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Mutinerie d’Arequito

La mutinerie d’Arequito (en esp. MotĂ­n de Arequito) est la rĂ©bellion des officiers de l’armĂ©e du Nord des Provinces-Unies du RĂ­o de la Plata, qui eut lieu le Ă  Arequito, localitĂ© de la province de Santa Fe, dans l’actuelle Argentine, et par laquelle ces officiers rĂ©ussirent Ă  se soustraire Ă  la guerre civile menĂ©e par le pouvoir central de Buenos Aires contre les fĂ©dĂ©ralistes des provinces de l’intĂ©rieur. Le dessein des rebelles Ă©tait de retourner au front du Haut-PĂ©rou pour y combattre les troupes royalistes plutĂŽt que leurs propres concitoyens ― objectif qu’il ne fut pas donnĂ© cependant aux rebelles de rĂ©aliser. La mutinerie d’Arequito marqua le dĂ©but de la dĂ©sintĂ©gration finale du Directoire et sera l’une des principales causes de la dĂ©faite de celui-ci lors de la bataille de Cepeda de . Elle mit fin par ailleurs Ă  l’armĂ©e auxiliaire du PĂ©rou, mieux connue par la suite sous la dĂ©nomination d’armĂ©e du Nord. Au mĂȘme moment se souleva Ă  San Juan le rĂ©giment n° 1 de Chasseurs andins.

Le fédéralisme dans le Río de la Plata

Depuis la rĂ©volution de Mai de 1810, les gouvernements argentins successifs prĂ©tendaient gouverner de façon centralisĂ©e toutes les provinces dont se composait la dĂ©funte vice-royautĂ© du RĂ­o de la Plata, en brandissant l’argument selon lequel, la tutelle du roi d’Espagne une fois levĂ©e, les droits de ce dernier devaient ĂȘtre rĂ©trocĂ©dĂ©s au peuple. Toutefois, avec la dissolution du gouvernement de la Grande Junte en , apparut au grand jour l’ambition de la ville de Buenos Aires de dominer seule le pays tout entier, en consultant le moins possible les autres peuples (dans la terminologie de l’époque, « peuple » se rĂ©fĂšre aux villes avec la campagne circonvoisine, base de la structuration politique en AmĂ©rique espagnole).

Ces villes subalternes revendiquaient instamment, au nom des territoires dont elles Ă©taient le centre, une participation Ă©gale au gouvernement national et le pouvoir de nommer leurs propres gouvernants. Pendant des annĂ©es au contraire, les diffĂ©rents gouvernements au pouvoir Ă  Buenos Aires firent effort dans le sens contraire : tous les gouverneurs de province Ă©taient nommĂ©s directement par le gouvernement central, et dans les corps politiques constituĂ©s qui se mirent en place, la reprĂ©sentation de la ville de Buenos Aires Ă©tait toujours supĂ©rieure Ă  celle des autres villes. D’autre part, plusieurs des gouvernements centraux tombĂšrent Ă  la suite de coups d'État fomentĂ©s exclusivement Ă  Buenos Aires mĂȘme, et le gouvernement national issu de chacun de ces coups de force Ă©tait invariablement nommĂ© par le cabildo portĂšgne.

La rĂ©action des provinces intĂ©rieures, si elle fut lente Ă  venir, Ă©tait inĂ©vitable. La premiĂšre rĂ©plique effective Ă  la prĂ©tention de Buenos Aires de gouverner seule vint de la Bande orientale, oĂč le caudillo local JosĂ© Artigas dĂ©nia Ă  la capitale le droit de gouverner sa province. En 1815, Ă  l’issue de plus d’une annĂ©e de guerre civile, il parvint Ă  dominer totalement la Province orientale, correspondant grosso modo Ă  l’actuel Uruguay.

Son exemple fut bientĂŽt suivi par les provinces du Litoral : d’abord celle d’Entre RĂ­os, oĂč plusieurs caudillos ― dont le dernier en date, et aussi le plus puissant et le plus capable, Ă©tait Francisco RamĂ­rez ― s’enhardirent Ă  expulser les gouverneurs dĂ©signĂ©s par le Directoire ; ensuite, avec un certain retard, la province de Corrientes Ă©galement refusa obĂ©issance au pouvoir central.

