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Social-démocratie

courant du socialisme

Ne doit pas être confondu avec Socialisme démocratique.

Le terme de social-dĂ©mocratie dĂ©signe un courant politique et Ă©conomique, apparu au XIXe siècle, qui tend Ă  incorporer certains Ă©lĂ©ments du socialisme dans une Ă©conomie capitaliste et libĂ©rale. L'expression recouvre Ă  la fois la dĂ©nomination employĂ©e par divers partis socialistes, la forme d'organisation de ceux-ci, un courant idĂ©ologique et une pratique politique.

Historiquement, le nom de social-dĂ©mocrate a Ă©tĂ©, et est toujours, utilisĂ© par les partis socialistes de divers pays, notamment en Allemagne et en Scandinavie mais Ă©galement dans des pays extra-europĂ©ens. En France, l'appellation a Ă©tĂ© employĂ©e par François Hollande pour dĂ©finir sa politique[1]. Au Canada, particulièrement au QuĂ©bec, le terme dĂ©signe les partis prĂ´nant l'État-providence et par le fait mĂŞme une intervention plus forte du gouvernement. Le terme de social-dĂ©mocratie a pu, dans l'histoire, dĂ©signer des courants aussi bien rĂ©formistes que rĂ©volutionnaires : avec le temps, le sens du mot a Ă©voluĂ©, jusqu'Ă  dĂ©signer aujourd'hui, de manière quasi-exclusive, une forme rĂ©formiste et modĂ©rĂ©e du socialisme.

La social-dĂ©mocratie europĂ©enne est, dans le dernier tiers du XIXe siècle, fortement influencĂ©e par le marxisme et se dĂ©finit notamment par une alliance Ă©troite avec le syndicalisme. Par la suite, divisĂ©s en tendances rĂ©formistes et rĂ©volutionnaires, les partis sociaux-dĂ©mocrates, et plus largement la IIe Internationale, font l'objet d'une scission Ă  la suite de la Première Guerre mondiale puis Ă  la RĂ©volution d'Octobre : une partie des cadres et militants, tout en continuant Ă  se rĂ©clamer du socialisme, crĂ©e des partis qui utilisent dĂ©sormais l'appellation de communiste et intègre l'Internationale communiste après la crĂ©ation de celle-ci en 1919. Durant l'entre-deux-guerres, l'arrivĂ©e au pouvoir de partis sociaux-dĂ©mocrates en Scandinavie accompagne l'Ă©volution du terme de social-dĂ©mocratie, rattachĂ© dĂ©sormais Ă  une pratique politique modĂ©rĂ©e, Ă  la protection sociale et Ă  la recherche d'un consensus politique entre l'État, le patronat et les salariĂ©s. Après la Seconde Guerre mondiale, les partis sociaux-dĂ©mocrates europĂ©ens, membres de l'Internationale socialiste, renoncent dĂ©finitivement aux rĂ©fĂ©rences marxistes et aux aspirations rĂ©volutionnaires.

De nos jours, le terme de social-démocratie, désigne un courant politique qui se déclare de centre gauche, réformiste tout en appliquant des idées libérales sur l'économie de marché.

DĂ©finitions

La distinction entre socialisme et social-dĂ©mocratie n'est pas forcĂ©ment aisĂ©e[2], le terme social-dĂ©mocrate ayant Ă©tĂ©, dans certains pays europĂ©ens, utilisĂ© comme synonyme de socialiste, au sens de l'engagement politique[3]. Ă€ l'origine, le terme social-dĂ©mocratie dĂ©signe plus prĂ©cisĂ©ment un modèle d'organisation politique socialiste, apparu d'abord en Allemagne, qui repose sur un parti fortement structurĂ©, ayant de nombreux adhĂ©rents et organisations affiliĂ©es, dont notamment des syndicats puissants et assurant au parti de solides assises[2]. L'historien Michel Winock dĂ©finit la social-dĂ©mocratie, telle qu'elle apparaĂ®t avec le « modèle allemand Â» comme « une contre-sociĂ©tĂ© ouverte Â» fondĂ©e sur « un profond enracinement dans la classe laborieuse, lequel s'opère grâce Ă  l'alliance, l'osmose ou simplement l'articulation entre parti et syndicat Â»[3].

La Willy-Brandt-Haus à Berlin, siège contemporain du Parti social-démocrate d'Allemagne.

Avec le temps, le sens de social-dĂ©mocratie Ă©volue nettement et tend Ă  dĂ©signer la stratĂ©gie politique de partis se rĂ©clamant du socialisme, mais convaincus que la suppression du capitalisme est impossible et qu'il convient simplement de lui apporter des correctifs sociaux, dans un contexte d'Ă©conomie mixte : dans cette optique, une distinction s'Ă©tablirait avec les socialistes qui, mĂŞme rĂ©formistes, demeureraient attachĂ©s Ă  la notion de rupture avec le capitalisme et l'ordre Ă©tabli, et garderaient Ă  l'esprit le but d'une sociĂ©tĂ© d'oĂą serait bannie l'exploitation et qui serait fondĂ©e sur la propriĂ©tĂ© sociale des moyens de production et d'Ă©change[2],[4]. Cette Ă©volution sĂ©mantique en vient faire Ă  acquĂ©rir au mot, dans certaines langues et notamment en français, une charge parfois nĂ©gative, Ă©tant assimilĂ©e, de manière polĂ©mique, Ă  une forme « molle Â» de rĂ©formisme qui perdrait de vue les objectifs du socialisme[3],[5]. En Europe du Nord, et notamment en Suède, le terme de social-dĂ©mocratie dĂ©signe la mise sur pied et le maintien d'un système d'État-providence et de solidaritĂ© entre les classes sociales ; la social-dĂ©mocratie du « modèle scandinave Â» a vocation Ă  s'appuyer Ă©conomiquement sur un capitalisme entreprenant tout en assurant un système de protection sociale[4]. Jacques Delors dĂ©finit la social-dĂ©mocratie au sens contemporain du terme, en tant que système politique, comme un double compromis entre l'État et le marchĂ© d'une part et entre le patronat et les syndicats d'autre part[6].

