Bataille du Grand-Couronné
La bataille du Grand-CouronnĂ© est une victoire française du dĂ©but de la PremiĂšre Guerre mondiale qui se dĂ©roule en Lorraine en mĂȘme temps que la bataille de la Marne. Elle oppose, du 4 au , les 1re et 2e armĂ©es françaises des gĂ©nĂ©raux Augustin Dubail et Ădouard de Castelnau Ă un groupement composĂ© de la VIe armĂ©e bavaroise et de la VIIe armĂ©e allemande rĂ©unies sous le commandement du prince Rupprecht de BaviĂšre. Cependant, les principaux combats se dĂ©rouleront autour de Nancy que dĂ©fend la 2e armĂ©e française attaquĂ©e par la VIe armĂ©e bavaroise.
Date | Du au |
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Lieu |
à proximité de Nancy et de Lunéville, (Meurthe-et-Moselle - France) |
Issue | Victoire stratégique française |
France | Empire allemand |
Ădouard de Castelnau, Auguste Dubail | Rupprecht de BaviĂšre |
Environ 475 000 hommes | Environ 550 000 hommes |
CoordonnĂ©es | 48° 45âČ nord, 6° 21âČ est |
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Le contexte de cette bataille
AprĂšs la dĂ©claration de guerre Ă la France par lâempire allemand le , les armĂ©es françaises se dĂ©ploient le long de la frontiĂšre avec lâAllemagne. Entre le 20 et le se dĂ©roule la bataille des frontiĂšres. Disposant dâune large supĂ©rioritĂ© numĂ©rique, les sept armĂ©es allemandes prennent le dessus sur les cinq armĂ©es françaises et sur le corps expĂ©ditionnaire britannique (British Expeditionnary Force). La 1re armĂ©e du gĂ©nĂ©ral Dubail est battue au Donon et Ă Sarrebourg, celle du gĂ©nĂ©ral de Castelnau, la 2e armĂ©e française, subit une large dĂ©faite Ă Morhange. Ces deux armĂ©es qui reculent vers Nancy et dans les Vosges se rĂ©tablissent victorieusement le lors de la bataille de la TrouĂ©e de Charmes ce qui leur permet de stabiliser la situation en Lorraine pendant que partout ailleurs, les autres armĂ©es françaises et lâarmĂ©e britannique poursuivent leur repli qui les conduira jusquâĂ la Marne au cours de la premiĂšre semaine de septembre.
Du fait de la victoire de la TrouĂ©e de Charmes, Joffre, le gĂ©nĂ©ralissime français peut prĂ©lever des renforts sur les 1re et 2e armĂ©es et dissoudre lâarmĂ©e dite «âde Lorraineâ» afin dâaffecter ces unitĂ©s Ă la crĂ©ation de deux armĂ©es supplĂ©mentaires la 6e et la 9e Ă son aile gauche. Au contraire, le chef dâĂtat-major allemand, le gĂ©nĂ©ral von Moltke, inquiet de lâĂ©chec subi Ă la TrouĂ©e de Charmes, conserve un important dispositif en Lorraine et dans les Vosges[1]. Il est persuadĂ© que les 1re et 2e armĂ©es françaises cherchent Ă se replier vers le sud pour rester alignĂ©es avec les autres armĂ©es dont il prĂ©voit un profond recul vers le centre de la France. Aussi, le , donne-t-il lâordre au prince Rupprecht de BaviĂšre de recommencer Ă attaquer les Français entre Nancy et les Vosges. Rupprecht est furieux de cette dĂ©cision quâil juge totalement utopique. Câest Ă©galement lâopinion de ses subordonnĂ©s. En effet, quelques jours plus tĂŽt, du fait de sa dĂ©faite face Ă Castelnau lors de la bataille de la trouĂ©e de Charmes, trois de ses huit corps dâarmĂ©e ont Ă©tĂ© fortement Ă©branlĂ©s[2] et les autres sont Ă©puisĂ©s. Dans ces conditions, Rupprecht dĂ©cide de sâen tenir Ă ce quâil pense ĂȘtre lâesprit de cette demande de lâOberste Heeresleitung (OHL) : fixer un maximum dâeffectifs français dans lâEst. Le meilleur moyen dây arriver est dâattaquer Nancy. Il sait que les Français dĂ©fendront la ville avec acharnement. De plus, un tel assaut sâapparente Ă une opĂ©ration de guerre de siĂšge qui repose avant tout sur lâemploi dâune puissante artillerie lourde. Or, dans ce domaine, les Allemands possĂšdent une trĂšs large supĂ©rioritĂ© sur les Français, dâautant que Rupprecht peut compter sur le renfort de piĂšces lourdes qui seront prises sur les trois places fortes de Metz, Strasbourg et Mayence.
Pour les Français, ce que feront leurs 1re et 2e armĂ©e dĂ©pend avant tout du sort des autres armĂ©es françaises qui sont partout en train de reculer. Or, Joffre et le Grand quartier gĂ©nĂ©ral(GQG) hĂ©sitent entre deux options : sâarrĂȘter sur la Marne et faire face Ă partir de cette position avec la 6e armĂ©e, la BEF, les 5e, 9e, 4e et 3e armĂ©es ou poursuivre leur repli jusquâĂ la vallĂ©e de la Seine et de lâAube suivant une ligne Melun â Nogent jusquâaux Vosges. Dans ce dernier cas, cela obligerait les 1reet 2e armĂ©es Ă se retirer derriĂšre la Moselle pour rester alignĂ©es et par consĂ©quent cela entrainerait lâabandon de Nancy.
Le quand commence lâoffensive allemande contre Nancy. La dĂ©cision concernant la contre-attaque sur la Marne ou le repli français des armĂ©es de lâaile gauche nâa toujours pas Ă©tĂ© prise. Elle ne le sera que le lendemain et Castelnau nâen sera officiellement averti que le [3].
Les forces en présence
Français et Allemands ont massĂ© en Lorraine le tiers des forces dĂ©ployĂ©es sur le front occidental, soit prĂšs un million dâhommes environ.
