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Pullulation des campagnols

La pullulation des campagnols est un exemple d'augmentation rapide du nombre de micro-mammifères herbivores dans des prairies ou dans des champs cultivés.

un rat taupier
un campagnol des champs

Cet article se limite à deux groupes d'espèces de campagnols vivant dans différentes régions de France :

  • Arvicola amphibius et Arvicola sapidus (quelquefois confondus, et connus sous des noms divers : campagnol terrestre, ou campagnol amphibie, ou grand campagnol, ou rat taupier) [Note 1] : de taille imposante (12 Ă  22 cm sans la queue), ils pèsent 100 Ă  300 grammes, et vivent surtout dans les prairies ou des zones humides, en zones de moyenne montagne.
  • Microtus arvalis (appelĂ© campagnol des champs, souvent confondu avec le mulot, voire appelĂ© souris des champs) : très petit (8 Ă  12 cm, 20 Ă  40 grammes), il prĂ©fère la plaine et les zones de cultures. Autre animal de petite taille : Microtus duodecimcostatus (appelĂ© campagnol provençal), prĂ©sent surtout en France, en Espagne et au Portugal.


Les mécanismes qui provoquent les pullulations de ces animaux, et les mesures prises pour y faire face posent des problèmes scientifiques, techniques, économiques, écologiques et sociétaux.


Principes d'une pullulation

La pullulation est une forme rapide de prolifération : une espèce se reproduit abondamment et rapidement dans un écosystème donné, et déséquilibre le fonctionnement de ce système. D'autres exemples de pullulations sont recensés dans des domaines végétaux ou animaux ; voir par exemple la page d'homonymie « prolifération ». Un exemple notoire de pullulation d'un animal proche des campagnols (mais situé dans des conditions écologiques très différentes) est celui des lemmings.

D'une façon générale, les conditions qui rendent possible la pullulation sont :

  • il faut que l'espèce bĂ©nĂ©ficie d'un succès reproducteur net, que le sex-ratio des portĂ©es soit favorable, que la survie des jeunes et des adultes soit bonne, et que la dispersion (des jeunes et des adultes) soit possible ;
  • lorsque ces conditions sont rĂ©unies, si la production primaire est abondante, alors on peut observer une explosion dĂ©mographique
  • si les prĂ©dateurs ne peuvent pas consommer les excĂ©dents de population, alors on assiste Ă  un dĂ©but de prolifĂ©ration locale (voire Ă  une pullulation locale, si le phĂ©nomène est rapide) ;
  • quand la nourriture de base commence Ă  manquer : s'il n'y a pas de possibilitĂ© de dispersion, alors la croissance dĂ©mographique s'arrĂŞte ;
  • s'il y a possibilitĂ© de dispersion des jeunes, alors, la prolifĂ©ration se propage Ă  toute la surface disponible.


Le nombre de prédateurs suit avec retard le nombre de proies, et le système est au minimum cyclique...
...le système peut même devenir instable
  • Les deux espèces (Arvicola amphibius et Microtus arvalis) sont de bons candidats Ă  la pullulation : elles prĂ©sentent une capacitĂ© de reproduction annuelle de 3 Ă  6 portĂ©es de 4 Ă  5 jeunes, et une maturitĂ© sexuelle Ă  5 semaines. S'il n'y avait pas de prĂ©dateurs, pas de contrainte de dĂ©placements des rongeurs, et si la production vĂ©gĂ©tale Ă©tait illimitĂ©e, un couple de campagnols devrait donc avoir une descendance de plusieurs milliers d'individus vivants au bout d'un an. Pour tenir compte de la prĂ©sence de prĂ©dateurs, on peut construire un simulateur proies-prĂ©dateurs basĂ© sur les Ă©quations de Lotka-Volterra. Avec une catĂ©gorie de proie (les campagnols) et une catĂ©gorie de prĂ©dateur (les renards), ces Ă©quations prĂ©disent qu'on ne peut pas ĂŞtre certain de la stabilitĂ© des populations.
  • Effectivement, on peut observer une pullulation tous les 5-6 ans pour Arvicola amphibius, et tous les 3-4 ans pour Microtus arvalis, et des densitĂ©s qui fluctuent entre 1 individu/ha et 600 Ă  1 200 individus/ha pour chacune des deux espèces. Certains travaux ont Ă©tĂ© menĂ©s dans les dĂ©partements du Cantal et du Puy-de-DĂ´me (France), pour simuler les Ă©volutions de densitĂ©s de campagnols terrestres et de renards roux, par commune. On peut reconstituer des cycles de pullulation rĂ©ellement observĂ©s sur de longues pĂ©riodes [1].
  • Les campagnols terrestres mangent des feuilles, des racines ou des graines dans les prairies : leur pullulation entraĂ®ne une mauvaise qualitĂ© du foin ou de l’herbe, une diminution de la quantitĂ© disponible de foin ou d'herbe, parfois une quasi-destruction des prairies, des risques de carence dans l’alimentation du bĂ©tail, une prĂ©sence accrue de germes butyriques dans le lait. Dans le cas des campagnols provençaux, les dĂ©gâts se situent au niveau des collets ou des racines des arbres fruitiers, et de la production maraĂ®chère. Pour les campagnols des champs, les dĂ©gâts concernent surtout la production de luzerne, de colza, de protĂ©agineux et les cultures maraĂ®chères. L'impact Ă©conomique de ces pullulations est important, et entièrement supportĂ© par les agriculteurs et les Ă©leveurs.
  • Mais ces cycles ne sont pas inĂ©luctables : pour Ă©viter les dĂ©gâts, l'agriculteur peut jouer sur chacun des points listĂ©s comme critiques dans la liste des variables qui peuvent provoquer la pullulation. Pour trouver quelles techniques utiliser, il faut observer et expĂ©rimenter, Ă  diffĂ©rentes Ă©chelles (locales, rĂ©gionales)[2](p. 230).

