Datation des cadavres
La datation des cadavres est une des thématiques de la médecine légale. De telles méthodes de datation se basant sur les signes biologiques de la mort ne peuvent qu'estimer la date à partir de laquelle la décomposition d'un corps a commencé.
Définition médico-légale de la mort
LâĂ©tat de la mort semble ne pas avoir Ă©tĂ© trĂšs bien cernĂ© par la lĂ©gislation. Si tout le monde reconnaĂźt que la mort se caractĂ©rise par une dĂ©composition du corps, il est des Ă©tats menant irrĂ©mĂ©diablement Ă cette dĂ©composition sans que la dĂ©composition soit installĂ©e ; c'est par exemple le cas de la mort cĂ©rĂ©brale, l'activitĂ© cardiaque Ă©tant prĂ©sente. Se posent alors des questions morales, voire religieuses : une personne dans cet Ă©tat doit-elle ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme morte, ce qui permet par exemple le prĂ©lĂšvement d'organe, ou bien doit-elle ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme vivante, donc maintenue en vie de maniĂšre artificielle ?
La datation d'un cadavre ne peut estimer que la date à partir de laquelle la décomposition commence.
En France, la mĂ©decine lĂ©gale a donnĂ© une dĂ©finition de la mort permettant de trancher la question. Cette dĂ©finition est dâune part une dĂ©finition basĂ©e sur la constatation de l'absence des fonctions vitales : un individu est mort sâil ne prĂ©sente pas de signes de vie apparents comme la respiration, la circulation sanguine, lâactivitĂ© cĂ©rĂ©brale. C'est l'arrĂȘt des fonctions vitales. Dâautre part on trouve une dĂ©finition qui complĂšte la prĂ©cĂ©dente, basĂ©e sur la constatation de signes de morbiditĂ© : un individu est mort sâil possĂšde au niveau de son phĂ©notype macroscopique des signes dit positifs de la mort. Ces signes sont tardifs, mais leur prĂ©sence atteste dâune maniĂšre irrĂ©futable la mort.
Le sujet est tout autant dĂ©licat que la mort ne survient pas de maniĂšre gĂ©nĂ©ralisĂ©e sur lâensemble du corps. Tous les organes ne meurent pas en mĂȘme temps et tout dĂ©pend du « type de dĂ©cĂšs » : lors dâun arrĂȘt cardiaque, les organes ne meurent pas dans le mĂȘme ordre que dans le cas dâun accident de voiture ayant entraĂźnĂ© un traumatisme crĂąnien irrĂ©versible. Il est important de prĂ©ciser que lâon distingue plusieurs types de mort : la mort cĂ©rĂ©brale, la mort cellulaire, la mort de lâorgane, la mort de lâorganisme. Toutefois la constatation du dĂ©cĂšs dâun individu nâest parfois pas suffisante. On pense notamment Ă la constatation de dĂ©cĂšs dans le cadre dâune enquĂȘte policiĂšre. Il est nĂ©cessaire de savoir estimer l'heure du dĂ©cĂšs de la victime pour pouvoir apporter des preuves de la mise en cause ou de lâinnocence du suspect. La police criminelle et la mĂ©decine lĂ©gale collaborent ainsi entre elles. Lâobjectif de cet article sera de dĂ©finir comment on peut dater le dĂ©cĂšs alors que le passage Ă un Ă©tat lĂ©tal nâest pas clairement dĂ©fini. On Ă©tudiera les diffĂ©rentes mĂ©thodes de datation selon une chronologie en deux Ă©tapes :
- La phase post mortem précoce (jusqu'à quelques jours aprÚs le décÚs).
