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Eau de mélisse des Carmes Boyer

L'Eau de mĂ©lisse des Carmes Boyer est une prĂ©paration alcoolisĂ©e Ă  base de mĂ©lisse et d'eau distillĂ©e. Elle est Ă©galement nommĂ©e « eau de mĂ©lisse ». La recette comprend 23 ingrĂ©dients, 14 plantes et Ă©pices, et de l'alcool Ă  80°. Sa recette et son flaconnage sont pratiquement inchangĂ©s depuis 1611. Marque protĂ©gĂ©e, puis dĂ©posĂ©e, elle est vendue principalement en pharmacie.

Eau de mélisse des Carmes Boyer
Image illustrative de l’article Eau de mélisse des Carmes Boyer

Pays d’origine France
Société Boyer
Date de création 1611
Date de fin 1838
Type elixir
Principaux ingrédients 14 plantes et dont la mélisse et neuf épices.
Site web http://eaudemelisse.com/

L'entreprise, installĂ©e Ă  Carrières-sur-Seine (78420), commercialise environ 500 000 bouteilles par an pour un chiffre d'affaires d'environ 2 millions d'euros. Elle a reçu en 2015 le label d'État Entreprise du patrimoine vivant.

Propriétés thérapeutiques

Mélisse du Mont Carmel, Israël, en fleur.
Mention de l'eau de mélisse (aqua melissae) dans un ouvrage ancien .

Diverses propriétés sont traditionnellement attribuées à la mélisse (Melissa officinalis). Autrefois panacée, on lui prêtait un pouvoir de guérison sur toutes sortes d'affections, comme la mélancolie (Hildegarde de Bingen : « la mélisse est chaude. […] et l’homme qui la mange est gai, parce que sa chaleur se communique à la rate, ce qui réjouit le cœur ». ), l'épilepsie (antispasmodique), l'apoplexie (Paracelse : « la meilleure herbe pour le cœur », Ibn Sina ou Avicenne : la mélisse est un tonique cardiaque). Dioscoride et Pline l'Ancien recommandaient la plante sous forme d’extrait aqueux ou d’oenolé contre les piqûres d’insectes, les troubles menstruels, les douleurs abdominales et maladies rhumatismales. Au XVIIe siècle, l'écrivain anglais John Evelyn décrit la mélisse comme une plante bonne pour le cerveau . C'était aussi un digestif.

Les grands carmes de la Place Maubert et de Marseille l'auraient utilisée contre la peste, comme le prescrit Marsile Ficin au XVe siècle. En 1555 Niccolò Massa (it) l'aurait prescrite pour soigner les fièvres pestilentielles, en 1576 Guillaume Rondelet pour la léthargie. L'eau de mélisse était utilisée par les dames de la cour du Roi-Soleil sujettes à des malaises nerveux[1].

Au XIXe siècle, Amédée Boyer écrivait que l'Eau de Mélisse était « le seul cordial dont la vertu antispasmodique puisse être garantie par la médecine ; les palpitations reins et cœur, les faiblesses, toutes les affections gastriques et céphalalgiques, qui n'ont d'autre cause qu'un désordre nerveux, cèdent à l'emploi de quelques gouttes. Elle est du plus grand secours contre les affections cholériformes qui sévissent à cette époque en grand nombre : prise à l'intérieur en quantité suivante, elle guérit les attaques apoplectiques, que l'usage de l'eau des Carmes prévient et empêche... »

L'eau de mélisse était aussi réputée contre le scorbut, les vapeurs, les troubles hystériques, apoplexie, mélancolie (Simon Pauli (de)), coliques, léthargie, la paralysie et les vertiges (Rondelet), le panaris (mélangée à du vin), contre les débilités des voies digestives et les flatuosités…

Histoire

Ancien Régime : le couvent de la place Maubert et les carmes déchaux de la rue de Vaugirard

L'eau de mélisse fut peut-être utilisée par Charles Quint car on connaissait déjà une eau de mélisse, commercialisée par les carmes d'Avignon à Narbonne : selon une source, en 1379, naît « L'Eau des Carmes » : composée d'angélique, de mélisse et d'autres huiles herbeuses, elle serait l'œuvre des carmélites de l'abbaye de Saint-Juste[2].

Publicité et brochure pour l'Eau de Mélisse, à Bordeaux .
Publicité pour l'eau de Mélisse des Carmes avec les portraits de St Jean de la Croix et Ste Thérèse de Jésus.

Chaque couvent, chaque ordre religieux, avait à l'époque, son eau, ou son élixir, dont la recette était tenue secrète, tel celui de la Chartreuse, ou encore cette eau des Carmes.

Un parchemin rédigé en 1715 par frère Joachim de St Jacques, carme du Couvent de la Place Maubert, comprend la véritable recette de l'eau de mélisse : cette recette était tenue secrète, seulement transmissible à un frère carme ou à un religieux, sous promesse. Le parchemin proviendrait de l'Orient, Liban ou Terre Sainte. Cette recette fut exploitée par les Grands Carmes du Couvent de la place Maubert, qui vendaient l'eau de mélisse à la porterie, puis par les carmes de la rue de Vaugirard. Lorsque les carmes vinrent s'installer rue de Vaugirard en 1607, il y avait donc plus de trois siècles que se commercialisait l'eau des Carmes, ou élixir des carmes, place Maubert. Une concurrence s'établit alors entre les deux couvents. La première recette était transmise par le frère Joachim de Saint Jacques et la seconde par le frère Damien, carme déchaux : distinction entre le couvent des Grands carmes et celui des carmes réformés.

« Nulle part, dans les écrivains qui ont eu occasion de parler de l'Eau des Carmes avant 1790, on ne trouve que le couvent de la rue de Vaugirard eût le monopole de cette Eau. Tous leurs témoignages prouvent le contraire. D'Emmery, qui a donné en 1659 la première formule de l'Eau des Carmes adoptée par les pharmacopées, parle précisément du couvent de la place Maubert et non de celui de la rue de Vaugirard. Lorsque la Société royale de médecine, qui a précédé l'Académie de médecine, fut formée et qu'elle eut publié une formule d'Eau de Mélisse, dite des Carmes, dont la libre exploitation par les pharmaciens eût pu nuire à la recette des couvents, humble requête fut présentée au roi, au nom de l'ordre entier, dans laquelle on fit valoir les services rendus par l'Eau dont les Carmes possèdent le secret depuis leur établissement en France, sous Saint Louis, et combien il serait injuste et impie d'en dépouiller leur ordre. Ce fut sur ce mémoire que des lettres royales de 1709 maintinrent aux Carmes le privilège de préparer et de vendre exclusivement et à leur profit l'Eau dont la composition appartenait à leur ordre depuis les temps les plus anciens, et qu'ils avaient toujours exploité au grand profit des peuples. » Les brevets royaux datant de 1773, 1776 et 1780 confirmèrent les religieux dans ce commerce[3]. »

Dans son livre Essences et Parfums (2002), Raymond Delange raconte ainsi que[4] : « au milieu du XVIe siècle … Narbonne exportait la lavande et un distillat de mélisse : l’eau des carmes (alcoolat de mélisse et de lavande). En effet, les carmes déchaux de la congrégation d'Italie avaient décidé de s'implanter en France, en Avignon en 1608, puis à Paris, rue de Vaugirard, en 1611 »[5].

