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Abri antiatomique

Un abri antiatomique est destiné à protéger ses occupants des effets mécaniques et thermiques d'une explosion nucléaire (ou d'un accident nucléaire[1] - [2] - [3]), ainsi que des retombées radioactives, en leur permettant de survivre un certain temps jugé suffisant pour pouvoir en sortir sans danger.

Porte en béton d'un abri anti-atomique à Berneck, en Suisse.
Dortoir dans un abri anti-atomique de la protection civile Ă  Vernayaz en Suisse.

On peut diviser les abris en deux types : l'abri anti-retombée simple (fallout shelter) et l'abri anti-retombée résistant aussi au souffle d'une explosion proche (blast shelter)[4]. Les seconds correspondent généralement à des installations militaires stratégiques (postes de commandement en particulier) d'une construction « lourde » et on n'en compte que quelques-uns par pays. Les premiers sont plutôt destinés aux civils qui, même très loin des cibles, seraient exposés au risque mortel des retombées. Les abris civils sont mis en œuvre à la suite d'une initiative personnelle, par exemple dans le jardin ou au sous-sol d'une maison privée, mais aussi par un État, qui dans le cadre d'une politique de sécurité civile, prend en charge la construction ou l'aménagement d'abris collectifs.

Historique

Inhérent à la guerre froide et au développement de l'arme nucléaire, l'abri antiatomique est une des composantes de la défense passive des deux superpuissances devant permettre à la fois la continuité du gouvernement et la préservation d'une partie de la population.

L'URSS aurait construit des abris antiatomiques dès le début des années (p. 15)[5]. Ces structures s'inscrivaient dans une politique de défense civile, considérée comme faisant intégralement partie des capacités de défense soviétiques au sens large et qui comprend par exemple des projets d'évacuation des villes, la formation de groupes chargés de la protection civile ou contre les attaques bactériologiques et chimiques[5] - [6]. En , dans un document alors classé « top secret », la CIA décrit les capacités de défense passive de l'Union soviétique[7] et notamment ses abris antiatomiques « durcis » destinés aux dirigeants y compris au niveau local, avec postes de commandement alternatifs en dehors des villes. Le document fait aussi état des réseaux de métro des grandes villes conçu pour servir d'abri antiatomique et où sont construits des abris adjacents aux quais, restreints à « des groupes spécifiques » (p. 82)[7]. Les structures industrielles importantes pour la vie ou la reprise de l'économie sont également incluses dans les plans soviétiques ; par exemple, la centrale électrique de Kharkov pouvait être opérée à distance à partir des abris destinés au personnel (p. 73)[7].

La documentation soviétique en définit l'abri antiatomique de la façon suivante : le toit doit être résistant au feu et à l'onde de choc thermique d'une explosion nucléaire, il doit être sous la surface du sol et assurer une protection contre les radiations et l'écroulement des bâtiments de surface, au-dessus de lui. L'abri est pourvu d'une sortie de secours ne pouvant pas être encombrée par des débris et enfin, si construit dans une zone présumée comme étant une cible directe, être étanche et équipé afin de permettre une occupation sur le long terme[6]. Les manuels décrivent cinq types d'abris antiatomiques[6] :

Abri lourd
enterré profondément sous terre, murs en béton armé et équipé de systèmes de communication, d'une réserve d'oxygène et d'autres moyens techniques sophistiqués. Il était estimé que certains de ces abris pouvaient résister à une onde de choc de 200 à 300 psi (14 à 21 bars).
Abri dit « à couches »
partiellement ou totalement souterrain, le toit est en béton recouvert d'une épaisse couche de terre et pouvant résister à une pression d'au moins 100 psi (7 bars). Lui aussi équipé d'un système de filtration d'air, il est destiné à abriter plusieurs milliers de personnes.
MĂ©tro
les quais et tunnels du métro de Kiev, Leningrad et Moscou devaient abriter une grande partie de la population (20 à 40 % de la population pour Moscou).
Abri en sous-sol
sous les bâtiments publics ou immeubles rĂ©sidentiels ; pouvant abriter 100 Ă  150 personnes, il doit rĂ©pondre aux spĂ©cifications Ă©numĂ©rĂ©es plus haut. Capable de rĂ©sister Ă  une pression d'au moins 10 psi (0,7 bar) ou, selon les manuels de l'Ă©poque, Ă  une explosion situĂ©e Ă  « une certaine distance ».
Abri de campagne ou d'urgence
de type « abri anti-retombĂ©es », il est construit par la population lorsqu'une alerte de « menace imminente » est dĂ©clenchĂ©e. CreusĂ© rapidement Ă  flanc de montagne ou dans le sol, il protège temporairement 25 Ă  60 personnes.

Les conditions dans les abris soviĂ©tiques sont spartiates. La surface par occupant est au minimum de 0,5 Ă  0,8 m2 et seuls les abris destinĂ©s Ă  une longue occupation sont Ă©quipĂ©s de lits superposĂ©s de 46 cm de largeur[6].

Aux États-Unis durant les années , les pouvoirs publics n'ont pas trouvé l'intérêt d'une défense civile structurée et organisée au niveau de l'État et concentrent leurs efforts par des campagnes éducatives sur les gestes à tenir en cas d'attaque et à la promotion de l'abri (privé) anti-retombées[8] - [9]. C'est à cette époque que les organismes gouvernementaux consacrés à la protection civile publient un grand nombre d'affiches de sensibilisation[10] et même des films comme le notoire Duck and Cover destiné aux écoles. À la fin de la décennie, l'Office of Civil and Defense Mobilization (en) distribue à plusieurs millions d'exemplaires un livret intitulé The familly fallout shelter (« L'abri familial anti-retombées »). L'ouvrage est destiné à inciter les familles à construire des abris en brique dans leur sous-sol ou en terre dans leurs jardins. Il contient aussi des plans détaillés d'abris à réaliser soi-même ainsi que des conseils allant du contenu de la trousse de premiers secours aux choses à faire pour éviter l'ennui et s'occuper l'esprit[11].

Écoliers accroupis sous leurs bureaux durant un exercice de protection civile en 1962
Enfants d'une Ă©cole de New York pratiquant l'exercice Duck and Cover (1962).
démonstration d'un abri antiatomique lors d'une foire
Tente de la Office of Civil and Defense Mobilization présentant un abri anti-retombée lors d'une foire (1960).

Cette période représente « l'âge d'or » des articles publiés dans les revues et magazines mais aussi des opportunités commerciales. Ainsi, l'Association nationale des fabricants de bois d'œuvre promeut la construction d'abris en bois ; l'Institut américain du fer et de l'acier vante les abris en métal et l'Association nationale de la maçonnerie produit un film (Walt Builds a Family Fallout Shelter) montrant le présentateur d'une célèbre émission de bricolage en train de monter un abri en brique dans son sous-sol[12].

Écriteau indiquant l'entrée d'un abri anti-retombée
Pancarte du Programme d'abri communautaire apposĂ©e aux bâtiments pouvant abriter au moins 50 personnes.

Par ailleurs, en , le « rapport Gaither » conclut que les SoviĂ©tiques avaient pris de l'avance en matière d'armement, mais aussi de protection contre les attaques nuclĂ©aires[13], ce qui incite le prĂ©sident Kennedy Ă  crĂ©er en le Community Shelter Program (« Programme d'abri communautaire ») dont le but est de trouver les moyens d'abriter 180 millions d'AmĂ©ricains. Steuart Pittman, qui fut conseiller en chef du plan Marshall, est chargĂ© de rĂ©aliser l'inventaire de tous les bâtiments publics des États-Unis qui pourraient ĂŞtre convertis en abri et d'en assurer l'approvisionnement (en eau et nourriture) mais il dĂ©missionne en face Ă  l'indiffĂ©rence ou l'hostilitĂ© parfois farouche du public et le refus du Congrès d'allouer un budget supplĂ©mentaire au projet[14]. L'abri civil sera donc individuel et anti-retombĂ©es, tel que l'avait dĂ©clarĂ© en Dwight D. Eisenhower qui ne croyait pas qu'il soit possible de protĂ©ger la population des effets directs des explosions atomiques[12] :

« The National fallout shelter policy is based firmly on the philosophy of the obligation of each property-owner to provide protection on his own premises. »

« La politique nationale de l'abri anti-retombée est fermement fondée sur le principe d'obligation de chaque propriétaire d'assurer la protection de ses propres bâtiments. »

Le nombre d'abris individuels vendus aux États-Unis est estimĂ© Ă  environ 200 000 jusqu'au dĂ©but des annĂ©es 1960, un chiffre Ă  mettre en rapport Ă  la population de cette Ă©poque (environ 180 millions d'habitants)[15]. La « folie du bunker » qui se serait emparĂ©e de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine durant ces annĂ©es est donc Ă  relativiser car Ă  cette Ă©poque, et contrairement Ă  la croyance populaire, les AmĂ©ricains sont, dans l'ensemble, rĂ©calcitrants Ă  toute forme de dĂ©fense civile, mais surtout Ă  l'idĂ©e mĂŞme de l'abri antiatomique[15] - [16]. L'opposition vient d'horizons très variĂ©s, les arguments le sont tout autant : coĂ»ts Ă©levĂ©s, dĂ©faitisme face Ă  l'ennemi, futile Ă  l'heure des bombes thermonuclĂ©aires et de l'ICBM, militarisation de la famille, moyen dĂ©tournĂ© pour rendre une guerre nuclĂ©aire acceptable, jusqu'aux questions existentielles (pourquoi survivre dans un monde dĂ©vastĂ©) et mĂŞme religieuses (p. 43 Ă  50)[16]. De fait, dès sa première annĂ©e en fonction, Steuart Pittman dĂ©plore[14] :

« Je déteste entendre les gens dire qu'ils préféreraient mourir dans une attaque nucléaire plutôt que d'affronter les horreurs de la survie. »

Poste médical, salle de soins. RZSO Pizol, Mels. Suisse, 6 septembre 2019.

Ainsi, dans l'esprit du public, le concept de l'abri antiatomique en tant qu'élément protecteur contre la guerre nucléaire s'est érodé globalement à partir des années mais connaît parfois un regain d'intérêt - pas uniquement en Amérique - au gré des tensions entre les pays détenteurs de l'arme nucléaire, comme dans les années 2010 entre les États-Unis et la Corée du Nord ou lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022[17] - [18] - [19].

Composition d'un abri

Filtres du système de ventilation dans un abri anti-atomique de la protection civile suisse.