- La phase post mortem moyenne (jusqu'Ă un mois)
Technique de datation d'un cadavre en phase post-mortem précoce
Estimation du délai post-mortem par des méthodes thermométriques
AprĂšs le dĂ©cĂšs, lâarrĂȘt des phĂ©nomĂšnes dâhomĂ©othermie entraĂźne une Ă©galisation progressive de la tempĂ©rature du corps avec celle de son environnement (dans les pays tempĂ©rĂ©s il sâagira donc le plus souvent dâun refroidissement). Bien que ce phĂ©nomĂšne soit connu de longue date, son intĂ©rĂȘt potentiel dans le champ de la mĂ©decine lĂ©gale nâa Ă©tĂ© identifiĂ© que vers le milieu du XIXe siĂšcle. Le principal intĂ©rĂȘt du refroidissement en tant que marqueur du dĂ©lai post-mortem est quâil sâagit dâun phĂ©nomĂšne aisĂ©ment quantifiable, Ă la diffĂ©rence des autres marqueurs cadavĂ©riques.
Modélisation du refroidissement
Sous les climats tempérés, la température de la peau rejoint celle du milieu environnant en 8 à 12 heures en moyenne mais la température centrale du cadavre nécessite pour ce faire un délai deux à trois fois plus important. Ces constatations ont mené à un certain nombre de simplifications abusives selon lesquelles :
- La tempĂ©rature sâĂ©galiserait avec celle du milieu ambiant en 24 heures.
- La vitesse de refroidissement serait de 1 °C par heure pendant les 24 premiÚres heures.
Ces simplifications reposaient sur lâidĂ©e que le refroidissement cadavĂ©rique pouvait ĂȘtre une fonction linĂ©aire du temps. On sait aujourdâhui quâil nâen est rien.
Une deuxiÚme approche consiste à utiliser les lois de la conduction thermique et de supposer que le flux thermique est proportionnel à la différence de température entre le corps et l'air ambiant. Cette approche permet alors de modéliser la baisse de température par une fonction exponentielle :
Cependant cette modélisation n'apparait pas satisfaisante confrontée à la réalité de l'expérience. En effet, on note, sans pouvoir l'expliquer, que la baisse de température s'effectue en trois phases :
- Une phase dite de plateau thermique initial (durĂ©e de 0,5 Ă 3 heures, avec dâimportantes variations interindividuelles) : pendant cette pĂ©riode et pour des raisons encore mal connues, la tempĂ©rature du cadavre dĂ©croĂźt trĂšs peu ; il en rĂ©sulte une premiĂšre limitation de la mĂ©thode thermomĂ©trique, car celle-ci se rĂ©vĂšle inopĂ©rante pour dater un dĂ©cĂšs rĂ©cent remontant Ă moins de trois heures.
- Une phase intermĂ©diaire de dĂ©croissance rapide, semi-linĂ©aire, qui est celle oĂč la mĂ©thode thermomĂ©trique se rĂ©vĂšle la plus pertinente pour dater la mort.
- Une phase terminale de dĂ©croissance lente oĂč la tempĂ©rature du corps finit par sâĂ©galiser trĂšs progressivement avec celle du milieu ambiant. Ă partir de cette phase, la mĂ©thode thermomĂ©trique n'est plus utilisable.
Le docteur Claus Henssge, professeur de médecine légale à l'université de Essen (Allemagne) a cherché à modéliser la décroissance thermique sous la forme d'une fonction de sommes d'exponentielle variable selon la masse de l'individu. Il propose alors la modélisation suivante :
oĂč k est un paramĂštre dĂ©pendant de la masse M (en kg) de l'individu :
L'observation de ces deux fonctions permet de remarquer que
- la dérivée au temps t = 0 de la température est nulle, ce qui permet bien de modéliser le palier initial.
- La décroissance est d'autant plus lente que la masse de l'individu est élevée.
Comme un médecin légiste n'a pas toujours sous la main une calculatrice scientifique pour déterminer t en fonction de T, Claus Hengsse a créé un systÚme d'abaque permettant de déterminer, en fonction de la température du corps, de la température ambiante et de la masse de l'individu, le temps probable de la mort. C'est le Nomogramme de Henssge.