En 1611, un médecin concocte une recette originale de boisson tonique réconfortante à base de mélisse, dont il donne la formule à un religieux carme de la rue de Vaugirard à Paris, le Père Damien. Les Carmes décident de la produire dans leur couvent[6], dans une officine et de la commercialiser.

On l'appela alors Eau de citronnelle, autre nom de la mélisse[5] puis Aqua Carmelitarum, eau des Carmes[7] - [8]. On s'en servit pour les bains et aussi contre l'odeur de la peste. Ce fut alors un des remèdes préférés contre la migraine du cardinal de Richelieu qui en portait toujours sur lui (un cachet de cire rouge puis par un disque de papier sur les flacons rappelle la mémoire d'un attentat du 10 juillet 1635, où du poison était mêlé à l'eau de mélisse du Cardinal, qui s'en aperçut à l'odeur inaccoutumée), puis à la Cour du Roi Louis XIV où elle devint une panacée :

« Les carmes déchaussés de la réforme de Sainte-Thérèse s'établirent en France vers 1605, et bientôt après l'eau spiritueuse à laquelle ils donnèrent leur nom devenait la plus généralement recommandée par les médecins, et une source de fortune pour le couvent des pères qui le composaient. Louis XIV[9], voulant récompenser les services qu'ils rendirent aux dames de la cour en les délivrant des spasmes et de cette suite d'accidents et de malaises nerveux auxquels semblaient les condamner les habitudes et la vie de la cour, octroya aux carmes des lettres patentes qui les reconnaissaient seuls et uniques propriétaires du secret de la composition de l'eau des Carmes, et leur donnaient le droit exclusif de la fabriquer et de la vendre. Trois décrets royaux consécutifs, rendus sur le rapport fait au conseil d'État par la Commission royale de médecine, confirmèrent cette propriété et ce droit de vente exclusif. »

Les jardins des Carmes

Le frère Joachim de Saint Jacques, des Grands Carmes de la place Maubert, affirme être débordé sous la demande au point de devoir multiplier les tonneaux de liqueur, en 1715. Aussi à cette date transfère-t-il avec la permission de son supérieur, son secret à frère Gabriel de Saint-Nicolas, lequel serait d'après le Journal de Pharmacie, un carme déchaux et non pas un grand carme. C'est ensuite aux Carmes de la rue de Vaugirard, de devoir leur célébrité à l'eau dite « Eau des Carmes » mais ils en préparaient déjà depuis 1611.

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Les carrés de plantes du jardin des Carmes de la rue de Vaugirard par Eugène Atget, moins d'un siècle après leur départ

Les jardins du couvent des Carmes où se cultivait la mélisse contenaient plus de quarante-deux arpents cultivés (cf. Galerie d'images, illustration 3, Plan de Turgot) avec un soin extrême : « Les jardins de ce monastère étaient très vastes. C'est dans l'apothicairerie de ce monastère que la composition de l'eau de mélisse fut inventée; c'est pourquoi on la nomma souvent Eau des Carmes. Les religieux de ce couvent font un débit considérable de cette eau, et quoiqu'ils affectent de la déguiser en disant qu'elle est composée de plusieurs sortes d'herbes qu'ils cultivent dans leurs jardins, le public sait à quoi s'en tenir et que ce n'est que de l'eau de mélisse telle qu'on en fait partout ailleurs »[10]. Ce n'était pas seulement dans leurs jardins qu'ils récoltaient les ingrédients nécessaires à la composition de l'eau de mélisse. On retrouva en effet, aux archives de l'hôtel de ville de Paris, une facture d'un sieur Bourlier, herboriste, établissant que du 22 novembre 1788 au 9 mai 1790, il avait fourni aux Carmes pour 75 l. 16 s. de plantes médicinales.

« À peine les Carmes sont-ils fixés rue de Vaugirard, qu'ils établissent dans une des dépendances de leur maison une officine pharmaceutique, où ils fabriquent et vendent, dès 1611, ce fameux élixir qui, sous le nom d'Eau des Carmes, fera plus pour la réputation de leur couvent que la sainteté et le savoir de ses religieux, quelque éminents qu'ils soient. Les cures merveilleuses établirent sa réputation, même à la cour. Le cardinal de Richelieu en portait constamment sur lui : « C'était là, disait-il, le seul cordial qui pût le préserver de ses migraines. » À son exemple, chaque courtisan eut sans cesse le sien aux lèvres. Il n'était pas, dit Dulaure, de petite maîtresse qui ne portât sur elle un flacon d'Eau des Carmes.

La vente de l'Eau des Carmes prenait une extension rapide et devenait pour l'ordre une source de richesses. L'Eau des Carmes déchaussés trouva en maître Jean-Claude Verdeil, apothicaire aux piliers de la Halle, un premier contrefacteur. Les moines faisaient payer cher leur produit aux riches et le donnaient aux pauvres. L'apothicaire vendant meilleur marché, mais ne le donnant à personne, parvint rapidement à acheter, du fruit de ce négoce, une maison de bon rapport dans la rue de la Barillerie. Le contrefacteur, on le voit, n'est pas né d'hier, et les choses se passaient pour lui, en 1667, comme elles se passent aujourd'hui; une condamnation sévère récompensait ses honnêtes tentatives.

Ce fut sans doute cet incident qui inspira aux Carmes déchaussés de la rue de Vaugirard le désir de faire reposer leur propriété sur des titres authentiques et exclusifs.

L'abbé Frenne de Saint-Mirieu, supérieur de ce couvent, présenta au roi, le 10 septembre 1681, une supplique contenant un mémoire où étaient énumérées longuement toutes les qualités cordiales de l'Eau des Carmes déchaussés, et dont la propriété fut garantie au couvent par lettres-patentes émanant de Sa Majesté et résolues en son conseil. Louis XIV ne répondit pas immédiatement à cette supplique; ce ne fut qu'en 1709 qu'une circonstance assez remarquable ayant appelé son attention sur l'Eau des Carmes, ces religieux en profitèrent pour obtenir les patentes que le couvent sollicitait depuis plus de trente ans. C'était la belle époque des voyages de Marly; les jours de Marly, les seigneurs se pressaient sur le petit escalier de la chapelle, sollicitant la grande faveur de venir se ruiner au jeu ; puis les invitations faites, le roi partait, entassant dans son carrosse une douzaine de princesses du sang ou de dames favorites. Cette manière de voyager n'était rien moins qu'agréable pour ces dames. Pressées, cahotées, gelées en hiver, brûlées en été, trempées par la pluie ou étouffées par la poussière, — car Sa Majesté, assez robuste pour n'avoir jamais été incommodé par le froid ou le chaud, n'eût pas permis qu'on fermât les glaces ou les rideaux, — elles étaient exposées à tous les malaises qui assaillent les femmes en de telles circonstances. Le roi détestait en plus les essences et les senteurs, tout flacon était exclu de Marly et de Versailles. La fatigue de ces voyages, l'insomnie des nuits passées en fêtes, le genre de vie qu'elles menaient rendaient fort fréquentes les maladies nerveuses parmi les dames de la cour; en 1709, les affections vaporeuses devinrent plus intenses; plusieurs voyages durent être contremandés, au grand déplaisir du roi, qui signifia à Fagon d'avoir à guérir ces dames. Une étrange idée passa dans la tête du médecin bossu : il leur ordonna de frotter elles-mêmes leurs appartements. Un tel traitement pouvait avoir de bons effets et être fort rationnel, mais il ne fut pas du goût de ces dames. Cependant le roi avait parlé, il fallait se soumettre : heureusement le confesseur de la duchesse de Bourgogne leur fournit un moyen de guérison plus agréable et plus efficace.

