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Presse française durant la guerre franco-allemande de 1870

La presse française durant la guerre franco-allemande de 1870 a connu une très forte activité. La fin du second Empire ayant déjà laissé entrevoir un changement dans le domaine de l’information, notamment avec le recours à des moyens de communications de masse tels que la presse écrite, le conflit opposant la France et la Prusse, du au est non seulement suivi par la presse française mais aussi, par voie de conséquence, par l’ensemble de la population française.

Photographie de Belfort après son siège pendant la guerre par Adolphe Braun (« Vue gĂ©nĂ©rale de Belfort Â» issue de l’œuvre Le théâtre de guerre, 1870-1871).

Cette période marque ainsi un tournant dans le traitement et la diffusion de l’information en temps de guerre.

Description de la presse de l’époque

Au début de l’année , la presse écrite française, et plus précisément politique, est marquée par la couleur très affirmée de ces journaux.

Les journaux politiques d’opposition

Portrait de Victor Hugo, célèbre opposant à Napoléon III qui a quitté la France de 1851 à 1870. Il fonde en 1869 Le Rappel.

MalgrĂ© la lĂ©gislation très rĂ©pressive mise en place dès par le gouvernement de NapolĂ©on III avec par exemple l’installation d’avertissements, la presse d’opposition arrive Ă  trouver sa place en France. Cela dit, elle est assez faible et sa marge de manĹ“uvre est limitĂ©e et parfois mĂŞme obligĂ©e de pratiquer l’autocensure. Le poids des lĂ©gislations et la sĂ©vĂ©ritĂ© du second Empire entraĂ®nent ainsi une forte affirmation des « parti pris Â» dans la presse. Cependant, la presse se libĂ©ralise et la loi du 11 mai 1868 assure un retour en arrière et une rĂ©pression moins fĂ©roce des journaux politiques.

On remarque ainsi assez facilement les journaux d’opposition et surtout rĂ©publicains, qui n’ont fini de se dĂ©velopper qu’à partir de cette date. En 1868, ils reprĂ©sentent 128 000 lecteurs contre 42 000 pour les journaux ministĂ©riels (c’est-Ă -dire bonapartistes). Les journaux d’opposition sont de toutes sortes mais encore peu nombreux[1].

Ils sont :

Ils s’accompagnent également de L’Opinion nationale et de La Presse[2].

Ils sont rejoints Ă  partir de 1868 par Le RĂ©veil, journal radical jacobin fondĂ© par Delescluze, L’Avenir national, papier rĂ©publicain anticlĂ©rical dirigĂ© par Alphonse Peyrat, La Cloche (avec Louis Ulbach en rĂ©dacteur en chef), Le Rappel fondĂ© par Victor Hugo en 1869 et La Marseillaise. Ces journaux, apparus un ou deux ans avant la guerre, sont des quotidiens très critiques envers le rĂ©gime. Le cafĂ© de Madrid est un point de rassemblement des journalistes d’opposition. Les journaux rĂ©publicains sont d’ailleurs prĂ©sents dans toute la France Ă  la veille de la guerre : toutes les grandes villes avaient le leur. Ils se multiplieront de manière incontrĂ´lĂ©e pendant la guerre rĂ©publicaine, engagĂ©e Ă  partir du [3].

La Marseillaise : journal reprĂ©sentatif de la presse d’opposition

FondĂ© le , La Marseillaise succède Ă  La Lanterne et se prĂ©sente comme un quotidien aux revendications socialistes. Il est menĂ© par Rochefort, ancien rĂ©dacteur en chef de La Lanterne, et « essaiera de remplacer ceux qui sont occupĂ©s Ă  rendre l’âme Â» pour des motifs Ă©conomiques ou judiciaires[4].

La ligne éditoriale principale sera la critique de la personne de Napoléon III, du personnel impérial et de la politique du second Empire, ce qui n’était pas sans contrarier le régime ; il était très souvent interdit de vente. Il regroupa des jeunes journalistes ardents et engagés, qui traqués par le gouvernement, s’exposèrent sans crainte à la prison et aux amendes.