L'abandon progressif par la gauche modĂ©rĂ©e europĂ©enne des objectifs rĂ©volutionnaires, puis des rĂ©fĂ©rences marxistes, a abouti Ă  un progrès des conceptions attachĂ©es Ă  la notion de social-dĂ©mocratie, voire Ă  faire parfois dĂ©signer l'ensemble des partis de centre-gauche du continent europĂ©en convertis au libĂ©ralisme Ă©conomique et Ă  l'Ă©conomie de marchĂ© sous le vocable social-dĂ©mocrate[7]. La fin de la concurrence des partis communistes a accĂ©lĂ©rĂ© le recentrage politique de la majoritĂ© des partis socialistes europĂ©ens, au point de faire revendiquer l'identitĂ© social-dĂ©mocrate, au sens de gauche rĂ©formiste, par les partis n'utilisant pas cette dĂ©nomination. Pierre Mauroy, alors premier secrĂ©taire du Parti socialiste français, dĂ©clare en 1991 : « Le Parti socialiste peut ĂŞtre pleinement lui-mĂŞme, c'est-Ă -dire social-dĂ©mocrate. […] Nous l'Ă©tions depuis toujours, mais sous la pression d'un fort Parti communiste, nous ne pouvions pas l'ĂŞtre complètement Â»[8].

La social-dĂ©mocratie se confond aujourd'hui avec la notion, plus large, de socialisme dĂ©mocratique, au sens de socialisme attachĂ© Ă  une pratique dĂ©mocratique de l'État et opposĂ© aux conceptions socialistes autoritaires[9],[10]. Dans les pays europĂ©ens, y compris la France, le terme socialisme se rapproche aujourd'hui davantage du concept de social-dĂ©mocratie au sens contemporain du terme que de celui de communisme qui s'en rĂ©clame Ă©galement[11],[12]. En 1999, Lionel Jospin, alors Premier ministre de la France, dĂ©finit la social-dĂ©mocratie — terme qu'il emploie pour dĂ©signer le « socialisme moderne Â» dans son ensemble — comme Ă©tant, non plus un « système Â», mais « une inspiration, une façon d'agir, une rĂ©fĂ©rence constante Ă  des valeurs dĂ©mocratiques et sociales Â» et « une façon de rĂ©guler la sociĂ©tĂ© et de mettre l'Ă©conomie de marchĂ© au service des hommes Â»[13]. L'ancien ministre de Lionel Jospin, Christian Pierret, tente dans RĂ©inventer la social-dĂ©mocratie[14] coĂ©crit avec l'associĂ© d'un fonds d'investissement Philippe Latorre de trouver le nouveau compromis que la social-dĂ©mocratie doit rĂ©ussir entre l'adaptation de l'Ă©conomie et la sociĂ©tĂ© françaises Ă  la mondialisation, en reconnaissant le rĂ´le de l'entreprise dans la dynamique de crĂ©ation de richesses, et le souci de justice et de prĂ©servation d'un projet commun.

Histoire

Article dĂ©taillĂ© : Socialisme.

Origines

Naissance

La social-dĂ©mocratie trouve ses origines dans les rĂ©volutions europĂ©ennes de 1848, qui mettent le socialisme sur le devant de la scène politique[15]. Le premier mouvement social-dĂ©mocrate Ă  proprement parler est constituĂ© en France, par la Montagne, le groupe des rĂ©publicains « dĂ©mocrates-socialistes Â». Karl Marx dĂ©crit ainsi le contexte de l'Ă©poque dans son ouvrage Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (publiĂ© en 1852) : « une coalition entre petits-bourgeois et ouvriers [...] enleva aux revendications sociales du prolĂ©tariat leur pointe rĂ©volutionnaire et [...] leur donna une tournure dĂ©mocratique. On enleva aux revendications dĂ©mocratiques de la petite-bourgeoisie leur forme purement politique et on fit ressortir leur pointe socialiste. C’est ainsi que fut crĂ©Ă©e la social-dĂ©mocratie. Â»[16]. Ă€ cette Ă©poque, le terme social-dĂ©mocrate apparaĂ®t pour dĂ©signer ceux qui ajoutent, Ă  la revendication de la dĂ©mocratie politique - soit l'instauration du suffrage universel - la revendication « sociale Â», soit l'amĂ©lioration de la condition de la classe ouvrière[17].

Durant les dĂ©cennies suivantes, le mouvement socialiste, rĂ©primĂ© en Europe continentale après la fin du Printemps des peuples, se reconstitue progressivement, mais demeure marquĂ© par les querelles entre les partisans de Karl Marx et Friedrich Engels et ceux de Pierre-Joseph Proudhon[18]. Au Royaume-Uni, le socialisme s'exprime notamment Ă  travers le chartisme, puis Ă©volue sans subir de manière trop prĂ©gnante les influences de Marx : les revendications sociales des Britanniques s'expriment souvent Ă  travers un important mouvement syndical, qui se fĂ©dère Ă  partir de 1868 au sein du Trades Union Congress et Ă©volue vers un rĂ©formisme partisan de la paix sociale[19].

La social-démocratie germanique et nordique

Le terme de social-dĂ©mocratie devient, dans le dernier tiers du XIXe siècle, l'appellation majoritairement utilisĂ©e par les partis socialistes qui se constituent, en Allemagne, en Autriche et en Europe du Nord. Le premier parti socialiste allemand, l'Association gĂ©nĂ©rale des travailleurs allemands (ADAV), est fondĂ© en 1863 par Ferdinand Lassalle[20]. Ce dernier se dĂ©clare en faveur d'un socialisme d'État rĂ©alisĂ©, non par le biais d'une rĂ©volution violente, mais en coopĂ©ration avec les autoritĂ©s - en l'occurrence le gouvernement de Bismarck : l'État doit pour Lassalle ĂŞtre avant tout, non un instrument de la domination de classe, mais un outil de justice sociale[21]. La mort prĂ©maturĂ©e de Lassalle porte un coup très dur Ă  son parti, mais le mouvement socialiste allemand continue de se dĂ©velopper :Ă  la fin des annĂ©es 1860, August Bebel et Wilhelm Liebknecht cherchent Ă  construire un « grand parti ouvrier rĂ©volutionnaire Â» dont la FĂ©dĂ©ration des Associations ouvrières allemandes constituerait le noyau. Pour ce faire, ils s'emploient Ă  constituer des coopĂ©ratives syndicales internationalistes, indĂ©pendantes du Parti populaire mais orientĂ©es dans l'esprit de l'Internationale. En , lors du congrès de la FĂ©dĂ©ration Ă  Eisenach, le Parti social-dĂ©mocrate des travailleurs (Sozialdemokratische Arbeiterpartei, SDAP, soit Parti social-dĂ©mocrate des travailleurs, Ă©galement traduit par Parti travailliste social-dĂ©mocrate) est crĂ©Ă©[22].