Éléments de base

Un abri doit comporter les éléments suivants :

  • RĂ©serves d’eau potable (deux litres par jour et par personne) et de vivres (0,5 kg par jour et personne, prĂ©voir de l'eau complĂ©mentaire si les vivres sont dĂ©shydratĂ©s) [20] pour une durĂ©e minimum de quatorze jours.
  • MĂ©dicaments et trousses de premiers secours avec traitements prĂ©ventifs contre les Ă©ventuels radio-isotopes : comprimĂ©s d'iodure de potassium[21] (KI) ou d'iodate de potassium (KIO3) ou, Ă  dĂ©faut, de bĂ©tadine iodĂ©e en application[22] - [23].
  • Éclairage, avec une grosse provision de piles. Par exemple des lampes Ă  DEL. Les DEL prĂ©sentent l’avantage d’être plus Ă©conomes en Ă©nergie et plus rĂ©sistantes, tout en chauffant peu. L'inconvĂ©nient, c'est que leur Ă©lectronique est nettement moins rĂ©sistante Ă  l'impulsion Ă©lectromagnĂ©tique nuclĂ©aire qu'une ampoule Ă  filament.
  • Un rĂ©cepteur radio afin de connaĂ®tre la conduite Ă  tenir (prĂ©sence de retombĂ©es ? PossibilitĂ© d'Ă©vacuer ? Vers quelles zones ?)[24]. Bien que de moins en moins prĂ©sente, la capacitĂ© Ă  recevoir aussi bien les grandes ondes, ondes moyennes, que les ondes courtes est un plus indĂ©niable. En France, par exemple, en cas de catastrophe nationale, l’émetteur d’Allouis Ă©tait, avant son arrĂŞt en 2016, l’émetteur officiel pour obtenir des informations sur la frĂ©quence 162 kHz en modulation d’amplitude. De plus, après une explosion nuclĂ©aire, les stations radio Ă  proximitĂ©, majoritairement dans le spectre VHF, peuvent ĂŞtre momentanĂ©ment ou dĂ©finitivement indisponibles du fait de l’impulsion Ă©lectromagnĂ©tique nuclĂ©aire accompagnant l’explosion nuclĂ©aire. La zone d’impact peut, selon certains scĂ©narios, s’étendre sur un rayon de plusieurs milliers de kilomètres. Dans cette situation, seules les Ă©missions radio lointaines seront encore en fonction, d’oĂą les spectres radio citĂ©s ci-dessus. Le rĂ©cepteur lui-mĂŞme peut Ă©ventuellement ĂŞtre endommagĂ© par l’IEM s’il n’est pas protĂ©gĂ© par une cage de Faraday.
  • Une grosse rĂ©serve de sacs plastique Ă©tanches (type sac poubelle) et de l’adhĂ©sif. En raison du risque des retombĂ©es les premiers jours, il vaut mieux stocker les dĂ©chets Ă  l’intĂ©rieur de l’abri. Cela permet aussi d'improviser avec un seau des toilettes de fortune. De mĂŞme, en cas de dĂ©cès d'un des occupants, les sacs plastiques et adhĂ©sifs permettent de disposer du corps jusqu'Ă  ce que la dĂ©croissance de la radioactivitĂ© permette de sortir[24].
  • Des vĂŞtements de rechange et adaptĂ©s Ă  diffĂ©rentes saisons.
  • Des bottes laissĂ©es Ă  l'entrĂ©e de l’abri de façon Ă  ne pas rapporter de poussière radioactive lors des sorties.
  • Moyens de couchage ; du simple matelas gonflable ou sac de couchage au lit Ă  sommier avec matelas et couvertures.
  • Divertissements (jeux de carte, livres, etc.).

Éléments complémentaires

Sortie de secours d'un abri anti-atomique de protection civile.

Il est conseillé qu'un abri soit équipé des éléments suivants pour un séjour plus long ou pour s'y abriter plus confortablement :

  • Système de chauffage.
  • Combinaisons impermĂ©ables et Ă©quipements pour les sorties hors de l'abri, exemple un compteur Geiger et système de protection respiratoire individuel.
  • Douche de dĂ©contamination, conseillĂ©e pour les sorties hors de l'abri, afin d'Ă©viter d'introduire des particules radioactives en rentrant Ă  l'intĂ©rieur de l'abri. La douche se prĂ©sente gĂ©nĂ©ralement sous la forme d'une douche classique et le principe consiste Ă  faire couler de l'eau sur la personne ou les objets Ă  dĂ©contaminer. Les particules radioactives sont Ă©vacuĂ©es avec l'eau en coulant. La douche doit ĂŞtre placĂ©e Ă  l'extĂ©rieur de l'abri, le plus commode Ă©tant dans un sas d'entrĂ©e. L'eau ainsi contaminĂ©e doit ĂŞtre Ă©vacuĂ©e vers l'extĂ©rieur.
  • Système sanitaire, par exemple une douche Ă  pompe en circuit fermĂ© (un rĂ©servoir de 20 litres d'eau par personne).
  • Toilettes, par exemple des toilettes chimiques avec rĂ©cupĂ©rateur d'eau (les seuls dĂ©chets sont alors de l'acide urique solide et des excrĂ©ments dĂ©shydratĂ©s).
  • Système de traitement de l'eau.
  • Énergie et si possible un moyen de la renouveler, par exemple un ou plusieurs accumulateurs Ă©lectriques et un gĂ©nĂ©rateur Ă©lectrique.
  • Moyen de tĂ©lĂ©communication, un Ă©metteur radio par exemple.

Protection

Un abri antiatomique n'est pas nécessairement enfoui profondément dans le sol, il n'a pas nécessairement des murs de plusieurs mètres d'épaisseur ni une lourde porte blindée. Il doit au minimum offrir une protection contre les effets mortels d'une explosion nucléaire. À ce titre, une simple construction de quelques mètres carrés, éventuellement sous la surface du sol et ayant des cloisons n'offrant qu'une épaisseur de quelques dizaines de centimètres, peut, suivant les scénarios, être relativement efficace, notamment lorsqu'elle est équipée d'un système de filtration de l'air entrant.

Les abris construits avec des cloisons de forte épaisseur ne se justifient qu'en cas de frappe directe, ils sont bien souvent destinés à un usage militaire. Les abris destinés aux civils ne sont généralement pas autant renforcés, à moins d'être situés à proximité de cibles potentielles (base militaire, grande ville, raffinerie, zone industrialo-portuaire, etc.).

L'énergie soudainement dégagée par une explosion nucléaire a plusieurs effets, la moitié prenant la forme d'un souffle puissant avec effet de surpression atmosphérique, le reste étant partagé par le dégagement d'énergie thermique (35 %) et de radiation (15 %)[25]. Par ailleurs, la capacité de destruction d'une arme atomique dépend de plusieurs facteurs tels que l'altitude à laquelle elle explose, sa puissance (exprimée en kt ou Mt), la distance entre l'explosion et la population, mais aussi d'autres facteurs comme la météo au moment et après la déflagration.

Par conséquent, un abri antiatomique peut prendre plusieurs formes, de la simple tranchée à la casemate enterrée profondément ; en fonction des effets et du « scénario » envisagé.

Contre les effets mécaniques

La conception la plus efficace contre les effets mĂ©caniques d'une explosion nuclĂ©aire, (principalement le souffle) est de placer l'abri sous la surface du sol. En effet, alors que l'onde de choc est principalement propagĂ©e dans l'air, elle est relativement mieux absorbĂ©e par le sol[26]. Ă€ titre d'exemple, le complexe militaire de Cheyenne Mountain, aux États-Unis, est creusĂ© dans une montagne, sous 600 m de granite, et ses structures sont montĂ©es sur des ressorts afin d'absorber les secousses sismiques, qu'elles soient naturelles ou provoquĂ©es par une explosion nuclĂ©aire[27]. Au Canada, le Diefenbunker près d'Ottawa est enterrĂ© sous 22 m de terre et devait rĂ©sister Ă  une explosion nuclĂ©aire de cinq mĂ©gatonnes Ă  moins de deux kilomètres[28].

La qualité mécanique d'un abri est évaluée selon sa capacité à résister à l'onde de choc, c'est-à-dire à la surpression engendrée par une explosion. La plupart des bâtiments civils en surface étant détruits lorsqu'ils subissent une pression de cinq à dix psi (0,35 à 0,7 bar), on estime qu'un abri antiatomique devrait être en mesure de résister à une pression supérieure[4].

abri en béton armé détruit par le souffle d'une explosion nucléaire.
Une des structures en béton armé détruite par l'onde de choc de l'essai Priscilla (États-Unis, 24 juin 1957)

La rĂ©sistance Ă  l'onde de choc d'une dizaine de structures est testĂ©e lors d'un essai nuclĂ©aire de 37 kt dans le cadre de l'opĂ©ration Plumbbob. Cinq de ces structures sont construites en forme de dĂ´me en bĂ©ton armĂ© de quinze mètres de diamètre, d'une Ă©paisseur de plus de 15 cm (in) pour le Projet 30.1 de l'OCDM (en) et de 61 cm (24 in) pour le Projet 3.6 de l'armĂ©e de l'air (p. 5)[29]. PlacĂ©s Ă  environ 360 m, 490 m et 620 m de l'explosion afin de les soumettre Ă  une pression de respectivement 70, 35 et 20 psi (4,8 , 2,4 et 1,4 bar), seuls les deux abris du Projet 30.1 les plus proches de la dĂ©tonation sont dĂ©truits (p. 34 et 70)[29] :

RĂ©sistance des dĂ´mes en bĂ©ton lors de l'essai nuclĂ©aire Priscilla de 37 kt
Pression (psi) Pression

(bar)

Distance de l'explosion (m)Épaisseur des murs (cm)Observations
70 4,836015DĂ©truit
70 4,836061Joints de fondation déplacé de plus d'un millimètre ; fissures fines dans la structure.
35 2,449015DĂ©truit
35 2,449061Joints de fondation déplacés de plus d'un millimètre.
20 1,462015Aucun dommage.

