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Deinococcus radiodurans

Deinococcus radiodurans, appelĂ©e aussi bactĂ©rie Conan[3] est une bactĂ©rie polyextrĂȘmophile et l'un des organismes les plus radiorĂ©sistants connus au monde. Cette bactĂ©rie prĂ©sente une rĂ©sistance impressionnante, notamment aux UV, aux radiations ionisantes, au peroxyde d'hydrogĂšne, au vide, Ă  l'acide, aux tempĂ©ratures extrĂȘmes, au dessĂšchement, au froid et Ă  la famine. Cette capacitĂ© de rĂ©sistance est due Ă  sa structure cellulaire particuliĂšre et Ă  son systĂšme trĂšs perfectionnĂ© de rĂ©paration de l'ADN, qui lui permet mĂȘme de rĂ©sister Ă  de fortes doses de radiations ionisantes[4].

Deinococcus radiodurans
Description de l'image Deinococcus radiodurans.jpg.

EspĂšce

Deinococcus radiodurans
(ex Raj et al. 1960[1]) Brooks & Murray 1981[2]

En raison de son extraordinaire résistance, elle a été affublée de surnoms tels que « Conan la bactérie » ou bien « la bactérie la plus résistante au monde »[5].

Sa haute résistance a intéressé les scientifiques[6] et aussi les industriels qui voudraient produire des bactéries génétiquement modifiées résistantes aux sols trÚs pollués ou radioactifs pour y dégrader les solvants ou hydrocarbures notamment. Certains souhaitent créer des bactéries transgéniques rendues plus résistantes (par intégration de gÚnes de D. radiodurans) pour produire du méthane ou des « biocarburants de seconde génération »[7]. En 2008, un brevet était déjà déposé pour la production de « biocarburants » (à partir de déchets agricoles et sylvicoles) et un autre visant des usages médicaux.

DĂ©couverte et historique

Deinococcus radiodurans a Ă©tĂ© dĂ©couverte pour la premiĂšre fois en 1956 par A.W. Anderson, de l'Oregon Agricultural Experiment Station, Ă  Corvallis dans l'Oregon, lors d'expĂ©riences rĂ©alisĂ©es pour dĂ©terminer si des boĂźtes de conserve pouvaient ĂȘtre stĂ©rilisĂ©es par de grandes doses de rayons gamma. Une boĂźte de viande en conserve fut exposĂ©e Ă  une dose de radiation supposĂ©e tuer toute forme de vie connue, mais Ă  la surprise gĂ©nĂ©rale le processus de dĂ©composition ne s'interrompit pas.

Une bactĂ©rie est rapidement isolĂ©e et Ă©tudiĂ©e sous toutes les coutures. Elle se rĂ©vĂšle rĂ©sistante Ă  un grand nombre de situations extrĂȘmes, comme l'exposition aux produits chimiques gĂ©notoxiques, aux dommages de l'oxydation, aux rayonnements ionisants et ultraviolets, et Ă  la dĂ©shydratation.

D'abord appelée Micrococcus radiodurans, la bactérie fut ensuite renommée Deinococcus radiodurans.

Milieu de vie

Depuis l'épisode de la boite de conserve, elle a été retrouvée un peu partout dans le monde, ses qualités la rendant ubiquiste. Elle vit aussi bien dans des zones riches en aliments comme les sols ou les matiÚres fécales animales que dans des zones trÚs pauvres en substances nutritives, comme la surface de certains granites désagrégés des vallées de l'Antarctique ou les instruments chirurgicaux irradiés.

Des analyses génomiques de Deinococcus radiodurans pourraient expliquer sa distribution ubiquitaire et sa variabilité génétique. La bactérie desséchée aurait fait partie de poussiÚres qui seraient montées dans l'atmosphÚre et la stratosphÚre par des courants aériens puis serait réhydratée par la pluie ou la neige tout en retombant[8].

RĂ©sistances

Résistance à la radioactivité

Deinococcus radiodurans est l'un des trois organismes les plus rĂ©sistants Ă  la radioactivitĂ© dĂ©couverts jusqu'Ă  prĂ©sent avec Deinococcus radiophilus et Rubrobacter radiotolerans. Elle rĂ©siste Ă  des niveaux de radiation allant jusqu'Ă  un demi million de rads (5000 Gray), soit 500 fois la dose mortelle de 1 000 rads (10 Gy) susceptible de tuer un ĂȘtre humain[9]. ExposĂ©e Ă  1,5 million de rads (15 000 Gray), Deinococcus radiodurans rĂ©pare son ADN en seulement quelques heures et sans perte de viabilitĂ©. Elle supporte jusqu'Ă  150 cassures du double brin par chromosome sans effet mutagĂšne alors qu’Escherichia coli n'en supporte que deux ou trois maximum et subit des mutations dĂ©lĂ©tĂšres. Cette rĂ©sistance est due Ă  son mĂ©canisme de rĂ©paration d’ADN, expliquĂ© plus bas.

