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Team Jorge

« Team Jorge » est le nom donnĂ© Ă  une entreprise fantĂŽme, privĂ©e, dĂ©masquĂ©e en 2022 par un groupe de journalistes d'enquĂȘte du consortium Forbidden Stories dans le cadre du projet Story Killers.

Cette officine politique secrĂšte (jusqu'en 2023), crĂ©Ă©e par Tal Hanan, s'est prĂ©sentĂ©e comme Ă©tant principalement constituĂ©e d'une Ă©quipe d'anciens militaires israĂ©liens, lesquels se sont spĂ©cialisĂ©s dans le renseignement et l'influence, grĂące au dĂ©nigrement de personnalitĂ©s, le sabotage d'Ă©lections, la construction de rĂ©cits inventĂ©s, la propagande, la manipulation de l'opinion publique (et en particulier des choix Ă©lectoraux), « aux dĂ©pens de l'information et de la dĂ©mocratie » selon les journalistes enquĂȘteurs[1].

Pour ce faire, le groupe utilise des logiciels espions et malveillants, ainsi qu'une plateforme logicielle « intelligente » baptisĂ©e Advanced Impact Media Solutions, ou Aims, capable de crĂ©er, diffuser et gĂ©rer de faux profils, de faux comptes en ligne et de fausses informations sur les rĂ©seaux sociaux : une « ferme de robots informatiques » et un « catalogue de plus de 30 000 profils automatisĂ©s de fausses personnes [
] utilisĂ©s par Jorge pour poster en rafale des commentaires sur les rĂ©seaux sociaux, faire monter une polĂ©mique » et notamment pour manipuler les rĂ©sultats de processus Ă©lectoraux[2].

Le groupe a été décrit par différents journaux en , aprÚs une opération d'infiltration qui a eu lieu à Tel-Aviv en 2022, conduite par des journalistes israéliens et français, dans le cadre du travail d'un consortium de journalistes d'investigation coordonné par Forbidden Stories[3] - [4].

Selon les données disponibles, l'organisation « Team Jorge » est active dans l'industrie de la désinformation depuis au moins 2015. Elle se targue d'avoir manipulé trente-trois élections présidentielles dans le monde, dont beaucoup en Afrique, avec vingt-sept cas des résultats positifs pour ses clients[5].

Les journalistes infiltrĂ©s se sont fait passer pour des clients potentiels, intermĂ©diaires d'un dirigeant africain dĂ©sireux de dĂ©caler, voire de faire annuler, des Ă©lections, et ils ont pu filmer leurs interactions avec Tal Hanan – le chef du groupe « Team Jorge » et ancien agent des forces spĂ©ciales israĂ©liennes. Il a lui-mĂȘme dĂ©crit et expliquĂ© une partie du fonctionnement interne de l'organisation[6] et fait une dĂ©monstration de l'efficacitĂ© de ses outils informatiques.

« Jorge » est l'un des pseudonymes de Tal Hanan, qui a inspiré le nom de « Team Jorge »[2].

Histoire

La premiĂšre activitĂ© publiquement documentĂ©e du groupe (grĂące Ă  plusieurs lanceurs d'alerte) ne date que de 2015 mais, selon Tal Hanan (en 2022), Team Jorge existe depuis plus de deux dĂ©cennies et offre, moyennant d'importantes rĂ©tributions, ses services Ă  des agences de renseignement gouvernementales, des hommes politiques ou responsables de campagnes politiques, et Ă  des entreprises privĂ©es qui souhaitent secrĂštement manipuler l'opinion publique[6]. Et, d'aprĂšs une brochure intitulĂ©e « Ă©lections, renseignement et opĂ©rations spĂ©ciales », envoyĂ©e Ă  Cambridge Analytica en 2015, le groupe « Team Jorge », constituĂ© d’ex-spĂ©cialistes du Renseignement et des forces spĂ©ciales israĂ©liennes, amĂ©ricaines, espagnoles, britanniques ou russes, couplĂ©s Ă  des « experts en mĂ©dias » connaissant « les meilleurs moyens de raconter une histoire, un message ou un scandale, et de crĂ©er les effets dĂ©sirĂ©s »[1], serait actif depuis 1999 (annĂ©e qui — note le consortium — est Ă©galement celle de la crĂ©ation de « Demoman », l'entreprise officielle dont Tal Hanan est le PDG)[1].