Déséquilibres dans les relations trophiques

le terme « trophique » se rapporte à tout ce qui est relatif à la nutrition ; on appelle réseau trophique l'ensemble des chaînes alimentaires à l'intérieur d'un écosystème.

Le campagnol est un micro-mammifère herbivore, à la base d'une chaîne alimentaire relativement complexe. Quelles sont les relations prédateur-proie dans cette chaîne ?

Le renard roux chasse, entre autres proies, le campagnol terrestre.
  • Le renard roux est un prĂ©dateur gĂ©nĂ©raliste vis-Ă -vis du campagnol : il n'est pas « spĂ©cialisĂ© » dans cette proie ; il peut très bien chasser d'autres proies et se nourrir mĂŞme d'insectes si les conditions sont dĂ©favorables[3] (p. 12). S'il n'y a plus assez de campagnols, il se reporte sur le lièvre. On observe ainsi que plus il y a de campagnols, plus il y a de lièvres (et inversement : les annĂ©es oĂą les campagnols sont rares, il y a moins de lièvres) [3] (p. 11). On dĂ©nombre d'autres prĂ©dateurs gĂ©nĂ©ralistes vis-Ă -vis des campagnols : fouine, martre, milan royal, buse variable, faucon crĂ©cerelle...
  • La belette est un prĂ©dateur spĂ©cialiste du campagnol.
    Il existe aussi des prédateurs spécialistes pour le campagnol : hermine, belette, busard cendré... Leur nombre suit , avec un certain retard, le nombre de campagnols. Mais s'il n'y a pas assez de prédateurs généralistes (par exemple les renards) quand la population de campagnols augmente, les prédateurs spécialistes ne sont pas assez nombreux pour éliminer les campagnols excédentaires ; le nombre de campagnols augmente, jusqu'à épuisement des disponibilités alimentaires (les végétaux) ou à cause du parasitisme ou des maladies ; plus tard dans le cycle, quand le nombre de campagnols retombe au plus bas, les prédateurs spécialistes meurent de faim. Ils ne seront plus là pour réduire les excédents de campagnols quand les conditions (alimentation, prédation, autres) seront réunies pour que le cycle du nombre de campagnols reparte à la hausse.
  • Si une espèce devient fortement excĂ©dentaire, les prĂ©dateurs gĂ©nĂ©ralistes changent leurs habitudes alimentaires aux dĂ©pens de cette espèce et cela devrait contribuer Ă  rĂ©-Ă©quilibrer les effectifs et Ă  stabiliser le système. Mais les choses ne se passent pas toujours ainsi : la relation modĂ©lisĂ©e [une proie]-[un prĂ©dateur] est trop simpliste pour comprendre le fonctionnement d'un système rĂ©el. Les espèces peuvent ĂŞtre considĂ©rĂ©es comme proies, comme proies ou prĂ©dateurs, ou comme prĂ©dateurs[3] (p. 44) ; il peut y avoir aussi concurrence sĂ©vère entre des « proies » (par exemple entre taupes et campagnols, concurrents pour l'occupation de l'espace souterrain).

