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Tintin et l'Alph-Art

Tintin et l'Alph-Art est le vingt-quatriÚme et dernier album de la série de bande dessinée Les Aventures de Tintin, créée par le dessinateur belge Hergé.

Tintin et l'Alph-Art
24e album de la série Les Aventures de Tintin
Titre en couverture de l'album de 1986.
Titre en couverture de l'album de 1986.

Auteur Hergé
Genre(s) Franco-belge
Aventure

Personnages principaux Tintin
Milou
Capitaine Haddock
Bianca Castafiore
Lieu de l’action Drapeau de la Belgique Belgique
Drapeau de l'Italie Italie

Langue originale Français
Éditeur Casterman
PremiĂšre publication 1986
Nb. de pages 62
Albums de la série

Depuis la parution de Tintin et les Picaros, le tome précédent, plusieurs scénarios ont été envisagés par Hergé. Parmi eux, la production d'un album sans fil conducteur, que le lecteur pourrait commencer à n'importe quelle page et sans grande action particuliÚre. L'idée a finalement été abandonnée devant l'importante charge de travail causée par l'album et le choix de Hergé s'est porté alors sur une histoire qui plonge le reporter dans le milieu de l'art.

Alors qu'il enquĂȘte sur l'assassinat du propriĂ©taire d’une galerie d’art, Tintin dĂ©couvre un trafic de faux tableaux Ă©troitement liĂ© Ă  une secte Ă  laquelle Bianca Castafiore a adhĂ©rĂ©, mais il se retrouve pris au piĂšge et menacĂ© d'ĂȘtre transformĂ© en sculpture. Cette histoire a la particularitĂ© de n'avoir aucune fin officielle. HergĂ© a mis plusieurs annĂ©es Ă  travailler sur le livre jusqu'Ă  sa mort en 1983 et aucun Ă©lĂ©ment n'a permis de dĂ©terminer la fin du scĂ©nario voulue par le dessinateur. L'album est malgrĂ© tout sorti pour la premiĂšre fois en 1986 par Casterman en association avec la Fondation HergĂ©, puis rĂ©Ă©ditĂ© Ă  l'occasion des 75 ans du jeune reporter en 2004, avec l'apparition de nouvelles Ă©bauches de travail.

L'histoire

Intrigue Ă©tablie

L'histoire commence dans le domaine de Moulinsart, tandis que le capitaine Haddock est en train de faire un cauchemar. AlertĂ© par ses cris, Tintin arrive Ă  la rescousse. Le Capitaine lui explique alors qu'il a rĂȘvĂ© que le rossignol milanais lui apportait son « petit dĂ©jeuner » composĂ© d'un whisky Loch Lomond qu'il n'arrive plus Ă  supporter Ă  la suite du traitement que le professeur Tournesol lui a infligĂ© dans Tintin et les Picaros[1].

Le tĂ©lĂ©phone se met Ă  sonner : Bianca Castafiore en personne, de retour de Los Angeles, leur annonce qu'elle compte passer au chĂąteau. Le capitaine dĂ©cide de s'enfuir en ville et, y voyant arriver la cantatrice, se cache dans une galerie d’art oĂč sont exposĂ©es les Ɠuvres de Ramo Nash — le crĂ©ateur d'un concept artistique appelĂ© l’Alph-Art, qui repose sur des reprĂ©sentations des lettres de l’alphabet en plexiglas. Bianca entre finalement dans la galerie et, sur les conseils de l'artiste, parvient Ă  convaincre le capitaine d'acheter une sculpture en forme de H. Ramo est accompagnĂ© de M. Fourcart, le propriĂ©taire de la galerie, qui, ayant reconnu le capitaine, discute avec celui-ci. Le soir, M. Fourcart tĂ©lĂ©phone au jeune reporter et lui propose un rendez-vous le lendemain, en fin d'aprĂšs-midi, mais ne sera finalement pas prĂ©sent sur les lieux au moment convenu. Pendant ce temps-lĂ , un expert du domaine des arts, Jacques Monastir, disparaĂźt mystĂ©rieusement prĂšs des Îles Sanguinaires, dans le golfe d'Ajaccio, en Corse. L'Ă©mir Ben Kalish Ezab, Ă©galement en dĂ©placement en Europe, a l'intention de crĂ©er un musĂ©e d'art ayant l'apparence d'une raffinerie, Ă  l'instar du Centre Beaubourg, Ă  Paris.

Le lendemain du rendez-vous, la presse annonce la mort de monsieur Foucart, des suites d'un accident de voiture. Ayant dĂ©cidĂ© de mener l'enquĂȘte, Tintin questionne mademoiselle Martine, l’hĂŽtesse de la galerie, et enregistre l'Ă©change sur un magnĂ©tophone. Il interroge ensuite le garagiste. Ce dernier Ă©voque une petite tache d’huile et indique au reporter que l'accident s'est dĂ©roulĂ© entre Leignault et Marmont, au bord de la Douillette, riviĂšre dans laquelle est tombĂ©e la voiture du dĂ©funt[2]. Sur place, Tintin dĂ©couvre qu'une voiture a fait une queue de poisson pour obliger un autre vĂ©hicule Ă  s'arrĂȘter. AprĂšs avoir constatĂ© la prĂ©sence d'une longue tache d’huile sur la chaussĂ©e, il est pourchassĂ© par une Mercedes noire, fort heureusement sans succĂšs. Le journaliste commence alors Ă  envisager l'hypothĂšse d'un crime maquillĂ© en accident. Ceci se confirme lorsqu'il trouve Ă  terre un pistolet-mitrailleur, abandonnĂ© par les deux occupants de la Mercedes. Tintin soupçonne mademoiselle Martine d'ĂȘtre Ă  l'origine de la poursuite.

AprĂšs avoir Ă  nouveau questionnĂ© l’hĂŽtesse, il dĂ©couvre une affiche annonçant une confĂ©rence du mage Endaddine Akass, une photo de l'intĂ©ressĂ© portant Ă  son cou le mĂȘme bijou que mademoiselle Martine, Ă©galement prĂ©sente ce soir-lĂ . Ce bijou en or est en rĂ©alitĂ© une autre Ɠuvre de Ramo Nash. Le lendemain, Tintin annonce Ă  l’hĂŽtesse qu'il se rend dans l'usine de FrĂ©aux[2]. Une fois sur place, il est surpris par trois malfaiteurs, dont l'un parvient Ă  l'assommer. AprĂšs s'ĂȘtre rĂ©veillĂ© dans un lit d’hĂŽpital, le hĂ©ros sort le lendemain et se dirige vers l'immeuble abritant la galerie pour en questionner les occupants. Il tombe sur l'assistant du mage. Le jour suivant, il est de nouveau pris en chasse par des malfaiteurs en voiture, ce qui le pousse Ă  enquĂȘter plus en dĂ©tail sur cet Endaddine Akass.