Avec Le Rappel et La Cloche, il eut un succès immĂ©diat : comme la quasi-totalitĂ© de la presse politique fondĂ©e Ă  l'Ă©poque, ces journaux Ă©taient très âpres envers le rĂ©gime, avec des tendances rĂ©publicaines et dĂ©mocratiques qui plaisaient au peuple. De plus, « ils s’adressaient plus Ă  un public passionnĂ© qu’instruit, plus ardent Â» (Taxile Delord)[5].

Les journaux politiques favorables au régime

Les journaux bonapartistes se sont dĂ©veloppĂ©s durant le rĂ©gime impĂ©rial et atteignent leur point d’orgue en 1861 avec 66 000 lecteurs. Cela dit, les journaux d'opposition Ă©taient lus par le double de Français Ă  cette pĂ©riode et mĂŞme le triple en 1868 (128 000 contre 42 000)[6].

Très engagés également, ils étaient emmenés par Le Moniteur universel : journal officiel du gouvernement, il sera remplacé le par Le Journal officiel de l’Empire français. Servant comme journal de propagande et de transcription des débats parlementaires, il servit au gouvernement de Napoléon III jusqu'à la fin du second Empire pour faire passer messages et revendications aux partisans. Aussi, des journaux comme Le Constitutionnel, Le Pays ou La Patrie joueront un rôle dans la propagande sur la guerre.

Sur 67 journaux politiques en France, 38 se trouvent Ă  Paris Ă  la veille du conflit contre la Prusse. La lĂ©gislation rĂ©pressive contre les journaux politiques entraĂ®ne un fort dĂ©veloppement des journaux non politiques : ils sont 470 Ă  Paris en 1857, soit vingt fois plus nombreux, et traitent de tout avec plus ou moins de succès[7]. Ces journaux traitent principalement de la vie mondaine et culturelle et sont appelĂ©s la « petite presse Â» Ă  l’exemple du Figaro crĂ©Ă© en 1854 par Hippolyte de Villemessant.

Un nouveau type de presse : Le Petit Journal

Les spĂ©cialistes dĂ©signent l’évĂ©nement le plus marquant de la presse du second Empire par la crĂ©ation du Petit Journal. En effet, titrant dĂ©jĂ  Ă  83 000 exemplaires l’annĂ©e de sa crĂ©ation en 1863, il atteignit fin 1869 (durant l’affaire Jean-Baptiste Troppmann) environ 500 000 lecteurs.

Il reprĂ©sentera deux tiers des ventes pendant la guerre avec l’aide des journaux crĂ©Ă©s depuis et reprenant sa formule tels que Le Petit Parisien (1876) ou Le Rappel[8]. « Les dernières annĂ©es du second Empire sont l’époque oĂą la lecture du quotidien change d'Ă©chelle Â» dira Marc Martin.

Émile Gaboriau, auteur de L’Affaire Lerouge qui paraît dans Le Pays en 1863.

Ce journal cible les milieux populaires, qu’ils soient ruraux ou urbains et coĂ»te seulement 5 centimes de francs (1 sou). Pour arriver Ă  ce prix aussi bas, il est rĂ©duit de moitiĂ© au niveau du format : ce qui explique son nom de « petit Â» journal. Il est un des journaux prĂ©curseur de nouvelles formes d’achat : non soumis Ă  l’obligation de vendre par abonnement individuel, il s’achète au numĂ©ro. Les journaux sont vendus dans la rue, par l’intermĂ©diaire de vendeurs de rues et de porteurs (apparition des fameux crieurs de journaux). Ayant des ressources importantes apportĂ©es grâce Ă  la publicitĂ©, le journal peut se vendre en province avec l’association des compagnies de chemins de fer.

Il a Ă©galement un contenu se basant sur trois facteurs tout nouveaux pour l’époque : la chronique, le fait divers et le roman feuilleton ; l’actualitĂ© n’est que très peu abordĂ©e. La chronique se trouve en première page et parle parle d’un sujet touchant aux Ă©vĂ©nements, Ă  l’actualitĂ© ; ces sujets Ă©taient rĂ©digĂ©s de main de maĂ®tre par TimothĂ©e Trimm, de son vrai nom LĂ©o Lespes. Le fait divers, peu traitĂ© par les autres journaux est largement dĂ©veloppĂ©. Enfin, le roman feuilleton avec comme chefs de file Paul FĂ©val et Émile Gaboriau (inventeur du roman judiciaire) est très aĂ©rĂ© et très facile Ă  lire[9].