Origine de ces déséquilibres

Si on admet cette prééminence de la chaîne alimentaire dans l'équilibre d'un agroécosystème, comment expliquer des déséquilibres aussi manifestes dans le cas des campagnols ? La question est difficile à trancher. On peut recenser différents types de réponses :

la pullulation est un progrès pour l'écosystème

  • Les pullulations sont observĂ©es surtout dans des milieux riches en production vĂ©gĂ©tale de base et dans le cas des campagnols, certains estiment que l'Ă©quilibre Ă  long terme sort renforcĂ© par le mĂ©canisme quasi-cyclique : pullulation puis très forte diminution, puis nouvelle pullulation, etc.
  • Certes, les pullulations de campagnols provoquent des pertes importantes pour l'agriculture (destruction de prairies et de rĂ©coltes, dĂ©gâts sur les arbres fruitiers) et pour l'Ă©levage (dĂ©gradation de la qualitĂ© des fourrages, dĂ©classement du lait) ; elles bouleversent aussi l'Ă©quilibre de la flore. Mais on peut aussi voir ces bouleversements sous des aspects positifs : les galeries des rongeurs aèrent le sol, la destruction des plantes cultivĂ©es favorise les autres plantes et donc la bio-diversitĂ©[4]. La pullulation permettrait donc une restauration de l'Ă©cosystème, mais resterait difficilement prĂ©visible, voire apparemment chaotique : ce serait une catastrophe au sens de la thĂ©orie des catastrophes.

Historique des pullulations

Sainte Gertrude de Nivelles (Belgique) [631-659], censée protéger des rats et autres rongeurs, était invoquée jusqu'à une date récente

Il y a toujours eu des pullulations. Ces pullulations actuelles semblent exceptionnelles, mais de nombreux témoignages en citent des exemples dans un passé plus ou moins lointain : en 1900 en Champagne (France) un tiers des récoltes sont détruites[5]. Les destructions opérées en 1922 et 1924 en Normandie (France) sur les céréales sont bien documentées et ont provoqué la mise au point de méthodes de lutte chimique et virale[6]. Un film (muet, 24 minutes) de 1927 nous montre ainsi les méthodes classiques de lutte utilisées à l'époque : pièges, gaz (anhydride sulfureux), appâts empoisonnés (strychnine, arsenic, pain baryté) ; le film détaille ensuite comment on fabrique, on distribue et on administre une solution virale (contenant le virus de Danysz), qui communique aux campagnols une maladie mortelle[7].

Des archives situent pour la France les premières pullulations documentées de campagnols au XVe siècle et les premiers dégâts prouvés au XVIIIe siècle. On parlait alors « invasions de rats des champs ».

Plus avant dans le temps (entre le VIe et le XVe siècle), les descriptions sont incertaines. Néanmoins, les campagnols sont cités comme victimes de la peste animale qui a précédé parfois la peste humaine : «... la fuite des mulots, campagnols, musaraignes, taupes, loirs, lérots... , hors des tanières touchées, les quelques cadavres de renards, mustélidés et lagomorphes découverts en surface...»[8]. La peste est principalement véhiculée par le rat noir, qui la transmet à l’homme par l’intermédiaire de puces infectées (puce du rat : Xenopsylla cheopis). Mais l'analyse d'épidémies épisodiques de peste dans les années 1947-1955 en Syrie, en Turquie et dans le Kurdistan, a montré que les puces d'autres micro-mammifères peuvent transmettre le bacille de la peste à l'homme ; par exemple : Xenopsylla buxtoni. Parmi ces porteurs on a pu fortement suspecter des campagnols du genre Microtus [9].

l'Ă©limination des renards est une cause principale

le renard est éliminé par tous les moyens

Chaque renard se nourrit de 3 000 Ă  10 000 petits rongeurs par an. Or le renard est classĂ© comme animal nuisible et des battues sont organisĂ©es pour son Ă©limination. Cette lutte contre le renard est considĂ©rĂ©e par certains comme une cause des pullulations de campagnols[10]. Ainsi, intervenant en 2015 dans le dĂ©bat public sur la bromadialone, le Conseil Scientifique RĂ©gional du Patrimoine Naturel de la rĂ©gion Lorraine estime que le renard devrait ĂŞtre dĂ©clarĂ© auxiliaire de cultures et non nuisible, et protĂ©gĂ© au lieu d'ĂŞtre chassĂ© de nuit [11].

