alliĂ©s aux unitaires argentins, aux BrĂ©siliens et aux EuropĂ©ens. Elle se conclut par la victoire des colorados.

Aux origines du conflit

Les premiers désaccords (1830-1836)

La Bande orientale devint indĂ©pendante sous le nom de rĂ©publique orientale de l'Uruguay en 1828. Mais aprĂšs plusieurs annĂ©es de guerre, le nouvel État Ă©tait totalement dĂ©sorganisĂ© et la situation ne s'amĂ©liora pas rĂ©ellement avec l'Ă©lection en 1830 du premier prĂ©sident constitutionnel du pays, Fructuoso Rivera. En effet, ce dernier – caudillo sans formation politique ni aptitude pour les questions administratives – n'avait pas l'Ă©toffe d'un homme d’État. Plus Ă  son aise au milieu des gauchos que des MontĂ©vidĂ©ens, il passa l'essentiel de son temps Ă  parcourir la campagne et abandonna la direction des affaires Ă  ses partisans (notamment le clan "Los cinco hermanos"). Une telle conduite dĂ©boucha sur le dĂ©veloppement de la corruption, une mauvaise gestion et l'endettement croissant du nouvel État. Il affronta Ă©galement plusieurs insurrections organisĂ©es par son rival – depuis la guerre d'indĂ©pendance - Juan Antonio Lavalleja. Mais ce dernier fut vaincu en 1832 et 1834.

L'impopularitĂ© de Rivera Ă©tait telle au terme de son mandat que la victoire de Lavalleja semblait inĂ©vitable Ă  l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 1835. Pour Ă©viter ce scĂ©nario, Rivera dĂ©cida d'appuyer la candidature de Manuel Oribe, son ministre de la Guerre. Enfin, il reçut la charge de Commandant GĂ©nĂ©ral de la Campagne ; ce qui lui permettait d'Ă©chapper, en grande partie, Ă  l'autoritĂ© du futur prĂ©sident dans l'intĂ©rieur du pays.

Le , Oribe devint le second prĂ©sident constitutionnel du pays. Mais les relations avec son prĂ©dĂ©cesseur se dĂ©gradĂšrent rapidement, en raison de l'amnistie accordĂ©e aux partisans de Lavalleja et de la nomination d'une commission chargĂ©e de vĂ©rifier les comptes de la prĂ©cĂ©dente administration. Oribe s'inquiĂ©tait Ă©galement des contacts de Rivera avec les rĂ©volutionnaires brĂ©siliens farrapos (ce qui signifiait des ennuis diplomatiques avec Rio de Janeiro) et de son soutien aux unitaires argentins rĂ©fugiĂ©s Ă  Montevideo (d'oĂč le risque de tensions avec le gouvernement de Juan Manuel de Rosas). Lorsque la rĂ©volution Farrapos Ă©clata dans la rĂ©gion brĂ©silienne du Rio Grande do Sul, le prĂ©sident prit la tĂȘte de l'armĂ©e et se dirigea vers la frontiĂšre pour assurer la neutralitĂ© du pays : Rivera en prit ombrage. Oribe dĂ©cida Ă©galement de fermer El Moderador, un journal publiĂ© par des unitaires portĂšgnes et trĂšs virulent Ă  l'Ă©gard de Rosas. Rivera protesta et, en , le prĂ©sident supprima le poste de Commandant GĂ©nĂ©ral de la Campagne.

Finalement, la rupture dĂ©finitive intervint avec la publication des conclusions de la commission d'enquĂȘte (qui mettait en Ă©vidence le gaspillage et la corruption de l'administration prĂ©cĂ©dente) et le rĂ©tablissement de la charge de Commandant GĂ©nĂ©ral de la Campagne au profit d'Ignacio Oribe, le frĂšre du prĂ©sident. Face Ă  de telles mesures, jugĂ©es inacceptables, Rivera se souleva en .

Une guerre civile débutait, mais il ne s'agissait pas cette fois-ci d'un simple combat entre caudillos. En effet, le conflit s'internationalisa.

Les interventions Ă©trangĂšres

L'instabilité politique de l'Uruguay favorisa les interventions étrangÚres, notamment de la part des deux grandes puissances de la région - la Confédération argentine et l'empire du Brésil.