En 1875, les mouvements socialistes allemands, objets de diverses poursuites de la part des autoritĂ©s de l'Empire allemand, fusionnent lors d'un congrès Ă  Gotha. Le programme adoptĂ© lors de l'absorption de l'ADAV par le SDAP est un texte de compromis d'inspiration marxiste, mais faisant une large place aux idĂ©es lassalliennes. Marx et Engels se montrent mĂ©contents de ce programme, qui leur paraĂ®t opportuniste et antiscientifique, sans rompre pour autant avec le parti social-dĂ©mocrate. Marx rĂ©dige Ă  cette occasion la Critique du programme de Gotha, texte connu Ă  l'Ă©poque de quelques initiĂ©s seulement et dans lequel il dĂ©nonce les idĂ©es lassalliennes et affine la notion de dictature rĂ©volutionnaire du prolĂ©tariat. En 1878, Bismarck fait voter une loi d'exception contre les sociaux-dĂ©mocrates, qui restreint leurs activitĂ©s sans leur interdire de faire Ă©lire des dĂ©putĂ©s au Reichstag et d'y siĂ©ger[23]. Après la fin de cette lĂ©gislation et le dĂ©part de Bismarck en 1890, les syndicats se dĂ©veloppent en Allemagne ; le parti allemand, qui prend en 1890 son nom dĂ©finitif de Parti social-dĂ©mocrate d'Allemagne (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD), apparaĂ®t bientĂ´t comme le modèle des autres partis europĂ©ens. La social-dĂ©mocratie se dĂ©finit alors comme une alliance Ă©troite formĂ©e par le parti politique socialiste et les syndicats - les dirigeants syndicaux Ă©tant souvent des Ă©lus du parti - pour constituer une expression politique du mouvement ouvrier, uni pour obtenir la rĂ©organisation de la sociĂ©tĂ© dans un but de justice sociale. La social-dĂ©mocratie allemande se caractĂ©rise par la constitution d'un vaste rĂ©seau d'organisations parallèles - coopĂ©ratives de consommation, sociĂ©tĂ©s d'Ă©ducation... - qui font bientĂ´t figure de « contre-sociĂ©tĂ© Â» ouvrière dans l'Empire allemand. Employant de nombreux permanents, la social-dĂ©mocratie allemande finit cependant par fonctionner, sur le plan interne, d'une manière assez Ă©loignĂ©e des règles de la dĂ©mocratie, du fait du dĂ©veloppement d'une importante bureaucratie. La social-dĂ©mocratie allemande, pĂ©nĂ©trĂ©e Ă  ses dĂ©buts par les influences de Lassalle comme par celles de Marx, voit l'Ă©cole de pensĂ©e rĂ©volutionnaire du marxisme gagner progressivement du terrain jusqu'Ă  devenir sa doctrine officielle ; Engels assure, après la mort de Marx en 1883 et jusqu'Ă  son propre dĂ©cès en 1895, une manière de protection paternelle et intellectuelle aux socialistes allemands. Le SPD rĂ©alise des progrès Ă©lectoraux constants : en 1912, le parti compte plus d'un million d'adhĂ©rents et devient le premier parti du Reichstag, avec 35 % des suffrages et 110 dĂ©putĂ©s[24],[3].

Au tournant du XXe siècle : la social-dĂ©mocratie entre rĂ©forme et rĂ©volution

La querelle réformiste en Allemagne

Article connexe : Reformismusstreit.

Divers partis directement inspirĂ©s du modèle allemand apparaissent en Europe durant le dernier quart du vingtième siècle, utilisant ou non l'appellation social-dĂ©mocrate mais s'employant Ă  reproduire une organisation comparable[25]. L'implantation de la social-dĂ©mocratie dans le paysage politique allemand a cependant des consĂ©quences importantes pour l'avenir du mouvement socialiste : un dĂ©calage se fait jour entre un discours toujours officiellement rĂ©volutionnaire et, dans les faits, une pratique politique de plus en plus rĂ©formiste[3].

La problĂ©matique de l'identitĂ© socialiste est ouvertement dĂ©battue dès la fin du XIXe siècle : Eduard Bernstein, exĂ©cuteur testamentaire d'Engels, tente de mettre en accord la thĂ©orie et la pratique de la social-dĂ©mocratie. Constatant que, contrairement aux prĂ©dictions de Marx, le capitalisme ne s'est pas effondrĂ© et tend mĂŞme au contraire Ă  se consolider, Bernstein publie entre 1896 et 1898, dans la revue Die Neue Zeit, une sĂ©rie d'articles dĂ©fendant la thèse selon laquelle la transformation socialiste de la sociĂ©tĂ© devient possible par le parachèvement et l'Ă©largissement des institutions politiques et Ă©conomiques existantes. L'État, en se dĂ©mocratisant et en adoptant le suffrage universel, devient l'instrument de la dĂ©mocratisation : il n'est donc plus Ă  conquĂ©rir, mais Ă  « libĂ©rer Â» de son contenu de classe. Pour Bernstein, la social-dĂ©mocratie doit cesser de se penser comme le parti du prolĂ©tariat pour devenir un vaste parti populaire et dĂ©mocratique englobant les classes moyennes et, au lieu de prĂ©coniser la rĂ©volution, proposer simplement des rĂ©formes visant Ă  une plus grande justice sociale. Ces thèses sont vivement combattues par les marxistes orthodoxes comme August Bebel et Karl Kautsky. Bebel dĂ©clare alors : « Je ne tolĂ©rerai pas qu'on brise la colonne vertĂ©brale de la social-dĂ©mocratie, qu'on remplace son principe : la lutte de classe contre les classes possĂ©dantes et contre le pouvoir d'État, par une tactique boiteuse et par la poursuite exclusive de buts soi-disant pratiques Â». Rosa Luxemburg consacre par la suite un ouvrage, RĂ©forme sociale ou rĂ©volution ?, Ă  combattre ce courant. La tendance de Bernstein est mise en minoritĂ© en 1899 ; nĂ©anmoins, il n'est pas exclu du parti et continue d'y jouer un rĂ´le important. MalgrĂ© cette dĂ©faite, les rĂ©formistes ont posĂ© les jalons de ce que devient ensuite, Ă  partir du XXe siècle, le courant social-dĂ©mocrate. En outre, si la ligne de Karl Kautsky, qui prĂ´ne le maintien de la ligne « rĂ©volutionnaire Â», a triomphĂ©, elle se montre nuancĂ©e quant au concept de rĂ©volution : Kautsky entend en effet par lĂ  un changement radical de la sociĂ©tĂ©, mais de manière non violente, par le biais de la majoritĂ©[26],[27].