les modifications du paysage sont une cause principale

l'agriculture industrielle détruit les paysages

Avec une argumentation reprise par de nombreux groupes de réflexion ou d'action publique, la Ligue pour la protection des oiseaux considère que les proliférations de campagnols terrestres ont pour origines principales [12] :

  • un dĂ©sĂ©quilibre dans la gestion des prairies, qui induit la prolifĂ©ration de pissenlits et de rumex et fournit une nourriture hivernale abondante aux campagnols,
  • une rarĂ©faction des haies et arbres isolĂ©s, qui rĂ©duit l'habitat des prĂ©dateurs naturels.

Un autre axe de réflexion vient de certains agriculteurs eux-mêmes :

  • dans les milieux de l'agriculture biologique, on accuse l'agriculture et l'Ă©levage industriels de favoriser les pullulations de campagnols, en crĂ©ant de vastes zones de cultures ou de prairies sans haie, ce qui repousse les prĂ©dateurs[13].
  • dans le mouvement de l'agriculture de conservation, ces pullulations pourraient remettre en question les conditions d'utilisation des techniques culturales simplifiĂ©es (mises au point pour amĂ©liorer le fonctionnement des sols, dans un souci d'Ă©quilibre Ă©cologique) : l'absence de labours favorise les campagnols des champs et accĂ©lère leurs pullulation[14].

l'intensification et/ou la spécialisation agricole sont les responsables

l'irrigation et la monoculture céréalière profite aux campagnols

L'intensification et/ou la spécialisation agricole peuvent favoriser les populations de micro-mammifères :

  • en augmentant la disponibilitĂ© en ressources alimentaires ,
  • en changeant la composition et la structure paysagère, ce qui peut modifier l'abondance et la composition des communautĂ©s de prĂ©dateurs ; ou modifier les barrières naturelles (haies, chemins, routes), qui jouent un rĂ´le important dans la dispersion des jeunes.

Un exemple déterminant est l'installation de Microtus arvalis dans le nord de l'Espagne, sur une zone de cultures extensives, convertie à l'agriculture intensive dans les années 1960. L'irrigation et les nouvelles méthodes de culture ont augmenté fortement la production primaire de matière végétale et donc favorisé l'installation de campagnols, puis l'accroissement de leur nombre et ensuite leurs pullulations cycliques. Les évolutions de flore jouent aussi en faveur des campagnols et les destructions de haies limitent la présence de leurs éventuels prédateurs[3] (p. 29-35) .

Actions possibles

Élimination des rongeurs

des pièges en tous genres...
des appâts empoisonnés...
  • Les techniques anciennes : après les messes et les processions du XVIIIe siècle, tout a Ă©tĂ© tentĂ© pour Ă©liminer les campagnols : fers-Ă -taupes (jusqu'en 1960), pièges prĂ©tendus spĂ©cifiques (jusqu'Ă  nos jours : en vente sur internet), soufre, arsenic, acide borique, lutte virale (virus Danisz, annĂ©es 1920), gaz (gaz d'Ă©chappement de moteurs diesel, phosphure d'hydrogène), explosifs, tirs Ă  la carabine, lutte chimique, appareils Ă  ultra-sons... Les solutions les plus inventives ont Ă©tĂ© testĂ©es : charrue sous-soleuse pour la distribution d'appâts directement dans les galeries, fusil Ă  blĂ© empoisonnĂ©, citernes de propane montĂ©es sur quad pour des campagnes de destruction par explosion, inondation des galeries, fusĂ©es Ă  base de phosphate de calcium et de poudre d'aluminium...
  • Ă€ partir des annĂ©es 1970, ont Ă©tĂ© utilisĂ©s des appâts empoisonnĂ©s mis au point pour lutter contre les rats et souris : du phosphure de zinc jusqu'en 1982, puis des rodenticides anticoagulants : chlorophacinone (première gĂ©nĂ©ration) jusqu'Ă  son interdiction en 1979, bromadiolone (seconde gĂ©nĂ©ration, Ă  partir de 1979 : sur appâts de carottes Ă  partir de 1980, puis sur appâts de blĂ© Ă  partir de 1991).

Mais les rongeurs sont toujours lĂ .