À la fin du brouillon, Tintin risque d'ĂȘtre transformĂ© en sculpture de CĂ©sar.

En compagnie du capitaine, il se rend Ă  l'Ăźle d'Ischia, et plus prĂ©cisĂ©ment Ă  la villa del Signor Endaddine Akass oĂč il retrouve Ramo Nash en compagnie d'une autre femme. Le jeune reporter souhaite se rendre dans cette demeure, mais un coup de tĂ©lĂ©phone anonyme lui conseille de quitter l'Ăźle au plus vite. Un nouveau coup de fil retentit : il s'agit de Bianca Castafiore qui souhaite inviter Ă  une rĂ©ception le jeune journaliste et son ami, le marin barbu, en compagnie d'Endaddine. Tintin accepte. AprĂšs la fĂȘte, Tintin, qui est logĂ© dans la villa, est rĂ©veillĂ© par des bruits de camionnettes. ÉtonnĂ©, il dĂ©cide d'explorer la villa. C'est alors qu'il dĂ©couvre un trafic de faux tableaux Ă©troitement liĂ© Ă  cette Ă©trange secte, et se retrouve pris au piĂšge par Endaddine. Ce dernier avoue ĂȘtre Ă  l'origine des meurtres de Monsieur Foucart et de Jacques Monastir, des experts d'art qu'il avait contactĂ©s pour authentifier ses faux tableaux. Sauf que le premier a refusĂ©, menaçant de dĂ©noncer son trafic et le second a tentĂ© de le faire chanter. C'est alors que le mage dĂ©cide de faire couler du polyester liquide sur Tintin, afin de l'emprisonner dans une fausse Ɠuvre — une « expansion » ou une « compression » — du sculpteur CĂ©sar, qui pourrait s'intituler « Reporter » et faire authentifier celle-ci par un nouvel expert, le cĂ©lĂšbre Zolotas. Le rĂ©cit s'interrompt au moment oĂč le hĂ©ros est conduit Ă  son supplice, l'arme du gourou braquĂ©e dans le dos.

Endaddine Akass, un nouveau personnage ?

Le mage Endaddine Akass fait partie des clĂ©s de l'intrigue d'HergĂ©. Son nom veut dire littĂ©ralement : « et ça dans ton armoire ! » en dialecte bruxellois, ce qui signifie, dans une joute verbale, « ça t'en bouche un coin ! » Ce personnage mystĂ©rieux, Ă©galement magnĂ©tiseur et gourou dont la Castafiore fait mention au dĂ©but de l'histoire, fait officiellement son apparition Ă  la page 22. Il est Ă  l'origine de ce trafic de faux tableaux de maĂźtres de l'art que Tintin dĂ©couvre dans les derniĂšres esquisses. Selon HergĂ©, il confie ce travail Ă  Ramo Nash, crĂ©ateur de l'Alph-Art, qui acquiert un atelier de fabrication Ă  la chaĂźne de ces faux tableaux. Ces derniers seront vendus dans le futur musĂ©e de l’émir Ben Kalish Ezab avec de faux certificats d'authenticitĂ©[3].

L'un des plus grands fraudeurs du marché de l'art de la seconde moitié du XXe siÚcle, Fernand Legros, a été une source d'inspiration pour ce personnage[4].

Ce personnage rappelle cependant quelque chose Ă  Tintin tout au long de cette « aventure ». Ses gestes, sa voix lui sont familiers. La seule piste existante provient des planches retrouvĂ©es et publiĂ©es dans la version de 2004. Elles rĂ©vĂšlent que l'identitĂ© rĂ©elle du mage est Roberto Rastapopoulos. Les deux personnes se retrouvent de nouveau face Ă  face deux albums aprĂšs Vol 714 pour Sydney oĂč Tintin se retrouvait piĂ©gĂ© dans une Ăźle indonĂ©sienne[5].

Les personnages secondaires

Des personnages plus secondaires font Ă©galement leur apparition :

  • Fleurotte : garagiste de Fourcart ;
  • Marcel Fourcart : expert d’art ;
  • Thomas d’Hartimont : journaliste ;
  • Madame Laijot : comptable de la galerie Fourcart ;
  • Madame Tricot : veuve vivant dans le mĂȘme immeuble que Thomas d’Hartimont ;
  • Martine Vandezande : secrĂ©taire et hĂŽtesse d'accueil de la galerie Fourcart.

CrĂ©ation de l'Ɠuvre

Passion d'Hergé pour l'art moderne

Passionné d'art moderne à partir des années 1960, Hergé entame une riche collection comprenant notamment des toiles griffées de Lucio Fontana.

Vers 1957, HergĂ© se passionne tardivement, Ă  la cinquantaine, pour l'art moderne et contemporainp. 14_6-0">[6]. Cet intĂ©rĂȘt surgit brutalement chez lui, comme une crisep. 14_6-1">[6]. Marcel Stal, ami de son frĂšre Paul Remi, ouvre en 1960 une galerie d'art sur l'avenue Louise, Ă  deux pas des Studios HergĂ©[7] - [8] - [9]. HergĂ© soutient financiĂšrement l'ouverture de la galerie Carrefour[9] - [10] et la frĂ©quente rĂ©guliĂšrement entre 1965 et 1980[7]. Il y cĂŽtoie des artistes, collectionneurs, marchands et critiques d'art, les dĂ©bats autour des nouvelles Ɠuvres sont nombreux et enrichissants[9], et il se lie d'amitiĂ© avec le critique Pierre Sterckx, Ă  qui il demande de lui enseigner les bases de l'histoire de l'art[8]. HergĂ© devient un amateur d'art moderne curieux et Ă©rudit, et un collectionneur avisĂ©[8]. Ses styles de prĂ©dilection sont l'art abstrait, ainsi que le pop art et le Minimal Art amĂ©ricains[11]. Il s'intĂ©resse aussi Ă  l'art conceptuel[12].

Au dĂ©but des annĂ©es 1960, encouragĂ© par Robert Poulet[13], il s'essaie lui-mĂȘme Ă  la peinture en cachette, d'abord Ă  la figuration puis Ă  l'abstraction, aidĂ© du peintre abstrait Louis Van Lint pour professeur[14] - [15] - [9]. Il livre 37 toiles presque toutes aux compositions abstraites trĂšs influencĂ©es par Joan MirĂł, Paul Klee, Serge Poliakoff ou Van Lint[16] - [9] - [14]. Les rares proches et amateurs d'art qu'il a tenus au courant de son activitĂ© ne l'encouragent pas Ă  poursuivre dans la peinturep. 11_17-0">[17]. HergĂ© abandonne rapidement, insatisfait du rĂ©sultat[14] - [15] - [9]. Il aurait aimĂ© Ă  l'avenir exposer ses Ɠuvres, mais l'avis du conservateur Leo Van Puyvelde et d'autres l'ont dĂ©couragĂ©[16]. Il ne voulait pas se rĂ©signer Ă  demeurer un « peintre du dimanche », qui ne peindrait que pour lui-mĂȘme[16]. Pierre Sterckx reconnaĂźt que ses Ɠuvres sont toutes « de bonne facture, mais n'apportant rien Ă  la peinture contemporaine »[14].