Forces d’expansion, limites et censures

Avec l’évolution et la croissance de la librairie industrielle et l’usage de l’imprimé, la presse écrite commence à jouer un grand rôle dans la vie quotidienne des Français.

Vers une presse de masse

La presse a subi de nombreux bouleversements qui lui ont permis de se développer considérablement. Sous le second Empire on assiste à une libéralisation de la presse à partir des années 1860 : tout d’abord envers des quotidiens comme Le Petit Journal pour donner toute sa place à la parole publique ; et ensuite avec la loi du 11 mai 1868 qui allège la législation précédemment mise en place et verra une augmentation des journaux politiques : le journal ne doit plus être accepté forcément par le gouvernement mais simplement déclaré, les avertissements sont abolis et le timbre est légèrement réduit (de 6 centimes à 5 centimes).

Le changement a pourtant été amorcé dès la monarchie de Juillet. En effet on assiste à la création de la « nouvelle presse » moins chère et plus moderne avec la création en 1836 de journaux encore présents en 1870 : La Presse et Le Siècle (aujourd’hui républicains). Les rédactions s’étoffent également et voient la multiplication des rédacteurs en chef. La fin du colportage avec la loi du et la création d’une commission chargée de surveiller cette pratique participe aussi à ce bouleversement[10].

La presse de masse se caractérise aussi par le développement de la librairie industrielle et les révolutions de l’imprimé : l’accélération du processus d’alphabétisation conjugué à une production plus importante correspondent à la multiplication des tirages et la baisse des prix permet de considérer le journal comme le symbole d’une consommation de masse[11].

Les réseaux de diffusion s’améliorent (apparition du chemin de fer) et les journaux sont dès lors publiés dans toute la société française. L’apparition de la publicité apporte des ressources encore plus importantes aux journaux : elle prendra une place majeure dans la seconde moitié du XIXe siècle. « Désormais, et pour longtemps, le commerce des nouvelles et courtage de l’espace publicitaire dans la presse sont en France étroitement liés » (Marc Martin)[7].

La loi en vigueur sur les journaux politiques entraîne le développement de journaux non politiques ; apparition d’une presse très diversifiée et spécialisée : illustrés, satiriques, arts, théâtre… Ils touchent donc tous les publics et créent une véritable information pour tous, qui ne se limite plus forcément à une lecture par abonnement mais plutôt par numéro. Plus généralement dans le monde du livre, de grands éditeurs entrainent une véritable mutation : Hachette, Lévy, Larousse ou encore Hetzel créent des collections qui s’étendront au fil du temps, associée à une multiplication des librairies et des bibliothèques[7]. Durant la guerre franco-allemande de 1870, cette révolution de la presse entamée précédemment et perpétuée permettra un relai du conflit jamais vu auparavant et va toucher l’ensemble des Français.

Censure et limites encore présentes : particulièrement pour les journaux politiques d’opposition

Portrait officiel du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte (futur Napoléon III) à l’issue de l’élection présidentielle de 1848.

Pourtant, cette mutation de la presse écrite en France va être freinée par une législation très répressive de ces journaux durant le second Empire. Cela sera toujours le cas pendant la guerre.

Alors qu’il n’est pas encore empereur, Louis-NapolĂ©on Bonaparte va instaurer après son coup d’État une rĂ©pression très stricte envers les journaux politiques et, Ă©videmment, surtout contre les journaux monarchistes, orlĂ©anistes et rĂ©publicains opposĂ©s au rĂ©gime. Ils Ă©taient soumis par le gouvernement Ă  une autorisation de parution et un cautionnement, Ă  une vente exclusivement par abonnement, Ă  un droit de timbre, une lourde charge foncière (majorant de 30 % les abonnements) et un brevet obligatoire pour les imprimeurs. Ainsi en 1861, les 14 journaux politiques parisiens ne sont tirĂ©s qu’à 207 151 exemplaires, soit moins qu’en 1851. Le gouvernement n’hĂ©site pas Ă  supprimer les journaux ayant reçu des avertissements ou ayant trop critiquĂ© le rĂ©gime : c’est le cas de L’Univers en 1860[12].

Émile Ollivier, chef du Cabinet en 1870.

