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Briga

Briga est une agglomération gallo-romaine qui par la suite devint la ville d'Eu dans le département de Seine-Maritime.

Briga
Image illustrative de l’article Briga
Localisation
Pays Drapeau de l'Empire romain Empire romain
Province romaine Haut-Empire : Gaule belgique
Bas-Empire : Belgique seconde
RĂ©gion Normandie
DĂ©partement Seine-Maritime
Commune Eu
Type Pagus
CoordonnĂ©es 50° 01′ 09″ nord, 1° 27′ 59″ est
Altitude 130 m
Superficie 65 ha
GĂ©olocalisation sur la carte : Empire romain
(Voir situation sur carte : Empire romain)
Briga
Briga
Histoire
Protohistoire Ă‚ge du bronze
Ă‚ge du fer
Antiquité Empire romain
Site archéologique gallo-romain de Bois-l'Abbé
Copie d'une statuette du dieu Mercure retrouvée à Briga.
Présentation
Type
Propriétaire
État
Patrimonialité
Localisation
Pays
RĂ©gion
DĂ©partement
Commune
Coordonnées
50° 01′ 09″ N, 1° 27′ 59″ E
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Le site archĂ©ologique gallo-romain de « Bois l'AbbĂ© », situĂ© en forĂŞt d'Eu Ă  130 mètres d’altitude sur le plateau de Beaumont, et classĂ© au titre des monuments historiques depuis 1987[1], est fouillĂ© par intermittence depuis plus de deux siècles. Il correspond Ă  une ville du Haut-Empire romain dont la superficie est actuellement estimĂ©e Ă  plus de 65 ha. Tous les ans, le site accueille des bĂ©nĂ©voles pour les campagnes de fouilles estivales.

Situation géographique

Le site Briga est situé en Normandie, plus précisement en Seine-Maritime. Cette agglomération secondaire gallo-romaine est géographiquement à l'interface des provinces de Belgique, et de Lyonnaise[2] voire de Bretagne si l'on fait abstraction de l'Oceanus Britannicus (la Manche actuelle). Implanté sur un étroit plateau, le site domine la vallée de la Bresle et un petit fleuve éponyme navigable sur plus de km depuis la Manche.

La forêt domaniale d’Eu s’étendait sur toute la frange septentrionale du duché de Normandie, couvrant les coteaux de la rive droite de la Bresle qui faisait face aux terres picardes du Vimeu. Cette forêt est mentionnée tardivement dans les sources et sa formation paraît dater du Haut Moyen Âge. L’extrémité occidentale de ce massif forestier, l’un des trois triages forestiers donnant sur la ville d’Eu, porte le nom de Bois-l’Abbé, en référence probablement à leurs anciens détenteurs, les religieux de la collégiale Notre-Dame du Châtel d’Eu. Ce domaine que les arpenteurs du XVIIe siècle dessinent sous la forme d’un triangle est délimité au nord par le cours d’eau de la Bresle, au sud par la vallée sèche de Saint-Pierre-en-Val et à l’est par la vallée du Mont Hulin qui départage les terres des religieux de celles du Comte d'Eu. La possession de ces terres par la collégiale conduit à penser que le comte d’Eu a hérité des terres qu’occupait l’ancienne agglomération antique de Briga. Si la période entre l’abandon de Briga et l’acquisition par les religieux de cet espace n’est renseignée par aucun document, l’archéologie a repéré, à l’extrémité occidentale du plateau du Bois-l’Abbé, une fortification de terre que l’on suppose être celle du comte carolingien occupant la place forte. Son existence est mentionnée par la chronique du chanoine rémois Flodoard au Xe siècle. Cette fortification de terre est peut-être un jalon dans le déplacement progressif du peuplement, des hauteurs de l’estuaire de la Bresle vers le futur bourg comtal d’Eu en fond de vallée.

Topographie

Les relevĂ©s de la carte d'Ă©tat-major rĂ©alisĂ©s au XIXe siècle apportent des prĂ©cisions sur les caractĂ©ristiques orographiques de ce massif forestier de Bois-l’AbbĂ© (30 hectares), s’étendant entre le Bois-des-Combles Ă  l’ouest et le massif de La Madeleine Ă  l’est. Ce plateau autonome de plus de deux kilomètres de long est une bande de terre atteignant au mieux 300 m de large et ondulant sous l’effet de vallons entamant en profondeur le socle rocheux. Les talwegs des vallons sont parcourus par des sources qui jaillissent des pentes supĂ©rieures. Ce promontoire aux pentes abruptes et Ă  l’humiditĂ© persistante n’en a pas moins Ă©tĂ© un lieu de passage, qu’attestent les nombreux chemins de terre en cavĂ©es. Ces chemins assurent le passage de la vallĂ©e de Saint-Pierre-en-Val Ă  la Bresle et desservent, Ă  l’époque antique, l’agglomĂ©ration de Briga situĂ© Ă  l’extrĂ©mitĂ© orientale du plateau. Ce relief si marquĂ© a dĂ©terminĂ© la forme de la ville antique que dĂ©gagent les fouilles archĂ©ologiques.

La levĂ©e topographique, travail de longue haleine, constitue l’unique moyen vĂ©ritablement scientifique d’inventorier et archiver des informations de terrain. Entre 2011 et 2015, 61 hectares ont ainsi Ă©tĂ© parcourus grâce Ă  une couverture de 90 000 points permettant aux logiciels informatiques de dessiner des courbes de niveaux prĂ©cises. Ces donnĂ©es renseignent sur l’organisation spatiale de l’agglomĂ©ration antique et les anomalies qui ponctuent le terrain, toutes pĂ©riodes confondues. Cette mĂ©thode est mise en place Ă  Briga avant toute intervention archĂ©ologique qui dĂ©truit irrĂ©mĂ©diablement la topographie naturelle.

Les plans montrent que le plateau de Bois-l’Abbé est constitué d’une escarpe de 3 à m de haut dont le pied est occupé par des cuvettes en eau maintenues par des levées de terres périphériques côté vallée. Par endroits, des rampes de terre de différentes largeurs conduisent vers le haut du plateau en rompant la continuité de l’escarpe, éléments à distinguer des chemins en cavées qui complètent le réseau viaire de l’habitat. Le forum est, quant à lui, constitué d’un complexe monumental édifié sur une terrasse, aménagée dans l’alignement du théâtre et implantée en haut d’un vallon naturel. L’enceinte de l’espace public englobe deux autres terrasses au-delà desquelles se développe l’habitat, également aménagé sur des terrasses qui ont persisté, malgré les mouvements de terrain liés à la nature plastique de la géologie locale.

S’il est encore prĂ©maturĂ© de confirmer que l’habitat antique serait venu s’appuyer puis gommer partiellement une fortification de hauteur antĂ©rieure, les campagnes de topographie en cours rappellent une Ă©vidence : une agglomĂ©ration ne peut se comprendre qu’en intĂ©grant tout son environnement. La dĂ©couverte en 2013 d’un tertre fossoyĂ© Ă  l’extrĂ©mitĂ© nord du plateau, Ă  200 m de la zone classĂ©e, en est un exemple.

Identification

L'inscription dédicatoire du théâtre : le pagus Catuslou […]

Pendant longtemps, la nature du site de Briga a été méconnue. La proximité avec la ville d’Eu lui avait fait attribuer le nom d’Augusta découvert grâce à des textes depuis le VIIe siècle. Lors de la fouille du théâtre par Michel Mangard, une inscription très importante a été retrouvée. Proposition de traduction du texte :

« Lucius Cerialius Rectus, prêtre de Rome et de l’empereur, quattuorvir, quinquennal (ou questeur), préfet chargé de la répression du brigandage, a dédié sur ses deniers aux puissances divines des empereurs, au pagus des Catuslogi, au dieu M[?], ce théâtre avec le devant de scène. »

En Gaule, l’épigraphie permet de démontrer deux particularités concernant les notables : la première est qu’ils préfèrent être enterrés ou incinérés à la campagne, la deuxième, celle qui nous intéresse, est qu’ils assuraient leur clientèle en offrant des monuments aux villes, et notamment des basiliques, des édifices de spectacles, des temples, des thermes, etc. Ainsi dans l’inscription, on peut voir que Lucius Cerialus ne s’est pas contenté d’offrir une simple contribution mais a financé la totalité de l’édifice, décor compris.

L’intérêt principal de cette plaque pour Briga est la mention de Pago Castuslougo. Selon Mangard, les Catuslugi seraient un peuple d’avant la guerre des Gaules qui subsisterait comme habitant d'un pagus dépendant de la cité des Ambiens[3]. Cette appartenance à la civitas des Ambiens repose sur une inscription retrouvée, entre 1965 et 1973, dans le sanctuaire rural du Bois-l'Abbé qui indique qu'un magistrat amiénois du IIe siècle, Lucius Cerialus Rectus, avait offert au sanctuaire un théâtre[4]. Mais cette hypothèse a été remise en cause au profit d’une autre plus fondée qui les attribuerait à une subdivision des Bellovaques créée après la conquête.