MĂŞme lorsqu'un abri de surface est structurellement intact, les rĂ©sultats ci-dessus ne prĂ©sument pas de la capacitĂ© des occupants potentiels Ă  survivre aux autres effets d'une explosion nuclĂ©aire. Durant ce mĂŞme essai, le Projet 3.1 consiste Ă  Ă©valuer les effets de l'explosion (Ă  213 m d'altitude) sur quatre structures en bĂ©ton enterrĂ©es pour l'occasion. La paroi des abris a une Ă©paisseur de 20 cm et un toit en forme d'arc dont la partie haute est situĂ©e Ă  1,5 m sous la surface, le plancher Ă©tant Ă  trois mètres sous la surface (p. 18)[30]. Les quatre abris situĂ©s Ă  une certaine distance de l'explosion afin de les soumettre Ă  des pressions de l'onde de choc de 56, 124 et 199 psi (3,9, 8,6 et 13,8 bars) ont rĂ©sistĂ© au choc, bien que les parois montrent de nombreuses fissures (p. 5)[30]. La surprise des scientifiques est de dĂ©couvrir que la pression exercĂ©e par le sol au moment de l'explosion est par endroits supĂ©rieure Ă  celle constatĂ©e en surface et, dans le sens horizontal, bien supĂ©rieure Ă  ce qui Ă©tait anticipĂ© (p. 83)[30]. Par ailleurs, le plancher de la structure soumise Ă  une pression de 199 psi (13,8 bars) a subi une accĂ©lĂ©ration de plus de 13 g, ce qui reprĂ©senterait un danger pour les occupants (p. 5)[30].

L'abri rectangulaire français après l'explosion
L'abri rectangulaire dit structure II-1 après l'explosion. Le bâtiment a souffert de dégâts mineurs, mais ses conduits d'aération ont été soufflés par l'onde de choc de l'essai Smoky (Nevada, août 1957).

Toujours dans le cadre de l'opĂ©ration Plumbbob, l'essai Smoky du de 43 kt Ă  213 m d'altitude permet d'Ă©valuer la rĂ©sistance de cinq structures souterraines de conception française[note 1], dont deux abris antiatomiques complets (système de ventilation, portes et valves anti-souffle, gĂ©nĂ©rateur Ă©lectrique) (p. 5-6 et 19)[31]. L'un est rectangulaire et l'autre cylindrique, rĂ©alisĂ© grâce Ă  douze anneaux de bĂ©ton prĂ©fabriquĂ©s maintenus en tension par la mĂ©thode Freyssinet (p. 20-22)[31].

Description technique des deux abris français Ă©valuĂ©s lors de l'essai Smoky de 43 kt
DésignationDimensions (m)CapacitéÉpaisseur des murs (cm)Couverture de terre (m)
Structure II-1 - rectangulaire15 x 4 x 3,4550 personnes601,20
Structure II-2 - cylindrique6 x ⌀ 2,5032 personnes25 (cylindres)1,45
Construction d'un abri antiatomique en anneaux cylindriques de béton
L'abri aux anneaux de béton, dit « structure II-2 », un des cinq testés par les Français lors de l'essai nucléaire Smoky dans le Nevada (1957).

Les abris, situĂ©s Ă  environ 300 m du point de l'explosion (p. 30)[31], subissent une surpression extĂ©rieure d'environ 118 Ă  132 psi (8,1 Ă  9,1 bars) due Ă  l'onde de choc, soit bien moins que la pression maximum de 147 psi (10,1 bars) pour laquelle ils sont conçus (p. 142)[31]. Ils ont plutĂ´t bien rĂ©sistĂ© au choc et mĂŞme si de nombreuses fentes sont apparues dans les murs, seuls les anneaux en bĂ©ton de la structure II-2 ont Ă©tĂ© lourdement endommagĂ©s ; leurs segments supĂ©rieurs ont Ă©tĂ© laminĂ©s et enfoncĂ©s de presque deux centimètres au point le plus atteint (p. 64 et 142-143)[31]. Si les dommages de la structure cylindrique n'ont pas provoquĂ© l'effondrement de l'abri, dix-neuf des vingt souris prĂ©sentes ont Ă©tĂ© retrouvĂ©es mortes (p. 71)[31] (afin de tester les effets de l'explosion sur l'organisme, vingt souris sont dĂ©posĂ©es dans chacune des cinq structures testĂ©es par les Français lors de cet essai nuclĂ©aire). Enfin, dans le rapport rĂ©alisĂ© après l'essai, il est soulignĂ© que malgrĂ© la valeur des donnĂ©es obtenues, les effets des « petites armes nuclĂ©aires » sont diffĂ©rents de ceux des « grandes armes thermonuclĂ©aires » et que l'environnement physique du site d'essai du Nevada n'est pas typique de la plupart des zones peuplĂ©es (p. 144)[31].

Ă€ la fin des annĂ©es 1970, dans une première Ă©dition de son cĂ©lèbre document Nuclear War Survival Skills (en) (compĂ©tences de survie Ă  la guerre nuclĂ©aire), Cresson Kearny (en) prĂ©sente les plans et les techniques pour construire Ă  peu de frais un abri antiatomique enterrĂ© sous plus de 1,80 m de terre et pouvant rĂ©sister, selon lui, Ă  une pression de 50 psi (3,5 bars)[32]. Toujours selon Kearny, il serait possible, mĂŞme avec un abri enterrĂ©, rĂ©alisĂ© en rondins de bois et rĂ©sistant Ă  15 psi (1 bar) ; de survivre Ă  une explosion de Mt Ă  une distance d'un peu plus de 3,5 km[32].

Le point faible d'un abri est constitué par sa porte d'entrée, qui devra être tout aussi résistante à l'effet de souffle que le reste de la structure. Elle ne devra pas être positionnée « en cul-de-sac », à la fin du couloir d'accès, mais parallèlement à celui-ci afin que l'onde de choc « glisse » sur la porte plutôt que la frappe de plein fouet. L'idéal étant que l'ouverture de l'abri soit réalisée verticalement (de l'abri vers la surface), ce qui élimine le besoin d'un couloir d'accès tout en donnant à la porte un profil bas face à l'effet de souffle[33]. Dans les années 1980, le Corps du génie de l'armée des États-Unis a réalisé un essai sur une porte anti-souffle qui résista à un pic de pression de 159 psi (11 bars) en son centre, ce qui, pour les ingénieurs, signifiait qu'elle pourrait résister sans problème à une explosion nucléaire de Mt à 50 psi (3,5 bars)[34].

La littĂ©rature Ă©voque souvent des valeurs de 15 et 50 psi (1 et 3,5 bars), non sans raison. 15 psi (1 bar) est le seuil Ă  partir duquel il est observĂ© de sĂ©rieux dommages aux poumons et 50 psi (3,5 bars) provoque la mort de la moitiĂ© de la population exposĂ©e Ă  ce niveau de pression[35]. C'est aussi une garantie de destruction des bâtiments en surface, y compris ceux en bĂ©ton armĂ© (une surpression de cet ordre provoque des vents d'une vitesse pouvant aller jusqu'Ă  près de 1 500 km/h)[36] et, Ă©ventuellement, endommage gravement les structures souterraines[37].

L'abri souterrain semble en thĂ©orie offrir la meilleure protection contre une onde de choc et, par le fait mĂŞme, contre les autres effets d'une explosion nuclĂ©aire, il peut cependant ĂŞtre gravement endommagĂ© ou totalement dĂ©truit si l'explosion est suffisamment puissante et proche de la surface, Ă  plus forte raison si l'abri n'est pas enterrĂ© profondĂ©ment. Si la plupart des bombes nuclĂ©aires sont prĂ©vues pour exploser en altitude, souvent Ă  plus de 1 000 m, afin de maximiser l'effet de souffle en surface, une explosion nuclĂ©aire au sol a gĂ©nĂ©ralement pour but de dĂ©truire un abri ou complexe souterrain[26] - [4].

Contre les radiations thermiques

35 % de l'Ă©nergie dĂ©gagĂ©e par une explosion est constituĂ©e de radiations thermiques susceptibles de causer des brĂ»lures de la peau et d'enflammer les matĂ©riaux secs et lĂ©gers (papier, carton) et les liquides inflammables (carburants) sur une distance relativement Ă©levĂ©e Ă  partir du lieu de la dĂ©tonation d'une bombe nuclĂ©aire. Cependant, cette distance dĂ©croĂ®t rapidement ; prĂ©cisĂ©ment Ă  l'inverse du carrĂ© de la distance Ă  partir de l'explosion ; ainsi, Ă  3,2 km du point central de la dĂ©tonation, l'Ă©nergie thermique reçue n'est que le quart de celle Ă  1,6 km[38]. Les effets du rayonnement thermique seront aussi attĂ©nuĂ©s si l'explosion a lieu au-dessus de la couche nuageuse ou lorsque la visibilitĂ© est rĂ©duite Ă  cause de la pluie, du brouillard et mĂŞme de la pollution atmosphĂ©rique. En d'autres termes, plus le temps est sec et la visibilitĂ© importante, plus l'onde de chaleur pourra se propager loin[38].

Se protĂ©ger du rayonnement de chaleur nĂ©cessite simplement d'ĂŞtre dans un abri (maison) ou derrière un Ă©cran quelconque (mur). Si le flux thermique prĂ©sente un niveau d'Ă©nergie Ă©levĂ© (plus de 1 000 W/cm2, Ă  comparer Ă  0,14 W/cm2 exposĂ© au soleil), son effet est relativement court dans le temps, de l'ordre du dixième de seconde Ă  plusieurs secondes, selon la puissance de la bombe[39]. Par consĂ©quent, un mur en bois d'au moins 13 mm et peint en blanc de façon Ă  reflĂ©ter la chaleur est suffisant pour se protĂ©ger de l'onde de chaleur, ainsi que le montre la cĂ©lèbre sĂ©quence de la maison en bois filmĂ©e lors d'un essai atomique en dans le dĂ©sert du Nevada : la façade carbonise mais ne s'enflamme pas[40] - [note 2].

  • Effet du rayonnement thermique de l'explosion atomique sur la maison n°1
  • Les radiations thermiques carbonisent la façade de la maison
    Le rayonnement thermique de l'explosion carbonise la façade de la maison et le poteau, mais ne les enflamme pas.
  • Effet de l'onde de choc de l'explosion sur la maison
    L'onde de choc juste après le rayonnement thermique dissipe les fumées et laisse apparaître la façade carbonisée.

L'explosion d'une bombe de Mt peut provoquer, jusqu'Ă  une distance de 12 km, des brĂ»lures au troisième degrĂ© sur les personnes qui ne sont pas adĂ©quatement protĂ©gĂ©es par un abri[39]. Ă€ Hiroshima et Nagasaki, les brĂ»lures ont Ă©tĂ© subies Ă  une distance considĂ©rablement plus grande des explosions que tout autre type de blessure ; jusqu'Ă  plus de km Ă  Nagasaki alors que la bombe n'Ă©tait « que » d'une puissance d'environ 21 kt[41]. Cependant, chercher Ă  se protĂ©ger contre l'effet thermique est Ă©videmment futile si l'onde de choc (qui vient juste après) dĂ©truit l'abri : Ă  Hiroshima, la population qui Ă©tait dans une maison en bois a souffert de blessures dues Ă  l'onde de choc dans un rayon bien plus grand que les blessures dues aux radiations thermiques[42].