Jusqu'alors adepte d'un art plus traditionnel — ornant un mur de son bureau d'une reproduction d'un dessin de Hans Holbein le Jeune —, HergĂ© rĂ©unit dĂ©sormais pour sa rĂ©sidence ou les locaux des Studios HergĂ© une riche collection d'Ɠuvres rĂ©centes ou avant-gardistes, avec L'Ombre de Frits van den Berghe[18], une reproduction d’IntĂ©rieur hollandais I de Joan MirĂł[19], quatre des Concetto spaziale, Attese de Lucio Fontana, une sculpture abstraite de Miguel Berrocal, une peinture de Jean Dewasne, des conceptions minimalistes de Frank Stella, plusieurs tableaux de Serge Poliakoff, trois sĂ©rigraphies de la cathĂ©drale de Rouen par Roy Lichtenstein[20], une peinture d'Auguste Herbin, un nu de Tom Wesselmann, une peinture de Jean Dubuffet, un long tableau de Kenneth Noland, et commande en 1977 son portrait en quatre exemplaires Ă  Andy Warhol[21]. La derniĂšre Ɠuvre qu'il achĂšte, en 1982, est une mosaĂŻque de polaroids de Stefan de Jaeger[21]. Inconstant, HergĂ© s'entiche de nombreux artistes, collectionnant leurs Ɠuvres, puis peut finir par les bouder totalementp. 14_6-2">[6].

Dans les albums des Aventures de Tintin qu'il publie dans la mĂȘme pĂ©riode, HergĂ© laisse parfois transparaĂźtre cette passionp. 12_22-0">[22]. En 1957, les nouvelles pages de garde des albums comportent, parmi les portraits de personnages, une toile de style moderne Ă©voquant Haddockp. 12_22-1">[22]. La grande vignette oĂč Tintin se rĂ©veille en sursaut dans Tintin au Tibet semble influencĂ©e par la composition d’IntĂ©rieur hollandais I de MirĂł[23]. De discrets tableaux contemporains sont crochetĂ©s aux murs de l'hĂŽtel Excelsior dans Coke en stock (et un Picasso dans le yacht de Rastapopoulos[24]), de mĂȘme que des peintures et une sculpture encore plus visibles dans le San Theodoros de Tintin et les Picarosp. 12_22-2">[22].

Hergé et son héros à la fin des années 1970

À l'Ă©tĂ© 1978, HergĂ© annonce avec enthousiasme Ă  son secrĂ©taire particulier Alain Baran se lancer dans une nouvelle histoire de Tintin, qui « va revivre une aventure comme Ă  la belle Ă©poque »[25]. Selon Baran, il lui prĂ©sente son idĂ©e comme un retour Ă  l'aventure des premiers albums et semble avoir retrouvĂ© une certaine vitalitĂ©, une force crĂ©atrice et la joie de faire vivre Tintin[25].

HergĂ© Ă©labore le scĂ©nario seul, restant trĂšs secret sur l'Ă©volution de son travail, mĂȘme auprĂšs de ses collaborateurs les plus proches[25].

Une aventure inachevée

Cette ultime aventure n’a jamais Ă©tĂ© terminĂ©e, car plusieurs Ă©vĂ©nements occupent le dessinateur et il manque de temps pour la conception de l'album[26] : la prĂ©sidence du jury du festival international de la bande dessinĂ©e d'AngoulĂȘme en ; la cĂ©rĂ©monie de remise de l'Ordre de la Couronne par Baudouin de Belgique Ă  la fin 1978, la commĂ©moration du cinquantiĂšme anniversaire des aventures de Tintin en 1979 et la dĂ©gradation de son Ă©tat de santĂ© durant les annĂ©es 1980 qui l'emportera le .

En 1986, Casterman publie un album comportant deux cahiers parallĂšles : l’un rĂ©unit une large sĂ©lection des notes et esquisses d’HergĂ©, l’autre prĂ©sente une transcription aussi lisible que possible. La derniĂšre esquisse est composĂ©e en dernier plan d'une suite incomplĂšte de quatre cases. Plus de la moitiĂ© de la feuille Ă©tait vide et la derniĂšre case de cet album montre Tintin, menacĂ© par un pistolet, conduit vers un lieu oĂč l’un de ses ennemis veut le couler en statue abstraite, une Ɠuvre qui sera vendue Ă  un musĂ©e et qui, selon le mage, s'intitulera « Reporter »[27].

De plus, en , au cours de son dernier interview, le dessinateur déclare :

« Je ne peux malheureusement pas dire grand-chose de cette future Aventure de Tintin, parce qu'il y a trois ans que je l'ai commencée, que j'ai peu le loisir d'y travailler et que je ne sais pas encore comment l'histoire va évoluer[28]. »

La rĂ©Ă©dition de l'album le , Ă  l’occasion des 75 ans de la premiĂšre apparition de Tintin dans une bande dessinĂ©e publiĂ©e, a cependant permis de retrouver dans les archives de HergĂ© de nouvelles « pages » qui montrent l'avancĂ©e du synopsis. Si aucune indication ne prĂ©cise comment Tintin parviendra Ă  s’échapper, plusieurs hypothĂšses sont Ă©mises : un trou cachĂ© au-dessus du mur de la piĂšce, ou l'intervention de Milou qui parvient Ă  ronger les liens du reporter[5] ou encore de Haddock, Tournesol, ou un tout autre personnage[3].

Elles Ă©voquent Ă©galement d'autres pistes pour l'intrigue qui plongent Tintin Ă  nouveau dans le trafic de drogue. Lors de sa rencontre avec Ramo Nash, Archibald Haddock Ă©prouvera un attachement particulier envers l'artiste qui, par la suite, se ressentira dans son vocabulaire, ses habitudes et sa maniĂšre de s’habiller : achat de sculptures et de peintures, pratique de la guitare, etc.[29]. C'est finalement le professeur Tournesol qui permettra au capitaine de retrouver son caractĂšre de l'ancien temps, et notamment le goĂ»t du whisky. Mais Ă  la suite des essais, le capitaine perd sa chevelure et sa barbe. HergĂ© souhaitait que le professeur redevienne l’inventeur aux multiples catastrophes, comme dans L'Affaire Tournesol[30].

La longue gestation de Tintin et les Picaros, Ă©talĂ©e sur douze ans et un millier de feuillets, laisse Ă  penser que Tintin et l'Alph-Art aurait peut-ĂȘtre Ă  son tour connu un scĂ©nario bien diffĂ©rent, aux nombreux changements, par rapport aux premiĂšres esquisses qu'a laissĂ©es HergĂ©, s'il avait eu le temps de terminer l'aventure jusqu'Ă  en ĂȘtre totalement satisfait[31] - [32]. C’est pourquoi l’Alph-Art « [n’] est [pas] une aventure de Tintin ».