Dans son Histoire naturelle, Pline l'Ancien cite le peuple des Catuslugi comme peuple de Belgique qui n’avait, jusqu’à la découverte de cette plaque, pas prouvé réellement son existence. En gaulois, Catu- signifierait « combat » et slougo- « troupe, armée, groupe », d'où le sens global de « troupe de combat »[5]. Autre point insolite : à l'époque de la dédicace, la mention du peuple sur les inscriptions est pratiquement sortie de l'usage et, hors de la Narbonnaise, la mention de la tribu ne paraît pas avoir revêtu une grande importance pour les Gaulois romanisés. Au début du IIIe siècle, elle est à peu près tombée en désuétude. Cette inscription du théâtre serait donc une exception. La considération de Briga comme chef-lieu de pagus des Catuslougi n’est qu’une hypothèse, mais elle est bien fondée, d’abord parce qu’elle est le seul site qui fait mention de ce pagus et qui le matérialise, et surtout par son envergure et ses édifices.

L'inscription dédicatoire de la basilique : Briga

L’inscription du théâtre permet d’identifier le peuple des Catuslugi. Elle ne permet pas de démentir à elle seule le lien établi par les érudits entre ce lieu et l'antique Augusta. Le recours aux études toponymiques montrent que le nom de la commune d’Oust-Marest de l'autre côté de la Bresle, dans le département de la Somme, continue le nom d’Augusta, puisqu’il est attesté sous les formes Agusta en 775, Augusta au VIIIe siècle, Austa en 1123, Aouste en 1124, Ouste en 1292[6] et Oust résulte de l'évolution phonétique régulière d’Agusta, forme populaire d’Augusta (voir Août). La présence d'une autre fondation nommée Augusta sur l'autre rive est en effet improbable, à moins d'un transfert de nom de lieu, non vérifié, comme il arrive parfois. En 2006, une nouvelle découverte archéologique, celle d’une plaque dédicatoire, est venue renforcer les conclusions des toponymistes et a permis d’identifier un nouveau bâtiment, la basilique, et de réattribuer à la ville le nom antique de Briga. Voici la proposition de traduction :

« À la puissance divine de l’empereur, au pagus catusloug, à Jupiter et à Mercure de Briga, Publius Magnus Belliger a fait édifier une basilique à ses frais. »

Elle est dédiée à Jupiter, dieu des dieux, et à Mercure, dieu favori des Gaulois, qui est aussi probablement la divinité poliade. Brigensis est constitué comme épithète de Mercure et dérivé en -ensi (> -ois, -ais) du nom de Briga.

Briga est un mot d'origine celtique signifiant « colline, mont », puis ayant évolué dans le sens de « forteresse » cf. irlandais brí, génitif bregs, breton bre[7]. Le sens originel du mot celtique convient particulièrement bien à la localisation des vestiges sur un plateau dominant, au nord et à l'est la vallée de la Bresle, et au sud et à l'ouest une vaste plaine.

On a donc un nouveau témoignage de bâtiment public financé par un notable, qui n’est pas le même que celui qui a fait construire le théâtre. L’étude du texte et de la formation des lettres suggère une datation proche de celle du théâtre, soit échelonnée sur le deuxième et le troisième siècle. La mention, une fois de plus, du pagus Catuslougo renforce la certitude de la situation de ce peuple.

Histoire du site

Fréquentation ou occupation pré-romaine

Du mobilier, notamment céramique, appartenant à l’âge du bronze permet de dater une très ancienne fréquentation de Briga autour des IXe et VIIIe siècles av. J.-C.. Des monnaies, des bijoux (principalement des fibules) de la céramique et du mobilier lié à l’armement retrouvés au niveau du sanctuaire permettent d’affirmer une présence de la période de la Tène, soit dès le milieu du IIe siècle av. J.-C.

Abandon et fréquentation post-romaine

À la fin du IIIe siècle, toute la ville semble être désertée selon l’étude du mobilier. Il ne s’agit pas d’un cas unique puisque 80 à 90 % des sites ruraux et des agglomérations secondaires sont abandonnés dans le nord de la Seine-Maritime. Ce phénomène touche surtout la côte et est plus limité dans les terres où il concerne tout de même environ 50 % des sites. La cause de cette désertion généralisée de la région est à mettre en rapport, du moins en partie, à une succession de raids des Germains dans le nord de la Gaule entre 250 et 280, suivie dans les années 280-290 de razzias lancées sur les côtes de la Manche par la piraterie saxonne. La destruction totale ou partielle des sites et l’insécurité qui l'accompagne a conduit tout naturellement à la fuite des habitants. Une faible fréquentation mérovingienne est attestée, vraisemblablement liée à la récupération des matériaux de construction qui a débuté au IVe siècle. Au VIe siècle, la ville d’Auvae (*Awae), la future ville d’Eu, est fondée en fond de vallée. Petit à petit, la nature a repris ses droits à Briga au point de faire naître une forêt.

La découverte et les premières fouilles

Les vestiges de la ville antique, masqués sous la forêt pendant plus d’un millénaire, n’ont été redécouverts qu’à la fin du XVIIIe siècle, lorsque le duc de Penthièvre fit prolonger en forêt la route venant d’Eu, qui s’arrêtait jusqu’alors au manoir de Beaumont. Le percement de la chaussée rencontra les puissantes maçonneries du Grand Temple, qui passèrent d’autant moins inaperçues qu’il fallut les traverser à la pioche. Une plaque couverte d’un texte en latin fut également découverte et mutilée à cette occasion, sans malheureusement qu’elle ait été transcrite ou conservée.

Louis Estancelin 1820-1821

Ces informations sur la découverte initiale furent recueillies auprès d’un ou plusieurs témoins directs à la fin des années 1810, par Louis Estancelin, qui venait d’être nommé par le duc d’Orléans régisseur de la forêt d’Eu. Après une reconnaissance sur place, il mena la première opération archéologique sur le site de Bois-l'Abbé en 1820 et 1821. Avec une équipe d’ouvriers, il explora partiellement le temple central puis un édifice de spectacle qu’il soupçonnait en contrebas, dans des reliefs très marqués en sous-bois (lieu-dit La Côte des Câteliers). Une publication assez détaillée de ces travaux en 1825 permit de mesurer l’importance des vestiges monumentaux, et de présumer l’existence sous le temple, dans un niveau de « terre noire grasse et fétide », de dépôts votifs plus anciens (armes, bijoux, monnaies gauloises et romaines, clés, etc.). Au terme de ses fouilles, sa conclusion est dépourvue d'ambiguïté : il n’a « pas le moindre doute sur l’existence d’une cité » enfouie sous la forêt.

Daniel et Émile Fauquet 1860-1863

Jean Benoît Désiré Cochet.

Quarante ans plus tard, les terrains de Bois-l'Abbé furent défrichés en vue de l’établissement d’une exploitation agricole en fermage. Le déboisement de quelques dizaines d’hectares et la construction du corps de ferme, en 1860-1863, entraînèrent la mise au jour de nombreux vestiges antiques, dont on n’a qu’une très brève relation par l’abbé Cochet qui fit une visite sur place en mai 1861, et rapporte en outre deux ans plus tard la découverte d’un dépôt monétaire à proximité de la ferme.

Jean Benoît Désiré Cochet 1872

Une subvention du Préfet de la Seine-Inférieure permit à l’abbé Cochet d’organiser une nouvelle exploration du site durant quelques semaines, en septembre et octobre 1872. Elle fut conduite par son collaborateur de longue date, Pierre-Henri Cahingt. La participation d’Ernest Varambaux, ingénieur des Ponts-et-Chaussées à Eu, permit le levé d’un plan des vestiges, axé sur ce que nous identifions maintenant comme le centre public, et d’un dessin des murs en élévation. Cet ensemble de monuments était alors interprété comme deux temples se faisant face de part et d’autre d’une esplanade.

L’édifice de spectacles fit également l’objet d’un examen plus poussé, qui conduisit à le réinterpréter, à juste titre, comme un théâtre et non comme un amphithéâtre comme le proposait Estancelin. Enfin, un troisième secteur fut exploré lors de cette campagne, « un peu en dessous » du théâtre, « en allant vers la forêt d’Eu ». Là, des fouilles menées jusqu’à deux mètres de profondeur dégagèrent un bâtiment à hypocaustes particulièrement bien conservé (les « Petits Thermes » ?).