C'était un carme déchaussé de la rue de Vaugirard ; il conseilla à sa royale pénitente de prendre de l'Eau des Carmes. Les bons effets qu'elle en éprouva lui firent prôner ce remède, et bientôt, adoptant son usage, les dames de la cour furent délivrées de leurs spasmes.

Reconnaissant envers les bons Pères, Louis XIV leur octroya alors les lettres qu'ils sollicitaient ; elles furent données à Versailles en plein conseil, et au mois d'août 1709. » (Brochure des Carmes Boyer)

La vente de cette liqueur était donc très productive[11], et les religieux avaient eu soin de se faire délivrer des brevets par le roi les 15 février 1773 et 9 janvier 1776 ; quand ils en sollicitèrent un troisième, ils trouvèrent une certaine résistance de la part des pharmaciens, et la difficulté ne fut aplanie qu'au moyen d'une transaction par laquelle les Carmes Déchaussés s'engageaient à payer au Collège de pharmacie une somme annuelle de mille livres [12] - [13].

Richelieu portait toujours sur lui un flacon d'eau de mélisse

Le couvent carme de la rue de Vaugirard était la Maison mère de nombreux autres carmels en France et à l'étranger, dont deux à Bordeaux, où fut aussi fabriquée l'eau de mélisse, et à Lyon : « Philibert de Nérestang se rendit acquéreur de la recluserie et des terrains avoisinants et en fit don aux Carmes Déchaussés, avec une rente pour l'entretien de huit religieux. Ceux-ci s'y établirent. C'est dans ce couvent que se fabriquait l'eau de mélisse des Carmes, qui a eu et a encore de la réputation. Après la Révolution, les frères Serre, qui prétendaient posséder seuls le vrai secret de la fabrication, s'établirent à l'angle méridional de l'escalier du Change et de la montée Saint-Barthélemy ; le local est encore occupé aujourd'hui par un distillateur. »[14].

Les trois codex de Paris, de 1732, 1748 et 1758 donnaient sa formule ainsi que la pharmacopée de Wirtemberg de 1786 : elle n'était donc pas considérée partout comme un remède secret.

En 1775 et 1781, l'eau de mĂ©lisse rapporte une rente de 20 000 livres par an aux Frères carmes de Paris, d'autres textes disent quelle rapportait plus de 3 000 livres par mois donc plus de 36 000 livres par an[15].

  • Carmel de la place Maubert, Plan Truschet & Hoyau ca 1550 .
    Carmel de la place Maubert, Plan Truschet & Hoyau ca 1550 .
  • Carmes dĂ©chaussĂ©s, Plan Truschet & Hoyau ca 1550.
    Carmes déchaussés, Plan Truschet & Hoyau ca 1550.
  • les Carmes sur le plan de Merian, 1613 : la rue des Carmes dĂ©chaussĂ©s prolonge la rue du Luxembourg et la rue de Vaugirard et forme alors la limite du plan de Paris, on voit mal leur Ă©glise, ils s'y sont installĂ©s depuis deux ans Ă  peine.
    les Carmes sur le plan de Merian, 1613 : la rue des Carmes déchaussés prolonge la rue du Luxembourg et la rue de Vaugirard et forme alors la limite du plan de Paris, on voit mal leur église, ils s'y sont installés depuis deux ans à peine.
  • les Carmes sur le Plan de Bullet, 1676 dĂ©limitĂ©s par la rue Cassette et la rue du Colombier (le Colombier est le nom des couvents du Carmel donnĂ© par Louis de Sainte-ThĂ©rèse)
    les Carmes sur le Plan de Bullet, 1676 délimités par la rue Cassette et la rue du Colombier (le Colombier est le nom des couvents du Carmel donné par Louis de Sainte-Thérèse)
  • Les arpents de terre et le Jardin des Carmes sur le plan de Turgot occupent en 1739 une place non nĂ©gligeable du plan.
    Les arpents de terre et le Jardin des Carmes sur le plan de Turgot occupent en 1739 une place non négligeable du plan.

Les carmes de Bordeaux

Elle est aussi fabriquée par les carmes de Bordeaux, couvent Saint-Louis ceci par les soins du frère apothicaire Pierre Catinot, en religion frère Placide de la Circoncision[16], qui eut le droit de patente. On disait plaisamment que le frère Placide distillait davantage d’eau que tous les carmes ensemble ne buvaient de vin. Il cultivait ses plantes médicinales dans le jardin du carmel et les distillait ensuite. Il existait alors des apothicaires jurés et des apothicaires moines. Pharmacien en 1792 Pierre Catinot abandonna son ordre au moment de la révolution mais relevé de ses vœux resta apothicaire : chassé de son couvent il traversa la rue et en 1791 installa son officine en face à l’angle des rues Castillon et Margaux : Aujourd'hui encore sa pharmacie dite « pharmacie des Carmes » au 28 de la rue Castillon à Bordeaux possède une enseigne faisant l'éloge de l'eau de mélisse des Carmes[17] - [18].

« Les archives municipales de Bordeaux conservent un spécimen d’une publicité de l’époque, relative aux vertus de cette eau souveraine, spécialement agissante « contre l’apoplexie et les vapeurs ». L’imprimé précise « que la seule véritable eau de mélisse, qui est de la qualité et de la composition de l’auteur, se trouvera aux Carmes déchaussés du Couvent Saint-Louis, à Bordeaux, et non ailleurs[19]. »

[20] La composition de l'eau de mélisse de Bordeaux était légèrement différente de celle de Paris, son secret était transmis de pharmacien à pharmacien dans le plus grand secret. On a retrouvé neuf recettes différentes.

L'eau de mélisse sous la Révolution française

Pendant la Révolution française, Pierre Catinot de Bordeaux céda son officine et ses secrets à Léon Bertrand Magonty, franc-maçon affilié à la loge « Triangle-Chapitre Essence de la Paix », lequel envoie alors son fils Joseph Henry, comme élève à la pharmacie Pelletier (franc-maçon lui aussi) à Paris.