Le noyau de la contestation allait se situer dans la province de Santa Fe, laquelle se souleva contre la domination portĂšgne une premiĂšre fois en 1815, puis une nouvelle fois en 1816, sous la direction du caudillo Mariano Vera, auquel succĂ©dera ensuite Estanislao LĂłpez. Le gouvernement central mit tout en Ɠuvre pour empĂȘcher cette province de se soustraire Ă  sa tutelle, attendu que son territoire Ă©tait un passage obligĂ© pour les communications avec les provinces de l’intĂ©rieur. Pas moins de cinq expĂ©ditions militaires furent lancĂ©es depuis Buenos Aires pour Ă©craser la rĂ©sistance de Santa Fe, mais toutes Ă©chouĂšrent.

Les provinces du Litoral ne furent pas seules Ă  se dĂ©rober Ă  l’autoritĂ© du Directoire : la province de Salta se dota d’un gouvernement autonome sous la direction de MartĂ­n Miguel de GĂŒemes ; celle de Cuyo refusa que son gouverneur JosĂ© de San MartĂ­n fĂ»t remplacĂ© ; et celle de CĂłrdoba se donna son propre gouvernement en la personne de JosĂ© Javier DĂ­az, partisan d’Artigas. Mais, pour diverses raisons, les relations de ces provinces avec le gouvernement de Buenos Aires ne furent jamais tendues autant qu'elles le furent avec les provinces du Litoral.

Le Directoire n’envisagea jamais d’accepter quelque autre mode de relation avec les provinces de l’intĂ©rieur que celui de la soumission totale Ă  ses dictats. L’idĂ©e du fĂ©dĂ©ralisme fut formulĂ©e Ă  maintes reprises par les dirigeants artiguistes, mais sans que cela parvĂźnt jamais Ă  faire le moindrement douter les gouvernants de Buenos Aires de ce que leurs adversaires intĂ©rieurs n'Ă©taient que des « anarchistes », qualification qui avait alors la connotation de laisse-aller et de dĂ©sordre.

L’armĂ©e du Nord et la guerre civile

L’armĂ©e du Nord avait Ă©tĂ© mise sur pied pour mener la guerre d’indĂ©pendance dans le Haut-PĂ©rou ; cependant, elle sortit affaiblie de sa troisiĂšme dĂ©faite lors de la bataille de Sipe-Sipe, et se trouvait rĂ©duite Ă  tenir garnison Ă  TucumĂĄn. En thĂ©orie, sa mission Ă©tait d'attendre jusqu’à ce que les circonstances permissent de relancer la reconquĂȘte des provinces du Haut-PĂ©rou.

Le Directoire dĂ©cida d’affecter ces troupes Ă  Ă©craser les rĂ©bellions intĂ©rieures : en 1816, une fraction de l’armĂ©e du Nord fut employĂ©e pour remettre au pouvoir le gouverneur intendant (teniente gobernador) de La Rioja, et au dĂ©but de l’annĂ©e suivante, celui de Santiago del Estero (remise au pouvoir du reste assortie de l’exĂ©cution du dirigeant fĂ©dĂ©raliste de cette province, Juan Francisco Borges). Peu aprĂšs, une autre division de l’armĂ©e du Nord dut aider Ă  destituer le gouverneur de CĂłrdoba et maintenir au pouvoir ses successeurs.

En 1818, le Directeur suprĂȘme Juan MartĂ­n de PueyrredĂłn rĂ©solut d’annĂ©antir la sĂ©dition de Santa Fe au moyen d’une double offensive : tandis qu’une armĂ©e attaquerait la province par le sud, une division de l’armĂ©e du Nord ferait mouvement vers elle Ă  partir de l’ouest. L’initiative Ă©choua cependant Ă  la suite de la prompte dĂ©fense organisĂ©e par Estanislao LĂłpez, qui parvint Ă  faire barrage au chef de la division arrivĂ©e de CĂłrdoba, Juan Bautista Bustos, pour ensuite expulser les envahisseurs venus du sud. DĂ©but 1819, une deuxiĂšme tentative, de conception similaire, ne devait pas davantage aboutir.

