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Placenta

Le placenta est un organe unique qui connecte physiquement et biologiquement l'embryon en développement à la paroi utérine. Durant toute la grossesse, le placenta apporte à l'embryon puis au fœtus l'eau, les nutriments et le dioxygène dont il a besoin. Il évacue aussi le dioxyde de carbone et les déchets métaboliques tels que l'urée, excrétés par l'embryon. Il produit et secrète des hormones qui maintiennent la grossesse et « manipulent » la physiologie maternelle au profit du fœtus.

Le placenta et le cordon ombilical. On remarque la forte vascularisation de la membrane.

Dans la classification du vivant traditionnelle, le placenta définit les fameux mammifères placentaires, dont l'être humain fait partie. En réalité, il s'agit d'un organe commun aux thériens, bien que plus rudimentaire chez les métathériens (dont les marsupiaux), ces derniers naissant au stade larvaire et poursuivant la majeure partie de leur développement hors de l'utérus maternel ; tandis que les euthériens se développent principalement à l'intérieur de l'utérus grâce à un placenta plus élaboré. On trouve aussi une sorte de placenta chez quelques espèces de reptiles et lézards vivipares[1].

Le placenta participe à une unité fonctionnelle fœto-maternelle provenant de la fusion partielle d'un tissu maternel de l'endomètre, qu'on appelle alors decidua (decidua basalis), et d'un tissu fœtal issu du trophoblaste (donc de la multiplication cellulaire de l'œuf), dénommé chorion (chorion frondosum).

C'est un organe éphémère qui se développe dès la nidation du blastocyste dans l'utérus, et pendant la durée de la gestation (9 mois chez l'humain). À l'accouchement, il est naturellement expulsé hors de l'utérus : on parle de « délivrance du placenta ». Les femelles de la plupart des espèces de mammifères mangent le placenta après son expulsion (« placentophagie »), ce qui donne à cet organe un deuxième rôle nutritif et hormonal pour la mère[2].

Chez l'humain, en cas de grossesse extra-utérine pathologique, le placenta se développe ailleurs, presque toujours dans la trompe de Fallope.

Étymologie

Placenta signifie « gâteau » en latin, ce mot venant lui-même du grec ancien πλακόεντα, πλακούντα / plakóenta, plakoúnta, accusatif de πλακόεις, πλακούς / plakóeis, plakoús, « plat, en forme de plaque[3] » probablement en référence à sa forme aplatie chez la femme.

Origines biologiques

Selon un grand nombre d'études dont la première publiée en 2009[4], les mammifères doivent la formation du placenta à des gènes viraux (les rétrovirus sont capables d'intégrer leur patrimoine génétique aux chromosomes de la cellule-hôte). Le processus de création du placenta aurait commencé il y a environ 150 millions d’années, lorsque l’ancêtre des mammifères, qui pondait encore des œufs, a été infecté par un virus. Le matériel génétique de cet agent infectieux s’est alors inséré dans le génome de l’hôte. Une des séquences virales ainsi piratées a permis la fabrication de protéines indispensables à la formation du placenta[5] - [6] - [7]. Ce virus, un rétrovirus, possède la capacité de modifier la séquence génétique de l'hôte afin de se reproduire ou d'exprimer une nouvelle protéine. Certaines modifications sont mortelles, telles le VIH, d'autres sont silencieuses. Si la séquence modifiée s'intègre dans les cellules reproductives (ovule ou spermatozoïde) et qu'elle est viable, elle peut passer à la descendance. L'analyse de la séquence d'ADN de mammifères a mis en évidence la présence d'au moins deux séquences d'origine virale. Les séquences modifiées codent des molécules appelées syncytines, utiles aux virus pour infecter la surface des cellules avec lesquelles ils fusionnent. Cette fabrication de syncytine a pu avoir pour conséquence de fusionner un grand nombre de cellules entre-elles, formant la base du placenta[5].

Un second mécanisme viral est probablement intervenu en parallèle afin de permettre au fœtus de ne pas être reconnu comme un corps étranger durant la grossesse[5].

Différentes analyses ont permis de mettre en évidence différentes séquences virales dans les génomes, introduites dans les organismes des mammifères de -150 millions d’années à -50 millions d’années, voir -20 millions d’années chez les rongeurs, permettant de supposer des remplacements échelonnés dans le temps selon les espèces[5].

Constitution

Embryon et placenta.

Le placenta, chez les mammifères, est un tissu fœtal, constitué par des annexes extraembryonnaires, interfacé avec la muqueuse utérine de la mère.