Contre les rayonnements

Il convient de distinguer deux formes d'irradiations consécutives aux explosions nucléaires[43]. Elles n'ont pas la même intensité, ne se produisent pas au même moment et nécessitent donc des approches différentes pour s'en protéger :

  1. l'irradiation spontanée relative au rayonnement intrinsèque à la détonation
  2. l’irradiation due aux retombées radioactives éventuelles

Irradiation spontanée

Des rayons gamma et des neutrons sont Ă©mis instantanĂ©ment lors de la dĂ©tonation[44]. Leur « durĂ©e de vie » est courte (de l'ordre de la minute) mais ils voyagent loin, sont très pĂ©nĂ©trants et peuvent, pour une explosion de Mt Ă  près de 1,5 km, provoquer la mort de personnes entourĂ©es par des murs en bĂ©ton de 60 cm (p. 324-325)[45].

La relation entre la dose de rayonnement reçue et la distance est la même que celle du rayonnement thermique ; c'est-à-dire inversement proportionnelle au carré de la distance par rapport à l'explosion (p. 333)[45].

Ă€ distance plus raisonnable de la dĂ©tonation, seules d'Ă©paisses parois aux matĂ©riaux très denses comme le plomb ou le fer permettent de se protĂ©ger efficacement du rayonnement gamma et, dans une moindre mesure, des neutrons. Les parois constituĂ©es de terre, de sable humide, d'argile ou de bĂ©ton sont aussi d'excellents matĂ©riaux mais doivent ĂŞtre d'une plus grande Ă©paisseur. Plus un abri est enterrĂ© profondĂ©ment, plus il protège des rayonnements. Ainsi, 15 cm de terre multiplient le facteur de protection par douze, comparativement Ă  une exposition hors abri. Chaque couche d'argile ou de sable, plus dense, peut offrir jusqu'Ă  66 % de protection supplĂ©mentaire contre les rayonnements par rapport Ă  une couche de terre de mĂŞme Ă©paisseur[46].

En thĂ©orie, il est possible pour une Ă©paisseur donnĂ©e d'Ă©valuer l'efficacitĂ© d'un blindage en termes d'attĂ©nuation du rayonnement en utilisant la règle « du dixième de valeur ». Ainsi, pour une source initiale de 500 rads, l'Ă©paisseur d'un blindage quelconque diminue le niveau de rayonnement jusqu'Ă  environ 50 rads puis Ă  5 rads en ajoutant une Ă©paisseur supplĂ©mentaire de blindage de mĂŞme nature. Dans la pratique, la nature complexe d'une explosion nuclĂ©aire fait que ce calcul n'a pu ĂŞtre rĂ©alisĂ© qu'Ă  l'aide d'ordinateurs et quelques ordres de grandeur ont pu ĂŞtre avancĂ©s ; ci-dessous exprimĂ©s en centimètres (p. 336 Ă  337)[45] :

illustration de la capacité des rayons ionisants à traverser différents matériaux
Capacité des différents rayons ionisants à traverser les matériaux.
Épaisseurs du « 1/10 de valeur » en fonction des matériaux (en cm)
Matériauxgammaneutrons
Acier7,610,1
BĂ©ton2840,5
Terre40,661

En prenant l'exemple du bĂ©ton, les rĂ©sultats montrent que chaque nouvelle couche de 28 cm fera baisser le niveau de rayonnement gamma jusqu'au dixième de la valeur initiale (ou celle mesurĂ©e après la couche prĂ©cĂ©dente).

Notons qu'il faudra une Ă©paisseur 50 % plus importante afin d'obtenir une baisse de mĂŞme ampleur du flux de neutrons. Cette composante du rayonnement est celle qui pose le plus de difficultĂ©, car les neutrons très rapides doivent d'abord ĂŞtre ralentis Ă  un niveau « modĂ©rĂ©ment rapide » Ă  l'aide d'un blindage contenant du fer. Ensuite, ces neutrons devront Ă  nouveau ĂŞtre ralentis Ă  l'aide d'une matière constituĂ©e d'Ă©lĂ©ments lĂ©gers comme l'eau, d'oĂą la prĂ©sence de piscine dans les centrales nuclĂ©aires. Le problème qui survient alors est que ce processus de « capture de neutrons » s'accompagne d'une Ă©mission de rayons gamma qu'il conviendra donc de neutraliser Ă  son tour (en d'autres termes, le barrage anti-neutrons Ă©met lui-mĂŞme des rayons gamma). Un bon compromis sera un abri rĂ©alisĂ© avec des murs de terre humide ou de bĂ©ton ; ces matĂ©riaux contenant une grande proportion d'hydrogène (Ă©lĂ©ment lĂ©ger contre les neutrons), ainsi que d'oxygène contre les rayons gamma. Ainsi, construire un abri avec des murs en bĂ©ton de 30 cm peut ralentir d'un facteur 10 le flux de neutrons Ă©manant d'une explosion nuclĂ©aire, et en y ajoutant une grande proportion de limonite (oxyde de fer), seulement 18 cm seront nĂ©cessaires pour atteindre le mĂŞme rĂ©sultat (p. 346-348)[45].

Le niveau de protection que permettent différents matériaux peut être donné sous la forme d'un ratio qui représente la dose de radiations reçue derrière un blindage par rapport à celle reçue au même endroit sans protection adéquate. Étant donné la complexité des calculs (et des contextes) en jeu, les valeurs de ce « ratio de transmission de dose » sont des estimations représentées par des plages (p. 348-349)[45].

Facteur de transmission de doses pour différentes structures
Structuregammaneutrons
91 cm sous terre0,002-0,0040,002-0,01
Maison Ă  ossature en bois0,8-10,3-0,8
Sous-sol0,1-0,60,1-0,8
Appartement (Ă©tages du bas)0,3-0,60,3-0,8
Abri en bĂ©ton, murs de 23 cm0,1-0,20,3-0,5
Abri en bĂ©ton, murs de 30 cm0,05-0,10,2-0,4
Abri en bĂ©ton, murs de 61 cm0,007-0,020,1-0,2
Abri en partie au-dessus du niveau du sol, couvert de 61 cm de terre0,03-0,070,02-0,08
Abri en partie au-dessus du niveau du sol, couvert de 91 cm de terre0,007-0,020,01-0,05

Retombées radioactives

Les retombées sont constituées d'une poussière fine, à l'aspect de cendre, mais aussi souvent invisibles car pouvant être microscopiques. Elles sont constituées par des particules radioactives issues de l'explosion nucléaire, dont les débris de la bombe, des produits de fission ainsi que des débris du sol si la détonation a lieu en surface. Il y a très peu de retombées radioactives dangereuses à court terme si l'explosion a lieu à une altitude suffisamment élevée pour que la boule de feu n'atteigne pas le sol[47].

Dans le cas contraire, c'est-Ă -dire si l'explosion a lieu proche du sol, les retombĂ©es peuvent ĂŞtre localement importantes en termes de quantitĂ© et de dangerositĂ©. Il est toutefois difficile d'Ă©valuer les risques avec prĂ©cision puisque de nombreux facteurs entrent en jeu, tels que la nature du sol, les conditions mĂ©tĂ©orologiques pendant et après la dĂ©tonation ainsi que la puissance de la bombe ; cette variable est dĂ©terminante au regard de l'Ă©tendue gĂ©ographique des retombĂ©es, notamment en ce qui concerne les Ă©lĂ©ments Ă  longue vie comme le cĂ©sium 137 ou le strontium 90 qui persistent des annĂ©es après l'explosion[48]. Par exemple, il a Ă©tĂ© calculĂ©, en considĂ©rant des vents soufflant Ă  24 km/h de façon stable, qu'une explosion atomique de Mt sur DĂ©troit provoquerait un panache radioactif qui s'Ă©tendrait sur près de 400 km (pour une trentaine de kilomètres de largeur) et que les deux premiers tiers de cette surface seraient dangereusement contaminĂ©s durant une dizaine d'annĂ©es et deux Ă  trois ans pour le dernier tiers le plus Ă©loignĂ©[49].

Les abris antiatomiques destinés aux opérations militaires jugées cruciales et aux gouvernements sont généralement conçus dans le cadre de la continuité du gouvernement et, par conséquent, sont techniquement équipés pour fonctionner durant plusieurs jours ou plusieurs mois en autonomie complète (vivres, eau, énergie) et possèdent des systèmes de filtration d'air ou de surpression afin de minimiser, voire empêcher, l'introduction de particules radioactives.

Pour la population civile, le rôle de l'abri anti-retombées ne s'inscrit pas dans la durée. Si le niveau local de radioactivité décroît très rapidement après l'explosion[50], le principal objectif d'un abri anti-retombées est plutôt de fournir une protection temporaire avant une éventuelle évacuation. Suivant le principe de « la dose évitée plutôt que la dose projetée », évacuer un abri ne veut pas dire que la radioactivité extérieure est alors descendue à un niveau sans danger pour la population mais, selon les estimations de l'AIEA, les inconvénients à rester dans un abri plus de 24 heures peuvent surpasser les avantages initiaux puisque les poussières radioactives finiront par pénétrer les bâtiments[51].

Là encore, l'abri le plus adéquat est constitué de briques ou de béton. L'idée étant d'être le plus loin possible de l'extérieur ; les sous-sols ou les appartements situés au milieu d'un immeuble résidentiel offrent la meilleure protection[52].

Contre les effets d'impulsion électromagnétique

Une détonation nucléaire produit une onde de choc électromagnétique pouvant se propager sur de grandes distances et suffisamment puissante pour endommager, ou même détruire, les dispositifs électriques comme les câbles et les transformateurs ainsi que tout appareil électronique comme les ordinateurs ou les postes de radio qui se comportent alors comme autant d'antennes réceptrices de l'onde électromagnétique[53] - [54].

Contrairement aux autres types d'ondes ou radiations émises lors d'une explosion nucléaire, ni la profondeur ni l'épaisseur des murs de l'abri ne sont en mesure de protéger les appareils et les circuits électriques contre les surtensions provoquées par les trois types d'IEM[55] induites par une explosion nucléaire. Essentiellement, les meilleurs gestes sont de déconnecter les appareils du réseau électrique (mesure contre le type E3 des IEM) et de conserver les plus importants, notamment les récepteurs radio, dans une cage de Faraday (contre le type E1)[56].

