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Occupation de l'Araucanie

L’occupation de l’Araucanie (ou, anciennement, par euphĂ©misme, pacification de l’Araucanie) Ă©tait une campagne militaire menĂ©e de 1861 Ă  1883 par l’État chilien et visant Ă  mettre sous sa tutelle intĂ©grale et dĂ©finitive la portion de territoire sise entre les fleuves BiobĂ­o au nord et ToltĂ©n au sud, grande d’environ 30 000 km2, et correspondant aux terres ancestrales du peuple autochtone mapuche.

Occupation de l’Araucanie
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Carte de la Frontera, entre Arauco et Valdivia.
Informations générales
Date 1861-1883
Lieu Araucanie, la Frontera
Issue Victoire du Chili. Incorporation de l’Araucanie au territoire chilien. Établissement de rĂ©ductions mapuches.
Changements territoriaux CrĂ©ation de la province de CautĂ­n et du territoire d’Angol.
Belligérants
Drapeau du Chili Chili Mapuches
Commandants
Cornelio Saavedra RodrĂ­guez (1861-1868)
José Manuel Pinto
QuilapĂĄn
Autres loncos mapuches

En dĂ©pit de plusieurs tentatives d’assujettissement, d’abord par les Incas, puis par les Espagnols, enfin par le Chili indĂ©pendant, les Mapuches avaient su se maintenir de facto indĂ©pendants, le fleuve BiobĂ­o faisant office de frontiĂšre officieuse plus ou moins stabilisĂ©e. À partir du milieu du XVIIIe, des Ă©changes commerciaux avaient lieu de part et d’autre de la ligne de dĂ©marcation, favorisant un certain degrĂ© d’acculturation, mais Chiliens et Mapuches n’en demeuraient pas moins des sociĂ©tĂ©s socialement, politiquement et Ă©conomiquement distinctes. Sur leurs vastes terres, les Mapuches semi-nomades se livraient Ă  l’élevage extensif et Ă  la production textile. Au milieu du XIXe siĂšcle, quelques incidents viendront alimenter des sentiments anti-mapuches chez les Chiliens, tandis que la pĂ©nĂ©tration subreptice en Araucanie, dĂšs la fin du XVIIIe siĂšcle, de Chiliens profitant de l’ingĂ©nuitĂ© des Mapuches pour s’emparer frauduleusement de terrains en Araucanie sera source de rancƓur chez les autochtones.

La rĂ©volte autochtone de 1859, suscitĂ©e par l’inquiĂ©tude des Mapuches Ă  propos de cette pĂ©nĂ©tration au nord et de la colonisation europĂ©enne dans la rĂ©gion de Valdivia, c’est-Ă -dire sur leur flanc sud, sera le prĂ©lude Ă  la future guerre ouverte. La volontĂ© chilienne de s’ouvrir de nouvelles terres pour la production cĂ©rĂ©aliĂšre, alors trĂšs rentable, et de sĂ©curiser les colons chiliens dĂ©jĂ  prĂ©sents en Araucanie porta l’État chilien Ă  prendre finalement la dĂ©cision d’une campagne militaire dans le but de repousser progressivement la ligne de frontiĂšre entre la zone sous contrĂŽle chilien et le territoire mapuche. La prĂ©sence du Français OrĂ©lie-Antoine de Tounens, qui se proposait de crĂ©er un royaume indĂ©pendant en Araucanie et s’était dĂ©jĂ  fait couronner roi d’Araucanie et de Patagonie par un groupe de caciques mapuches, fut l’élĂ©ment dĂ©clencheur.

La conquĂȘte de l’Araucanie se dĂ©roula selon un plan gĂ©nĂ©ral qui comportait un volet militaire et un subsĂ©quent volet civil d’amĂ©nagement du territoire et de colonisation mĂ©thodique. L’occupation par les troupes chiliennes fut rĂ©alisĂ©e en plusieurs Ă©tapes, d’abord du fleuve BiobĂ­o au fleuve Malleco (en 1871, avancĂ©e rencontrant peu de rĂ©sistance et scellĂ©e par la construction d’une chaĂźne de fortifications), puis du Malleco Ă  la riviĂšre TraiguĂ©n (1878), enfin du TraiguĂ©n aux fleuves CautĂ­n et ToltĂ©n (1883, ce dernier formant la limite mĂ©ridionale du territoire mapuche). Le conflit, qui s’échelonna sur plus de vingt ans (de 1861 Ă  1883), fut d’une intensitĂ© variable, combinant tour Ă  tour offensives chiliennes, consolidation par l’armĂ©e des terres conquises, trĂšves, rĂ©voltes autochtones, siĂšges et assauts donnĂ©s par les Mapuches contre les forts chiliens etc., et ne resta pas indemne d’atrocitĂ©s : ainsi, la phase du conflit dĂ©nommĂ©e Guerre sans quartier (1869) se caractĂ©risa par des massacres de Mapuches par l’armĂ©e chilienne associĂ©s Ă  la destruction systĂ©matique de leurs habitations et moyens d’existence. Une diplomatie chilienne habile, tout en convoquant des confĂ©rences de nĂ©gociation (parlements), sut exploiter les dissensions entre clans mapuches et offrait des rĂ©tributions aux caciques infĂ©odĂ©s. Les derniers combats eurent lieu en et se soldĂšrent par la victoire totale du Chili ; il n’y aura plus ensuite de rĂ©bellion mapuche de quelque ampleur, abstraction faite de la rĂ©volte de 1934, qui fera plusieurs centaines de victimes.

La conquĂȘte achevĂ©e, les autoritĂ©s chiliennes prirent Ă  tĂąche de rĂ©partir les terres mapuches, dĂ©jĂ  dĂ©clarĂ©es propriĂ©tĂ© de l’État par une loi de 1866, entre d’une part : les Mapuches, relĂ©guĂ©s dans des « rĂ©ductions » exiguĂ«s, peu compatibles avec le mode de vie semi-nomade des Mapuches et avec leur structure sociale par clans et familles, et disloquant leurs anciens rĂ©seaux de solidaritĂ© et de subsistance ; et d’autre part les colons, dont l’afflux massif et l’installation sur place Ă©tait pilotĂ©s par des agences gouvernementales et qui, selon des modalitĂ©s variant avec le temps, Ă©taient principalement recrutĂ©s en Europe, puis Ă©galement au Chili mĂȘme.

Antécédents et contexte

Sur le territoire de l’Araucanie vivaient plus de 100 000 autochtones appartenant aux ethnies Pehuenche et mapuche[1]. Celles-ci, en tenant tĂȘte aux armĂ©es espagnoles, avaient su se maintenir de facto indĂ©pendantes vis-Ă -vis de l’autoritĂ© coloniale espagnole, d’abord lors de la dĂ©nommĂ©e guerre d'Arauco, Ă©pisode de la conquĂȘte du Chili au XVIe siĂšcle, puis durant toute la pĂ©riode coloniale chilienne, sans que ni le camp autochtone, ni le camp espagnol ne pĂ»t l’emporter dĂ©finitivement.

Dans la zone frontaliĂšre le long du fleuve BiobĂ­o, les Ă©changes commerciaux entre Mapuches et Espagnols, puis entre Mapuches et Chiliens, s’accrurent Ă  partir de la deuxiĂšme moitiĂ© du XVIIIe siĂšcle, pendant que les hostilitĂ©s tendaient Ă  dĂ©croĂźtre[2]. Ce commerce permit de tisser des liens pacifiques entre groupes ethniques :

« L’on voit passer d’un cĂŽtĂ© des Chiliens avec des mules ou des chevaux chargĂ©s de marchandises, Ă©toffes, perles, Ă©triers, farine, piment, etc., et de l’autre, des Indiens qui viennent remplir leurs outres de peau, prendre du blĂ©, de la farine, etc., ou mĂȘme se promener avec leurs femmes. [
] L’Indien vient chez l’Espagnol chercher son vin, sa farine, son blĂ©, son piment, et le Chilien, au bout d’un mois, de six mois, d’un an, s’en va chez l’Indien prendre en retour le bĂ©tail qui a Ă©tĂ© promis ; et tout cela se fait avec la plus grande loyautĂ©.Henri_Delaporte,_«_Une_visite_chez_les_araucaniens_»,_Bulletin_de_la_SociĂ©tĂ©_de_GĂ©ographie,_Paris,_vol. 10_(4e_sĂ©rie),‎_juillet_1855,_p. 38,_citĂ©_en_prĂ©face_par_Paz_NĂșñez-Regueiro._3-0">[3] »

Les Mapuches se procuraient des marchandises au Chili et beaucoup inclinaient dĂ©sormais Ă  s’habiller « Ă  l’espagnole ». Pourtant, malgrĂ© ces Ă©troits contacts, Chiliens et Mapuches demeuraient socialement, politiquement et Ă©conomiquement distincts[4] ; de plus, ces contacts alimenteront Ă©galement la mĂ©fiance des Mapuches, devenus souvent les victimes d’agents gouvernementaux malhonnĂȘtes, de marchands de liqueurs et d’armes, et de fugitifs sans scrupules[5].