Ă la valeur trouvĂ©e par le Nomogramme de Henssge, il faudra appliquer des facteurs correctifs en tenant compte du fait que lâĂ©volution de la tempĂ©rature dĂ©pend de nombreux facteurs tels que :
- Des caractĂ©ristiques propres au corps : tempĂ©rature initiale, Ăąge, Ă©ventuellement prĂ©sence de vĂȘtementsâŠ
- Des conditions dépendant du milieu extérieur : présence de vent ou de courants d'air, présence d'humidité, variabilité de la température extérieure.
Utilisation pratique
Sur le lieu d'un dĂ©cĂšs, il est essentiel de mesurer la tempĂ©rature centrale du cadavre aussi bien que celle de lâenvironnement (câest-Ă -dire la tempĂ©rature de lâair ambiant). Les deux mesures doivent ĂȘtre rĂ©alisĂ©es au mĂȘme moment avec le mĂȘme instrument, et lâheure de la mesure doit ĂȘtre notĂ©e avec prĂ©cision. Presque toujours, la tempĂ©rature du cadavre sera mesurĂ©e au niveau rectal tout en sachant que ce site anatomique peut prĂ©senter des problĂšmes lorsque la victime a pu faire lâobjet de violences sexuelles. La prise de tempĂ©rature ne doit jamais ĂȘtre effectuĂ©e avec un thermomĂštre mĂ©dical, car sa gamme de tempĂ©ratures est trop restreinte, lâinstrument de rĂ©fĂ©rence Ă©tant le thermomĂštre Ă©lectronique Ă thermocouple, de grande prĂ©cision et Ă©quipĂ© dâune sonde de pĂ©nĂ©tration souple ou rigide. Cette derniĂšre doit ĂȘtre introduite dâau moins 10 Ă 15 cm dans le rectum du cadavre pour obtenir une bonne estimation de la tempĂ©rature centrale. Lorsqu'elle est mesurĂ©e dans des conditions appropriĂ©es, la tempĂ©rature du corps doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme lâun des meilleurs estimateurs du dĂ©lai post mortem pendant les 24 premiĂšres heures.
Cette technique présente cependant un certain nombre de limitations :
- Elle nâest valide que pendant la phase intermĂ©diaire de l'Ă©volution du refroidissement, c'est-Ă -dire entre 3 et 18 heures.
- La mĂ©thode thermomĂ©trique suppose que la tempĂ©rature corporelle au moment du dĂ©cĂšs se trouvait dans les limites physiologiques (entre 36,8 et 37,6 °C) ; une hyperthermie (rencontrĂ©e par exemple dans le cas d'un dĂ©cĂšs dans un contexte infectieux) ou une hypothermie ante-mortem (par exemple quelqu'un retrouvĂ© mort de froid) peuvent fausser considĂ©rablement les estimations, et doivent donc ĂȘtre Ă©tudiĂ©es chaque fois que des renseignements sur les circonstances de la mort seront disponibles.
- Les Ă©quations du refroidissement supposent Ă©galement que la tempĂ©rature environnementale est restĂ©e sensiblement constante pendant toute la pĂ©riode post-mortem. Cela peut ĂȘtre le cas lorsque le dĂ©cĂšs survient dans des bĂątiments chauffĂ©s ou climatisĂ©s, nĂ©anmoins des problĂšmes se posent dans le cas de corps retrouvĂ©s dans le milieu extĂ©rieur.
La dĂ©termination du dĂ©lai post-mortem par la mĂ©thode thermomĂ©trique peut dâautre part ĂȘtre biaisĂ©e par un certain nombre de facteurs interfĂ©rents dâorigine endogĂšne (cadavĂ©rique) ou exogĂšne (environnementale). Les principaux de ces facteurs sont :
- les mouvements de lâair, qui accĂ©lĂšrent les pertes thermiques par convection. Pour cette raison, il est important de noter si le temps est venteux lorsque la scĂšne de dĂ©cĂšs se situe en extĂ©rieur, ou sâil existe des courants dâair lorsque celle-ci se situe Ă lâintĂ©rieur d'une habitation ;
- l'humiditĂ© de lâair : les pertes thermiques sont dâautant plus importantes que le degrĂ© hygromĂ©trique de lâair est Ă©levĂ© ;
- la prĂ©sence de vĂȘtements : les vĂȘtements jouent le rĂŽle dâisolant thermique et le refroidissement du corps sera dâautant plus retardĂ© que leur Ă©paisseur sera importante (mĂȘme remarque pour tout autre « enrobage » du corps : draps, couetteâŠ) ;
- cas d'un corps immergĂ© : la dĂ©perdition thermique du cadavre est beaucoup plus rapide dans lâeau que dans lâair, et se voit encore accĂ©lĂ©rĂ©e lorsque le corps se trouve plongĂ© en eau courante.
