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Astroturfing

L'astroturfing (aussi appelĂ© similitantisme[1], contrefaçon de mouvement d’opinion[2] ou dĂ©sinformation populaire planifiĂ©e[3], et parfois dĂ©sinformation populaire orchestrĂ©e[3]) dĂ©signe des techniques de propagande manuelles ou algorithmiques utilisĂ©es Ă  des fins publicitaires, politiques ou de relations publiques, qui ont pour but de donner une fausse impression d'un comportement spontanĂ© ou d'une opinion populaire sur Internet[4].

Historique

C'est le sénateur du Texas Lloyd Bentsen qui utilise le terme astroturfing pour la premiÚre fois en 1986. Il raconte que de nombreux courriers qui lui sont prétendument envoyés par des citoyens sont en réalité une campagne de lobbying d'une compagnie d'assurance[5].

L'origine du terme astroturfing fait référence à la pelouse artificielle de marque AstroTurf (en) utilisée dans les stades. C'est un jeu de mots sur l'expression « grassroots movement » en anglais américain. Grassroots, qui signifie littéralement « racine de l'herbe », exprime l'idée d'authenticité, d'ancrage dans le peuple. Ainsi la référence à une pelouse synthétique dénonce par analogie l'artificialité de ces pseudo mouvements citoyens.

DĂ©finition

L'astroturfing est une technique consistant en la simulation d'un mouvement spontanĂ© ou populaire Ă  des fins d’ordre politique ou Ă©conomique pour influencer l'opinion publique. Elle consiste Ă  donner l’impression d'un sentiment majoritaire (ou du moins rĂ©pandu) pour justifier une prise de position[6] tout en donnant de la crĂ©dibilitĂ© aux dĂ©clarations ou aux organisations, en dissimulant des informations sur les liens qu’ils entretiennent entre eux, qu’ils soient financiers ou autres[7].

Selon Justine Lalande, doctorante au DĂ©partement de communication sociale et publique de l'UniversitĂ© du QuĂ©bec, « Il s’agit d’une tactique qui consiste Ă  usurper des mouvements citoyens afin de soutenir des intĂ©rĂȘts particuliers. Outil de dĂ©sinformation, de lobbying, mais aussi de relations publiques, l’astroturfing englobe un ensemble de stratĂ©gies de communication. On viendra ainsi masquer les commanditaires d’un message ou d’une organisation pour faire croire qu’il provient des citoyens « ordinaires » »[8].

L’astroturfing peut prendre de multiples formes, du simple envoi en masse de courrier des lecteurs Ă  un journal (technique revendiquĂ©e par Edward Bernays dans Propaganda), jusqu'Ă  des formes plus complexes, utilisant des logiciels qui multiplient de fausses identitĂ©s sur Internet[9].

Le but de ce type de campagne est de faire passer un message en le prĂ©sentant comme spontanĂ©, en masquant son caractĂšre commanditĂ©. Les astroturfers tentent d'orchestrer des actions qui semblent provenir d'individus divers et dispersĂ©s gĂ©ographiquement et utilisent des mĂ©thodes de dĂ©sinformation. L’astroturfing peut ĂȘtre pratiquĂ© par une personne seule ou par des groupes professionnels organisĂ©s, avec des appuis financiers de grosses entreprises ou d'organisations activistes ou non lucratives. TrĂšs souvent, l‘organisation est gĂ©rĂ©e par des consultants politiques qui sont spĂ©cialisĂ©s dans la recherche en opposition.

Exemples

Bell Canada

Au Canada, le gĂ©ant des tĂ©lĂ©communications Bell a Ă©tĂ© reconnu coupable en 2015 par le Bureau de la concurrence d’avoir encouragĂ© ses employĂ©s Ă  rĂ©diger des Ă©valuations et des commentaires positifs au sujet des applications gratuites de la compagnie, sans prĂ©ciser qu’ils Ă©taient employĂ©s. Ils ont dĂ» verser 1,25 million de dollars en dommages[10].

Bixi

En 2008, trois MontrĂ©alais « crĂ©ent » un blog visant Ă  promouvoir le vĂ©lo comme mode de transport dans la ville de MontrĂ©al appelĂ© : À vĂ©lo citoyens. Le blog reçoit en « primeur » le prototype du BIXI, ce vĂ©lo-partage, ce qui est confirmĂ© quelques jours plus tard par la Ville. Or, tout se rĂ©vĂšle faux, le blog est une crĂ©ation de l'agence de communication Morrow Communications[11].

Chine

Le Parti des 50 centimes et l'Internet Water Army (en) sont les deux plus grandes communautés d'astroturfers en Chine.