Pendant les cinquante premiĂšres annĂ©es d’existence du Chili indĂ©pendant (1810-1860), le gouvernement ne considĂ©rait pas le territoire d’Araucanie comme une prioritĂ© et les autoritĂ©s chiliennes privilĂ©giaient le dĂ©veloppement de la Zone centrale, de prĂ©fĂ©rence Ă  leurs relations avec les groupes autochtones[6] - [7]. Au lendemain de l’indĂ©pendance du Chili, en , pendant la pĂ©riode rĂ©publicaine, se tint avec les Mapuches vivant au sud du BiobĂ­o le Parlement gĂ©nĂ©ral de Tapihue, avec l’objectif de dĂ©finir un statut politique propre Ă  rĂ©guler les relations entre la naissante rĂ©publique et le peuple mapuche. Cependant, divers Ă©vĂ©nements survinrent par la suite qui obligĂšrent l’État chilien Ă  affecter une partie de ses capacitĂ©s militaires Ă  la zone frontaliĂšre (la Frontera).

Afin de protĂ©ger une population autochtone que le gouvernement souhaitait rallier Ă  son autoritĂ©, l’entrĂ©e sur le territoire autochtone Ă©tait soumise Ă  l’obtention d’un passeport. En parallĂšle, le gouvernement chilien poursuivait son projet civilisateur en Araucanie, s’appuyant sur l’enseignement et sur la conversion des communautĂ©s mapuches : la prĂ©sence d’ordres missionnaires sur place devait contribuer Ă  l’acculturation de l’élĂ©ment autochtone, encore que ces ordres missionnaires fussent fort critiquĂ©s pour leur inefficacitĂ© et manque de formation[5].

Naufrage du navire El Joven Daniel

En 1849, un navire voguant entre Valdivia et ValparaĂ­so, El Joven Daniel, fit naufrage sur la cĂŽte entre les embouchures de l’Imperial et du ToltĂ©n[8]. L’épave fut pillĂ©e par une tribu mapuche locale et quelques naufragĂ©s furent tuĂ©s[8]. La nouvelle de ces Ă©vĂ©nements parvint d’abord Ă  Valdivia, puis Ă  Santiago, oĂč elle alimenta un vif sentiment anti-mapuche et consolida le prĂ©jugĂ© selon lequel les Mapuches Ă©taient des barbares brutaux[8] - [9]. L’opposition au prĂ©sident Manuel Bulnes rĂ©clama une expĂ©dition punitive et les Mapuches se prĂ©paraient dĂ©jĂ  Ă  affronter l’armĂ©e chilienne. Bulnes toutefois dĂ©daigna ces appels Ă  une expĂ©dition punitive, laquelle apparaissait en effet superflue dans la perspective d’une future conquĂȘte de l’Araucanie[8].

Au milieu du XIXe siĂšcle, l’opinion de la population chilienne sur les Mapuches pour lors encore indĂ©pendants Ă©tait peu favorable. Dans la presse de l’époque, on pouvait lire des prises de position telles que la suivante :

« [
] Les hommes ne sont pas nĂ©s pour vivre inutilement et comme les animaux de la selve, sans profit pour le genre humain ; et une association de barbares aussi barbares que les Pampas ou que les Araucans n’est autre qu’une horde de fauves, qu’il est urgent d’enchaĂźner ou de dĂ©truire dans l’intĂ©rĂȘt de l’humanitĂ© et pour le bien de la civilisation [
]. »

— Journal El Mercurio du 24 mai 1859[10]

RĂ©volution de 1851

Lors de la RĂ©volution de 1851, le gĂ©nĂ©ral JosĂ© MarĂ­a de la Cruz, chef du mouvement putschiste libĂ©ral, s’appuyant sur ses liens d’amitiĂ© avec les loncos (caciques) mapuches, notamment Maguin (ou Mañil, Magnil, Mangil, ou encore Mangin), sut rallier Ă  sa cause plusieurs de ces caciques et leurs clans et les inciter Ă  se lever en armes contre le gouvernement du prĂ©sident Manuel Bulnes[11]. Selon l’historien JosĂ© Bengoa, les Mapuches considĂ©raient le gouvernement de Santiago comme leur principal ennemi, raison pour laquelle ils se rangĂšrent aux cĂŽtĂ©s de De la Cruz et de ses rebelles basĂ©s Ă  ConcepciĂłn[9]. AprĂšs que l’insurrection eut Ă©tĂ© Ă©crasĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Bulnes Ă  la suite de la bataille de Loncomilla, les caciques, au lieu de se rendre, se repliĂšrent sur la Frontera en compagnie de De la Cruz et de quelques lambeaux de l’ancienne armĂ©e, s’y vouant au pillage et au vol de bĂ©tail au cours des quatre annĂ©es qui suivirent.

À l’issue d’une junta (assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale) ayant rĂ©uni plus d’un millier de participants sur les rives du rĂ­o Renaico en 1854, le mĂȘme Mañil dĂ©clara :

« Les Espagnols envahissent de plus en plus nos possessions ; outre ceux que nous recevons de bon grĂ©, d’autres abusent de la simplicitĂ© et de l’état d’ivresse des nĂŽtres, se font dĂ©livrer d’immenses Ă©tendues de territoire contre des valeurs insignifiantes. Notre limite est le fleuve BiobĂ­o. [
] Les Espagnols doivent savoir que nous sommes prĂȘts Ă  tout. S’ils ont Ă  leur disposition des fusils, des sabres et des canons, nous, nous avons nos lances, et cela suffit pour laisser des cadavres sur le terrain[12]. »

Cet Ă©tat de situation porta le gouvernement Ă  mobiliser le deuxiĂšme bataillon de la deuxiĂšme armĂ©e de ligne, et de le stationner Ă  la Frontera jusqu’en . Au surplus, les autochtones apportĂšrent leur soutien aux rebelles libĂ©raux lors de la RĂ©volution de 1859, ce qui eut pour effet d’accroĂźtre encore le ressentiment Ă  leur encontre au sein du gouvernement central[13].

Expansion des productions céréaliÚre et ovine chiliennes

Le secteur agricole chilien avait Ă©tĂ© gravement touchĂ© par la guerre d'indĂ©pendance, mais l’activitĂ© agricole se dĂ©veloppa bientĂŽt dans le Norte Chico, Ă  la faveur de la ruĂ©e vers l’argent qui avait dĂ©butĂ© en 1832. L’étape suivante de l’expansion agricole eut lieu Ă  partir de 1848, en consĂ©quence d’une forte demande de froment provoquĂ©e par la colonisation de l’Australie et la ruĂ©e vers l'or en Californie. En dĂ©pit de la disparition subsĂ©quente de ces marchĂ©s californien et australien, la culture de cĂ©rĂ©ales resta hautement rentable[14]. Dans les annĂ©es 1850, aprĂšs la colonisation europĂ©enne (principalement allemande) de Valdivia, Osorno et Llanquihue, et l’introduction de l’élevage de moutons en Patagonie chilienne, sur le littoral du dĂ©troit de Magellan, l’Araucanie Ă©tait la seule portion de territoire oĂč l’agriculture chilienne pouvait encore s’étendre[15].

Des non-Mapuches s’étaient mis Ă  acheter des terres araucanes au sud du BiobĂ­o dĂšs la fin du XVIIIe siĂšcle, et en 1860, les terres sises entre les fleuves BiobĂ­o et Malleco Ă©taient pour la plupart en possession de Chiliens[16]. L’essor du commerce des cĂ©rĂ©ales (ciclo triguero) accrut encore la propension des Chiliens Ă  acquĂ©rir des terres en Araucanie et donna lieu Ă  de multiples escroqueries et fraudes au dĂ©triment des Mapuches[17]. Par la duperie, un petit nombre de spĂ©culateurs sut s’emparer de vastes Ă©tendues, puis assura sa mainmise sur ces propriĂ©tĂ©s avec l’aide d’hommes de main[18].

Il s’ensuivit une situation contrastĂ©e : alors que l’économie chilienne bĂ©nĂ©ficiait d’un secteur agricole en plein essor, une large part de l’économie mapuche reposait toujours sur l’élevage, et ce sur l’un des territoires les plus Ă©tendus qu’un groupe autochtone ait jamais possĂ©dĂ© en AmĂ©rique du Sud[2].

Le peuple mapuche

Tribus mapuches prĂ©sentes en Araucanie vers 1850. Les zones sous tutelle de l’État chilien sont figurĂ©es en bleu.