La formation et croissance du placenta accompagnent toute l'embryogenèse. Elle commence par une prolifération cellulaire au niveau du trophoblaste.
Ce trophoblaste se différencie ensuite en un cytotrophoblaste cellulaire (7e jour chez la femme), avec apparition périphérique d'un syncytiotrophoblaste. Ce dernier a des capacités protéolytiques lui permettant d'attaquer l'épithélium maternel (tissu conjonctif mais aussi la paroi endothéliale des vaisseaux sanguins dont une partie du flux sera détournée au profit du fœtus). Cette phase, dite de « nidation» dans l'endomètre dure 12 à 14 jours chez l'humain[8].

Forme et organisation

Différents types

  • voir la lĂ©gende ci-après
    Placenta hémochorial.
  • voir la lĂ©gende ci-après
    Placenta d'une ânesse.
  • Chez la plupart des primates et d'autres groupes comme les rongeurs, le placenta est « hĂ©mochorial » : les villositĂ©s placentaires fĹ“tales pĂ©nètrent jusque dans les vaisseaux sanguins maternels et sont directement en contact avec le sang.
  • Chez la plupart des carnivores, le placenta est « endothĂ©liochorial » : les villositĂ©s placentaires traversent l'Ă©pithĂ©lium de l'endomètre et arrivent jusque dans l'endothĂ©lium sous-jacent mais ne pĂ©nètrent pas dans les vaisseaux sanguins maternels.
  • Chez les ruminants, les chevaux, les baleines et les lĂ©muriens, le placenta est « Ă©pithĂ©liochorial » : les villositĂ©s placentaires viennent simplement au contact de l’épithĂ©lium de l'endomètre.

Chez l'ĂŞtre humain

Le placenta a la forme d'une galette produite par l'embryon, collée à l'endomètre dans l'utérus.
Placenta humain, côté fœtus (juste après délivrance du placenta).
Deux placentas : à gauche, vu du côté utérus, à droite vu du côté fœtus.

Le placenta des humains est organisé en cotylédons, ou unités fonctionnelles du placenta situées sur la face utérine de ce dernier. Ils ne sont donc pas physiologiquement en contact avec la poche des eaux. Ils sont généralement individualisés et forment sur la face externe une galette bien identifiable. Ces cotylédons sont fragiles, et sont souvent lésés au moment de la délivrance du placenta.
On trouve occasionnellement des cotylĂ©dons aberrants, qui peuvent faire craindre Ă  l'accouchement des saignements importants en raison de leur position et de leur forme atypique. La surface des villositĂ©s est de l’ordre de 14 m2[8].

Gémellité

La plupart des jumeaux des primates, dizygotes ou monozygotes, naissent de manière bichoriale, c'est-à-dire avec chacun leur placenta. Mais ces derniers peuvent être séparés ou au contraire fusionnés par l'une de leurs faces latérales (les deux cavités amniotiques restant séparées par une cloison formée par l'accolement de deux structures membranaires).
Tous les jumeaux dizygotes et 30 % des jumeaux monozygotes se développent dans un système biamniotique,
80 % des jumeaux bichoriaux sont dizygotes et 20 % sont monozygotes[9]. Rarement deux jumeaux partagent le même placenta (la grossesse est alors dite monochoriale ; Elle est monochoriale biamniotique si chaque jumeau a sa propre cavité amniotique). La grossesse gémellaire monochoriale monoamniotique est la plus rare (moins de 1 % des cas de grossesse multiple).
Un placenta commun à plusieurs embryons implique qu'ils proviennent tous du même œuf lors de la formation du trophoblaste ; de tels embryons sont donc monozygotes. Dans ce dernier cas, si les jumeaux se sont formés trop tardivement, ils constituent des jumeaux conjoints (dits siamois)[9].
Les placenta de grossesses gémellaires monochoriales présentent toujours des anastomoses entre les voies de circulation sanguine des deux jumeaux, source de complications (dont le syndrome transfuseur-transfusé)[9].

Surface du placenta

Le placenta grandit considérablement au fur et à mesure de la gestation. Au début des années 1960, Snoeck a évalué comme suit sa croissance[10] :

Jour
(de gestation)
surface du placenta[N 1]
(en m2)
1001,5
1202,5
1704,7
1904,9
2207,3
24014
27015
  1. Cette surface est celle d'échange efficace entre l'embryon, puis le fœtus, d'une part, et l'organisme maternel de l'autre. Elle inclut donc les nombreuses villosités du placenta, ce qui donne une surface d'échange considérablement plus grande que la masse relativement modeste du placenta ne pourrait le laisser supposer.