Les Français : environ 475 000 hommes
Il nây a pas de commandement unique français en Alsace-Lorraine.
- IIe armĂ©e, gĂ©nĂ©ral de CastelnauLe gĂ©nĂ©ral Ădouard de CuriĂšres de Castelnau
- 2e groupe de divisions de réserve, général Léon Durand :
59e division et 68e division â renforcĂ© par la 73e division de rĂ©serveâŻ;
- 70e division de rĂ©serve du gĂ©nĂ©ral FayolleâŻ;
- 20e corps gĂ©nĂ©ral Balfourier comprenant la 11e division et la 39e division - renforcĂ© par la 64e division de rĂ©serveâŻ;
- 16e corps gĂ©nĂ©ral Taverna : 31e division et 32e division â renforcĂ© par la 74e division de rĂ©serveâŻ;
- Une division de cavalerie : 2e DC.
Sur un effectif thĂ©orique de deux cent vingt-cinq mille hommes, le nombre de combattants que Castelnau peut engager est sensiblement plus rĂ©duit. La 2e armĂ©e souffre de graves problĂšmes sanitaires provoquĂ©s par la consommation dâeau non potable au cours des journĂ©es de combat prĂ©cĂ©dentes. Castelnau a placĂ© le 2e groupe de divisions de rĂ©serve sur le Grand CouronnĂ© de maniĂšre Ă lui faire bĂ©nĂ©ficier de la protection du relief. Le 20e corps dĂ©fend la partie de la plus exposĂ©e du dispositif français ; une Ă©tendue peu vallonnĂ©e qui sâĂ©tend de RĂ©mĂ©rĂ©ville Ă la Meurthe (Buissoncourt, Haraucourt, Flainval) avec des Ă©lĂ©ments avancĂ©s Ă Courbesseaux et Maixe. Le 16e corps est dĂ©ployĂ© au sud de la Meurthe le long de la rive gauche de la Mortagne et fait la jonction avec la 1re armĂ©e. La grande faiblesse de Castelnau est son artillerie lourde. Bien quâil ait prĂ©levĂ© un maximum de canons sur la place forte de Toul, il ne dispose que dâune centaine de piĂšces[4].
- Ire armĂ©e gĂ©nĂ©ral DubailâŻLe gĂ©nĂ©ral Augustin Dubail
- 8e corps, gĂ©nĂ©ral de Castelli : 15e division, 16e divisionâŻ;
- 13e corps, gĂ©nĂ©ral Alix : 25e division, 26e divisionâŻ;
- 14e corps, général Baret : 27e division, 28e division.
Elle est renforcĂ©e par la 44e division, par le groupement des Vosges (41e division, division Schlucht, 115e brigade), par le groupement sud (66e division de rĂ©serve, 14e brigade dragons) et par la 6e division de cavalerie. Elle peut Ă©galement compter sur la garnison de la place dâĂpinal avec la 71e division de rĂ©serve. Lâensemble reprĂ©sente treize divisions dâinfanterie et une division de cavalerie, soit environ 250 000 hommes[5]. Elle est dĂ©ployĂ©e sur un large arc de cercle depuis la Mortagne jusquâĂ la rĂ©gion de Saint-DiĂ© dans les Vosges. Ă lâinstar de Castelnau, la grande faiblesse de Dubail est son artillerie qui a beaucoup souffert depuis le dĂ©but de la campagne. Elle ne lui permet pas dâaligner plus de 344 piĂšces en Ă©tat de tirer, et moins de trente canons lourds.
Les Allemands : environ 550 000 hommes
Rupprecht de BaviĂšre qui commande la VIe armĂ©e bavaroise, assume Ă©galement le commandement de lâensemble des forces allemandes et bavaroises engagĂ©es en Alsace-Lorraine : soit deux armĂ©es renforcĂ©es par un corps dâersatz et par la garnison de la place forte de Metz (Ă©quivalente Ă deux divisions) et par le IIIe corps de cavalerie : VIIe KD et VIIIe KD[6].
- VIe armée, Prince Rupprecht de BaviÚre :
- Corps dâersatz (IVe, VIIIe et Xe divisions dâersatz) ;
- IIIe corps bavarois Ă 2 divisions ;
- IIe corps bavarois Ă 2 divisions ;
- XXIe corps Ă 2 divisions ;
- Ier corps bavarois Ă 2 divisions ;
- Ier corps bavarois de réserve à 2 divisions.
- VIIe armée, général von Heeringen :
- XIVe corps Ă 2 divisions ;
- XVe corps Ă 2 divisions ;
- XIVe corps de réserve à 2 divisions.
Rupprecht a disposĂ© devant Castelnau quatre corps dâarmĂ©e : le corps dâersatz, le IIIe corps bavarois, le IIe corps bavarois, Ier corps bavarois de rĂ©serve[6]. Il a placĂ© le XXIe corps allemand le long de la Mortagne et la VIIe armĂ©e allemande dans les Vosges avec le XIVe corps dâarmĂ©e dans la rĂ©gion de Baccarat, le XVe corps dâarmĂ©e Ă Raon-l'Ătape et le XIVe corps dâarmĂ©e de rĂ©serve dans la rĂ©gion de Saint-DiĂ©Ì. Mais surtout, Rupprecht aligne sept cents canons lourds, principalement devant Nancy, soit une puissance de feu considĂ©rable avec laquelle il entend bien venir rapidement Ă bout des Français.
