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Severiano MartĂ­nez Anido

Severiano MartĂ­nez Anido (Ferrol, 1862 - Valladolid, 1938) est un militaire et homme politique espagnol.

Severiano MartĂ­nez Anido
Illustration.
Severiano MartĂ­nez Anido vers 1925.
Fonctions
Gouverneur civil de Barcelone
–
Premier ministre Eduardo Dato
Prédécesseur Federico Carlos Bas Vassallo
Successeur Julio Ardanaz
Ministre de l’IntĂ©rieur (de la GobernaciĂłn)
–
Premier ministre Miguel Primo de Rivera
Prédécesseur Martín Rosales y Martel
Successeur Enrique Marzo Balaguer
Vice-président du conseil des ministres
–
Premier ministre Miguel Primo de Rivera
Prédécesseur Joaquín María Ferrer
Successeur Diego MartĂ­nez Barrio
Ministre de la Guerre (par intérim)
–
Premier ministre Miguel Primo de Rivera
Prédécesseur Juan O'Donnell
Successeur Julio Ardanaz
Ministre de l’Ordre public (zone franquiste)
–
Premier ministre Francisco Franco
Commandant général de Melilla (Protectorat espagnol au Maroc)
–
Premier ministre Manuel GarcĂ­a Prieto
Biographie
Nom de naissance Severiano MartĂ­nez Anido
Date de naissance
Lieu de naissance Ferrol (Espagne)
Date de décÚs
Lieu de décÚs Valladolid
Nature du décÚs Naturelle
SĂ©pulture CimetiĂšre d’El Carmen (Valladolid)
Nationalité Espagnole
Enfants Roberto MartĂ­nez Baldrich (fils, illustrateur)
Profession Militaire (infanterie)
RĂ©sidence Valladolid, Barcelone, Melilla, Madrid, Nice

AprĂšs une carriĂšre militaire dans des unitĂ©s combattantes (aux Philippines, dans le cadre de la guerre hispano-amĂ©ricaine de 1898, puis dans le Maroc espagnol), il exerça en mĂ©tropole une sĂ©rie de hautes fonctions d’abord militaires, puis aussi civiles. En particulier, il fut nommĂ© en 1920 gouverneur civil de Barcelone, auquel titre il joua un rĂŽle de premier plan dans la dure rĂ©pression contre l’agitation sociale Ă  Barcelone au dĂ©but de la dĂ©cennie 1920 ; usant de mĂ©thodes tant lĂ©gales (arrestations massives de syndicalistes CNT, dĂ©portations, et application abusive de la loi des fuites, laquelle autorisait Ă  abattre tout dĂ©tenu tentant de s’échapper) qu’illĂ©gales (mise Ă  contribution des hommes de main du syndicat carliste rival de la CNT, attentats ciblĂ©s, etc.), il devint l’objet de controverses de plus en plus vives, avant d’ĂȘtre finalement limogĂ© en 1922. NommĂ© ensuite commandant gĂ©nĂ©ral Ă  Melilla, il dĂ©missionna deux mois aprĂšs, quand il se sentit condamnĂ© Ă  l’inaction aprĂšs que son projet d’occupation du Rif (comportant un plan de dĂ©barquement) eut Ă©tĂ© rejetĂ©. Sous la dictature de Primo de Rivera, il figura comme l’un des hommes forts du rĂ©gime, en sa qualitĂ© de ministre responsable de l’Ordre public, mais aussi comme confident du dictateur. AprĂšs l’éclatement de la Guerre civile en 1936, il mit fin Ă  son exil en France, auquel l’avait contraint la proclamation de la RĂ©publique en 1931, et, ayant offert ses services au camp nationaliste, se signala Ă  nouveau par ses actions rĂ©pressives et fut l’artisan d’une politique de collaboration policiĂšre avec l’Allemagne nazie (mise en place d’une police secrĂšte, accord d’extradition d’opposants politiques, etc.).

Biographie

Formation et carriĂšre militaire

MartĂ­nez Anido vers 1912, avec le grade de colonel.