Au dĂ©but du XIXe siĂšcle, les principaux groupes autochtones prĂ©sents en Araucanie s’énumĂ©raient comme suit :

  • les Nagches ou (en espagnol) Abajinos (c’est-Ă -dire « ceux d’en bas Â», de abajo) : ils peuplaient la VallĂ©e centrale[19] et Ă©taient dirigĂ©s par Lorenzo ColipĂ­ dans le nord (Ă  PurĂ©n dans le Malleco) et par Venancio CoñoepĂĄn dans le sud (Ă  Repocura dans le Cholchol)[20], loncos qui tous deux combattirent aux cĂŽtĂ©s des patriotes dans la guerre d'indĂ©pendance du Chili[21] et appuyĂšrent l’État chilien durant la majeure partie de la Pacification[22], mais rivalisaient entre eux pour obtenir le meilleur traitement de la part des militaires chiliens et l’hĂ©gĂ©monie des Nagches[23]. Lorsque l’armĂ©e dĂ©signa les CoñoepĂĄn comme ses principaux alliĂ©s, les hommes de ColipĂ­ se rebellĂšrent[24] - [25].
  • les Wenteches ou (en espagnol) Arribanos (« ceux d’en haut Â», de arriba) : ils vivaient dans les vallĂ©es de la PrĂ©cordillĂšre et Ă©taient gouvernĂ©s au dĂ©but du siĂšcle par les caciques Francisco MarilĂșan et Juan Mangin Hueno[22]. Ils combattirent dans les rangs royalistes lors de la guerre d’indĂ©pendance[26] et Ă©taient des rivaux farouches des Abajinos[27] (principalement des ColipĂ­[28] et dans une moindre mesure des CoñoepĂĄn[29]). Pour arrĂȘter l’avancĂ©e de l’armĂ©e chilienne, ils firent alliance avec des rebelles fĂ©dĂ©ralistes et libĂ©raux, et avec les Pehuenches et les Pampas[30].
  • les Pehuenches : ceux-ci Ă©taient des nomades qui, araucanisĂ©s au siĂšcle prĂ©cĂ©dent, vivaient dans les vallons de la cordillĂšre entre ChillĂĄn et Lonquimay[31]. Ils furent les collaborateurs des frĂšres Pincheira pendant la « guerre Ă  Mort Â», mais aprĂšs leur dĂ©faite, la part qu’ils prendront ensuite dans les guerres sera assez secondaire[32].
  • les tribus du bassin du lac Budi, sous la domination chilienne depuis la construction du fort de ToltĂ©n[33].
  • les Boroanos : alliĂ©s des natifs de Cholchol et des Abajinos, ils ne participeront pas aux guerres contre l’armĂ©e chilienne jusqu’à la grande rĂ©bellion de 1881[34].
  • les populations locales de HuillĂ­o, sur les rives du fleuve ToltĂ©n, Ă©taient liĂ©es aux prĂ©cĂ©dents, sans toutefois toujours vivre en paix avec eux[35].
  • les autochtones de PitrufquĂ©n se vouaient au commerce avec Valdivia et Ă©taient liĂ©s avec ceux de Cholchol[36].
  • les autochtones de Quepe entre le ToltĂ©n et Temuco, qui, alliĂ©s des CoñoepĂĄn, participĂšrent Ă  la rĂ©bellion de 1881[37].
  • ceux du Llaima, qui occupaient la comarque de Villarrica et Ă©taient divisĂ©s en plusieurs chefferies indĂ©pendantes quoique toutes liĂ©es avec les Wenteches[38].

Il y avait d’autres groupes encore, d’importance moindre, tels que les Lafquenches ou (en espagnol) Costinos (=du rivage), dans l’actuelle province d'Arauco ; les Huilliches de Valdivia, de la province de Llanquihue et de San Juan de la Costa (non loin d’Osorno) ; et ceux de la grande Ăźle de ChiloĂ©. Les informations sur ces groupes sont tĂ©nues, mais on sait que les premiers prirent part Ă  la « guerre Ă  Mort Â» et Ă  la rĂ©bellion de 1881, encore que dans une mesure faible[39]. Cette implication moindre fut, dans le cas des Huilliches, la consĂ©quence de l’acquisition par des EuropĂ©ens d’une partie de leurs terres ancestrales dĂšs la pĂ©riode coloniale, c’est-Ă -dire antĂ©rieurement Ă  l’indĂ©pendance du Chili, par suite de l’instauration du systĂšme de l’hacienda (exploitation agricole) dans leur zone, amorce de la mise en place de la grande propriĂ©tĂ© fonciĂšre sur le territoire huilliche, situation au rebours de celle prĂ©valant dans l’Araucanie. À cela succĂ©da, une fois Ă©tablie la rĂ©publique du Chili, la colonisation de Llanquihue, impliquant l’accroissement et l’expansion des villes et villages implantĂ©s sur l’ancestral territoire huilliche, c’est-Ă -dire l’ensemble de faits qui aboutit finalement Ă  la distribution actuelle des communautĂ©s huilliches dans la zone : rĂ©trĂ©cissement des territoires de leurs communautĂ©s et relĂ©gation de leur population aux zones du littoral et de la cordillĂšre[40].

Quant aux effectifs de la population autochtone Ă  cette Ă©poque, le rapport publiĂ© par l’Anuario EstadĂ­stico de Chile et Ă©tabli entre 1868 et 1869 apporte le tableau suivant[41] - [42] - [43] :

Butalmapus Guerriers
(en chiffres arrondis)
Habitants
(en chiffres arrondis)
Arribanos ou Wenteches 2 498
(2 500)
9 972
(10 000)
Abajinos ou Nagches 3 415
(3 500)
13 660
(14 000)
Costinos ou Lafkenches 1 000 4 000
Huilliches, au sud du CautĂ­n 8 993
(9 000)
35 972
(36 000)
Huilliches, au sud du ToltĂ©n 1 690
(2 000)
6 760
(7 000)
Total 17 596
(18 000)
70 364
(71 000)

La sociĂ©tĂ© mapuche se caractĂ©risait par une organisation trĂšs peu centralisĂ©e, oĂč la famille constituait l’unitĂ© de base. La rĂ©partition Ă©parse des maisons mapuches reflĂ©tait peut-ĂȘtre la mĂ©fiance instinctive que plusieurs observateurs ont cru dĂ©celer chez le peuple mapuche et qui le faisait craindre y compris ceux de sa propre ethnie, et le portant donc Ă  prĂ©fĂ©rer s’isoler. La vie s’organise autour de la ruca, demeure traditionnelle mapuche, aux vastes dimensions, destinĂ©e Ă  accueillir la famille polygame, dont le nombre d’épouses et l’étendue de la descendance reflĂ©taient le statut du maĂźtre de maison[44].

Le dĂ©coupage territorial avait pour base le lignage, c’est-Ă -dire que plusieurs familles apparentĂ©es se regroupaient dans une mĂȘme zone. Depuis le XVIIIe siĂšcle, des regroupements de familles avaient lieu ponctuellement, lorsque des conflits rendaient nĂ©cessaire la conclusion d’alliances. Des chefs de guerre Ă©taient alors Ă©lus pour mener Ă  bien quelque entreprise militaire, mais ces autoritĂ©s n’étaient que temporaires. Toutefois, au XIXe siĂšcle, le dĂ©veloppement des Ă©changes commerciaux conduisit Ă  une pĂ©rennisation de l’autoritĂ© accordĂ©e aux chefs locaux, autoritĂ© qui renforça encore leur prestige croissant appuyĂ© sur des alliances matrimoniales, sur le rĂ©seau familial, sur la richesse matĂ©rielle et sur les effectifs de guerriers que ces lonkos (chefs, caciques) Ă©taient en mesure de mobiliser. Le contrĂŽle du territoire par des caciques locaux fut alors encouragĂ© par les agents gouvernementaux et les militaires chiliens, qui s’efforcĂšrent de conforter le pouvoir des caciques pour mieux se reposer sur eux. De fait, certains recevaient un salaire pour leur coopĂ©ration, comme p. ex. le puissant cacique Lorenzo ColipĂ­[45].

Campagne militaire

Mobile et élément déclencheur

Au milieu du XIXe siĂšcle, l’instabilitĂ© de l’Araucanie, due Ă  l’insoumission des Mapuches et Ă  l’agitation des Chiliens installĂ©s dans cette zone franche, restait importante. Le Chili avait Ă©galement pris conscience de la fragilitĂ© de sa souverainetĂ© sur un territoire qui suscitait la convoitise de nations Ă©trangĂšres, comme en tĂ©moigne le projet (avortĂ©) du Français Antoine de Tounens de crĂ©er un État indĂ©pendant Ă  base mapuche-tehuelche[46] ; Tounens en effet avait fondĂ© en le royaume d'Araucanie et de Patagonie et, sous le nom d’OrĂ©lie-Antoine Ier, s’était fait Ă©lire prince rĂ©gnant par d’importants loncos de la rĂ©gion. AprĂšs l’arrivĂ©e effective de Tounens dans ce territoire en 1861, le gouvernement du Chili prit la dĂ©cision d’occuper militairement l’Araucanie.