Le gros de l’armĂ©e du Nord avait, au mĂ©contentement de nombre de ses membres, Ă©tabli son campement dans la province de CĂłrdoba, c'est-Ă -dire en un lieu fort Ă©loignĂ© de l’ennemi royaliste. En , un traitĂ© de paix conclu entre le gouvernement de Buenos Aires et celui de Santa Fe suscita l’espoir d’une solution des problĂšmes intĂ©rieurs, et les officiers croyaient pouvoir bientĂŽt retourner au front nord. Si les signataires se disposĂšrent Ă  concrĂ©tiser cette paix, ni Artigas, qui se considĂ©rait le supĂ©rieur de LĂłpez, ni le Directoire ne voulut s’y conformer. Le chef oriental entendait que le gouvernement national joignĂźt ses troupes aux siennes pour affronter les forces portugaises, qui venaient d’envahir sa province orientale. Le nouveau Directeur suprĂȘme, JosĂ© Rondeau, espĂ©rait quant Ă  lui Ă©craser Santa Fe, avec le concours justement de ces mĂȘmes Portugais. Il appela Ă  son aide l’armĂ©e des Andes, mais San MartĂ­n refusa d’obtempĂ©rer. De mĂȘme, il donna ordre au commandant de l’armĂ©e du Nord, Manuel Belgrano, de faire marche vers le sud, et celui-ci s’exĂ©cuta ; cependant, malade, Belgrano laissa le commandement, peu aprĂšs, Ă  son commandant en second, Francisco FernĂĄndez de la Cruz, lequel nomma Bustos chef d’état-major.

Sur ordre d’Artigas, Francisco RamĂ­rez franchit le fleuve ParanĂĄ et envahit le nord de la province de Buenos Aires, pour se retirer ensuite. Rondeau organisa son armĂ©e dans la capitale et marcha au-devant de lui, aprĂšs avoir ordonnĂ© Ă  FernĂĄndez de la Cruz de venir se joindre Ă  lui aux environs de Pergamino, dans le nord de la province de Buenos Aires. Le , l’armĂ©e du Nord quitta son campement de Pilar et fit route vers la province de Santa Fe. Il resta, dans la ville de CĂłrdoba, une garnison de 80 soldats du rĂ©giment de Grenadiers d’infanterie, sous le commandement du major Francisco SayĂłs. Ces forces, Ă  peine l’armĂ©e se fut-elle Ă©loignĂ©e de quelques lieues de Pilar, s’alliĂšrent au parti artiguiste de CĂłrdoba, tandis que quelques montoneras attaquaient le fort d’El TĂ­o puis, Ă  Villa del Rosario (dĂ©nommĂ©e alors Ranchos), la petite troupe de miliciens dirigĂ©e par le colonel Juan Antonio Álvarez de Arenales, commandant-gĂ©nĂ©ral d’armes de CĂłrdoba. De TucumĂĄn, le commandant Felipe Heredia se mit en marche Ă  la tĂȘte d’un dĂ©tachement de cavalerie afin de soutenir le mouvement fĂ©dĂ©raliste. JosĂ© MarĂ­a Paz fut dĂ©pĂȘchĂ© de Fraile Muerto avec un escadron pour venir au secours d’Arenales, mais, aprĂšs que les montoneros se furent repliĂ©s, Paz revint depuis Calchines et rejoignit le reste de l’armĂ©e le , peu avant que celle-ci n'Ă©tablĂźt son camp Ă  Arequito, relais de poste proche de la riviĂšre Carcarañå. Au cours de ce trajet, la troupe eut Ă  dĂ©plorer la dĂ©sertion de onze soldats, face Ă  quoi Paz dut se mouvoir Ă  marche forcĂ©e et appliquer une vigilance attentive pour prĂ©venir la dĂ©fection de ses soldats, qui Ă©taient originaires de la province de Santiago del Estero. Le capitaine Juan Gualberto EchevarrĂ­a mit Paz au courant de la mutinerie qui se tramait pour cette nuit. Paz fit rapport de la dĂ©sertion de ses hommes Ă  FernĂĄndez de la Cruz, qui rĂ©crimina contre lui, en raison de quoi Paz, offusquĂ©, se dirigea vers Bustos pour confĂ©rer avec lui, qui Ă©tait alors dĂ©cidĂ© Ă  participer Ă  la mutinerie. Dans ses MĂ©moires posthumes, Paz Ă©crira Ă  ce propos :