NĂ© le Ă  Ferrol, dans la province de La Corogne[1] - [2], MartĂ­nez Anido s’inscrivit en 1880 Ă  l’AcadĂ©mie gĂ©nĂ©rale militaire[1], d’oĂč il sortit diplĂŽmĂ© quatre ans plus tard avec le rang d’enseigne d’infanterie. Il participa ensuite, dans le cadre de la guerre hispano-amĂ©ricaine, aux campagnes des Philippines, puis, dans le cadre de la guerre du Rif, aux opĂ©rations militaires dans le Maroc espagnol[3], oĂč il monta au grade de colonel en 1909. En 1911, il fut nommĂ© assistant personnel du roi Alphonse XIII, et occupa dans la suite plusieurs hautes fonctions militaires, Ă  savoir celles de directeur de l’AcadĂ©mie d'infanterie de TolĂšde, de commandant de la 1re brigade de Chasseurs, et de gouverneur militaire de Guipuscoa[4]. Il avait acquis une maĂźtrise moyenne des langues anglaise, française et italienne[5], et fut promu gĂ©nĂ©ral de brigade en 1914, gĂ©nĂ©ral de division en 1918, et enfin lieutenant gĂ©nĂ©ral.

Gouverneur militaire et civil de Barcelone (1920-1922)

AprĂšs avoir d’abord exercĂ© comme gouverneur militaire de Barcelone de Ă  , MartĂ­nez Anido occupa Ă  partir de cette derniĂšre date et dans la mĂȘme province le poste de gouverneur civil, demeurant Ă  ce titre Ă  la tĂȘte du gouvernement civil de Barcelone de Ă  [6]. Cette nomination, survenue le , s’explique par le basculement de la politique du gouvernement d’Eduardo Dato vers une attitude plus rĂ©pressive[7]. En effet, c’est dans le but d’en finir avec les conflits sociaux qui faisaient alors rage Ă  Barcelone que le prĂ©sident du Conseil des ministres avait choisi MartĂ­nez Anido, raison aussi pour laquelle celui-ci reçut largement l’appui de la presse catalane d’idĂ©ologie conservatrice, ainsi que de l’armĂ©e et mĂȘme du monarque[8] ; il n’était jusqu’à Francesc CambĂł, homme politique catalaniste, qui n’ait recommandĂ© aux autoritĂ©s de Madrid la dĂ©signation de MartĂ­nez Anido pour la charge de gouverneur[9].

L’entrĂ©e en fonction de MartĂ­nez Anido en remplacement de Vassallo Bas fut le point de dĂ©part de la phase la plus brutale de la rĂ©pression d’État en Catalogne, oĂč le pouvoir militaire se substitua entiĂšrement au pouvoir civil dans l’administration de Barcelone. AppuyĂ© par le prĂ©fet de police Miguel Arlegui, l’un des principaux collaborateurs de MartĂ­nez Anido Ă  Barcelone, par le patronat catalan et par les Juntas de Defensa, MartĂ­nez Anido se proposait de rĂ©soudre de façon dĂ©finitive le problĂšme du terrorisme, et dressa Ă  cet effet une liste noire des dirigeants du syndicat anarchiste CNT. L’assassinat le d’un chauffeur nommĂ© ValentĂ­n Otero, membre du dĂ©nommĂ© Syndicat libre, d’obĂ©dience carliste, lui fournit l’occasion de dĂ©clencher une vague de rĂ©pression[10]. Sous la couverture de la suspension des garanties constitutionnelles[11], MartĂ­nez Anido, homme cruel et violent[12], allait diriger la rĂ©pression contre les organisations ouvriĂšres, mais plus particuliĂšrement contre la CNT, en vue de quoi il favorisa les Syndicats libres, rivaux de la CNT, et alla jusqu’à mettre Ă  contribution dans le mĂȘme dessein l’organisation paramilitaire SomatĂ©n[13]. Outre la dissolution des syndicats, il ordonna des centaines de dĂ©tentions, qui frappĂšrent tous les hauts responsables de la CNT. Plusieurs des dĂ©tenus furent transfĂ©rĂ©s Ă  la forteresse de la Mola (dite aussi Isabel II), prĂšs de Port Mahon, dans les BalĂ©ares, y compris mĂȘme quelques personnalitĂ©s sans lien avec le syndicat, comme LluĂ­s Companys. La rĂ©pression frappa Ă©galement les simples affiliĂ©s et les percepteurs de fonds, tandis que les avocats proches de la CNT Ă©taient victimes d’attentats, dont notamment Francesc Layret, assassinĂ© le [14]. D’autre part, MartĂ­nez Anido commandita, par le biais de la Garde civile et en faisant appel aux hommes de main (pistoleros) du Syndicat libre, quelque 800 attentats, Ă  l’origine de 5 centaines de morts dans les rangs anarcho-syndicalistes de la CNT (parmi lesquels plusieurs figures en vue, telles que Salvador SeguĂ­ et Evelio Boal), d’aprĂšs les chiffres, probablemente sous-Ă©valuĂ©s, donnĂ©s par MartĂ­nez Anido lui-mĂȘme[15].