L'Argentine connaissait, depuis son indĂ©pendance, d'incessantes guerres civiles qui opposaient les fĂ©dĂ©ralistes (conservateurs partisans de l'autonomie des provinces) aux unitaires (libĂ©raux favorables Ă  un gouvernement centralisĂ©). Ces divisions eurent de profondes rĂ©percussions sur le conflit uruguayen : les fĂ©dĂ©ralistes soutinrent Lavalleja et Oribe alors que les unitaires appuyĂšrent Rivera. Par ailleurs, la guerre de Cisplatine (1825-1828) entraĂźna une grande instabilitĂ© politique qui permit au fĂ©dĂ©raliste Juan Manuel de Rosas de devenir gouverneur de Buenos-Aires et le maĂźtre du pays. Il s'immisça alors dans les affaires uruguayennes pour faire taire les opposants unitaires rĂ©fugiĂ©s Ă  Montevideo, s'assurer du soutien de Oribe et mettre en Ɠuvre son projet de restauration de la vice-royautĂ© du Rio de la Plata.

Quant Ă  l'empire du BrĂ©sil, il ne pouvait nĂ©gliger le climat de troubles croissants sur ses frontiĂšres mĂ©ridionales oĂč, par ailleurs, il affrontait depuis 1835 la rĂ©volution des farrapos (un mouvement sĂ©paratiste rĂ©publicain, liĂ© aux Orientaux). D'autre part, ses prĂ©tentions historiques le poussaient Ă  s'Ă©tendre le plus prĂšs possible du Rio de la Plata, considĂ©rĂ© comme une frontiĂšre naturelle (la Bande orientale avait d'ailleurs fait partie de l'Empire portugais puis brĂ©silien, entre 1816 et 1828, sous le nom de Province cisplatine et Rio de Janeiro continuait d'occuper les Missions orientales — un territoire Ă  l'origine espagnol, au nord de l'Uruguay). Enfin, il s'agissait de limiter au maximum l'influence de Rosas sur la Bande orientale et de l'empĂȘcher de reconstituer la vice-royautĂ© du Rio de la Plata Ă  son profit : le BrĂ©sil s'opposa donc Ă  Oribe, l'alliĂ© du gouverneur de Buenos-Aires .

Le Royaume-Uni et la France intervinrent dans le conflit pour des raisons politiques et commerciales.

Londres voulait conserver la position privilégiée qu'elle avait acquise dans la région depuis l'époque des révolutions hispano-américaines. En effet, elle bénéficiait d'un traité économique avantageux avec l'Argentine depuis 1825 et constituait une puissance diplomatique incontournable (elle avait imposé à l'Argentine et au Brésil l'indépendance de la Bande orientale en 1828).

Quant Ă  la France, elle ambitionnait d'ĂȘtre traitĂ©e sur un pied d'Ă©galitĂ© avec le Royaume-Uni. Mais il fallut attendre la Monarchie de Juillet pour que Paris reconnĂ»t officiellement les rĂ©publiques sud-amĂ©ricaines ; la Restauration s'y Ă©tait toujours refusĂ©e par solidaritĂ© avec les Bourbons d'Espagne. Pour parvenir Ă  ses fins, la France n'hĂ©sita pas Ă  organiser le blocus du Rio de la Plata du au . L'entreprise fut justifiĂ©e par le refus du gouvernement de Rosas d'exempter les ressortissants français du service militaire, de leur accorder des rĂ©parations pour divers affronts et d’octroyer Ă  la France — comme au Royaume-Uni — la clause de la nation la plus favorisĂ©e. La France demanda alors Ă  Oribe l'autorisation d'utiliser Montevideo comme base navale ; son refus poussa Paris Ă  soutenir Rivera.

Par ailleurs, le Royaume-Uni et la France réclamaient la libre navigation sur les fleuves Paranå et Uruguay. Mais Rosas les considérait comme des fleuves intérieurs de la Confédération argentine et, à ce titre, refusait leur accÚs aux navires étrangers. Pour y pénétrer, ces derniers devaient obtenir une autorisation et transiter par les douanes de Buenos Aires, le seul port habilité à commercer avec l'extérieur. Ce désaccord déboucha sur un second blocus du Rio de la Plata, par une escadre franco-britannique entre le et le .

Le début de la guerre civile uruguayenne (1836-1839)

Rivera reçut l'appui du gĂ©nĂ©ral unitaire Juan Lavalle, alors que Rosas envoya Ă  Oribe des renforts sous le commandement de Lavalleja (qui revenait ainsi dans sa patrie Ă  la tĂȘte de forces argentines). Le , les deux armĂ©es s'affrontĂšrent lors de la bataille de CarpinterĂ­a. Chaque camp utilisa, pour la premiĂšre fois, une couleur distinctive : le blanc pour les partisans de Oribe (d'oĂč le terme de blancos pour les dĂ©signer) et le rouge pour ceux de Rivera (les colorados), donnant ainsi naissance aux premiĂšres formations politiques uruguayennes - les conservateurs du Parti Blanco ou Parti National et les libĂ©raux du Parti Colorado. Finalement, Oribe remporta la bataille et son adversaire se rĂ©fugia au BrĂ©sil ; mais ce ne fut lĂ  que le dĂ©but d'une longue guerre.