  • Non seulement les rongeurs sont toujours lĂ , mais certaines des actions menĂ©es ont propagĂ© des produits chimiques dangereux dans l'environnement et ainsi atteint les prĂ©dateurs de ces rongeurs. Les effets sur les populations de renards roux ont Ă©tĂ© analysĂ©s. Alors que les populations de renards sont en augmentation au niveau europĂ©en dans les annĂ©es 2000 (Ă  la suite des progrès de la vaccination anti-rabique), elles rĂ©gressent dans les zones fortement traitĂ©es Ă  la bromadialone. Selon l'avis de certains biologistes et Ă©cologues, il est toutefois difficile d'en tirer des conclusions dĂ©finitives, tant est grande la liste des facteurs qui influent sur le nombre de renards.
  • De fait, l'usage de la bromadialone a Ă©tĂ© fortement encadrĂ© Ă  partir de 2003[15] (arrĂŞtĂ© relatif Ă  la lutte contre le ragondin et le rat musquĂ© en particulier aux conditions de dĂ©livrance et d'emploi d'appâts empoisonnĂ©s), puis de 2005[16] (arrĂŞtĂ© relatif Ă  la lutte contre le campagnol terrestre, en particulier aux conditions d'emploi de la bromadiolone).
  • Ă€ partir de 2005, et jusqu'en 2013, l'utilisation de la bromadiolone contre les campagnols a Ă©tĂ© totalement prohibĂ© (sauf cas très particuliers).

Diminution de la production agricole

contraintes plus fortes, rendements plus faibles ?
  • Utiliser des techniques non chimiques de lutte contre les campagnols, c'est provoquer le plus souvent une diminution de la production agricole et/ou faire reculer l'agriculture et l'Ă©levage dans les zones touchĂ©es. Cela pose un problème de sociĂ©tĂ© complexe et pas seulement un problème Ă©conomique. La plupart des rĂ©flexions allant dans ce sens (diminution de la production agricole) reprennent les arguments qui reprochent Ă  l'intensification et Ă  la spĂ©cialisation des rĂ©gions et des exploitations agricoles d'ĂŞtre Ă  l'origine des pullulations de micro-mammifères[17].
  • La rĂ©orientation de l'agriculture devrait se faire, selon ce point de vue, dans le sens de l'agriculture biologique et dans des structures Ă©conomiques qui resteraient familiales. Cela favoriserait la reconstitution de paysages agricoles plus fermĂ©s et des pratiques plus soucieuses de l'environnement[18] - [19]. Les agriculteurs, concernĂ©s directement, sont très sensibles Ă  ce souhait de la sociĂ©tĂ© de modifier leur rĂ´le mais ces pratiques sont difficiles Ă  mettre en Ĺ“uvre[20].
  • Certains argumentent sur le plan philosophique voire Ă©thique, en faveur d'un devoir de respect absolu des espèces menacĂ©es par les techniques agricoles actuelles[21].

Mise en place d'une lutte intégrée

On connaît depuis longtemps le principe de la lutte intégrée dans le domaine des maladies des plantes : combiner lutte biologique et lutte chimique en prenant plus en compte le facteur environnemental - voir Les luttes contre les maladies (article 'Pathologie végétale') pour plus de détails.

utiliser des produits chimiques comme la bromadiolone dans certaines conditions
utiliser les prédateurs, par exemple en installant des perchoirs pour les rapaces
mais surtout des connaissances à acquérir

Ă€ partir de 2013, les pouvoirs publics ont repris ces principes pour la lutte contre les campagnols : il s'agit d'utiliser toutes les techniques possibles, y compris chimiques, mais en les adaptant aux facteurs naturels et Ă  l'environnement[22] - [Note 2] .
Cette position a dĂ©bouchĂ© sur un plan d'action national, pour l'utilisation des rodenticides anticoagulants de seconde gĂ©nĂ©ration (RASG). Une consultation du public a Ă©tĂ© lancĂ©e Ă  l'automne 2013. Sur 5 000 messages reçus par le Ministère de l'Agriculture, seuls 17 Ă©taient favorables Ă  restaurer l'autorisation d'utiliser la bromadiolone dans le cas des campagnols. MalgrĂ© cela, l'arrĂŞtĂ© du 14 mai 2014 restaure cette autorisation[23].