Le groupe s'est adjoint d'autres compĂ©tences, comme celle de Roger Francisco Noriega[1], ancien assistant d'Ă©lu et ancien diplomate amĂ©ricain (ambassadeur), qui a notamment Ă©tĂ© secrĂ©taire d'État adjoint aux affaires de l'hĂ©misphĂšre occidental sous le gouvernement de George W. Bush, et qui est ensuite passĂ© dans le privĂ© pour devenir lobbyiste.

Selon les dires et documents collectĂ©s par l'enquĂȘte journalistique publiĂ©e en 2023, la « Team Jorge » a activement conduit des activitĂ©s de propagande et de dĂ©sinformation dans plus de trente pays[1], majoritairement pour le compte de sociĂ©tĂ©s et d'industriels.

Outils et méthodes de tromperie et d'influence

Dans une brochure de trois pages donnĂ©e Ă  Cambridge Analytica en 2015, Tal Hanan proposait de combiner des approches d'« intelligence stratĂ©gique », d'analyse de la « perception publique », de « guerre de l’information », de « sĂ©curitĂ© des communications », ainsi qu'un « package spĂ©cial Jour J »[1].

Plateforme d'Intelligence artificielle

L'un des principaux outils de l'organisation (en 2022) est un progiciel baptisé Advanced Impact Media Solutions, ou Aims[2], appuyé sur une intelligence artificielle qui « écrit désormais des posts viraux à la demande », puis les fait circuler sur Facebook, mais également sur Twitter, LinkedIn, Telegram[1], etc.

Cette plateforme logicielle Ă©voque l'outil Ripon (mise Ă  disposition d'Aggregate IQ et de Cambridge Analytica, pour les mĂȘmes usages), qui facilite et automatise la crĂ©ation et le contrĂŽle centralisĂ© de milliers de faux profils de rĂ©seaux sociaux, notamment sur Facebook.

L’intelligence artificielle incluse dans l'outil peut ainsi, Ă  partir de quelques mots-clĂ©s et en quelques secondes, Ă©crire et propulser en ligne des sĂ©ries massives de posts, des articles, des commentaires ou des tweets. Ces textes peuvent ĂȘtre Ă©crits dans toutes les langues majeures, et — au choix — avec une tonalitĂ© « positive », « nĂ©gative » ou « neutre »[1]. Devant les journalistes infiltrĂ©s, les mots-clĂ©s « Tchad », « prĂ©sident », « frĂšre » et « DĂ©by », choisis par « Jorge » ont permis, en douze secondes, de gĂ©nĂ©rer sur Internet les contenus de dix tweets nĂ©gatifs sur le pouvoir tchadien : « Trop c’est trop, nous devons mettre fin Ă  l’incompĂ©tence et au nĂ©potisme du prĂ©sident du Tchad, frĂšre Deby », « Le peuple tchadien a suffisamment souffert sous le rĂšgne du prĂ©sident FrĂšre Deby » et, selon l'un des associĂ©s de Jorge, « un opĂ©rateur peut gĂ©rer 300 profils, donc en deux heures, tout le pays parlera du rĂ©cit [qu’on] veut »[1].

Certains des faux profils crĂ©Ă©s sont dotĂ©s de vrais comptes sur Amazon et Airbnb, ainsi que d'une carte de crĂ©dit et de portefeuilles bitcoin, ce qui leur donne plus de crĂ©dibilitĂ© et augmente leurs capacitĂ©s de nuisance (pouvant mĂȘme manipuler le cours des cryptomonnaies)[7] ;

