Gouvernement du Cerrito
On appelle gouvernement du Cerrito l'un des deux gouvernements rivaux que l'Uruguay a connus durant la Grande Guerre. Créé par les blancos et dirigé par le caudillo Manuel Oribe, il contrôla entre 1843 et 1851 la totalité du pays sauf Montevideo (où se réfugièrent les colorados). Son nom tient au fait qu'il s'installa sur le Cerrito de la Victoria, une colline située à l'extérieur des murailles de la capitale.
Contexte
La guerre civile dĂ©buta en 1836 lorsque Fructuoso Rivera - le premier prĂ©sident de la RĂ©publique orientale de l'Uruguay, de 1830 Ă 1834 - se souleva contre son successeur, Manuel Oribe. MalgrĂ© la victoire de CarpinterĂa, ce dernier fut contraint de renoncer au pouvoir en et de se rĂ©fugier Ă Buenos Aires, oĂą le dictateur Juan Manuel de Rosas le reçut en qualitĂ© de prĂ©sident constitutionnel et lui confia le commandement des armĂ©es de la ConfĂ©dĂ©ration Argentine. Le , Rivera Ă©tait Ă©lu pour la seconde fois prĂ©sident de la RĂ©publique et ouvrait les hostilitĂ©s avec Rosas : la Grande Guerre dĂ©butait.
Après avoir vaincu le général unitaire Juan Lavalle dans le nord de l'Argentine, Manuel Oribe se dirigea vers l'Uruguay à la tête de troupes uruguayo-argentines. Le président Rivera vint alors à sa rencontre, persuadé de la victoire. En effet, Rosas laissa entendre que Oribe n'était pas en mesure de livrer bataille et déclara « Si le pardejón[1] savait en profiter » au diplomate anglais Mandeville - qui en informa immédiatement le président oriental.
Les deux armĂ©es, composĂ©es chacune d'environ 8000 hommes, s'affrontèrent le Ă Arroyo Grande. Les troupes de Oribe comprenaient des Orientaux dirigĂ©s par son frère Ignacio Oribe, des entrerrianos sous les ordres de Justo JosĂ© de Urquiza et des soldats de la ConfĂ©dĂ©ration Argentine. Celles des colorados comptaient des Orientaux, avec Ă leur tĂŞte Rivera, mais aussi des Argentins originaires des provinces de Corrientes, de Santa Fe et d'Entre RĂos, dirigĂ©s par les gouverneurs Pedro FerrĂ© et Juan Pablo LĂłpez. La victoire des blancos fut totale et Rivera se rĂ©fugia au BrĂ©sil. Oribe pĂ©nĂ©tra alors en Uruguay ; le , l'avant garde de ses troupes campait aux portes de Montevideo et assiĂ©geait la ville.
Durant ce que l'historiographie uruguayenne nomme « le Grand Siège » (El Sitio Grande) et qui dura presque neuf années[2], la situation n'évolua guère. Alors que la victoire semblait à portée de mains, les blancos renoncèrent à prendre d'assaut la capitale et préférèrent attendre qu'elle tombât d'elle-même. La flotte de la Confédération Argentine, sous le commandement de Guillermo Brown, essaya de bloquer le port mais sans succès (l'escadre britannique du commodore Purvis força le blocus). En fait, le siège ne fut jamais total. Les flottes britannique et française assurèrent en permanence le libre accès du port, permettant aux assiégés de se ravitailler et de résister. Finalement, les belligérants campèrent sur leur position et les combats, souvent de faible intensité, furent épisodiques (espacés, parfois, de plusieurs mois).
Organisation du gouvernement du Cerrito
Oribe installa son gouvernement sur la colline du Cerrito de la Victoria dans les faubourgs de Montevideo, alors que les colorados organisaient leur propre gouvernement - dit « de la Défense ». Il y fit construire un mirador de vingt-cinq mètres de hauteur, auquel on accédait par un escalier en colimaçon et d'où on pouvait observer avec des longues-vues les mouvements à l'intérieur de la ville. Oribe y avait son bureau où il passait ses journées, avant de se retirer le soir dans sa quinta (maison de campagne) de Curva de Maroñas.
Ă€ quelques encablures du Cerrito de la Victoria, la zone du Cardal occupa rapidement un rĂ´le central. Modeste bourg rural Ă l'origine, le Cardal offrait une position stratĂ©gique avantageuse (sur les hauteurs, Ă l'entrĂ©e de Montevideo), un centre commercial majeur pour les assiĂ©geants (avec ses pulperĂas - Ă©piceries -, ses boutiques, ses saladeros – usines de salaison de viande -,ses moulins...) mais aussi la possibilitĂ© de loger les militaires et les familles fidèles au caudillo (pour l'essentiel d'origine patricienne, elles Ă©taient liĂ©es aux luttes pour l'indĂ©pendance et Ă Juan Antonio Lavalleja, d'oĂą la prĂ©sence de la plupart des Treinta y Tres Orientales).