Sources d'inspiration

Photo en noir et blanc d'un groupes d'hommes et de femmes assis ou agenouillés devant un vieil homme barbu.
Le gourou indien Rajneesh et un groupe de fidĂšles, Ă  Poona en 1977.

Le milieu des annĂ©es 1970 est le dĂ©but d'un mouvement antisectes plus vaste en Europe occidentale, notamment avec la crĂ©ation du rĂ©seau Cult Awareness Network. En , le magazine Paris Match consacre dans son Ă©dition un article sur le gourou indien Bhagwan Shree Rajneesh, fondateur d'un mouvement sectaire appelĂ© la « mĂ©ditation dynamique ». HergĂ© s'inspirera notamment d'une photo oĂč l'on voit ce maĂźtre spirituel et ses fidĂšles portant collier[33].

Concernant le trafic de faux tableaux, HergĂ© a retracĂ© l'histoire de Fernand Legros, un grand marchand d'art amĂ©ricain d'origine française connu pour la vente de faux tableaux, notamment un Toulouse-Lautrec au cours de l'annĂ©e 1963[34]. HergĂ© a lu sa biographie parue en 1976, Tableaux de chasse ou la vie extraordinaire de Fernand Legros de Roger Peyrefitte. L'artiste, par la suite, fait l'objet de nombreuses plaintes en justice et est condamnĂ©, en 1979, Ă  deux ans de prison ferme. Les portraits prĂ©paratoires d'Endaddine Akass montrent une similitude entre ce dernier et le chapeau, la barbe et les lunettes de soleil de l’escroc[33]. Les Ă©tudes d'HergĂ© pour l'allure du personnage Ă©voquent aussi l'apparence d'Orson Welles dans son semi-documentaire VĂ©ritĂ©s et Mensonges, traitant aussi du marchĂ© de l'art et des faussaires, et montrant Elmyr de Hory[35].

L'expert d'art Marcel Fourcart est inspiré du galeriste Marcel Stal, ami d'Hergé[7]. Le personnage reprend son prénom et son nom vient du lieu d'exposition de Stal, la galerie Carrefour, les syllabes étant inversées[7]. Hergé lui confÚre aussi des tics de langage de Stal (« hem ! hem ! ahem ! ahem ! »)[7]. D'ailleurs, en recherche permanente, Hergé pense, dans les marges de ses notes, à d'autres noms pour le personnage, dont « Dacier » (l'acier se dit « stahl » en allemand)[7].

La secrĂ©taire de Foucart, Martine Vandezande, ressemble Ă  la chanteuse Nana Mouskouri, de par ses lunettes et sa chevelure[7]. Selon Philippe Goddin, le personnage Ă©voque Yvonne Mertens, secrĂ©taire de Marcel Stal[7] - [36]. HervĂ© Springael dans la revue Les Amis de HergĂ© avance que l'inspiration — le nom, la silhouette, les lunettes et le caractĂšre — viendrait plutĂŽt de Jacqueline van den Branden, qui dans les annĂ©es 1970 a remplacĂ© son mari Baudoin gravement malade Ă  son poste de secrĂ©taire d'HergĂ©[7].

Le personnage de la comptable de la galerie Fourcart brocarde la coloriste de longue date des Studios HergĂ©, Josette Baujot (en)[31] - [7]. Les esquisses parues voient le personnage nommĂ© Mme Laijot mais HergĂ© pensait aussi Ă  Mme Vilinjot, Mme Bojot ou Mme Bellame. S'insurgeant d'ĂȘtre soupçonnĂ©e, la comptable dĂ©clare « il y a vingt-cinq ans que je suis ici, Ă  travailler comme une esclave ! J'ai usĂ© mes yeux au service de cette maison », une plainte rĂ©currente de la coloriste[31], d'ailleurs moins appropriĂ©e pour une comptable[37]. Par cette caricature, HergĂ© prend sa revanche sur son ancienne coloriste qui, peu aprĂšs avoir quittĂ© les Studios HergĂ©, avait livrĂ© un interview amer Ă  Sud Ouest[31].

Parution et postérité

DĂ©bats et conflits autour de la poursuite de l'Ɠuvre de HergĂ©

DĂšs le dĂ©cĂšs d’HergĂ© en 1983, l’Alph-Art devient sujet Ă  dĂ©bat parmi ses collaborateurs.

HergĂ© a affirmĂ© Ă  plusieurs reprises, notamment Ă  Numa Sadoul, qu'il ne souhaite pas que son Ɠuvre soit poursuivie par un autre[38]. Le dessinateur explique qu'il existe des centaines de milliers de choses que ses collaborateurs ne peuvent pas faire sans son aide, dĂ©clarant notamment :

« Mais faire vivre Tintin, faire vivre Haddock, Tournesol, les Dupondt, tous les autres, je crois que je suis le seul Ă  pouvoir le faire : Tintin, c'est moi, comme Flaubert disait : « Madame Bovary, c'est moi ». Ce sont mes yeux, mes sens, mes poumons, mes tripes
 Je crois que je suis seul Ă  pouvoir l'animer, dans le sens de donner une Ăąme. C'est une Ɠuvre personnelle, au mĂȘme titre que l'Ɠuvre d'un peintre ou d'un romancier : ce n'est pas une industrie. Si d'autres reprenaient Tintin, ils le feraient peut-ĂȘtre mieux, peut-ĂȘtre moins bien. Une chose est certaine, ils le feraient autrement et, du coup, ce ne serait plus Tintin[39] ! »

Numa Sadoul lui-mĂȘme tempĂšre les affirmations fondĂ©es sur les dĂ©clarations d'HergĂ© lors de ses entretiens avec lui : selon Sadoul, HergĂ© ne fait pas rĂ©fĂ©rence Ă  la poursuite de l'Ɠuvre aprĂšs sa mort mais plutĂŽt au contexte dans lequel il est plongĂ©[40]. Il parlerait alors de la possibilitĂ© de laisser la crĂ©ation des Aventures de Tintin de son vivant Ă  d'autres, notamment ses collaborateurs des Studios HergĂ©, qui lui font plusieurs fois la proposition, Ă  une Ă©poque oĂč il prend du temps Ă  lancer de nouveaux albums, traĂźnant depuis des annĂ©es sur le futur Tintin et les Picaros[40].