Les familles social-démocrates dans le reste de l'Europe

La social-dĂ©mocratie de type allemand s'implante tout particulièrement en Autriche-Hongrie et en Scandinavie. Le Parti social-dĂ©mocrate d'Autriche (SPĂ–) se distingue par la vitalitĂ© de sa rĂ©flexion sur la thĂ©orie marxiste, donnant naissance au courant connu sous le nom d'austromarxisme, qui se distingue par une rĂ©habilitation de l'idĂ©e de nation[28]. La Suède se signale comme dans le cas de la social-dĂ©mocratie allemande par une forte complĂ©mentaritĂ©, voire une osmose, entre le Parti social-dĂ©mocrate suĂ©dois des travailleurs et la ConfĂ©dĂ©ration des syndicats suĂ©dois. Cependant, dès sa crĂ©ation, le mouvement social-dĂ©mocrate suĂ©dois s'Ă©carte de la tradition marxiste en rejetant toute idĂ©e de rĂ©volution violente : si la rĂ©fĂ©rence marxiste est prĂ©sente, elle demeure ensuite lettre morte[29].

Au Royaume-Uni, oĂą le marxisme ne s'est jamais implantĂ© durablement, le mouvement ouvrier, fĂ©dĂ©rĂ© Ă  partir de 1868 au sein du Trades Union Congress, Ă©volue rapidement vers un rĂ©formisme partisan de la paix sociale. Si le mouvement socialiste britannique a en commun avec la social-dĂ©mocratie allemande le fait de reposer sur un mouvement ouvrier unifiĂ© par l'alliance parti-syndicats, il se distingue Ă©galement par l'antĂ©rioritĂ© des syndicats sur le parti. La base du Parti travailliste, fondĂ© en 1900 par les syndicats qui souhaitaient disposer d'une reprĂ©sentation au parlement, est alors avant tout le fait des appareils syndicaux : or, ceux-ci encadrent une population ouvrière qui, dans sa grande majoritĂ©, n'adhère pas au socialisme rĂ©volutionnaire. Cette dernière tendance reste donc marginale au sein du Labour[30].

La naissance d'un parti social-dĂ©mocrate dans le rĂ©gime autocratique de l'Empire russe se fait dans des conditions très diffĂ©rentes du reste de l'Europe : le Parti ouvrier social-dĂ©mocrate de Russie (POSDR) est en effet aussitĂ´t rĂ©duit Ă  la clandestinitĂ© ou, pour une grande partie de ses membres, Ă  l'exil. Les sociaux-dĂ©mocrates russes, confrontĂ©s Ă  un pouvoir politique rĂ©pressif, demeurent donc dans une optique rĂ©volutionnaire. Les conditions particulières dans lesquelles existe ce parti s'accompagne rapidement d'une scission de fait : les bolcheviks, partisans de Vladimir Oulianov, dit « LĂ©nine Â», s'opposent aux mencheviks, regroupĂ©s notamment autour de Julius Martov. Les sociaux-dĂ©mocrates russes sont lĂ©galisĂ©s après la rĂ©volution de 1905, qui amène une relative libĂ©ralisation en Russie ; bolcheviks comme mencheviks n'en perdent cependant pas de vue leur objectif rĂ©volutionnaire. Les divisions au sein du POSDR demeurent cependant incessantes[31].

L'Ă©volution de la social-dĂ©mocratie allemande vers le rĂ©formisme se poursuit dans les faits au dĂ©but du XXe siècle : Ă  la veille de la Première Guerre mondiale, le SPD n'a plus rien dans les faits du parti rĂ©volutionnaire des dĂ©buts, son leader Friedrich Ebert adoptant des positions pragmatiques et modĂ©rĂ©es, peu empreintes d'idĂ©ologie. Une tendance d'extrĂŞme gauche, menĂ©e notamment par Rosa Luxemburg, Clara Zetkin et Karl Liebknecht (fils de Wilhelm), se dĂ©veloppe cependant au sein du SPD et prĂ´ne la fin de la dichotomie entre discours rĂ©volutionnaire et pratique rĂ©formiste, et l'usage de la « grève de masse Â» comme outil politique[32].

Rupture avec l'aile révolutionnaire

La social-dĂ©mocratie europĂ©enne, et plus largement le mouvement socialiste, politiquement de plus en plus recentrĂ© au dĂ©but du XXe siècle, se divise profondĂ©ment durant la Première Guerre mondiale. Les partis socialistes se rangent dans leur majoritĂ© Ă  la politique d'Union sacrĂ©e, soutenant l'engagement guerrier de leurs gouvernements respectifs, voire participant au pouvoir dans ce contexte. Les socialistes et sociaux-dĂ©mocrates pacifistes sont minoritaires ; une autre tendance, reprĂ©sentĂ©e notamment par LĂ©nine, prĂ´ne un « dĂ©faitisme rĂ©volutionnaire Â» qui conduirait les partis socialistes Ă  souhaiter la dĂ©faite de leur propre gouvernement, le conflit Ă©tant l'occasion d'amener Ă  la rĂ©volution prolĂ©tarienne. Si la ligne de LĂ©nine demeure minoritaire, l'opposition Ă  la guerre gagne du terrain Ă  mesure que dure un conflit particulièrement meurtrier : les sociaux-dĂ©mocrates allemands se divisent et les pacifistes, exclus, fondent le Parti social-dĂ©mocrate indĂ©pendant d'Allemagne (USPD) au sein duquel l'extrĂŞme-gauche constitue une tendance autonome, la Ligue Spartacus (en allemand Spartakusbund, Ă©galement traduit en français par Ligue spartakiste)[33],[34],[35].