« Je puis assurer avec la plus parfaite certitude qu’il n’y avait pas la moindre intelligence, ni avec les chefs fĂ©dĂ©ralistes, ni avec la montonera de Santa Fe ; que pas davantage il n’entra, Ă  aucun moment, dans les calculs des rĂ©volutionnaires de se joindre Ă  eux ni de faire la guerre offensive au Gouvernement, ni aux troupes qui pouvaient le soutenir ; ils se proposaient seulement de se sĂ©parer de la question civile et de retourner Ă  nos frontiĂšres menacĂ©es par les ennemis de l’indĂ©pendance ; du moins, tel fut le sentiment gĂ©nĂ©ral plus ou moins modifiĂ© des rĂ©volutionnaires d’Arequito : si leurs vƓux se virent frustrĂ©s par la suite, cela fut l’effet des circonstances, et plus que tout, de Bustos, lequel seul avait en vue le gouvernement de CĂłrdoba, dont il s’empara pour s’y Ă©tablir dĂ©finitivement[1] ».

Le , une troupe de 10 ou 15 hommes du régiment de Dragons, sous les ordres du sergent Torres, fut tuée à coups de couteau par une montonera de Santa Fe, aprÚs que la nuit précédente ils eurent obtenu un petit succÚs.

La mutinerie

La nuit suivant l’arrivĂ©e de l’armĂ©e au relais de poste d’Arequito, le colonel-major Bustos, chef par intĂ©rim de l’état-major gĂ©nĂ©ral, appuyĂ© par les colonels Alejandro Heredia et JosĂ© MarĂ­a Paz, dirigea le soulĂšvement gĂ©nĂ©ral des corps d’armĂ©e. Cette nuit-lĂ , le , Bustos disposa que le service de surveillance fĂ»t Ă  charge du 1er escadron du rĂ©giment de Hussards de TucumĂĄn, sous le commandement du capitaine Mariano Mendieta, qui lui Ă©tait tout entier dĂ©vouĂ©.

Au milieu de la nuit, les officiers du rĂ©giment de Dragons de la Nation, placĂ©s sous les ordres du major GimĂ©nez, mirent en dĂ©tention leur commandant en chef, le colonel Cornelio Zelaya, et donnĂšrent le dĂ©part de la rĂ©bellion, confiant la garde du prisonnier au lieutenant Hilario Basavilbaso du mĂȘme rĂ©giment. Au mĂȘme moment fut arrĂȘtĂ©, par les soins du capitaine Anselmo Acosta, le colonel chilien Manuel Guillermo Pinto, chef du bataillon n° 10 d’infanterie. Une partie du rĂ©giment n° 2 et le 1er escadron du rĂ©giment de Hussards commandĂ© par Paz, prit Ă©galement les armes, tandis que l’on procĂ©dait Ă  l’arrestation du colonel Bruno MorĂłn, commandant en chef du rĂ©giment n° 2, aprĂšs qu’il eut tentĂ© de se placer Ă  la tĂȘte de ses troupes. Le major Castro se chargea du commandement de la fraction rebelle du rĂ©giment.

Les mutins se transportĂšrent Ă  courte distance (Ă  quelque 1000 verges) du campement de FernĂĄndez de la Cruz et se disposĂšrent en ordre de bataille, attendant l’aube. Bustos se rendit Ă  la tente de campagne de FernĂĄndez de la Cruz et le rĂ©veilla en disant « Camarade, levez-vous, car il y a grand mouvement dans l’armĂ©e », puis repartit rejoindre le groupe insurgĂ©. FernĂĄndez de la Cruz rĂ©unit les colonels JosĂ© LeĂłn DomĂ­nguez, Gregorio ArĂĄoz de Lamadrid, Blas JosĂ© Pico, Benito MartĂ­nez et Manuel RamĂ­rez, et Ă  l’aube envoya un adjudant aux rebelles pour leur demander « quel Ă©tait la signification de ce mouvement » et « sur ordre de qui ils l’avaient accompli », tout en leur ordonnant de regagner leur postes ; il agit ainsi sur le conseil des colonels, lesquels, Ă  l’exception d’ArĂĄoz de Lamadrid, s’étaient dĂ©clarĂ©s favorables Ă  n’entreprendre aucune action.