Autres outils

Le groupe « Team Jorge » utilise Ă©galement des outils et techniques de piratage lui permettant de pĂ©nĂ©trer les comptes et boites mail de victimes ou de personnes connexes[6]. Devant les journalistes sous couverture, il a utilisĂ© des documents provenant de TA9 (sociĂ©tĂ©-fille de Rayzone) et Ă©voquĂ© la « reconnaissance faciale ». Les auteurs de l'enquĂȘte publiĂ©e en 2023 notent que, selon le journal israĂ©lien Calcalist, TomĂĄs ZerĂłn, qui fait l'objet d'un mandat d'arrĂȘt international pour torture et disparition forcĂ©e, dĂ©fendu au moyen de l'AIMS, serait rĂ©fugiĂ© en IsraĂ«l dans un logement appartenant Ă  David Avital, qui est actionnaire d'une filiale de Rayzone. Son avocate Liora Turlevsky reconnait que M. ZerĂłn est bien en IsraĂ«l, mais affirme qu'« il n'a jamais vĂ©cu dans un appartement appartenant Ă  David Avital »[1].

Jorge dit pouvoir, grĂące Ă  une faille de Rayzone, hacker le rĂ©seau mobile. Il dit pouvoir aussi accĂ©der Ă  tout ce que l'on peut trouver dans toutes les bases de donnĂ©es ; et pour le dĂ©montrer, il a, devant les journalistes infiltrĂ©s, trĂšs rapidement pris le contrĂŽle de messageries privĂ©es Gmail de hauts responsables africains, montrant qu'il avait notamment accĂšs Ă  leur drive et Ă  leur carnet d’adresses. Il a fait de mĂȘme pour de nombreux comptes Telegram[1].

Responsables et collaborateurs

Parmi les personnes de l'entité ou trÚs proches d'elle rencontrées par les journalistes figurent :

  • Tal Hanan et son frĂšre Zohar Hanan, dit Nick, qui se prĂ©sente comme spĂ©cialiste du dĂ©tecteur de mensonges, et a Ă©tĂ© dĂ©crit comme le directeur gĂ©nĂ©ral de Team Jorge[6] ;
  • Mashi Meidan, ancien patron, dans les annĂ©es 2010, d'une sociĂ©tĂ© de sĂ©curitĂ© israĂ©lienne installĂ©e au Panama, et peut-ĂȘtre un ancien membre du Shin Bet ou Shabak (Renseignement intĂ©rieur israĂ©lien)[1]. Ses avocats affirment qu'il a « travaillĂ© pour le gouvernement israĂ©lien jusqu’en 2006, date Ă  laquelle il a pris sa retraite », et qu'il « n’est pas, et n'a jamais Ă©tĂ©, associĂ© Ă  une sociĂ©tĂ© ou une entitĂ© nommĂ©e "Team Jorge" et n'est certainement pas un "partenaire commercial" dans une telle entreprise »[1] ;
  • Shuki Friedman, Ă©galement un ancien du renseignement intĂ©rieur israĂ©lien. Responsable durant plusieurs annĂ©es du renseignement Ă  Ramallah, en Palestine[1] ;
  • Yaakov Tzedek, qui prĂ©side Tzedek Media Group, et se dit « expert du numĂ©rique et de la publicitĂ© » depuis plus de dix ans[1].

Tal Hanan semble s'ĂȘtre aussi associĂ© Ă  des personnes non-issues des sphĂšres militaires et/ou du renseignement, dont :

En 2022, le groupe peut s'appuyer — selon ses affirmations (invĂ©rifiables) — sur un rĂ©seau d'une centaine d'employĂ©s, via six bureaux Ă  travers le monde, liĂ©s au siĂšge basĂ© Ă  Modi'in-Maccabim-Re'ut, une ville Ă  35 km au sud-est de Tel-Aviv[6]. L'une de ses entreprises (DemoMan) disposait en 2022 de bureaux et reprĂ©sentants en IsraĂ«l, aux États-Unis, en Suisse, en Espagne, en Croatie, aux Philippines ou en Colombie. L'entreprise affichait encore des adresses au Mexique et en Ukraine, mais celles-ci, selon les dires de Tal Hanan publiĂ©s en 2023, ont Ă©tĂ© fermĂ©es, Ă  cause d’un ralentissement des affaires pour la premiĂšre et de la guerre russo-ukrainienne pour la seconde[1].