Fanny Remi affirme nĂ©anmoins que son mari a bien exprimĂ© sa volontĂ© que Les Aventures de Tintin s'achĂšvent Ă  sa mort[41]. Elle considĂšre quoi qu'il en soit « qu'une Ɠuvre appartient uniquement Ă  son auteur », raison pour laquelle seul celui-ci peut la faire vivre[41]. D'ailleurs, en 2004, questionnĂ©e sur les reprises Ă  succĂšs d'autres classiques de la bande-dessinĂ©e, elle rĂ©pond considĂ©rer que « chaque crĂ©ateur est unique et que reprendre une Ɠuvre, c'est toujours faire une copie. C'est encore plus Ă©vident avec HergĂ© : il y a une telle force dans ce qu'il dessinait ! Personne ne pourrait ressusciter ça. Ce serait en quelque sorte un faux en Ă©critures »[42]. DĂšs lors, en suivant cette dĂ©cision, les ayants droit se donnent comme lourde contrainte de faire vivre l'Ɠuvre, de la promouvoir et la perpĂ©tuer, malgrĂ© l'absence de nouveautĂ©[42].

HĂ©sitations autour de l'achĂšvement du projet

Bob de Moor voulait continuer Tintin et l'Alph-Art que Hergé a laissé à l'état d'ébauche.

Mais de nombreux collaborateurs de HergĂ© rĂȘvent que le personnage de Tintin soit repris. Parmi eux, Bob de Moor est capable d’imiter remarquablement les dessins du maĂźtre. Il espĂšre au moins terminer cette aventure de Tintin dont HergĂ© et lui sont convenus qu'ils l'achĂšveraient ensemble[43]. AprĂšs hĂ©sitation, Fanny Rodwell, seconde Ă©pouse du dessinateur depuis fin 1950, devenue la lĂ©gataire universelle[38], lui transmet les documents. HergĂ© gardant jalousement secret son travail avant d'entamer les crayonnĂ©s, Bob de Moor ne dĂ©couvre qu'Ă  ce moment-lĂ , et avec surprise, toute l'Ă©tendue de la rĂ©flexion de l'auteur sur cette aventure, mais aussi la maigreur du scĂ©nario Ă©tabli[25]. Le scĂ©nario doit ĂȘtre achevĂ©, car l’histoire n’a pas de fin, et mĂȘme la partie dĂ©jĂ  Ă©crite devrait ĂȘtre amĂ©liorĂ©e et remise en ordre. Finalement, Fanny renonce Ă  faire achever Tintin et l'Alph-Art par De Moor sur le conseil de quelques proches[43], notamment BenoĂźt Peeters et Pierre Sterckx, frappĂ©s par cet inachĂšvement profond du scĂ©nario et l'absence de concrĂ©tisation graphique, hormis pour les trois premiĂšres pages.

Pierre Sterckx révÚle au grand public l'existence de l'aventure dans un article dans Les Cahiers de la bande dessinée en [44] - [45], ce qui crée un désir de la connaßtre chez les tintinophiles.

Travail Ă©ditorial et publications

Homme ùgé d'une cinquantaine d'années.
Benoßt Peeters, spécialiste d'Hergé, décrypte et met en ordre les notes et esquisses préparatoires à Tintin et l'Alph-Art pour l'édition d'un album.

MalgrĂ© l'inachĂšvement de l'aventure, l'attente du public est forte et Fanny Remi dĂ©cide de publier les croquis et esquisses d'HergĂ© tels quels[46]. Le paquet de notes et d'esquisses rattachĂ©es au travail sur Tintin et l'Alph-Art est confiĂ© Ă  BenoĂźt Peeters, chargĂ© de le transcrire[47]. Il doit notamment remanier les dialogues, de nombreuses phrases Ă©tant inachevĂ©es ou imaginĂ©es en plusieurs variations[48]. Les ayants droit et l'Ă©diteur ont dĂ©cidĂ© d'en tirer une Ă©dition accessible et lisible par un large public[47]. Avec les diverses pistes, et en sĂ©lectionnant parfois parmi les variantes d'une mĂȘme planche, Peeters parvient Ă  Ă©tablir un rĂ©cit « Ă  peu prĂšs cohĂ©rent », Ă©talĂ© sur quarante-deux planches[47], « dans un ordre plausible, au prix de quelques simplifications »[46]. Le jeune hergĂ©ologue propose d'y ajouter aprĂšs le rĂ©cit une partie rĂ©sumant toutes les autres pistes envisagĂ©es par HergĂ©, non retenues, ou contradictoires, pour livrer l'ensemble de son travail prĂ©paratoire sur l'aventure[47]. L'Ă©diteur refuse, de crainte de faire un ouvrage trop complexe, et supprime cette partie[47]. Alain Baran confie la conception graphique de l'album au Studio Totem de Jean-Manuel Duvivier[49], qui travaille avec Michel Bareau, maquettiste de Casterman[50].

Tintin et l'Alph-Art paraĂźt chez Casterman dans un luxueux album en , trois ans et demi aprĂšs la mort d'HergĂ©[41] - [note 1]. La prĂ©face annonce : « Ceci (n')est (pas) une aventure de Tintin »[42] - [45]. L'album se prĂ©sente sous la forme d'une couverture cartonnĂ©e renfermant deux cahiers, l'un, en livret, prĂ©sentant la transcription des dialogues agrĂ©mentĂ©e de didascalies, l'autre, sous forme de carnet Ă  dessin, le dĂ©coupage graphique sur quarante-deux planches d'HergĂ©[51] - [41] - [45]. Le livret de gauche reproduit aussi des Ă©lĂ©ments de dessins agrandis, remarquables pour la vivacitĂ© de leur trait ou leur mouvement[48]. Omettant la rĂ©vĂ©lation de l'identitĂ© rĂ©elle d'Endaddine Akass et les idĂ©es de poursuite de l'intrigue d'HergĂ©, la premiĂšre Ă©dition achĂšve donc Les Aventures de Tintin sur le suspens de la mise Ă  mort prochaine du hĂ©ros Ă  la page 42[52] - [41]. À la confĂ©rence de presse de prĂ©sentation de l'album, le , Fanny Remi dĂ©clare pourtant publier l'histoire « telle que son auteur nous l'a laissĂ©e, sous forme de quarante-deux pages de croquis, annotations et textes »[46]. La quatriĂšme de couverture prĂ©tend que l'album prĂ©sente « l'ensemble des esquisses prĂ©paratoires que nous a laissĂ© HergĂ© »4e_de_couverture_54-0">[H 1].