Il est toutefois nĂ©cessaire de souligner que les dĂ©gâts causĂ©s par les impulsions Ă©lectromagnĂ©tiques sont d'autant plus probables et importants que l'explosion a lieu Ă  très haute altitude (HEMP), entre 40 et 400 km, c'est-Ă -dire Ă  une distance telle que les autres effets de l'explosion (souffle, radiation et chaleur) n'ont aucun effet au sol[57]. Dans le cadre d'une explosion nuclĂ©aire plus proche de la surface terrestre (SREMP), l'impulsion Ă©lectromagnĂ©tique est considĂ©rablement rĂ©duite et ne dĂ©passe pas de façon significative la zone des dĂ©gâts causĂ©s par les autres effets de la dĂ©tonation. En d'autres termes, si l'abri est suffisamment Ă©loignĂ© du lieu de l'explosion pour que ses occupants survivent Ă  l'onde de choc, Ă  la chaleur et aux radiations, les IEM ne sont pas un facteur d'inquiĂ©tude[58].

Emplacement

Les abris publics peuvent être aux étages intermédiaires de certains bâtiments de grande hauteur, ou bien au sous-sol dans la plupart des cas. Les bâtiments en surface avec des murs et des toits suffisamment denses pour offrir un facteur de protection significatif peuvent être utilisés comme abri contre les retombées. L’épaisseur des étages supérieurs doit former un bouclier efficace et les fenêtres de la zone abritée ne doivent pas voir un sol recouvert de retombées qui est plus proche de 1,5 km.

L’une des solutions de la Suisse est d’utiliser des tunnels routiers traversant les montagnes, certains de ces abris pouvant protéger des dizaines de milliers de personnes[59].

DĂ©fense passive par pays

Le taux de place par habitant dans un abri antiatomique varie dans le monde de 0 % Ă  plus de 100 %.

Panneau international de la sécurité civile.

Les équipements de protection civile sont également particulièrement répandus en Chine, en Corée du Sud, à Singapour et en Inde, avec des taux de couverture nationale n'allant pas au-delà de 50 %. Toutefois, en Chine et en Inde, ces constructions ne répondent pas toujours aux exigences minimales d'un abri antiatomique.

Allemagne

En Allemagne, le taux de place par habitant dans un abri antiatomique est de 3 %[60]. En mars 2022, il y avait un total de 599 abris publics en Allemagne pouvant accueillir 487 598 personnes. Sur près de 600 abris, 220 sont situés dans le Bade-Wurtemberg et 156 en Bavière. À l’exception de Berlin, il n’y a pas de refuges dans les nouveaux Länder[61].

Le gouvernement allemand a déclaré que de nombreuses stations de métro, parkings souterrains et sous-sols offrent une « bonne protection de base[62] ».

Autriche

En Autriche ce taux atteint les 30 % mais la plupart des abris ne sont pas équipés d'un système de ventilation.

Belgique

Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreux Belges ont désiré faire l'acquisition d'un abri antiatomique[63].

Bosnie

Entre et , le gouvernement de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rative socialiste de Yougoslavie a fait construire près de Konjic, un abri militaire nommĂ© ARK. Cet abri occupe un espace de 6 500 m2 et se compose de 12 blocs reliĂ©s. Il dispose de zones rĂ©sidentielles, de salles de confĂ©rence, de bureaux, de salles de planification stratĂ©gique. La construction et l’existence de ce bunker ont Ă©tĂ© gardĂ©es secrètes jusque dans les annĂ©es 1990[64].

Canada

Dans les années et , le gouvernement canadien a fait construire une série d'abris antiatomique destinées à assurer la continuité gouvernementale. Les plus grands de ces refuges sont communément appelés Diefenbunkers, un surnom venant du nom du premier ministre de l'époque, John Diefenbaker, qui a autorisé leur construction[65]. Démilitarisé à la fin de la Guerre froide, le Diefenbunkers a rouvert sous la forme d'un musée en [66].

Corée du Sud

La Corée du Sud a un important réseau d'abris antiaériens pour faire face à la menace conventionnelle et, depuis les années 2000, nucléaire que fait peser la Corée du Nord depuis la guerre entre ces deux pays entre 1950 et 1953.

En , elle dispose de 17 501 abris dont 3 321 installations d'Ă©vacuation de la sĂ©curitĂ© civile tels que stations de mĂ©tro et abris dans les immeubles de bureaux et bâtiments officiels ayant une superficie totale de 23,69 km2 pour la seule ville de SĂ©oul[67].

États-Unis

Durant la guerre froide, les États-Unis ont construit de nombreux abris destinés à protéger des installations militaires cruciales et à assurer la continuité du gouvernement. Par exemple, le projet Cheyenne Mountain.

Un ingénieur du nom de Jay Swayze a présenté, lors de la foire internationale de New York 1964-1965, une maison appelée l’Underground World Home[68], une maison souterraine conçue comme un grand bunker souterrain.

Une radio alimentée par batterie peut être utile pour obtenir des rapports sur les modèles de retombées et le dégagement. Cependant, la radio et d’autres équipements électroniques peuvent être désactivés par impulsion électromagnétique. Par exemple, même au plus fort de la guerre froide, la protection EMP n’avait été achevée que pour 125 des quelque 2 771 stations de radio du système de radiodiffusion d’urgence des États-Unis. En outre, seuls 110 des 3 000 centres d’opérations d’urgence existants avaient été protégés contre les effets de l’EMP[69]. Le système de radiodiffusion d’urgence a depuis été supplanté aux États-Unis par l'Emergency Alert System.

Le manuel Nuclear War Survival Skills propose une liste de fournitures intiltulée « Préparations minimales avant la crise ». Elle comprend :

  • une ou plusieurs pelles ;
  • un pic ;
  • une scie Ă  arc avec une lame supplĂ©mentaire ;
  • un marteau ;
  • un film de polyĂ©thylène de 0,1 mm ;
  • du matĂ©riel de bricolage de base (clous, fils, etc.) ;
  • une pompe de ventilation d’abri faite maison (un KAP) ;
  • de grands rĂ©cipients pour l’eau ;
  • une bouteille d’eau de Javel ;
  • un ou deux KBM (compteurs de retombĂ©es Kearny) ;
  • un approvisionnement d’aliments compacts et non pĂ©rissables pour 2 semaines (minimum) ;
  • un poĂŞle portatif efficace ;
  • des allumettes en bois dans un rĂ©cipient Ă©tanche ;
  • les contenants et ustensiles essentiels pour l’entreposage, le transport et la cuisson des aliments ;
  • un système de toilettes sèches ;
  • des tampons ;
  • des moustiquaires ;
  • des appâts Ă  mouches ;
  • tout mĂ©dicament spĂ©cial dont les membres de la famille ont besoin ;
  • iodure de potassium pur ;
  • un compte-gouttes pour les mĂ©dicaments ;
  • une trousse de premiers soins ;
  • un tube de pommade antibiotique ;
  • des bougies Ă  longue combustion (avec de petites mèches) suffisantes pour au moins 14 nuits ;
  • une lampe Ă  huile ;
  • une lampe de poche et des piles supplĂ©mentaires ;
  • une radio Ă  transistor avec des piles supplĂ©mentaires et une boĂ®te en mĂ©tal pour la protĂ©ger des impulsions Ă©lectromagnĂ©tiques.

Finlande

En Finlande le nombre de places protĂ©gĂ©es est de 3,4 millions, soit un taux de couverture de 70 %.

France

La France compte environ 1 000 abris antinucléaire, dont 600 abris militaires et 300 à 400 abris privés. Le taux de protection nucléaire est ainsi proche de 0 %[2].

Certains bâtiments publics disposent d'abris atomiques, tels que la préfecture d’Avignon[70].

Israël

En Israël, les deux tiers de la population peuvent trouver refuge dans les abris du pays. Mais ces abris ne sont, pour l'essentiel, pas étanches et n'ont pas vocation à être des abris antiatomique[60].

Suède

Au temps de la guerre froide, le gouvernement suédois craint une attaque nucléaire contre le pays et a, du reste, pour ambition la construction de sa propre bombe atomique. Or, il n'y a que peu d'abris antiatomiques à Stockholm. Dans le même temps, la capitale manque de places de stationnement pour accueillir un nombre toujours croissant de véhicules à moteur.

C'est ainsi que, dans les annĂ©es et , voient le jour Ă  Stockholm plusieurs grands abris antiatomiques destinĂ©s Ă  la population civile, qui sont utilisĂ©s en temps de paix comme parkings souterrains. Il s'agit, par exemple, de l'abri de Klara (superficie 6 650 m2) et de l'abri de Johannes (sv) (superficie 7 400 m2). Avec ses 15 900 m2, l'abri de Katarinaberget inaugurĂ© en 1957 et toujours en activitĂ© en est toutefois le plus grand de tous[71].

Des installations de taille plus modeste sont Ă©galement crĂ©Ă©es, et ce sont en tout 14 500 abris qui voient le jour avant le dĂ©but des annĂ©es 1990, pour une capacitĂ© d'accueil totale d'environ 1,7 million de places[72]. Chaque projet de construction ou de rĂ©novation d'un immeuble s'accompagne d'une Ă©tude de la commune qui dĂ©cide du nombre de places d'abri Ă  y crĂ©er. Au centre-ville, oĂą la pĂ©nurie est la plus forte, dix-huit stations de mĂ©tro sont Ă©galement amĂ©nagĂ©es pour pouvoir ĂŞtre rapidement transformĂ©es en centres d'accueil d'urgence.

À partir de et durant une quinzaine d'années, le pays ne fera pratiquement plus construire d'abris[73].

En , alors que la Suède dĂ©nombrait 65 000 abris pouvant recueillir sept millions de personnes, l'Agence suĂ©doise de protection civile (MSB) (sv), dans un rapport au gouvernement, recommande la mise Ă  niveau des anciens abris ainsi que la construction de nouveaux afin de protĂ©ger 50 000 personnes supplĂ©mentaires contre « toutes les armes qui pourraient ĂŞtre utilisĂ©es ». Le projet doit dĂ©buter en et s'Ă©taler sur dix ans pour un coĂ»t estimĂ© de 238 millions de dollars[73]. Les efforts de rĂ©novations ont Ă©tĂ© accĂ©lĂ©rĂ©s après l'invasion de l'Ukraine par la Russie[74].

En , la Suède disposait de 7,2 millions de places protĂ©gĂ©e[74], soit un taux de couverture de 81 %.