Planification

En 1823, le ministre chilien Mariano Egaña Ă©labora un plan de conquĂȘte et de colonisation de la portion de territoire entre les fleuves Imperial et BiobĂ­o. Ce plan, qui prĂ©voyait l’implantation d’une sĂ©rie de forts sur les rives nord du rĂ­o Imperial et du rĂ­o CautĂ­n, c’est-Ă -dire en pleine zone mapuche, fut approuvĂ© par le CongrĂšs[47]. Dans un premier temps, le prĂ©sident RamĂłn Freire souscrivit au projet, mais prĂ©fĂ©ra par la suite se concentrer sur l’expulsion des Espagnols de l’archipel de ChiloĂ©, laissant ainsi momentanĂ©ment en suspens la question araucanienne[47].

En 1849, le ministre chilien de l’IntĂ©rieur Antonio Varas remit au CongrĂšs un rapport analysant la situation en Araucanie[7] - [48]. Varas y prĂ©conisait l’instauration d’un rĂ©gime gouvernemental distinct du reste du pays et dont la mission serait de civiliser les autochtones en rehaussant leur niveau de vie matĂ©riel et en « Ă©levant leur esprit aux vĂ©ritĂ©s morales et religieuses ». L’objectif Ă©tait d’aboutir finalement par ce biais Ă  l’incorporation de l’Araucanie dans la rĂ©publique chilienne[48].

Manuel Montt, en qualitĂ© de prĂ©sident du Chili, fit passer une loi le portant crĂ©ation de la province d’Arauco, laquelle eĂ»t Ă  administrer tous les territoires situĂ©s au sud du BiobĂ­o et au nord de la province de Valdivia[49] - [50].

La planification finale de la conquĂȘte de l’Araucanie est pour une large part Ă  mettre au crĂ©dit du colonel Cornelio Saavedra RodrĂ­guez[50] - [51], dont le projet comportait un programme de colonisation organisĂ© et pilotĂ© par l’État, inspirĂ© de la conquĂȘte de l’Ouest rĂ©alisĂ©e aux États-Unis et en nette opposition Ă  l’ancien mode de colonisation, impulsĂ© par l’entreprise privĂ©e, tel que privilĂ©giĂ© par les autoritĂ©s coloniales espagnoles de la capitainerie gĂ©nĂ©rale du Chili[51]. Le plan de Saavedra comprenait les points suivants[52] - [51] :

  1. AvancĂ©e de l’armĂ©e chilienne jusqu’au fleuve Malleco et Ă©tablissement sur sa rive d’une ligne dĂ©fensive.
  2. Subdivision en parcelles des terres d’État (fiscales) sises entre le Malleco et le BiobĂ­o, et octroi de titres de propriĂ©tĂ© sur ces parcelles Ă  des acteurs privĂ©s.
  3. Colonisation de l’Araucanie par des colons chiliens et Ă©trangers, en prenant soin de fixer dans chaque foyer de peuplement des colons de nationalitĂ©s diffĂ©rentes pour faciliter leur assimilation.
  4. Les peuplades autochtones devaient ĂȘtre placĂ©es dans des « rĂ©ductions » et initiĂ©es Ă  la « civilisation ».

Prélude : le soulÚvement de 1859

Plan ancien de Negrete, Ă©tabli par le major d’artillerie JosĂ© Miguel FĂĄez et retrouvĂ© dans la cartothĂšque des archives nationales du Chili : plan de reconstruction de Negrete en tant que forteresse chilienne de , dans le cadre du projet de Cornelio Saavedra RodrĂ­guez d’occupation de l’Araucanie par l’armĂ©e chilienne.

La pĂ©nĂ©tration du territoire mapuche Ă  partir du nord par des colons de plus en plus nombreux traversant le BiobĂ­o et l’apparition de colons allemands au sud du territoire araucan incitĂšrent le chef Mapuche Mañil Ă  lancer en 1859 un appel Ă  l’insurrection pour prĂ©server la domination des Mapuches sur leurs terres ancestrales. La plupart des Mapuches rĂ©pondirent Ă  l’appel, les seules communautĂ©s Ă  se dĂ©rober Ă©tant celles de PurĂ©n, du rĂ­o Cholchol, et les Mapuches cĂŽtiers du sud (Costinos), qui avaient des liens Ă©troits avec Valdivia. Les villes d’Angol, Negrete et Nacimiento furent attaquĂ©es. Une proposition de paix faite par les colons fut acceptĂ©e en 1860 lors d’une rĂ©union de plusieurs chefs mapuches ; l’accord conclu stipulait que des cessions de terres ne pouvaient avoir lieu que moyennant l’approbation des caciques[53].

Le soulĂšvement gĂ©nĂ©ral de 1859, qui s’était accompagnĂ© de la destruction de tous les villages fondĂ©s au sud du BiobĂ­o et le saccage d’un grand nombre d’exploitations agricoles (haciendas) dĂ©jĂ  Ă©tablies dans la rĂ©gion, provoqua un vif dĂ©bat dans le pays Ă  propos de l’opportunitĂ© d’occuper de maniĂšre dĂ©finitive le territoire araucan. Ces Ă©vĂ©nements eurent pour effet de renforcer la vision que les Chiliens avaient des Mapuches comme d’une dangereuse menace pour la colonisation naissante de l’Araucanie, et d’amener l’opinion publique chilienne Ă  insister sur la mise en Ɠuvre de moyens efficaces pour rĂ©soudre le conflit, Ă  savoir par l’incorporation complĂšte et irrĂ©vocable de l’Araucanie dans l’État chilien. Au surplus, le territoire mapuche Ă©tait perçu comme un coin enfoncĂ© entre d’une part la Zone centrale du Chili et d’autre part ChiloĂ© et la rĂ©gion de Llanquihue et d’Osorno, fraĂźchement colonisĂ©e par l’afflux d’immigrants allemands. L’entreprise de conquĂȘte de l’Araucanie Ă©tait vue comme l’extension de la civilisation vers le sud et apparaissait propre Ă  arracher les Mapuches Ă  leur Ă©tat de « barbarie » et d’« ignorance »[54] - [49] - [54]. Les Ă©vĂ©nements de 1859 contribueront Ă  la dĂ©cision des autoritĂ©s chiliennes de lancer une campagne militaire pour occuper le territoire rebelle[53].

DĂ©roulement

Cornelio Saavedra RodrĂ­guez en nĂ©gociation avec des loncos mapuches en 1869, pendant les premiĂšres phases de la conquĂȘte chilienne de l’Araucanie.

Les autoritĂ©s chiliennes rĂ©solurent de mettre en Ɠuvre le plan proposĂ© par le gĂ©nĂ©ral d’armĂ©e Cornelio Saavedra RodrĂ­guez, lequel plan comportait non seulement des actions militaires, mais aussi la pĂ©nĂ©tration pacifique des territoires mapuches, au moyen de l’importation de la culture chilienne de l’autre cĂŽtĂ© de la Frontera. L’on se proposait en effet de fonder des villes, de construire des infrastructures publiques telles que routes, lignes de tĂ©lĂ©graphie, et de crĂ©er des Ă©coles et des hĂŽpitaux. Les terres incorporĂ©es Ă  l’État chilien (tierras fiscales) seraient ensuite cĂ©dĂ©es Ă  des colons Ă  titre gracieux, pour stimuler le peuplement du territoire et dĂ©velopper la production de cĂ©rĂ©ales.

AvancĂ©e chilienne jusqu’au rĂ­o Malleco (1861–62)

En 1861, Saavedra donna ordre au major Pedro Lagos d’avancer jusqu’au confluent des fleuves MulchĂ©n et Bureo, oĂč, aprĂšs que le chef mapuche local, Manuel Nampai, eut remis la zone aux Chiliens, un petit fortin fut Ă©rigĂ© entre et , Ă  l’abri duquel la localitĂ© de MulchĂ©n commença Ă  se dĂ©velopper[55]. Suivant une coutume hĂ©ritĂ©e de l’époque coloniale, Saavedra accorda des prĂ©bendes aux caciques assujettis des zones autour de MulchĂ©n[56]. D’autre part, en prĂ©sentant sa dĂ©mission en , puis une nouvelle fois en , Saavedra tenta de mettre le gouvernement chilien sous pression pour que celui-ci approuvĂąt son entreprise[57] - [58] - [59].

En 1862, Saavedra et sa troupe de 800 soldats fit mouvement vers les ruines de la ville d’Angol, qu’il refonda, tandis que d’autres troupes s’employaient Ă  renforcer les dĂ©fenses de Los Ángeles, Negrete (oĂč sera construit un fort), Nacimiento et MulchĂ©n. La dĂ©fense de PurĂ©n et de Santa BĂĄrbara fut finalement assurĂ©e par des groupes de civils[60]. Aussi, en peu de temps, Saavedra rĂ©ussit-il Ă  s’emparer d’une portion (d’une centaine de km de profondeur) du territoire mapuche jusqu’au rĂ­o Malleco[61], ainsi que de MulchĂ©n et de Lebu, en 1862. Dans la bande cĂŽtiĂšre, il parvint jusqu’au fleuve ToltĂ©n.