L’abbé Cochet se positionnait, comme L. Estancelin avant lui, de manière catégorique sur la nature du site :

« "Tout le plateau de Beaumont fut recouvert de constructions. Il y a là une ville gisante sous les broussailles ou sous l’herbe"[8], une opinion partagée par son collaborateur Varambaux qui évoque de son côté "les traces d’une ville importante". »

Michel Mangard 1965-1978

Durant des dĂ©cennies, les comptes-rendus des fouilles du XIXe siècle constituèrent les seules donnĂ©es disponibles sur le site du Bois-l’AbbĂ©, et furent compilĂ©es et commentĂ©es abondamment. La nature urbaine du site fut remise en cause dès le dĂ©but du XXe siècle par l’abbĂ© Legris, et le site fut dès lors interprĂ©tĂ© comme un sanctuaire isolĂ©, ou comme un centre monumental rural destinĂ© Ă  « romaniser Â» les populations campagnardes. Ă€ ce titre, il intĂ©grait des sujets de rĂ©flexion menĂ©s Ă  l’échelon national Ă  partir des annĂ©es 1960, et revint donc Ă  cette pĂ©riode sur le devant de la scène archĂ©ologique.

Ă€ l’instigation de personnalitĂ©s locales et du directeur des AntiquitĂ©s Historiques, Michel Mangard accepta au milieu des annĂ©es 1960 de rouvrir le dossier de Bois-l'AbbĂ©. Professeur agrĂ©gĂ© d’histoire, il menait en parallèle une activitĂ© archĂ©ologique bĂ©nĂ©vole dans la rĂ©gion dieppoise. Après une reconnaissance du terrain en 1964, il entreprit quatorze campagnes de fouilles estivales d’un mois environ, avec une Ă©quipe constituĂ©e en gĂ©nĂ©ral de 10 Ă  20 bĂ©nĂ©voles. Ce sont les monuments publics dĂ©jĂ  connus (mais incomplètement explorĂ©s) qui furent tout naturellement l’objet principal de ces travaux, financĂ©s par des subventions de la municipalitĂ© et du ministère de la Culture.

Le  théâtre fut le premier explorĂ©, en vue d’en comprendre l’agencement et la chronologie, et d’en dresser un premier plan. D’importants terrassements au bulldozer dĂ©gagèrent alors une partie du mur de couronne et de ses contreforts, tandis qu’une fouille fine Ă©tait conduite sur les amĂ©nagements de la scène. C’est lĂ  que dès la première campagne en 1965 furent dĂ©couvert de grands pans d’une inscription dĂ©dicatoire sur pierre calcaire, formĂ©e Ă  l’origine de six plaques jointives (qui totalisent 11 m de long environ sur 43 cm de large), et qui Ă©tait fixĂ©e sur le front de scène. Le texte, rĂ©digĂ© en belles majuscules latines sur deux lignes, Ă©voque le financement du théâtre et de son proscenium par un magistrat, Lucius Cerialius Rectus, qui le dĂ©die conjointement Ă  la puissance divine des empereurs, Ă  un dieu dont le nom n’est pas conservĂ© hors la première lettre M (et qu’il faut sans doute identifier au Mercure de Briga), et au gĂ©nie de la circonscription locale, le pagus catuslou(…).

Du cĂ´tĂ© du sanctuaire, après un sondage en 1965, les campagnes suivantes (1969-1978) portèrent sur le grand temple et ses abords. Pour la première fois, l’existence de plusieurs lieux de culte successifs fut mise en Ă©vidence, avec un phasage en quatre temps : une première pĂ©riode de frĂ©quentation caractĂ©risĂ©e par des dĂ©pĂ´ts votifs dans les « terres noires Â», puis trois Ă©tats maçonnĂ©s, oĂą les temples Ă©taient bordĂ©s sur l’arrière par un rĂ©seau dense de portiques successifs. Ă€ l’extrĂ©mitĂ© sud du troisième et du plus rĂ©cent de ces portiques, fut dĂ©gagĂ© un fanum ; l'existence d'un second fut envisagĂ©e peu après par symĂ©trie Ă  l'autre extrĂ©mitĂ© du portique.

Michel Mangard situe la pĂ©riode de frĂ©quentation de ce lieu de culte entre 35/30 avant notre ère et la fin du IIIe siècle av. J.-C., avec quelques traces de nature non dĂ©terminĂ© jusqu’au dĂ©but du Ve siècle. En 2008, peu avant son dĂ©cès, il concluait son intervention par les propos suivants :

« Après la Conquête a pu se développer à “Bois-l'Abbé” une bourgade-sanctuaire ou, si l’on préfère, une agglomération secondaire à fonction religieuse prédominante (…). La coexistence probable d’habitats sur la Bresle, au pied de “Bois-l’Abbé” et sur le plateau au voisinage immédiat du sanctuaire pourrait accréditer l’existence d’une agglomération polynucléaire prospérant autour de deux pôles, l’un en vallée à vocation plus économique, l’autre sur le plateau à vocation plus cultuelle. »

Étienne Mantel 2002-2015…

Des sondages menĂ©s en 2004-2005 derrière la ferme du Vert-Ponthieu avaient montrĂ© l’existence de constructions monumentales qui prolongent le sanctuaire dans ce secteur. Il paraissait alors Ă©vident que les fouilles de M. Mangard n’avaient mis au jour qu’une partie d’un ensemble plus vaste. Comprendre l’organisation et l’évolution du lieu de culte nĂ©cessitait d’entreprendre la fouille extensive de ces nouveaux monuments.

Ce travail a Ă©tĂ© menĂ© essentiellement de 2006 Ă  2010, dans le cadre de fouilles programmĂ©es conduite par Étienne Mantel (direction rĂ©gionale des Affaires culturelles, service rĂ©gional de l'archĂ©ologie). Un complexe monumental très Ă©tendu a alors Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©, qui dĂ©passe dans son Ă©tat final le cadre d’un simple sanctuaire. Son organisation ne rencontre pas d’équivalent direct dans l’ensemble du monde romain, et son interprĂ©tation fait dĂ©bat, entre un ensemble strictement cultuel et un centre public mĂŞlant des fonctions religieuses, politiques et Ă©conomiques.

Parallèlement, la question du contexte dans lequel s’insère cet ensemble de monuments, ainsi que le théâtre et les thermes, s’est rapidement imposée comme un axe de recherches supplémentaire. Les hypothèses avancées auparavant privilégiaient la fonction religieuse de Bois-l'Abbé, où était envisagée au mieux l’existence d’un petit noyau aggloméré vivant dans la dépendance du sanctuaire. L’étendue du site et son organisation n’avaient jamais fait l’objet de recherches et, en l’absence de données concrètes, toutes les hypothèses étaient permises.

Pour mettre un terme Ă  ces spĂ©culations, dès l’hiver 2006-2007 ont Ă©tĂ© mises en Ĺ“uvre des campagnes de prospections pĂ©destres sous le couvert forestier, avec un report cartographique de la zone d’extension des vestiges archĂ©ologiques en surface, et le pointage des principales concentrations. Ce travail se poursuit annĂ©e après annĂ©e, et permet aujourd’hui d’estimer l’assiette du site antique Ă  environ 60 ha, une superficie considĂ©rable qui classe Briga au rang des petites villes de la Gaule romaine. Depuis 2012, cette dĂ©marche est doublĂ©e par un levĂ© topographique des micro-reliefs, particulièrement bien conservĂ©s en forĂŞt, qui met en Ă©vidence des voiries, des points d’eau et des zones prĂ©sumĂ©es bâties.

Ces approches qui reposent sur des donnĂ©es de surface ont toutefois Ă©tĂ© mises en doute, en l’absence de donnĂ©es archĂ©ologiques concrètes. Il importait donc d’en confirmer la validitĂ©. Ă€ cette fin, une vaste zone autour du complexe monumental a Ă©tĂ© choisie en 2010 comme zone test pour la rĂ©alisation de prospections gĂ©ophysiques. Cette mĂ©thode donne souvent des rĂ©sultats spectaculaires sur ce type de sites, montrant l’organisation des rues et des maisons. Malheureusement ici, la nature argileuse humide du terrain et de l’omniprĂ©sence d’un mĂŞme matĂ©riau, le silex (utilisĂ© pour les murs, les sols, les rues, trottoirs et cours, et prĂ©sent Ă©galement dans le substrat naturel) ont gĂ©nĂ©rĂ© un brouillage qui a conduit Ă  un Ă©chec.

VĂ©rifier l’hypothèse de l’existence d’une agglomĂ©ration nĂ©cessitait donc une autre approche, plus classique : celle de la fouille en aire ouverte, sur de larges superficies. C’est lĂ  l’objectif principal assignĂ© Ă  une nouvelle sĂ©rie de campagnes programmĂ©es (2012-2015), Ă  la suite de sondages exploratoires menĂ©s en 2011 et qui d’emblĂ©e avaient rĂ©vĂ©lĂ© les fondations de bâtiments modestes, clairement distincts des monuments publics, et des traces de voiries.