Cette législation très dure ne se prête donc pas à une multiplication des journaux politiques pendant le second Empire. Cependant, la loi du 11 mai 1868 va permettre une ouverture aux journaux républicains (voir par ailleurs). Mais cela n’empêchera pas une forte censure de la presse à l’approche et durant la guerre impériale (jusqu’au 4 septembre) ; à la veille de cette guerre, on observe un redoublement de la sévérité dans la répression. Les mois de février, mars, avril et mai abondent de procès concernant un manquement de loi de la presse. La censure n’est pas que parisienne et le régime se défendra des attaques en supprimant des journaux, parfois non politiques (par exemple, Les Écoles de France, un journal littéraire).

Le chef du Cabinet Émile Ollivier fera voter une loi pendant la guerre franco-allemande de 1870 pour pouvoir faire taire la presse sur tout ce qui s’y rapportait. Seul le régime peut informer des nouvelles militaires[13]. Les journalistes sont ainsi tenus à l’écart et la presse n’a le droit de ne fournir aucune information sur les mouvements de troupes et l’évolution du conflit, ni de critiquer les actions de l’armée. De fausses informations circulent, alimentés par le gouvernement le plus souvent. La presse est donc complètement soumise à l’autorité militaire et au régime. Ce sera moins beaucoup moins le cas par la suite pendant la guerre républicaine.

Le relais des événements majeurs, hostiles ou non au régime : l’affaire Victor Noir

Portrait du journaliste Victor Noir assassiné par le prince Napoléon le .

Les journaux politiques présents en France à la veille du conflit jouissent donc d’une marge de manœuvre et d’une liberté assez minimes, ce qui ne les empêchent pas de faire circuler les informations défavorables au régime et de donner leur avis. Le plébiscite du 8 mai 1870 ou la question de l’entrée en guerre contre la Prusse sont par exemple des sujets qui seront longuement explicités. Ces événements seront marqués par des divergences d’opinions entre les journaux.

Une des principales affaires qui révéla l’importance de la presse sur le pouvoir et la société est sans aucun doute l’affaire Victor Noir. La Marseillaise, avec comme têtes d’affiche Henri Rochefort et Paschal Grousset (collaborateur) sera au centre du conflit. Pierre-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Bonaparte est à l’écart du gouvernement et souhaite y rentrer par un coup d’éclat. Il envoie un cartel au rédacteur en chef Rochefort pour se plaindre après que le journal ait « outragé l’un et l’autre chacun des miens et n’avoir épargné ni les femmes ni les enfants » et le somme de venir chez lui. Rochefort envoie alors deux de ses journalistes, Ulrich de Fonvielle et Victor Noir. C’est ainsi que le , outré par le fait que les collaborateurs soient solidaires de Grousset et Rochefort, Pierre Bonaparte tue chez lui Victor Noir. Le fait qu’une figure de l’Empire ait tué un jeune journaliste du principal journal d’opposition confère à cet événement une gravité exceptionnelle[14]. La colère de l’opinion est très forte et ses obsèques rassemblent une foule nombreuse et fait vaciller le pouvoir, qui réplique en condamnant Rochefort à 6 mois de prison.

De plus, la presse écrite sera l’unique relai de la guerre. Pour la première fois en France, les principaux journaux dépêchent au plus près des combats des correspondants : créés par le Times quelques années auparavant, ceux-ci ont pour but de faire vivre au plus près les événements aux lecteurs. D’une avancée considérable, cette création donnera pour la première fois du relief au conflit[15].

Durant la guerre : une presse mobilisĂ©e

Cette guerre se déroulant en France, la presse tout entière est enrôlée. Elle permet ainsi de retracer quasiment au jour le jour les faits majeurs du conflit.

Une réticence devant la guerre de certains journaux : la presse divisée

Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, cousin du roi de Prusse et potentiel prince-candidat à l’élection à la couronne espagnole.

Quelques semaines avant la guerre, le climat pousse plutĂ´t Ă  une rĂ©volution et un soulèvement du peuple qu’à un conflit. Émile Ollivier le rĂ©sume parfaitement dans le Corps lĂ©gislatif en dĂ©clarant deux semaines avant la dĂ©claration de guerre, le  : « De quelque cĂ´tĂ© qu’on regarde, on ne voit aucune question irritante engagĂ©e et, Ă  aucune Ă©poque, le maintien de la paix en Europe n’a plus Ă©tĂ© assurĂ©e Â».