En 1837, Rivera revint et envahit le pays avec l'appui des caudillos riograndenses Bento Manuel Ribeiro et Bento Gonçalves da Silva. Cette fois le sort lui fut plus favorable : il dĂ©fit Oribe Ă  YucutujĂĄ, subit certes un revers lors de la bataille de YĂ­, mais remporta la victoire dĂ©cisive de Palmar, le . Enfin, le soutien de la France lui permit de triompher dĂ©finitivement de son adversaire. En , l'escadre française dans le Rio de la Plata – commandĂ©e par le contre-amiral Leblanc - neutralisa une flottille argentine avant de s'emparer de l'Ăźle MartĂ­n GarcĂ­a, d'oĂč elle menaça directement Montevideo.

Les Français maĂźtres des mers, sans flotte et Ă  la tĂȘte de troupes affaiblies aprĂšs la dĂ©faite de Palmar, Oribe se rĂ©signa Ă  cĂ©der le pouvoir. Le , il se rĂ©fugia Ă  Buenos Aires oĂč Rosas le reçut en qualitĂ© de prĂ©sident constitutionnel et lui offrit, peu aprĂšs, le commandement des armĂ©es de la ConfĂ©dĂ©ration argentine. Rivera, lui, entra Ă  Montevideo dĂ©but novembre et s'empara du pouvoir politique avec le titre de dictateur, en remplacement de Gabriel Antonio Pereira, le prĂ©sident par intĂ©rim. Le , il devenait le troisiĂšme prĂ©sident constitutionnel de l'Uruguay et dĂ©clarait la guerre Ă  Rosas dĂšs le : la grande guerre dĂ©butait.

Le déroulement de la grande guerre


L'offensive contre Rosas (1839-1843)

Entre 1839 et 1843, le conflit se déroula principalement sur le territoire de l'actuelle Argentine.

Rivera s'allia avec Genaro BerĂłn de Astrada - le gouverneur de Corrientes - qui Ă©tait alors en conflit avec Rosas (ce dernier s'opposait Ă  la libre circulation sur le fleuve ParanĂĄ, entravant par la mĂȘme le dĂ©veloppement du commerce correntino). Les unitaires argentins rĂ©fugiĂ©s Ă  Montevideo se joignirent Ă©galement Ă  la coalition « anti-rosiste Â» avec, Ă  leur tĂȘte, le gĂ©nĂ©ral Lavalle.

En dĂ©pit d'une armĂ©e mal prĂ©parĂ©e et sans l'aide promise par son alliĂ© oriental, BerĂłn de Astrada dĂ©cida de passer Ă  l'action. Mais il fut vaincu, le , Ă  Pago Largo par le gouverneur d’Entre Rios - le fĂ©dĂ©raliste Pascual EchagĂŒe – qui pĂ©nĂ©tra alors en Uruguay accompagnĂ© du blanco Lavalleja. Conscient de sa faiblesse, Rivera se replia et attendit des renforts. AprĂšs deux victoires mineures de ses lieutenants sur des colonnes ennemies isolĂ©es, il affronta et dĂ©fit EchagĂŒe lors de la bataille de Cagancha, le .

Entre-temps, Lavalle dĂ©barqua dans la province de Entre Rios (). À la tĂȘte d'une troupe d'Ă  peine 400 hommes, il vainquit les fĂ©dĂ©ralistes Ă  YeruĂĄ mais la population refusa de le soutenir. Il se dirigea alors vers Corrientes, oĂč le gouverneur unitaire Pedro FerrĂ© lui confia le commandement des milices de la province. En , Lavalle organisa une nouvelle expĂ©dition en Entre Rios. Vaincu Ă  Sauce Grande le , il feignit de se retirer vers Corrientes puis dĂ©barqua Ă  la surprise gĂ©nĂ©rale dans la province de Buenos-Aires et marcha sur la capitale. Face Ă  l'hostilitĂ© de la population, il se replia sur Santa Fe puis CĂłrdoba, tout en essayant de prendre contact avec le gĂ©nĂ©ral Gregorio ArĂĄoz de Lamadrid qui Ă©tait Ă  la tĂȘte d'une alliance hostile Ă  Rosas (la « Coalition du Nord Â»).