La Société des pharmaciens de Paris et l'eau de mélisse

Les carmes, très populaires Ă  Paris, ne furent donc pas inquiĂ©tĂ©s durant la RĂ©volution. Ils n'Ă©taient d'ailleurs pas hostiles aux idĂ©es rĂ©volutionnaires, et priaient pour l'AssemblĂ©e nationale quotidiennement. Le district avait adoptĂ© la devise des carmes « Pro patria et rege ». Les moines durent se constituer en sociĂ©tĂ© commerciale, et payèrent Ă  l'État une somme de 60 000 francs le droit d'exploiter le secret de la composition de l'eau de mĂ©lisse des Carmes connus comme seuls et uniques propriĂ©taires. Mais par dĂ©cret du 13 fĂ©vrier 1790 tout passa aux mains de l'État, y compris les ustensiles servant Ă  la prĂ©paration de l'eau de mĂ©lisse[21], que les religieux rĂ©clamèrent en vain. Une partie du couvent fut transformĂ© en caserne puis en prison des Carmes. Ils purent y rester nĂ©anmoins, et continuer la production de l'Ă©lixir mais huit d'entre eux entrèrent dans la vie civile. Par un dĂ©cret du 8 octobre 1790, le couvent du District des Carmes accueillit les carmes des Billettes et Maubert. En 1792, on massacra les prĂŞtres non assermentĂ©s dans l'Ă©glise et le jardin de leur couvent[22]: restĂ©s dans leurs cellules, les carmes visitèrent les condamnĂ©s, puis ils dĂ©cidèrent de rentrer dans la vie civile, suivant la loi du 17 aoĂ»t.

En 1797, les carmes de la place Maubert en confièrent la recette et le secret de sa préparation à la Société des Pharmaciens de Paris (qui en fera largement écho dans différentes revues, Journal de Pharmacie et de Chimie, Journal de la Société des Pharmaciens de Paris ou Recueil d'Observations de Chimie et de Pharmacie et tout au long du XIXe siècle dans nombre d'ouvrages)[23], cinq ans plus tard, par le biais de leur procureur, Jacques-Bruno-Joseph Housez : « Mais enfin ce qui fut long-temps un secret a cessé de l'être, grâce aux généreux sentimens d'un ci-devant Religieux Carme, le citoyen Housez mon ami...»[24].

« La Société des pharmaciens de Paris, voulant remplir l'engagement qu'elle a contracté, dans sa séance du 15 Brumaire dernier, annonce qu'elle va mettre en vente les deux compositions, dont elle a exposé publiquement sa préparation; savoir : la Thériaque et l'Eau de Mélisse, dite des Carmes.

On est dispensé de faire l'éloge de l'exactitude scrupuleuse qui a présidé à ces préparations, et du choix des substances qu'elles contiennent... L'Eau de Mélisse (espèce de médicament dont tout le monde connoit les propriétés, et dont la recette se trouve dans presque toutes les Pharmacopées, quoique certaines personnes prétendent que sa composition est un secret ; on se contentera de dire, qu'après avoir comparé différentes formules, les Pharmaciens de Paris ont adopté, comme la meilleure, celle qui fut recueillie en l'année 1715, par un Religieux Carme, du ci-devant grand Couvent de la place Maubert appelle le frère Joachim de Saint-Jacques, et qui fut communiquée par celui-ci, au frère Gabriel [de Saint-Jacques], carme déchaux, avec la permission de son supérieur[25]; formule, dont l'original en parchemin, signé de son auteur, a été déposé par le citoyen, Housez, dernier Procureur dudit grand Couvent des Carmes de la place Maubert, entre les mains du directeur de l'École de Pharmacie, pour être préparée publiquement. L'Eau de Mélisse a été composée par la Société des pharmaciens de Paris, suivant cette formule, conformément aux règles de l'Art, et avec toute l'attention qu'exigeoient le choix et les doses des diverses substance qui entrent dans sa composition, les préparations et distillations préliminaires de chacune d'elles, et enfin le mélange, d'ausdes proportions convenables, des différentes liqueurs précédemment distillées, et combinées d'une manière intime par une dernière distillation.

Le Bureau, pour la distribution de la ThĂ©riaque et de l'eau de mĂ©lisse, sera ouvert tous les jours, Ă  compter du 15 Messidor, an 7 de la première RĂ©publique française, Ă  l'École publique et gratuite de Pharmacie, rue de l'Arbalète, Division de l'Observatoire. Prix de la ThĂ©riaque, en boĂ®te d'Ă©lain, 10 francs la livre, y compris la boĂ®te.

Prix de l'Eau de MĂ©lisse, 10 francs 80 centimes la caisse de douze fioles.

Les boîtes et les caisses porteront le cachet de l'Ecole de Pharmacie.

III.e Année. N.° III »

— Journal de la Société des Pharmaciens de Paris , 1797

Le secret passa quelques années plus tard aux mains de M. Amédée Boyer :

Le XIXe siècle

Sous la Restauration, vers 1820-1830 on fit de très beaux flacons à eau de mélisse, devenu un « secret des Grands Mères », flacons en opaline, ou en cristal, avec soc de marbre et cathédrale de bronze type Duchesse de Berry.

Le « château des Aygues » d'Amédée Boyer.

En mars 1824, un acte de société fut passé entre les carmes survivants, au nom de frère Antoine Laurent Paradis, Magnin et Cie. En 1829, le frère Paradis, dernier des Carmes, s’associe avec son neveu Antoine Royer. Ainsi fut fondée la maison « Royer et Raffy ».

1834, Amédée Boyer

En 1834, Amédée Boyer épousa la veuve Royer et devint l’unique propriétaire de la société et l’unique détenteur du secret du dernier frère des Carmes déchaussés de la rue de Vaugirard, fondant ainsi la « société de l’Eau de mélisse des Carmes Boyer », qui eut un stand à l'Exposition universelle de 1889.

Depuis cette époque, une suite d'actes notariés ont ainsi transmis la propriété et le secret de l'eau des Carmes à Amédée Boyer, qui se trouva seul successeur des Carmes déchaussés et seul possesseur de leur secret, qu'il exploita dans le même local où ils s'établirent en 1789, rue Taranne, en défendant son droit face aux contrefaçons. Amédée Boyer, riche de son monopole, fit fortune et construire près d'Étretat, le « château des Aygues »[26] Villa-château en 1866 par l'architecte havrais Théodore Huchon.