La chute de l'Empire russe en 1917 lors de la rĂ©volution de FĂ©vrier bouleverse la situation politique europĂ©enne. Les bolcheviks prennent ensuite le pouvoir en Russie lors de la RĂ©volution d'Octobre, et se rebaptisent en 1919 du nom de Parti communiste, afin d'affirmer leur identitĂ© rĂ©volutionnaire et de se distinguer des autres partis socialistes compromis durant la guerre[36],[37]. La rĂ©volution bolchevique divise profondĂ©ment le mouvement socialiste europĂ©en, certains socialistes et sociaux-dĂ©mocrates s'enthousiasmant, d'autres la rejetant devant les violences et la guerre civile qui se dĂ©veloppent en Russie. La Finlande, tout juste indĂ©pendante, connaĂ®t dans le courant de l'annĂ©e 1918 sa propre guerre civile : une partie des militants du Parti social-dĂ©mocrate de Finlande, situĂ© dans son ensemble nettement plus Ă  gauche que le reste de la social-dĂ©mocratie nordique, constitue des gardes rouges et affronte les gardes civiques fidèles au SĂ©nat conservateur. Les sociaux-dĂ©mocrates rĂ©volutionnaires sont battus et, une fois rĂ©fugiĂ©s sur le sol russe, y constituent le Parti communiste de Finlande[38].

En Allemagne, l'Empire tombe lors de la rĂ©volution de novembre : le SPD, qui souhaite Ă©viter une situation rĂ©volutionnaire du type russe, canalise avec succès la rĂ©volution, Friedrich Ebert, devenu chef du gouvernement, s'employant Ă  favoriser une transition dĂ©mocratique. Les spartakistes, qui appellent Ă  une rĂ©volution radicale et Ă  la mise en place d'une « RĂ©publique des conseils Â», sont dĂ©savouĂ©s par les conseils ouvriers constituĂ©s durant la rĂ©volution, qui suivent dans leur majoritĂ© la ligne du SPD. L'extrĂŞme-gauche constitue alors le Parti communiste d'Allemagne qui, malgrĂ© les conseils de prudence de Rosa Luxemburg, appelle au boycott des Ă©lections. En janvier 1919, Karl Liebknecht croit que la rĂ©volution est possible Ă  Berlin ; les communistes s'engagent alors dans une rĂ©volte ouverte, que le gouvernement SPD Ă©crase avec l'aide des corps francs. D'autres tentatives rĂ©volutionnaires sont rĂ©primĂ©es en Allemagne dans le courant de 1918. La fin sanglante des spartakistes - Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, notamment, sont assassinĂ©s par des militaires - scinde de manière irrĂ©mĂ©diable la mouvance socialiste allemande, la social-dĂ©mocratie, toujours officiellement marxiste mais ayant dans les faits rejetĂ© la rĂ©volution, Ă©tant dĂ©sormais concurrencĂ©e sur sa gauche par un fort Parti communiste[39],[40]. En Hongrie, le Parti social-dĂ©mocrate de Hongrie s'allie en 1919 avec les communistes pour animer l'Ă©phĂ©mère rĂ©gime de la RĂ©publique des conseils de Hongrie[41]. En , les bolcheviks fondent Ă  Moscou l'Internationale communiste et appellent les rĂ©volutionnaires Ă  la rejoindre : des partis socialistes scissionnent dans l'Europe entière, les communistes Ă©tant dĂ©sormais concurrents des socialistes et sociaux-dĂ©mocrates[42]. En 1919, le Parti travailliste norvĂ©gien adhère directement Ă  l'Internationale communiste, mais s'en sĂ©pare ensuite rapidement, scissionnant Ă  son tour[43].

Évolutions de la social-démocratie

Entre-deux-guerres

Face Ă  la concurrence dans leurs pays des partis communiste et au dĂ©fi politique que posent, Ă  l'Ă©chelle mondiale, la rĂ©volution russe et la constitution que l'URSS en tant que « sociĂ©tĂ© socialiste Â», les partis sociaux-dĂ©mocrates et socialistes modĂ©rĂ©s doivent, durant l'entre-deux-guerres, repenser leur identitĂ© politique et leurs moyens d'action. Otto Bauer, leader et thĂ©oricien du SPĂ–, condamne fermement la pratique de la violence par les bolcheviks et juge que le parti doit donc attendre d'avoir conquis la majoritĂ© pour mettre en Ĺ“uvre son programme de transformation radicale et, en attendant, proportionner ses objectifs au rapport de force politique[44]. Le parti autrichien reste cependant attachĂ© son hĂ©ritage austromarxiste : Karl Renner, partisan d'un rĂ©formisme inspirĂ© d'Eduard Bernstein, doit cĂ©der la tĂŞte du parti Ă  Bauer, demeurĂ© « antirĂ©visionniste Â»[45].

Les partis sociaux-démocrates et socialistes tendent néanmoins, dans l'Europe entière, à évoluer vers des pratiques et des conceptions réformistes modérées, ce qui constitue une victoire différée des thèses de Bernstein[46]. En Scandinavie, notamment, les partis sociaux-démocrates acquièrent bientôt une situation électorale prépondérante - voire, en Suède, de quasi-monopole - qui leur permet de transformer assez profondément les sociétés de leurs pays pour leur donner un caractère plus égalitaire et assurant une meilleure répartition des richesses[47].

La montĂ©e du nazisme constitue cependant un Ă©chec grave pour les socialistes europĂ©ens, l'Internationale ouvrière socialiste, qui les fĂ©dère depuis 1923, se montrant incapable de dĂ©finir une ligne commune : le SPD allemand, impuissant, est dissous après l'arrivĂ©e de Hitler au pouvoir ; les sociaux-dĂ©mocrates autrichiens sont partisans de la fermetĂ© mais sont dissous par le gouvernement de droite en 1934, tandis que les Scandinaves tentent de prĂ©server leur neutralitĂ©[48],[49].