MalgrĂ© son prix Ă©levĂ© de 200 francs, Tintin et l'Alph-Art est un succĂšs de librairie[46], avec 160 000[53] voire 240 000 exemplaires vendus[54] - [note 2]. L'ouvrage est considĂ©rĂ© comme peu pratique, difficile Ă  manier dans sa lecture[53]. Fanny Remi est surprise par le « succĂšs inattendu » de cette publication, qu'elle destinait « aux passionnĂ©s, aux collectionneurs »[42]. BenoĂźt Peeters nĂ©anmoins juge que cette prĂ©sentation de seulement quarante-deux planches ne reprĂ©sente pas « la vĂ©ritĂ© de Tintin et l'Alph-Art », mais « une interprĂ©tation du dossier, un dossier encore embryonnaire tant HergĂ© pouvait modifier la conduite du rĂ©cit et les dialogues au moment oĂč il se mettait vraiment Ă  dessiner »[47]. D'ailleurs, le manque dĂ©libĂ©rĂ© d'informations sur les idĂ©es envisagĂ©es par HergĂ© laisse les tintinophiles dĂ©velopper des hypothĂšses ou thĂ©ories sur le rĂ©cit pour compenser, alors qu'ils auraient pu se nourrir des solutions-mĂȘmes laissĂ©es par HergĂ©[47] - [note 3]. Il faut attendre 1999 pour que Hugues Dayez rĂ©vĂšle dans Tintin et les hĂ©ritiers que les ayants-droit ont sciemment cachĂ© la suite de l'intrigue envisagĂ©e et l'identitĂ© d'Endaddine Akass[52].

Tintin et l'Alph-Art intégré à la série « classique » des Aventures de Tintin à partir de 2004.

À l'occasion du 75e anniversaire de Tintin, en 2004, Casterman et la fondation HergĂ© publient une rĂ©Ă©dition remodelĂ©e de Tintin et l'Alph-Art, dĂ©sormais intĂ©grĂ© au reste de la sĂ©rie[53]. Le premier tirage est de 500 000 exemplaires, alors que l'album de 1986 est depuis Ă©puisĂ©[53]. La version de 2004 reprend la forme classique des autres albums, la mĂȘme pagination et le mĂȘme prix, plus abordable, avec une mise en page plus lisible[53]. Entretemps, en 1999, lors du 70e anniversaire, Tintin au pays des Soviets avait aussi Ă©tĂ© rĂ©Ă©ditĂ© sous la mĂȘme forme que les autres albums[56]. Tintin et l'Alph-Art constitue ainsi le vingt-quatriĂšme album des Aventures de Tintin[53] et est, cette fois-ci, prĂ©sentĂ© dans la prĂ©face comme « la derniĂšre aventure de Tintin »[42]. Cette rĂ©Ă©dition dĂ©voile enfin certains des Ă©lĂ©ments cachĂ©s en 1986, dans des annexes prĂ©sentĂ©es comme des « Pages retrouvĂ©es »[53]. Selon la veuve d'HergĂ©, la nouvelle Ă©dition « est faite pour faciliter la constitution d'un ensemble et montrer au plus grand nombre comment HergĂ© travaillait vraiment »[42]. BenoĂźt Peeters regrette toujours que n'ait jamais Ă©tĂ© publiĂ©e « une Ă©dition scientifique plus complĂšte et plus ouverte, en n'essayant pas de ramener ce paquet de notes Ă  une linĂ©aritĂ© narrative »[47].

La parution de Tintin et l'Alph-Art, puis son intégration à la série « classique » en 2004, laisse Tintin et les Picaros dans une position inconfortable d'avant-dernier album, alors qu'il s'agit de l'ultime achevé par Hergé[52].

Accueil critique et public

Pierre Ajame exprime son Ă©motion Ă  la vue de l'Ɠuvre inachevĂ©e, « cet Ă©mouvant adieu Ă  Tintin » : « [HergĂ©] est Ă  sa table et soudain il n'y est plus ; et toutes les petites silhouettes griffonnĂ©es, silhouettes de gentils et de mĂ©chants, sont surprises un pied en l'air, effarĂ©es par ce grand vide, stupĂ©faites que la grosse Mercedes noire des tueurs n'avance plus, que la Castafiore garde son contre-ut au fond de la gorge, que Milou, chargĂ© par Tintin de porter un appel au secours Ă  Haddock, erre dans des limbes oĂč il n'y a plus ni reporter, ni capitaine, oĂč il n'y a mĂȘme plus de chien »[51].

Hommages

En 1989, tous les prix dĂ©cernĂ©s au festival international de la bande dessinĂ©e d'AngoulĂȘme — jusqu'alors nommĂ©s les « Alfred » d'aprĂšs le pingouin Alfred de Zig et Puce d'Alain Saint-Ogan — sont rebaptisĂ©s les « Alph-Art », et le demeurent ainsi jusqu'en 2003[57] - [46].

En 1998, le festival de la bande dessinĂ©e d'AngoulĂȘme organise une exposition HergĂ© et l'Alph-Art, la troisiĂšme consacrĂ©e au dessinateur aprĂšs Le Lotus bleu en 1989, et Le Monde de Tintin en 1993[58] - [59] - [60]. Outre les crayonnĂ©s et esquisses de l'aventure en gestation, l'exposition prĂ©sente trois toiles peintes par HergĂ© dans les annĂ©es 1960 et trois des quatre portraits d'HergĂ© rĂ©alisĂ©s par Andy Warhol en 1977[61].

En 2016, le musĂ©e HergĂ© organise une exposition intitulĂ©e Tonnerre de Brest, d'aprĂšs l'expression qu'HergĂ© a empruntĂ©e Ă  Marcel Stal pour le capitaine Haddock[9]. L'exposition met en avant la passion d'HergĂ© pour l'art contemporain, Ă  travers les tableaux qu'il a collectionnĂ©s et ceux qu'il a lui-mĂȘme peints, et prĂ©sente des esquisses de Tintin et l'Alph-Art, certaines dĂ©voilĂ©es pour la premiĂšre fois[9].

AchÚvements « pirates », pastiches et parodies

Plusieurs personnes dĂ©cident d'achever complĂštement ou partiellement l’album. Certains par pure vĂ©nalitĂ©, d'autres par passion. Parmi les nombreuses reprises et adaptations, on peut noter celles de « Ramo Nash », Yves Rodier, RĂ©gric, l'internaute « Fan2Tintin » et Serge Bouillet. La plus fidĂšle au style d'HergĂ© est sans doute la version proposĂ©e par Rodier, dont L'Alph-Art est trĂšs apprĂ©ciĂ© des tintinophiles. Bob de Moor lui-mĂȘme fut impressionnĂ© par le travail de ce dessinateur dĂ©butant[62].

Tintin et l'Alph-Art a également fait l'objet d'une parodie littéraire en février 2016, Saint-Tin et l'art fat, écrit par Gordon Zola dans sa série Les Aventures de Saint-Tin et son ami Lou[63]. Si l'auteur se nourrit de l'univers d'Hergé, le scénario de ses aventures s'en différencie complÚtement[64].