La méthode la plus pratique pour estimer un délai post-mortem par la méthode thermométrique consiste à utiliser le Nomogramme de Henssge. Mais la modélisation précédente ne joue que pour un corps nu dans un air calme. Il est donc souvent nécessaire de faire intervenir des éléments de corrections qui réduisent ou accélÚrent le refroidissement d'un facteur « Cf ». Si « Cf » est supérieur à 1, le corps se refroidit plus lentement. Un facteur Cf inférieur à 1 indique que le corps se refroidira plus vite.
- Corps nu, air calme : Cf = 1,0
- Corps peu habillé, air calme : Cf = 1,1
- Corps habillé modérément, air calme : Cf = 1,2
- Corps habillĂ© chaudement (plus de 4 couches de vĂȘtements), air calme : Cf = 1,4
- Corps trÚs habillé, trÚs couvert, lit : Cf = 2 à 2,4
- Corps nu, air en mouvement : Cf = 0,75
- Corps peu habillé, air en mouvement : Cf = 0,9
- Corps habillé modérément, air en mouvement : Cf = 1,2
- Corps habillé chaudement, air en mouvement : Cf = 1,4
- Corps nu et mouillé, air calme : Cf = 0,5
- Corps peu habillĂ© et vĂȘtements humides, air calme : Cf = 0,8
- Corps habillĂ© modĂ©rĂ©ment et vĂȘtements humides, air calme : Cf = 1,2
- Corps habillĂ© chaudement et vĂȘtements humides, air calme : Cf = 1,2
- Corps nu et mouillé, air en mouvement : Cf = 0,7
- Corps peu habillĂ© et vĂȘtements humides, air en mouvement : Cf = 0,7
- Corps habillĂ© modĂ©rĂ©ment et vĂȘtements humides, air en mouvement : Cf = 0,9
- Corps habillĂ© chaudement et vĂȘtements humides, air en mouvement : Cf = 0,9
- Corps nu dans l'eau stagnante : Cf = 0,5
- Corps peu habillé dans l'eau stagnante : Cf = 0,7
- Corps habillé modérément dans l'eau stagnante : Cf = 0,9
- Corps habillé chaudement dans l'eau stagnante : Cf = 1,0
- Corps nu dans l'eau courante : Cf = 0,35
- Corps peu habillé dans l'eau courante : Cf = 0,5
- Corps habillé modérément dans l'eau courante : Cf = 0,8
- Corps habillé chaudement dans l'eau courante : Cf = 1,0
Il faut cependant prendre conscience que ce calcul ne peut ĂȘtre qu'une estimation. le Nomogramme de Hengsse ne propose pas une durĂ©e fixe mais une fourchette d'estimation.
De nombreux auteurs ont proposé des solutions alternatives pour améliorer la précision de cette technique :
- Mesure répétée ou continue de la température post-mortem pendant plusieurs heures.
- Mesure de la température centrale par des moyens invasifs (introduction de sondes au niveau intra-hépatique, intra-cérébral, etc.).
Ces mĂ©thodes ont en commun d'ĂȘtre difficiles Ă mettre en Ćuvre en routine sur une scĂšne de dĂ©cĂšs ; en outre aucune d'entre elles n'a vĂ©ritablement fait la preuve de sa supĂ©rioritĂ© par rapport Ă la mĂ©thode thermomĂ©trique de rĂ©fĂ©rence.