Chromolithographie, Cordial de Mélisse des Carmes XIXe siècle, 1840
Chromolithographie : le revers, réclame

Boyer écrivit une Monographie historique et médicale de l'Eau des Carmes et ajouta bientôt à l’étiquette des flacons de ce remède populaire, et sa signature et ses empreintes digitales, afin de prévenir les contrefaçons[27] : en effet seule sa formule garantissait les merveilleux effets thérapeutiques vantés par le fabricant :

Réclame: « Eau des Frères Carmes de Saint-Médard »

« LE PHARMACIEN PEUT-IL FABRIQUER ET VENDRE L'EAU DE MELISSE :

Publicité murale pour l' « Eau de Mélisse des Carmes, supérieure, Caron et Cie, rue Jacob » (en haut, à droite de l'image, cliquer pour agrandir), Rue du Four, de la rue de l'École-de-Médecine (Paris) Date attribuée d'après la mention sur l'affiche sur le mur en haut à droite « Eau de mélisse des Carmes supérieure. Caron, 34, rue Jacob » : Caron, 34, rue Jacob, herboriste jusqu'en 1865, puis, eau de mélisse des Carmes à partir de 1866, dans Annuaire du commerce Didot-Bottin, 1865-1869

Dite Des Carmes? (RĂ©solu affirmativement.)

AmĂ©dĂ©e Boyer prĂ©tend possĂ©der seul le secret de cette eau merveilleuse ; il l'a achetĂ© 80 000 francs de M. Roger, qui l'avait eu en sociĂ©tĂ© de M. Raffy, lesquels le tenaient de six anciens religieux, seuls restes de l'ancienne congrĂ©gation des Carmes dĂ©chaussĂ©s de la rue de Vaugirard. Lors de l'abolition des communautĂ©s religieuses, les carmes avaient rachetĂ© du gouvernement qui avait confisquĂ© leurs biens le secret de leur eau moyennant 60 000 livres ; quarante-sept d'entre eux avaient formĂ© une sociĂ©tĂ© pour l'exploitation de leur industrie ; le secret Ă©tait confiĂ© aux trois plus anciens, il Ă©tait renfermĂ© dans une caisse Ă  trois serrures : et cet Ă©tat de choses dura jusqu'en l'annĂ©e 1824, date du traitĂ© de MM. Roger et Raffy.

Or M. Boyer, concessionnaire de ces derniers, a dĂ©jĂ  fait condamner par des jugements et arrĂŞts de 1820 et 1835, des usurpateurs du nom de l'eau des Carmes, il poursuit aujourd'hui un concurrent plus redoutable, M. Richard Desruez, pharmacien, qui a Ă©tabli son officine rue Taranne, 16, Ă  cĂ´tĂ© de son magasin, 14, les deux boutiques sont contiguĂ«s, elles sont peintes de la mĂŞme couleur, les boĂ®tes de l'eau de mĂ©lisse ont la mĂŞme dimension, elles sont placĂ©es de la mĂŞme manière sur les rayons, et Ă  la devanture, les Ă©tiquettes se ressemblent, les flacons ont la mĂŞme forme et M. Richard Desruez a donnĂ© Ă  son eau de mĂ©lisse le nom de l'eau des carmes, de telle sorte qu'il est impossible de ne pas faire confusion, que les paralytiques, apoplectiques, etc., qui se trompent de porte courent grand risque, au dire de MM. Roger et Raffy, de rentrer chez eux sans ĂŞtre guĂ©ri ou de ne pas rentrer du tout. M. AmĂ©dĂ©e Boyer a donc formĂ© devant le tribunal de commerce, contre M. Desruez une demande de 12 000 francs de dommages-intĂ©rĂŞts. Sa demande a Ă©tĂ© soutenue par M. Tiliault son agrĂ©Ă©.

M. Deschamps, agréé de M. Desruez a plaidé que l'eau de mélisse était depuis longtemps tombée dans le domaine public, et qu'elle était connue sous le nom des carmes, il a représenté le Codex obligatoire pour tous les pharmaciens qui en donne cette définition : Alcoolatum de melissa compositum, quod vulgo dixere carmelitarum aquam.''

Le tribunal a adopté le système plaidé par Me Deschamps il a déclaré M. Roger non recevable en sa demande, il a seulement ordonné que M. Desruez ferait disparaître de ses étiquettes le mot "dépôt" qui pourrait faire croire qu'il tient un dépôt des produits des anciens religieux. »

— Journal de chimie médicale, 1842

XXe et XXIe siècles

Au début du XXe siècle elle bénéficie encore d'une grande publicité et riche iconographie : une série de bon points pour écoliers et de chromos[28] sur ce thème fut éditée. La société Boyer est installée au 14, rue de l'Abbaye à Paris, puis au 6. Au XXIe siècle la société existe toujours, installée à Courbevoie en 1844 puis à Carrières-sur-Seine en 1990 [29] et s'appelle aujourd'hui « Eau de Mélisse des Carmes »



Formule

Il existait plusieurs recettes de cette Eau de Mélisse[30] : Frédéric Renou dans sa thèse sur la pharmacie des Carmes de Bordeaux[31], en donne neuf dont celle du père Poncelet qui prétendait par là détenir de l'inventeur de l'élixir disparu quatre cents ans plus tôt.

  • Nicolas Le Fèvre en 1651 donne une recette d'hydromel de mĂ©lisse prĂ©parĂ© dans du miel fermentĂ©. « Il faut y joindre de la mĂ©lisse, coupĂ©e et broyĂ©e dans un mortier, jusqu'Ă  consistance de bouillie… (suivent un certain nombre d'opĂ©rations) Laissez fermenter, jusqu'Ă  ce que toute la mĂ©lisse soit tombĂ©e au fond du vaisseau... » On obtenait une marmelade, on rajoutait de la mĂ©lisse, il en rĂ©sultait enfin un hydromel de mĂ©lisse. Sa recette d'eau ou esprit de mĂ©lisse proprement dite ne comprend que trois ingrĂ©dients, mĂ©lisse, muscade et Ă©corce de citron, elle Ă©tait ensuite mĂ©langĂ©e parfois avec d'un sirop l'eau et du sucre et du blanc d'Ĺ“uf. On avait soin de recueillir le marc afin de le rĂ©duire en sel qu'on mĂŞlait Ă  l'esprit de mĂ©lisse pour en augmenter la force et la vertu[32]. On l'utilisait en frictions.
  • Nicolas Lemery en 1671 donne une recette identique Ă  celle qu'aurait transmise le frère carme de la rue de Vaugirard, Damien, selon la recette de M.Baudot[33].
  • En 1715 frère Joachim de St Jacques, rĂ©dige son parchemin destinĂ© Ă  Frère Gabriel de St Nicolas, avec la vĂ©ritable recette de l'eau de mĂ©lisse, accompagnĂ© de dessins d'alambics, et de tonneaux : on sait donc que le Couvent de la Place Maubert produisait l'eau de mĂ©lisse par tonneaux. La poitrine de Frère Joachim est abĂ®mĂ©e tant il a goĂ»tĂ© de cette eau distillĂ©e[34].MĂ©lisse, thym, romarin, marjolaine, angĂ©lique , sauge, citron vert en Ă©corce et des Ă©pices, anis vert, cannelle, coriandre, noix de muscade râpĂ©e et clou de girofle entraient dans sa composition.
  • Dans la PharmacopĂ©e royale galĂ©nique et chymique Moyse Charas en 1676 donne dans le chapitre sur la distillation de la mĂ©lisse une recette d'huile de mĂ©lisse (unique ingrĂ©dient), laquelle mĂ©langĂ©e Ă  l'huile de muscade ou de l'huile de racines aromatiques formait une forme de baume. On Ă©crasait la mĂ©lisse « jeune, tendre et succulente », rĂ©coltĂ©e « entre plante et semence », dans un mortier de marbre, avec un pilon de bois, coupĂ©e ou incisĂ©e qu'on versait ensuite dans une grande vessie en cuivre Ă©tamĂ©e, recouverte d'une tĂŞte de More[35]..