Selon Mashy Meidan, partenaire et proche de Hanan, la Team Jorge a « travaillé en Europe, en Afrique, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine ».

EnquĂȘte et exposition

Les activitĂ©s de l'Ă©quipe Jorge ont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©es aprĂšs une opĂ©ration d'infiltration par trois journalistes d'enquĂȘte : Gur Megiddo de TheMarker, FrĂ©dĂ©ric MĂ©tĂ©zeau de Radio France et Omer Benjakob de Haaretz[4]. Ceux-ci se sont fait passer pour des clients potentiels et ont rĂ©ussi Ă  filmer des moments passĂ©s avec Tal Hanan Ă  Tel Aviv en 2022, durant lesquels ce dernier explique le fonctionnement interne de l'organisation[6].

L'enquĂȘte plus large a impliquĂ© des journalistes d'un total de trente mĂ©dias, coordonnĂ©s par Forbidden Stories[6], avec notamment The Guardian, Der Spiegel, Die Zeit, Le Monde, l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), El PaĂ­s et d'autres mĂ©dias et organisations en France, en Allemagne, en IndonĂ©sie, en IsraĂ«l, au Kenya, en Espagne, en Tanzanie et aux États-Unis[5].

Sous-traitance pour Cambridge Analytica

Tal Hanan a participé à des réunions impliquant Cambridge Analytica dÚs 2014[8].

Cambridge Analytica (qui s'est auto-dissoute) avait Ă©tĂ© crĂ©Ă©e en 2013 par Alexander Nix et Steve Bannon comme Ă©manation de SCL (Strategic Communication Laboratories), et Ă©tait principalement financĂ©e par la famille du milliardaire amĂ©ricain conservateur Robert Mercer[9] - [10]. Sa vocation Ă©tait de secrĂštement contrĂŽler et fausser les rĂ©sultats de campagnes Ă©lectorales (ou rĂ©fĂ©rendums) par diverses techniques d'influence et de dĂ©nigrement (ex : rĂ©fĂ©rendum sur l'appartenance du Royaume-Uni Ă  l'Union europĂ©enne[11]), notamment au moyen du profilage psychologique de millions d'individus et de la construction de messages ciblĂ©s et de fake news par une plateforme logicielle dĂ©nommĂ©e Ripon, intĂ©grant une intelligence artificielle, mise au point par la sociĂ©tĂ©-sƓur de Cambridge Analytica (crĂ©Ă©e en mĂȘme temps qu'elle, mais au Canada), AggregateIQ, une sociĂ©tĂ© fermĂ©e aprĂšs les rĂ©vĂ©lations faites dans le cadre du scandale Facebook-Cambridge Analytica/AIQ, mais qui semble avoir Ă©tĂ© reprise par la sociĂ©tĂ© Emerdata Limited (basĂ©e dans les mĂȘmes bureaux et ayant en majoritĂ© les mĂȘmes directeurs)[12] - [13] - [14] - [15].

Les enquĂȘtes qui ont suivi le scandale Facebook-Cambridge Analytica/AIQ ont rĂ©vĂ©lĂ© un partenariat avec des « hackers israĂ©liens » appartenant Ă  un groupe dĂ©signĂ© par Alexander Nix dans un mail interne de Cambridge Analytica, comme « Israeli back ops ». Ce groupe, dirigĂ© par une personne se faisant appeler « Jorge », et l'identitĂ© rĂ©elle de ce Jorge sont restĂ©s inconnus du public jusqu'en . Il est alors apparu que « Jorge » est l'un des pseudonymes utilisĂ©s par Tal Hanan[2].

Des courriels divulgués à The Guardian ont montré ou confirmé que la « Team Jorge » a travaillé pour Cambridge Analytica en 2015 et 2017, au moins pour discréditer des campagnes politiques en Afrique et en Amérique du Sud[16].

Ces deux organisations ont notamment collaboré pour manipuler l'élection nigériane de 2015[6], pour faire réélire Goodluck Jonathan en discréditant Muhammadu Buhari, mais cette fois sans succÚs[17].