MartĂ­nez Anido lors d’une visite d’Alphonse XIII au campement Los Alijares de l’AcadĂ©mie d'infanterie de TolĂšde, dont MartĂ­nez Anido Ă©tait alors directeur (1914).

La CNT tenta en de riposter par une grĂšve gĂ©nĂ©rale, mais en vain, le syndicat socialiste UGT, qui en redoutait les consĂ©quences, s’étant abstenue de l’appuyer. L’action de grĂšve entraĂźna de nouvelles dĂ©tentions et dĂ©portations, tandis que parallĂšlement MartĂ­nez Anido couvrait l’action des pistoleros du Syndicat libre, qui purent agir Ă  leur guise, par suite de quoi ce fut la CNT qui eut Ă  subir les plus grands dommages de la lutte entre syndicats. Les premiers mois du mandat MartĂ­nez Anido se caractĂ©risent donc par une forte occurrence d’actes de violence, avec un nombre mensuel moyen de victimes non infĂ©rieur Ă  celui de la pĂ©riode de Bas Vassallo. La politique rĂ©pressive de MartĂ­nez Anido atteignit son apogĂ©e avec la mise en Ɠuvre de la dĂ©nommĂ©e et tristement cĂ©lĂšbre loi des fuites (en esp. Ley de Fugas), qui permettait l’exĂ©cution de dĂ©tenus (par une balle dans le dos) au motif d’une prĂ©sumĂ©e tentative de fuite, et sous l’égide de laquelle une dizaine de dirigeants de la CNT avaient Ă©tĂ© assassinĂ©s (selon le bilan de fin )[16] - [14].

L’attentat meurtrier Ă  Madrid le contre le prĂ©sident du conseil Eduardo Dato, jugĂ© responsable de l’application dans Barcelone de la loi des fuites, attentat qui fut perpĂ©trĂ© par un commando de trois anarchistes faisant feu sur Dato Ă  partir d’un side-car[note 1], eut pour effet d’intensifier encore la rĂ©pression contre la CNT, sans inflĂ©chir la politique gouvernementale ; au contraire mĂȘme, la position de MartĂ­nez Anido Ă  Barcelone s’en trouva consolidĂ©e, car confirmĂ©e par le nouveau gouvernement Allendesalazar[14].

À l’étĂ© 1921, la rĂ©pression gouvernementale Ă  l’encontre de la CNT commençait Ă  porter ses fruits, encore qu’en rĂ©alitĂ© l’action de MartĂ­nez Anido se soit ouvertement soustraite au contrĂŽle du gouvernement[17].

Sur son action Ă  Barcelone, l’historien britannique Hugh Thomas a formulĂ© le jugement suivant[18] :

« L’action du gĂ©nĂ©ral MartĂ­nez Anido [...] comme gouverneur civil de Barcelone, de 1920 Ă  1922, devint cĂ©lĂšbre par sa cruautĂ©, par un type de rĂ©pression qui n’avait plus Ă©tĂ© vu en Espagne depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations. Il s’appuya sur les Syndicats libres, qui faisaient de plus en plus office d’une union patronale de casseurs de grĂšve. Parmi eux s’étaient infiltrĂ©s des pistoleros et le terrorisme allait s’accroissant chez les anarchistes [
]. »

L’action de MartĂ­nez Anido et d’Arlegui, caractĂ©risĂ©e par la brutalitĂ© et l’usage de mĂ©thodes violentes (avec en particulier la mise en application de la loi des fuites), fit l’objet de vives discussions dans certains secteurs politiques[19]. Les protestations que suscita l’état d’exception prolongĂ© Ă  Barcelone finirent par provoquer la chute du gouvernement le . Le nouveau prĂ©sident du conseil, JosĂ© SĂĄnchez Guerra, misant sur un retour Ă  des attitudes plus modĂ©rĂ©es, rĂ©tablit le , aprĂšs trois ans, les garanties constitutionnelles. La remise en libertĂ© des dirigeants de la CNT permit Ă  la faction autour de Salvador SeguĂ­ de reprendre la direction de la CNT et de regagner le soutien des classes laborieuses barcelonaises. À l’inverse, le rĂ©tablissement des garanties rĂ©trĂ©cit la marge de manƓuvre de MartĂ­nez Anido, lequel commençait Ă  devenir un problĂšme pour le gouvernement. L’attentat (manquĂ©) contre Ángel Pestaña en , la rĂ©introduction de la loi des fuites, et le simulacre d’attentat montĂ© par MartĂ­nez Anido contre lui-mĂȘme fin octobre allaient conduire Ă  son Ă©vincement dĂ©finitif, et Ă  son remplacement au poste de gouverneur civil de Barcelone par le gĂ©nĂ©ral Julio Ardanaz Crespo[20].