La problématique de la défense de Nancy
Depuis des temps immĂ©moriaux, la dĂ©fense de Nancy semble une gageure. En effet, la ligne de dĂ©fense naturelle du territoire français passe plus au sud sur la rive gauche de la Moselle, suivant lâaxe Belfort-Verdun. Le systĂšme de SĂ©rĂ© de RiviĂšres a suivi la mĂȘme logique en plaçant les deux rideaux fortifiĂ©s et des places fortes en arriĂšre de Nancy. La ligne de hauteurs situĂ©e au nord-est de la ville, appelĂ©e le Grand-CouronnĂ©, constitue certes un gros obstacle et une belle position de dĂ©fense, mais elle est trĂšs incomplĂšte, car elle laisse un large espace libre au sud-est qui dĂ©bouche sur la trouĂ©e de Charmes. Dans les faits, cette quasi-absence de fortifications â Ă lâexception du plateau de la Rochette et du Grand-Mont dâAmance qui seront en partie amĂ©nagĂ©s â rend illusoire lâidĂ©e dâune rĂ©sistance prolongĂ©e devant Nancy. En cas dâoffensive allemande, Castelnau et son Ă©tat-major auraient tĂŽt ou tard Ă prĂ©voir son abandon pour utiliser les hauteurs situĂ©es derriĂšre la ville, voire se replier sur la position naturelle de rĂ©sistance derriĂšre la Moselle. Cette derniĂšre hypothĂšse semblait la plus probable aux yeux des Allemands. Comme le rappelle le gĂ©nĂ©ral von KĂŒhl, la Moselle est pratiquement infranchissable : « La [Moselle] forme avec le canal qui la longe un double et difficile obstacle. La vallĂ©e large de deux kilomĂštres est plate sans couvert. La rive est favorable au dĂ©fenseur (hauteurs). Une attaque purement frontale sâapparenterait Ă une guerre de position et prendrait longtemps[7]. » Il faut donc dĂ©mystifier les propos de ceux qui aprĂšs-guerre et pour des raisons polĂ©miques, prĂ©senteront lâhypothĂšse dâun abandon de Nancy comme le prĂ©lude Ă une catastrophe stratĂ©gique.
Le plan dâattaque allemand
Le plan de Rupprecht vise Ă prendre Nancy aprĂšs avoir dĂ©truit les dĂ©fenses françaises grĂące Ă son Ă©crasante supĂ©rioritĂ© en matiĂšre dâartillerie lourde. Mais les grosses piĂšces quâil dĂ©ploie sont Ă©galement son talon dâAchille. Elles le contraignent Ă adopter un plan trĂšs simpliste. Cette artillerie le force Ă concentrer son offensive sur un front relativement Ă©troit Ă lâest de la ville. Pour commencer, au lieu dâattaquer le , il perd deux jours Ă faire venir de Metz, Mayence et Strasbourg les plus gros calibres. Or, ces canons ne sont pas attelĂ©s. Ils doivent donc ĂȘtre placĂ©s au plus prĂšs des voies ferrĂ©es par oĂč ils transitent. Cela oblige Ă©galement Rupprecht Ă rester Ă proximitĂ© de ses lignes dâapprovisionnement, car il a calculĂ© une consommation dâobus pour ces gros calibres qui nĂ©cessite vingt-six trains munitionnaires pour mener cette bataille. Il est Ă©galement limitĂ© par la portĂ©e maximale de ses canons (dix kilomĂštres au maximum). Or, sur une large portion du champ de bataille, la Moselle, les hauteurs de la forĂȘt de Haye et le massif du Grand-CouronnĂ© crĂ©ent une zone dâinterdiction dâune quinzaine de kilomĂštres de profondeur au sud, Ă lâouest et au nord de la ville qui dĂ©passe la portĂ©e de son artillerie. Son plan est donc aisĂ©ment prĂ©dictible et Castelnau nâaura aucun mal Ă lâanticiper.
Le plan du général de Castelnau
Depuis le , Castelnau se prĂ©pare aux deux hypothĂšses quâinduit la situation des armĂ©es françaises situĂ©es Ă sa gauche. Au cas oĂč elles se replieraient jusquâĂ la vallĂ©e de la Seine, il faudrait quâil prĂ©voie dâĂ©tablir son armĂ©e sur la rive gauche de la Moselle. Il dĂ©crit cette option dans le projet instruction no 68[8]. Il prĂ©voit un premier recul de son dispositif sur la forĂȘt de Haye qui surplombe Nancy, Ă l'ouest, et sur la ligne des collines qui bordent la rive droite de la Moselle. Lâamplitude de ce mouvement serait volontairement limitĂ©e de maniĂšre Ă pouvoir ĂȘtre exĂ©cutĂ© de nuit, ce qui rĂ©duirait les risques opĂ©rationnels. La nuit suivante, Castelnau nâaurait plus quâĂ franchir la Moselle, ce qui pourrait ĂȘtre Ă©galement fait en quelques heures pendant lâobscuritĂ©. Castelnau a Ă©galement prĂ©vu le scĂ©nario dâune contre-attaque française sur la Marne. Si une telle hypothĂšse se confirmait, il maintiendrait son armĂ©e sur ses positions actuelles. Câest ce que rĂ©sume le projet dâinstruction no 67[9] quâil a fait Ă©galement prĂ©parer. Jusquâau , il ne reçoit aucune information. Lâimpression gĂ©nĂ©rale au sein de son Ă©tat-major est quâun repli va leur ĂȘtre imposĂ©. En effet, lâofficier de liaison du GQG, le capitaine FĂ©tizon vient dâarriver et il est pessimiste. Il pronostique que les armĂ©es françaises Ă lâaile gauche risquent dâabandonner la position de la Marne pour poursuivre leur repli plus au sud. Mais dâautres informations[10] indiquent quâen haut lieu des hommes tels que le gĂ©nĂ©ral Gallieni pressent Joffre de contre-attaquer pendant que ses armĂ©es sont encore sur la Marne[11]. Tard dans lâaprĂšs-midi, Castelnau est finalement informĂ© que ce sera lâoption retenue. Sans attendre la confirmation que Joffre ne lui enverra que le lendemain[12], il prend la dĂ©cision de poursuivre la dĂ©fense de Nancy et câest donc lâordre no 67 quâil envoie Ă son armĂ©e.