  • Cet arrĂŞtĂ© officialise une nouvelle orientation des luttes contre le campagnol : utiliser certaines des techniques mises au point au cours des dernières dĂ©cennies du XXe siècle, en les orientant vers une prise en compte de l'ensemble de l'environnement et en les encadrant par une formation des acteurs (agriculteurs, techniciens, firmes de l'amont, organismes de conseil, etc.).
  • Il prĂ©voit des plans d'actions rĂ©gionaux Ă©laborĂ©s et mis en Ĺ“uvre par des organismes Ă  vocation sanitaire (OVS) dans le domaine vĂ©gĂ©tal ou animal, mis en place Ă  cette occasion. Ces plans d'actions doivent comporter Ă  la fois des mesures de surveillance, de prĂ©vention et de lutte. Les mesures de prĂ©vention sont, en particulier, des pratiques agricoles adaptĂ©es, comme le travail rĂ©gulier du sol, mais aussi la gestion du paysage et les dispositifs favorisant la prĂ©sence des prĂ©dateurs (par exemple : poteaux pour les rapaces). Le texte prĂ©voit « des conditions de distribution, de traçabilitĂ© et d'emploi très strictes » des produits contenant de la bromadiolone.

Dans chaque région, un organisme est chargé de coordonner les luttes contre les campagnols et les informations correspondantes.

  • Exemple de conseils mis en place en Lorraine[24] - [25], rĂ©gion de cultures et d'Ă©levages variĂ©s, avec des zones de montagne : en fonction du comptage du nombre de tumuli de campagnols observĂ©s (selon une mĂ©thode très prĂ©cise) dans les parcelles infestĂ©es, l'agriculteur fait une demande de traitement sur ses parcelles. Si l'infestation est « trop faible » ou « trop Ă©levĂ©e » , ou si la commune concernĂ©e est situĂ©e sur une zone de protection de Milans, Pie Grièche Grise ou Pygargue Ă  Queue Blanche, cette demande sera rejetĂ©e. Il faut (entre autres conditions) que l'agriculteur ait suivi une formation adaptĂ©e.
    Dans le cas oĂą le traitement est possible, l'agriculteur reçoit une autorisation, qui lui permet de prendre possession des appâts Ă  la bromadiolone ; il a 7 jours pour effectuer le traitement.
  • Autre exemple, en zone de cultures cĂ©rĂ©alières de la Champagne-Ardenne[26]: les conseils ne sont pas les mĂŞmes.

Conclusion

Une énergie importante est mobilisée pour résoudre les problèmes que posent à la fois les campagnols et la lutte contre les campagnols :

  • Les dĂ©gâts causĂ©s par les campagnols concernent diffĂ©rents types de production agricole, et diffĂ©rents milieux naturels et techniques ; mais ils sont toujours supportĂ©s par des agriculteurs et des Ă©leveurs, individuellement. L'impact Ă©conomique de ces dĂ©gâts est important et aucune mutualisation des pertes n'existe actuellement.
  • La lutte contre les campagnols, elle aussi, reste individuelle ; elle entraĂ®ne toutefois des pertes collectives pour l'ensemble de la sociĂ©tĂ©, en particulier des pertes environnementales. De plus, compte tenu de la complexitĂ© des systèmes Ă©cologiques, la lutte par la simple Ă©limination des rongeurs n'est pas efficace pour les agriculteurs eux-mĂŞmes. L'intervention des pouvoirs publics (depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000) dans la lutte contre les campagnols permet de limiter ces pertes collectives et d'amĂ©liorer l'efficacitĂ© de cette lutte.
  • Mais il n'est pas sĂ»r que les mĂ©thodes employĂ©es soient praticables Ă  long terme et des problèmes de sociĂ©tĂ© dĂ©licats restent posĂ©s.

Notes

  1. L'espèce Arvicola amphibius est un regroupement datant de 2005, qui ne fait pas l'unanimité parmi les biologistes ; les avancées de l'analyse génétique imposeront peut-être de revenir à une distinction entre des formes fouisseuses et des formes aquatiques d'espèces différentes, du moins pour l'Europe de l'Ouest. Voir les articles Arvicola amphibius et 'sympatrie' pour d'autres précisions terminologiques.
  2. Dans le domaine de la lutte contre les ravageurs, la lutte raisonnée consiste à utiliser les produits chimiques, mais à condition que des risques économiques sérieux soient en jeu, et en préférant utiliser des produits spécifiques.
    La lutte intégrée utilise toutes les techniques possibles, mais en les adaptant aux facteurs naturels et à l'environnement : elle utilise donc aussi bien la lutte chimique que la lutte biologique, ou toute autre technique de labour, de semis, d'affouragement, etc. pour maintenir la population de ravageurs en deçà de niveaux jugés tolérables