Conception

L’album se compose de quarante-deux esquisses dessinĂ©es au crayon et au stylo Ă  bille noir et soulignĂ©es au feutre de diverses couleurs, principalement en rouge. Les premiĂšres, trĂšs travaillĂ©es, sont certifiĂ©es comme pratiquement prĂȘtes pour la mise Ă  l'encre dĂ©finitive tandis que les suivantes sont Ă  l'Ă©tat d’ébauche, certaines existant en plusieurs versions possibles par HergĂ©. Mais cette mise en brouillon n’a pas seulement des dĂ©fauts. Pour Michael Farr, les esquisses les moins Ă©laborĂ©es ont Ă©galement « le trait d’une vie » et une « Ă©lectricitĂ© », qui permettent de distinguer HergĂ© des grandes personnalitĂ©s de la bande dessinĂ©e franco-belge. De ce fait, l’album, selon son point de vue, avait la promesse d’ĂȘtre l'un des plus rĂ©ussis parmi les Ɠuvres des vingt derniĂšres annĂ©es[65].

Analyse de l'Ɠuvre

L’histoire, en elle-mĂȘme, est beaucoup moins ambitieuse en termes d’aventures que les albums prĂ©cĂ©dents (hormis Les Bijoux de la Castafiore).

Ni coup d’État, ni Ăźle engloutie par un volcan en Ă©ruption, ni rencontres avec des extraterrestres, mais une simple enquĂȘte sur une bande de faussaires rĂ©unie dans une villa en Italie. Les scĂšnes d’action sont Ă©galement rĂ©duites : Tintin manque de se faire renverser par une voiture Ă  la page 17, se fait assommer Ă  la page 27, se fait tirer dessus Ă  la page 31, et est poussĂ© violemment dans une cellule Ă  la page 41.

Une autre singularitĂ© de l’histoire est le fait que Tintin quitte Moulinsart et la Belgique Ă  la page 38. Il est habituellement beaucoup plus prompt Ă  partir dans des contrĂ©es lointaines ou alors il demeure Ă  son domicile pendant tout l’album (Les Bijoux de la Castafiore, Les Sept Boules de cristal, Le Secret de La Licorne). Ces singularitĂ©s existent, soit par choix de l’auteur de casser les codes de la sĂ©rie (comme il l’avait fait pour Les Bijoux de la Castafiore), soit tout simplement parce qu’il s’agit d’une Ă©bauche d’album.

Le mystĂ©rieux chef des faussaires, Endaddine Akass, est prĂ©sentĂ© au dĂ©but de l’histoire comme le gourou d'une secte. Cet aspect du personnage est trĂšs peu exploitĂ© par la suite.

Un brouillon pour fin des Aventures de Tintin

L'album se clĂŽt sur la menace de la mort de Tintin, les cases restantes de la page restant vides[66] - [52]. À la mort d'HergĂ© en 1983, Les Aventures de Tintin se terminaient sur la derniĂšre case de Tintin et les Picaros, sur le mot « FIN »[66]. Depuis la parution de Tintin et l'Alph-Art, la vie de Tintin se prolonge dans une aventure incomplĂšte et Ă  peine Ă©bauchĂ©e. Le dernier album achevĂ© d'HergĂ© se contente dĂ©sormais d'une place dans la sĂ©rie que Ludwig Schuurman qualifie de « dĂ©licate » et « inconfortable », avant un album posthume inachevĂ© et aprĂšs un album dĂ©routant, Vol 714 pour Sydney, dont les protagonistes ne se souviennent pas[52].

« Cette mort putative, terrible, clĂŽt, dĂ©finitivement cette fois, les Aventures de Tintin. Elle survient cependant au dĂ©but d'une page blanche, laissant thĂ©oriquement au lecteur le choix de poursuivre comme bon lui semble le rĂ©cit inachevĂ©. Pourtant, cette derniĂšre case esquissĂ©e laisse le goĂ»t amer de la disparition de l'auteur mĂȘme. Autant les Bijoux et les Picaros, conçus comme des Ɠuvres terminales, pouvaient-ils renvoyer Ă  la lecture perpĂ©tuelle de l'ensemble du cycle de Tintin, autant le chantier de L'Alph-Art rend-il la mort de HergĂ© plus poignante.
Autant le mot FIN, pĂ©remptoire clĂŽture des Picaros, ouvrait-il au rĂȘve et Ă  l'imaginaire, autant l'ultime Ɠuvre restĂ©e ouverte ramĂšne-elle Ă  l'inexorable course du temps. »

— FrĂ©dĂ©ric Soumois, 1987[66].

Une aventure centrée sur l'art contemporain

Cet album tĂ©moigne de la passion d'HergĂ© pour l'art contemporain, surtout lors de ses derniĂšres annĂ©es[67]. Il collectionne notamment des Ɠuvres d'artistes d'Art abstrait et de Pop art[68]. Sauf que, comme l'a spĂ©cifiĂ© BenoĂźt Peeters, ne traiter que d'art conceptuel menait droit Ă  une impasse. C'est pour cela que cette thĂ©matique a Ă©tĂ© incluse dans une intrigue policiĂšre, plus familiĂšre aux lecteurs de la sĂ©rie, ce sujet ardu leur Ă©tant ainsi plus accessible. Cette immixtion de l'art contemporain dans l'histoire se traduit surtout lors de la visite imprĂ©vue du capitaine dans la galerie d'Henri Fourcart. Son nom s'inspire du nom de la galerie de son ami Marcel Stal, Carrefour, dont l'auteur a inversĂ© les deux syllabes. Si le nom du mouvement Alph-Art a Ă©tĂ© inventĂ©, il rappelle des mouvements artistiques rĂ©els, tels que le Lettrisme.

HergĂ© va jusqu'Ă  se moquer des commentaires mondains sur l'art, comme lorsque la Castafiore s'Ă©tonne qu'un « simple marin-pĂȘcheur sans instruction » puisse s’intĂ©resser Ă  l'art et qu'elle dit se sentir meilleure aprĂšs avoir contemplĂ© une Ɠuvre. Peut-ĂȘtre va-t-il jusqu'Ă  se moquer de lui-mĂȘme Ă  travers le capitaine, qui s'entiche d'un coup de l'art et achĂšte une Ɠuvre par narcissisme (un « H » comme Haddock), essayant dĂ©sespĂ©rĂ©ment d'expliquer Ă  son entourage la signification de celle-ci. En effet, l'auteur aussi s'est intĂ©ressĂ© sur le tard Ă  l'art contemporain et craignait de passer pour un snob auprĂšs de ses amis[69] - [70].

Aspects géographiques

L'histoire demeurant sous forme d'Ă©bauche, le lieu oĂč se trouve la villa d'Endaddine Akass n'est pas dĂ©terminĂ© de maniĂšre sĂ»re. Lors du coup de fil de la Castafiore Ă  Tintin, elle annonce qu'elle va passer quelques jours chez lui, Ă  Ibiza, Ăźle au large de l'Espagne. Pourtant, lorsque le journaliste dĂ©cide de partir enquĂȘter sur ce mage, il mentionne devant le capitaine ce coup de tĂ©lĂ©phone, au cours duquel la cantatrice a Ă©voquĂ© l'Ăźle d'Ischia, dans la Baie de Naples, en Italie. Ce que confirme la suite des Ă©bauches, puisqu'ils atterrissent Ă  l'AĂ©roport de Naples, pour se rendre dans un hĂŽtel sur cette Ăźle, dont les employĂ©s parlent l'italien. Toutefois, il n'est pas sĂ»r que si HergĂ© avait achevĂ© cette aventure, il aurait confirmĂ© le choix de cette Ăźle ou d'une autre pour l'affrontement entre Tintin et Endaddine Akass, l'auteur pouvant toujours modifier son scĂ©nario. DĂ©tail intĂ©ressant, on trouve sur cette Ăźle volcanique un mont ÉpomĂ©o, qui porte le nom du paquebot sur lequel Tintin a rencontrĂ© Rastapopoulos dans Les Cigares du pharaon.