Le , et tandis que Francisco CambĂł manƓuvrait vainement pour qu’il soit maintenu dans ses fonctions de gouverneur civil[21], MartĂ­nez Anido quitta donc son poste[22], aprĂšs avoir Ă©tĂ© destituĂ© par le prĂ©sident du conseil SĂĄnchez Guerra, opposĂ© Ă  ses mĂ©thodes[8] - [note 2] ; au mĂȘme moment, le prĂ©fet de police de Barcelone, le gĂ©nĂ©ral Arlegui, Ă©tait Ă©galement limogĂ©, dĂ©cision qui se heurta toutefois Ă  quelque rĂ©sistance, le roi Alfonso XIII faisant mine de refuser de signer le dĂ©cret de destitution[23]. Le travail de MartĂ­nez Anido avait pourtant Ă©tĂ© apprĂ©ciĂ© par l’organisation patronale catalane Foment del Treball Nacional (ou Fomento del Trabajo Nacional, dans sa version castillane, soit littĂ©r. Stimulation du travail national) et par les industriels catalans, Ă  telle enseigne qu’en plus d’une cĂ©rĂ©monie d’adieu en son honneur Ă  l’hĂŽtel Ritz aprĂšs sa destitution, il fut mĂȘme envisagĂ© d’organiser une pĂ©tition pour sa nomination comme fils adoptif de Barcelone[24].

Commandant général de Melilla (1923)

Le , le gouvernement prĂ©sidĂ© par Manuel GarcĂ­a Prieto, le troisiĂšme depuis le dĂ©sastre d’Anoual, accĂ©da au pouvoir, avec une Ă©quipe ministĂ©rielle Ă  dominante libĂ©rale, oĂč Niceto AlcalĂĄ-Zamora s’était vu confier le portefeuille de la Guerre[25]. Ce dernier cependant remit sa dĂ©mission le , et le lieutenant-gĂ©nĂ©ral Luis Aizpuru y MondĂ©jar, alors chef d’état-major des armĂ©es, prit sa succession[26]. La nomination d’Aizpuru fut bientĂŽt suivie de la dĂ©signation de MartĂ­nez Anido Ă  la tĂȘte du haut commandement militaire (Comandancia General) de Melilla, dans le Protectorat espagnol au Maroc[27]. Cette dĂ©cision ne laissa pas de susciter la polĂ©mique, MartĂ­nez Anido n’étant pas particuliĂšrement rĂ©putĂ© pour ses capacitĂ©s d’écoute et de dialogue. Sa nomination fut donc interprĂ©tĂ©e comme un changement de cap de la politique espagnole au Maroc, qui de volontĂ© de « pĂ©nĂ©tration pacifique » du Rif basculerait ainsi vers une occupation militaire violente, ce qui provoqua la perplexitĂ© chez certaines personnalitĂ©s politiques, dont l’ancien ministre AlcalĂĄ-Zamora. Dans les rangs socialistes, Indalecio Prieto argua que la dĂ©signation de MartĂ­nez Anido n’était pas des plus judicieuses, s’agissant en effet, affirma-t-il devant le CongrĂšs, d’une « personne orgueilleuse agissant selon son caprice sans avoir garde aux raisons de discipline et d’obĂ©issance »[28] ; toujours devant le CongrĂšs, il interpella le prĂ©sident GarcĂ­a Prieto Ă  propos de cette nomination, lui demandant si le gouvernement suivait encore une ligne exclusivement pacifique au Maroc[28]. De fait, la prĂ©sence de MartĂ­nez Anido Ă  Melilla correspondait bien Ă  un changement de mĂ©thode, et le gouvernement, tout en prĂŽnant verbalement la « pĂ©nĂ©tration pacifique », inversa Ă  partir de sa stratĂ©gie et remit sur la table le vieux plan de dĂ©barquement de troupes Ă  Al HoceĂŻma en vue de soumettre manu militari les Rifains rebelles[29].

L’historiographie espagnole a attribuĂ© Ă  MartĂ­nez Anido la conception dudit plan militaire, alors que lui-mĂȘme affirma aprĂšs sa dĂ©mission que ce n’était pas lui qui avait prĂ©conisĂ© un dĂ©barquement Ă  Al HoceĂŻma et qu’il s’était bornĂ© Ă  obĂ©ir, indiquant que l’inspirateur du plan Ă©tait en rĂ©alitĂ© Luis Silvela, alors haut-commissaire au Maroc, que lui-mĂȘme (MartĂ­nez Anido) avait trouvĂ© le projet tout rĂ©digĂ© dans un tiroir quand il arriva Ă  la Comandancia General, et qu’il s’était contentĂ© de l’examiner et de le remettre au haut-commissariat[30].