Cependant, il est logique de questionner l'utilité d'une telle résistance à la radioactivité car aucun milieu sur Terre est aussi radioactif. Cette résistance à la radioactivité serait en fait un sous-produit d'une résistance à la dessiccation[8]. Cela signifie que le mécanisme de réparation des dommages à l'ADN provoquées par la sécheresse assure la réparation des dommages provoquées par la radioactivité. Cette hypothÚse est renforcée par le fait que ces caractéristiques sont trouvables chez d'autres organismes comme le Tardigrade (résistance à la dessication et aux radiations).

RĂ©sistance aux UV

Deinococcus radiodurans rĂ©siste Ă©galement aux rayonnements ultra-violets, plus particuliĂšrement les UVC. Elle peut tolĂ©rer 10 000 fois la dose mortelle de rayonnement UV tolĂ©rĂ©e par les organismes eucaryotes et 100 fois la dose mortelle pour la plupart des organismes procaryotes, dont 33 fois plus rĂ©sistante aux UV que Echerischia Coli.

Chimie génotoxique

Deinococcus radiodurans résiste aux attaques de bains acides.

DĂ©shydratation

Deinococcus radiodurans rĂ©siste bien Ă  la dĂ©shydratation complĂšte ou dessiccation. Une fois totalement dĂ©shydratĂ©e, elle rĂ©siste encore mieux aux rayonnements et aux tempĂ©ratures extrĂȘmes.

TempĂ©ratures extrĂȘmes

Une tempĂ©rature de −45 °C rend inactive la bactĂ©rie Deinococcus radiodurans mais ne l'endommage pas.

Mécanismes de défense

De nombreuses Ă©quipes ont rapidement tentĂ© de comprendre d'oĂč vient cette formidable rĂ©sistance.

L'irradiation gamma à de fortes doses ou une longue période de dessiccation entraßnent de trÚs nombreuses cassures double-brins du génome. Or, D. radiodurans est capable de réparer ces cassures en quelques heures en milieu riche.

Le gĂ©nome de D. radiodurans a Ă©tĂ© entiĂšrement sĂ©quencĂ© et analysĂ©[10]. Le bagage hĂ©rĂ©ditaire de la bactĂ©rie est contenu dans quatre molĂ©cules circulaires, dont deux chromosomes (de 2 648 615 et 412 340 paires de bases), un mĂ©gaplasmide (177 466 paires de bases) et un plasmide (45 702 paires de bases).

Les chercheurs ont dĂ©couvert que son extrĂȘme rĂ©sistance Ă©tait due Ă  la conjugaison de stratĂ©gies variĂ©es :

  • prĂ©vention – des dĂ©gĂąts cellulaires provoquĂ©s par les radicaux libres ;
  • rĂ©paration – des cassures chromosomiques grĂące Ă  un arsenal trĂšs complet ;
  • expulsion – des nombreux dĂ©chets produits lors de la rĂ©paration et dangereux pour sa survie.

Protection

La paroi ne pouvant stopper les rayons gamma – des photons de trĂšs haute Ă©nergie – et les empĂȘcher d'abĂźmer les chromosomes, Deinococcus radiodurans ne prĂ©vient pas le morcellement de son gĂ©nome mais le rĂ©pare. Cependant, pour permettre cette rĂ©paration, il faut que les enzymes de rĂ©paration soient fonctionnelles et donc protĂ©gĂ©es de l'oxydation qui dĂ©coule de l'irradiation.

En effet, d'importants dégùts cellulaires sont provoqués par l'apparition de radicaux libres d'oxygÚne à la suite de la dessiccation ou de l'exposition aux rayons UV et gamma et la bactérie doit donc posséder des systÚmes de protection de ces stress oxydants. Deinococcus radiodurans est doté de toute une série d'enzymes - catalases et superoxyde dismutases (SOD) - spécialisées dans l'élimination de ces radicaux libres ainsi que de molécules antioxydantes telles que la deinoxanthine, pigment responsable de la couleur des Deinococcus.

Des travaux sur des bactéries mutantes ont démontré que la résistance de ces bactéries diminuait si ces divers gÚnes ne s'expriment plus.