Fonctions

Bien plus qu'un simple organe protecteur, via le cordon ombilical et avec le liquide amniotique, il assure plusieurs fonctions essentielles pour le développement fœtal. Ces fonctions évoluent au fil du temps en réponse à l'évolution du fœtus :

  • fonction nutritive ; c'est via le placenta que l'eau, les sucres, acides aminĂ©s, peptides et minĂ©raux sont apportĂ©s Ă  l'embryon (les protĂ©ines sont par contre trop grosses pour passer la barrière placentaire ; La diffusion de l'eau permise par une diffĂ©rence de pression osmolaire, l'embryon extrait du sang de sa mère jusqu'Ă  3,5 litres par jour (Ă  35 semaines)[11]. Les nutriments sont transfĂ©rĂ©s sous le contrĂ´le d'hormones (dont GH (Growth Hormone) et TSH (Thyroid Stimulating Hormone) qui prĂ©sentent une concentration 2 Ă  3 fois plus Ă©levĂ©e chez le fĹ“tus que chez la mère)[11]. Lipides et triglycĂ©rides franchissent la barrière, sont dĂ©composĂ©s dans le placenta qui synthĂ©tise selon ses besoins et ceux de l'embryon de nouvelles molĂ©cules lipidiques. Le cholestĂ©rol traverse la barrière placentaire ainsi que ses dĂ©rivĂ©s (dont les hormones stĂ©roĂŻdes). Pour les vitamines, seules celles qui sont hydrosolubles traversent facilement la membrane placentaire, Ă  la diffĂ©rence des vitamines A, D, E, K (liposolubles) qui sont peu prĂ©sentes dans le sang fĹ“tal ;
  • fonction respiratoire ; le placenta joue un rĂ´le de « poumon fĹ“tal ». Il est 15 fois moins efficace (Ă  poids tissulaire Ă©quivalent) que le poumon d'un adulte[12], mais ne nĂ©cessite pas la mĂŞme consommation d'Ă©nergie (pas de cycle musculaire inspiration/expiration comparable) et l'embryon n'a pas Ă  brĂ»ler de calories pour maintenir sa tempĂ©rature ; de plus, l'hĂ©moglobine fĹ“tale (Hbf) diffère lĂ©gèrement de l'hĂ©moglobine adulte, par une plus grande affinitĂ© pour l'oxygène[12] (due Ă  la prĂ©sence de 2 sous-unitĂ©s Îł au lieu des 2 sous-unitĂ©s β de l'hĂ©moglobine adulte) ;
  • fonction excrĂ©trice ou de recyclage ; le mĂ©tabolisme embryonnaire produit des dĂ©chets (urĂ©e, acide urique, crĂ©atinine, dioxyde de carbone, acide carbonique…). Ils sont exportĂ©s — via le sang de la mère — et pris en charge par les poumons, foie, reins, globules blancs, etc. de l'organisme maternel ;
  • fonction endocrine (hormonale) ; le placenta produit des hormones, dont la progestĂ©rone qui contrĂ´le en la rĂ©duisant la contractilitĂ© de l'utĂ©rus[13]. Il reçoit les hormones produites par le fĹ“tus ou l'embryon et celle de la mère. Durant la grossesse normale, le placenta humain commence Ă  sĂ©crĂ©ter ses propres hormones de croissance dès la 10e semaine de grossesse et atteint 1 Ă  g/jour en fin de grossesse.
    Parmi les hormones placentaires, on peut signaler :
    • hormones stĂ©roĂŻdes : progestĂ©rone et les Ĺ“strogènes (estriol, estradiol et estrone),
    • l'hCG (human chorionic gonadotrophin pour les anglophones, Gonadotrophine chorionique ou hormone chorionique gonadotrope pour les francophones),
    • l'hormone lactogène placentaire aussi appelĂ©e somatomammotrophine chorionique humaine (HPL) ou PL, sĂ©crĂ©tĂ©e entre la 24e et la 28e semaine d'amĂ©norrhĂ©e,
    • la leptine,
    • l'hormone de croissance (ici dite « hormone de croissance placentaire » ou PGH)[14], qui guide la croissance du placenta au fur et Ă  mesure des besoins de l'embryogenèse, et qui joue aussi un rĂ´le dans la prĂ©paration de la lactation.
      Ces hormones diminuent aussi la sensibilité tissulaire de la mère à l'insuline (jusqu'à 80 %de diminution), ce qui permet à son organisme de faire circuler plus de sucre, ce qui est nécessaire à l'embryon, mais aussi à la préparation de la lactation. Ceci est l'effet d'antagonistes spécifiques de l'insuline (principalement l'hormone placentaire lactogène — HPL ou hormone chorionique somatomammotrophique). La grossesse mime ainsi certains effets du diabète ;
  • fonction immunitaire (Ă  l'interface des systèmes immunitaires mère et enfant) ; le placenta forme en quelque sorte Ă  la fois une barrière immunologique, un filtre biochimique vis-Ă -vis de l'extĂ©rieur. Il laisse passer les anticorps de la mère vers le fĹ“tus[15], ce qui lui permet d'acquĂ©rir des dĂ©fenses immunitaires avant que son propre système immunitaire se dĂ©veloppe[16] ;
  • fonction immunologique : le placenta crĂ©e une sorte de no man's land immunitaire oĂą l'organisme de la mère tolère le corps immunologiquement semi-Ă©tranger qu'est le fĹ“tus ;
    En particulier, via la sécrétion de plusieurs facteurs, le placenta bloque les effets des cellules cytotoxiques maternelles.
    En outre, dans le contexte de la grossesse, plusieurs hormones stéroïdes placentaires (dont la progestérone) sont immunodépresseurs pour les lymphocytes de la mère. Ce rôle immunosuppressif semble médié par la protéine PIBF (Progesterone Induced Blocking factor).
    Par ailleurs, il y a absence de HLA classique, la présence d'un HLA particulier peu polymorphe, le HLA-G[17], mais aussi la présence sur le syncytiotrophoblaste de Fas-ligant, ou encore la déplétion locale en tryptophane (un acide aminé) font que les macrophages tueurs (cellules NK, pour l'anglais : Natural Killer) n'attaquent pas les cellules embryonnaires et du placenta. Les NK sont en effet dotées d'un système de reconnaissance du marqueur HLA-G qui inhibe leur action cytolytique. Grâce à cela, quel que soit le groupe HLA paternel, le fœtus et le placenta sont épargnés par l'arsenal immunitaire de la mère. Toute défaillance de ces mécanismes se traduit par un avortement dit « immunitaire » correspondant à un rejet d'allogreffe[18] ;
  • fonction Ă©cotoniale gĂ©nĂ©rale ; le placenta est l'interface entre les sangs et flux fĹ“tal et maternel, apportĂ©s par les vaisseaux sanguins des deux individus, mais qui ne sont jamais en contact direct (ils sont sĂ©parĂ©s par la cette barrière, dite « hĂ©mato-placentaire ») ;
  • fonction de prĂ©paration Ă  la naissance ; le placenta produit des hormones qui prĂ©parent l'organisme de la mère Ă  l'accouchement et Ă  la lactation.