Cette dĂ©fense, il la prĂ©pare depuis une semaine. Elle est basĂ©e sur deux lignes de rĂ©sistance. La principale est formĂ©e par les deux corps dâactive, le 20e et le 16e. Ils occupent la zone oĂč le relief nâoffre pas de protection, mais que barrent des massifs forestiers apparemment anodins et en rĂ©alitĂ© trĂšs accidentĂ©s : les bois de CrĂ©vic, la forĂȘt de Saint-Paul et surtout la forĂȘt de Champenoux qui se rĂ©vĂ©leront des obstacles redoutables oĂč sâenliseront les assauts allemands ainsi que la rive gauche de la Mortagne au sud de LunĂ©ville. Un peu en retrait et dĂ©calĂ©es vers le nord, les divisions de rĂ©serve sont Ă©tablies sur le massif du Grand-CouronnĂ© lui-mĂȘme afin de bĂ©nĂ©ficier de lâabri de la topographie. Anticipant de plusieurs semaines sur la guerre de tranchĂ©es, Castelnau a enterrĂ© ses troupes[13]. Chaque unitĂ© a constituĂ© un large rĂ©seau de tranchĂ©es profondes dont il a exigĂ© le doublage systĂ©matique de maniĂšre Ă accroĂźtre la densitĂ© de la dĂ©fense. Dans les premiĂšres se tient un effectif rĂ©duit composĂ© de tireurs dâĂ©lite protĂ©gĂ©s par des pare-Ă©clats, le gros de la troupe se tenant en arriĂšre dans lâautre tranchĂ©e prĂȘt Ă intervenir. Cette mĂ©thode ne sâimposera dans les armĂ©es françaises quâau printemps 1915. PrĂ©voyant lâintensitĂ© du bombardement ennemi, Castelnau fait Ă©tablir plusieurs Ă©paulements par piĂšce de maniĂšre Ă pouvoir les dĂ©placer successivement derriĂšre des emplacements protĂ©gĂ©s dĂšs quâelles seront repĂ©rĂ©es. Les Allemands eux-mĂȘmes seront impressionnĂ©s par ces mĂ©thodes dĂ©fensives. Le gĂ©nĂ©ral von Gebsattel (de) qui commande le IIIe corps dâarmĂ©e bavarois chargĂ© du gros de lâeffort allemand pendant cette bataille reconnaĂźt quâils avaient beaucoup Ă apprendre des Français en matiĂšre de procĂ©dĂ©s de fortification : « Une position fortifiĂ©e dans toutes les rĂšgles de lâart et disposĂ©e en Ă©tages multiples[14]. »
Le déroulement de la bataille
Les 4 et
Le , la bataille sâengage Ă 13 heures. Les Allemands vont faire leur effort principal au sud de LunĂ©ville et dans les Vosges. LâidĂ©e de Rupprecht est de lancer une diversion dans ce secteur afin dâempĂȘcher les quatre corps dâarmĂ©e français concentrĂ©s dans cette zone â 16e, 8e, 13e, 14e corps â dâintervenir dans la bataille devant Nancy qui est son principal objectif.
Lâinfanterie allemande franchit la Meurthe par le pont de Rehainvilliers et attaque le 16e corps oĂč un inquiĂ©tant flottement se produit quand lâune des divisions se met Ă plier. La position clef de GerbĂ©viller est perdue. Si les Allemands franchissent la Mortagne, ils sĂ©parent les deux armĂ©es françaises et disposent alors dâune base dâassaut contre Nancy par le sud. Mais, dĂšs le lendemain, le gĂ©nĂ©ral Taverna, commandant le 16e corps, rĂ©agit et redresse la situation qui doit beaucoup Ă lâĂ©motivitĂ© du commandement local[15]. En effet, les Allemands reconnaissent que toutes ces tentatives du IIe corps dâarmĂ©e bavarois et du XXIe corps allemand Ă©chouent avec de larges pertes[16].
Dâautres unitĂ©s allemandes ont dĂ©bouchĂ© de la vallĂ©e de la Meurthe entre Baccarat et Saint-DiĂ© et font irruption dans le massif boisĂ© entre Meurthe et Mortagne. Elles refoulent les trois corps de la 1re armĂ©e aprĂšs avoir enlevĂ© Saint-BenoĂźt, la Salle, Nompatelize, la Bourgonce et la crĂȘte de Mandray. Tous ces mouvements allemands donnent le sentiment que lâaxe de lâoffensive de Rupprecht se situe au sud de la Meurthe. DĂ©jĂ , la 1re armĂ©e parle de se replier sur la rive gauche de la Mortagne[17]. Mais, Ă partir du 6, la pression allemande diminue sensiblement dans ce secteur. Le 16e corps et la 1re armĂ©e peuvent reprendre une partie du terrain perdu au cours des deux jours prĂ©cĂ©dents. En rĂ©alitĂ©, la bataille principale se dĂ©roule ailleurs : devant Nancy. Les Allemands y attaquent Ă©galement depuis lâaprĂšs-midi du 4. Lâartillerie en effet se dĂ©chaĂźne sur toute la ligne du plateau du RambĂȘtant. De petits groupes de fantassins tentent des assauts. Plusieurs positions avancĂ©es Ă©tablies devant la ligne de rĂ©sistance principale sont progressivement abandonnĂ©es par les Français. Mais rien de dĂ©cisif ne se produit[18]. Soudain, lâoffensive allemande prend un tour beaucoup plus intensif. Les Allemands ont dĂ©cidĂ© de profiter de la nuit pour obtenir des rĂ©sultats plus tangibles. Ils attaquent lâensemble du dispositif de la 2e armĂ©e de Castelnau devant Nancy. La canonnade atteint une intensitĂ© impressionnante et lâinfanterie sâengage en masse contre les lignes françaises. La 70e division de rĂ©serve du gĂ©nĂ©ral Fayolle qui fait la jonction avec le Grand-CouronnĂ© finit par cĂ©der, entraĂźnant le repli des troupes avancĂ©es du 20e corps. Il nây a plus de Français au-delĂ de la ligne de rĂ©sistance principale. Les Allemands sont dangereusement proches de Nancy. Il sâen faut de quelques centaines de mĂštres pour que la ville soit Ă portĂ©e de canon. Cependant, cette attaque de nuit nâa pas eu que des rĂ©sultats positifs pour le IIIe corps dâarmĂ©e bavarois. Un rĂ©giment notamment, le XIVe RI, se fait dĂ©cimer par les fantassins français juchĂ©s dans les arbres de la forĂȘt dâHoĂ©ville. Pris de panique, dans lâobscuritĂ©, les soldats bavarois finissent par se tirer dessus. Le 5, lâattaque se poursuit dans la matinĂ©e. Sur tout le front du 20e corps, les combats ont repris Ă lâaube et les bombardements sont dâune violence extrĂȘme. En fin de matinĂ©e, ils sâĂ©tendent sur lâensemble des positions françaises, du Grand-CouronnĂ© jusquâau sud de la Mortagne. Bien que la ligne principale de rĂ©sistance reste inentamĂ©e, toutes les positions avancĂ©es des Français sont tombĂ©es. Pourtant, cĂŽtĂ© allemand, la situation nâest pas jugĂ©e favorable, notamment en raison des pertes trĂšs importantes que ces mouvements offensifs viennent dâoccasionner. Les difficultĂ©s rencontrĂ©es sont considĂ©rĂ©es comme «âanormalesâ». De plus, des instructions contradictoires parviennent de lâOHL. On parle dâenlever deux corps dâarmĂ©e Ă Rupprecht pour les envoyer en Belgique. Or, au mĂȘme moment lâEmpereur en personne fait son apparition au QG de la VIe armĂ©e en perspective dâune entrĂ©e triomphale dans Nancyâ!