Le projet de la Comandancia s’appuyait sur l’exĂ©cution simultanĂ©e de trois opĂ©rations militaires distinctes : un dĂ©barquement prĂ©liminaire sur la plage de Torres de AlcalĂĄ, Ă  4 kilomĂštres Ă  l’ouest du Peñón de VĂ©lez de la Gomera, dans la zone occidentale du protectorat ; une « dĂ©monstration » (dĂ©barquement-leurre) Ă  Sidi Driss, Ă  l’embouchure du fleuve AmĂ©kran, dans la zone orientale ; et une action intĂ©rieure, par voie de terre, avec engagement de gros effectifs, afin de s’emparer du Zoco el Had, Ă  Al HoceĂŻma. Ces opĂ©rations devaient ĂȘtre suivies, Ă  bref dĂ©lai, de la principale, savoir : le dĂ©barquement d’une colonne sur le bord occidental de la baie d’Al HoceĂŻma, l’objectif Ă©tant d’établir dans cette derniĂšre une solide base d’opĂ©ration d’oĂč l’on pourrait projeter d’autres opĂ©rations, en tant que de besoin. Il s’agissait d’un vaste plan qui requĂ©rait de grandes ressources, en matĂ©riel, en ravitaillement, et surtout en hommes de troupe, qu’il y aurait lieu de mobiliser en mĂ©tropole[31].

Le plan fut analysĂ© par une commission du Haut-Commissariat, Ă  laquelle appartenaient notamment Alberto Castro Girona et Ignacio Despujols. Le rapport de cette commission, dont les conclusions contredisaient le projet original de la Comandancia de Melilla, proposait, outre une stratĂ©gie diffĂ©rente comportant une attaque aĂ©rienne massive avec des gaz de combat[30], une combinaison de trois opĂ©rations : une principale, sur mer, Ă  Al HoceĂŻma, et deux secondaires par voie de terre. Les deux projets furent expĂ©diĂ©s Ă  Madrid pour Ă©valuation par l’état-major des armĂ©es quant Ă  leur faisabilitĂ©[32].

Le rapport final de l’état-major exprimait, Ă  l’instar de la commission du Haut-Commissariat, des doutes sur le bien-fondĂ© d’un dĂ©barquement Ă  Torres de AlcalĂĄ et se prononçait contre une opĂ©ration de grande envergure sur terre telle qu’envisagĂ©e par MartĂ­nez Anido, en relevant que la configuration du terrain avantageait les dĂ©fenseurs. Le rapport blĂąmait MartĂ­nez Anido d’avoir Ă©difiĂ© son projet sur des prĂ©somptions par trop optimistes, sur des donnĂ©es incomplĂštes obtenues par reconnaissance aĂ©rienne, et sur quelques photographies d’observateurs, et critiquait l’insuffisance des donnĂ©es morphologiques sur la pĂ©ninsule de Morro Nuevo, en particulier sur ses possibilitĂ©s de dĂ©barquement et d’installation d’une base[32]. Le rapport se terminait sur un clair rejet d’un dĂ©barquement[33] et posait en conclusion que le problĂšme du protectorat ne pouvait ĂȘtre rĂ©solu que si on portait le coup sur Ajdir, capitale de la RĂ©publique du Rif ; les rĂ©dacteurs du rapport recommandaient au gouvernement, « attendu qu’il n’était pas possible de requĂ©rir du pays un soldat de plus », de doter l’armĂ©e espagnole de moyens modernes, tels que : avions, chars de combat, fusils-mitrailleurs, artillerie de gros calibre, gaz toxiques, etc. Il s’ensuivit que le gouvernement, aprĂšs lecture du rapport, et en dĂ©pit des dĂ©marches de Silvela auprĂšs du prĂ©sident du conseil, dĂ©clina l’opĂ©ration[34].