L'agence de protection civile maintient en ligne une carte permettant de localiser les différents abris de la Suède[75].

Suisse

Dortoir dans un abri anti-atomique de la protection civile à Hägendorf.

Depuis 1963, une loi fédérale exige que chaque habitant dispose d’une place protégée à proximité de son domicile : « Chaque habitant doit disposer d'une place protégée dans un abri situé à proximité de son lieu d'habitation et atteignable dans un délai raisonnable » (article 45) et « Lors de la construction de maisons d'habitation, de homes et d'hôpitaux, les propriétaires d'immeubles doivent réaliser des abris, les équiper et, par la suite, les entretenir » (article 46)[60]. On trouve de tels abris dans la plupart des bâtiments construits dès les années et encore aujourd'hui[60]. Pour ne pas avoir faire installer un abri, il faut obtenir une exemption et de payer une taxe de 800 francs suisses par place afin de subventionner les structures collectives. De plus grands abris sont aménagés sous les bâtiments publics, comme les écoles[76].

La construction obligatoire d'abris antiatomiques durant la guerre froide serait en partie due au lobbying mené par l’industrie du ciment auprès des parlementaires[77].

En , la Suisse, sans prendre en compte les abris militaires, comptait 300 000 abris dans des habitations, institutions et hĂ´pitaux ainsi que 5 100 abris de protection civile publics[60]. Cela correspond Ă  8,6 millions de places pour une population de 7,5 millions d'habitants, c'est-Ă -dire un degrĂ© de couverture de 114 % sur l'ensemble du pays[60], bien que dans les faits, ce taux soit inĂ©galement rĂ©parti ; certaines communes Ă©tant en deçà de 100 %. Dans le monde, seules la Suède et la Finlande se rapprochent de la situation suisse.

Au début des années , la loi a été modifiée ; la construction d'abris est désormais obligatoire uniquement dans les zones déficitaires et l'accent est mis sur des abris publics plus grands plutôt que sur les abris individuels[78].

  • Abri antiatomique de la protection civile Ă  Berneck construit en 1985 pour 363 personnes
  • Accès Ă  l'entrĂ©e principale
    Accès à l'entrée principale
  • EntrĂ©e principale
    Entrée principale
  • RĂ©fectoir
    RĂ©fectoir
  • Un dortoir
    Un dortoir
  • Sanitaires
    Sanitaires
  • Salles de commandement et de communication
    Salles de commandement et de communication
  • Salle de soins du service medical
    Salle de soins du service medical
  • GĂ©nĂ©ratrice diesel
    Génératrice diesel
  • Salle de la ventilation et des filtres
    Salle de la ventilation et des filtres

Limites et controverses

Face à la puissance destructive considérable d'une bombe atomique et, à plus forte raison, dans le contexte d'une guerre nucléaire massive, l'efficacité et la pertinence de l'abri antiatomique sont souvent remises en cause, pas uniquement d'un point de vue technique ou scientifique ; mais aussi sur des questions d'ordre politique et même moral[79].

Limites dues aux doctrines politiques et militaires

Les guides gouvernementaux destinés au public minimisent parfois l'ampleur d'une guerre nucléaire en supposant que l'ennemi restreindrait ses attaques aux cibles militaires et à quelques explosions au niveau du sol et que les villes seraient normalement épargnées[80]. Or, d'après la Fédération des scientifiques américains, les circonstances dans lesquelles un abri antiatomique civil pourrait offrir une protection sont très limitées ; telles que décrites par le journal Commonweal, « des conditions pathétiquement peu probables » qui se résument à :

« sous certaines conditions (improbables) — impliquant un modèle particulier (improbable) d'attaque nucléaire, au moyen d'un certain nombre (minimal) de bombes, explosant d'une certaine manière (relativement inefficace), sur certaines cibles (extrêmement limitées) — une sorte de programme d'abri contre les retombées, si ce n'est les efforts confus actuels, pourrait en effet sauver des millions de vies qui autrement seraient perdues[81]. »

De leur côté, dès , des scientifiques soviétiques mettent en garde le Comité central sur l'augmentation de la puissance des armes nucléaires qui rend les protections contre leurs effets virtuellement inutiles, ceci notamment durant le régime de Nikita Khrouchtchev alors qu'une partie des autorités civiles et militaires de l'URSS pensaient qu'il n'était pas possible d'éviter les dommages inacceptables résultant d'une guerre nucléaire[82] - [83].

De fait, la stratégie américaine à la fin des années consiste en une attaque massive sur l'Union soviétique et le bloc de l'Est, visant dans un premier temps la « destruction systématique » des cibles militaires (dont les aéroports, souvent situés en zone urbaine) puis, si nécessaire, la population civile en cas de non-reddition de l'URSS après la première vague d'attaque[84]. Pour Moscou uniquement, 179 cibles avaient été identifiées, 145 à Leningrad ou encore 91 à Berlin-Est[note 3].

Par ailleurs, en , Robert McNamara, alors secrétaire à la défense du président Kennedy, défend l'idée que, pour être efficace, la doctrine de dissuasion doit permettre la destruction de 25 % de la population russe ; il présente des estimations du nombre de morts possibles en fonction de l'avancée des programmes d'abris anti-retombées en Union soviétique, en comparant le cas de mesures de protections limitées en zone urbaine uniquement et celui d'un programme d'envergure contre les retombées à l'échelle nationale[85].

Plus tard, en , un prestataire du Pentagone écrit un rapport, alors confidentiel, pour la Defense Threat Reduction Agency et Intitulé « The Feasibility of Population Targeting » (« La faisabilité du ciblage de la population »). Ce rapport souligne que dans le but de la destruction assurée (en) (de l'URSS), la capacité des États-Unis d'absorber une première frappe doit être conservée, ainsi que celle de détruire au minimum 200 villes importantes de l'Union soviétique, et que si le ciblage de la population est un objectif, alors le plan de guerre des États-Unis devrait aussi cibler les évacués[85].

Par conséquent, dans le contexte d'attaques massives prévues par les belligérants quels qu'ils soient, la puissance des armes en jeu et l'emplacement des abris antiatomiques, notamment des abris anti-retombées, ces derniers ne sont pas en mesure d'offrir une protection efficace de la population civile, y compris lorsqu'ils sont situés en périphérie des villes, voire en zone rurale[80] - [86].

Limites techniques et organisationnelles

Aux États-Unis, le concept de l'abri antiatomique se dĂ©veloppe lors de l'avènement de l'arme thermonuclĂ©aire, bien plus puissante que la bombe A, mais surtout Ă  l'apparition des missiles balistiques sur la scène stratĂ©gique et dont la rapiditĂ© d'action (pas plus de 30 minutes entre les États-Unis et la Russie) rend caduc tout espoir d'Ă©vacuer les villes Ă  temps[87]. Cependant, l'abri antiatomique ne rĂ©sout pas mieux ce problème si on considère que dans les faits, la population est « mĂ©caniquement » la dernière entitĂ© prĂ©venue. Le dĂ©lai pour se rendre Ă  l'abri, dans le cas d'une attaque surprise, est alors drastiquement rĂ©duit.

En , l’opĂ©ration Fourmi est un exercice gĂ©nĂ©ral impliquant la population au tunnel du Sonnenberg en Suisse et pouvant illustrer les lacunes potentielles d'un système d'abri public. L'ensemble de l'Ă©quipement n'a pu ĂŞtre entrĂ© dans l'abri et on a dĂ©couvert qu'aucun emplacement n'Ă©tait prĂ©vu pour le stockage des vivres destinĂ©s Ă  la cuisine qui prĂ©pare la nourriture uniquement pour le personnel (devant l'impossibilitĂ© de cuisiner pour les 20 000 personnes que pouvait contenir l'abri, la population devait apporter ses propres vivres prĂ©-cuisinĂ©s). Parmi les problèmes rencontrĂ©s, les plus graves ont Ă©tĂ©, d'une part, l'impossibilitĂ© de fermer convenablement une des quatre lourdes portes du tunnel qui, dès lors, ne pouvait plus remplir son rĂ´le et, d'autre part, le dĂ©lai considĂ©rable de 15 jours nĂ©cessaire pour transformer le tunnel routier en abri antiatomique de grande capacitĂ©[88] - [89].

Dans les années , des abris collectifs du Community Shelter Program (« Programme d'abri communautaire ») initié par le président Kennedy (voir section Historique) souffrent rapidement de lacunes importantes. Parmi les milliers ou dizaines de milliers d'abris dotés du strict minimum avec des barils d'eau potable, des biscuits au blé provenant du gouvernement, d'une trousse de premiers secours et de papier toilette mais sans latrines (les abris sont souvent des sous-sols), certains ne recevront jamais ces fournitures ou seront équipés avec des barils d'eau qui fuient[80].

Dans tous les cas, la limite physique d'un abri est dĂ©finie d'abord par son facteur de protection, c'est-Ă -dire par la capacitĂ© des matĂ©riaux et des techniques avec lesquels il est construit Ă  protĂ©ger ses habitants des effets des explosions nuclĂ©aires (voir section Protection). Or, mĂŞme en Suisse, pays considĂ©rĂ© comme ayant le rĂ©seau de protection le plus abouti, on admet qu'aucun abri antiatomique ne peut protĂ©ger la population contre une explosion de Mt Ă  une distance de 2,5 km[86] - [90].

Une autre limite est constituĂ©e par l'autonomie possible en Ă©nergie autant pour les Ă©quipements que pour les personnes et la capacitĂ© Ă  stocker l'alimentation et Ă©ventuellement la rationner. Par exemple, le tunnel du Sonnenberg ne pouvait abriter la population que pour une pĂ©riode de deux semaines avant que les rĂ©serves d'eau potable ne s'Ă©puisent[89]. De la mĂŞme façon, Ă  la fin des annĂ©es , le Conseil d'État de la dĂ©fense civile (en) de la Pennsylvanie dĂ©nombre 6 669 abris publics anti-retombĂ©es, pouvant abriter 7 135 000 personnes durant quatre Ă  cinq jours ou 3 200 000 pendant deux semaines[91].

À l'époque de la guerre froide, cette période de deux semaines est couramment avancée dans les documents gouvernementaux destinés au public, pour les raisons citées, mais aussi parce qu'on considérait que beaucoup de personnes ne pourraient psychologiquement tenir plus de temps en vase clos et que, dans l'intervalle, le niveau de radiation aurait à ce moment-là suffisamment diminué pour permettre à la population de sortir des abris. Le problème qui se pose alors est que l'adversaire peut avoir conservé une force de frappe nucléaire en réserve (un rôle pouvant facilement être rempli par un sous-marin) afin de la lancer, deux ou trois semaines après les hostilités initiales, ce qui réduirait à néant tout espoir de survie de la population ciblée[90].