Le
Le 6 est une journĂ©e plus favorable pour les Français. La pression allemande diminue sensiblement. Dans ce secteur sud, le 16ecorps et la 1re armĂ©e peuvent reprendre une partie du terrain perdu au cours des deux jours prĂ©cĂ©dents. Plus aucune tentative allemande ne se produira dans cette zone jusquâĂ la fin de la bataille. De son cĂŽtĂ©, le 20e corps reprend Ă©galement une partie du terrain perdu la veille, dont le village de CrĂ©vic. Des unitĂ©s françaises se rĂ©installent sur la cote 316 et sur la croupe ouest de Gellenoncourt. En face du groupement des divisions de rĂ©serve Ă©tablies sur le Grand CouronnĂ©, aucune attaque dâinfanterie ne se produit car, comme le note le gĂ©nĂ©ral von Gebsattel, lâartillerie française couvre dâun feu nourri toute « pointe de casque » qui se montre[19]. Mais durant toute la toute la journĂ©e, les batteries lourdes allemandes ne cessent de tirer sur le mont Toulon, le mont Saint-Jean, le plateau de la Rochette et surtout le grand mont dâAmance : ce dernier a reçu en huit heures plus de 3 000 obus de gros calibre. Ce bombardement intense apparait ĂȘtre lâindice dâune prochaine attaque gĂ©nĂ©rale allemande en direction de Nancy pour le lendemain. Câest effectivement ce que prĂ©pare Rupprecht. Il sait que le temps dont il dispose pour prendre la ville est maintenant comptĂ©. LâOHL vient de lâinformer quâune partie de la VIIe armĂ©e allemande doit ĂȘtre envoyĂ©e en Belgique ainsi quâun corps de la VIe armĂ©e. Il vient Ă©galement de recevoir la visite du gĂ©nĂ©ral von Sieger, chef du service des munitions de lâOHL qui lui demande dâĂ©conomiser les gros calibres. Aussi, Rupprecht et son Ă©tat-major ne sont font plus dâillusion. Cette attaque quâils prĂ©voient pour le lendemain sera sans doute la derniĂšre[20].
Le
Mais cette attaque est trĂšs mal coordonnĂ©e. Ă lâaube, seuls les Bavarois du IIIe corps reprennent leur assaut le long de la route de ChĂąteau-Salins Ă Nancy pour sâouvrir le dĂ©filĂ© dit «âde la Bouzuleâ». Partout ailleurs, les autres unitĂ©s ne sont pas prĂȘtes et, comme le rappelle le gĂ©nĂ©ral von Gebsattel, lâĂ©tat-major de Rupprecht perd pratiquement toute la journĂ©e avant de leur fixer des secteurs dâattaque. Ce matin-lĂ , tout se concentre sur la 68e division de rĂ©serve française dans la forĂȘt de Champenoux. Elle est notamment soumise au bombardement de huit batteries dâartillerie lourde. Lâartillerie française Ă©tablie sur le mont dâAmance ne peut intervenir au risque dâĂȘtre repĂ©rĂ©e. Elle est elle-mĂȘme sous le feu des canons allemands. DâĂ©vidence, Rupprecht essaye de conquĂ©rir cette hauteur stratĂ©gique qui commande lâaccĂšs Ă Nancy. En milieu de matinĂ©e, la 68e division donne des signes de faiblesse. Castelnau puise alors dans les unitĂ©s voisines pour la renforcer. Mais, comme lâavant-veille, lâoffensive allemande face Ă la 68e division se calme dâelle-mĂȘme en dĂ©but dâaprĂšs-midi. Il faut dire que lâaxe principal de cette offensive allemande le long de la route de ChĂąteau-Salins Ă Nancy oblige les Allemands Ă traverser la forĂȘt de Champenoux. Or, cette immense zone boisĂ©e en avant du massif du Grand-CouronnĂ© forme un obstacle de premier ordre. Depuis le , il Ă©puise littĂ©ralement lâinfanterie allemande. AprĂšs lâĂ©chec des attaques des premiers jours, les Allemands nâosent plus sây engager en masse. Ils nây envoient plus que des patrouilles[21]. Ce rĂ©pit est plus que bienvenu tant la 68e division de rĂ©serve est Ă©puisĂ©e et a subi de lourdes pertes. Au vu des Ă©vĂ©nements qui se dĂ©roulent depuis lâaube, la journĂ©e est favorable aux Français. De plus, les nouvelles qui parviennent de la bataille de la Marne renforcent lâoptimisme. Contrairement Ă ce quâon peut lire dans certains ouvrages - notamment dans celui du gĂ©nĂ©ral Colin[22], cette journĂ©e du 7 nâest pas la plus critique de cette bataille. La position de la 2e armĂ©e française est sensiblement plus forte quâau cours des jours prĂ©cĂ©dents. Si des historiques rĂ©gimentaires ou des rĂ©cits de tĂ©moins ont tendance Ă dramatiser la progression allemande dans la forĂȘt de Champenoux ce jour-lĂ , ce nâest pas ce que rapporte le Service historique de la dĂ©fense, ni lâimpression quâen retire le gĂ©nĂ©ral von Gebsattel qui commandait les troupes allemandes engagĂ©es dans ce secteur. De plus, selon lui, la conquĂȘte de cette forĂȘt nâaurait pas, comme certains auteurs lâĂ©criront, ouvert «âla route de Nancyâ». Une position