« Eau de Mélisse composée autrement dite eau des Carmes : Prend quatre onces de feuilles nouvelles de mélisse, deux onces de jaune de citrons frais, une once de noix muscades, autant de coriandre, demi once de doux de girofles, semblable quantité de cannelle & de racines d'angélique de Bohême : ayant pilé ce qui convient, faites macérer le tout pendant trois jours dans deux livres d'esprit de vin rectifié, une livre d'eau de mélisse distillée au bain marie; distillez selon l' art au bain marie presque jusqu'à siccicité. »

  • Sous la RĂ©volution, le Journal des pharmaciens de Paris explique « qu'il n'est aucune de ces formules qui rĂ©unisse autant de prĂ©cision et d'avantage que celle qui Ă©toit employĂ©e par les ci-devant carmes de Paris, soit par la rĂ©union, le choix elles doses des diverses substances qui entrent dans sa composition, soit par les prĂ©parations et distillations prĂ©liminaires de chacune d'elles sĂ©parĂ©ment et Ă  diffĂ©rentes Ă©poques de l'annĂ©e oĂą leurs principes actifs sont dans la plus grande vigueur, soit enfin, par l'amalgame dans des proportions convenables des diverses liqueurs prĂ©cĂ©demment distillĂ©es et combinĂ©es d'une manière intime par une dernière, distillation faite avec soin »[36].

« Il faut que chacun de ces ingrédients soit distillé à part, dans les proportions indiquées sur le tableau précédent. Ensuite le mélange s’en fait dans un grand matras, non pas à parties égales mais relativement à des proportions dont le Collège de Pharmacie de Paris s’est réservé le secret en propriété, comme le faisaient les Carmes Déchaux. [......] Les Carmes la préparaient fort bien, comme le Collège de Pharmacie le fait aujourd’hui, ce qui consiste, outre les justes proportions des alcools, dans le mode de leur distillation au bain marie, et à, 1°. un feu doux, 2°. dans la vétusté de ces alcools odorants, 3°. dans l’art de les priver de toute odeur de feu, au moyen du froid, en les plongeant dans la glace pilée avec du muriate de soude pendant six à huit jours. »[38]

  • La recette d'Eugène Soubeiran[39] (alcoolat simple de mĂ©lisse et une recette d’alcoolat de mĂ©lisse composĂ©) compte sept plantes et cinq Ă©pices.

Mais la véritable recette de l'Eau de Mélisse des Carmes Boyer peut compter jusque 14 plantes[40] (mélisse, angélique, muguet, cresson, citron, marjolaine, primevère, sauge, romarin, lavande, armoise, sarriette, camomille romaine, thym) et neuf épices (coriandre, cannelle, girofle, muscade, anis vert, fenouil, santal, racine d’angélique, racine de gentiane).

En rajoutant du safran on obtenait l'« eau de mélisse jaune ». On pouvait y rajouter aussi du poivre cubèbe (Pâris, Giordano, Taddei). Mélangée à de la glace pilée et du sel marin et conservée au froid, elle prenait le goût de l'eau de mélisse distillée depuis longtemps.

On en faisait des bonbons, et elle était alors préparée par le confiseur.


Deux legs

  • Une recette de quatre Ă©pices et deux plantes aurait Ă©tĂ© la recette originale des carmes :

Un pharmacien de Langres, M. Baudot, l'avait trouvée dans un cahier de notes écrit de la main de son grand-père, alors que ce dernier étudiait en pharmacie à Paris, dans les premières années du dernier siècle (XVIIIe siècle) vers 1716[41] : cette formule lui avait été donnée par le frère Damien, carme déchaussé du couvent du faubourg Saint-Germain. La voici telle qu'elle se trouvait dans le dernier numéro du Journal de chimie médicale, auquel M. Baudot l'avait adressée[42] :

« Véritable formule de l'eau de mélisse des Carmes (Baudet) :

  • Feuilles de mĂ©lisse fraĂ®ches : 3 poignĂ©es.
  • Écorces de citrons fraĂ®ches.a a. 3o gram.
  • Noix de muscade.a a. 3o gram.
  • Girofle, le tout coupĂ© ou concassĂ©, : a a. 3o gram.
  • Esprit de vin rectifiĂ©, 1 litre.

Placez le tout dans une cucurbite de verre, laissez macĂ©rer pendant 24 heures, en agitant de temps Ă  autre, et distillez ensuite au bain de sable pour retirer 1,000 de produit »

  • La seconde recette, celle des carmes de la Place Maubert, Ă©tait transmise en 1715 par frère carme Joachim de Saint-Jacques au Frère Gabriel de Saint-Nicolas avec obligation de la tenir secrète, avec l'approbation du Père Tiburce, le prieur du couvent. Le parchemin (« trois feuilles de parchemin de grand format rĂ©unis en cahier par deux liens aussi en parchemin, et formant douze pages [...] [comprenant] des dessins Ă  la plume reprĂ©sentent les diffĂ©rents vases, tonneaux, alambics, qui servent Ă  la prĂ©paration de l'Eau de mĂ©lisse, et le plan naĂŻf d'une installation d'atelier »[43].) fut transmis au Dr de Rodde, par la succession d'un de ses oncles, et il le fit parvenir Ă  Prosper Dumont par une lettre en provenance de LatakiĂ© de Syrie. Plus complexe, elle comprenait plus de plantes et plus d'Ă©pices. Cette recette fut exploitĂ©e par la SociĂ©tĂ© Libre des Pharmaciens de la Ville de Paris[44].

En Italie

Depuis 1710 en Italie, l'eau de Mélisse, Acqua di Melissa, est produite par les Carmes déchaux de la Province de Venise qui la cultivent encore et la distillent, étudient ses propriétés thérapeutiques et s'occupent de sa commercialisation[45].