RĂ©paration

D. radiodurans possĂšde plusieurs copies de son gĂ©nome qu’elle utilise avec des mĂ©canismes de rĂ©paration rapide de celui-ci, ainsi que la protĂ©ine RecA, pour rĂ©gĂ©nĂ©rer son ADN. Ainsi, D. radiodurans peut vivre dans de conditions extrĂȘmes en restructurant et rĂ©parant son ADN.

En effet, les sĂ©quences d’ADN endommagĂ©es sont cisaillĂ©es et expulsĂ©es hors de la cellule. Ce systĂšme de nettoyage explique la prĂ©sence de nuclĂ©otides dĂ©faillants dans le cytoplasme et dans le milieu de D. radiodurans.

L’expulsion du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique abĂźmĂ© empĂȘche les mutations et anomalies de l’ADN non-endommagĂ© de D. radiodurans.

La bactĂ©rie peut restructurer son ADN en 12 Ă  14 heures aprĂšs une destruction partielle de celui-ci. Cette rĂ©paration nĂ©cessite initialement 2 copies au moins de l’ADN original (sachant que D. radiodurans en compte de 4 Ă  10) ; et se dĂ©roule en deux Ă©tapes.

La premiÚre phase consiste à rassembler dans l'ordre correct tous les fragments de chromosomes pour régénérer le brin en une chaßne linéaire. Tous les morceaux seront utilisés comme modÚles pour déclencher la synthÚse d'ADN et allonger la chaßne par simple brin. Les fragments « en trop » sont relùchés, puis réutilisés, sinon évacués.

La deuxiĂšme phase de recombinaison gĂ©nĂ©tique consiste Ă  reconstituer les chromosomes circulaires de la cellule, Ă  l’aide d’une protĂ©ine qui rĂ©pare les brisures entre les brins, par « crossing over » (enjambement). C’est la protĂ©ine RecA, une protĂ©ine spĂ©cialiste de la rĂ©paration d’ADN, qui participe Ă  la recombinaison entre chromosomes homologues. Une fois le gĂ©nome restaurĂ© Ă  l'identique, la synthĂšse des protĂ©ines est Ă  nouveau opĂ©rationnelle : la cellule est vivante alors qu'on pouvait la considĂ©rer comme « cliniquement morte ».

DĂ©gradation

La rĂ©paration des chromosomes engendre de nombreux dĂ©chets sous forme de fragments d'ADN, dangereux pour la bactĂ©rie car ces morceaux abĂźmĂ©s peuvent ĂȘtre rĂ©incorporĂ©s au gĂ©nome. Deinococcus radiodurans possĂšde un systĂšme de nettoyage unique permettant le transport et l'expulsion des nuclĂ©otides endommagĂ©s Ă  l'extĂ©rieur de la cellule.

Une fois ce recyclage réalisé, Deinococcus radiodurans peut commencer un nouveau cycle de division cellulaire.

Défenses supplémentaires

Deinococcus radiodurans améliore également sa survie en étant capable d'augmenter sa synthÚse en précurseurs pour créer de nouvelles molécules et en fournissant des sources d'énergie alternatives.

Des gÚnes du chromosome II et du mégaplasmide semblent pouvoir fabriquer des précurseurs azotés, impliqués dans la production de protéines, à partir des cellules n'ayant pas réussi à subsister.

D'autres gÚnes du chromosome II codent des molécules susceptibles de dégrader les acides gras en acétyl-coenzyme A, une source d'énergie cellulaire utilisée lorsque les autres sources de carbone s'épuisent.

Perspectives

La capacité de survie exceptionnelle de la bactérie Deinococcus radiodurans en milieu radioactif a rapidement attiré l'attention des spécialistes chargés de la gestion des déchets.