Exemples d'actions illégales et malveillantes

Selon les informations disponibles, cette officine a secrÚtement été payée pour :

  • promouvoir le nuclĂ©aire en Californie[18] ;
  • promouvoir le prĂ©sident sĂ©nĂ©galais Macky Sall afin qu’il soit rĂ©Ă©lu en 2019[18] ;
  • dĂ©nigrer des personnes, dont par exemple :
    • George Chang, homme d’affaires hongkongais propriĂ©taire de 90 % du port du Panama, violemment dĂ©nigrĂ© en 2020[18],
    • Xavier Justo, lanceur d'alerte suisse (ayant rĂ©vĂ©lĂ© un vaste scandale de corruption et de dĂ©tournement massif d'argent en Malaisie)[18]. Justo a transmis, en , environ 227 000 documents liĂ©s Ă  cette Ă©norme fraude au Wall Street Journal et Ă  la blogueuse militante Clare Rewcastle Brown, qui Ă©crit dans le Sarawak Report[19] ; ces documents compromettants avaient Ă©tĂ© acquis au sein de l’entreprise saoudienne PetroSaudi International oĂč Justo a travaillĂ©[20]. Ce dernier est alors violemment pris Ă  partie par une campagne de diffamation en ligne. Notamment, fin 2020, un site internet et une chaĂźne YouTube se faisant passer comme les siens le dĂ©peignent comme un mercenaire n'agissant que pour le profit, et dont la parole n'est pas fiable. Team Jorge agit pour que ce faux site et cette fausse chaĂźne soient largement diffusĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux, via de faux comptes, tout en orchestrant une opĂ©ration de diffamation plus large, le faisant passer pour un voleur, un droguĂ©, et un maĂźtre chanteur,
    • un adversaire politique, par exemple en faisant livrer au domicile de son Ă©pouse des sextoys commandĂ©s sur Amazon, par un avatar informatique nommĂ© Shannon Aiken supposĂ©ment ĂȘtre une « jolie blonde » ; cette situation laisse l'Ă©pouse imaginer un adultĂšre. « AprĂšs ça, on a fait fuiter l’histoire et le fait qu’il ne pouvait plus rentrer chez lui » ajoute Tal Hanan[1] ;
  • dĂ©nigrer des instances gouvernementales, par exemple, en 2021, avec une attaque concertĂ©e d'avatars d'AIMS contre l'agence de sĂ©curitĂ© sanitaire britannique, car elle avait ouvert une enquĂȘte sur un laboratoire accusĂ© d’avoir fourni environ 43 000 faux rĂ©sultats nĂ©gatifs de test Covid Ă  ses patients (le groupe propriĂ©taire de ce laboratoire nie avoir eu des liens avec « Jorge »)[1] ;
  • dĂ©fendre des personnes poursuivies par la justice. À titre d'exemple, en 2020, « Team Jorge » a utilisĂ© un grand nombre d'avatars pilotĂ©s par son progiciel AIMS pour soutenir TomĂĄs ZerĂłn alors qu'il Ă©tait sous le coup d’un mandat d'arrĂȘt international dans le cadre d'une enquĂȘte sur la disparition, en 2014, de 43 Ă©tudiants[1]. Cet ancien haut-fonctionnaire mexicain est accusĂ© d'avoir contribuĂ© Ă  l'achat du logiciel espion Pegasus par les autoritĂ©s mexicaines, et d'avoir, quand il Ă©tait directeur de l'agence chargĂ©e des enquĂȘtes criminelles de 2013 Ă  2016, pratiquĂ© des enlĂšvements, la torture et des falsifications de preuves[1]. En 2023, cette personne est rĂ©fugiĂ©e en IsraĂ«l (oĂč les autoritĂ©s ne veulent pas l'extrader)[1]. Les bots de « Team Jorge » ont propagĂ© le message que ZerĂłn est en fait un « innocent » victime de fausses accusations, lancĂ©es dans le cadre d'une campagne orchestrĂ©e Ă  son encontre par le « prĂ©sident corrompu » du Mexique (AndrĂ©s Manuel LĂłpez Obrador). Selon son avocate (Liora Turlevsky), M. ZerĂłn « n’est responsable d’aucune campagne en son nom et ne sait pas qui se cache derriĂšre chaque commentaire sur les rĂ©seaux sociaux[1] » ;