Exemple
On retrouve un corps dans une mare. Celui-ci pÚse 80 kg et sa température rectale est de 20 °C. à l'aide de données météorologiques, on détermine la température moyenne des quinze derniers jours : on obtient, pour la température de l'eau, . Sur le Nomogramme, on lit 22.5 heures pour l'estimation, puis on applique le facteur correctif : étant donné que le corps a été retrouvé dans de l'eau stagnante, il faut multiplier le délai estimé par 0,5.
On obtient donc heures. La fourchette de fiabilité à 95 % est, dans ce cas précis, de + ou - 4,5 heures. ce qui place la date de la mort entre 6.75 heures et 15,75 heures plus tÎt.
Rigidité cadavérique : un outil dans l'estimation du délai post-mortem précoce
La rigidité cadavérique (ou rigor mortis) est un raidissement progressif de la musculature causé par des transformations biochimiques irréversibles affectant les fibres musculaires au cours de la phase post-mortem précoce. Cet état disparaßt habituellement lorsqu'apparaßt la putréfaction, c'est-à -dire au bout de deux à quatre jours selon les circonstances.
Explication de la rigidité cadavérique
La rigidité se caractérise par une perte d'élasticité des tissus, et notamment des muscles, causée par la coagulation de la myosine, une protéine qui y est présente.
Plus prĂ©cisĂ©ment, elle est due Ă lâarrĂȘt des pompes ATPasiques (donc de l'approvisionnement des cellules en Ă©nergie) qui entraĂźne une accumulation des ions calcium Ca2+ dans le rĂ©ticulum endoplasmique des cellules musculaires; ce dernier Ă©tant appelĂ© rĂ©ticulum sarcoplasmique. Par le biais de cette altĂ©ration et par la perte de lâĂ©tanchĂ©itĂ© du rĂ©ticulum endoplasmique, la concentration cytoplasmique du Ca2+ augmente. Sous l'action de cet ion, des ponts entre les filaments dâactine et de myosine se forment ce qui entraĂźne l'immobilisation du muscle.
La disparition de la rigiditĂ© est en rapport avec lâautolyse et la putrĂ©faction qui dĂ©truisent la structure des filaments dâactine et de myosine ainsi que les liaisons qui les unissent.
Utilisation pratique
La rigiditĂ© cadavĂ©rique affecte lâensemble des muscles de lâorganisme : elle dĂ©bute Ă la nuque puis suit une marche descendante vers les membres infĂ©rieurs, comme l'indique la loi de Nysten. En effet, elle touche dâabord les petits muscles situĂ©s en haut du corps puis les muscles plus importants (en particulier les membres infĂ©rieurs), oĂč elle prĂ©domine, ce qui explique cette marche descendante.
- La rigiditĂ© dĂ©bute entre 3 et 4 heures aprĂšs le dĂ©cĂšs, presque toujours au niveau de lâextrĂ©mitĂ© cervico-cĂ©phalique (nuque et muscles mastiquateurs).
- Elle atteint son intensité maximale à 24 heures post mortem.
- Elle se maintient ensuite entre 12 et 36 heures.
- Puis elle disparaßt progressivement en deux ou trois jours, lorsque la putréfaction apparaßt.
En cas de rupture artificielle, par exemple un dĂ©placement du cadavre, intervenant moins de 8 Ă 12 heures aprĂšs la mort, la rigiditĂ© peut rĂ©apparaĂźtre ; ce nâest pas le cas lorsque la rupture intervient au-delĂ de ce dĂ©lai (associĂ©e Ă d'autres mĂ©thodes de datation, cette considĂ©ration permet par exemple de constater que le cadavre a Ă©tĂ© dĂ©placĂ©). Cette chronologie nâest quâindicative et en rĂ©alitĂ© on observe des variations interindividuelles considĂ©rables en fonction de la tempĂ©rature ambiante (comme tous les phĂ©nomĂšnes cadavĂ©riques, la rigiditĂ© est dâautant plus rapide que la tempĂ©rature ambiante est Ă©levĂ©e et inversement), dâune Ă©ventuelle activitĂ© musculaire intense avant la mort, de lâimportance de la musculature du sujet et de la cause de la mort :
- La rigiditĂ© est plus rapide en cas de convulsions ante-mortem, dans certains dĂ©cĂšs toxiques (strychnineâŠ), dans les Ă©lectrocutions, dans les dĂ©cĂšs prĂ©cĂ©dĂ©s dâun Ă©tat de stress ou lorsque la mort survient au cours dâefforts musculaires intenses.