Barrière placentaire

Elle protège l'embryon puis le fœtus d'une grande partie des toxiques et pathogènes (bactéries, virus) auxquels la mère est exposée[19] Par exemple, Mycobacterium tuberculosis (bacille de Koch, agent de la tuberculose), ne passe pratiquement pas la barrière placentaire.

Cette barrière ne peut cependant être totalement étanche puisque c'est au travers du placenta que se font les échanges de substances entre mère et embryon. En fonction de leur poids moléculaire et plus ou moins grande solubilité dans le sang, certaines substances toxiques (alcool, drogue, métaux lourds ou métalloïdes tels que le plomb[20] - [21] ou l'arsenic, médicaments, toxines microbiennes, virus, parasites) peuvent traverser la barrière et causer une tératogénie ou malformations chez l'embryon (retard de développement, retard mental, anomalies de formation des organes).

Des métaux toxiques présents sous forme ioniques, des nanoparticules et même récemment des suies ont été retrouvées récemment dans le placenta (pour les suies on ignore encore si elles peuvent atteindre directement le fœtus, dans ce cas sur 5 placenta de femmes non fumeuses dont la grossesse s'est bien déroulée, tous en contenaient dans certaines cellules immunitaires placentaires[22]).

Pathologies du placenta

Emplacements ectopiques du placenta :

DĂ©faut de placentation :

Maladies du trophoblaste :

autres :

Culture et placenta

Dans Bulles (Sphères 1), le philosophe allemand Peter Sloterdijk consacre un chapitre à l'accompagnateur originel (Requiem pour un organe rejeté) (placenta et nombril).

Histoire culturelle

Gravure d'un enfant hydrocéphale tenant son placenta
Enfant hydrocéphale tenant son placenta, tiré du Thesaurus anatomicus secondus de Frederik Ruysch.