Littérature

« L'Eau de Mélisse » [46] est une nouvelle de Marie Aycard, qui attribue à un médecin de campagne, le Dr Dupuis, de Vitré, l'invention de l'eau de mélisse, dont la recette merveilleuse, parvient, par l'intermédiaire de Rose, sa fille, d'un voleur de grand chemin, Gabriel Landry dit Le Renard, et de l'abbé Prévost (mort en 1763), jusqu'au couvent des carmes. L'épilogue induit que le Frère Gabriel n'est autre que le Renard : l'anachronisme historique ne l'effraie pas : « La maréchaussée chercha en vain à s'emparer du Renard, elle ne put jamais y parvenir. Quelques années après la mort de Prévost, dans un des couvents de Paris on débitait une eau admirable pour la guérison d'une infinité de maladies, et souveraine surtout pour prévenir et guérir l'apoplexie. La composition de cette eau était due à un frère de ce couvent nommé le frère Gabriel. Tout porte à croire que Landry avait donné à son histoire le dénoûment que lui-même avait indiqué à Prévost. On appelait cette eau Eau de Mélisse. L'eau de Mélisse a fait ses miracles, comme les sachets du sieur Arnou, comme tous les électuaires, les élixirs, les cordiaux, les vulnéraires qu'inventent les hommes pour prolonger leur existence; mais sans vouloir médire de l'eau de Mélisse, nous croyons que, dans un cas d'apoplexie, elle ne vaut pas une saignée à la jugulaire. » En 1762 était paru dans le Journal Encyclopédique ce renseignement sur l'eau des Carmes : « II n'en est pas même jusqu'à cette fameuse et très fameuse eau de mélisse , connue sous le nom d'Eau des Carmes qui n'ait cette origine ; elle est de Mr. Homberg. II la composa un jour pour le P. Sebastien , qui s'en étant bien trouvé, en demanda la dispensation à son Médecin, pour qu'il la pût faire compenser par le Frère apothicaire de son Couvent. Celui-ci cherchant les moyens de l'accréditer, imagina d'en faire un secret et elle sut bientôt connue sous le nom d'Eau des Carmes. L'Auteur des Anecdotes aurait dû ajouter que ce fut Mr. Rouelle qui le premier divulgua le secret de l'Eau des Carmes; et ce prétendu secret consistait simplement à garder de l'eau de Mélisse pendant quelques années... »[47]

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Actes Royaux, BnF XVIIe siècle.
  • Les vertus d'une eau de melisse, composĂ©e aux Carmes dechaussez de Paris, souveraine contre l'apoplexie et les vapeurs, &c. BnF XVIIe siècle.
  • Laujardière (pharmacien), Petit manuel de l'art de prĂ©parer les tisanes aux malades, augmentĂ© d'un appendice sur les propriĂ©tĂ©s de l'eau de mĂ©lisse des Carmes, de l'eau vulnĂ©raire spiritueuse et du thĂ© vulnĂ©raire, Wittersheim BnF sur Opale.
  • GĂ©rardin, E., Histoire et pharmacologie de l'eau de mĂ©lisse dite des Carmes, Marne : Sezanne, BnF sur Opale.
  • Maurice Bouvet, La VĂ©ritable formule de l'eau de MĂ©lisse des Carmes de la place Maubert, Revue d'histoire de la pharmacie, 1953, BnF.
  • Anne Germain, L'Eau de MĂ©lisse des Carmes Boyer, 1991.
  • Vanessa Mercier, L'eau de MĂ©lisse des Carmes en Europe, Compte rendu : L'alcoolat de mĂ©lisse composĂ© : quatre siècles d'histoire : Vanessa Mercier, L'eau de MĂ©lisse des Carmes en Europe
  • M. Boyer, Journal de chimie mĂ©dicale, Sur L'Eau de MĂ©lisse dite des Carmes, [lire en ligne]
  • MM. CadĂ©ac et Albin Meunier, MĂ©moires. Contribution Ă  l'Ă©tude de l'alcoolisme. Recherches physiologiques sur l'eau de mĂ©lisse des carmes, Revue d'hygiène et de police sanitaire 1891, no 13, Paris, Ă©ditions Masson, 1891, [lire en ligne]
  • Charles Tamarelle, Les pots de la pharmacie des Carmes : de Bordeaux Ă  Dax, Bulletin de la SociĂ©tĂ© de Borda : Sciences, Lettres et Arts des Landes, p. 3-10, 1er trimestre 2010
  • Louis Servantie, La Pharmacie Ă  Bordeaux (1790-1804), frère Placide, petit carme dĂ©chaux, 1965.

Années 2000

  • FrĂ©dĂ©ris Renou, Thèse sur l'eau de MĂ©lisse des Carmes de Bordeaux (Biographie de Pierre Catinot, Histoire de la pharmacie des carmes de Bordeaux, neuf recettes d'Eau des Carmes, etc.) [lire en ligne], 2006

Années 2010

  • Catherine Deydier et Olivier Dauchez , L’Eau de mĂ©lisse des Carmes Boyer de 1611 Ă  2011. 400 ans de bienfaits, Éditions Larivière, 2011.