fortifiĂ©e, organisĂ©e, Ă son avis selon toutes les rĂšgles de lâart, sâĂ©levait de lâautre cĂŽtĂ© de la forĂȘt et zigzaguait jusquâau chĂąteau de RomĂ©mont en se prolongeant jusquâau bois de CrĂ©vic[23]. Au-delĂ , les aviateurs allemands avaient encore repĂ©rĂ© une deuxiĂšme ligne de dĂ©fense. Le gros de lâoffensive allemande ne se dĂ©clenche en dĂ©finitive quâĂ partir de 17 heures et se concentre dans le secteur du 20e corps oĂč elle est progressivement enrayĂ©e, ce que le gĂ©nĂ©ral von Mertz reconnaĂźt dans son journal : « Les rĂ©sultats pour la journĂ©e du 7 se rĂ©vĂšlent moins grands que ce quâon avait admis le 7 au soir. Les pertes sont importantes[24]. » De toute façon, Castelnau est prĂȘt Ă faire face Ă toute Ă©ventualitĂ©. En effet, au vu des Ă©vĂ©nements de la matinĂ©e, il dĂ©cide de mettre sur pied une force permanente de contre-attaque quâil pourra engager aux points faibles du dispositif face Ă une situation de crise sâil sâen produisait une. Il constitue un «âgroupement de marcheâ», câest-Ă -dire une unitĂ© temporaire crĂ©Ă©e pour une mission prĂ©cise de courte durĂ©e. Il met Ă sa tĂȘte le gĂ©nĂ©ral Ferry[25]. Celui-ci puise des bataillons Ă droite et Ă gauche quâil complĂšte par des batteries dâartillerie prises un peu partout. Le groupement est prĂȘt Ă lâaction vers 17 heures, au moment mĂȘme oĂč lâinfanterie bavaroise lance son attaque sur le front tenu par le 20e corps. Mais, bien que les combats soient intenses, cette nuit-lĂ et les pertes sensibles, les lignes de la 2e armĂ©e ne sont pas entamĂ©es et ce groupement Ferry nâa pas besoin dâĂȘtre engagĂ©. Il en sera de mĂȘme les jours suivants, car cet assaut marque lâultime effort de Rupprecht pour tenter dâenlever Nancy.
Incident sur la colline Sainte-GeneviĂšve
Concernant cette journĂ©e du , lâhistoriographie française fait grand cas dâun Ă©pisode assez confus qui nâaura en rĂ©alitĂ© aucun impact sur la bataille en cours devant Nancy. Il nâest dâailleurs mĂȘme pas mentionnĂ© dans les ouvrages publiĂ©s outre-Rhin[26]. Lâaction se situe pendant la nuit du 6 au au nord du massif du Grand CouronnĂ©[27], Ă une trentaine de kilomĂštres de Nancy, dans la rĂ©gion de Pont-Ă -Mousson. Dans ce secteur, les Allemands nâont engagĂ© que des unitĂ©s de rĂ©servistes ĂągĂ©s â 2e rang de Landwehr â de la garnison de Metz[28]. Elles ont pour mission de surveiller une Ă©ventuelle attaque française lancĂ©e Ă partir de la place forte de Toul. Mais les unitĂ©s françaises localisĂ©es dans ce secteur prennent peur et se mettent Ă battre en retraite sans que le commandement lâait formellement ordonnĂ©[29]. Ainsi, Dieulouard est abandonnĂ© sur la simple foi dâune rumeur colportĂ©e par un auxiliaire de la Croix-Rouge qui prĂ©tend avoir vu des Uhlans aux lisiĂšres de la ville[30]. Ces replis ont fini par exposer la colline Sainte-GeneviĂšve Ă ĂȘtre prise de flanc. Cette Ă©ventualitĂ© ne semble pas poser de problĂšme Ă Castelnau qui nâaccorde pas Ă cette position de valeur stratĂ©gique : « Depuis la destruction du pont de Pont-Ă -Mousson, lâintĂ©rĂȘt qui sâattache au massif de Sainte-GeneviĂšve, simple avancĂ©e du CouronnĂ©, a beaucoup diminuĂ©[31]. » Pourtant, et on ignore toujours aujourdâhui pourquoi, dans la nuit du 6 au , les Allemands en dĂ©cident lâattaque. Sans doute sont-ils grisĂ©s par lâattitude craintive des Français depuis deux jours. Cette attaque est un Ă©chec. Les Allemands refluent en dĂ©sordre et se retirent jusquâĂ Pont-Ă -Mousson ; ils dĂ©plorent une centaine dâhommes hors de combat. Un tel incident nâavait pas vocation Ă passer Ă la postĂ©ritĂ©. Mais les journalistes de L'Ăcho de Paris et du Temps qui visitent le champ de bataille trois mois aprĂšs les faits transforment ce combat secondaire qui mettait aux prises quelques bataillons en une bataille stratĂ©gique de grande ampleur[32]. Cet Ă©pisode sans consĂ©quences devient soudain, comme lâĂ©crit le journaliste de LâĂcho de Paris, « lâun des fleurons de la bataille du Grand-CouronnĂ© ». Une illustration montre un canon de 75 placĂ© Ă cĂŽtĂ© de lâĂ©glise de Sainte-GeneviĂšve tirant sur les Allemands placĂ©s en contrebas. Son titre : «âComment fut dĂ©fendu le Grand-CouronnĂ©â» comme si cet incident qui nâavait fait que sept victimes cĂŽtĂ© français[33] et moins de trente chez les Allemands[34] pouvait ĂȘtre reprĂ©sentatif de la bataille du Grand-CouronnĂ© qui fera des milliers de morts et des dizaines de milliers de blessĂ©s dans chaque camp.