Son projet rĂ©pudiĂ©, MartĂ­nez Anido ne tarda pas Ă  remettre sa dĂ©mission, et quitta son poste de commandant gĂ©nĂ©ral le . Son message d’adieu Ă  l’armĂ©e d’Afrique Ă©tait ainsi libellĂ©[35] :

« C’est avec un profond regret que j’abandonne le commandement de ce territoire, car je ne pourrai, dans ces moments critiques oĂč la Patrie aurait besoin d’officiers et de soldats enthousiastes, me tenir Ă  vos cĂŽtĂ©s et employer les vertus militaires qui vous ornent. L’absence me gardera prĂ©sent Ă  l’esprit votre dĂ©sir, qui fut aussi toujours le mien, de venger les affronts passĂ©s, en plaçant notre propre morale trĂšs au-dessus de celle de l’ennemi, moi-mĂȘme me dĂ©solant de ce que le bref temps de mon commandement a empĂȘchĂ© de mettre en pratique une rĂ©alitĂ© aussi belle et appropriĂ©e. PersĂ©vĂ©rez dans l’accomplissement de votre devoir, disciplinez votre esprit, qui doit garder pour boussole et pour guide le bien-ĂȘtre de la Patrie, et recevez la tendre Ă©treinte que vous envoie votre gĂ©nĂ©ral[36]. »

Dictature de Primo de Rivera (1923-1931)

Les membres du directoire civil de Primo de Rivera en dĂ©cembre 1925. Au premier rang, de gauche Ă  droite, JosĂ© Yanguas (ministĂšre d’État), JosĂ© Calvo Sotelo (Finances), Severiano MartĂ­nez Anido (4e de la gauche, IntĂ©rieur), Miguel Primo de Rivera (prĂ©sident), Galo Ponte (GrĂące et Justice), Honorio Cornejo (Marine) et Eduardo AunĂłs (Travail).

AprĂšs l’avĂšnement de la dictature de Primo de Rivera, lorsque fut instaurĂ© le dĂ©nommĂ© Directoire militaire, MartĂ­nez Anido fut nommĂ© en au poste de sous-secrĂ©taire du ministĂšre de l’IntĂ©rieur (Ministerio de la GobernaciĂłn)[note 3]. À cette Ă©poque, il put s’appuyer sur un de ses anciens collaborateurs, le gĂ©nĂ©ral Miguel Arlegui, au titre de directeur gĂ©nĂ©ral de la SĂ»retĂ©[37]. UltĂ©rieurement, en , Ă  la faveur de la mise en place du Directoire civil, MartĂ­nez Anido allait ĂȘtre nommĂ© ministre de l’IntĂ©rieur de plein exercice, poste qu’il gardera jusqu’en . Entre et , il assuma aussi la vice-prĂ©sidence du conseil des ministres[38], auquel titre il vint Ă  figurer comme la main droite du gĂ©nĂ©ral Miguel Primo de Rivera[39] et, finalement, comme l’une des principales personnalitĂ©s de la dictature, comme en tĂ©moigne entre autres le fait que Primo de Rivera ne confĂ©rait qu’avec MartĂ­nez Anido sur les dĂ©cisions Ă  prendre concernant des sujets strictement politiques[40].

Connu pour son hostilitĂ© envers les intellectuels[41], il aurait, aux dires d’Eduardo Ortega y Gasset, dĂ©clarĂ© en 1924, quand la mesure de bannissement intĂ©rieur aux Ăźles Canaries prise Ă  l’encontre de Miguel de Unamuno eut Ă©tĂ© confirmĂ©e[42] :

« Moi, je couperais plusieurs tĂȘtes d’"intellectuels" pour qu’ils cessent d’importuner. Si moi je pouvais rĂ©aliser mon programme, Unamuno n’arriverait pas vivant Ă  Fuerteventura. Moi, je ne me soucie pas des "intellectuels" ! »

Tout le temps que dura son exil, qui courut de 1924 Ă  1930, Unamuno ne cessa pour sa part d’attaquer, de vilipender et d’insulter ce qu’il dĂ©signait par le « trio dictatorial », Ă  savoir : le gĂ©nĂ©ral Primo de Rivera, le roi Alphonse XIII, et MartĂ­nez Anido, discernant en ce dernier le vĂ©ritable homme de pouvoir et considĂ©rant Primo de Rivera comme une marionnette, ou seulement comme le visage visible de ce gouvernement[43] ; pour caractĂ©riser les dirigeants du rĂ©gime, sous lequel, selon lui, nul n’était Ă  l’abri, Unamuno usait d’analogies et d’expressions qui les ravalait au rang d’animaux, en insistant surtout sur leur supposĂ©e manque d’intelligence[44].

Martínez Anido (à gauche), alors ministre de l'Intérieur, en visite à CarthagÚne en 1927, en compagnie de Torres López, maire de la ville.