Le lonco QuilapĂĄn, vers 1870.

Si cette premiĂšre percĂ©e fut exĂ©cutĂ©e sans rencontrer de grande rĂ©sistance, il se produisit ensuite un soulĂšvement des Mapuches habitant le long du rĂ­o Malleco, commandĂ©s par le lonco QuilapĂĄn. L’annĂ©e suivante, plus de 1 500 soldats chiliens se trouvaient concentrĂ©s Ă  Angol en vue d’opĂ©rations dans l’intĂ©rieur des terres araucanes[62].

RĂ©action mapuche et progression chilienne sur le littoral (1863–68)

En , sous la pression politique des ministres du prĂ©sident JosĂ© JoaquĂ­n PĂ©rez, Saavedra dut prendre sa retraite de l’armĂ©e[63]. Cependant, la guerre hispano-sud-amĂ©ricaine opposant l’Espagne Ă  une alliance entre le Chili et le PĂ©rou incita le gouvernement Ă  rappeler Saavedra sous les armes en 1866 et Ă  le charger de dĂ©fendre la cĂŽte de l’Araucanie contre de possibles attaques espagnoles. Saavedra donna l’ordre de construire un fort sur le littoral entre Lebu et le fleuve Imperial[64], et se vit mettre Ă  sa disposition par le gouvernement trois vaisseaux Ă  vapeur pour reconnaĂźtre la cĂŽtĂ©. En , la localitĂ© cĂŽtiĂšre de Queule (au sud du ToltĂ©n) fut occupĂ©e par les troupes chiliennes[65].

En rĂ©ponse Ă  l’avancĂ©e chilienne, les autochtones "arribanos" dĂ©cidĂšrent d’engager la guerre contre le Chili, pendant qu’au contraire les Lafquenches du lac Budi, de ToltĂ©n et de Queule tinrent une rĂ©union oĂč ils proclamĂšrent leur neutralitĂ© dans le conflit, mais aussi leur loyautĂ© au gouvernement chilien. Les Pehuenches aussi se dĂ©clarĂšrent neutres, et leur chef Pichiñån se serait selon certaines affirmations exprimĂ© contre les Moluches, affirmant que ceux-ci, qui voulaient la guerre, s’étaient compromis dans le vol et qu’ils recevaient pour cela leur juste chĂątiment de la part les Chiliens. L’historien JosĂ© Bengoa estime que la neutralitĂ© des Pehuenches s’explique par le fait que leurs terres dans les Andes avaient jusque-lĂ  Ă©chappĂ© Ă  la colonisation[59].

En 1867, Saavedra convia les Mapuches Ă  un parlement, oĂč il les informa de la dĂ©cision chilienne d’édifier une ligne de fortifications sur le fleuve Malleco[66]. Environ un millier d’Abajinos prit part Ă  ce parlement ; les Arribanos quant Ă  eux rassemblĂšrent quelque 2 000 de leurs hommes autour du lieu de pourparlers, mais refusĂšrent d’y participer tant que les Chiliens n’eussent d’abord dĂ©pĂȘchĂ©s plusieurs de leurs hommes Ă  titre d’otages. MalgrĂ© cet incident, le parlement se tint le lendemain, et les Mapuches seraient devenus furieux en dĂ©couvrant les plans de Saavedra et en apprenant que le chef mapuche Nahueltripai avait autorisĂ© les Chiliens Ă  Ă©tablir des forts sur ses terres[67]. Ces Ă©vĂ©nements conduiront Ă  la constitution d’une alliance entre les Abajinos du nord et les Arribanos[66].

En effet, en , 4 000 Ă  5 000 guerriers mapuches, en provenance de Moquehua, de Boroa et de La Imperial, s’étaient rassemblĂ©s dans la zone montagneuse de Chihuaihue[68]. Les Arribanos (ceux d’en haut) de QuilapĂĄn avaient rĂ©ussi Ă  coordonner une rĂ©bellion avec les Abajinos cĂŽtiers (ceux d’en bas), sous le commandement de Catrileo, Coñoepan, Marileo et Painemal ; armĂ©s de 3 000 lances, ils traversĂšrent la cordillĂšre de Nahuelbuta, Ă  l’ouest d’Angol, puis se dirigĂšrent au nord du fleuve Malleco, oĂč les rebelles rĂ©unirent toutes leurs troupes, et remportĂšrent plusieurs victoires Ă  TraiguĂ©n, Curaco et Perasco, en combinant malones (razzias) et tactiques de guĂ©rilla. D’autres sources cependant, dont Saavedra lui-mĂȘme, estimaient que les Abajinos et les Arribanos, mĂȘme en prenant en compte les contingents venus des pampas, ne dĂ©passaient pas les 4 000 lances[69] - [70].

La Guerre sans quartier (1868–1871)

En , 1 500 Mapuches furent battus Ă  Chihuaihue par le gĂ©nĂ©ral JosĂ© Manuel Pinto. Les Araucans surent toutefois se rĂ©organiser et attaquĂšrent la ville d’Angol, ce qui incita le ministre de la Guerre, Francisco Echaurren, Ă  ordonner Ă  ses troupes de faire mouvement avec des renforts vers la province de CautĂ­n. Sur le littoral, le colonel Saavedra occupa Cañete et Tucapel, Ă©touffant la rĂ©bellion de 1 500 guerriers Ă  PurĂ©n. Le , les Mapuches et l’armĂ©e chilienne parvinrent Ă  un accord Ă  Angol, qui ne fut que de courte durĂ©e, car QuilapĂĄn se rebella Ă  nouveau, avec 3 000 lances, lesquelles furent cependant vaincues le par une armĂ©e de 2 500 soldats chiliens Ă  Collipulli[71]. Le gĂ©nĂ©ral Pinto mena alors des opĂ©rations particuliĂšrement meurtriĂšres contre les Mapuches, conjuguĂ©es Ă  des actions consistant Ă  saisir systĂ©matiquement les troupeaux et les rĂ©coltes et Ă  incendier les rucas (maisons mapuches traditionnelles) et les provisions[46]. Si en 1869, cette guerre offensive — la Guerra sin cuartel, la Guerre sans quartier — menĂ©e par Saavedra avait Ă©tĂ© un succĂšs, car prenant les Araucans par surprise, cette mĂȘme tactique tourna au fiasco Ă  l’étĂ© 1870-1871, lorsque les autochtones eurent adaptĂ© leur tactique, prĂ©fĂ©rant dĂ©sormais la plupart du temps se retirer et esquiver le combat frontal[72]. Les critiques exprimĂ©es Ă  l’encontre de la mĂ©thode employĂ©e par les militaires conduisirent le haut commandement Ă  rĂ©duire les opĂ©rations offensives et Ă  opter plutĂŽt pour la consolidation des conquĂȘtes dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ©es, ce qui se traduisit par la construction d’un grand nombre de forts et de foyers de peuplement sur le littoral araucanien et dans la vallĂ©e du rĂ­o Malleco-TraiguĂ©n[73]. Ce virage tactique apporta une relative accalmie dans la rĂ©gion dans les dix annĂ©es suivantes[74].

Parlements de ToltĂ©n et d’Ipilco (dĂ©cembre 1869 et janvier 1870)

À la fin de 1869 et dĂ©but 1870, Saavedra convoqua deux parlements dans le but de couper court aux tentatives que, dans l’espoir de pouvoir rĂ©unir plus de 8 000 lances, son principal ennemi QuilapĂĄn faisait alors pour mettre sur pied une alliance avec les Abajinos et les Huilliches du sud du fleuve CautĂ­n : l’un eut lieu Ă  ToltĂ©n et l’autre Ă  Ipinco (non loin de PurĂ©n). À ToltĂ©n, Saavedra s’efforça de conclure des pactes avec les chefs huilliches du sud afin d’isoler QuilapĂĄn. Les chefs participant Ă  la rĂ©union ne purent se mettre d’accord sur le point de savoir si Saavedra devait ou non ĂȘtre autorisĂ© Ă  Ă©tablir une localitĂ© dans le sud de l’Araucanie. Lors de cette mĂȘme rĂ©union, les caciques mapuches rĂ©vĂ©lĂšrent Ă  Saavedra qu’OrĂ©lie-Antoine de Tounens se trouvait de nouveau en Araucanie. Celui-ci, ayant appris que son retour avait Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ© Ă  Saavedra, jugea prĂ©fĂ©rable de s’enfuir en Argentine, mais non sans avoir auparavant promis Ă  QuilapĂĄn de lui obtenir des armements[75] - [76]. Certains ont rapportĂ© qu’une cargaison d’armes saisie par les autoritĂ©s argentines Ă  Buenos Aires en 1871 avait Ă©tĂ© commandĂ©e par Tounens[77]. Un navire de guerre français, le d’Entrecasteaux, qui jeta l’ancre en 1870 devant Corral, fera d’ailleurs naĂźtre chez Saavedra le soupçon de quelque interfĂ©rence française dans le conflit[75].