Le , le traitĂ© Arana-Mackau constitua un coup trĂšs dur pour les « anti-rosistes Â» ; l'accord franco-argentin mettait fin au blocus de Buenos-Aires et Ă  l'appui de la France aux colorados. Un nouveau dĂ©sastre survint, le , lorsque Oribe Ă©crasa Lavalle lors de la bataille de Quebracho Herrado. Les victoires fĂ©dĂ©ralistes se succĂ©dĂšrent alors et, le , Oribe infligea un ultime revers Ă  son adversaire au cours du combat de FamaillĂĄ. À la tĂȘte d'une troupe rĂ©duite et talonnĂ© par ses ennemis, Lavalle se replia sur Salta puis San Salvador de Jujuy avant d'y ĂȘtre abattu par les fĂ©dĂ©ralistes lors d'une escarmouche. Ses partisans rĂ©cupĂ©rĂšrent sa dĂ©pouille et se dirigĂšrent vers la Bolivie, oĂč ses restes furent finalement dĂ©posĂ©s dans la cathĂ©drale de PotosĂ­.

Pendant ce temps, une escadre de la ConfĂ©dĂ©ration argentine interdisait l'accĂšs de l'estuaire du Rio de la Plata Ă  la flotte orientale, et le gĂ©nĂ©ral unitaire JosĂ© MarĂ­a Paz triomphait de EchagĂŒe Ă  CaaguazĂș, le . EchagĂŒe s'enfuit et se rĂ©fugia en Entre Rios, oĂč Justo JosĂ© de Urquiza le remplaça peu de temps aprĂšs Ă  la tĂȘte de la province. Paz s'autoproclama gouverneur de Entre Rios et organisa une rĂ©union avec Rivera, Pedro FerrĂ© (gouverneur de Corrientes) et Juan Pablo LĂłpez (gouverneur de Santa Fe). En , ils dĂ©cidĂšrent de poursuivre la guerre contre la ConfĂ©dĂ©ration argentine et de crĂ©er un nouvel État, composĂ© de leurs territoires et Rio Grande do Sul (qui formait Ă  l'Ă©poque la RĂ©publique riograndense et dont le principal chef, Bento Gonçalves da Silva, avait donnĂ© son accord).

Mais le projet de « Grand Uruguay Â» ne vit jamais le jour. Personne ne reconnaissait vraiment Paz comme le gouverneur de Entre Rios et, en , les dirigeants de l'alliance confiĂšrent le commandement suprĂȘme Ă  Rivera : exaspĂ©rĂ©, Paz se retira. Au mĂȘme moment, l'amiral argentin Guillermo Brown vainquit la flotte orientale (commandĂ©e par Giuseppe Garibaldi) Ă  MartĂ­n GarcĂ­a, pendant que les adversaires de Rosas Ă©taient activement pourchassĂ©s Ă  Buenos Aires par la Mazorca (organisation para-policiĂšre).

Lavalle éliminé, Oribe fit route vers la province de Entre Rios tandis que Rivera franchissait le fleuve Uruguay pour l'affronter. Le , à Arroyo Grande, Oribe triompha de son rival qui se replia à marche forcée sur Montevideo. Le , l'avant garde des troupes fédéralistes campait aux portes de la ville.

Le siĂšge de Montevideo (1843-1851)

Le Grand SiĂšge de Montevideo marque la seconde Ă©tape de la grande guerre. L'Ă©pisode, appelĂ© « le Grand SiĂšge Â» (El Sitio Grande), dura prĂšs de 9 ans ; du au .

À l'approche des troupes de Oribe, les autoritĂ©s montĂ©vidĂ©ennes prĂ©parĂšrent activement la dĂ©fense de la ville et Ă©difiĂšrent des fortifications. Quant aux assiĂ©geants, pourtant en position de force, ils ne menĂšrent aucun assaut sĂ©rieux et se contentĂšrent d'isoler la ville. La marine argentine, sous les ordres de Guillermo Brown, chercha Ă  bloquer le port pour faire plier les colorados, mais l'Angleterre imposa la levĂ©e du blocus. Par la suite, l'armĂ©e de Oribe (Ă  peu prĂšs 7 000 hommes, soit 4 000 blancos et 3 000 soldats de la ConfĂ©dĂ©ration argentine) affronta sans rĂ©sultat les assiĂ©gĂ©s (environ 6 000 combattants, Ă  savoir une majoritĂ© d'EuropĂ©ens organisĂ©s en lĂ©gions – française, basque et italienne –, des unitaires argentins, des affranchis noirs et des MontĂ©vidĂ©ens). En rĂ©alitĂ©, il n'y eut pratiquement pas d'actions militaires d'envergure durant toutes ces annĂ©es; ni pour prendre d'assaut la ville, ni pour briser le siĂšge.