Le Parti des 50 centimes est un groupe crĂ©Ă© par le gouvernement chinois pour poster en grande quantitĂ© des messages favorables Ă  sa politique[12]. Son nom aurait pour origine les 50 centimes de yuan qui sont perçus par ses membres pour chaque message postĂ©[13]. Les effectifs de ses agents sont Ă©valuĂ©s en 2008 Ă  300 000 personnes en Chine[14], dont la plupart seraient Ă©tudiants[15].

L'Internet Water Army rassemble l'ensemble des communautĂ©s issues d'intĂ©rĂȘts privĂ©s, et engagĂ©es par les entreprises chinoises pour influencer les rĂ©seaux sociaux. La police chinoise lutte d'ailleurs contre ces diffuseurs de « fake news »[16].

Lors de la pandĂ©mie de Covid-19, une campagne d'astroturfing des autoritĂ©s chinoises est suspectĂ©e sur Twitter, au vu de l'activitĂ© de milliers de comptes publiant presque exclusivement des messages soutenant la rĂ©ponse de la Chine Ă  l'Ă©pidĂ©mie, et partageant des messages de dĂ©sinformation comme ceux accusant les États-Unis d'ĂȘtre Ă  l'origine de la pandĂ©mie[17].

Corée du Sud

L'astroturfing aurait été utilisé en décembre 2012 en Corée du Sud dans le cadre d'une campagne de diffamation visant à écarter un candidat, avec 24 millions de tweets[18].

Earnest Voice

L'opĂ©ration d'espionnage et de guerre psychologique Earnest Voice, visant les pays sous influence des États-Unis, a alimentĂ© massivement les forums et les blogs locaux d'opinions pro-amĂ©ricaines pour lĂ©gitimer la prĂ©sence de l'État[19] - [20].

Purdue Pharma

L'entreprise pharmaceutique Purdue Pharma a fait usage d'astroturfing pour mousser les ventes de son mĂ©dicament controversĂ© : l'OxyContin, Ă  l'origine de la crise des opioĂŻdes[21]. Lorsque l'OxyContin est arrivĂ© sur le marchĂ© en 1996, Purdue Pharma a ciblĂ© de nombreux patients par le biais de dĂ©pliants et de brochures sous le couvert de Partners Against Pain. Partners Against Pain Ă©tait prĂ©sentĂ© comme une coalition indĂ©pendante de mĂ©decins, de patients, et de prestataires de soins de santĂ©, qui Ă©taient tous alliĂ©s pour sensibiliser Ă  la douleur. Bien que Partners Against Pain semblait ĂȘtre une organisation indĂ©pendante, elle a Ă©tĂ© financĂ©e et crĂ©Ă©e par Purdue Pharma[22].

Opération Clean Turf

En 2013, le bureau du procureur gĂ©nĂ©ral de l'État de New York a entrepris une enquĂȘte appelĂ©e Operation Clean Turf qui a abouti Ă  un rĂšglement de 350 000 dollars avec 19 entreprises et Ă  un accord pour qu'elles cessent de vendre de faux avis Ă  des entreprises afin qu'elles les publient sur des sites d'Ă©valuation en ligne, tels que Yelp et Citysearch. Les entreprises incriminĂ©es Ă©taient des fournisseurs tiers de fausses Ă©valuations et qui se prĂ©sentaient comme des sociĂ©tĂ©s d'optimisation des moteurs de recherche (SEO) offrant des services de gestion de la rĂ©putation en ligne.

Dans le cadre de l'enquĂȘte, des reprĂ©sentants du bureau du procureur gĂ©nĂ©ral ont passĂ© des appels tĂ©lĂ©phoniques Ă  des entreprises en se faisant passer pour des clients potentiels cherchant Ă  renforcer leur rĂ©putation en ligne. Ils voulaient de l'aide pour rĂ©futer les critiques nĂ©gatives publiĂ©es sur Internet. Un certain nombre de sociĂ©tĂ©s de rĂ©fĂ©rencement ont immĂ©diatement proposĂ© d'Ă©crire de fausses critiques et de les publier sur des sites comme Yelp et Citysearch, et mĂȘme de faire connaĂźtre la fraude en faisant de la publicitĂ© sur Craig's List pour trouver des personnes capables de « publier de nombreuses critiques positives sur les principaux sites d'Ă©valuation [sic]. » Les propriĂ©taires d'un spa ont passĂ© une annonce : « J'ai besoin de quelqu'un qui soit un expert de Yelp pour poster des avis positifs
 » Une boĂźte de nuit a fait savoir qu'elle recherchait des rĂ©dacteurs pour poster des avis « sans ĂȘtre signalĂ©s ». Finalement, 19 entreprises se sont vu infliger des amendes s'Ă©chelonnant de 2 500 Ă  100 000 $, pour un total de 350 000 $. En outre, toutes les entreprises ont assurĂ© qu’elles cesseraient leurs activitĂ©s[23].