Au parlement d’Ipinco (du ) avec les Abajinos, ceux-ci rejetĂšrent l’ensemble des points proposĂ©s par Saavedra. Le parlement nĂ©anmoins fut propice aux forces chiliennes au sens oĂč il servit Ă  affaiblir l’alliance des Abajinos et des Arribanos[75]. En dĂ©finitive, QuilapĂĄn se retrouva seul avec les 2 500 lances que les Arribanos pouvaient aligner pour leur compte[76].

Guerre dĂ©clarĂ©e (mai 1870 – mars 1871)

Troupes chiliennes pendant la campagne militaire contre l’Araucanie.

En 1870, l’armĂ©e chilienne reprit ses opĂ©rations contre les Mapuches. JosĂ© Manuel Pinto dĂ©clara formellement la guerre aux Mapuches au nom du Chili en [78]. Dans la pĂ©riode de 1870 Ă  1871, les Mapuches avaient coutume d’évacuer leurs familles d’avance, avant l’arrivĂ©e de l’armĂ©e chilienne, connue pour ĂȘtre encline au pillage. Pendant l’hiver 1870, les militaires chiliens ne cessaient d’incendier les rukas et de voler le bĂ©tail des autochtones. Ces actions, sans effet dĂ©terminant, furent moquĂ©es dans les journaux de Santiago[72]. Cependant, la situation de nombreux Mapuches s’aggravait, et le journal El Meteoro faisait Ă©tat de pĂ©nurie de nourriture, d’effectifs de bĂ©tail en baisse et de l’impossibilitĂ© par beaucoup de Mapuches de procĂ©der aux moissons et aux semailles pendant prĂšs de trois ans[79]. En 1870, le cacique Domingo MelĂ­n, mandatĂ© par QuilapĂĄn, tenta d’arriver Ă  un accord de paix avec le Chili, mais en vain[80].

À l’étĂ© 1871, QuilapĂĄn rassembla une armĂ©e, y compris des renforts mapuches venus d’Argentine, et lança une offensive contre la ligne fortifiĂ©e du Malleco et contre les colons installĂ©s dans les zones circonvoisines. Cette offensive fut repoussĂ©e par les troupes chiliennes, dont la cavalerie venait d’échanger ses fusils MiniĂ© pour des fusils Ă  rĂ©pĂ©tition Spencer, s’assurant ainsi un net avantage sur les guerriers mapuches[80].

TrĂšve officieuse (1871-1881)

QuilapĂĄn envoya en une missive Ă  Orozimbo Barbosa pour solliciter un accord de paix[80]. Sans qu’un accord fĂ»t ateint, l’on convint nĂ©anmoins de cesser les hostilitĂ©s pour dix ans (1871-1881)[81] - [74]. En 1871, pour motifs politiques, Cornelio Saavedra dut renoncer au commandement de l’ArmĂ©e d’opĂ©rations en Araucanie (en espagnol EjĂ©rcito de Operaciones en la AraucanĂ­a)[82]. Pendant la pĂ©riode qui suivit la guerre de 1871, les Mapuches eurent Ă  souffrir de nombreuses exactions, voire d’assassinats, de la part des colons et de militaires chiliens[83] - [84].

La guerre du Pacifique (1879-1883), qui opposait dans le nord du pays le Chili au PĂ©rou et Ă  la Bolivie, eut pour consĂ©quence une concentration des forces de l’armĂ©e chilienne sur ce conflit, dĂ©garnissant ainsi les garnisons en Araucanie. Les Mapuches profitĂšrent de cette situation pour lancer de nouvelles attaques contre les postes chiliens situĂ©s dans la zone frontaliĂšre. Cet affaiblissement apparent de la prĂ©sence militaire chilienne en Araucanie, s’ajoutant aux nombreux abus commis par les Chiliens, porta les Mapuches Ă  organiser un vaste soulĂšvement[83]. Selon l’historien et anthropologue chilien JosĂ© Bengoa, ce fut la premiĂšre fois dans toute l’histoire que les Mapuches, d’ordinaire trĂšs dĂ©centralisĂ©s, unirent leurs forces en une seule insurrection(en)_K._J._Worthen,_«_The_role_of_indigenous_groups_in_constitutional_democracies:_A_Lesson_from_Chile_and_the_United_States_»,_dans_C._P._Cohen,_The_Human_Rigts_of_Indigenous_Peoples,_New_York,_Transnational_Publishers,__85-0">[85].

En 1880, en rapport avec une affaire de vol de chevaux, le cacique Domingo MelĂ­n fut escortĂ© par des troupes chiliennes vers Angol, afin qu’il y fĂźt une dĂ©position, mais avant d’arriver Ă  destination, Domingo MelĂ­n et quelques membres de sa famille furent exĂ©cutĂ©s par les militaires chiliens[84]. Les Mapuches rĂ©pliquĂšrent en attaquant le fort et le village de TraiguĂ©n en . PrĂšs d’un millier de guerriers participĂšrent Ă  ces represailles, ce qui semble indiquer, selon Bengoa, que les Mapuches s’étaient prĂ©parĂ©s Ă  la guerre[84]. Ce nouveau soulĂšvement s’accompagna de lourdes pertes dans les deux camps.

Cependant, la guerre du Chili contre la Bolivie et le PĂ©rou s’était entre-temps achevĂ©e (par une victoire chilienne), et le gouvernement de Domingo Santa MarĂ­a donna bientĂŽt instruction Ă  l’armĂ©e chilienne de reprendre vigoureusement la campagne d’annexion de l’Araucanie. C’est au colonel Gregorio Urrutia que fut confiĂ©e la mission d’incorporer Ă  l’État chilien le territoire mapuche restant.

Dans le mĂȘme temps, de l’autre cĂŽtĂ© de la cordillĂšre des Andes, l’Argentine amorçait avec succĂšs la dĂ©nommĂ©e ConquĂȘte du dĂ©sert sur ses vastes territoires de la pampa et de la Patagonie. Cette action militaire et gĂ©opolitique permit Ă  l’État argentin de mettre dĂ©finitivement sous sa tutelle ces zones hĂ©ritĂ©es de la vice-royautĂ© du RĂ­o de la Plata mais jusque-lĂ  peuplĂ©es par plusieurs peuples autochtones nomades appartenant Ă  l’ethnie pampa ayant subi le processus d’araucanisation (ou mapuchisation). Cette campagne militaire argentine de 1880 refoula de nombreux Mapuches hors d’Argentine en direction de l’Araucanie chilienne. Le chef pehuenche PurrĂĄn fut fait prisonnier par les troupes argentines, aprĂšs quoi celles-ci s’enhardirent Ă  pĂ©nĂ©trer dans la vallĂ©e de Lonquimay, que le Chili considĂ©rait comme une partie de son territoire. Cette rapide avancĂ©e argentine ne fut pas sans alarmer les autoritĂ©s chiliennes et contribua en 1881 Ă  la recrudescence des affrontements entre Chiliens et Mapuches[86].

Communes regroupées selon les dates de leur fondation, les communes du XIXe siÚcle ont été fondées sous forme de forts. Et ceux de Curarrehue et Teodoro Schmidt ont été organisés à partir des populations précédentes dÚs 1981.

Avance chilienne jusqu’au Cautín et insurrection Mapuche de 1881

Le , 3 000 autochtones attaquĂšrent TraiguĂ©n, ravageant les propriĂ©tĂ©s agricoles et s’emparant du bĂ©tail[68]. Ayant Ă©tĂ© repoussĂ©s de TraiguĂ©n et du fort de LebuelmĂĄn, les Mapuches se remirent en mouvement et entreprirent d’attaquer le fort de Los Sauces, entraĂźnant avec eux en cours de route un nombre grandissant de lances, jusqu’à atteindre un effectif de quelque 1 500 guerriers. Leur assaut toutefois Ă©choua, et lorsqu’ils attaquĂšrent la ligne de dĂ©fense du Malleco, qu’ils croyaient dĂ©garnie de soldats, ils furent massacrĂ©s. Poursuivant sur leur lancĂ©e, les troupes chiliennes traversĂšrent le fleuve CautĂ­n, et le fondĂšrent le fort de Temuco[87]. Les autochtones ripostĂšrent en attaquant ce mĂȘme mois deux caravanes dans les montagnes de Ñielol, tuant une centaine de personnes[88].

Troupes chiliennes employĂ©es Ă  l’occupation et Ă  la reconstruction de Villarrica en 1883, dans la phase finale de la campagne militaire.