Le pays compta alors deux gouvernements rivaux.

Les assiĂ©gĂ©s crĂ©Ăšrent le gouvernement de la DĂ©fense avec, Ă  leur tĂȘte, le prĂ©sident Rivera. À la fin de son mandat - le -, des Ă©lections ne purent ĂȘtre organisĂ©es et JoaquĂ­n SuĂĄrez assura la prĂ©sidence par intĂ©rim jusqu'Ă  la fin de la guerre. Les circonstances empĂȘchĂšrent Ă©galement le renouvellement des Chambres en 1846 : le Pouvoir lĂ©gislatif fut alors exercĂ© par une AssemblĂ©e des notables et un Conseil d’État, qui exercĂšrent rĂ©ellement leur rĂŽle de contrĂŽle de l'exĂ©cutif. Les hommes de la DĂ©fense, ouverts aux idĂ©es venues d'Europe, se voulaient les dĂ©fenseurs des libertĂ©s et de la civilisation face Ă  la tyrannie et la barbarie des caudillos. Ils prĂ©tendaient Ă©galement garantir l'indĂ©pendance nationale remise en cause, selon eux, par l'alliance de Oribe avec Rosas.

Oribe organisa dans les faubourgs de Montevideo un gouvernement concurrent – le Gouvernement du Cerrito, du nom d'une colline sur les hauteurs de la ville – comme si rien ne s'Ă©tait passĂ© depuis son dĂ©part forcĂ© de la prĂ©sidence en 1838. Se considĂ©rant comme le prĂ©sident lĂ©gal du pays, il rĂ©tablit la Chambre des dĂ©putĂ©s et le SĂ©nat dissous par Rivera, dĂ©signa des ministres et dĂ©ploya une intense activitĂ© lĂ©gislative. Ce gouvernement contrĂŽla la totalitĂ© du pays - Ă  l'exception de la capitale - jusqu'en 1851. Il s'organisait autour de trois zones : la colline du Cerrito (le centre militaire), la Villa RestauraciĂłn (le centre politique) qui correspond Ă  l'actuel quartier de la UniĂłn, et le port du Buceo (le centre Ă©conomique) par oĂč transitaient les marchandises. Les hommes du Cerrito se considĂ©raient comme les dĂ©fenseurs de la souverainetĂ© nationale. Ils rejetĂšrent toute intervention europĂ©enne et s'efforcĂšrent de limiter l'ingĂ©rence argentine, malgrĂ© la dĂ©pendance militaire Ă  l'Ă©gard du gouvernement de Rosas.


Le siÚge de Montevideo ne fut pas le seul théùtre d'opérations militaires. En fait, l'essentiel des combats se déroula loin de la capitale. AprÚs la défaite de Arroyo Grande, Rivera mena une guerre de harcÚlement. Mais Oribe parvint avec l'appui de Urquiza à le vaincre lors de la bataille de India Muerta (), obligeant son adversaire à se réfugier au Brésil. Les jours de Montevideo semblaient alors comptés.

Pourtant, le BrĂ©sil – inquiet de l'influence grandissante de l'Argentine en Uruguay – se rapprocha de la France et de la Grande-Bretagne. Les puissances europĂ©ennes dĂ©cidĂšrent cependant d'intervenir seules et envoyĂšrent, en , une puissante escadre dans l'estuaire du Rio de la Plata et les fleuves de la ConfĂ©dĂ©ration. L'aide europĂ©enne permit au gouvernement de la DĂ©fense de rĂ©sister et de mener des expĂ©ditions militaires, notamment celle de la LĂ©gion italienne (prise de Colonia del Sacramento, de l'Ăźle MartĂ­n GarcĂ­a, de GualeguaychĂș, de Salto, bataille de San Antonio).

La position brĂ©silienne permit Ă  Rivera de rentrer Ă  Montevideo en , d'y organiser un soulĂšvement et de reprendre le contrĂŽle du gouvernement. Il rejoignit ensuite l'armĂ©e qui opĂ©rait Ă  Colonia del Sacramento, puis rĂ©ussit Ă  occuper Mercedes et PaysandĂș en . Il essaya alors de s'entendre directement avec Oribe, mais dĂ©savouĂ© par son gouvernement et dĂ©fait par les blancos lors du combat du Cerro de las Ánimas (), il se rĂ©fugia une nouvelle fois au BrĂ©sil.