Le dĂ©veloppement du Cardal - très rapide et anarchique - poussa Oribe Ă crĂ©er sur son emplacement, par dĂ©cret du , un nouveau centre urbain qui prit le nom de Villa RestauraciĂłn (en rĂ©fĂ©rence au titre de « restaurateur des lois » portĂ© par le caudillo). La « capitale » des blancos se transforma alors radicalement : de nouvelles rues furent tracĂ©es (donnant naissance Ă une nouvelle nomenclature) et des Ă©difices sortirent de terre (le Collège National – l'actuel hĂ´pital Pasteur -, l'Ă©glise San AgustĂn…). Ă€ la fin de la guerre, les colorados la rebaptisèrent Villa de la UniĂłn (de nos jours, le quartier montĂ©vidĂ©en du mĂŞme nom).
Enfin, le gouvernement du Cerrito se dota d'un port officiel - le Buceo - pour commercer avec l'extérieur. Les exportations (cuirs, charque - viande séchée -, laine…) et les importations (toiles, bois, farine…) générèrent d'importantes rentrées fiscales, au point de constituer la principale source de revenus des autorités. Toute cette activité nécessita la création d'une administration ad hoc et la construction de différents ouvrages (quai, le bâtiment appelé « la douane de Oribe », le tribunal de commerce...).
Mesures du gouvernement du Cerrito
La réinstallation des chambres des Députés et des Sénateurs (dissoutes par Rivera en 1838) constitua une priorité pour Oribe. Des élections convoquées en permirent de pourvoir aux postes vacants et, le , l'Assemblée Générale fut solennellement rétablie. Aussitôt, cette dernière confirma la légitimité de Oribe et autorisa l'intervention des troupes de la Confédération Argentine.
Le prĂ©sident blanco mit en place un gouvernement, composĂ© des ministres Carlos Villademoros aux Relations extĂ©rieures, Bernardo P. Berro Ă l'IntĂ©rieur et du gĂ©nĂ©ral Antonio DĂaz Ă l’Économie et la Guerre. Une rĂ©organisation du pouvoir judiciaire dĂ©boucha, entre autres, sur la crĂ©ation des tribunaux d'appel. Le gouvernement divisa Ă©galement le pays en deux grandes circonscriptions militaires - au nord et au sud du rĂo Negro - sous le commandement respectif des gĂ©nĂ©raux Servando GĂłmez et Ignacio Oribe, tandis que les dĂ©partements Ă©taient administrĂ©s par des commandants militaires.
La vie politique du Cerrito fut moins agitée que celle de la Défense, même si des désaccords opposèrent les militaires et les intellectuels. Les premiers insistaient sur l'effort de guerre alors que les seconds (Bernardo P. Berro, Juan F. Giró, Eduardo Acevedo) exigeaient le respect des libertés individuelles. Mais finalement, Oribe - chef charismatique et autoritaire - imposait ses vues. Enfin, durant le Grand Siège, le périodique El Defensor de la Independencia Americana (qui paraissait tous les trois jours) relayait l'idéologie des autorités.
La mise en place d'un système d'enseignement le plus moderne et complet possible constitua une autre prioritĂ© pour Oribe. Aussi, la Commission d'Instruction Publique (composĂ©e de Eduardo Acevedo, Bernardo P. Berro et de JosĂ© MarĂa Reyes) fonda une École normale pour la formation des maĂ®tres et une universitĂ© vit le jour Ă Villa de la RestauraciĂłn. En rĂ©ponse Ă une dĂ©cision du gouvernement de la DĂ©fense, un dĂ©cret de juin 1845 autorisa l'expropriation des biens des colorados. Finalement, l’œuvre lĂ©gislative du gouvernement du Cerrito fut plus importante que ce qu'en dit gĂ©nĂ©ralement l'historiographie officielle. Mais la loi la plus importante reste sans doute celle qui, le , abolit l'esclavage de manière totale et sans restriction aucune.
L'influence de Rosas
L'influence de Rosas sur Oribe a toujours été un sujet de polémique. Pourtant, bien qu'il fût l'obligé du dictateur argentin, le président oriental resta toujours soucieux de son indépendance et de sa liberté de décision. Enfin, même si certains historiens - comme les colorados durant la Grande Guerre - ont prétendu que les deux caudillos envisagèrent l'annexion de l'Uruguay à la Confédération Argentine, il n'existe aucune preuve permettant d'étayer cette affirmation.
La fin
L'avenir du gouvernement du Cerrito s'assombrit en 1851 lorsque le caudillo entrerriano Urquiza abandonna son ancien allié Rosas pour signer un traité d'alliance avec l'Empire du Brésil et les colorados. L'état de guerre permanent provoqua par ailleurs la démoralisation et de nombreuses désertions dans le camp blanco tandis que le ministre Bernardo P. Berro essayait, à titre personnel, d'aboutir à un compromis avec la nouvelle coalition.
Finalement, Oribe - en position de faiblesse - renonça à combattre et préféra négocier un armistice lorsque Urquiza et les Brésiliens envahirent le territoire oriental. Le , la Grande Guerre s'achevait avec la signature d'un traité de paix qui officialisait la victoire des colorados et la fin du gouvernement du Cerrito même si, officiellement, le conflit se terminait « sans vaincus, ni vainqueurs ».
Notes
- Surnom donné à Rivera par ses ennemis. Un pardejón, terme péjoratif en espagnol rioplatense, désigne un mûlatre.
- Du 16 février 1843 au 8 octobre 1851 ; soit 8 ans, 7 mois et 21 jours.
Source
- (es) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en espagnol intitulé « Gobierno del Cerrito » (voir la liste des auteurs).