Au dĂ©but du mois de novembre eut lieu l’ultime soulĂšvement autochtone : quelque 6 000 Ă  7 000 Conas prirent part aux combats, oĂč plus de mille d’entre eux pĂ©rirent ou furent blessĂ©s[89]. D’aprĂšs Horacio Lara, les tribus araucanes, numĂ©riquement dĂ©jĂ  affaiblies par une guerre ininterrompue, ne pouvaient Ă  ce moment aligner que 8 000 lances : 2 000 Arribanos, 2 000 Abajinos, 1 000 Costinos, le reste Ă©tant des lances huilliches. Cependant l’habile diplomatie chilienne sut faire en sorte que les tribus n’agissent jamais de concert, comme un seul groupe soudĂ©[90] - [91] - [92].

À Lumaco, l’offensive autochtone fut dĂ©clenchĂ©e le , sous le commandement de Luis Marileo ColipĂ­, avec de 300 Ă  1 000 lances. Le fort Ă©tait dĂ©fendu par 45 gardes nationaux et 20 soldats dirigĂ©s par le capitaine Juan Barra[93], et le 15, la bataille Ă©tait terminĂ©e[94]. Les forts de Budi et de ToltĂ©n restaient assiĂ©gĂ©s[95], pendant que Nueva Imperial fut dĂ©truite le 7 et que les habitants survivants furent contraints de fuir vers les montagnes[96]. TirĂșa fut assaillie au mĂȘme moment, mais en vain ; Ă  partir de lĂ , l’armĂ©e chilienne engagea des expĂ©ditions de reprĂ©sailles[97]. Le fort de Ñielol fut attaquĂ© le , mais les Mapuches, aprĂšs avoir Ă©tĂ© un moment en passe d’enlever le fort, durent se retirer, aprĂšs avoir subi des centaines de pertes[98].

Pourtant, le plus grand affrontement de cette phase de la guerre fut la bataille de Temuco, entre les 3 et . Le fort, que commandait le major Bonifacio Burgos, rĂ©sista aux assauts de 4 000 guerriers (ou le double, selon certains auteurs[88]) sous les ordres du cacique Esteban Romero. Les Mapuches se retireront aprĂšs avoir souffert plus de 400 pertes[99]. Vers le milieu du mois, les combats cessĂšrent, tandis que les troupes chiliennes menaient plusieurs opĂ©rations punitives pour garantir la rĂ©gion. À l’étĂ© de l’annĂ©e suivante, les Pehuenches seront dĂ©finitivement assujettis[100].

Lors de sa campagne, Urrutia Ă©rigea plusieurs forts, et parvint finalement dans la zone du lac Villarrica, oĂč il fonda Ă  nouveau, le , la ville homonyme, mettant effectivement fin par cette action Ă  la guerre d’Arauco, au bout de plus de trois cents annĂ©es de conflit[101].

Suites et prolongements

La fin de la guerre scella l’occupation intĂ©grale de l’Araucanie et le transfert effectif de ce territoire sous la souverainetĂ© de l’État chilien. Du mĂȘme coup, le gouvernement du Chili Ă©tait finalement parvenu Ă  raccorder le territoire sis au nord du fleuve BiobĂ­o avec celui s’étendant au sud du fleuve ToltĂ©n (dans lequel par ailleurs se poursuivait dans le mĂȘme temps le processus de colonisation de Llanquihue).

Prise de possession par l’État chilien et dĂ©coupage du territoire conquis

En dĂ©pit d’une population autochtone de plusieurs dizaines de milliers d’individus, le discours officiel de l’époque dĂ©peignait l’Araucanie comme un dĂ©sert dĂ©mographique s’offrant au peuplement et Ă  la mise en exploitation. DĂšs 1866, une loi disposait que les terres s’étendant au sud du fleuve BiobĂ­o appartenaient dĂ©sormais Ă  l’État. En 1883, la guerre terminĂ©e, une commission gouvernementale fut crĂ©Ă©e et chargĂ©e de veiller Ă  ce que les familles mapuches fussent placĂ©es dans des rĂ©serves (« rĂ©ductions »), c’est-Ă -dire sur les terres dĂ©finies comme les leurs aux termes de la nouvelle lĂ©gislation. En parallĂšle, on s’employa Ă  dĂ©limiter les terrains « vacants » susceptibles d’ĂȘtre mis en vente. Une sĂ©rie de lois prĂ©cisera les conditions d’accĂšs Ă  la propriĂ©tĂ© australe, interdisant notamment l’acquisition de terrains de grĂ© Ă  grĂ© auprĂšs des autochtones. De 1873 Ă  1899, plus de 1 125 000 hectares passeront ainsi en mains privĂ©es. Ce systĂšme, qui permettait Ă  une mĂȘme personne de se porter acquĂ©reur de plusieurs terrains Ă  la fois, conduisit Ă  la constitution de fundos (grandes propriĂ©tĂ©s terriennes) par l’élite chilienne, dont ceux de JosĂ© Bunster et de Federico Varela, ou les 600 hectares de forĂȘt acquises par la firme AlbarracĂ­n et Urrutia Ă  Tolhuaca en 1889[102].

Ainsi, Ă  la phase militaire du contrĂŽle des territoires mapuches (1861-1883) succĂ©da bientĂŽt une politique active de mise en vente des terres et de colonisation de la rĂ©gion, d’urbanisation croissante et de raccordement du territoire au rĂ©seau chilien de transport et de communication, politique sous-tendue par une idĂ©ologie qui exaltait la mission civilisatrice du Chili et mettait en avant le progrĂšs social et matĂ©riel de ses habitants, tout en dĂ©veloppant une certaine utopie agraire qui verrait surgir une classe de petits propriĂ©taires terriens chiliens susceptibles de faire siennes les aptitudes de leurs voisins autochtonesp. CIX)_103-0">[103].

Colonisation chilienne et européenne

Carte des propriétés fonciÚres dans la région du fleuve Cautín en 1916.

ParallĂšlement, le gouvernement central lançait une politique de colonisation europĂ©enne. L’Araucanie nouvellement conquise Ă©tait conçue comme une nouvelle Californie, dont les richesses agro-pastorales et forestiĂšres devaient conduire Ă  une ruĂ©e massive d’agriculteurs nationaux, mais aussi Ă©trangers, et permettre l’essor du Chili dans le domaine de l’exportation cĂ©rĂ©aliĂšre. L’Araucanie connut du reste aussi son mirage aurifĂšre. Le projet migratoire partait du principe que l’afflux de colons europĂ©ens aurait pour corollaire le progrĂšs Ă©conomique de la rĂ©gion, grĂące Ă  l’esprit laborieux et Ă  la formation qualifiĂ©e des travailleurs d’outre-Atlantique[104].

Une premiĂšre tentative rĂ©ussie de colonisation dans le sud avait eu lieu dans la dĂ©cennie 1850, avec l’établissement de colons allemands dans les rĂ©gions d’Araucanie mĂ©ridionale, au sud du ToltĂ©n, autour de la ville de Valdivia et du lac Llanquihue. En 1874, une loi dĂ©finissait les conditions d’établissement des colons Ă©trangers, puis une agence gĂ©nĂ©rale d’Immigration et de Colonisation du Chili, avec siĂšge en Europe, fut crĂ©Ă©e en 1882 afin de recruter les candidats Ă  la colonisation directement sur place. Au Chili, l’accueil et l’installation des colons Ă©taient assurĂ©s par une inspection gĂ©nĂ©rale des Terres et de la Colonisation, fondĂ©e en 1883 et Ă©tablie tour Ă  tour Ă  Angol, TraiguĂ©n, puis Temuco[105].

Un second essai de colonisation fut menĂ© dans la dĂ©cennie 1880 : de 1882 Ă  1890, prĂšs de 7 000 colons, d’origine principalement suisse, allemande, française et anglaise, et, Ă  un degrĂ© moindre, espagnole, belge et russe, vinrent s’installer dans les provinces de Malleco et de CautĂ­n et furent rĂ©partis dans des colonies implantĂ©es Ă  Victoria, Ercilla, Quino, QuillĂ©n (dans l’actuelle commune de Carahue), Lautaro, Temuco, La Imperial, Galvarino, PurĂ©n, Contulmo et Quechereguas (prĂšs de Molina). Ils se virent attribuer une hijuela (lopin de terre) et accorder des avantages en nature pour faciliter leur installation (planches de bois pour la construction de la premiĂšre maison provisoire, bĂ©tail, semences, outils etc.), qui devront ĂȘtre remboursĂ©s ultĂ©rieurement. Les recrues Ă©taient en prioritĂ© des agriculteurs de formation, ou du moins se dĂ©clarant tels, car nombre d’entre eux avaient bernĂ© leurs recruteurs et se verront rapidement contraints d’abandonner leur hijuela et de chercher en ville, pour survivre, un emploi conforme Ă  leurs aptitudes rĂ©elles[106].