Enfin, la fermetĂ© de Rosas et les changements politiques en Europe (victoire des libĂ©raux en Angleterre, rĂ©volution de 1848 et rĂ©tablissement de la RĂ©publique en France) permirent de mettre fin au blocus anglo-français. La signature des traitĂ©s Southern-Arana avec l'Angleterre () et Le Predour-Arana avec la France () constituĂšrent de vĂ©ritables succĂšs pour Rosas. Le gouvernement de la DĂ©fense dĂ©pĂȘcha aussitĂŽt le gĂ©nĂ©ral Pacheco y Obes Ă  Paris pour obtenir la poursuite de l'aide française, mais sans succĂšs (c'est alors que Alexandre Dumas dĂ©fendit la cause orientale dans son ouvrage Montevideo ou la Nouvelle Troie).

La ville paraissait condamnĂ©e Ă  une chute certaine. Les colorados cherchĂšrent alors de nouvelles alliances, mais cette fois en AmĂ©rique : ils se tournĂšrent vers le BrĂ©sil et la province argentine de Entre Rios.

La fin de la grande guerre (1851-1852)

En 1851, la situation Ă©volua radicalement. D'abord, l'empire du BrĂ©sil - dĂ©sireux de limiter l'influence croissante de Rosas en Uruguay - dĂ©cida de soutenir ouvertement le gouvernement de la DĂ©fense en Ă©change de traitĂ©s avantageux. Ensuite, le gouverneur de Entre Rios - Urquiza - dĂ©nonça son alliance avec Rosas. Cette rupture s'expliquait par la mĂ©fiance grandissante entre les deux hommes, mais aussi pour des raisons Ă©conomiques : la province de Entre Rios, favorable Ă  la libre navigation sur les fleuves, souffrait de l'obligation qui lui Ă©tait faite de transiter par la douane de Buenos Aires pour commercer avec l'extĂ©rieur.

Le , un traitĂ© d'alliance fut signĂ© Ă  Montevideo entre le gouvernement de la DĂ©fense, l'empire du BrĂ©sil et la province argentine de Entre Rios afin d'assurer l'indĂ©pendance de l'Uruguay et d'en expulser les forces de Oribe. En juillet, Urquiza et le gĂ©nĂ©ral Eugenio GarzĂłn (un ancien blanco) pĂ©nĂ©trĂšrent en territoire oriental. DĂ©but septembre, le BrĂ©sil prenait part Ă  son tour aux opĂ©rations et dĂ©pĂȘchait un contingent de 13 000 hommes sous le commandement du baron de CaxĂ­as, ainsi qu'une flotte pour bloquer les fleuves Uruguay et ParanĂĄ. Oribe, conscient de l'inutilitĂ© de toute rĂ©sistance, dĂ©cida de nĂ©gocier un armistice.

Les belligĂ©rants signĂšrent le un traitĂ© - « la Paix d'Octobre Â» - qui mettait fin Ă  la grande guerre. Cet accord prĂ©voyait la reconnaissance de l'autoritĂ© du gouvernement de la DĂ©fense sur tout le territoire de l'Uruguay, l'organisation d'Ă©lections dans les plus brefs dĂ©lais, la libertĂ© pour Oribe, l'Ă©galitĂ© de tous les Orientaux face Ă  la loi (quel que fĂ»t leur camp durant la guerre) et la validitĂ© juridique des dĂ©cisions prises par le gouvernement du Cerrito (et donc la reconnaissance de ses dettes par les nouvelles autoritĂ©s). Enfin, il Ă©tait convenu que les deux partis avaient agi en faveur de l'indĂ©pendance du pays en rĂ©sistant aux puissances Ă©trangĂšres et, qu'en dĂ©finitive, la guerre se terminait « sans vaincus, ni vainqueurs Â».

Le , les gouvernements de l'Uruguay, du BrĂ©sil et des provinces argentines de Entre Rios et Corrientes scellĂšrent une nouvelle alliance pour, cette fois, attaquer directement Rosas. Plusieurs colonnes se dirigĂšrent alors vers la province de Entre Rios. De lĂ , l'armĂ©e alliĂ©e – qui prit le nom de « Grande ArmĂ©e» (el EjĂ©rcito Grande) – franchit le ParanĂĄ, s'empara sans difficultĂ© de la province de Santa Fe (recevant au passage le renfort de troupes locales) et marcha sur Buenos Aires.