Ă€ travers les siècles, le placenta a fait l’objet de diverses pratiques et croyances. Dans les campagnes françaises jusqu’au milieu du XIXe siècle, les femmes accouchaient en majoritĂ© Ă  leur domicile. Ainsi les croyances culturelles autour de l’accouchement avaient un impact sur le devenir du placenta. Ă€ l'Ă©poque moderne, ce dernier est considĂ©rĂ© comme le jumeau, le double symbolique du fĹ“tus pendant la grossesse. Il Ă©tait de ce fait enterrĂ© par le père qui plantait ensuite un arbre Ă  cet emplacement. Ă€ partir du milieu XIXe siècle, le devenir du placenta change car de plus en plus de femme accouchent Ă  l’hĂ´pital. L’avenir du placenta n’est plus entre les mains des communautĂ©s qui aident la femme Ă  accoucher au domicile (des femmes de la famille, des sages-femmes) mais plutĂ´t entre les mains du corps mĂ©dical. Ă€ partir de ce changement de comportement, notamment vers le milieu du XXe siècle, la reprĂ©sentation du placenta est assez variable : il est tantĂ´t perçu comme un dĂ©chet au vu des de l’émergence de nouvelles maladies comme l’hĂ©patite B et C ou le Sida, tantĂ´t considĂ©rĂ© pour ses bienfaits. Il peut donc ĂŞtre envoyĂ© au crĂ©matorium ou vendu Ă  des laboratoires pharmaceutiques. Dans les deux cas, l’autorisation de la patiente n’est pas demandĂ©e, cette dernière n’ayant aucun droit sur le placenta. Il faudra attendre la loi du pour que le statut du placenta change et ne soit plus considĂ©rĂ© comme un dĂ©chet. De nos jours il devient de plus en plus important dans la recherche identitaire. Il est souvent consommĂ© par les mères ou alors donnĂ© en comprimĂ©s aux nouveau-nĂ©s pour renforcer leur dĂ©fense immunitaire[23].

Placentophagie

Chèvre mangeant son placenta après la mise-bas.

Chez l'animal Le placenta est une annexe embryonnaire caractéristique des mammifères euthériens placentaires mais qui existe également sous d'autres formes chez les mammifères marsupiaux et chez certains reptiles. Chez la plupart des espèces de mammifères (y compris herbivores)[24], le placenta est toujours mangé par la mère. Le mâle n'a pas cet instinct, dont les origines sont depuis longtemps discutées.

Un tel comportement, dit « placentophagie »[25] a pu être sélectionné au cours du temps pour plusieurs raisons :