Une agence gouvernementale amĂ©ricaine est en train d'Ă©tudier ses aptitudes Ă  dĂ©polluer sur place des sites contaminĂ©s Ă  la fois par des matĂ©riaux radioactifs et par d'autres polluants, organiques et minĂ©raux. Rien qu'aux États-Unis, les experts en ont recensĂ© 3 000, sur des lieux de production d'armes ou des centres de recherche nuclĂ©aire. Les analyses de ces sols montrent un cocktail plutĂŽt inquiĂ©tant, oĂč le trichlorĂ©thylĂšne et le toluĂšne voisinent avec de l'uranium, du plutonium et divers mĂ©taux lourds. La technique de la biodĂ©pollution repose sur une idĂ©e toute simple. On cultive des bactĂ©ries qui se nourrissent du polluant concernĂ©, le pĂ©trole pour prendre un exemple connu. On ensemence ensuite la zone Ă  dĂ©contaminer, et on attend que les microbes transforment le polluant organique en eau et en gaz carbonique. On connaĂźt toute une sĂ©rie de micro-organismes capables de dĂ©composer divers polluants organiques ou de fixer les mĂ©taux lourds. Ces microbes ne peuvent toutefois pas opĂ©rer en milieu radioactif. D'oĂč l'intĂ©rĂȘt d'Ă©tudier la bactĂ©rie insensible aux radiations. Est-elle capable de se nourrir de composĂ©s organiques complexes ? Sait-elle fixer les mĂ©taux lourds, voire les Ă©lĂ©ments radioactifs ? Selon les premiĂšres Ă©tudes, il semble qu'elle soit capable de dĂ©composer le toluĂšne et certains produits voisins. Les adeptes du gĂ©nie gĂ©nĂ©tique se sont Ă©galement mis au travail. Leurs projets consistent Ă  Ă©quiper Deinococcus radiodurans de gĂšnes connus pour rendre les bactĂ©ries capables de digĂ©rer la pollution. La bactĂ©rie recombinĂ©e serait ainsi Ă  la fois insensible aux rayons gamma et spĂ©cialiste de la dĂ©pollution. L'inverse est Ă©galement envisagĂ© : greffer les gĂšnes de la radioprotection sur des bactĂ©ries classiques de la dĂ©pollution. Deinococcus radiodurans est Ă©galement l'objet de recherches plus insolites, comme « disque dur Ă  ADN » rĂ©sistant Ă  un Ă©ventuel holocauste nuclĂ©aire, ou comme agent nettoyant Ă  basse tempĂ©rature[5].

Articles connexes

Références

  1. (en) Harkison D. Raj, Frances L. Duryee, Anne M. Deeney et Chih H. Wang, « Utilization of carbohydrates and amino acids by Micrococcus radiodurans », Canadian Journal of Microbiology, vol. 6, no 3,‎ , p. 289–298 (ISSN 0008-4166 et 1480-3275, DOI 10.1139/m60-033, lire en ligne, consultĂ© le )
  2. (en) B. W. Brooks et Robert George Everitt Murray, « Nomenclature for "Micrococcus radiodurans" and Other Radiation-Resistant Cocci: Deinococcaceae fam. nov. and Deinococcus gen. nov., Including Five Species », International Journal of Systematic Bacteriology, vol. 31, no 3,‎ , p. 353–360 (ISSN 0020-7713 et 1465-2102, DOI 10.1099/00207713-31-3-353, lire en ligne, consultĂ© le )
  3. Science Post
  4. (en) Michael M. Cox, « Rising from the Ashes: DNA Repair in Deinococcus radiodurans », PLOS Genetics, vol. 6, no 1,‎ , e1000815 (lire en ligne)
  5. Desbrosses S.(2011). Organismes polyextrĂȘmophiles : Deinococcus radiodurans "Conan la bactĂ©rie". NatureXtreme. (online 19-04-2011)
  6. Travaux de l'équipe Miroslav Radman (académicien des sciences) avec l'Université Paris-V-hÎpital Necker, sur les modes d'auto réparation de l'ADN des déinocoques.
  7. En France Deinove est un groupe d'universitaires associés à une société de capital-risque avec le CNRS, le BRGM (missionné pour inventorier les sources chaudes afin d'y étudier les bactéries) et l'INSA de Toulouse (dans le Critt Bio-Industries). Source : Communiqué du CNRS, Journal du CNRS.
  8. (en) A. Krisko et M. Radman, « Biology of Extreme Radiation Resistance: The Way of Deinococcus radiodurans », Cold Spring Harbor Perspectives in Biology, vol. 5, no 7,‎ , a012765–a012765 (ISSN 1943-0264, PMID 23818498, PMCID PMC3685888, DOI 10.1101/cshperspect.a012765, lire en ligne, consultĂ© le )
  9. Ito H, Watanabe H, Takeshia M, Iizuka H, « Isolation and identification of radiation-resistant cocci belonging to the genus Deinococcus from sewage sludges and animal feeds », Agricultural and Biological Chemistry, vol. 47, no 6,‎ , p. 1239–47 (DOI 10.1271/bbb1961.47.1239)
  10. Makarova, K. S., Aravind, L., Wolf Y. I., Tatusov, R.L., Minton, K. W., Koonin, E. V., Daly M.J. (2001). "Genome of the extremely radiation-resistant bacterium Deinococcus radiodurans viewed from the perspective of comparative genomics". Microbiology and molecular biology reviews : MMBR 65 (1) : 44-79, Mars 2001

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