La bataille dĂ©cisive eut lieu Ă  Caseros, le . El EjĂ©rcito Grande, commandĂ© par Urquiza et composĂ© d'environ 20 000 Argentins, 4 000 BrĂ©siliens et 2 000 Orientaux, Ă©crasa Rosas et le força Ă  abandonner le pouvoir.

Les conséquences du conflit

Les traités du 12 octobre 1851

Le BrĂ©sil nĂ©gocia au prix fort son intervention en faveur du gouvernement de la DĂ©fense. Il obtint, le , la signature de cinq traitĂ©s trĂšs avantageux :

  • TraitĂ© de limites. Il impliquait le renoncement de l'Uruguay Ă  ses droits historiques sur les Missions orientales (territoire attribuĂ© Ă  l'Espagne en 1777, par le traitĂ© de San Ildefonso). La nouvelle frontiĂšre suivait les fleuves Cuareim et YaguarĂłn, puis la lagune Mirim et la riviĂšre Chuy (qui se jette dans l'OcĂ©an Atlantique). Par ailleurs, le BrĂ©sil se voyait accorder un droit exclusif de navigation sur le fleuve YaguarĂłn et la lagune Mirim, ainsi que l'autorisation de bĂątir des forteresses Ă  l'embouchure des riviĂšres CebollatĂ­ et TacuarĂ­, en plein territoire oriental.
  • TraitĂ© d'« alliance perpĂ©tuelle ». Les deux États signĂšrent une « alliance perpĂ©tuelle Â» et se promettaient une aide rĂ©ciproque : le BrĂ©sil s'engageait, en cas de menace, Ă  secourir le gouvernement lĂ©gal de l'Uruguay qui, de son cĂŽtĂ©, devait soutenir l'empire en cas d'insurrections dans ses provinces frontaliĂšres (en d'autres termes, le Rio Grande do Sul). Dans les faits, ce traitĂ© permettait au BrĂ©sil d'intervenir dans les affaires internes de son voisin.
  • TraitĂ© de secours. L'empire accordait un prĂȘt au gouvernement uruguayen, qui s'engageait Ă  le rembourser avec intĂ©rĂȘts et donnait en garantie les revenus de la douane (les seules vĂ©ritables recettes de l’État). L'Uruguay reconnaissait Ă©galement la dette contractĂ©e durant le siĂšge de Montevideo par le gouvernement de la DĂ©fense auprĂšs du baron de MauĂĄ - un banquier brĂ©silien. Finalement, le gouvernement qui avait hypothĂ©quĂ© les rentes de la nation dĂ©pendait du BrĂ©sil et d'un particulier protĂ©gĂ© par son puissant voisin.
  • TraitĂ© d’extradition. Chaque gouvernement devait livrer les criminels et les dĂ©serteurs rĂ©fugiĂ©s sur son territoire. L'Uruguay, qui avait pourtant aboli l'esclavage, s'engageait Ă©galement Ă  remettre aux autoritĂ©s brĂ©siliennes les esclaves en fuite.
  • TraitĂ© de commerce et de navigation. Le BrĂ©sil disposait de la libre navigation sur le fleuve Uruguay et ses affluents, alors que les deux pays s'accordaient rĂ©ciproquement la clause de la nation la plus favorisĂ©e. Par ailleurs, le bĂ©tail sur pied exportĂ© vers le BrĂ©sil et le tasajo (viande sĂ©chĂ©e et salĂ©e) acheminĂ© par voie terrestre vers le Rio Grande do Sul Ă©taient exonĂ©rĂ©s de taxes douaniĂšres. Ces dispositions lĂ©saient les industriels uruguayens de la salaison (les saladeros) : ils affrontaient dĂ©sormais une concurrence brĂ©silienne qui pouvait aisĂ©ment s'approvisionner en bĂ©tail.

L'Uruguay, un pays exsangue

À la fin de la grande guerre, le pays Ă©tait ravagĂ©.

La population uruguayenne diminua fortement, passant de 140 000 habitants (dont prĂšs de 40 000 pour Montevideo) en 1840 Ă  132 000 habitants (34 000 pour la capitale) Ă  la fin du conflit. De nombreux immigrĂ©s retournĂšrent vers leur pays d'origine ou tentĂšrent leur chance ailleurs en AmĂ©rique. La population, analphabĂšte Ă  80 %, souffrit d'une paupĂ©risation sans prĂ©cĂ©dent, notamment dans les campagnes.