Ă partir du : amorce dâun repli allemand et bombardement de Nancy
Le , le contexte gĂ©nĂ©ral stratĂ©gique est en train de changer. Ă lâouest, sur la Marne, les Allemands commencent Ă rĂ©aliser quâils vont perdre cette bataille. Aussi lâOHL sollicite-t-elle Rupprecht pour quâil libĂšre immĂ©diatement un corps dâarmĂ©e afin de renforcer le dispositif Ă lâouest et lui annonce que les huit trains chargĂ©s dâobus de gros calibre quâil attendait ont Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©s au profit des armĂ©es de l'Ouest. Furieux, lâhĂ©ritier du trĂŽne de BaviĂšre saute dans une voiture et fonce sur Luxembourg oĂč Moltke a dĂ©placĂ© son QG (initialement Ă Coblence) pour sâexpliquer avec lui. Il est donc absent et câest son chef dâĂ©tat-major de la VIe armĂ©e qui reçoit le nouvel ordre que lâofficier de liaison de lâOHL apporte : replier tout le dispositif allemand jusquâĂ la ligne de dĂ©fense fortifiĂ©e de Metz-Sarrebourg. Cette instruction le met en rage, il insulte le reprĂ©sentant de lâOHL et refuse de lâappliquer. En effet, la retraite quâordonne lâOHL est dâune telle ampleur et si brutale quâelle mettrait la VIe armĂ©e en grand danger, en raison de la complexitĂ© logistique de cette manĆuvre. Heureusement, Rupprecht obtient lâannulation de cet ordre de la part de Moltke. Il se repliera, mais Ă son rythme et de maniĂšre limitĂ©e.
Ce dĂ©sengagement allemand se traduit par une forte diminution des tirs de lâartillerie lourde et par un repli de lâinfanterie qui commence dans le secteur de la VIIe armĂ©e allemande. Dans celui de la VIe armĂ©e bavaroise face Ă Nancy, il est prĂ©vu que lâinfanterie et lâartillerie de campagne continuent Ă donner le change le temps que soit dĂ©montĂ©e et transfĂ©rĂ©e lâartillerie lourde. Ă compter du , il se met Ă pleuvoir Ă verse, ce qui ralentit les combats et facilite le retrait des forces bavaroises que lâaviation française clouĂ©e au sol par la mĂ©tĂ©o ne peut donc pas dĂ©celer. Cependant, la lutte reste vive dans la forĂȘt de Champenoux le long de la route de ChĂąteau-Salins. Si cet axe est stratĂ©gique pour une conquĂȘte Ă©ventuelle de Nancy, il lâest Ă©galement pour la dĂ©fense des lignes de repli de Rupprecht. Notamment, il faut faire reculer les grosses piĂšces jusquâaux lignes de chemin de fer, ce qui explique que ses troupes continuent leurs attaques le long de cet axe pendant toute la journĂ©e.
Vers minuit se produit Ă©galement un Ă©vĂ©nement inattendu : des obus de 130 tombent directement sur la ville. Les Allemands ont mis en batterie des canons autrichiens Ă longue portĂ©e du cĂŽtĂ© de RĂ©mĂ©rĂ©ville. Rupprecht veut masquer sa retraite en faisant croire quâil vise toujours Nancy. Soixante-sept obus atteignent le centre-ville[35], tuant huit personnes. Ce bombardement a lâeffet inverse de celui recherchĂ© : Castelnau dĂ©cide une offensive en vue de faire reculer lâennemi et mettre la ville hors de portĂ©e de tir. Cette offensive prĂ©vue dans la matinĂ©e du prend du retard et ne fait sentir ses effets que dans lâaprĂšs-midi. En parallĂšle, Castelnau reçoit de mauvaises nouvelles en provenance de Verdun et de la WoĂ«vre. Le fort de Troyon a Ă©tĂ© bombardĂ© et on sâattend Ă une attaque imminente dans ce secteur. Le GQG demande Ă Castelnau dây envoyer un certain nombre dâĂ©lĂ©ments prĂ©curseurs en renfort. Le 11 au matin, la ligne de front est pratiquement vide. Les Allemands se sont profondĂ©ment repliĂ©s pendant la nuit. La bataille du Grand-CouronnĂ© est terminĂ©e.
La victoire
Câest une trĂšs belle victoire dĂ©fensive. Elle est dignement fĂȘtĂ©e par les habitants de Nancy le quand une foule immense ovationne les soldats du 79e rĂ©giment dâinfanterie qui traversent la ville[36]. En dĂ©pit dâune grande supĂ©rioritĂ© numĂ©rique et dâune artillerie nettement surnumĂ©raire, les Allemands nâont jamais pu avancer au-delĂ des avant-postes, et les positions principales de dĂ©fense françaises sont restĂ©es intactes. Lâartillerie lourde allemande, pourtant cinq fois plus nombreuse, a eu une efficacitĂ© limitĂ©e. Elle a pris prioritairement pour cibles les positions dâartillerie françaises quâelle devait dĂ©truire afin de libĂ©rer le terrain avant les assauts dâinfanterie. Mais, placĂ©s sur les hauteurs, se dĂ©plaçant dâĂ©paulement en Ă©paulement amĂ©nagĂ© Ă lâavance, les servants et les canons de la 2e armĂ©e française ne subissent que de trĂšs faibles pertes au regard de la densitĂ© des tirs. Quant Ă lâaction des canons allemands sur les tranchĂ©es françaises, elle est loin de ce que Rupprecht avait escomptĂ©. La bataille du Grand-CouronnĂ© prĂ©figure la guerre de position qui sâinstallera dans quelques semaines. On se rendra progressivement compte que les concentrations dâartillerie devront ĂȘtre considĂ©rablement revues Ă la hausse pour avoir un effet sur des dĂ©fenses enterrĂ©es. Aux yeux des Français, cette victoire constitue lâun des grands faits dâarmes de cette guerre. Lors du dĂ©filĂ© triomphal du , un pilier symbolique sera Ă©rigĂ© en son honneur[37]. Il sera placĂ© Ă lâentrĂ©e des Champs ĂlysĂ©es en face de celui consacrĂ© Ă Verdun. Pour les Allemands, au contraire, ces combats devant Nancy comptent parmi leurs plus mauvais souvenirs de cette guerre[38].