L’élĂ©ment dĂ©clencheur est la volontĂ© de l’Espagne de mettre sur le trĂ´ne un Prussien, LĂ©opold de Hohenzollern-Sigmaringen. Le Journal officiel de l’Empire français sera le premier Ă  reprendre l’information ; il y sera dit que ne voulant en aucun cas ĂŞtre encerclĂ©e, la France s’y opposait fermement.

Alors qu’il allait se retirer par peur que son couronnement fasse un casus belli, Bismarck, ministre-prĂ©sident de Guillaume Ier de Prusse, fit un rĂ©sumĂ© d’une communication de son roi. Le ton de la dĂ©pĂŞche (dite dĂ©pĂŞche d’Ems) — moins courtois que la lettre royale — provoqua la France et enflamma l’opinion publique. Cet embrasement ne sera pourtant pas de la responsabilitĂ© des journaux en gĂ©nĂ©ral, mais du gouvernement favorable Ă  une guerre qui exhorte les Français Ă  se soulever contre la Prusse. Henri Guillemin dira « les journaux n’ont pas eu besoin de souffler sur l’opinion, Ă  Paris. C’avait Ă©tĂ© d’un seul coup, l’embrasement. Â»[16]

Avant le conflit, le point de vue au niveau d’une entrĂ©e en guerre peut varier selon les journaux et leur opinion politique. Des quotidiens rĂ©publicains, orlĂ©anistes et mĂŞme bonapartistes ont plutĂ´t conseillĂ© la modĂ©ration. Certains comme Le Public sont mĂŞme contre : « Nous ne partageons pas l’émotion que cause l’acceptation du trĂ´ne d’Espagne par le fils aĂ®nĂ© du prince de Hohenzollern Â» Ă©crira DrĂ©olle. D’autres comme Le Pays, L’Univers et La LibertĂ© (lĂ©gitimistes et bonapartistes) expriment dans leurs colonnes des propos virulents et sont pour une guerre totale et instantanĂ©e.

Ă€ la dĂ©claration de guerre envoyĂ©e le 17 juillet Ă  la Prusse et rendue public le 19, la population accueille la nouvelle par « une patriotique Ă©motion et un enthousiasme irrĂ©sistible Â» (Le Petit Journal). Les journaux mĂŞme les plus modĂ©rĂ©s, dès la guerre dĂ©clarĂ©e vont l’accepter, Ă  l’image du journal La France : « Nous n’avons pas appelĂ© Ă  la guerre… Nous l'acceptons comme l'accepte le pays lui-mĂŞme, comme une extrĂ©mitĂ© toujours triste et regrettable. Â»

Le Public et Le Siècle (rĂ©publicains) vont se rallier aux quotidiens pour la guerre, tandis que des exceptions comme La Marseillaise et Le RĂ©veil vont continuer de fustiger le conflit et le rĂ©gime. On remarque donc ici une opinion qui varie Ă©normĂ©ment dans la presse française ; mais dans la grande majoritĂ© elle formera une « union sacrĂ©e Â» et acceptera le conflit.

La presse : premier témoin de cette guerre

Illustration de la bataille de Saint-Privat (), une des défaites françaises de la guerre franco-allemande.

Fin juillet, la presse patriotique et favorable Ă  la guerre se montre très confiante dans la victoire française, ce qui traduit la pensĂ©e gĂ©nĂ©rale de la population : en effet, la puissance de feu française est inĂ©galĂ©e et les journaux exaltent l’armĂ©e. Soumis Ă  la seule description, les scènes de dĂ©part Ă  l’est des Français pour les combats sont les sujets favoris et les troupes ennemies sont aussi dĂ©peintes. Dans cette pĂ©riode on remarque la crĂ©ation de quotidiens sur la guerre tels que La Guerre illustrĂ©e.