Le quartier dégagé en quatre ans sur plus d’un hectare permet de confirmer une organisation de type urbain (rues délimitant des îlots), du moins à partir de la fin du Ier siècle, et confirme les intuitions des premiers archéologues attachés au site, Louis Estancelin et l’abbé Cochet.

Les acquis de ces dernières annĂ©es ont considĂ©rablement fait progresser les connaissances sur le site antique de Bois-l'AbbĂ©. Il est dĂ©sormais incontestable qu’il s’agit d’une petite ville, organisĂ©e Ă  partir de la fin du Ier siècle en Ă®lots par un quadrillage de rues plus ou moins rĂ©gulier, et qui couvre environ 60 hectares. La population fixe, Ă  son apogĂ©e, peut ĂŞtre estimĂ©e Ă  quelques milliers de personnes. La ville a progressivement Ă©tĂ© dotĂ©e d’une importante parure monumentale, temples, basilique, place publique fermĂ©e, théâtre, thermes.

Au début du IIIe siècle, le sanctuaire situé à son point culminant, à l’extrémité occidentale, paraît avoir été transformé en forum, ce qui suggère l’envie pour les notables locaux de solliciter l’accès à l’autonomie politique auprès des autorités romaines. Briga, centre administratif d’un district nommé pagus catuslou(…), relevait en effet de l’une des cités voisines, celle des Ambiens (autour d’Amiens) ou plus probablement celle des Bellovaques (autour de Beauvais).

Débats actuels et nouvelles problématiques de fouilles

Ces acquis ne doivent toutefois pas masquer d’importants sujets qui restent à explorer ou à approfondir.

Le premier concerne le centre public, dont l’exploration est largement avancée, mais sur lequel doit désormais être menée une étude architecturale, en vue de reconstituer les élévations des temples successifs et du complexe monumental du IIIe siècle. Les préliminaires à ce travail sont en cours, avec des travaux universitaires menés sur les éléments lapidaires qui subsistent (plusieurs centaines de blocs sculptés) et sur les restes de peintures murales. Les restitutions des monuments et de leur décor permettront, à terme, de comprendre comment les monuments de Briga s’insèrent dans les courants stylistiques de l’architecture provinciale romaine.

Un second point incontournable porte sur les origines du site, avant le développement de la ville dans les dernières décennies du Ier siècle de notre ère. Dans l’état actuel des connaissances, c’est le sanctuaire qui semble le point d’occupation le plus ancien, et tirer son existence d’un lieu de culte gaulois antérieur, qui remonte au IIIe siècle av. J.-C. Mais l’extension des zones explorées montre une zone de découverte de mobilier ancien qui déborde largement les abords du seul sanctuaire, et qui suggère une présence humaine, qui reste à caractériser, depuis la fin de l’âge du Bronze (IXe ou VIIIe siècle).

Après la conquĂŞte romaine, une large enceinte dĂ©fensive enserre un espace de 4 ha avec le sanctuaire et des zones d’habitat, pour le peu que l’on en connaĂ®t actuellement. Une prĂ©sence très marquĂ©e de pièces d’équipement militaire romain et un atelier monĂ©taire implantĂ© sur place, suggèrent Ă©galement l’existence d’un secteur administratif, qui reste Ă  localiser. Ce « village fortifiĂ© Â» gallo-romain prĂ©coce interroge sur les origines des agglomĂ©rations secondaires de la Gaule romaine, et constitue un thème important des recherches futures.

Enfin, il importe de poursuivre les prospections et relevés micro-topographiques aux abords de l’agglomération, pour localiser et visualiser les voies d’accès à la ville antique, les zones d’extraction de matériaux et bien évidemment les nécropoles, qui sont pour l’heure totalement méconnues.

Les vestiges

Les édifices sacrés : le sanctuaire

Le sanctuaire du « Bois-l’AbbĂ© Â» tire son origine d’un lieu de culte occupĂ© par les Belges bien avant la conquĂŞte de la Gaule par CĂ©sar. Les sondages et fouilles menĂ©s depuis 2002 ont mis en Ă©vidence, dans la zone des « terres noires Â» qui constituait le sanctuaire initial, des sĂ©ries d’objets divers d’époque gauloise, dont les plus anciens remontent au dĂ©but du IIIe siècle av. J.-C. au moins. Il s’agit d’armes (Ă©pĂ©es, lances), d’élĂ©ments de ceintures, de bijoux (fibules, bracelets, perles de collier en verre et en ambre), des premières sĂ©ries monĂ©taires celtiques. Quelques ossements humains, dont l’un porte des traces de coups destinĂ©s Ă  un dĂ©membrement après la mort, doivent sans doute Ă©galement ĂŞtre attribuĂ©s Ă  ce sanctuaire gaulois. Ce caractère assez hĂ©tĂ©roclite des dĂ©pĂ´ts ne permet guère de se prononcer sur la nature d’un culte qui offre des aspects guerriers, mais Ă©galement Ă©conomiques et plus personnels. La documentation d’époque romaine montre que le dieu principal Ă©tait Mercurio brigensi, le « Mercure de Briga Â», sans doute un dieu gaulois du commerce assimilĂ© plus tard au Mercure romain.

Dans les décennies qui suivent la conquête romaine, une première phase d’aménagements en bois a été observée de manière très partielle, en raison notamment de destructions causées par les constructions plus récentes. Le principal changement semble résider dans la fermeture de la zone de dépôts par une série de trous de poteaux, qui délimitent une palissade. À l’intérieur, les rites se poursuivent sans changement avec des offrandes d’armement, de bijoux ou d’objets de toilette, de monnaies. En avant du sanctuaire, vers l’est, de petits bâtiments rectangulaires semblent avoir été construits au tournant de l’ère, et servaient probablement de portiques pour l’exposition des offrandes.

Un premier sanctuaire en dur est Ă©difiĂ© peu après, dans la première moitiĂ© du Ier siècle. Il est dĂ©limitĂ© par un mur d’enceinte ouvert Ă  l’est, et comprend en son sein, au fond de la cour ainsi dĂ©limitĂ©e, un premier temple qui se prĂ©sentait probablement sous la forme d’un grand fanum, avec une tour centrale carrĂ©e (le « Petit Temple Â»), entourĂ©e d’une galerie. Plus tard, le mur de pĂ©ribole est abattu et remplacĂ© par un quadriportique (le « portique 1 Â» de M. Mangard). Ces amĂ©nagements maçonnĂ©s n’interrompent pas la pratique des dĂ©pĂ´ts qui se poursuit de manière intensive jusque dans le troisième quart du Ier siècle.

Dans le dernier tiers du Ier siècle, le fanum initial est dĂ©montĂ©, et remplacĂ© par un temple sur podium de type grĂ©co-romain, formĂ© d’une cella qui accueillait la statue de culte, et d’un vestibule. Plus allongĂ© que le fanum initial, ce nouveau temple aurait Ă©tĂ© trop Ă  l’étroit dans l’aire sacrĂ©e initiale. L’une des faces du quadriportiques, sur l’arrière, fut donc dĂ©placĂ©e et reculĂ©e de (c’est le « portique 2 Â» de M. Mangard). Ă€ cette occasion, deux temples supplĂ©mentaires de type fanum sont accolĂ©s dans les angles nord-ouest et sud-ouest du portique, avec un culte pratiquĂ© Ă  l’extĂ©rieur de l’aire sacrĂ©e principale. En tĂ©moigne une fondation d’autel dĂ©couverte cette annĂ©e devant le fanum 3. Les dĂ©pĂ´ts, notamment de monnaies, semblent alors se dĂ©placer autour de ce nouveau fanum.

Au cours du IIe siècle, d’autres temples de type fanum sont édifiés autour du sanctuaire principal. Le temple central pourrait également avoir été reconstruit durant cette période.

Enfin, au dĂ©but du IIIe siècle intervient un grand remaniement qui voit un nouvel agrandissement du Temple (le « Grand Temple Â») et l’extension du quadriportique (le « portique 3 Â» de M. Mangard). Ce dernier intègre dĂ©sormais le temple central et cinq des temples pĂ©riphĂ©riques dans un mĂŞme ensemble architectural, constituant un grand sanctuaire vouĂ© aux diffĂ©rents cultes du panthĂ©on local, parmi lequel domine Mercure, mais oĂą sont attestĂ©s Mars ou Minerve, Epona, VĂ©nus, peut-ĂŞtre Ă©galement Dionysos et Victoria, tous deux liĂ©s au culte impĂ©rial.