  • rĂ©cupĂ©ration de protĂ©ine, de fer, vitamines et d'autres oligoĂ©lĂ©ments par la femelle au moment oĂą elle en a besoin pour la lactation ;
  • manger le placenta et soigneusement lĂ©cher les nouveau-nĂ©s pourrait ĂŞtre un moyen de ne pas attirer de mouches ou d'autres insectes pouvant colporter des microbes, tout en limitant le risque d'attirer des prĂ©dateurs (les animaux sauvages mangent plus souvent leur placenta que leurs cousins domestiquĂ©s ne le font) ;
  • le placenta est riche en hormones, dont en prostaglandines et oxytocines qui favorisent Ă  la fois la rĂ©tractation post-partum de l'utĂ©rus, la montĂ©e laiteuse et l'attĂ©nuation des douleurs induites par la mise bas.
    Les propriétés galactogènes du placenta étaient déjà rapportées par Pline. Lederer et Pribram ont dit avoir suscité quelques minutes après une injection d'extrait placentaire, une augmentation considérable de la quantité de lait sécrétée. Mais leur résultat a été critiqué, comme pouvant résulter d'une élévation de pression via le tonus musculaire. Dixon et Taylor ont dit avoir trouvé de telles substances pressives mais Rosenheim a montré qu'il s'agissait de produits de la putréfaction dans les extraits de placenta employés dans leurs expériences.
    Le Dr Mark Kristal[26], neurologue comportementaliste de l'Université de Buffalo, a conclu de ses études[27] que la consommation des résidus de naissance (placenta et cordon) réduit la douleur consécutive à l'accouchement, et aiderait à prévenir la dépression post-natale. Elle aurait aussi un impact sur deux centres particuliers du cerveau qui commandent la capacité à ressentir l'instinct maternel. Ceci serait notamment dû à une hormone opioïde (proche des opiacées) découverte en 1986 et dite « Placental Opioid-Enhancing Factor » ou POEF. Cette hormone qui inhibe certaines zones du cerveau traitant les sensations nociceptives (perception de la douleur) pourrait atténuer la douleur du bébé lors des contractions et de la naissance, mais aussi ensuite calme celles de la mère qui mange le placenta. L'effet analgésique de cette hormone est très efficace à des doses bien moindres que celles nécessaires avec les opiacées. Cette hormone est également présente dans le liquide amniotique qui est également soigneusement léché par les animaux sur leur petit et parfois sur le sol après l'accouchement. M. Kristal pense que cette hormone pourrait aussi renforcer le comportement maternant, car la zone du cerveau qu'elle cible (l'aire tegmentale ventrale), est connue pour jouer un rôle dans l'apparition du comportement maternel. Cette hormone pourrait (cela reste à vérifier) inhiber l'action des opiacées, sur une autre zone (l'aire préoptique médiane) où ils sont connus pour au contraire perturber le comportement maternel, selon M. Kristal ;
  • Au dĂ©but du XXe siècle, dans un article de mars 1902 de la revue L'ObstĂ©trique, le Français M. Bouchacourt expliquait[28] qu'un extrait de placenta de mouton pouvait doper la lactation chez des femmes ne produisant pas de lait[29]. Bouchacourt notait aussi que les oiseaux mangeaient Ă©galement instinctivement les restes de l'Ĺ“uf ;
  • M. Bouchacourt remarquait aussi l'« Ă©trange » attraction que les hippomanes[30] - [31] ont exercĂ© sur l'Homme. Ce sont des Ă©lĂ©ments en forme de galettes grossièrement ovales mesurant jusqu'Ă  cm de long (1,5 pouce d'Ă©paisseur et 8 pouces de diamètre), lisses, parfois trouvĂ©s (en exemplaire unique) dans le liquide allantoĂŻdien de certains mammifères, dont juments et les vaches. Cuvier estime qu'il s'agit d'une concrĂ©tion. Les hippomanes sont appelĂ©s par les anglophones « foal's bread » (pain de poulain) ou « foal's tongue » (ou langue de poulain). L'intĂ©rieur a la consistance du foie cru, est homogène et de couleur jaunâtre, ambre Ă  brune[29]. Des hippomanes semblent Ă©galement produits par certains carnivores[32]. Certains auteurs pensaient qu'il s'agissait d'une excroissance de chair poussant in utero sur le front du poulain (Aristote parlait dĂ©jĂ  de ce qu'on a traduit par « caruncule du front du poulain », dont il disait qu'elle Ă©tait sur le front du poulain mais que la mère l'emporte en le lĂ©chant[33] L'hippomane « est d'une telle nature qu'une cavalle (jument) n'a pas plutĂ´t mis bas son poulain, quelle lui mange ce morceau de chair, & que sans cela, elle ne le voudroit pas nourrir. On ajoute que si elle donne le temps Ă  quelqu'un d'emporter ces hippomane, la seule odeur la fait devenir furieuse[33] ».
    L'hippomane était déjà évoqué par Virgile, son commentateur Servius, cité par Fongerus dans son lexicon philologique, par Calepin, par Decimator, etc.
    Pline précise qu'on les utilisait pour préparer des sortilèges. On a prêté à l'hippomane des vertus aphrodisiaques. Ces vertus sont selon Aristote « des fables forgées par des femmes & des enchanteurs[33] ». Bayle estime que c'est le fait qu'on considérait que si la jument ne mange pas l'hippomane, elle ne s'occuperait pas de son poulain qui est à l'origine des filtres qu'on a fait avec cette matière. « Il est facile de voir que ce qui a persuadé au commencement, qu'on le pourvoit servir de cela comme d'un philtre, est qu'on disoit que si la cavale (jument) n'avaloit pas ce morceau, elle ne nourrissoit point son petit ».
    Au contraire, le médecin allemand Raegerus, dans le journal des physiciens d'Allemagne décrit un hippomane qu'on lui a apporté tout chaud, lequel « éprouva que la mère nourrit à l'accoutumée le poulain, à qui l'on avoit ôté cette partie ».
    Remarque : Le mot hippomanes (hippomane) désignait aussi pour Aristote une certaine liqueur qui coule des parties naturelles de la jument chaude (en chaleur)[33].
    Un auteur cité par Apulée nomme ce filtre binnientium dulcedines, ce qui le rapporte merveilleusement au matri prareptus amor de Virgile ; mais « comme les filtres inspiroient plutôt de la fureur que de l'amour, de là est venu que l'hippomane a été considéré comme une drogue funeste ; Juvénal (comme Suétone) débite que Cæsonia l'ayant employé envers son mari Caligula fut cause de la fureur enragée qui lui fit commettre tant de crimes[33] ».
    Certains auteurs ont aussi pensé au XVIIe siècle que c'était le nom – selon Théocrite – d'une plante de l'Arcadie, qui mettait en fureur les poulines et les juments. Claude Saumaise pensait que cette plante n'existe pas et que cette interprétation résulte d'une mauvaise traduction de Théocrite qui parlait d'un cheval de bronze (sans queue), près du temple de Jupiter, si bien imité « excitoit dans les chevaux les émotions de l'amour, tout de même que si elle eut été vivante, vertu qui lui étoit communiquée par l'hippomanes, qu'on voit mêlé avec le cuivre en la fondant ».