ArrivĂ©s au pouvoir en 1932, les sociaux-dĂ©mocrates suĂ©dois y demeurent quasiment sans interruption jusqu'en 1976 : comme en Allemagne, l'alliance entre parti et syndicats est particulièrement forte, 90 % des travailleurs suĂ©dois Ă©tant par ailleurs syndiquĂ©s Ă  la ConfĂ©dĂ©ration des syndicats suĂ©dois. La Suède met progressivement en place un système d'État-providence sans Ă©quivalent en Europe. De vastes rĂ©formes sociales sont appliquĂ©es, l'État appliquant une politique fortement interventionniste pour assurer la redistribution des richesses, l'instruction et l'habitat. L'Ă©conomie de marchĂ© et la propriĂ©tĂ© privĂ©e sont cependant maintenus : la Suède s'appuie en effet sur un capitalisme performant et dissocie le socialisme de la socialisation des moyens de production, alliant politique sociale et efficacitĂ© Ă©conomique. L'expĂ©rience suĂ©doise constitue l'exemple le plus achevĂ© du « modèle scandinave Â» social-dĂ©mocrate, conçu comme une recherche de l'harmonie sociale et du consensus, Ă©loignĂ©e de toute aspiration rĂ©volutionnaire. En Norvège, les travaillistes accèdent au pouvoir en 1935, ce qui accĂ©lère leur conversion au rĂ©formisme : une charte est signĂ©e entre syndicats et patronat pour Ă©tablir une procĂ©dure de règlement dans les conflits du travail et la Norvège entreprend de bâtir son propre État-providence. Au Danemark, les sociaux-dĂ©mocrates suivent la mĂŞme voie mais sans avoir la majoritĂ© absolue, et connaissent des oppositions de la part des syndicats[50],[51],[52].

Après-guerre

PĂ©riode de la guerre froide

Tage Erlander (debout), chef du gouvernement suédois de 1946 à 1969, en compagnie de son successeur Olof Palme, lui-même chef du gouvernement de 1969 à 1976 puis de 1982 à 1986.
Willy Brandt, chancelier de l'Allemagne de l'Ouest de 1969 à 1973 et président de l'Internationale socialiste de 1976 à 1992.

Après la Seconde Guerre mondiale, l'abandon de la posture rĂ©volutionnaire se poursuit chez les socialistes europĂ©ens : leur Ă©lectorat tend avec le temps Ă  s'Ă©largir de plus en plus aux classes moyennes et Ă  devenir de moins en moins ouvrier, bien que les salariĂ©s y conservent une part importante. Kurt Schumacher, leader du SPD reconstituĂ© après la chute du nazisme, plaide pour un « socialisme antitotalitaire Â» alors que l'ArmĂ©e rouge impose des dictatures dites « dĂ©mocraties populaires Â» en Europe de l'Est : il parvient en 1947 Ă  obtenir la rĂ©admission de son parti au sein de la famille des partis socialistes europĂ©ens. Dès sa fondation en 1951, l'Internationale socialiste se positionne fortement contre la conception du « socialisme Â» au sein des rĂ©gimes communistes du bloc de l'Est et, dans le contexte de la guerre froide, se positionne clairement en faveur de l'alliance avec les États-Unis. L'adoption de la ligne du socialisme dĂ©mocratique s'accĂ©lère, dans le contexte de la guerre froide, parmi les partis socialistes europĂ©ens. Les sociaux-dĂ©mocrates, malgrĂ© leurs nuances idĂ©ologiques selon les pays (les SuĂ©dois se situant plus Ă  gauche que la moyenne) adoptent tous une ligne rĂ©formiste n'ambitionnant plus de dĂ©passer le capitalisme mais au contraire d'en corriger les inĂ©galitĂ©s par un ensemble de politiques sociales. Lors de son congrès extraordinaire de 1959, le Parti social-dĂ©mocrate d'Allemagne met un terme Ă  toute rĂ©fĂ©rence au marxisme et Ă  la lutte des classes, entĂ©rinant officiellement la ligne intĂ©gralement rĂ©formiste suivie dans les faits par le SPD depuis 1945. Le keynĂ©sianisme et les principes de l'Ă©conomie mixte constituent dĂ©sormais la ligne de l'ensemble des partis sociaux-dĂ©mocrates en matière Ă©conomique[53],[54].

Au Royaume-Uni, la gauche du Parti travailliste refuse de transiger sur la clause IV du programme du parti qui prĂ©voit la propriĂ©tĂ© collective des moyens de production : les travaillistes britanniques adoptent nĂ©anmoins en 1960 le principe d'une extension de la propriĂ©tĂ© publique, non pas systĂ©matique, mais au cas par cas et selon les circonstances. Cette nouvelle position du Labour se traduit dans les faits par la politique modĂ©rĂ©e suivie par Harold Wilson après le retour au pouvoir du Labour en 1964 : tout en renationalisant la sidĂ©rurgie, le Premier ministre travailliste consacre l'essentiel de son action Ă  la modernisation de la sociĂ©tĂ© britannique[55].