En matiĂšre de politique d’ordre public, l’une des premiĂšres dĂ©cisions du Directoire fut la promulgation d’un dĂ©cret, datĂ© du , en vertu duquel l’institution catalane du SomatĂ©n fut Ă©tendue Ă  toutes les provinces d’Espagne[45]. Il reste que durant la dictature primorivĂ©riste, et Ă  l’inverse de la situation conflictuelle des annĂ©es antĂ©rieures, l’on rĂ©ussit Ă  rĂ©tablir la « paix sociale ». Par sa position au sein du cabinet ministĂ©riel, MartĂ­nez Anido fut conduit Ă  assumer d’autres responsabilitĂ©s en certaines circonstances dĂ©terminĂ©es. Ainsi, en 1928, remplit-il pendant plusieurs mois, Ă  titre temporaire, la fonction de ministre de la Guerre, par suite de la maladie du ministre titulaire, le gĂ©nĂ©ral Juan O'Donnell[46]. Un an plus tard, il se chargea de la prĂ©sidence par intĂ©rim du conseil des ministres ainsi que du ministĂšre de l’État, en l’absence de Primo de Rivera, de juillet Ă  [47]. La dĂ©mission de Miguel Primo de Rivera en entraĂźna aussi pour MartĂ­nez Anido son dĂ©part du gouvernement.

PĂ©riode d’exil (1931-1936)

Ayant prĂ©fĂ©rĂ© s’exiler en France au lendemain de la proclamation de la RĂ©publique, il n’assista pas au procĂšs conduit dans l’édifice de l’ancien SĂ©nat par un Tribunal des responsabilitĂ©s en et destinĂ© Ă  juger les responsables de la dictature de Primo de Rivera[48]. La sentence prononcĂ©e comportait pour MartĂ­nez Anido une dure peine de 24 ans de « confinement » (rĂ©sidence surveillĂ©e) et de privation de droits civiques, avec suppression de la pension de retraite[49]. En 1935, RamĂłn Sales se rĂ©unit Ă  Nice avec l’ancien militaire MartĂ­nez Anido, dĂ©jĂ  bien avancĂ© en Ăąge, pour obtenir de lui qu’il prenne la tĂȘte d’un coup d’État en Catalogne, mais celui-ci dĂ©clina la proposition[50].

Guerre civile

À l’éclatement de la Guerre civile en , MartĂ­nez Anido retourna en Espagne et, s’étant mis aussitĂŽt Ă  la disposition des insurgĂ©s, fut dĂ©signĂ© prĂ©sident de l’ƒuvre nationale contre la tuberculose (Patronato Nacional Antituberculoso, PNA)[51]. En , le gĂ©nĂ©ral Francisco Franco le nomma chef des Services de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, d’ordre public et des frontiĂšres[52], sous la tutelle directe du chef de l’État. Dans ses fonctions, MartĂ­nez Anido Ă©tait appelĂ© Ă  se charger de questions telles que la censure des spectacles et le contrĂŽle des dĂ©lits de marchĂ©[53]. En , lors de la mise en place du premier gouvernement de Franco, MartĂ­nez Anido fut nommĂ© Ă  la tĂȘte du ministĂšre de l’Ordre public[54]. Ainsi que l’a signalĂ© l’historien Hugh Thomas, sa nomination avait Ă©tĂ© « calculĂ©e dans le but de semer la panique chez les rĂ©publicains »[55]. MartĂ­nez Anido ne tarda pas Ă  mettre en Ɠuvre sa politique de contrĂŽle et de rĂ©pression. L’ambassadeur allemand auprĂšs de l’Espagne franquiste, Eberhard von Stohrer, en vint Ă  envoyer Ă  Berlin un rapport, dans lequel il indiquait que la politique rĂ©pressive menĂ©e par MartĂ­nez Anido « finissait par apparaĂźtre inadmissible, y compris mĂȘme aux yeux de la Phalange elle-mĂȘme »[56].

Farouchement hostile Ă  l’indĂ©pendantisme catalan, MartĂ­nez Anido rejeta — dans la perspective de la formation du premier cabinet ministĂ©riel franquiste — une proposition de Pedro SĂĄinz RodrĂ­guez portant qu’Eugenio d'Ors soit dĂ©signĂ© directeur des Beaux-Arts, au motif que celui-ci serait un « sĂ©paratiste catalan »[57].