Les chefs rebelles rĂ©pondirent que « ces corps d’armĂ©e ne continueraient pas Ă  faire la guerre civile » et qu’ils se sĂ©pareraient de l’armĂ©e pour retourner au front nord. Ils se dĂ©claraient expressĂ©ment neutres dans le conflit opposant les fĂ©dĂ©ralistes et le Directoire, afin qu’on ne pĂ»t les accuser d’ĂȘtre passĂ©s Ă  l’ennemi. Aux cĂŽtĂ©s de Bustos se tenaient Ă  ce moment-lĂ  1600 hommes, contre un peu moins de 1400 aux cĂŽtĂ©s de FernĂĄndez de la Cruz. Avec ce dernier Ă©taient restĂ©e une partie du rĂ©giment d’infanterie n° 2, les rĂ©giments d’infanterie n° 3 et 9, commandĂ©s par Pico et DomĂ­nguez, le 2e escadron du rĂ©giment de Hussards de TucumĂĄn (soit 160 hommes) sous les ordres d’ArĂĄoz de Lamadrid, et l’artillerie du rĂ©giment d’artillerie de la Patrie, sous le commandement de RamĂ­rez[2].

Dans le courant de la matinĂ©e, les deux fractions engagĂšrent des pourparlers, FernĂĄndez de la Cruz demandant que lui fussent restituĂ©s les chevaux ainsi que les bƓufs de l’approvisionnement, le parc d’armements et les corps qui lui obĂ©issaient, lesquels se trouvaient tous aux mains de la cavalerie rebelle. Bustos accepta Ă  condition qu’une moitiĂ© de l’armement et des munitions du parc, ainsi que des provisions lui fussent attribuĂ©s, ce que FernĂĄndez de la Cruz parut vouloir accepter au dĂ©but. Les deux fractions s’éloignĂšrent l’une de l’autre d’une lieue. Mais, une fois les chevaux et les bƓufs remis au gĂ©nĂ©ral FernĂĄndez de la Cruz, et une fois les chefs libĂ©rĂ©s et rĂ©unis Ă  lui, il entama vers midi sa marche en direction du sud, sans avoir remis la partie du parc ni l’approvisionnement promis.

Bustos donna ordre Ă  Heredia de poursuivre avec toute la cavalerie son ancien commandant. Heredia l’atteignit alors qu’il se trouvait dĂ©jĂ  entourĂ© par les fĂ©dĂ©ralistes de LĂłpez, Ă  deux lieues de route. FernĂĄndez de la Cruz envoya le colonel Benito MartĂ­nez s’enquĂ©rir des raisons pour lesquelles il Ă©tait poursuivi, Ă  quoi Heredia lui rĂ©pondit qu'il « allait exiger la part du convoi qui avait Ă©tĂ© promise, et sans laquelle il ne s’en retournerait pas », puis MartĂ­nez regagna sa fraction. Entre-temps, les montoneras de Santa Fe attaquaient l’avant-garde, et la majeure partie du peloton d’infanterie Ă  cheval dĂ©serta de ses rangs et alla rejoindre Heredia. MartĂ­nez revint avec la rĂ©ponse de FernĂĄndez de la Cruz, Ă  savoir que « le gĂ©nĂ©ral Cruz se rĂ©signait Ă  tout et qu’il se proposait de revenir sur ses pas et de retourner au camp qu’il venait de quitter ». Aussi les deux colonnes revinrent-elles Ă  leur point de dĂ©part et reprirent leurs positions antĂ©rieures, mais pendant la nuit le reste du rĂ©giment n° 2 et une partie du bataillon n° 10 et des rĂ©giments n° 3 et 9, accompagnĂ©s d’une partie des artilleurs, abandonnĂšrent eux aussi le camp pour rallier les rebelles. Dans la matinĂ©e, entre 300 et 400 montoneros attaquĂšrent le campement de FernĂĄndez de la Cruz, Ă  la suite de quoi Heredia, le jour levĂ©, envoya le lieutenant Basavilbaso les menacer d’une charge contre eux s’ils ne cessaient pas leurs attaques, leur intimant[3]:

« que s’ils continuaient, il les chargerait ; que dans le cas contraire, l’armĂ©e s’abstiendrait de toute hostilitĂ©, Ă  preuve de cela le fait qu’avaient eu lieu le mouvement et la sĂ©paration dont ils Ă©taient tĂ©moins et qu’ils n’avaient pu jusque-lĂ  s’expliquer Ă  eux-mĂȘmes. »

Sur ces dĂ©clarations de Heredia, les montoneros de Santa Fe se retirĂšrent Ă  une lieue de lĂ  et FernĂĄndez de la Cruz dĂ©cida de remettre l’armĂ©e tout entiĂšre Ă  Bustos. AussitĂŽt aprĂšs, toute la troupe en effet rejoignit Bustos, qui dĂ©signa Heredia chef d’état-major gĂ©nĂ©ral. FernĂĄndez de la Cruz et les commandants qui l’accompagnaient furent placĂ©s sous la protection d’une garde de sorte Ă  leur garantir de n’ĂȘtre pas faits prisonniers par les montoneras, qui requĂ©raient qu’ils leur fussent livrĂ©s. Ils furent relĂąchĂ©s avant d’arriver Ă  CĂłrdoba et laissĂ©s libres d’aller oĂč bon leur semblerait, Ă  la suite de quoi la plupart se dirigĂšrent vers TucumĂĄn. FernĂĄndez de la Cruz cependant prĂ©fĂ©ra rester Ă  CĂłrdoba, jusqu’à ce qu’il fĂ»t peu aprĂšs expulsĂ© Ă  destination de Mendoza, en mĂȘme temps que l’ancien gouverneur Castro.

Le lendemain, Bustos Ă  son tour amorça son retour Ă  CĂłrdoba, et le se trouvait au relais de poste de San JosĂ© de la Esquina, non loin de la frontiĂšre avec la province de CĂłrdoba. De ce lieu il Ă©crivit Ă  LĂłpez et Ă  Rondeau, leur expliquant ce qui s’était passĂ©, et leur faisant part de son intention de retourner dans le nord. Dans une de ces lettres, il prĂ©cisa que :

« ... les armes de la Patrie, totalement dĂ©tournĂ©es de leur objet principal, ne s’utilisaient plus que pour verser le sang de ses concitoyens, de ceux-lĂ  mĂȘmes dont la sueur et le travail leur assuraient la subsistance. »

ConsĂ©quences de la mutinerie d’Arequito

À la Herradura, dans la province de CĂłrdoba, sur la riviĂšre Tercero, Bustos fut rejoint par le secrĂ©taire de LĂłpez, Cosme Maciel, et par le gĂ©nĂ©ral chilien JosĂ© Miguel Carrera, lesquels avaient mission de tenter de l’attirer du cĂŽtĂ© des fĂ©dĂ©ralistes, mais qui s’en revinrent sans ĂȘtre parvenu Ă  le convaincre. Bustos emmena son armĂ©e vers la ville de CĂłrdoba, oĂč fin janvier il fut reçu quasiment en triomphe. Peu auparavant, le gouverneur Manuel Antonio Castro avait dĂ©missionnĂ© et JosĂ© Javier DĂ­az, chef des fĂ©dĂ©ralistes, avait Ă©tĂ© Ă©lu gouverneur par intĂ©rim. Une assemblĂ©e rĂ©unie dĂ©clara que :

« ... en tant que province souveraine et libre, (CĂłrdoba) ne connaĂźt pas la dĂ©pendance, ni ne doit soumission Ă  aucune autre ; qu’elle regarde comme l’un de ses principaux devoirs le maintien de la fraternitĂ© et de l’union avec toutes les provinces, ainsi que des plus Ă©troites relations d’amitiĂ© avec elles, en attendant que, toutes rĂ©unies en congrĂšs gĂ©nĂ©ral, soient ajustĂ©s les traitĂ©s d’une vĂ©ritable fĂ©dĂ©ration pour les temps de paix et de guerre, Ă  laquelle les autres provinces aspirent Ă  se ranger ; qu’elle concourrait, par tous ses efforts et autant que le lui permettront ses ressources, Ă  la guerre contre le commun ennemi de la libertĂ©, lors mĂȘme que ne serait pas encore mise en place la fĂ©dĂ©ration des provinces ... »

C’étaient lĂ  les mĂȘmes sentiments qui avaient animĂ© Bustos et les autres participants Ă  la mutinerie d’Arequito.