En Allemagne de l'Ouest, le SPD suit une politique pragmatique et modĂ©rĂ©e, l'aile conduite par Helmut Schmidt favorisant la croissance en matière d'orientations Ă©conomiques ; les orientations adoptĂ©es en 1975, dĂ©finit les valeurs du socialisme dĂ©mocratique sur trois faveurs principales : la libertĂ©, dĂ©finie comme la possibilitĂ© de poursuivre ses propres objectifs et de s'Ă©panouir, la justice, entendue comme Ă©galitĂ© des droits, et la solidaritĂ©. Le socialisme est nĂ©anmoins dĂ©fini comme une « tâche inachevable Â», ce qui permet de concilier la visĂ©e d'un objectif spĂ©cifique et une approche rĂ©formiste. Le SPD rejette, en matière Ă©conomique, Ă  la fois le libĂ©ralisme intĂ©gral et l'Ă©conomie planifiĂ©e, et prĂ©conise la cogestion paritaire et la participation des salariĂ©s au capital des entreprises. Willy Brandt, chancelier de la RFA Ă  partir de 1969, s'attache Ă  l'Ă©chelle internationale Ă  la recherche de la paix et, dans le cadre de la dĂ©tente, suit la ligne de l'ostpolitik qui consiste Ă  pacifier et Ă  normaliser les rapports avec le bloc de l'Est et la RDA en particulier[56]. En Italie, après-guerre, le PSI s'allie avec le PCI, ce qui provoque une scission : les « sociaux-dĂ©mocrates Â» hostile Ă  cette alliance, conduits par Giuseppe Saragat crĂ©ent le Parti social-dĂ©mocrate italien (PSDI). Dans les annĂ©es qui suivent, le PSI est cependant très divisĂ© entre partisans du maintien de l'alliance avec les communistes et tenants d'une social-dĂ©mocratie Ă  l'italienne. En 1963, le PSI accepte d'entrer au gouvernement avec la DĂ©mocratie chrĂ©tienne (DC), comme le PSDI l'avait dĂ©jĂ  fait l'annĂ©e suivante. L'aile gauche du PSI scissionne alors et, en 1966, PSI et PSDI se rĂ©unissent sous le nom de Parti socialiste unifiĂ© (PSU). Mais ils subissent ensuite un Ă©chec aux Ă©lections de 1968 et, en 1969, le PSDI se sĂ©pare Ă  nouveau du PSI[57] En Autriche, le Parti socialiste d'Autriche (ex Parti social-dĂ©mocrate) obtient la majoritĂ© absolue en 1970 et Bruno Kreisky devient chancelier, adoptant une politique directement inspirĂ©e du modèle suĂ©dois, et recherchant le compromis social dans la lignĂ©e du pragmatisme des Allemands et des SuĂ©dois[58].

En France, la dĂ©nomination social-dĂ©mocrate n'a jamais Ă©tĂ© adoptĂ©e par les principaux partis socialistes successifs et le modèle social-dĂ©mocrate de type allemand ou scandinave ne s'impose pas, du fait de la relative faiblesse des syndicats et de leurs rapports contrastĂ©s avec les partis politiques[59] (un Parti social-dĂ©mocrate français est animĂ© par des dissidents du Parti socialiste qui refusent le Programme commun avec le PCF. Il ne peut cependant rivaliser avec le PS et se situe au centre, en faisant partie de l'UDF). Les conceptions « social-dĂ©mocrates Â» apparaissent encore minoritaires dans les annĂ©es 1970 face Ă  une ligne plus traditionnelle prĂ´nant la rupture avec le capitalisme. Jacques Delors, qui se dĂ©finit comme proche de la social-dĂ©mocratie, considère a posteriori que les conditions de l'expĂ©rience social-dĂ©mocrate telle que pratiquĂ©e dans les pays scandinaves n'Ă©taient alors pas rĂ©unies en France. Cependant, la ligne social-dĂ©mocrate, incarnĂ©e entre autres par Michel Rocard, existe au sein du Parti socialiste, prĂ´nant le progrès social moins par les nationalisations que par la nĂ©gociation collective et le progrès social des travailleurs et tentant de s'imposer au sein du gouvernement socialiste après 1981[6],[60].

Dans les annĂ©es 1970, la crise Ă©conomique consĂ©cutive aux chocs pĂ©troliers marque le dĂ©but d'une Ă©volution profonde au sein des partis sociaux-dĂ©mocrates : le keynĂ©sianisme et le système de l'État-providence apparaissent impuissants face Ă  la dĂ©gradation de la situation Ă©conomique. Cette carence des recettes traditionnelles amène Ă  une crise de l'identitĂ© social-dĂ©mocrate, qui conduit progressivement les partis Ă  se convertir durant les annĂ©es 1980-1990, de manière plus ou moins rapide et ouverte selon les pays, aux conceptions libĂ©rales en matière Ă©conomique[61].

Après la guerre froide

L'ensemble des partis socialistes et sociaux-dĂ©mocrates europĂ©ens poursuit une mue idĂ©ologique, laquelle s'accĂ©lère notamment après la chute des rĂ©gimes communistes en Europe, qui libère dans plusieurs pays les socialistes de la concurrence des partis communistes sur leur gauche. Les conceptions Ă©conomiquement libĂ©rales s'imposent, provoquant parfois des heurts comme en Autriche oĂą Bruno Kreisky dĂ©missionne de son poste de prĂ©sident d'honneur Ă  vie du parti. Dans le cadre de son Ă©volution idĂ©ologique, le Parti socialiste d'Autriche reprend son ancien nom de Parti social-dĂ©mocrate. Le parti qui pousse le plus loin sa conversion est le Parti travailliste britannique, oĂą Tony Blair et son entourage mènent une rĂ©flexion idĂ©ologique de fond, qui les conduit Ă  l'adoption d'une ligne rĂ©solument sociale-libĂ©rale, le « blairisme Â» s'affirmant bientĂ´t comme l'un des principaux axes idĂ©ologiques du centre gauche europĂ©en. En Allemagne, le SPD poursuit une Ă©volution comparable, qui se traduit par la politique suivie par Gerhard Schröder, devenu chancelier en 1998. En 1999, Blair et Schröder publient un manifeste commun fortement empreint d'idĂ©es libĂ©rales et plaidant pour « une Europe flexible et compĂ©titive Â»[62],[7]. Le Premier ministre français de l'Ă©poque, Lionel Jospin, se dĂ©marque de la tendance de Blair et Schröder et juge que social-dĂ©mocratie – soit le « socialisme moderne Â» –, si elle accepte aujourd'hui l'Ă©conomie de marchĂ© « car c'est la façon la plus efficace Ă  condition qu'elle soit rĂ©gulĂ©e d'allouer les ressources, de stimuler l'initiative, de rĂ©compenser le travail Â», doit par contre refuser la « sociĂ©tĂ© de marchĂ© Â» : pour Lionel Jospin, le marchĂ© ne peut ĂŞtre le seul « animateur Â» de la sociĂ©tĂ© car « il ne produit en soi ni solidaritĂ©, ni valeurs, ni projet, ni sens Â» et la social-dĂ©mocratie doit s'employer Ă  dĂ©fendre un ensemble de « valeurs Â», Ă  savoir « justice, libertĂ©, maĂ®trise collective de notre destinĂ©e, Ă©panouissement de l'individu sans nĂ©gation des rĂ©alitĂ©s collectives, volontĂ© de progrès Â»[13].