Le front ayant lieu loin de la capitale, les journaux parisiens envoient pour la première fois des correspondants. Le correspondant local de presse a le droit, malgrĂ© les lĂ©gislations en place, d’utiliser les communications tĂ©lĂ©graphiques pour faire parvenir ses papiers Ă  la rĂ©daction restĂ©e sur Paris. Cependant, Alfred d’Aunay pour Le Figaro y dĂ©crira que « les mesures prises contre la presse causent ici une vĂ©ritable stupeur Â» ; car les mesures très strictes sur le droit d’information militaire n’aidaient pas les journalistes sur place Ă  donner des informations prĂ©cises. Les journaux rĂ©publicains s’interrogent d’ailleurs Ă  haute voix Ă  propos des relations difficiles entre soldats et citoyens.

Mais rapidement la confiance affichĂ©e par les journaux et les renseignements donnĂ©s par le gouvernement qui incitaient Ă  l’optimiste laissent place Ă  une tout autre rĂ©alitĂ© : celle des combats. Les correspondants de guerre sur place ne peuvent qu’observer la situation après la première grosse dĂ©faite française lors de la bataille de Forbach du . Alfred d’Aunay dĂ©clarera le lendemain : « Je viens d’assister Ă  un terrible spectacle. Â» Les Allemands entrent en France par la Lorraine, l’armĂ©e bat en retraite, mais quelques journaux restent encore optimistes, dont La LibertĂ© et L’Univers.

Napoléon III en conversation avec Bismarck après la prise de Sedan (, à Donchery.

Mais c’est dĂ©jĂ  trop tard : les informations concernant les dĂ©faites françaises, que les journaux essayent d’attĂ©nuer, instaurent un vent de panique sur Paris vers la mi-aoĂ»t ; on retrouve d’ailleurs la matĂ©rialisation des angoisses dans de nombreux quotidiens. Les journaux bonapartistes et le pouvoir commencent alors Ă  mentir et Ă  divulguer des fausses informations pour tenter de rassurer la population française et faire croire Ă  une fin proche du conflit[17].

En fait, plus que la presse qui ne pouvait faire correctement son travail Ă  cause des censures, le gouvernement lui-mĂŞme n’était pas du tout informĂ© de l’évolution de la guerre. Il n’apprit la dĂ©faite de Sedan et la reddition de NapolĂ©on III de façon officielle seulement deux jours après celles-ci. Maxime Du Camp notera ceci : « Nos journaux n’ont rien cachĂ©, ni de ce qu’ils pouvaient dire, ni ce qu’ils auraient dĂ» taire Â»[18].

Début de la Troisième République : ouverture de la presse dès le 4 septembre

La guerre impérialiste s’achève et va être remplacée par la guerre républicaine. L’Empire tombe en effet le après une journée d’émeute et la République est proclamée. La presse de Paris et de province est à peu près unanime pour approuver la Révolution du car la majeure partie de la population est soulagée que le régime soit tombé. L’Univers du : « Ainsi succombe l’Empire de Napoléon III, six mois après le plébiscite qui lui avait donné sept millions et demi de suffrages. Jamais peut-être il ne s’est rien vu de si honteux » (Louis Veuillot).

Mais elle garde néanmoins une position prudente, traduisant un sentiment d’inquiétude général sur le gouvernement de Défense nationale et la situation en France : l’invasion prussienne, le désordre de Paris et de ses départements n’incite pas à l’optimisme. Alors qu’un temps l’opinion crut à la fin de la guerre (conflit contre l’Empire et non la France), celle-ci continue. Le Courrier de la Guerre résume la situation le 9 : « Aux barricades. Notre armée est détruite. »

Paris est assiégée à partir du 18 septembre, ses communications ferrées et routières sont coupées : la capitale devient le lieu de la résistance. Les principaux quotidiens parisiens usent de tous les stratagèmes pour continuer à exporter leurs journaux en province : ballon, pigeons voyageurs et microphotographie sont utilisés. Ce fut le cas par exemple du Petit Journal, du Siècle et du National pour ne citer qu’eux. Mais beaucoup de départements français sont occupés : la presse française de « l’intérieur » est le plus souvent interdite ou censurée par l’état major prussien. La Prusse avait elle monté un journal officiel relatant les nouvelles, obligations à la population française tout en la démoralisant : ce quotidien était imprimé à Versailles[19].

La presse a une liberté totale durant ce siège (décrets du 10 et ). Se développe alors une multitude de journaux, essentiellement républicains et le plus souvent sous forme de feuilles idéologiques. Money parlera « d’une rage de discuter »[20]. Cependant ils se frottent à la concurrence des autres journaux déjà en place, ce qui limite leur expansion et leur durée de vie (nombre d’entre eux n’ont eu qu’un numéro).