Limites psychologiques et morales

Il est estimé qu'une période de deux semaines ou plus, passée dans un abri, a des conséquences psychologiques dans la population telles que l'irritabilité et la dépression pouvant engendrer des comportements agressifs ou un repli sur soi[92].

Entre et , l'UniversitĂ© de GĂ©orgie (États-Unis) a rĂ©alisĂ© dix simulations d'occupation d'abri antiatomique, impliquant 30 participants (Experimental Study I en ) jusqu'Ă  504 participants reprĂ©sentatifs de la population amĂ©ricaine de l'Ă©poque sur une pĂ©riode de trois jours, du 22 au (ES X). Toutes les expĂ©riences - sauf une - ont connu des taux de dĂ©fection (participants quittant l'abri avant la fin de l'expĂ©rience) allant de 2,5 % (ES VIII, durĂ©e de 3 jours, 321 participants âgĂ©s de 1 Ă  67 ans, ayant chacun un espace allouĂ© de 0,92 m2) Ă  40 % (ES IV, durĂ©e de huit jours, 30 participants, principalement des enfants de sept Ă  douze ans, espace allouĂ© de 0,55 m2 par personne) (p. 3)[93]. Les raisons les plus souvent invoquĂ©es lors des dĂ©fections sont le surpeuplement, la chaleur et l'humiditĂ© ou le dĂ©sir d'accompagner un membre de la famille quittant l'abri (ES X, 87 dĂ©fections) (p. 144)[93]. Ces rĂ©sultats doivent ĂŞtre mis dans le contexte oĂą, les participants Ă©tant rĂ©munĂ©rĂ©s, cela a pu ĂŞtre un facteur motivant de nombreuses personnes Ă  continuer l'expĂ©rience jusqu'au bout (p. 123 (f))[93]. En situation rĂ©elle, on peut penser que la radioactivitĂ© extĂ©rieure incite Ă  rester dans un abri quelles que soient les conditions Ă  l'intĂ©rieur ; l'Ă©tude admet cependant qu'il faut s'attendre Ă  ce qu'un certain nombre de personnes tentent d'abandonner un abri mĂŞme en cas de dĂ©sastre nuclĂ©aire, dans l'espoir de trouver un refuge offrant de meilleures conditions ou victimes de panique menant Ă  un comportement irrationnel (p. 285)[93].

Par ailleurs, l'effondrement général de la société, avant et surtout après un conflit nucléaire, peut entraver l'accès aux abris, voire mettre en danger ses occupants. Des études psychologiques suggèrent que la population sera moins (ou pas du tout) encline à suivre les directives des autorités[94] comme lors des bombardements de Paris en alors que des mouvements de panique sont observés, tel que rapporté par le directeur de la CMP : « la frénésie de certain public qui, non satisfait d’envahir les stations classées comme refuges, force l’entrée de stations ordinaires voisines du sol où la protection est à peu près nulle »[95].

Enfin, aux États-Unis, durant la guerre froide, alors que les débats sur la pertinence de l'abri antiatomique font rage, une des questions soulevées est de savoir s'il est moralement acceptable de tirer sur des personnes, même sur ses voisins de quartier, dans le but de défendre son abri privé[96]. Afin de contourner cette question, la construction d'un abri antiatomique privée est, de nos jours, réalisée dans la plus grande discrétion : contrats secrets, travaux sous couverture (par exemple, prétendre construire un cellier) et exécutés par des équipes provenant de l'extérieur de la ville[97].

Limites dues au rĂ´le ou rang social

L'abri antiatomique, et plus généralement les politiques ou moyens de préservation associés (protection civile, continuité du gouvernement), peuvent être vus comme une reproduction de la structure pyramidale de la société. Ainsi les bunkers antinucléaires lourds souterrains visent la survie de l'État en tant qu'entité, et donc de celles et ceux qui le font fonctionner, plutôt que la protection de l'ensemble de sa population qui est, pour des questions de coûts et d'organisation, au mieux dirigée vers des abris anti-retombées[98]. Une protection accrue est donc donnée au personnel ayant un rôle privilégié au sein du gouvernement et dans les industries jugées essentielles[99] ; une organisation qui, en sacrifiant une grande partie de la population, vise à donner aux survivants un gouvernement sur lequel s'appuyer pour la reconstruction de la société[100].

Si les gouvernements fondent leurs politiques de protection sur un compromis entre les coĂ»ts des abris et l'utilitĂ© sociale des abritĂ©s, le secteur privĂ©, dans le cas des abris « individuels », reflète le rang social formĂ© par la capacitĂ© financière de chaque individu ou cellule familiale. Dans le premier quart du XXIe siècle, le prix de base d'un abri antiatomique est Ă©valuĂ© entre 35 000 et 40 000 dollars pour trois lits ou encore 55 000 euros pour 10 m2 et jusqu'Ă  plusieurs millions de dollars pour des abris visant Ă  conserver le cadre de vie de la population fortunĂ©e en Ă©tant Ă©quipĂ© de piscines, salle de cinĂ©ma et de sport[101] - [2]. En France en 2022, le prix d'un abri prĂ©fabriquĂ© varie de 93 000 euros pour une structure de 14 m2 enfouie Ă  1,20 m sous terre, jusqu'Ă  290 000 euros pour un abri en mĂ©tal de 20 m2 enfoui Ă  m. La demande provient de propriĂ©taires qui possèdent dĂ©jĂ  un terrain et dĂ©sirent investir leurs Ă©conomies ; un abri antiatomique pouvant permettre de rĂ©aliser une plus-value lors de la revente de la propriĂ©tĂ©[19].

D'autres entreprises misent sur le modèle de la coopĂ©rative d'abris pour la classe supĂ©rieure, avec un tarif d'entrĂ©e situĂ© Ă  35 000 dollars pour un adulte et 25 000 dollars pour un enfant, après un long processus de sĂ©lection, dans des complexes Ă©quipĂ©s comme des mini-villes avec boulangeries, brasseries, piscines, dentistes, mĂ©decins et mĂŞme des banques d'ADN ainsi que l'eau et la nourriture pour un an[102] - [97].

Controverses existentielles : le jour d'après

Nonobstant son efficacité réelle ou supposée, l'abri antiatomique fait émerger et subsister de nombreuses interrogations existentielles ou survivalistes sur sa finalité et, donc, la capacité de vivre dans un monde plus ou moins dévasté après un conflit impliquant des armes nucléaires. Plusieurs « écoles » s'affrontent en théorisant l'état du monde et de la société durant les jours et les mois après les explosions.

Survie alimentaire

Au milieu des années , le Laboratoire national d'Oak Ridge a réalisé un rapport sur les chances de survie de la population américaine après une attaque nucléaire[103]. Les auteurs avancent que les périls concernent essentiellement les retombées radioactives et la pénurie alimentaire pouvant décimer plusieurs millions de personnes si aucune nourriture n'est livrée après deux ou trois semaines passées dans les abris. Ils s'appuient donc sur le postulat que la population est « relocalisée » dans des abris situés loin des cibles des bombes. Les hypothèses avancées sont les suivantes :

  • durant la crise prĂ©alable Ă  la guerre nuclĂ©aire, 90 % de la population amĂ©ricaine est Ă©vacuĂ©e dans des abris ;
  • l'attaque totalise 6 559 Mt dont plus de 90 % sont des explosions au sol, ce qui implique une grande quantitĂ© de retombĂ©es radioactives ;
  • 80 % des raffineries sont dĂ©truites mais plus de cinq milliards de gallons (19 milliards de litres) de carburants divers restent disponibles dans les dĂ©pĂ´ts non touchĂ©s.

Il a été calculé que les États-Unis ont (à cette époque) une réserve de céréales suffisante pour plusieurs mois à plus d'un an et que 33 % à 50 % des cultures sont détruites par les rayons ultra-violets (destruction de l'ozone) et les retombées radioactives. Par ailleurs, d'après les calculs effectués, 2 % de la capacité de transport (de ) sur rails et moins de 6 % de celle du transport routier est suffisante pour acheminer la quantité de céréales nécessaires à l'alimentation de la population relocalisée (p. 1)[103].

L'étude conclut que la plupart des évacués peuvent survivre à la guerre nucléaire à condition que soit mis en place un programme intense de distribution alimentaire à destination des abris ; qu'ils soient bien ventilés, pourvus en eau et nourriture pour deux semaines ainsi que de dosimètres et que la population connaisse les recommandations pour contrôler le niveau d'exposition aux rayonnements (p. 11)[103]. Enfin, le rapport suppose que « la structure du gouvernement fédéral reste fermement au pouvoir » afin de rassurer les agriculteurs et de leur garantir « une juste compensation pour leurs efforts et dissiper l'inquiétude pour leur propre futur »(p. 129)[103] et que si les éventuelles perturbations écologiques concernent avant tout les pays ayant une agriculture inadéquate, celle des États-Unis, selon les auteurs, dépend de l'approvisionnement en carburant, engrais et pesticides (p. 131)[103].

Creuser, et après ?

Au début des années , Robert Scheer (en), du Los Angeles Times, rapporte les propos de Thomas K. Jones, alors Deputy Under Secretary of Defense for Strategic Nuclear Forces (« Sous-secrétaire adjoint à la défense pour les forces nucléaires stratégiques ») dans l'administration de Ronald Reagan, selon lequel il suffirait de creuser une tranchée, de la recouvrir par des portes de sa maison et d'un tas de terre afin de pouvoir survivre à une attaque nucléaire et conclut que « S'il y a assez de pelles, tout le monde va s'en sortir »[104] ; une phrase qui lui vaudra par la suite quelques problèmes[note 4] et inspirera le titre du livre de Scheer[note 5].

Selon Evan Koslow, un chercheur qui a étudié les effets des rayons ultra-violets après une guerre nucléaire[note 6], « Jones n'est pas complétement fou » puisque si les explosions ont lieu à plus de huit kilomètres, le problème ne réside pas dans l'onde de choc mais dans les retombées radioactives[105]. Toutefois, Koslow admet que les survivants qui sortiront des abris anti-retombées feront face à de graves pénuries alimentaires (liées à une pénurie de carburant et à la dégradation de la couche d'ozone) et découvriront que leur culture a été détruite et qu'il n'est plus possible de se rassembler en tant que groupe socio-économique[105].