En plus de ces lieux citĂ©s, l'histoire Ă©voque de multiples lieux, fictifs ou rĂ©els. Ainsi, dans la galerie de Fourcart, la Castafiore commente les rĂ©alisations de Ramo Nash, comme un retour aux sources, aux grottes de « Castamura » ou de Lascaux. La premiĂšre est sans doute une dĂ©formation involontaire de sa part du nom de grotte d’Altamira, en Espagne. Plus tard, l'Ă©mir Ben Kalish Ezab Ă©voque sa volontĂ© d'acheter avec ses pĂ©trodollars de prestigieux monuments europĂ©ens, tels que le chĂąteau de Windsor en Angleterre, ainsi que celui de Versailles, la Tour Eiffel (pour en faire un derrick) et « la raffinerie qu'on a rĂ©cemment construite Ă  Paris et dont on a fait un musĂ©e » (Centre Beaubourg) en France[70].

RĂ©apparitions de personnages

Cette histoire est une nouvelle fois l'occasion de faire rĂ©apparaĂźtre des personnages apparus dans de prĂ©cĂ©dents volumes. Ainsi, lors de la cĂ©rĂ©monie du mage, Tintin reconnaĂźt parmi les spectateurs Monsieur Sakharine, rencontrĂ© dans Le Secret de La Licorne. Puis, dans la villa sur Ischia, une rĂ©ception rĂ©unit parmi les invitĂ©s Gibbons, dans l'import-export, ainsi que Monsieur Chicklet, dirigeant d'importantes sociĂ©tĂ©s pĂ©troliĂšres. Ils apparaissent respectivement dans Le Lotus bleu et L'Oreille cassĂ©e. Enfin, dans les brouillons d'HergĂ©, on apprend que celui-ci envisage l'hypothĂšse de faire rĂ©apparaĂźtre le docteur Krollspell en directeur d'un laboratoire de brown sugar (« hĂ©roĂŻne » en argot amĂ©ricain), trempant dans un trafic de stupĂ©fiants dans une ambassade. Sans doute celle de SondonĂ©sie, oĂč sont reçus les ambassadeurs du Saboulistan (sv), du San Theodoros, de Bordurie et de Syldavie.

Notes et références

Notes

  1. Tintin et l'Alph-Art est prĂ©sent dans le onziĂšme tome de la luxueuse ƒuvre intĂ©grale d'HergĂ© des Ă©ditions Rombaldi en 1986, avec les crayonnĂ©s des trois premiĂšres planches, puis le treiziĂšme tome en 1987 reprend le contenu de l'album paru l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente[45].
  2. Le prix de 200 francs Ă©quivaut Ă  57 euros en 2022[55].
  3. Par exemple, Ă  la parution de l'album, Pierre Ajame prĂ©sume dans Le Nouvel Observateur que le mĂ©chant dont la voix semble familiĂšre Ă  Tintin serait en rĂ©alitĂ© le docteur MĂŒller ou Rastapopoulos[51]

Références

  1. Il a inventĂ© et testĂ© sur lui – sans le prĂ©venir – un mĂ©dicament qui « donne un goĂ»t abominable Ă  tout alcool absorbĂ© par la suite », afin de le guĂ©rir de son alcoolisme.
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  3. (L'Alph-Art, réédition, p. 58)
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  67. Voir ce lien et ce lien.
  68. À ce propos, Andy Warhol a rĂ©alisĂ© une sĂ©rie de quatre portraits de l'auteur, dont trois sont exposĂ©es au MusĂ©e HergĂ©.
  69. Pierre Sterckx et Elisabeth Couturier, « L'Art chez HergĂ© », dans Les personnages de Tintin dans l'histoire : Les Ă©vĂ©nements qui ont inspirĂ© l'Ɠuvre d'HergĂ©, vol. 2, Historia, hors-sĂ©rie / Le Point, , 120-125 p. (EAN 9782897051044).
  70. Volker Saux, « L'Alpha-Art en questions, in "Tintin: les arts et les civilisations vus par le hĂ©ros d'HergĂ©" », GÉO, Hors-sĂ©rie,‎ , p. 126 Ă  133.

Renvois aux albums d'Hergé

  1. 4e_de_couverture-54" class="mw-reference-text">Tintin et l'Alph-Art, 1986, 4e de couverture.

Voir aussi

Éditions

Ouvrages sur l'Ɠuvre d'HergĂ© et sa gestion posthume

  • Pierre Sterckx, « Tintin et l'Alph'Art », Les Cahiers de la bande dessinĂ©e, no 59,‎ , p. 72-77.
  • FrĂ©dĂ©ric Soumois, Dossier Tintin : sources, versions, thĂšmes, structures, Bruxelles, Jacques Antoine, , 316 p. (ISBN 2-87191-009-X).
  • Michael Farr, Tintin, le rĂȘve et la rĂ©alitĂ© : L'histoire de la crĂ©ation des aventures de Tintin, Bruxelles, Éditions Moulinsart, , 2005 p. (ISBN 2-930284-58-7, lire en ligne). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Philippe Goddin, HergĂ©, Chronologie d'une Ɠuvre : 1958-1983, t. 7, Bruxelles, Éditions Moulinsart, , 375 p. (ISBN 978-2-87424-239-7).
  • Pierre Sterckx, L'art d'HergĂ©, Paris, Gallimard, coll. « albums Beaux Livres », , 435 p. (ISBN 978-2-07-014954-4 et 2-07-014954-4).
  • Comment HergĂ© a crĂ©Ă© Tintin et l'Alph-Art, BĂ©dĂ©story, coll. « Comment HergĂ© a créé  », , 32 p..
  • Hugues Dayez, Tintin et les hĂ©ritiers. Chronique de l'aprĂšs-HergĂ©, Paris, Les Éditions du FĂ©lin, , 183 p. (ISBN 978-2-86645-360-2, EAN 9782866453602).
  • Nicole Benkemoun, La derniĂšre aventure de Tintin et d'HergĂ©. L'Alph-Art ou l'art de l'inachevĂ©, Éditions SĂ©pia, , 272 p. (ISBN 979-10-334-0532-0, EAN 9791033405320).

Ouvrages sur Hergé

Articles connexes

Liens externes

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