  • truquer, (rĂ©)orienter les rĂ©sultats de rĂ©fĂ©rendums (dont celui qui a conduit au Brexit) ou d'Ă©lections, en modifiant les opinions de potentiels votants prĂȘts Ă  changer d'avis. Ainsi :
    • « Team Jorge », selon Tal Hanan, serait intervenu dans 33 campagnes prĂ©sidentielles, dont 27 ont eu des rĂ©sultats en faveur de la faction qui l'avait embauchĂ©[5] - [1],
    • il a aussi revendiquĂ© une cyberattaque, en 2019, contre le comitĂ© central des Ă©lections d'IndonĂ©sie, attaque censĂ©e provenir de Chine pour des raisons politiques[5] ; des mĂ©dias (dont Bloomberg) ont effectivement rendu compte de l'attaque de , en la prĂ©sentant comme Ă©tant probablement une ingĂ©rence d'origine « sino-russe », alors qu'une enquĂȘte du journal The Guardian, plus prudente, concluait qu'il s'agissait plus probablement du travail d'autres pirates ayant laissĂ© derriĂšre eux une fausse piste[5],
    • « Team Jorge » a piratĂ© les courriels du chef d'Ă©tat-major de TrinitĂ©-et-Tobago et divulguĂ© un document pour provoquer une crise politique, transmis de fausses informations Ă  un journaliste d’ABC pour influencer l'Ă©lection prĂ©sidentielle vĂ©nĂ©zuĂ©lienne de 2012 contre l'ancien prĂ©sident Hugo ChĂĄvez, a menĂ© une campagne en 2022 affirmant que le Front Polisario a des liens avec le Hezbollah et l'Iran, et une autre campagne en 2022 diffamant Ali Bin Fetais Al-Marri, l'envoyĂ© de l'ONU pour la lutte contre la corruption[21] ;
    • Tal Hanan a aussi affirmĂ© que son Ă©quipe (« Team Jorge ») Ă©tait intervenue dans le rĂ©fĂ©rendum sur l'indĂ©pendance de la Catalogne en 2014, en Ă©tant par exemple Ă  l'origine d'une rumeur et de la diffusion de documents selon lesquels il y aurait des liens entre les partisans de l'indĂ©pendance catalane et l'État islamique. Mais il n'a pas rĂ©vĂ©lĂ© qui Ă©tait le commanditaire de l'opĂ©ration[22] ;
  • pirater des comptes de rĂ©seaux sociaux et des boites mail : Ă  titre d'exemple, donnĂ© par lui-mĂȘme en 2022 aux journalistes qui l'ont rencontrĂ© (et filmĂ©), Tal Hanan affirme avoir piratĂ© le compte Telegram de Dennis Itumbi, alors qu'il gĂ©rait la stratĂ©gie numĂ©rique de William Ruto lors des Ă©lections gĂ©nĂ©rales kenyanes de 2022[5] ; Itumbi a ensuite confirmĂ© au journal The Star que son compte Telegram avait Ă©tĂ© infiltrĂ© et qu'il avait remarquĂ© une « activitĂ© accrue » Ă  l'approche des Ă©lections kenyanes[23]. Itumbi et son collĂšgue Davis ChirChir (chef de cabinet de Ruto) ont pour leur part Ă©tĂ© accusĂ©s, aprĂšs les Ă©lections, d’avoir utilisĂ© des hackers pour manipuler les rĂ©sultats de la prĂ©sidentielle, puis blanchis par la Cour suprĂȘme, qui a finalement considĂ©rĂ© que les supposĂ©es preuves de cette accusation Ă©taient falsifiĂ©es[1].