Le fanum en eau

Le fanum 1 forme l’angle sud-est du sanctuaire. Ses dimensions sont lĂ©gèrement plus grandes que celles des autres fana (13 m de cĂ´tĂ© au lieu de 10), mais ce n’est pas sa particularitĂ© la plus frappante. Lors de sa fouille, on s’est aperçu que ses sols Ă©taient formĂ©s de mortier de tuileau, un bĂ©ton de couleur rose composĂ© de chaux et de fragments de briques ou de tuiles cuites. Ce mortier a pour spĂ©cificitĂ© de garantir une Ă©tanchĂ©itĂ© parfaite du sol et Ă©tait utilisĂ© pour les salles d’eau des thermes. La prĂ©sence de ce type de mortier dans le fanum 1, renforcĂ© par un boudin Ă©pais pour Ă©tancher les murs, est assez extraordinaire. Ce fanum pouvait donc, en permanence ou occasionnellement, contenir de l’eau.

Le Mercure d'argent

Le Mercure d'argent (copie).

DĂ©couvert dans le fanum 4 en 2007, la statuette de Mercure est la dernière trouvaille exceptionnelle de Briga Ă  ce jour. Faite en tĂ´le d’argent, sauf les pieds et les mains qui sont en mĂ©tal massif et les attributs qui sont en tĂ´le d’argent dorĂ©e, elle est composĂ©e de la statuette de Mercure mĂŞme qui mesure 28,8 cm et de son socle de 7,5 cm, sur lequel on retrouve le nom de Briga, Ă©crit nĂ©gligemment par l’artiste pour se rappeler le destinataire de la commande. On sait que Mercure Ă©tait la divinitĂ© prĂ©fĂ©rĂ©e en Gaule et il est encore moins Ă©tonnant d’en trouver une statuette dans un sanctuaire qui lui est dĂ©diĂ©. Les statuettes de Mercure nu sont très courantes en Gaule, mais celles en mĂ©tal prĂ©cieux beaucoup moins. On en trouve une autre dans la rĂ©gion mais plus grossière, contrairement Ă  celle de Briga qui rappelle le canon de Polyclète. Mis Ă  part le style du Mercure de Briga, quelques Ă©lĂ©ments nous interpellent : les attributs et le sexe du dieu ont disparu. Les ailes du pĂ©tase et le caducĂ©e que la divinitĂ© tenait dans sa main gauche sont absents et la main tenant la bourse a Ă©tĂ© retrouvĂ©e dĂ©tachĂ©e de la statuette. En fait, ces attributs Ă©taient enfouis Ă  proximitĂ© de la statuette et avaient Ă©tĂ© retirĂ©s d’elle volontairement avant que le tout soit enterrĂ©, vraisemblablement pour dĂ©sacraliser la statuette. Une hypothèse pertinente propose qu’on a voulu remplacer cette statuette du Mercure par une autre, soit de la mĂŞme divinitĂ©, soit d’une nouvelle lors d’un changement de culte, et qu’on a cassĂ© les attributs de Mercure pour Ă©viter qu’il ne se venge avant de l’enterrer soigneusement dans l’aire sacrĂ©e.

Le forum

Dans les premières décennies du IIIe siècle, le centre monumental de Briga fait l’objet d’une restructuration complète, qui conduit au démontage intégral ou presque des constructions de la période précédente. Un petit temple très fruste est alors construit en marge du chantier pour accueillir une ou plusieurs statues de culte durant la période de travaux.

Le nouveau programme édilitaire dépasse le cadre du simple sanctuaire des phases antérieures. Il comprend désormais trois ensembles juxtaposés.

  • Le lieu de culte affiche dĂ©sormais une vocation officiellement polythĂ©iste, et regroupe dans un mĂŞme ensemble architectural d’abord cinq puis six temples vouĂ©s Ă  autant de divinitĂ©s du panthĂ©on romain et/ou celto-romain. Le temple principal, au centre, est Ă©difiĂ© sur un haut podium et prĂ©sente un plan mixte, mĂŞlant une base grĂ©co-romaine, avec une cella pour la statue et un vestibule, et une galerie pĂ©riphĂ©rique qui renvoie Ă  la tradition des temples celtiques. L’élĂ©vation est formĂ©e de pierres calcaires de la vallĂ©e de l’Oise, en gros appareil, avec des colonnes corinthiennes et un fronton sculptĂ© dont nous est parvenu un fragment oĂą se reconnaĂ®t un Amour ailĂ©.

En avant du temple, au pied de l’escalier d’accès au podium (dont rien ne subsiste aujourd’hui), ont Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©es les fondations d’un grand autel oĂą avaient lieu les sacrifices. L’aire sacrĂ©e oĂą se tenaient ces cĂ©rĂ©monies est fermĂ©e par deux grands murs en L.

Les autres temples prĂ©sentent un plan centrĂ© Ă  deux carrĂ©s emboĂ®tĂ©s (fanum) ; ils sont implantĂ©s aux angles d’un quadriportique qui enserre le temple principal, et sont clairement Ă  un niveau infĂ©rieur, ce qui se traduit de diverses manières : dimensions moindres, usage du petit appareil, du style toscan pour les colonnes, podium nettement plus bas.

  • Une grande basilique Ă  trois nefs (69 m par 17 environ) est Ă©difiĂ©e dans l’axe du grand temple, et intègre partiellement le sanctuaire : un cinquième de sa longueur est insĂ©rĂ© dans le quadriportique qui relie les temples. Elle s’en extrait cependant pour l’essentiel de sa longueur. Trois accès ont Ă©tĂ© identifiĂ©s : elle s’ouvrait au sud sur une place par un porche probablement prĂ©cĂ©dĂ© d’un escalier, et des portes donnaient accès Ă  chacune de ses extrĂ©mitĂ©s, Ă  l’ouest directement sur l’aire sacrĂ©e qui enserre l’autel du Grand Temple, Ă  l’est sur un grand bâtiment carrĂ© annexĂ© Ă  la basilique (le « Bâtiment Est Â»). La fonction de cette construction reste conjecturale, mais ses dimensions et son implantation accolĂ©e Ă  la basilique pourrait renvoyer Ă  une salle de rĂ©union pour une assemblĂ©e locale.
  • Ces diffĂ©rents monuments publics sont insĂ©rĂ©s dans un vaste espace enclos par un mur, et qui forme au sud sur une vaste esplanade apparemment dĂ©pourvue de constructions Ă  cette pĂ©riode. Il s’agit manifestement d’une place Ă  caractère public en avant du centre monumental. Des sondages sur trois cĂ´tĂ©s ont montrĂ© l’existence d’une rue qui ceinturait cette place, et qui Ă©tait bordĂ©e par endroits de petites boutiques ou d’échoppes appuyĂ©es contre le mur d’enceinte.

Ces diffĂ©rents Ă©lĂ©ments – grand sanctuaire, basilique, salle de conseil, place publique – constituent les diffĂ©rentes unitĂ©s architecturales dont le groupement au sein d’une agglomĂ©ration forme un forum. Un tel centre public au sein d’une agglomĂ©ration secondaire pose problème, car Briga Ă©tait assujettie politiquement Ă  un chef-lieu de citĂ© (Amiens ou Beauvais) et Ă  ce titre n’est pas supposĂ©e disposer d’une autonomie justifiant l’existence d’un forum

Le théâtre

Le théâtre a été implanté sur la pente qui fait face à l’est, en contrebas du centre monumental, profitant du relief pour limiter les terrassements nécessaires à l’implantation des gradins (la cauea), selon un principe assez fréquent.

Il a fait l’objet de sondage de reconnaissance en 1821 puis en 1872, qui ont permis de l’identifier comme tel, et du dégagement d’un court segment du mur de couronne extérieure dans les années 1950. Michel Mangard lui a ensuite consacré plusieurs campagnes d’une fouille fortement mécanisée dans les années 1960, et Laurent Cholet (SMAVE) y a pratiqué un sondage transversal sur une partie de la cauea au milieu des années 1990.

Ces diffĂ©rentes interventions permettent aujourd’hui de disposer d’un plan de l’édifice dans sa phase finale, et de donnĂ©es prĂ©liminaires Ă  une restitution architecturale. Le diamètre, au niveau du mur de scène, atteint 90 mètres d’après les mesures prises en 1971, et le rayon, du mur de scène au mur de couronne, environ 60 m. Il s’agit d’un Ă©difice de dimensions moyennes, dont la capacitĂ© d’accueil a Ă©tĂ© estimĂ©e autour de 4 000 personnes. Il Ă©tait destinĂ© Ă  des reprĂ©sentations scĂ©niques, et/ou Ă  des cĂ©rĂ©monies qui peuvent avoir relevĂ© du culte impĂ©rial, ce que pourraient appuyer de fortes libertĂ©s prises avec le schĂ©ma classique du théâtre grĂ©co-romain, notamment au niveau des amĂ©nagements de part et d’autre de la scène. Ces derniers se limitent ici Ă  un mur de scène, avec deux accès sur l’arrière, de part et d’autre d’un proscenium formĂ© d’une abside rectangulaire, devant laquelle s’élevait une colonnade. Les cinq colonnes de ce front de scène Ă©taient richement ornĂ©es de feuilles imbriquĂ©es et de personnages sculptĂ©s en bas-relief (notamment une danseuse de la suite de Dionysos). Elles reposaient sur des plots quadrangulaires, et supportaient une poutre sur laquelle Ă©tait fixĂ©e la plaque dĂ©dicatoire de 11 m de long.