Jacques Julliard, dans Le Malheur français pose que c'est cette tendance social-dĂ©mocrate contre laquelle se liguent les autres gauches lors du gouvernement Jospin ou du rĂ©fĂ©rendum de 2005: « La haine de la rĂ©forme fĂ©dĂ©rait tous ces nĂ©o-nationalismes ; elle Ă©tait le moteur inavouĂ© de la campagne anti-Jospin qui cheminait obscurĂ©ment dans les cervelles de gauche. Il importe finalement peu que les diverses candidatures, du trotskyme rĂ©volutionnaire au conservatisme radical, aient invoquĂ© le prĂ©texte de la lutte des classes (Laguiller), du primat du mouvement social (Besancenot), du rĂ©formisme musclĂ© (Hue), de l'intĂ©rĂŞt national (Chevènement), voire du fĂ©minisme antiraciste (Taubira). Toutes ces causes n'Ă©taient que le camouflage de cet obscur objet du ressentiment : la social-dĂ©mocratie. Â».

Le terme social-dĂ©mocrate, au-delĂ  de son usage comme nom officiel de partis politiques, tend aujourd'hui Ă  dĂ©signer, de manière gĂ©nĂ©rale, une forme de centre gauche. Cette famille de pensĂ©e se dĂ©finit par une alliance de « rĂ©formisme Â» et de « rĂ©alisme Â» en matière Ă©conomique et sociale. Très Ă©loignĂ©e de l'idĂ©ologie rĂ©volutionnaire, elle recherche au contraire le consensus entre les acteurs sociaux. Le quotidien LibĂ©ration dĂ©finit ainsi comme « social-dĂ©mocrate Â» le programme de François Hollande, candidat Ă  l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 2012, du fait de la volontĂ©, tout en recherchant l'efficacitĂ© Ă©conomique, de restaurer un certain rĂ´le interventionniste de l'État et de privilĂ©gier la concertation avec les partenaires sociaux[63]. Le , François Hollande, alors prĂ©sident de la RĂ©publique française, revendique la qualitĂ© de « social-dĂ©mocrate Â» — mot qu'il avait jusqu'alors Ă©vitĂ© de prononcer — au cours d'une confĂ©rence de presse durant laquelle il prĂ©cise l'axe rĂ©formiste de son action Ă  la tĂŞte de l'État[64].

Annexes

Articles connexes

Idéologies connexes
Emblèmes sociales-démocrates
Personnalités sociales-démocrates

Bibliographie

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Notes et références

  1. « Hollande : ĂŞtre "social-dĂ©mocrate" c'est quoi ? Â»
  2. Candar 1996, p. 31
  3. Winock 1992, p. 107-112
  4. Bergounioux et Manin 1989, p. 57-85
  5. "La social-démocratie telle qu'elle est" Article paru sur le site Contretemps
  6. Jacques Delors, Dominique Wolton, L'unité d'un homme, Odile Jacob, 1994, page 360.
  7. Éric Dupin, Sortir la gauche du coma, Flammarion, 2002, pages 167-186
  8. Winock 1992, p. 123-125.
  9. Winock 1992, p. 107
  10. Lavroff 1999, p. 575
  11. Winock 1992, p. 164-166
  12. Lavroff 1999, p. 584-586
  13. Lionel Jospin, Ma Social-démocratie, texte écrit pour la Fabian Society, reproduit dans Libération, 19 novembre 1999
  14. « RĂ©inventer la social-dĂ©mocratie Â», sur Éditions l'Archipel
  15. Candar 1996, p. 12
  16. L'espace restreint de la social-dĂ©mocratie, in L'Ă©tiolement du politique, revue Futur AntĂ©rieur no 28, L'Harmattan, fĂ©vrier 1995, pages 39-40
  17. Bergounioux et Manin 1989, p. 158
  18. Droz 1972, p. 603-615
  19. Droz 1972, p. 558-572
  20. Droz 1972, p. 477-479
  21. Winock 1992, p. 108
  22. Droz 1972, p. 488-489
  23. Bergounioux et Manin 1989, p. 24
  24. Droz 1972, p. 490-498
  25. Droz 1974, p. 73-131
  26. Winock 1992, p. 112-115
  27. Bergounioux et Manin 1989, p. 34
  28. Winock 1992, p. 115-117
  29. Winock 1992, p. 117-119
  30. Winock 1992, p. 120-122
  31. Droz 1974, p. 401-443
  32. Winock 1992, p. 113-115
  33. Winock 1992, p. 128-141
  34. Dreyfus 1991, p. 67-69
  35. Droz 1974, p. 585-646
  36. Winock 1992, p. 146-166
  37. Droz 1977, p. 21-68
  38. Droz 1977, p. 171-173
  39. Droz 1977, p. 199-212
  40. Candar 1996, p. 33
  41. Droz 1977, p. 242-248
  42. Candar 1996, p. 28-29
  43. Winock 1992, p. 119
  44. Bergounioux et Manin 1989, p. 33-35
  45. Winock 1992, p. 1143
  46. Candar 1996, p. 30-31
  47. Lavroff 1999, p. 583
  48. Candar 1996, p. 34
  49. Dreyfus 1991, p. 116-117
  50. Candar 1996, p. 32
  51. Bergounioux et Manin 1989, p. 64
  52. Winock 1992, p. 117-32
  53. Dreyfus 1991, p. 190-209
  54. Winock 1992, p. 114
  55. Bergounioux et Manin 1989, p. 67-68
  56. Bergounioux et Manin 1989, p. 128-130
  57. Droz 1978, p. 604-612
  58. Bergounioux et Manin 1989, p. 100-119
  59. Gilles Martinet, Une certaine idée de la gauche (1936 1997), Odile Jacob, 1997, pages 123-125
  60. Serge Berstein, Pierre Milza, Histoire de la France au XXe siècle : Tome 5, De 1974 Ă  nos jours, 2006, Complexe, page 118
  61. Bergounioux et Manin 1989, p. 8-9
  62. Thomas Piketty, « Economiques. Blair et Schröder en font trop. Â», LibĂ©ration, 14 juin 1999
  63. « Hollande, social-dĂ©mocrate assumĂ© Â», LibĂ©ration, 27 janvier 2012.
  64. « â€śSocial-dĂ©mocrate”, François Hollande nie tout virage Â», Le Figaro, 14 janvier 2014.