- Elle est plus lente dans certains dĂ©cĂšs asphyxiques (pendaison, intoxication au monoxyde de carboneâŠ), ou lors d'hĂ©morragies massives.
La rigidité cadavérique présente d'autres limitations :
- Elle peut varier en intensitĂ© : ainsi, elle est trĂšs peu importante chez le sujet ĂągĂ© ou Ă©maciĂ© ou lors dâagonies prolongĂ©es (dans ce cas, il faut veiller Ă ne pas la confondre avec la raideur due au froid).
- Il nâexiste pas dâinstrument ou de technique permettant de la quantifier de maniĂšre prĂ©cise.
Pour ces diffĂ©rentes raisons, la rigiditĂ© cadavĂ©rique ne doit jamais ĂȘtre utilisĂ©e isolĂ©ment pour tenter de dĂ©terminer le dĂ©lai post-mortem mais doit ĂȘtre exploitĂ©e Ă la lumiĂšre d'autres mĂ©thodes de datation.
Lividités cadavériques
Les lividitĂ©s cadavĂ©riques (ou livor mortis) sont une coloration rouge Ă violacĂ©e de la peau liĂ©e Ă un dĂ©placement passif de la masse sanguine vers les parties dĂ©clives du cadavre, qui dĂ©bute dĂšs l'arrĂȘt de l'Ă©coulement du sang.
Explication des lividités cadavériques
Le processus d'apparition des lividités cadavériques débute dÚs la mort de l'individu. En effet :
- La pompe cardiaque fait mouvoir le sang dans lâorganisme et son arrĂȘt en entraĂźne la stagnation.
- AprÚs la mort, des ouvertures se forment dans la paroi des vaisseaux sanguins, constituées de cellules endothéliales.
- Des globules rouges s'échappent alors des vaisseaux, leur densité d = 1,095 étant supérieure à celle du plasma sanguin et des autres cellules sanguines, comprises entre 1,070 et 1,085.
- Le sang, en sâaccumulant, devient visible par transluciditĂ© de la peau, d'oĂč une modification de sa teinte qui caractĂ©rise les lividitĂ©s cadavĂ©riques.
Utilisation pratique
Les lividités cadavériques se répartissent de maniÚre caractéristique sur le cadavre :
- Elles apparaissent dâabord sur le cou et sâĂ©tendent ensuite Ă dâautres rĂ©gions de lâorganisme vers la quinziĂšme heure aprĂšs le dĂ©cĂšs.
- Elles Ă©pargnent les points de pression : ainsi, sous lâeffet de la gravitation, le sang dâune victime allongĂ©e sâaccumule, sâimmobilise et deviendra persistant sous la peau non comprimĂ©e des parties les plus basses.
La vitesse de formation des lividités est variable. De maniÚre générale :
- Elles sont visibles Ă partir de la deuxiĂšme heure aprĂšs la mort.
- Elles deviennent ensuite progressivement de plus en plus marquées pour atteindre le maximum de leur intensité à la douziÚme heure.
Par ailleurs, la mobilité des lividités est également intéressante :
- Elles sont dans un premier temps effaçables à la pression : un appui appliqué sur une zone de lividité chasse le sang des vaisseaux et la peau prend une teinte plus pùle par rapport aux zones avoisinantes.
- à la douziÚme heure, et à la suite de la perte d'étanchéité des parois vasculaires, le sang imbibe le tissu interstitiel et l'appui appliqué sur une zone de lividité ne peut plus déplacer le sang. à ce stade, les lividités sont dites fixes.