Références

  1. Priscilla Note, Christophe Poix, « Simulations spatialisées des pullulations de campagnols terrestres : Étude de l'influence des structures paysagères », sur cybergeo.revues.org, (consulté le )
  2. Pierre Delattre, Patrick Giraudoux, coord.., Le campagnol terrestre : prévention et contrôle des populations, QUAE, , 307 p. (ISBN 978-2-7592-0387-1, lire en ligne)
  3. Guillaume Halliez, Pratiques, Prédateurs, Proies, Pullulation de Campagnols prairiaux et Biodiversité, , 201 p. (lire en ligne)
  4. collectif (CNRS, univ.Franche-Comté,..), Small mammal population outbreaks and their consequences, , 8 p. (lire en ligne [PDF]), p8
  5. Académie nationale de Reims (Dr J.-A. CORDIER), Travaux de l'Académie nationale de Reims, P. Giret (Reims), 1900-1901, 392 p. (lire en ligne), p.235-240
  6. Robert RĂ©gnier, La lutte contre les campagnols par le virus Danysz, Revue de zoologie agricole, , p. 23:1-15
  7. « film : La destruction des campagnols (1927) » [MP4], sur http://www.ina.fr/ (consulté le )
  8. Frédérique Audoin-Rouzeau, Les chemins de la peste, chapitre XV, Presses Universitaires de Rennes, , 372 p. (lire en ligne), p. 35
  9. Frédérique Audoin-Rouzeau, Les chemins de la peste, chapitre X, Presses Universitaires de Rennes, (lire en ligne), p. 22
  10. « fiche Renard », sur http://france-sans-chasse.org/, (consulté le )
  11. « 2015-134_Avis Bromadiolone », sur www.lorraine.developpement-durable.gouv.fr, (consulté le )
  12. « motion bromadiolone » [PDF], sur https://www.lpo.fr/, (consulté le )
  13. « Comment concilier les cultures et les campagnols ? » [PDF], sur http://www.reperes-paysans.org/, (consulté le )
  14. « CAMPAGNOLS : LA PRÉDATION EST VOTRE MEILLEURE ARME, EFFICACE ET DURABLE - A2C le site de l'agriculture de conservation », sur agriculture-de-conservation.com (consulté le )
  15. « Arrêté du 8 juillet 2003 », sur https://www.legifrance.gouv.fr/, (consulté le )
  16. « Arrêté du 4 janvier 2005 relatif à la lutte contre le campagnol terrestre, en particulier aux conditions d'emploi de la bromadiolone », sur https://www.legifrance.gouv.fr/, (consulté le )
  17. « Bromadiolone : un anticoagulant à proscrire », sur humanite-biodiversite.fr (consulté le )
  18. lefigaro.fr, « Ile-de-France: un quart des espèces menacées », sur Le Figaro (consulté le )
  19. Audrey Garric et Pierre Le Hir, « En France, une biodiversité sous haute pression », Le Monde.fr,‎ (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
  20. « Existe-t-il de « bonnes pratiques » pour réduire l’usage de rodonticides dans les prairies pour lutter contre les campagnols terrestres ? » [PDF], sur http://www.inra.fr, (consulté le )
  21. « WWF : nos missions », sur www.wwf.fr (consulté le )
  22. « Lutte intégrée contre les ravageurs », sur http://ruralradio.cta.int/fr/index.html,
  23. « Arrêté du 14 mai 2014 relatif au contrôle des populations de campagnols nuisibles aux cultures ainsi qu'aux conditions d'emploi des produits phytopharmaceutiques contenant de la bromadiolone », sur https://www.legifrance.gouv.fr/, (consulté le )
  24. « FREDON Lorraine - Campagnols », sur www.fredon-lorraine.com, (consulté le )
  25. FREDON Lorraine, « Fiche campagnol terrestre et des champs », FREDON Lorraine,‎ 2008 et 2014 (lire en ligne [PDF])
  26. « L'an 1 de la lutte collective contre les campagnols des champs », sur Réussir Grandes Cultures, (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • Pierre Delattre, Patrick Giraudoux, Le campagnol terrestre. PrĂ©vention et contrĂ´le des populations, Quæ, , 263 p. (lire en ligne)

Articles connexes

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