Un certain nombre de questions restent cependant en suspens, notamment en ce qui concerne l’existence de deux édifices successifs superposés.

M. Mangard signale en effet aux abords du mur de couronne, cĂ´tĂ© ouest, des restes de murs en petit appareil de rognons de silex qui supportait un mur en torchis, dont les restes brĂ»lĂ©s gisaient au pied du soubassement. Ces vestiges interprĂ©tĂ©s initialement comme appartenant Ă  une « construction Â» non dĂ©terminĂ©e antĂ©rieure au théâtre, ont depuis Ă©tĂ© prĂ©sumĂ©s appartenir aux restes d’un premier Ă©tat de mur de théâtre, dont l’existence serait Ă©galement perceptible dans les remblais de la cauea. Le mode architectural très modeste de ce premier Ă©difice, en terre et bois, paraĂ®t toutefois difficilement compatible avec le soutènement des terres de remblai de la cauea. La question reste posĂ©e : doit-on envisager un premier Ă©difice de spectacle d’allure fruste, avec des gradins sur Ă©chafaudage en bois ? ou ces restes peuvent-ils correspondre Ă  un quartier d’habitat antĂ©rieur au théâtre ?

La chronologie de l’édifice ou des Ă©difices successifs devra Ă©galement ĂŞtre prĂ©cisĂ©e, les propositions divergentes de M. Mangard et de L. Cholet ne reposant que sur des donnĂ©es limitĂ©es. L’état final paraĂ®t dater du dĂ©but du IIIe siècle, mais pourrait correspondre Ă  des remaniements et reprises d’un monument construit dès le milieu du IIe siècle ; le premier Ă©tat supposĂ© est quant Ă  lui attribuĂ© tantĂ´t Ă  la fin du Ier, tantĂ´t Ă  la première moitiĂ© du IIe siècle.

Un trĂ©sor de 1 606 monnaies a Ă©tĂ© dĂ©couvert en 1996 sous une dalle de l’accès sud du proscenium. Enfoui vers 280, il pourrait marquer la date ultime d’utilisation du monument.

Les Ă©difices thermaux

Deux Ă©difices thermaux ont Ă©tĂ© reconnus Ă  Briga. Le premier se trouve en forĂŞt, toujours plus bas dans la vallĂ©e et a Ă©tĂ© seulement sondĂ©, il a pris le nom de « grands thermes Â». L’autre, beaucoup plus petit, avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© explorĂ© par l'abbĂ© Cochet et a subi une autre fouille non exhaustive sous Laurent Cholet. Il prĂ©sente un plan Ă  itinĂ©raire rĂ©trograde avec un vestibule, un frigidarium, deux salles intermĂ©diaires et un caldarium. La dĂ©nomination de "petits thermes" se met entre guillemets car il est possible que cet Ă©difice soit en fait une villa datĂ©e des Ier au IIIe siècles avec des thermes privĂ©s, hypothèse premièrement Ă©mise par l’abbĂ© Cochet. Ces « petits thermes » auraient Ă©tĂ© dĂ©truits par un incendie au IIIe siècle.

Le Quartier Nord

Le quartier d’habitat dégagé au nord du centre public antique s’organise en îlots délimités par un réseau de rues plus ou moins orientées sur les points cardinaux, avec des aménagements en fonction des contraintes du relief.

Les îlots paraissent donc assez irréguliers, rectangulaires ou trapézoïdaux. En leur sein, les premières maisons ont été construites dès le troisième quart du Ier siècle, et paraissent dans un premier temps avoir adopté des plans très simples, cases à pièces uniques ou bâtiments rectangulaires à deux pièces accolées.

Durant les deux siècles suivants, deux tendances ont Ă©tĂ© observĂ©es de manière assez gĂ©nĂ©rale, au fur et Ă  mesure des reconstructions successives. La première concerne l’agencement des bâtiments au sein des Ă®lots, qui tend Ă  se rĂ©gulariser le long des rues, avec en gĂ©nĂ©ral en phase finale des alignements assez rĂ©guliers prĂ©cĂ©dĂ©s parfois d’un trottoir. La deuxième tendance montre un agrandissement des superficies au sol et une complexitĂ© croissante de l’organisation interne des maisons, avec des espaces de circulation (galeries, couloirs) et des pièces qui se distinguent par leur localisation (pavillons d’angle) ou par leurs dimensions plus importante et la prĂ©sence d’un foyer (pièces de vie ?). La forme privilĂ©giĂ©e consiste en un corps principal rectangulaire qui prĂ©sente une sĂ©rie de pièces en enfilade (« longère Â»), et probablement surmontĂ© d’un Ă©tage ; les amĂ©nagements de façade (galeries ou portiques, pièces en dĂ©bord) agrĂ©mentent et individualisent chaque maison par rapport Ă  ses voisines.

Dans l’état final du quartier au IIIe siècle, certains Ă®lots prĂ©sentent des bâtiments de très grand module (150 Ă  300 m2 au sol, outre un Ă©tage probable sur le corps de bâtiment central), tandis que d’autres semblent vouĂ©s Ă  des habitats de taille plus modeste.

Cette hiĂ©rarchie apparente pourrait tĂ©moigner de diffĂ©rences sociales, mais elle doit toutefois ĂŞtre nuancĂ©e par l’absence, au sein des constructions les plus imposantes, de la moindre trace des Ă©lĂ©ments de confort ou de dĂ©cor « Ă  la romaine Â» : aucune maison n’est Ă©quipĂ©e d’un système de chauffage ou d’un balnĂ©aire privĂ©, aucune ne prĂ©sente des peintures murales ou un amĂ©nagement de sol plus ostentatoires qu’un simple cailloutis ou qu’un radier de silex. De mĂŞme, l’ensemble des bâtiments actuellement fouillĂ©s prĂ©sente un mĂŞme mode de construction, très sobre, en terre et bois, qui repose sur de petits soubassements en rognons de silex assemblĂ©s Ă  sec. Les amĂ©nagements internes sont rares, une cave dans deux cas, des latrines parfois, plus frĂ©quemment un foyer dans la pièce principale. La plupart de ces maisons en torchis semble toutefois avoir Ă©tĂ© couverte en tuiles plutĂ´t qu’en chaume.

Quelques traces d’activitĂ©s artisanales ont Ă©tĂ© repĂ©rĂ©es de manière indirecte dans ce quartier, par la dĂ©couverte d’outils ou de dĂ©chets de fabrication, mais aucun atelier « en place Â» n’a Ă©tĂ© fouillĂ©.

Le lapidaire

Ă€ Briga, l'Ă©tude du lapidaire porte sur le complexe monumental. Un travail d’association entre les blocs et les bâtiments identifiĂ©s permet ensuite de proposer une restitution de l’élĂ©vation des diffĂ©rents Ă©difices. De nombreuses sĂ©ries architecturales, qui appartiennent  notamment Ă  des colonnades (base, fĂ»t et chapiteau) et des entablements (architrave, frise et corniche), ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©es Ă  partir d’environ 400 blocs dĂ©couverts Ă  Briga. Ce nombre relativement important tĂ©moigne de la diversitĂ© architecturale et de l’activitĂ© de construction dans ces grands ensembles bâtis.

La succession de travaux entraîne des besoins croissants en matières premières. Cette demande est en partie alimentée par les démontages effectués par les constructeurs, dans le but de réutiliser une partie des blocs des phases précédentes lors des nouvelles constructions. Leur fragmentation et les nombreuses traces de retaille observées en témoignent. Bien que la décoration sculptée soit presque exclusivement réalisée en calcaire, les approvisionnements en pierre de taille vont progressivement varier au cours des siècles. Le calcaire de provenance locale utilisé à l’origine est ensuite remplacé par un calcaire importé du Bassin parisien.

En matière d’architecture, le caractère singulier de Briga n’est plus à démontrer. Il réside dans la bonne documentation archéologique, tant au niveau des vestiges conservés en place que par le nombre de blocs retrouvés, ce qui fait presque figure d’exception dans le nord de la France. À terme, cette étude a pour but de donner une réelle vision de la panoplie monumentale de cette agglomération de Gaule Belgique.

La décoration architecturale des édifices et l’ornementation des espaces intérieurs formaient un ensemble cohérent. Celui-ci, en plus du rôle ornemental, participait à la diffusion de messages et de symboles.