Si les observations chez l'animal abondent, la placentophagie semble aujourd'hui très rare chez les humains[34], et les témoignages et expériences de placentophagie sont peu communs :

  • en 1556, le missionnaire, Jean de LĂ©ry rapporte que des AmĂ©rindiens du BrĂ©sil mangent le placenta, ce que confirmeront ensuite Engelman et Rodet ;
  • Guillaume-Thomas Raynal observent aussi les AmĂ©rindiens Topinamboos et Tampuya, qui mangent le placenta après la naissance, et disent que des pratiques semblables persistent en Afrique dans certaines parties du Soudan ;
  • chez les yakouts, le mari et les amis de la famille mangeaient rituellement le placenta après la naissance, au moins jusqu'en 1719 oĂą cette pratique a Ă©tĂ© dĂ©crite par Gemelli Carreri[35] - [36].
    Il est difficile de juger comment la coutume a pu aboutir Ă  ce que ce soit l'Ă©poux qui mange le placenta (Ă  la place de sa femme parturiente) Ă©crivait aussi en 1916 Raymond Crawfurd[36], tout en ajoutant qu'on pourrait dire de mĂŞme de la couvade qui existe bel et bien.
  • Selon Crawfurd, le placenta figurait dans la pharmacopĂ©e du XVIIe siècle pour servir de galactogène, d'aphrodisiaque, de laxatif, de recours contre la stĂ©rilitĂ©, contre la chlorose et contre la maladie de l'utĂ©rus[36]. Crawfurd estime que ces usages Ă©voquent plus une magie sympathique, qu'une pharmacie rationnelle, mais que si l'on admet l'existence de telles propriĂ©tĂ©s aphrodisiaques, mĂŞme en imagination, il pourrait expliquer que des hommes veuillent manger le placenta de leur femme.
  • Au moins jusqu'Ă  la fin du XIXe siècle, la placentophagie a Ă©tĂ© pratiquĂ©e dans certaines tribus du Soudan selon le Dr Raynaud d'Algiers ().
  • La mĂ©decine chinoise traditionnelle utilise le placenta contre diverses affections chez l'homme et la femme[37] et comme aphrodisiaque[36].
  • Dr Raymond Crawfurd rapporte que le mĂ©decin Reverdin a vĂ©cu l'expĂ©rience d'une mère qui juste après la dĂ©livrance, lui a demandĂ© si elle pouvait voir son placenta, qui se trouvait Ă  proximitĂ© « encore fumant, sur un tissu[36] ». Reverdin le lui a montrĂ©. Elle a exprimĂ© sa surprise Ă  son apparition, elle l'a examinĂ© de près et l'a soudainement saisi « et avec un cri sauvage », l'a dĂ©vorĂ©. Quand le lendemain, Reverdin lui a demandĂ© pourquoi elle avait fait ça, elle lui a rĂ©pondu qu'elle avait Ă©tĂ© submergĂ©e par un dĂ©sir incontrĂ´lable de le faire. Quand Reverdin lui a demandĂ© si elle en avait encore envie, elle a rĂ©pondu que non, que cela la dĂ©gouterait et qu'elle ne concevait pas comment elle Ă©tait arrivĂ©e Ă  le faire[36]. Selon Crawfurd d'autres cas de ce genre figurent dans la littĂ©rature mĂ©dicale de l'Ă©poque, et l'Ă©vènement serait sans doute beaucoup plus frĂ©quent si le placenta n'Ă©tait pas soigneusement cachĂ© et si rapidement Ă©liminĂ© par la sage-femme[36].
  • une infirmière et sage-femme amĂ©ricaine, a fait l'expĂ©rience lors de son second accouchement[38]. Selon son tĂ©moignage, elle pense que cela a amĂ©liorĂ© sa peau et ses cheveux, a permis de prolonger d'une semaine la sensation de plĂ©nitude due Ă  la grossesse, a favorisĂ© ses montĂ©es de lait et entretenu une euphorie postnatale « je me sentais si forte, j'avais l'impression de pouvoir tout rĂ©ussir… J'ai continuĂ© de manger des morceaux de placenta cru conservĂ©s dans le frigo, perfectionnant au passage ma mĂ©thode pour l'ingĂ©rer : en coupant des petits morceaux que je plaçais directement au fond de la gorge et que j'avalais rond, sans ressentir le goĂ»t. Pendant cette pĂ©riode, chaque fois que j'ai ressenti de la tristesse ou du dĂ©couragement, j'ai avalĂ© un petit morceau de placenta cru qui a agi comme un anti-dĂ©presseur immĂ©diat ».