Cambridge Analytica

Cambridge Analytica, une entreprise britannique, a travaillĂ© sur la campagne prĂ©sidentielle de Donald Trump en ayant rĂ©coltĂ© des donnĂ©es sur plus de 200 millions d'AmĂ©ricains dans le but d’influencer les scrutins de votes Ă  travers des publicitĂ©s ciblĂ©es[24].

Barrier Breakers 2016 est un comité d'action politique créé pour la campagne présidentielle de 2016, rémunéré et composé d'une douzaine de personnes dont des anciens journalistes, des blogueurs, des spécialistes des affaires publiques et des designers qui publient du contenu positif concernant la candidate démocrate Hillary Clinton sur les réseaux sociaux. Son activité est assimilée à de l'astroturfing[25] - [26].

France

En France, le fonctionnement des techniques d'astroturfing est enseigné dans les instituts d'études politiques[27] - [28] - [29].

En 2018, lors de l'affaire Benalla, les partisans d'Emmanuel Macron s'appuient sur une étude de Désinfo Lab pour sous-entendre que l'émotion publique suscitée par l'affaire serait en réalité une opération d'astroturfing pilotée par la Russie (à des fins de déstabilisation). Plusieurs études concurrentes permettent de démontrer qu'il s'agissait bien d'un mouvement spontané, rappelant la difficulté d'attribution en matiÚre d'astroturfing et de désinformation[30].

En 2019, lors du procĂšs Baupin, l’ancienne ministre CĂ©cile Duflot est victime d'une campagne coordonnĂ©e d'astroturfing sur Twitter[31].


En 2022, un collectif de journalistes identifie des officines israéliennes (Team Jorge) et tunisiennes (Ureputation, Digital BIg Brother), dont les techniques reposent sur des outils de création massives de faux comptes sur les réseaux sociaux, et qui revendiquent ces approches.

Japon

Au Japon, les groupes citoyens pro-nuclĂ©aire, recrutĂ©s et financĂ©s par l'industrie nuclĂ©aire et la bureaucratie, peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme un cas d'astroturfing[32].

En 2008, McDonald's a admis avoir payĂ© 1 000 personnes pour qu'elles fassent la file lors de l'arrivĂ©e du Quart de livre afin de mousser les ventes et de crĂ©er un engouement[33].

Libye

L'opération Cyber Dawn en 2011 est un exemple d'astroturfing en Libye[34].

Maroc

Le boycott lancĂ© en avril 2018 Ă  l’encontre de trois marques a Ă©tĂ© permis et soutenu par une importante campagne d’astroturfing[35] - [36].

Russie

Les web-brigades, des hackers volontaires ou des militants, fonctionnant en petites cellules coordonnĂ©es par le Kremlin, attaquent le web dans les intĂ©rĂȘts nationaux de la Russie[37].

Royaume-Uni

Le guide Online Covert Action du GCHQ, révélé par Edward Snowden, détaille des techniques utilisées par les services du Royaume-Uni pour générer l'illusion de l'adhésion, notamment sur les réseaux sociaux[38].

En 2016, durant la campagne pour le référendum sur le Brexit, la société Cambridge Analytica a mis en place des techniques de propagande qu'elle a réutilisées durant la campagne présidentielle de Donald Trump[39].