Dans l’idĂ©ologie de la classe dirigeante, la prĂ©sence du colon europĂ©en devait permettre l’assainissement d’une rĂ©gion qui, si elle Ă©tait sous-exploitĂ©e du temps de la domination autochtone, Ă©tait retombĂ©e par la suite Ă  la merci du roturier (esp. roto) chilien — ou, comme l’exprimera le ministre Isidoro ErrĂĄzuriz : « À la barbarie araucane, conservatrice de la richesse des terrains, a succĂ©dĂ© un systĂšme non moins barbare d’exploitation ». Profitant de la dĂ©faite militaire des Mapuches, le roto s’était abusivement installĂ© sur les nouveaux terrains fiscaux de l’État, menant une agriculture intensive qui Ă©puise les sols et assĂšche les courants d’eau, tout en refoulant devant lui les limites de la forĂȘt vierge qui faisait autrefois la prospĂ©ritĂ© de la rĂ©gion. La cohabitation entre le Mapuche, le Chilien et l’étranger, qu’ErrĂĄzuriz qualifia de lutte pour la survivance et la domination entre les « trois races » qui se faisaient concurrence en Araucanie — Tres razas est le titre d’un de ses ouvrages —, Ă©tait le fondement de la nouvelle sociĂ©tĂ© araucane. En raison de son potentiel civilisateur, c’est l’EuropĂ©en que le gouvernement tendra dans un premier temps Ă  privilĂ©gier, dĂ©laissant le Chilien pauvre, qui, Ă  la recherche d’un lopin de terre Ă  exploiter, Ă©tait perçu comme un mauvais investissement. ErrĂĄzuriz en particulier rejeta les requĂȘtes de certains membres de l’élite qui militaient pour que le statut de colon fĂ»t ouvert Ă©galement aux Chiliens modestes ne pouvant pas se permettre l’achat d’un terrain en Araucanie ; selon lui, il n’y avait pas de prĂ©judice Ă  favoriser l’EuropĂ©en au dĂ©triment de l’élĂ©ment national, dans la mesure oĂč celui-ci avait dĂ©montrĂ© son inaptitude Ă  cultiver la terre. Dans ce contexte, le conflit entre l’élĂ©ment europĂ©en et l’élĂ©ment chilien sera permanent, ce dernier s’estimant lĂ©sĂ© en regard de l’étranger[107]. Charles Wiener note :

« Le Chili n’appelle pas les Ă©migrants en masse comme la rĂ©publique argentine. [
] Ils ont des prĂ©fĂ©rences pour certaines races comme les Basques ou les Suisses ; ils choisissent des individus et des familles ayant quelques petites Ă©conomies[108]. »

Photographie d’une famille d’immigrants italiens à Capitán Pastene, en Araucanie.

En 1890 nĂ©anmoins, on mit un terme Ă  la politique de colonisation europĂ©enne pilotĂ©e et financĂ©e par l’État chilien, pour donner dĂ©sormais la prĂ©fĂ©rence Ă  l’immigration libre ou industrielle, davantage axĂ©e sur les centres urbains. DĂšs lors, l’inspection gĂ©nĂ©rale des Terres et de la Colonisation eut pour tĂąche principale de « relever et de mesurer les immenses terrains fiscaux encore vierges entre le CautĂ­n et la CordillĂšre, et de les diviser par des fajas ou sentiers en lots de 1 000 Ă  2 000 hectares qui seront ultĂ©rieurement mis en vente publique Ă  Santiago »[109]. Au lendemain de la guerre civile de 1891, des terrains furent cĂ©dĂ©s Ă  des officiers puis Ă  des soldats de l’armĂ©e en rĂ©compense des services rendus lors des derniĂšres campagnes militaires. En 1895, le gouvernement reprit de nouveau sa politique de colonisation europĂ©enne, en faisant le pari de mettre Ă  contribution cette fois des compagnies privĂ©es de colonisation[110]. Au total, 36 000 EuropĂ©ens Ă©taient ainsi arrivĂ©s en 1901, dont 24 000 sous contrat avec l’agence de colonisation, et 12 000 venus par leurs propres moyens[111].

La politique de colonisation aura, du moins aux yeux de certains (notamment de TomĂĄs Guevara[112]), permis le progrĂšs industriel et agricole des provinces de l’ancien territoire araucan. Finalement, l’efficacitĂ© du systĂšme apparaĂźtra nĂ©anmoins limitĂ©e. Le taux d’établissement dĂ©finitif de colons sur les terres octroyĂ©es resta faible en raison notamment de la mauvaise qualitĂ© des terrains, du manque d’assistance de l’État, de l’insĂ©curitĂ©, de l’inefficacitĂ© policiĂšre et de l’arbitraire des administrations publiques, mais aussi de l’inadĂ©quation du profil professionnel des colons, sans parler de l’hostilitĂ© des Chiliens toujours latente. Ces derniers arriveront en masse Ă  partir de 1896, par suite de l’aggravation du conflit frontalier entre le Chili et l’Argentine : prĂšs de 7 500 individus en provenance de l’autre versant des Andes recevront le statut de colon et viendront s’installer en Araucanie. AprĂšs plusieurs annĂ©es de dĂ©bat, le statut de colon sera finalement ouvert aux Chiliens ; en 1898, une loi fut adoptĂ©e qui vint rĂ©glementer la colonisation nationale et prĂ©voyait notamment un terrain de 50 hectares par chef de famille, plus 20 hectares supplĂ©mentaires par fils ĂągĂ© de plus de douze ans[113].

Création de réserves (réductions du territoire)

AprĂšs leur dĂ©faite, les Mapuches furent concentrĂ©s dans des « rĂ©ductions », petites rĂ©serves mapuches, gĂ©nĂ©ralement sĂ©parĂ©es les unes des autres par des zones occupĂ©es par des immigrants chiliens et europĂ©ens. ConsidĂ©rĂ©es comme une concession de l’État chilien, placĂ©es sous le rĂ©gime de la propriĂ©tĂ© communale Ă  l’usage des autochtones, ces rĂ©serves Ă©taient dĂ©signĂ©es par le terme de « titres de pitiĂ© » (tĂ­tulo de merced) ; en 1929, elles Ă©taient au nombre de 3 078, totalisant 525 000 hectares, soit 6,18 % du territoire mapuche ancestral, et comprenaient des terres souvent inhospitaliĂšres et peu fertiles[114]. Cependant, le systĂšme des rĂ©serves, qui regroupait des familles d’ascendances diffĂ©rentes sur des lopins de terre aux dimensions rĂ©duites, s’accordant mal avec l’ancien style de vie nomade ou semi-nomade des Mapuches et Ă  leur organisation sociale par clans et familles, mettait Ă  mal les rĂ©seaux de solidaritĂ© et de subsistance qui sous-tendaient le fonctionnement de la sociĂ©tĂ© mapuche, et engendra des conflits internes entre eux. NĂ©anmoins, les Mapuches feront preuve d’une grande capacitĂ© Ă  s’adapter Ă  leur nouvelle situation[115] - [116] : les familles cantonnĂ©es dans les rĂ©serves se convertissent progressivement en petits exploitants agricoles et Ă©leveurs, et passĂšrent Ă  un systĂšme de petit paysannat. Toutefois, au-delĂ  du fleuve CautĂ­n, dans la « rĂ©gion sauvage », les autochtones bĂ©nĂ©ficiaient encore de leurs territoires originels et d’une certaine prospĂ©ritĂ©. Mais les Mapuches subissaient Ă  l’époque de nombreux affronts, l’usurpation de terres restant la vexation la plus souvent dĂ©noncĂ©e, sans parler des assassinats d’autochtones sur simple soupçon de vol[117]. La production textile reprĂ©sentait l’une des rentrĂ©es pĂ©cuniaires les plus fiables des Mapuches[118].

Révoltes mapuches ultérieures

Plus tard, seules auront lieu encore quelques rĂ©bellions mapuches mineures, la plus grave Ă©tant celle survenue en 1934, lors de laquelle 477 paysans et Mapuches (qui s’étaient rebellĂ©s contre ce qu’ils considĂ©raient ĂȘtre des abus de la part des administrateurs des scieries installĂ©es dans la rĂ©gion du BiobĂ­o fraĂźchement ouverte Ă  l’exploitation) furent tuĂ©s par l’armĂ©e chilienne dans le dĂ©nommĂ© massacre de RĂĄnquil ; 500 autres furent faits prisonniers, dont seulement 23, selon ce que dĂ©noncera le sĂ©nateur pour Temuco Juan Pradenas Muñoz, seront conduits au chef-lieu pour y passer en jugement, les autres ayant probablement Ă©tĂ© Ă©liminĂ©s[119] - [120] - [121].

Notes et références

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  2. Bengoa Cabello 2000, p. 45-46.
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  5. Verniory 2013, prĂ©face de Paz NĂșñez-Regueiro, p. CXXXI.
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  • (es) Luis Vitale, Medio milenio de discriminaciĂłn al pueblo mapuche : Mesa Redonda EtnĂ­as indĂ­genas y diversidad cultural del Encuentro de InvestigaciĂłn 2000 de la Universidad de Chile, Santiago de Chile, (lire en ligne).
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