Dans les affaires criminelles, les lividitĂ©s peuvent donc indiquer un Ă©ventuel changement de position du cadavre, si leur emplacement constatĂ© ne correspond pas Ă celui attendu. La teinte des lividitĂ©s cadavĂ©riques peut donner des renseignements sur la cause de la mort. Des lividitĂ©s de teinte rouge-carmin sont typiques dâune intoxication au monoxyde de carbone (), alors que des lividitĂ©s cyanosĂ©es orientent gĂ©nĂ©ralement vers une cause asphyxique ou vers un dĂ©cĂšs secondaire dĂ» Ă une pathologie cardiaque ou pulmonaire.
Dosage du potassium dans lâhumeur vitrĂ©e de l'Ćil
Lâutilisation du dosage du potassium contenu dans lâhumeur vitrĂ©e de l'Ćil date de plus de 25 ans. Câest une mĂ©thode utile mais qui, Ă elle seule, nâest guĂšre plus prĂ©cise que les signes cliniques. Cette mĂ©thode repose sur le principe suivant : lorsque l'organisme cesse son activitĂ©, les cellules de la paroi perdent leur semi-permĂ©abilitĂ© et par consĂ©quent libĂšrent une partie des ions qu'elles contiennent (notamment le potassium). Et plus le temps s'Ă©coule plus la teneur en potassium augmente. Il ne peut pas y avoir de contamination possible par l'humeur vitrĂ©e, car celle-ci pour ĂȘtre translucide ne doit contenir que trĂšs peu d'ions. L'avantage essentiel de cette mĂ©thode est quâelle est utilisable pendant quelques jours (jusqu'Ă une semaine) alors que les mĂ©thodes non biologiques ne le sont que pendant 24 Ă 48 heures maximum.
- PrĂ©lĂšvement : le prĂ©lĂšvement se fait au moyen d'une seringue munie d'une aiguille intramusculaire, dans lâangle externe de lâĆil, par aspiration douce afin dâĂ©viter toute contamination sanguine ou rĂ©tinienne. Il doit ĂȘtre effectuĂ© le plus prĂ©cocement possible c'est-Ă -dire lors de la dĂ©couverte du corps, avant sa mise en rĂ©frigĂ©ration.
- Dosage : par un laboratoire habitué (électrodes sélectives) aprÚs agitation et homogénéisation.
- Conservation : la technique reposant sur un dosage total dâions dans un liquide biologique, les conditions de conservation nâont pratiquement aucune influence sur les rĂ©sultats.
Les scientifiques ont pu établir, la formule suivante basée sur plus de 200 étalonnages :
entre 18 et 20 °C,
Ă©tant le dĂ©lai post-mortem exprimĂ© en heures et la concentration de potassium dans l'humeur vitrĂ©e en . Cette formule est relativement imprĂ©cise, puisque son Ă©cart type atteint 9 heures. Cependant elle est assez simple Ă appliquer puisqu'il s'agit d'une fonction affine de la concentration en potassium. Il est prĂ©fĂ©rable de disposer des rĂ©sultats d'un Ă©talonnage effectuĂ© en laboratoire, afin d'avoir une estimation du dĂ©lai post-mortem plus prĂ©cise que celle donnĂ©e par la formule. Dans des conditions expĂ©rimentales, lâĂ©cart type est plus faible. Le potassium provenant de la lyse cellulaire nâa pas un accroissement linĂ©aire. La tempĂ©rature est un facteur trĂšs important puisque le froid ralentit considĂ©rablement lâaugmentation de la quantitĂ© de potassium prĂ©sente dans l'humeur vitrĂ©e.
Technique de datation d'un cadavre en phase post-mortem moyenne
Putréfaction
La putrĂ©faction est la dĂ©composition des tissus organiques sous lâinfluence prĂ©pondĂ©rante des bactĂ©ries hĂ©bergĂ©es par lâindividu, surtout celles de la flore intestinale, ensuite des mycĂštes saprophytes et des bactĂ©ries minĂ©ralisantes qui envahissent le cadavre.