Notes et références

  1. Zone SociĂ©tĂ©- ICI.Radio-Canada.ca, « Soyez averti, des intĂ©rĂȘts privĂ©s se cachent parfois derriĂšre un masque citoyen », sur Radio-Canada.ca (consultĂ© le ).
  2. Commission d’enrichissement de la langue française, « contrefaçon d’opinion », sur FranceTerme, ministĂšre de la Culture (consultĂ© le ).
  3. « désinformation populaire planifiée », Grand Dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française (consulté le ).
  4. « Fake, manipulations et réseaux sociaux: pourquoi il faut vite comprendre ce qu'est "l'astroturfing" », sur Les Inrocks (consulté le ).
  5. « Expliquez-nous
 L'astroturfing », sur Franceinfo, (consultĂ© le ).
  6. Charles Ponsard, « Astroturfing. Enjeux pratiques et detection », AEGE - RĂ©seau d’experts en intelligence Ă©conomique, (consultĂ© le ).
  7. Justine Lalande, « L’astroturfing, ou l’art de crĂ©er de faux mouvements populaires ».
  8. Justine Lalande, « L’astroturfing, ou l’art de crĂ©er de faux mouvements populaires » AccĂšs libre, (consultĂ© le ).
  9. « Une armée de faux compte fait la propagande de la Chine sur Twitter », Ladn, (consulté le )
  10. Gouvernement du Canada, « Bell Canada parvient à une entente avec le Bureau de la concurrence au sujet des critiques faites en ligne ».
  11. Patrick Lagacé, « Bixi, blogue et bullshit », sur lapresse.ca, (consulté le ).
  12. (en) Michael Bristow, « China's internet 'spin doctors' », BBC,‎ (lire en ligne).
  13. (en) Zhang Lei, « Invisible footprints of online commentators », Global Times,‎ (lire en ligne [archive du ]).
  14. David Bandurski, « China's Guerrilla War for the Web », Far Eastern Economic Review,‎ (lire en ligne [archive du ]).
  15. (en) Malik Fareed, « China joins a turf war », The Guardian,‎ (lire en ligne).
  16. (en) Emma Lee, « Guangzhou cracks down on "internet water army", China's version of fake followers », Technode,‎ (lire en ligne).
  17. (en-US) Raymond Zhong, Aaron Krolik, Paul Mozur et Ronen Bergman, « Behind China’s Twitter Campaign, a Murky Supporting Chorus », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consultĂ© le ).
  18. « Le phĂ©nomĂšne d’astroturfing ! ».
  19. (en) Nick Fielding, « Revealed: US spy operation that manipulates social media », The Guardian,‎ (lire en ligne).
  20. « Hacker la dĂ©mocratie sur internet avec l’astroturfing », sur tendactu.fr.
  21. (en) Karen Feldscher, « What led to the opioid crisis—and how to fix it » AccĂšs libre, sur Harvard, School of Public Health, (consultĂ© le ).
  22. (en) Colin White, « The Rise of OxyContin: How Purdue Pharma and the Sackler Family is Responsible For the Epidemic Behind the Pandemic », History | Senior Theses,‎ , p. 17 (lire en ligne).
  23. (en) Mark Leiser, « AstroTurfing, 'CyberTurfing' and other online persuasion campaigns », AstroTurfing, 'CyberTurfing' and other online persuasion campaigns,‎ , p. 27 (lire en ligne AccĂšs libre).
  24. (en-US) « Cambridge Analytica and Facebook: The Scandal and the Fallout So Far », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consultĂ© le ).
  25. (en) Alex Richardson, « The FEC Can’t Figure Out What to Do About Paid Speech Online », sur Slate Magazine, (consultĂ© le ).
  26. Jack Smith IV, « This pro-Clinton super PAC is spending $1 million to 'correct' people online — and Redditors are outraged », sur Business Insider (consultĂ© le ).
  27. (en) « Sc po some-09-astroturfing ».
  28. (en) « Sc po some-10-crowds ».
  29. « Sorbonne Astroturfing ».
  30. Voir sur francetvinfo.fr.
  31. « ProcĂšs Baupin : enquĂȘte ouverte sur des tweets injurieux reçus par CĂ©cile Duflot aprĂšs son tĂ©moignage », Le Monde,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  32. Tobias Weiss, « Japan’s ‘pro-nuclear civil society’: Power in the analysis of social capital and civil society », Journal of Civil Society, vol. 15, no 4,‎ , p. 326–352 (ISSN 1744-8689, DOI 10.1080/17448689.2019.1668631, lire en ligne, consultĂ© le ).
  33. Japan Today, « McDonald's admits 1,000 people paid to join queue for Quarter Pounder debut in Osaka », .
  34. « CyberDawn : le dessous des cyber-cartes Libyennes ».
  35. (en) Damien Liccia, « Astroturfing et fake activism : la dynamique cachée du boycott marocain », sur Medium, (consulté le ).
  36. Causeur.fr et Jean-Baptiste d'Albaret, « Le web, nouveau terrain de guerre des islamistes au Maroc? », sur Causeur, (consulté le ).
  37. « Des trolls pro-russes infiltrés dans les commentaires de 32 médias occidentaux », sur leparisien.fr, (consulté le ).
  38. (en) « GCHQ’s Cyber Offensive: Online Covert Action », sur nottspolitics.org.
  39. « 14 mai 2010 : Fabrice Epelboin découvre une intervention masquée d'un Etat sur les réseaux sociaux », sur franceinter.fr (consulté le ).

Voir aussi

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