Évaluations scientifiques

Dans les années 2010 la placentophagie semble gagner en popularité dans le monde (deux célébrités : Kim Kardashian West et l’actrice January Jones l’ont testé et apprécié notamment contre la dépression post-partum[37]) et il existe des livres de cuisine donnant des conseils pour stocker le placenta et le préparer (en smoothies ou dans un repas) ; le placenta est généralement broyé et déshydraté puis intégré à une pilule vitaminée, alors que les autres animaux le mangent rapidement après la naissance[37].
En 2017 une étude ayant comparé les effets du placenta (transformé en pilules) à un placébo, n’a pas décelé de changement significatif d’humeur, du niveau d'énergie, du taux hormonal ou de leur relation au nouveau-né (par rapport aux mères ayant reçu un placebo) [37]. Dans ce cas Sharon Young[39] avait recruté 27 femmes adultes enceintes en bonne santé (ayant choisi de consommer leur placenta avant de s'inscrire à l'étude) ; Ces femmes ont été rencontrées 4 fois entre leur 36e semaine de grossesse et la troisième semaine après l'accouchement. Elles ont fourni des échantillons de salive (pour la mesure du taux d’hormones) et ont répondu à des questionnaires[37]. Certaines ont pris des pilules contenant leurs propres placentas tous les jours durant 3 semaines, et d’autres un placebo à base de bœuf ou de bœuf végétarien. Les auteurs n’ont pas constaté d’effet global significatif sur la fatigue et la dépression post-partum[37]. Les facteurs de dépression, l'anxiété et de stress étaient dans les deux cas plutôt la fatigue, un sommeil dégradé, un faible soutien social et familial et une moindre satisfaction conjugale.
Les auteurs eux-mêmes reconnaissent toutefois la faiblesse de l’échantillonnage de l'étude (par ailleurs auto-sélectionné), qui pourrait induire des biais. Il n’y avait pas non plus de groupe témoin n’ayant reçu ni placenta, ni placébo, et un éventuel soulagement de la douleur ne faisait pas partie des questions posées, ce qui invite à des études complémentaires[37].

La culture fait que l'Homme se distingue volontiers de la nature en s'opposant à l'animal. Le tabou est souvent également religieux, et dans certaines cultures lié au sang (que le placenta évoque car il est richement vascularisé). Ainsi le Lévitique, dans la Bible interdisait aux hommes d'Israël d'imiter les païens qui mangent du sang (ou l'offraient aux satyres)[40].
De nombreuses sociétés traditionnelles éloignent le placenta pour l'enterrer[41] ; l'enterrement du placenta est parfois cérémonial, comme chez les maoris.

Voir (en) Human placentophagy

Notes et références

  1. Pough et al. 1992. Herpetology: Third Edition. Pearson Prentice Hall : Pearson Education, Inc., 2002.
  2. Depuis Aristote, on étudie les fonctions du placenta et du cordon ombilical. Biologie du développement, Scott F. Gilbert, Sylvie Rolin.
  3. Henry George Liddell, Robert Scott ; "A Greek-English Lexicon" ; Ed. Perseus
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  5. Site lemonde.fr, article de Stéphane Foucart "Le placenta, invention virale", consulté le 1er février 2021
  6. Site museum.toulouse.fr, page "De la coquille au placenta, un coup de pouce viral de génie", consulté le 1er février 2021.
  7. Site anr.fr , article "formation du syncytiotrophoblaste placentaire et la tolérance materno-fœtale – Retro placenta, consulté le 1er février 2021.
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  36. Section of the History of Medecine ; President - Dr Raymond Crawfurd (1916/10/25)]
  37. Dengler, Roni (2017) Moms, should you eat your placentas? (Mamans, devriez-vous manger vos placentas?) ; News de la revue Science, 1er décembre 2017
  38. Birthrites: Healing After Caesarean. Placentophagy ; Mary Field, RGN, SCM, writes of her personal experience of an "unmentionable" practice ; Midwives Chronicle and Nursing Notes ; novembre 1984
  39. Sharon Young, est anthropologue médicale de l'Université du Nevada à Las Vegas
  40. Le Lévitique considère le sang comme l'âme de toute chair. Verset 7, chap. 17 : « Ils n'offriront plus leurs sacrifices aux satyres avec lesquels ils se prostituent ; ceci sera pour eux une ordonnance perpétuelle de génération en génération ». (Source)
  41. Lévitique, verset 13, chap. 17 : Tout homme des fils d'Israël ou des étrangers séjournant au milieu d'eux qui prend à la chasse un animal ou un oiseau qui se mange, il en versera le sang et le couvrira de terre.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

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  • Adrian Erlebacher et Susan J. Fisher, « Le placenta, cet inconnu », Pour la science, no 487,‎ , p. 46-54
  • Mathilde Bouraud, Placenta, dans HervĂ© Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans UniversitĂ©, 2021.
  • (en) Alys R. Clark, Igor L. Chernyavsky et Oliver E. Jensen, « The complexities of the human placenta », Physics Today, vol. 76, no 4,‎ , p. 26-32 (DOI 10.1063/PT.3.5216 Accès libre)

Liens externes

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