Deux quotidiens marquent cette ouverture :

  • La Patrie en danger d’Auguste Blanqui
    Très vite en opposition avec le gouvernement après l’avoir soutenu, il appellera à une nouvelle révolution. Il s’arrêtera le pour raisons économiques[21].
  • Le Combat de FĂ©lix Pyat
    Le journal qui apportait une réponse à toutes les questions sur la passion et le patriotisme ; décédé le [22]. Un incident majeur se déroule au Combat fin octobre :
FĂ©lix Pyat en 1871.

Les journaux bellicistes continuent d’abuser régulièrement la population en faisant parvenir de fausses informations sur la guerre. C’est le cas de L’Éclaireur télégraphique par exemple. Le Combat du 27 octobre veut rétablir la vérité et publie « le fait vrai, sûr et certain » de la trahison du général François Achille Bazaine et la reddition de Metz. Habitué à une tout autre vérité, la foule attaque et vandalise les bureaux et la rédaction du journal avant que le 31 octobre le gouvernement ne fasse circuler l’information[23]. Ces deux journaux seront accompagnés du Patriote, du Peuple souverain, du Tribun du Peuple ou de La Défense nationale pour ne citer qu’eux[24].

Cet événement marque donc la puissance de la presse écrite et des quotidiens de guerre. Ils offrent pourtant peu d’intérêt sur Paris, la ligne éditoriale étant répétitive et les rédacteurs en chef ne pouvant recueillir beaucoup d’informations. Vers la fin du siège, les journaux rendront compte d’une situation très précaire à Paris ; Le Charivari titrera le 27 janvier : « Queue pour la viande de rat »[25]. Le gouvernement aura jusqu’à l’armistice du 28 janvier tenu son propre journal. Il était mal renseigné et a propagé de fausses nouvelles dont est parsemé l’histoire de la guerre.

Notes et références

  1. Dupuy 1959, p. 17
  2. Yon 2004, p. 208
  3. Dupuy 1959, p. 16
  4. Avenel 1900, p. 575
  5. Avenel 1900, p. 578
  6. Dupuy 1959, p. 12
  7. Yon 2004, p. 210
  8. Kalifa 2001, p. 10
  9. Yon 2004, p. 209-210
  10. Avenel 1900, p. 588
  11. Kalifa 2001, p. 26
  12. Yon 2004, p. 207
  13. Avenel 1900, p. 601
  14. Dupuy 1959, p. 25
  15. Dupuy 1959, p. 52
  16. Dupuy 1959, p. 32
  17. Dupuy 1959, p. 68
  18. Dupuy 1959, p. 70
  19. Avenel 1900, p. 610
  20. Dupuy 1959, p. 170
  21. Maillard 1871, p. 8
  22. Maillard 1871, p. 29
  23. Dupuy 1959, p. 91
  24. Maillard 1871, p. ?
  25. Dupuy 1959, p. 92

Bibliographie

  • Dominique Lejeune, La France des dĂ©buts de la IIIe RĂ©publique : 1870-1896, Paris, A. Colin, coll. « Cursus Histoire », , 191 p. (ISBN 978-2-200-35197-7)
  • Jean-Claude Yon, Le Second Empire : politique, sociĂ©tĂ©, culture, Paris, A. Colin, coll. « U. Histoire contemporaine », , 255 p. (ISBN 2-200-26482-8)
  • Dominique Kalifa, La culture de masse en France, vol. 1. 1860-1930, Paris, Éd. La DĂ©couverte, coll. « Repères », , 122 p. (ISBN 2-7071-3515-1)
  • AimĂ© Dupuy, La guerre, la commune et la presse, ChambĂ©ry, A. Colin, , 256 p. (BNF 32989030)
  • Henri Avenel, Histoire de la presse française depuis 1789 jusqu’à nos jours, Paris, Éd. Flammarion, , 865 p. (BNF 36057539)
  • Firmin Maillard, Histoire des journaux publiĂ©s Ă  Paris pendant le siège et sous la Commune, 4 septembre 1870 au 28 mai 1871, Paris, É. Dentu, , 267 p. (BNF 30861104)
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