Le nouveau ministre de l’Ordre public organisa aussi la coopĂ©ration policiĂšre avec les États fascistes. Sur requĂȘte du chef de l’État, le gouvernement de l’Allemagne nazie diligenta une Ă©quipe d’experts dirigĂ©s par le colonel SS Heinz Jost, avec le dessein de former la nouvelle police franquiste. Ladite Ă©quipe s’installa Ă  Valladolid, sous les auspices du ministĂšre de l’Ordre public[58]. Le , le chef de la SS et de la police de l’Allemagne nazie, Heinrich Himmler, et MartĂ­nez Anido signĂšrent un accord prĂ©voyant l’extradition mutuelle des « dĂ©linquants politiques »[note 4] qui viendraient Ă  ĂȘtre dĂ©tenus dans l’un des deux pays[59] - [60] - [61]. Comme partie constituante de l’accord, la Gestapo assigna un de ses agents Ă  l’ambassade d’Allemagne Ă  Salamanque, tandis que parallĂšlement le gouvernement de Franco dĂ©tacha un officier de police Ă  l’ambassade d’Espagne Ă  Berlin[62]. L’accord stipulait Ă©galement que l’attachĂ© de la Gestapo en Espagne, Paul Winzer, vienne diriger un programme d’instruction Ă  l’intention de la nouvelle police politique de Franco[63].

AprĂšs la mort de MartĂ­nez Anido le [64], le portefeuille de l’Ordre public fut aboli[note 5] et ses compĂ©tences transfĂ©rĂ©es au ministĂšre de l’IntĂ©rieur (dotĂ© depuis lors de l’intitulĂ© Ministerio de la GobernaciĂłn), ce qui reprĂ©sentait une extension du pouvoir pour le titulaire de celui-ci, RamĂłn Serrano SĂșñer[63].

InhumĂ©s d’abord au cimetiĂšre d’El Carmen Ă  Valladolid, les restes de MartĂ­nez Anido furent translatĂ©s dix annĂ©es plus tard, en 1949, vers un fastueux mausolĂ©e sis dans le mĂȘme cimetiĂšre et financĂ© par la municipalitĂ©[64] - [65].

Mise en examen posthume pour crimes contre l’humanitĂ© et dĂ©tention illĂ©gale

En 2008, Severiano MartĂ­nez Anido fut l’un des 35 hauts gradĂ©s du franquisme mis en examen par l’Audience nationale dans le cadre de la procĂ©dure engagĂ©e par le juge Baltasar GarzĂłn pour dĂ©lits prĂ©sumĂ©s d’incarcĂ©ration illĂ©gale et de crimes contre l'humanitĂ© commis au cours de la guerre civile et des premiĂšres annĂ©es du rĂ©gime de Franco. Toutefois, le juge dĂ©clara Ă©teinte la responsabilitĂ© pĂ©nale de MartĂ­nez Anido, aprĂšs qu’il eut reçu notification de son dĂ©cĂšs dĂ»ment certifiĂ©, survenu plusieurs dĂ©cennies auparavant[66] - [67] - [68]. L’instruction de cette affaire fut Ă  ce point polĂ©mique que GarzĂłn vint Ă  ĂȘtre inculpĂ© lui-mĂȘme de prĂ©varication et dut passer en jugement ; cependant, il fut acquittĂ© par le Tribunal suprĂȘme[69].

Famille

MartĂ­nez Anido Ă©tait le pĂšre du dessinateur et illustrateur Roberto MartĂ­nez Baldrich (1895-1959)[70].

RĂ©compenses

Notes et références

Notes

  1. Selon plusieurs auteurs, c’est devant l’impossibilitĂ© de commettre un attentat contre MartĂ­nez Anido que Dato aurait Ă©tĂ© assassinĂ© Ă  sa place. Cf. A. Navarra Ordoño (2012), p. 240 & (es) Carlos Seco Serrano, Estudios sobre el reinado de Alfonso XIII, Madrid, Real Academia de la Historia, coll. « Clave Historial », , 390 p. (ISBN 978-8489512139, lire en ligne), p. 228.
  2. SĂĄnchez Guerra n’avait pas de bonne opinion de MartĂ­nez Anido, qu’il avait connu en 1921 Ă  l’occasion d’une rencontre avec lui au CongrĂšs des dĂ©putĂ©s. Cf. F. J. Romero SalvadĂł (2016), p. 235.
  3. Il n’y avait pas alors de ministre Ă  la tĂȘte de ce dĂ©partement ; aprĂšs le coup d’État de Primo de Rivera, les fonctions en avaient Ă©tĂ© assumĂ©es Ă  titre intĂ©rimaire par MillĂĄn MillĂĄn de Priego. Cf. E. GonzĂĄlez Calleja (1999), p. 284.
  4. L’accord permit p. ex. la dĂ©portation automatique des prisonniers allemands appartenant aux Brigades internationales. Cf. P. Preston (2011), p. 637.
  5. Les fonctions furent temporairement assumĂ©es par le sous-secrĂ©taire Ă  l’Ordre public Juan Oller Piñol, avant la suppression du ministĂšre. Cf. J. R. Urquijo Goitia (2001), p. 134.

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