De son cĂŽtĂ©, Rondeau affronta, avec ses seules propres troupes, les caudillos RamĂ­rez et LĂłpez dans le ravin de Cepeda et fut totalement dĂ©fait. Une semaine plus tard Ă  peine, il dĂ©missionna, et le CongrĂšs dit de TucumĂĄn fut dissous. Il n’y eut plus de nouveau directeur suprĂȘme : sous la pression de LĂłpez et de RamĂ­rez, Buenos Aires se nomma un gouverneur et signa le traitĂ© de Pilar avec les fĂ©dĂ©ralistes. Presque au mĂȘme moment, Felipe Ibarra s’emparait du pouvoir Ă  Santiago del Estero.

Bustos, se trouvant alors Ă  CĂłrdoba, apprit la nouvelle de la fin du Directoire, et s’attela Ă  la tĂąche de rĂ©organiser le pays, Ă  commencer par sa propre province, en retardant le retour de l’armĂ©e vers le front nord. Le gouverneur par intĂ©rim DĂ­az, pour sa part, indiqua envisager de s’associer aux caudillos du Litoral dans leur lutte contre Buenos Aires, c'est-Ă -dire conclure quelque traitĂ© d’alliance avec Artigas, RamĂ­rez ou LĂłpez. Cela toutefois n’entrait pas dans les desseins de Bustos, et porta celui-ci Ă  s’opposer activement Ă  la politique de DĂ­az. En quĂȘte d’alliĂ©s dans cette opposition, il s’approcha des fĂ©dĂ©ralistes de Juan Pablo Bulnes, qui s’étaient Ă©loignĂ©s du groupe de DĂ­az, et de plusieurs personnalitĂ©s locales qui avaient entourĂ© l'ancien gouverneur Castro. Avec leur appui, il fut Ă©lu gouverneur le .

Bustos s’appliqua ensuite Ă  gouverner la province, tout en servant de mĂ©diateur entre LĂłpez et le gouvernement de Buenos Aires, qui avaient recommencĂ© Ă  s’affronter. Il envoya le colonel Heredia avec une partie de l’armĂ©e vers les provinces du nord, Ă  titre d’avant-garde du gros de l’armĂ©e, dont il avait Ă©tĂ© promis qu’elle se rendrait sur le front de guerre. Cependant ni Heredia ne parvint jamais Ă  combattre contre les royalistes (ses troupes furent engagĂ©es par GĂŒemes dans la guerre civile contre le gouverneur de TucumĂĄn, et furent battues), ni Bustos ne rĂ©ussit Ă  envoyer ou diriger le reste de l’armĂ©e dans cette direction.

Les forces qui restaient Ă  Bustos furent employĂ©es Ă  se dĂ©fendre contre les indigĂšnes de la Pampa et du Chaco, et, l’annĂ©e suivante, Ă  repousser l’offensive combinĂ©e de Francisco RamĂ­rez et de JosĂ© Miguel Carrera, qui dĂ©vasta la province.

ApprĂ©ciations de l’évĂ©nement

La mutinerie d’Arequito eut pendant longtemps mauvaise presse. Les chroniqueurs qui l’évoquĂšrent dans leurs Ă©crits, en particulier Lamadrid et Paz, la considĂ©rĂšrent soit comme une trahison de la patrie, soit comme un obscur coup de force destinĂ© Ă  mettre Bustos au pouvoir Ă  CĂłrdoba, sans plus ; les historiens de la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, Ă  commencer par BartolomĂ© Mitre et Vicente Fidel LĂłpez, voyaient dans l’évĂ©nement ces deux dimensions Ă  la fois. AprĂšs la dĂ©faite du parti fĂ©dĂ©raliste dans la guerre civile, seul le point de vue unitaire eut encore droit de citĂ©, et nul ne s’enhardissait Ă  dĂ©fendre Bustos et ses partisans. L’école historiographique traditionnelle, reprĂ©sentĂ©e par les disciples de Mitre, reproduisait le mĂȘme point de vue sans jamais le remettre en question.