La guerre provoqua ou facilita l'abandon des propriĂ©tĂ©s, la fuite des ouvriers ou leur enrĂŽlement dans les diffĂ©rentes armĂ©es. La paix revenue, le manque de main d’Ɠuvre se fit sentir, notamment dans les exploitations agricoles et les saladeros (usines de salaison de la viande). Enfin, la guerre renforça le caractĂšre nomade des populations rurales. HabituĂ©es Ă  la vie militaire, elles se fixĂšrent difficilement, prĂ©fĂ©rant errer d'un camp Ă  un autre, conduire le bĂ©tail jusqu'au Rio Grande do Sul ou dĂ©pecer les bĂȘtes volĂ©es pour les revendre aux pulperos (les Ă©piciers de l'Ă©poque).

Les ravages de la guerre entraßnÚrent également une chute de la valeur des terres d'environ 30 %, et la possibilité pour les investisseurs étrangers - européens et surtout brésiliens - d'acquérir les propriétés des Orientaux ruinés. DÚs lors, le poids des étrangers augmenta considérablement : en 1857, les Brésiliens possédaient 30 % du territoire uruguayen.

Dans le domaine Ă©conomique, la situation Ă©tait dramatique. La guerre mit en pĂ©ril l'Ă©levage bovin : le cheptel, estimĂ© Ă  6 / 7 millions de tĂȘtes en 1843, tomba Ă  2 millions en 1852 - dont un tiers Ă©tait retournĂ© Ă  l'Ă©tat sauvage. L'Ă©levage ovin, qui avait commencĂ© son dĂ©veloppement Ă  la veille de la guerre, enregistra un coup d'arrĂȘt ; en 1852, il n'y avait pas plus d'un million de tĂȘtes. Quant Ă  l'industrie de la salaison, elle Ă©tait ruinĂ©e. Des 24 Ă©tablissements qui fonctionnaient en 1842, il n'en restait plus que 3 ou 4 en 1854. Le manque de matiĂšre premiĂšre Ă©tait la principale cause de cette situation, et s'expliquait par les prĂ©lĂšvements des diffĂ©rents armĂ©es et les razzias brĂ©siliennes (les « californias Â» qui s'intensifiĂšrent Ă  partir de 1845, quand la guerre civile prit fin dans le Rio Grande do Sul). Enfin, le traitĂ© de commerce avec l'empire du BrĂ©sil accentua la crise ; il facilitait l'entrĂ©e du bĂ©tail oriental - pourtant en forte diminution - dans le Rio Grande do Sul, privant les industriels uruguayens d'une prĂ©cieuse ressource et favorisant la concurrence riograndense.

De son cĂŽtĂ©, l’État s'Ă©tait fortement endettĂ© auprĂšs de certains pays (le BrĂ©sil, la France, le Royaume-Uni) et continuait Ă  dĂ©pendre de l'aide brĂ©silienne pour faire face aux dĂ©penses courantes. Toutes ses ressources Ă©taient hypothĂ©quĂ©es ; des rentes de la douane jusqu'aux propriĂ©tĂ©s publiques (y compris la Plaza Independencia, la Plaza de Cagancha, l'HĂŽtel de ville - le Cabildo - Ă  Montevideo).


Pour autant, tout n'Ă©tait pas nĂ©gatif. Le conflit favorisa le dĂ©veloppement d'un sentiment national qui se manifesta Ă  travers la mise en place d'une « politique de fusion Â» (c'est-Ă -dire le rassemblement des Uruguayens et la volontĂ© de mettre fin aux partis politiques responsables de la guerre civile). Mais les partisans de la fusion s'imaginĂšrent que les vieilles divisions pouvaient s'effacer par dĂ©cret, alors que les blancos et les colorados sortaient du conflit bien plus dĂ©terminĂ©s qu'ils n'y Ă©taient entrĂ©s.

Notes

  1. Oriental signifie ici Uruguayen, ou ce qui est uruguayen. Cette expression vient du fait que l'actuelle Uruguay formait la partie la plus orientale de la vice-royautĂ© du RĂ­o de la Plata et portait alors le nom de Bande orientale. Cette derniĂšre fut, ensuite, briĂšvement intĂ©grĂ©e aux Provinces-Unies du Rio de la Plata et rebaptisĂ©e Province orientale. Avec l'indĂ©pendance, le nouvel État devint la RĂ©publique orientale de l'Uruguay (c'est-Ă -dire la RĂ©publique Ă  l'est du fleuve Uruguay).

Source

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Estela Nari, Les rapports franco-uruguayens pendant la "Guerra Grande" : le conflit vu par les Français (pourquoi l'Uruguay n'est-il pas devenu français), IHEAL, UniversitĂ© Paris 3, 1998, 644 p. (thĂšse de doctorat)

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