Aspects financiers

Peu de donnĂ©es sont disponibles sur le chiffre d'affaires, les dĂ©penses et bĂ©nĂ©fices de la « Team Jorge », mais on sait que Tal Hanan demandait en 2015 Ă  Cambridge Analytica 160 000 dollars pour huit semaines de « recherche et prĂ©paration » puis 40 000 dollars de frais de dĂ©placement, alors qu'en 2022 il se montrait beaucoup plus exigeant avec les reporters sous couverture : six millions d’euros pour une campagne dans un pays africain[1].

RĂ©actions

Affaire Rachid M'Barki/BFM TV

Une premiĂšre rĂ©action a Ă©clatĂ© en France dĂ©but 2023, Ă  la suite d’informations rĂ©vĂ©lĂ©es par FrĂ©dĂ©ric MĂ©tĂ©zeau (Radio France) et le journal Le Monde.

Selon ces informations, « Team Jorge » avait crĂ©Ă© de fausses informations (brĂšves orientĂ©es, « fournies clĂ© en main » par un intermĂ©diaire et concernant (pour les premiers cas repĂ©rĂ©s) des oligarques russes, le Qatar, le Soudan, le Cameroun ou encore le Sahara occidental[18]. Ces brĂšves, dans ce cas, Ă©taient confiĂ©es Ă  Rachid M'Barki, prĂ©sentateur Ă  la chaine de tĂ©lĂ©vision BFM TV par un intermĂ©diaire, peut-ĂȘtre pour le compte de gouvernements Ă©trangers. M'Barki les a diffusĂ©es sans l'approbation de sa rĂ©daction. M'Barki a Ă©tĂ© suspendu dĂšs janvier 2023 alors que BFM TV ouvrait une enquĂȘte interne[24]. À titre d'exemple, le contenu d'une de ces brĂšves Ă©tait :

« L’Union europĂ©enne annonce un nouveau train de sanction contre la Russie. [
] Des sanctions Ă  rĂ©pĂ©tition qui font craindre le pire aux constructeurs de yachts Ă  Monaco. Le gel des avoirs des oligarques met leur secteur en grande difficulté  »[1].

CheckNews a montrĂ© que l'intermĂ©diaire qui fournissait le thĂšme, les images voire le texte Ă  la virgule (pour plusieurs sujets) diffusĂ©s par BFM TV Ă©tait le lobbyiste Jean-Pierre Duthion, mis en cause un an plus tĂŽt pour avoir fait porter par un dĂ©putĂ©, lors d’une rĂ©union de la commission des affaires Ă©trangĂšres de l’AssemblĂ©e nationale, la promotion d’un projet de cryptomonnaie particuliĂšrement douteux[25].

Un membre de la « Team Jorge » avait suggĂ©rĂ© aux journalistes infiltrĂ©s que l'officine Ă©tait Ă  l'origine d'un reportage de BFM TV relatif aux effets des sanctions contre des oligarques russes sur l'industrie des yachts de luxe Ă  Monaco[26]. On y prĂ©tendait, sans fondement, que 10 000 emplois Ă©taient menacĂ©s[27]. C'Ă©tait l'un des nombreux reportages diffusĂ©s tard dans la nuit par M'Barki Ă  l'insu de l'Ă©quipe Ă©ditoriale, que la « Team Jorge » pouvait ensuite exploiter en reprenant l'information sur les rĂ©seaux sociaux par les bots de l'Ă©quipe[27].

En Inde

Le 16 fĂ©vrier, le Parti du CongrĂšs indien a demandĂ© une enquĂȘte sur la possible implication ou ingĂ©rence Ă©lectorale de l'Ă©quipe Jorge dans les Ă©lections indiennes. Le porte-parole du CongrĂšs Pawan Khera et l'ancien journaliste et maintenant chef des mĂ©dias sociaux du CongrĂšs Supriya Shrinate ont liĂ© les rĂ©vĂ©lations sur une Ă©ventuelle ingĂ©rence en Inde Ă  un schĂ©ma plus large de dĂ©sinformation en ligne et de dommages aux processus dĂ©mocratiques et Ă©lectoraux du pays[28].