Nombre d’annĂ©es plus tard, l’école dite du RĂ©visionnisme historique se mit Ă  apporter un Ă©clairage diffĂ©rent sur la mutinerie d’Arequito, pendant que les historiens de CĂłrdoba tendaient Ă  mieux valoriser leurs premiers gouverneurs autonomes, lesquels avaient soutenu la mutinerie ou y avaient participĂ©. Au milieu du XXe siĂšcle, le rĂ©visionnisme historique ayant vu ses thĂšses solidement Ă©tayĂ©es, et la glorification historique de la figure de San MartĂ­n (qui refusa lui aussi de participer Ă  la guerre civile) Ă©tant entre-temps intervenue, la mutinerie d’Arequito allait ĂȘtre considĂ©rĂ©e dĂ©sormais comme une Ă©tape importante dans la naissance de l’État argentin.

Si la mutinerie fut Ă  l’origine un acte de dĂ©sobĂ©issance du gouverneur Castro, l’évĂ©nement constitua, du point de vue de ses causes et de ses rĂ©sultats politiques, une Ă©tape positive vers un systĂšme dĂ©mocratique Ă©galitaire, c'est-Ă -dire accordant les mĂȘmes droits Ă  toutes les provinces et Ă  tous les peuples d’Argentine. Le soulĂšvement de l’armĂ©e du Nord permit aux provinces de l’intĂ©rieur de s’imposer pour la premiĂšre fois face au gouvernement centraliste de Buenos Aires, fit Ă©chec Ă  la constitution unitaire et quasi monarchique de 1819, conduisit Ă  la mise en place du gouvernement autonome de la province de Buenos Aires, et ouvrit la voie Ă  une cohabitation Ă©galitaire de toutes les provinces, mĂȘme si ce fut au prix de cinquante autres annĂ©es de guerre civile.

Références

  1. Memorias pĂłstumas del general JosĂ© MarĂ­a Paz, Volume 1, p. 368-369. Auteur : JosĂ© MarĂ­a Paz. Éditeur : Ireneo Rebollo, Impr. "La DiscusiĂłn", 1892.
  2. Historia de Belgrano y de la independencia argentina, Volume 3, p.277-285. Auteur : BartolomĂ© Mitre. Éditor: F. Lajouane, 1887.
  3. Historia de López. Chapitre XII, p. 123-126. Auteur : Ramón J. Lassaga. Éditor: Impr. y librería de mayo de 1881.

Bibliographie

  • Serrano, Mario A., Arequito: Âżpor quĂ© se sublevĂł el EjĂ©rcito del Norte?, Éd. CĂ­rculo Militar, Buenos Aires, 1996.
  • LĂłpez Rosas, JosĂ© R., Entre la monarquĂ­a y la repĂșblica. Memorial de la Patria, tomo III, Éd. La Bastilla, Buenos Aires, 1981.
  • Bischoff, EfraĂ­n, Historia de CĂłrdoba, Éd. Plus Ultra, Buenos Aires, 1989.
  • NĂșñez, M., Bustos, el caudillo olvidado, Cuadernos de revista Crisis, Buenos Aires, 1975.
  • Paz, JosĂ© MarĂ­a, Memorias pĂłstumas. Éd. EmecĂ©, Buenos Aires, 2000.
  • ArĂĄoz de Lamadrid, Gregorio, Memorias, Buenos Aires, 1895.
  • LĂłpez, Vicente Fidel, Historia de la RepĂșblica Argentina. Libr. La Facultad, Buenos Aires, 1926.
  • Mitre, BartolomĂ©, Historia de Belgrano y de la independencia argentina. Éd. Estrada, Buenos Aires, 1947.
  • Busaniche, JosĂ© Luis, Historia argentina. Éd. Solar, Buenos Aires, 1969.
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