La putréfaction débute par :
- l'apparition d'une tache verte abdominale au niveau de la fosse iliaque droite ;
- l'apparition d'une tache verte abdominale au niveau de la fosse iliaque gauche ;
- l'extension de ces deux taches qui finissent par gagner progressivement toute la partie infĂ©rieure de lâabdomen.
Les divers mycĂštes se succĂšdent en groupes dĂ©terminĂ©s et cette flore se modifie suivant les altĂ©rations progressives du substrat qui constitue ainsi, Ă une Ă©poque donnĂ©e, un habitat dâĂ©lection pour certaines espĂšces de mycĂštes et pas pour dâautres. Il existe trois vagues successives :
- au premier stade de la putrĂ©faction colicative et gazeuse, lors de la premiĂšre escouade on trouve seulement des diptĂšres : les Calliphoridae ou mouches Ă viande et les Muscidae dites mouches domestiques. Ces insectes arrivent directement aprĂšs la mort, avant quâil y ait lâodeur de dĂ©composition. Ils arrivent parfois mĂȘme Ă lâagonie, juste avant la mort. Ils pondent des larves qui rĂ©duisent les tissus en bouillie, d'un bleu sombre brillant, puis aspirent les liquides produits par la transformation des tissus organiques.
- à une période plus avancée de la transformation des graisses, se succÚdent les insectes de la deuxiÚme escouade. Elle est composée de sarcophagiens qui sont attirés par l'odeur de la mort. Ils arrivent dÚs que le corps dégage des odeurs cadavériques, trois mois aprÚs la mort.
- enfin, au stade de la rĂ©duction squelettique, se dĂ©veloppe la troisiĂšme escouade. Elle apparaĂźt entre le 3e et le 9e mois du dĂ©cĂšs. Elle est constituĂ©e de petits colĂ©optĂšres et parfois de lĂ©pidoptĂšres, qui sont attirĂ©s par lâodeur de graisse rance.
La putrĂ©faction du cadavre due aux bactĂ©ries et aux mycĂštes saprophytes accentue lâaltĂ©ration amorcĂ©e par lâautolyse des dĂ©chets que les bactĂ©ries minĂ©ralisantes feront rentrer dans le cycle des dĂ©chets de la biosphĂšre. Toutes ces modifications post-mortem et leur succession sont accĂ©lĂ©rĂ©es ou retardĂ©es par de nombreux facteurs :
- le volume du cadavre est important Ă considĂ©rer, lâaltĂ©ration est plus rapide pour un petit cadavre par exemple ;
- lâĂąge du cadavre ;
- les causes de la mort ;
- le lieu de dépÎt ;
- les facteurs extĂ©rieurs : saisons, conditions mĂ©tĂ©orologiques notamment la tempĂ©rature et le degrĂ© hygromĂ©trique, l'aĂ©rationâŠ, sont autant de points Ă considĂ©rer.
Entomologie médico-légale
L'examen du cadavre seul ne permet que trop rarement une datation prĂ©cise. C'est pourquoi l'Ă©tude des insectes nĂ©crophages s'est avĂ©rĂ©e indispensable Ă la rĂ©solution de certaines affaires. En effet, ces insectes arrivent par « vagues », faciles Ă reprĂ©senter sur Ă©chelle de temps, qu'a trĂšs bien dĂ©crites le vĂ©tĂ©rinaire Jean Pierre MĂ©gnin (1828-1905), qui publia en 1894 La faune des cadavres. Dans cet ouvrage, il dĂ©crit les huit vagues dâinsectes qui se succĂšdent sur les cadavres en dĂ©composition et dont lâĂ©tude permet de dater prĂ©cisĂ©ment la mort[1].
Notes et références
Voir aussi
Bibliographie
- Marcel Leclercq (1978), Entomologie et Médecine légale. Datation de la mort. Masson (Paris), Collection de médecine légale et de toxicologie médicale : 100 p.
- Claude Wyss, Daniel Cherix, Traité d'entomologie forensique. Les insectes sur la scÚne de crime, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes.
- Damien CharabidzĂ©, Entomologie Medico-Legale: Recherche Et Expertises, Ăditions Universitaires EuropĂ©ennes, 180 p.