Les peintures murales

Les peintures murales sont constituées de plusieurs couches d’enduits de chaux qui uniformisent le mur. La dernière est recouverte de pigments servant d’éléments décoratifs et formant des motifs géométriques qui composent une trame de fond permettant de répartir par symétrie des animaux ou des personnages

Selon le lieu où ils ont été peints, ces motifs combinés véhiculaient très probablement des messages précis pour les fidèles.

Les peintures du portique 3

Le portique 3, dĂ©limitant le sanctuaire dans son dernier Ă©tat, est ornĂ© de peintures datĂ©es (par la cĂ©ramique) du dĂ©but du IIIe siècle de notre ère. Elles sont constituĂ©es de grands panneaux rouges entrecoupĂ©s d’inter-panneaux noirs de plus petite taille. L’organisation gĂ©nĂ©rale permet d’estimer une hauteur de mur dĂ©corĂ© d’environ 3,20 m. Enfin, plusieurs fragments prĂ©sentent des angles peints qui trahissent l’existence d’ouvertures de plusieurs types (portes, niches ou fenĂŞtres).

Des motifs associés à Dionysos sont fréquemment retrouvés dans l’iconographie de ce portique. Ce dieu renvoie également à une imagerie liée à la victoire et à la puissance civilisatrice qui, dans le cadre religieux, peut se rattacher au culte de l’Empereur.

Dans l’état actuel de la recherche, certains motifs et l’organisation du décor trouvent des similitudes dans une zone géographique circonscrite au nord-ouest de la Gaule. Ces éléments peuvent être aussi le marqueur d’un atelier de peintres ou celui d’un style régional.

La céramique

Chaque année, ce sont des dizaines de milliers de fragments qui sont mis au jour sur l’antique agglomération de Briga. Une fois lavés, ces tessons sont inventoriés et si possible recollés et restaurés ; les éléments notoires sont dessinés.

Plusieurs études sont en cours sur la céramique antique de Briga. L'implication bénévole dans le cadre de la fouille programmée a notamment permis de faire avancer des travaux sur le mobilier céramique. Ceux-ci concernent le sanctuaire, l'habitat précoce de l'agglomération, ainsi qu’une grande fosse dépotoir fouillée en 2011 en contrebas du centre monumental. Parallèlement, une étude a pour sujet la céramique d'un l'îlot d'habitation du Quartier Nord de Briga.

La céramique du sanctuaire

Un travail sur la céramique du sanctuaire a été achevé en 2015. Celui-ci avait pour objectifs de déterminer des jalons chronologiques pouvant contribuer à affiner le phasage du centre cultuel et de présenter un aperçu de la vaisselle en circulation à Briga.

Les éléments les plus anciens découverts sur le sanctuaire remontent, pour l’essentiel, à la fin de la période gauloise ; ils sont plus particulièrement attribuables à La Tène finale (fin des IIe et Ier siècles av. J.-C.). Un petit pourcentage, datable de la fin de l’âge du Bronze (IXe/VIIIe siècle av. J.-C.) témoigne d’une occupation plus ancienne du site ; la fragmentation est telle qu’il est actuellement difficile de statuer sur leur nature.

La fréquentation du centre cultuel perdure, sans discontinuer, pendant les trois premiers siècles de notre ère. Dans son ensemble, le mobilier s’apparente aux rejets des contextes d’habitats. Seuls quelques fragments de cruches (lagènes) et de bassines (patères) se rattachent directement au matériel liturgique. Quelques offrandes alimentaires associées à des petits gobelets ont été découvertes sur le sanctuaire et témoignent de pratiques cultuelles d’ordre probablement privé.

Les éléments, les plus tardifs, découverts sur le sanctuaire sont attribuables à la période médiévale. Ils correspondent à la phase de récupération des matériaux de construction qui débute dès la fin du IIIe siècle.

La céramique du Quartier Nord d'habitat

La détermination de l'origine des récipients de ce quartier va notamment permettre de donner un premier aperçu de l'approvisionnement céramique de Briga entre le dernier quart du Ier siècle et le dernier quart du IIIe siècle de notre ère.

Les provenances principales de l'îlot V sont majoritairement bellovaques (Pays de Bray, régions de Beauvais et Noyon). Une production locale est de mieux en mieux mise en évidence. Elle a été repérée à travers des ratés de cuisson : poteries déformées et de fait peu commercialisées. Le mobilier, aux origines très variées, témoigne de la diversité des liens commerciaux, à la fois à l'échelle régionale (Pays de Caux, Oise, Artois…), de la Gaule (sigillée et vaisselle fine du sud, du centre et de l'est) et du reste de l'empire (amphores à huile de la province de Bétique en Hispanie et récipients de Britannia).

Le verre

Le verre est un matériau qui connaît, déjà à l’époque antique, de multiples usages. On le retrouve employé en vaisselle et contenants de toutes sortes, mais aussi en architecture avec les vitres et les tesselles de mosaïque, et dans le domaine de la parure : miroirs, bijoux (perles, bracelets, fausses pierres précieuses).

Ă€ Briga, point de mosaĂŻque ni de miroirs, mais une quantitĂ© de petits morceaux de vaisselle et de vitres qui s’accroĂ®t d’annĂ©e en annĂ©e. Il faut cependant garder Ă  l’esprit que le verre est un matĂ©riau recyclable. En 2014, environ 600 tessons de verre ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s pour 70 000 Ă  80 000 tessons de cĂ©ramique. Ce rapport n’est très probablement pas reprĂ©sentatif de la rĂ©alitĂ© Ă  l’époque gallo-romaine.

L’étude du verre, en cours, a porté pour le moment sur l’habitat. Elle permet d’établir, dans le Quartier Nord, une dominance de la vaisselle de table estimée à 73 % : gobelets, bols, coupes, cruches et bouteilles, pour 27 % pour les formes de vases attribuables au stockage : flacons, fioles, bouteilles et cruches prismatiques, barillets, pots.

Les quelques fragments de vitrage trouvés sur l’habitat ne permettent pas de dire que les maisons bénéficiaient d’un tel confort. En revanche, 840 morceaux de verre à vitre proviennent des « Petits Thermes ». Ce type d’édifice est généralement vitré dans le monde romain. Briga ne fait ainsi pas exception.

L'archéozoologie

Au Bois-l’Abbé, les études archéozoologiques permettent d'identifier les pratiques religieuses, puisque de nombreux dépôts ont été découverts devant les accès de certains temples. Ils témoignent de sacrifices de moutons et, plus rarement, de bovins, aux IIe et IIIe siècles de notre ère.

En dehors de ces occasions particulières, dans l’habitat, sont surtout consommés des porcs (jambons, palettes et jambonneaux) et des volailles (poulets, oies, canards et pigeons). On note également la récurrence de la chèvre dans la ville de Briga. La présence marquée de cet animal, habituellement plus fréquent dans le sud que dans le nord de la Gaule, pourrait s’expliquer par la nature particulière du terrain argileux aux pentes abruptes, où poussent des mauvaises herbes siliceuses comme la prêle d’hiver.

L’ichtyologie et la malacologie s’inscrivent également dans ce domaine de recherche. Briga livre d’ailleurs chaque année des quantités élevées d’huîtres, mais également quelques autres espèces de bivalves marins, telles que la coque et la moule, et de nombreux restes de poissons. Certains, comme l’esturgeon et le chinchard, sont ferrés dans la Bresle. D’autres sont pêchés le long de la côte (carrelet, turbot), ou capturés dans des filets en pleine mer, telle la morue.

Principales découvertes de la campagne 2015

L’un des axes de la campagne 2015 porte sur la fouille d’un pan de 20 m de long du quadriportique qui dĂ©limite le sanctuaire dans son Ă©tat final du IIIe siècle, effondrĂ© en place, et qui avait jusqu’alors Ă©tĂ© gardĂ© en rĂ©serve archĂ©ologique. En vue de la reconstitution des Ă©lĂ©vations et des dĂ©cors du centre monumental, une fouille fine a Ă©tĂ© menĂ©e durant l’étĂ© sur ces effondrements. Il s'agissait de prĂ©lever des pans de peintures murales qui vont permettre de complĂ©ter la restitution du dĂ©cor du mur du fond du portique, de localiser d’éventuelles ouvertures, de recueillir des blocs architecturaux de la colonnade ouvrant sur la cour. La bonne fortune a voulu que soit mis au jour, parmi environ m2 d’enduits peints, un large pan Ă  dĂ©cor figurĂ© assez spectaculaire, qui prĂ©sente un fragment de la partie supĂ©rieure du mur du portique. Un panneau rouge encadrĂ© d’un filet vert est surmontĂ© d’un entablement qui repose sur une colonne jaune, et sert de support Ă  des animaux bondissants (panthère ou griffon ?). Un inter-panneau noir le sĂ©pare du panneau rouge suivant ; dans l’intervalle, un candĂ©labre est surmontĂ© d’un personnage fĂ©minin en pied, traitĂ© de manière schĂ©matique, qui tient dans ses mains une crosse et un Ă©lĂ©ment non dĂ©terminĂ© actuellement.