Notes et références

  1. GEO No 404 d'octobre 2012 p. 75
  2. ...ou Saint-Just de Narbonne ?
  3. La Vérité sur l'eau de mélisse des Carmes du grand couvent de la Place Maubert par Prosper Dumont, 1864, p. 25.
  4. Raymond Delange, Essences naturelles et parfums, (ISBN 2923058011)
  5. Citation d'un ouvrage libre de droits, cité par M. Chastrette, professeur émérite à l'université Lyon 1, dans Histoires de grands parfums anciens et moins anciens.
  6. Certains auteurs prétendent qu'ils ont eux-mêmes inventé cet élixir.
  7. Autres noms : Aqua aromatica, Aqua Melissae Carmelitana, Melissae composita spirituosa , Spiritus Melissae Compositus : eau de mélisse spiritueuse, alcoolat de mélisse composé
  8. «Charles Lefeuve, Le Paris Pittoresque, histoire de Paris rue par rue, maison par maison, 1875.
  9. Bnf : [Acte royal. 1772-11-04] : Lettres-patentes du roi, qui ordonnent que les vernis, soit de France, soit de l'étranger, eau-de-vie aromatisée, eau de cologne, de melisse, mente & autres liqueurs spiritueuses venant de l'étranger, acquitteront à l'avenir à l'entrée dans le royaume, & dans la ville, fauxbourgs & banlieue de Paris, les mêmes droits que ceux qui sont dus sur les eaux-de vie triples ou sur l'esprit-de-vin pur. Données à Fontainbleau le 4 novembre 1772. Registrées en Parlement le 28 août 1773 Péterinck-Cramé, Nicolas-Joseph-Benoît (1732-1786). Éditeur commercial.
  10. Description historique de la ville de Paris. Édition de 1765, t. VIII, p. 285
  11. Report 47,1701.15 s.M. de Brézé, hôtel au coin des rues du Regard et du Cherche-Midi 7,000 » M. de Cordon (id.) 12,000 » 66,1761.15 s. [Archives de l'hôtel de ville.)
  12. Voici le texte de cette transaction, passĂ©e le 4 octobre 1780 en l'Ă©tude de M. Lefebvre, notaire, rue de CondĂ© : 1°. Messieurs les prĂ©vosts des maisires en pharmacie et leurs successeurs n'apporteront aucun trouble, empĂŞchement Ă  l'exĂ©cution des brevets et permissions que les religieux Carmes obtiendront de Sa MajestĂ© pour la composition, vente et distribution de leur eau de mĂ©lisse, dite des Carmes ; 2° Les religieux Carmes se renfermeront dans la composition, vente et distribution de ladite eau, et payeront chacun au collège de pharmacie, entre les mains des prĂ©vosts dudit collège, la somme de 1 000 livres en deux payements Ă©gaux, dont le premier se fera six mois après le jour oĂą le brevet de Sa MajestĂ©, confirmatif des prĂ©cĂ©dents, a Ă©tĂ© accordĂ© aux Carmes, et les autres payements continueront d'ĂŞtre faits de six mois en six mois, tant que les Carmes jouiront de ladite permission. (Archives de l'hĂ´tel de ville de Paris.)
  13. Les Carmes avaient de nombreuses charges et, indépendamment des aumônes qu'ils distribuaient, ils devaient servir des rentes viagères ou perpétuelles à près de quatre-vingt-dix personnes. Source citation : Le Couvent des Carmes et le séminaire de Saint-Sulpice pendant la Terreur.
  14. À travers les rues de Lyon / Vachet, Adolphe, Gallica.
  15. Procès-verbaux Commission du vieux Paris /« Il rĂ©sulte d'un Ă©tat qui existe aux archives de l'hĂ´tel de ville que cette vente se montait Ă  plus de 3 000 livres par mois »
  16. Voir aussi ; Encyclopédie universelle
  17. Pharmacie Rullier et
  18. Château le Virou
  19. Bibliographie; De frère Placide, carme déchaux, à Pierre Catinot, pharmacien : ou la pharmacie à Bordeaux sous la Révolution par Servantie, Louis I.F.Q.A 1965 et La pharmacie à Bordeaux (1790-1804), frère Placide, petit carme déchaux par Servantie, Louis Chez l'auteur 1965. Thèse ; Histoire de la Pharmacie des Carmes à Bordeaux de sa création à la disparition de sa préparation la plus célèbre; l'eau de mélisse ; Frederic Renou
  20. Carmel de France : Révolution et persécutions religieuses (XVIIIe-XIXe siècle)
  21. Paris révolutionnaire: les Carmes
  22. Société Libre des Pharmaciens de Paris
  23. Journal de la Société des Pharmaciens de Paris
  24. ailleurs : Fr. Gabriel de Saint-Nicolas
  25. « château des Aygues
  26. Il y eut 14 contrefaçons et plusieurs procès, avec Eugène Boyer, et Amédée Boyer notamment.
  27. Exposition des chromos Boyer
  28. En savoir plus : Société d'histoire de la pharmacie La fille de M. Boyer avait épousé Renouard-Larivière, propriétaire du magasin "Bon Coin" à Paris....
  29. Source/ M. Chastrette, Lyon I. Citations d'ouvrages libres de droits
  30. Frédéric Renou Histoire de la pharmacie des Carmes à Bordeaux de sa création à la disparition de sa préparation la plus célèbre : l'eau de mélisse des Carmes
  31. Cours de chymie, pour servir d'introduction à cette science, tome 1er / , par Nicolas Le Fèvre
  32. Dictionnaire botanique et pharmaceutique Jean-François Bastien : « L'eau de mélisse simple s'ordonne dans les potions cordiales et hystériques, jusqu'à six on huit onces, comme les autres ; mais à l'égard de l'eau de mélisse composée ou magistrale, elle est beaucoup plus spiritueuse, soit par les aromates qu'on y ajoute, soit par l'eau-de-vie dans laquelle on la fait infuser. Cette préparation consiste dans les différentes doses des drogues ajoutées aux feuilles de mélisse ; la meilleure est celle de Lémery »
  33. Prosper Dumont, La Vérité sur l'eau de mélisse des Carmes du grand couvent de la Place Maubert , 1865.
  34. Pharmacopée royale galénique et chymique
  35. Le secret en est enfin obtenu des carmes : « Cette recette n'étoit donc pas "une propriété exclusive appartenant à la maison dus ci-devant Carmes-Déchaux, Ils n'en jouissoient même quo par une concession généreuse de la part des Carmes de la place Maubert : le citoyen Housez eût donc pu se l'approprier mais convaincu qu'une composition aussi répandue qu'utile à l'humanité ne devoit pas être concentrée dans les mains de quelques individus, que c'étoit l'exposer à dégénérer et à se perdre entièrement, il a cru devoir en confier le dépôt à la Société des pharmaciens de Paris, en l'engageant à la préparer publiquement suivant la recette qu'il a déposée entre mes mains. Dans : Journal des pharmaciens de Paris : Discours prononcé dans la Séance publique de la Société des Pharmaciens de Paris, du 15 Brumaire an 7, par le citoyen Trusson, sur l'origine et la préparation de la Thériaque et de l'eau dite des Carmes. »
  36. Traité raisonné de la distillation, ou la distillation réduite en principes Par Déjean : Eau de Citronelle
  37. Traité de pharmacie théorique et pratique : contenant les élémens, l'analyse recette de Julien Joseph Virey
  38. Nouveau traité de pharmacie théorique et pratique Par Eugène Soubeiran : recette de l'eau de Mélisse et
  39. On utilisait alors trois vases différents pour la distillation.
  40. « Par M. Baudot (de Langres). J'ai lu plusieurs fois dans le Journal de Chimie médicale qu'il existait des contestations pour savoir si les pharmaciens ont le droit de préparer et de vendre Veau de Mélitte spiritueute dite eau des Carme. Ce point ne devrait souffrir aucune difficulté, ce me semble, car les trois codex de Paris, de 1732, 1748 et 1758 que j'ai sous les yeux en donnent la formule; elle est aussi inscrite dans la pharmacopée de Wirtemberg de 1786, et se trouve dans presque tous les dispensaires de ces époques. L'alcoolat de Mélisse composé est donc une préparation consacrée et ne peut être considéré comme remède secret. Si vous êtes curieux de connaître la formule des Carmes qui a mis cette eau en vogue, je l'ai trouvée dans un cahier de notes écrit de la main de mon grand-père lorsqu'il étudiait en pharmacie à Paris, et qui ne peut être que de 1716 ou des années antérieures, car c'est à celte époque qu'il a quitté la capitale pour rentrer dans sa famille. Voici cette formule qui lui a été donnée par le frère Damien, carme déchaussé, du couvent du faubourg Saint-Germain » Journal de chimie médicale, de pharmacie ..., Volume 2; Volume 10
  41. 1844, Bulletin général de thérapeutique médicale, chirurgicale
  42. La Vérité sur l'eau de mélisse des Carmes du grand couvent de la Place Maubert, par Prosper Dumont (Gallica).
  43. Maurice Bouvet, La véritable formule de l'Eau de Mélisse des Carmes de la place Maubert, Revue d'histoire de la pharmacie, Année 1953, Volume 41, Numéro 139 p. 173-176 (Persée).
  44. Atlante dei prodotti agroalimentari tradizionali del Veneto, P. Antoniazzi (a cura di), Venezia, 2014, p. 15
  45. « L'eau de mélisse », nouvelle de Marie Aycard
  46. Mars 1762, « Anecdotes de Médecine », Journal encyclopédique.
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