Notes et références

  1. « « Team Jorge » : Révélations sur les manipulations d'une officine de désinformation », sur forbiddenstories.org (consulté le ).
  2. « Hacking, Extortion, Election Interference: These Are the Tools Used by Israel’s Agents of Chaos and Manipulation - National Security & Cyber - Haaretz.com », sur web.archive.org, (consultĂ© le ).
  3. « Les rĂ©seaux sociaux, pierre angulaire des opĂ©rations d’influence et d’intoxication », sur Le Monde.fr, (consultĂ© le ).
  4. (en-GB) Stephanie Kirchgaessner, « How undercover reporters caught ‘Team Jorge’ disinformation operatives on camera », sur The Guardian, (ISSN 0261-3077, consultĂ© le ).
  5. (en) Gur Megiddo et Omer Benjakob, « The people who kill the truth », Haaretz, (consulté le ).
  6. Stephanie Kirchgaessner, Manisha Ganguly, David Pegg, Cadwalladr et Burke, « Revealed: the hacking and disinformation team meddling in elections », The Guardian, (consulté le ).
  7. Manisha Ganguly, « 'Aims': the software for hire that can control 30,000 fake online profiles », The Guardian, (consulté le ).
  8. (en-GB) Carole Cadwalladr et Stephanie Kirchgaessner, « Revealed: the US adviser who tried to swing Nigeria’s 2015 election », sur The Guardian, (ISSN 0261-3077, consultĂ© le ).
  9. (en) Sasha Issenberg (en), « Cruz-Connected Data Miner Aims to Get Inside U.S. Voters' Heads », Bloomberg,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  10. (en) Kenneth Vogel, « Cruz partners with donor's 'psychographic' firm », Politico,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  11. (en) C. Cadwalladr, « The great British Brexit robbery: how our democracy was hijacked », The Guardian,‎ (lire en ligne [PDF]).
  12. (en) « Cambridge Analytica dismantled for good? Nope: It just changed its name to Emerdata », The Register,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  13. (en-US) Casey Michel, « Is Cambridge Analytica really shutting down? », thinkprogress.org,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  14. (en-US) « Cambridge Analytica is out of business, but its heavy hitters have reopened under a new name / Boing Boing », sur boingboing.net, (consulté le ).
  15. (en) Olivia Solon et Oliver Laughland, « Cambridge Analytica closing after Facebook data harvesting scandal », sur the Guardian, (consulté le ).
  16. (en) « Cambridge Analytica’s Israeli Black Ops Team – Exposed at Last », sur Haaretz (consultĂ© le ).
  17. (en-GB) Stephanie Kirchgaessner et Carole Cadwalladr, « Dark arts of politics: how ‘Team Jorge’ and Cambridge Analytica meddled in Nigerian election », sur The Guardian, (ISSN 0261-3077, consultĂ© le ).
  18. Guillaume Deleurence, « Team Jorge, le business de la fake news », sur Politis, (consulté le ).
  19. (en-GB) « 1MDB: The inside story of the world's biggest financial scandal », The Guardian,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  20. (en) « 1MDB scandal's accidental whistle-blower: from banker to prisoner », South China Morning Post, (consulté le ).
  21. (en) « Why an Israeli Black Ops Team Had to Kill Emmanuel the Emu », sur Haaretz (consulté le ).
  22. « Un empresari israelià s'atribueix el ciberatac en la consulta del 9N a webs del govern », sur web.archive.org, (consulté le ).
  23. (en-GB) Stephanie Kirchgaessner et Jason Burke, « Ruto ally says Telegram account was hacked before Kenyan election », sur The Guardian, (ISSN 0261-3077, consulté le ).
  24. (en) « #StoryKillers: The links between Israel-based 'Team Jorge' and a French TV presenter who aired fake news », sur Le Monde.fr, (consulté le ).
  25. Florian Reynaud et Damien Leloup, « DĂ©sinformation : la surprenante plaidoirie d’un dĂ©putĂ© français pour une cryptomonnaie suspecte », sur Le Monde, (ISSN 1950-6244, consultĂ© le ).
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Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

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