Protestations

Durant la guerre froide, des actions contre l'arme nucléaire prennent forme, notamment au Royaume-Uni où, afin de dénoncer la futilité des programmes de défense civile face à la puissance destructrice des armes nucléaires, plus de 150 autorités locales (villes, comtés) se déclarent unilatéralement nuclear free zone (« zone exempte d'armes nucléaires ») (p. 170-172)[106]. Dans ce but, les municipalités vont jusqu'à refuser de participer aux exercices de simulation d'attaque nucléaire projetés par le gouvernement central, ce qui contraint le Secrétaire d'État à l'Intérieur à annuler Hard Rock, qui en , devait être le plus grand exercice de ce type depuis la fin des années [107]. Cette fronde oblige le gouvernement à émettre une réglementation dont un des points demande aux autorités locales de « prévoir l'utilisation de bâtiments, structures, cavités et autres caractéristiques du terrain pour les abris publics de protection civile. ». Cependant, le Secrétaire d'État étant peu loquace sur de nombreux points, notamment sur les cibles qui seraient frappées par les bombes soviétiques (l'exercice Hard Rock devait simuler des attaques nucléaires sur des villages et hameaux afin de ne pas dévoiler les (vraies) cibles potentielles), Simon Turney, alors conseiller du Grand Conseil de Londres, fait une déclaration cinglante au sujet du règlement gouvernemental : « tout le projet est rempli de ce foutu mot « convenable ». Qu'est-ce qu'un abri « convenable» ? » (p. 170-172)[106].

À la même époque, le gouvernement britannique imprime un livret d'instruction décrivant la conduite que doit tenir la population en cas d'attaque nucléaire[108]. Nommé Protéger et survivre (en), le livret est moqué et critiqué par son manque de réalisme face aux explosions nucléaires[109] ; notamment par Edward Palmer Thompson qui, à cette occasion, écrit à son tour un livret intitulé Protest and survive (« Protester et survivre ») dans lequel il dénonce le concept même de la dissuasion et la course aux armements nucléaires qui ne laissera aucun vainqueur : « Si la guerre commence, tout est déjà perdu. » [110].

DĂ©vastation

Dans Protest and survive (« Protester et survivre »), Thompson cite Solly Zuckerman :

« Il n'y a pas de vastes déserts en Europe, pas de plaines ouvertes à l'infini sur lesquelles transformer en réalité les jeux de guerre dans lesquels les armes nucléaires sont utilisées. Les distances entre les villages ne sont pas plus grandes que le rayon d'effet des armes à faible puissance de quelques kilotonnes ; entre les villes et les villes, disons une mégatonne (p. 12)[110]. »

ainsi que Louis Mountbatten :

« En cas de guerre nucléaire, il n'y aura pas de chances, il n'y aura pas de survivants - tous seront anéantis (p. 19)[110]. »

Il décrit la protection civile comme une vaine mesure puisqu'en sortant des abris, les rescapés trouveront l'eau et la nourriture contaminées, les routes bloquées, le bétail mort, les hôpitaux détruits et, afin d'illustrer l'absurdité des conseils du gouvernement britannique, souligne également les propos du vice-président de la défense civile tels que relatés par le journal The Times le (p. 17)[110] : « Si vous avez vu une grenouille courir partout, il faudrait la laver pour la débarrasser de la poussière radioactive, la cuire et la manger. ». Thompson admet que des abris souterrains (avec filtres et réserves de vivres) pourraient sauver un certain nombre de vies, mais face à la sophistication rapide des bombes nucléaires, les sociétés « avancées » seront vaincues avant qu'elles aient le temps de devenir troglodytes (p. 17-18)[110].

Santé et sécurité

Si le délai avant les frappes nucléaires le permet, la plupart des hôpitaux seront probablement évacués (c'est-à-dire vidés de leurs patients actuels), mais ceux situés dans les villes ciblées seront détruits au même titre que les autres bâtiments [111] ; par ailleurs, il est anticipé une pénurie de moyens (électricité, médicaments, transfusions sanguines) amenant de nombreux spécialistes à dire que la guerre nucléaire est intraitable par la médecine (p. 167)[106] - [111]. De plus, les gouvernements mettront en place des mesures de triage en privilégiant les blessés fortement susceptibles de guérir après sept jours mais laissant mourir les victimes jugées trop atteintes, notamment par les radiations (p. 167)[106] - [111].

En plus des blessures physiques, les survivants peuvent subir un stress psychologique important (observé après les bombardements atomiques du Japon ou après d'autres grandes catastrophes), victimes du « syndrome du désastre »[note 7] lorsqu'une partie importante de la population a été décimée[112]. Dépression, désespoir, confusion et apathie peuvent perdurer durant plusieurs semaines ou des mois après la fin du conflit (p. 137)[106]. Dans un rapport, l'OTAN prévoit que les survivants seront dans un état de suggestibilité accrue (réceptivité sans critique aux suggestions et aux influences extérieures), ce qui pourrait conduire à l'émergence de « chefs locaux » et à une hostilité irrationnelle envers les autorités ; une hypothèse prise au sérieux par les pouvoirs publics britanniques puisque le recours à la loi martiale et la peine de mort ont été ou sont parfois envisagés[112] - [111].

En , dans un exercice alors classé « top-secret » et destiné à évaluer la capacité du Royaume-Uni à se reconstruire après une guerre nucléaire massive, une scientifique du Bureau de l'Intérieur a proposé d'engager des psychopathes afin d'aider la police à faire régner l'ordre car, selon elle, en n'ayant ni sentiments pour les autres ni de code moral, les psychopathes ne souffriraient pas des effets psychologiques du désastre dans les communautés qui ont subi les pertes les plus graves[113]. Cette idée a immédiatement été abandonnée.

Dans la culture populaire

Littérature

Les abris anti-retombées occupent une place importante dans les romans Farnham’s Freehold de Robert A. Heinlein (Heinlein a construit un abri près de sa maison à Colorado Springs en 1963)[114], Pulling Through de Dean Ing, A Canticle for Leibowitz de Walter M. Miller et Earth de David Brin.

La série de nouvelles Silo de Hugh Howey présente de vastes abris antiatomiques qui protègent les habitants d’une catastrophe initialement inconnue.

Films, séries et audio

L’épisode de la série Twilight Zone de 1961 The Shelter (traduit par L'Abri) tiré d’un scénario de Rod Serling, traite des conséquences de l’utilisation d’un abri. Un autre épisode de la série intitulé « One More Pallbearer » présentait un abri appartenant à un millionnaire. L’adaptation de la série en 1985 avait l’épisode « Shelter Skelter » qui présentait un abri anti-retombées.

Dans l’épisode 1 de la saison 6 de la sitcom Only Folls and Horses intitulée The Russians are Coming, diffusé en 1981, Derek Trotter achète un abri antiatomique en plomb, puis décide de le construire par crainte d’une guerre nucléaire imminente causée par l’Union soviétique.

Dans le film Première Sortie de Hugh Wilson, une famille terrorisĂ©e par les possibles consĂ©quences de la crise de Cuba dĂ©cide de se rĂ©fugier dans un abri antiatomique. Ă€ leur sortie, 35 ans plus tard, en , ils dĂ©couvrent la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine mĂ©tamorphosĂ©e et tentent de s'y adapter.

Un épisode de la sitcom Malcolm présente une intrigue secondaire tournant autour de Reese et Dewey découvrant un abri antiatomique auparavant inconnu dans leur jardin et y piégeant leur père Hal.

Le film américain The Tomorrow Man est centré sur un homme reclus dont la principale préoccupation est de s’occuper de son abri antiatomique à domicile.

Sans abri est un épisode de La Cinquième Dimension.

Le jour d’après, un téléfilm américain qui terrifia Ronald Reagan et l'aurait convaincu de l'impossibilité de gagner une guerre nucléaire[115] - [116].

Threads, un téléfilm britannique décrivant les effets d'une guerre nucléaire en Grande-Bretagne.

Jeux vidéos

Fallout est une série de jeux post-apocalyptique éditée par Bethesda. La série dépeint les restes de la civilisation humaine après une guerre nucléaire mondiale. Les États-Unis avaient construit un immense réseau d'abris pour protéger la population contre une attaque nucléaire, mais presque toutes étaient en fait destinées à attirer des sujets pour des expériences humaines à long terme.

Paranoia, un jeu de rôle, se déroule dans un abri antiatomique de la taille d’une ville, qui est gouverné par un ordinateur fou.

Notes

  1. L'objectif du projet du Service national de la protection civile (SNPC), maintenant direction générale de la Sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), est d'étudier le comportement des abris souterrains français. Les cinq structures sont construites par des entreprises américaines mais tout l'équipement de mesure ainsi que certains éléments structurels sont expédiés depuis la France.
  2. La maison dite « House No 1 » Ă©tait situĂ©e Ă  un peu plus km (3 500 ft) de l'explosion de 15 kt, soit la mĂŞme puissance estimĂ©e que Little Boy. Pour rĂ©fĂ©rence, la B83, bombe la plus puissante en service dans l'arsenal des États-Unis, a une puissance pouvant aller jusqu'Ă  1 200 kt.
  3. Ce qui ne veut pas dire que soit lancé autant de bombes qu'il y a de cibles, une explosion nucléaire pouvant en détruire plusieurs à la fois, même si pour détruire certaines cibles (bunker souterrain), l'utilisation de plusieurs bombes peut être nécessaire.
  4. T. k. Jones ne s'est pas prĂ©sentĂ© - Ă  trois reprises - aux convocations du sous-comitĂ© pour le contrĂ´le des armes afin de s'expliquer sur ses propos ainsi que sur la façon dont il envisage d'utiliser les 252 millions de dollars allouĂ©s Ă  la dĂ©fense civile. Dans un Ă©ditorial au ton moqueur, le New York Times avance que cette somme servira en grande partie Ă  acheter des pelles (en) « The Dirt on T.K. Jones », sur The New York Times, (consultĂ© le ).
  5. Robert Scheer, With Enough Shovels: Reagan, Bush and Nuclear War Random House, 1982 (ISBN 0-394-41482-9)
  6. Evan E. Koslow Commentary: An Aposematic Statement on Nuclear War: Ultraviolet Radiation in the Postattack Environment dans BioScience Vol. 27, No. 6 (Jun., 1977), p. 409-413
  7. État psychologique omniprésent après une catastrophe. Les rescapés sont en état de choc, de stupeur, étourdis et engourdis. Les victimes peuvent rester assises, immobiles ou errer sans but (en) « Disaster Syndrome », sur thehealthscience.com, (consulté le ).

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