Un autre apport majeur des fouilles Ă©tĂ© la mise en Ă©vidence d’une vaste zone comprise entre les monuments publics et le théâtre, qui semble essentiellement vouĂ©e Ă  des pratiques cultuelles assez particulières, pour lesquelles on ne connaĂ®t guère d’équivalent. Deux grandes fosses avec des dĂ©pĂ´ts curieux avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© repĂ©rĂ©es les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes : elles contenaient des centaines de rĂ©cipients qui y avaient Ă©tĂ© jetĂ©s ou dĂ©posĂ©s, pour la plupart en lien avec le service Ă  boire (gobelets, quelques cruches), en association avec plusieurs dizaines de monnaies et des ossements de chevaux. Trois nouvelles fosses similaires, de grande taille, ont Ă©tĂ© identifiĂ©es en 2015 sur cet espace, ainsi que de petits dĂ©pĂ´ts plus ponctuels en fosse, avec en particulier des ossements de mouton. En façade sur la rue principale, cette aire d’offrandes (ou d’enfouissement d’offrandes) est masquĂ©e par un alignement de petits bâtiments rectangulaires très Ă©troits. L’hypothèse de travail actuellement retenue les assimile Ă  des portiques, oĂą les objets auraient par exemple Ă©tĂ© exposĂ©s avant d’être enfouis dans les fosses.

L’usage de ces fosses semble s’être poursuivi sans interruption depuis la fin du Ier siècle jusqu’à leur comblement intégral dans le courant du IIIe siècle.

Notes et références

Notes


    Références

    1. Notice no PA00100656, base Mérimée, ministère français de la Culture.
    2. William Devos et Rik Geivers, Atlas historique, Ă©ditions scolaire erasme, 1984, p. 27, carte Belgique et Germanie romaine.
    3. Ronald Hubscher (sous la dir. de), Histoire d'Amiens, Toulouse, Éditions Privat, 1986 (ISBN 2-7089-8232-X).
    4. Didier Bayard, Jean-Luc Massy, Amiens romain, Samarobriva Ambianorum, Amiens, Revue archéologique de Picardie, 1983, p. 133.
    5. Xavier Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise, Ă©ditions errance, 2003, p. 275.
    6. Ernest Nègre, Toponymie générale de la France (lire en ligne).
    7. Xavier Delamarre, op. cit., p. 86-87.
    8. Jean Benoît Désiré Cochet, « Fouilles du Bois-l'Abbé, à Eu », Journal de Rouen : et des départements de la Seine-Inférieure et de l'Eure, Rouen, imp. D. Brière et fils, no 301,‎ , p. 3 col. 1-2 (ISSN 2430-8242, lire en ligne [jpg], consulté le ).

    Voir aussi

    Bibliographie

    • Collectif 2003 : Le Sanctuaire gallo-romain du Bois l'AbbĂ© (200 ans de fouille en forĂŞt d'Eu), Service municipal d'archĂ©ologie de la ville d'Eu, 2003 (obsolète)
    • DelestrĂ©e 1984 : Louis-Pol DelestrĂ©e, Les Monnaies gauloises de Bois l'AbbĂ© (Eu, Seine-Maritime), Ă©ditions Belles Lettres, 1984
    • Folain, Cholet 2001 : Éric Folain, Laurent Cholet, « La Ville sanctuaire oubliĂ©e », ArchĂ©ologia, no 375, 2001, p. 30 (obsolète)
    • Mangard 1982 : Michel Mangard, « L'inscription dĂ©dicatoire du théâtre du Bois l'AbbĂ© Ă  Eu (Seine-Maritime) », Gallia, volume 40, 1982, p. 35-51 (lire en ligne)
    • Mangard 2008 : Michel Mangard, Le sanctuaire gallo-romain du Bois-l'AbbĂ© Ă  Eu (Seine-Maritime), Revue du Nord, Hors-SĂ©rie, coll. Art et archĂ©ologie no 12, avril 2008
    • Mantel, Dubois 2017 : Étienne Mantel et StĂ©phane Dubois, « L’agglomĂ©ration de Briga (Eu, Bois-l’AbbĂ©, Seine-Maritime) : premières donnĂ©es sur l’occupation durant l’AntiquitĂ© tardive Â», Gallia, 74-1, 2017, p. 181-193 (lire en ligne)
    • Mantel, Dubois, Devillers 2006 : DUBOIS S., DEVILLERS S., « Une agglomĂ©ration antique sort de l'anonymat (Eu, "Bois L'AbbĂ©", Seine-Maritime) : Briga ressuscitĂ©e Â», Revue archĂ©ologique de Picardie, 2006, p. 31-50 (lire en ligne)
    • Mantel, Dubois, Devillers 2009 : MANTEL É., DUBOIS S., DEVILLERS S., « Eu “ Bois l’AbbĂ© ”. La bourgade antique de Briga (Seine-Maritime) », L'ArchĂ©ologue no 102, 2009.
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    • Mantel, Dubois, ParĂ©tias, 2020b : MANTEL É., DUBOIS S., PARÉTIAS J., « Briga, une ville de la Gaule Belgique. Comment une remise en question des donnĂ©es anciennes en rĂ©vèle l’existence et son importance ? », Annales des XXVIIIe Rencontres archĂ©ologiques de Saint-CĂ©rĂ© (Lot), 27, Association des Amys du Pays de Saint-CĂ©rĂ©, 2020, p. 51-64 (lire en ligne)
    • Mantel, Dubois, ParĂ©tias, 2021 : MANTEL É., DUBOIS S., PARÉTIAS J., « Rouen. Quand la Normandie Ă©tait romaine : Briga, une ville retrouvĂ©e », ArchĂ©ologia, no 594, janvier 2021, Éditions Faton, p. 5 (lire en ligne)
    • Mantel, Dubois, ParĂ©tias, Viquesnel-Shlosser, 2020 : MANTEL É., DUBOIS S., PARÉTIAS J., VIQUESNEL-SCHLOSSER V., « Eu, "Bois-l’AbbĂ©" », Bulletin scientifique rĂ©gional de Normandie 2017, Drac de Normandie, Caen, 2020, p. 215-218 (lire en ligne)
    • Mantel, Dubois, ParĂ©tias, Viquesnel-Shlosser, Voisin, 2020 : MANTEL É., DUBOIS S., PARÉTIAS J., VIQUESNEL-SCHLOSSER V., VOISIN C., « Eu, "Bois-l’AbbĂ©" », Bulletin scientifique rĂ©gional de Normandie 2018, Drac de Normandie, Caen, 2020, p. 225-228 (lire en ligne)
    • Mantel, Dubois, ParĂ©tias, Viquesnel-Shlosser, Voisin, Gavazzi, Richard, 2020 : MANTEL É., DUBOIS S., PARÉTIAS J., VIQUESNEL-SCHLOSSER V., VOISIN C., GAVAZZI, B., RICHARD M., « Étudier l’occupation d’une ville : les enjeux du PCR “Topographie gĂ©nĂ©rale et insertion territoriale de l’agglomĂ©ration antique de Briga” », Archimède. ArchĂ©ologie et Histoire ancienne [En ligne], 7, juin 2020, p. 216-229.
    • Mantel, ParĂ©tias, Marlin (dir.) 2020 : Étienne Mantel, Jonas ParĂ©tias et Laurence Marlin, Briga : Une ville romaine se rĂ©vèle, Silvana Editoriale, , 224 p. (ISBN 9788836644308)
    • Mantel (dir.) 2010 : Étienne Mantel (dir.), Briga ou l'histoire d'une bourgade antique peu Ă  peu dĂ©voilĂ©e en forĂŞt d'Eu, Ă©d. FATRA, Blangy-sur-Bresle, 2010, 76 pages
    • Rogeret 1998 : Isabelle Rogeret, « 255-Eu », in : Isabelle Rogeret (dir.), Carte archĂ©ologique de la Gaule. 76. Seine-Maritime, Ă©ditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 1998, p. 245-256

    Filmographie

    • Briga, la ville oubliĂ©e, documentaire de 52 minutes, 2020

    Un film de David Geoffroy ; produit par Caroline Chassaing ; coproduction : Court-jus Production - France Télévisions / France 3 Normandie, avec le soutien du CNC (Centre national de la cinématographie et de l’image animée) et du Ministère de la Culture / DRAC Normandie / Service régional d’archéologie.
    Voir en replay et bande annonce.

    Articles connexes

    Liens externes


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