Le , Castelnau est Ă©levĂ© Ă la distinction de grand officier de la LĂ©gion dâhonneur en raison de cette victoire. Pourtant, les communiquĂ©s du GQG donnant la prioritĂ© Ă la bataille de la Marne sont plus que laconiques Ă propos des combats qui viennent de se dĂ©rouler en Lorraine. Câest ce que dĂ©nonce lâhistorien Gabriel Hanotaux qui sâĂ©tonne : « On peut se demander pourquoi ces faits si considĂ©rables sont si mal connus jusquâici[39]. » Ă lâinverse, en Allemagne, autant la bataille de la Marne est traitĂ©e avec beaucoup plus de discrĂ©tion quâen France, autant les batailles de la TrouĂ©e de Charmes et du Grand CouronnĂ© sont abondamment commentĂ©es. Le nom de Castelnau est frĂ©quemment mentionnĂ© et la presse dâoutre-Rhin lui confĂšre lâimage « dâun chef rĂ©solu Ă la plus tenace rĂ©sistance[40] ».
Des polĂ©miques pendant lâentre-deux-guerres
AprĂšs la guerre, de nombreuses polĂ©miques Ă©clateront entre les diffĂ©rents chefs militaires français. Castelnau ne sera pas Ă©pargnĂ©. Une premiĂšre polĂ©mique sera soulevĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Dubail qui, dans ses mĂ©moires[41], tentera de sâattribuer une part de la gloire de ce fait dâarmes. Il vit trĂšs mal le fait que son armĂ©e nâa pas spĂ©cialement brillĂ© pendant toute cette campagne de Lorraine. FidĂšle Ă sa rĂ©putation dâenjoliver ses rapports et de se mettre en valeur au-delĂ de la rĂ©alitĂ©[42], dans ses mĂ©moires, il bĂątit une vĂ©ritable fiction dans laquelle il fait intervenir son propre gendre[43]. Celui-ci, pourtant simple capitaine, aurait obtenu de la part de Castelnau quâil renonce Ă abandonner Nancy. Ce tĂ©moignage trĂšs improbable ne pourra jamais ĂȘtre vĂ©rifiĂ© puisque ce capitaine est mort de suites de ses blessures avant la parution de ce livre. Dans un article du journal L'Ăcho de Paris[44] ayant reçu prĂ©alablement la validation du ministre de la Guerre, Castelnau rĂ©pond Ă Dubail en le ridiculisant. Celui-ci nâinsistera pas.
Curieusement, câest Joffre lui-mĂȘme qui sera Ă lâorigine de la deuxiĂšme polĂ©mique. Dans ses MĂ©moires, il ira jusquâĂ Ă©crire quâil avait dĂ» intervenir personnellement le , pendant la bataille du Grand-CouronnĂ©, pour empĂȘcher Castelnau dâentreprendre une retraite risquant dâaboutir à « lâenveloppement de lâaile droite des armĂ©es françaises[45] ». Outre le fait quâil nâen existe aucune trace dans les archives (aucun rapport, aucun ordre, aucun message tĂ©lĂ©phonique, aucun tĂ©moignage) de cette prĂ©tendue intervention, lâancien gĂ©nĂ©ralissime oublie que, la veille, il avait formellement donnĂ© son accord au plan prĂ©parĂ© par Castelnau au cas oĂč il aurait Ă©tĂ© forcĂ© dâĂ©vacuer Nancy. Joffre avait en effet Ă©crit : « Toutefois, si vous ĂȘtes mis dans lâobligation dâabandonner le Grand-CouronnĂ© de Nancy, jâapprouve les intentions que vous mâexprimez[46]. » Difficile de croire que les intentions de Castelnau si elles avaient pu conduire à «âlâenveloppement de lâaile droite des armĂ©es françaisesâ» auraient Ă©tĂ© approuvĂ©es par Joffre. Enfin, la situation de la 2e armĂ©e française, le , Ă©tant plus favorable comparativement aux jours prĂ©cĂ©dents, on ne voit pas pourquoi elle aurait pu inquiĂ©ter Castelnau au point de lui faire envisager dâabandonner la ville.
Devant la rĂ©surgence Ă©pisodique de telles calomnies, le ministre de la Guerre Paul PainlevĂ© fait faire une enquĂȘte officielle approfondie en . Elle confirme que le gĂ©nĂ©ral de Castelnau nâa jamais donnĂ© lâordre dâabandonner Nancy et que le gĂ©nĂ©ral Joffre nâest jamais intervenu pour lâen dissuader. Le dossier complet de cette enquĂȘte peut ĂȘtre consultĂ© Ă Vincennes au Service historique de la dĂ©fense[47].
Notes et références
- De ce fait, lorsque Joffre ordonnera la contre-attaque de la Marne, le , il disposera de la supĂ©rioritĂ© numĂ©rique â 56 divisions franco-britanniques contre 44 allemandes. AFGG 1/3 p. 17-20.
- Pour la VIe armĂ©e bavaroise, le total des pertes de la campagne de Lorraine se monte Ă quatre-vingt mille hommes mis hors de combat. Karl Deuringer, Der Wettlauf um die Flanke in Nordfrankreich, 1914, 2 vol., herausgegeben vom Bayerischen Kriegsarchiv, MĂŒnchen, M. Schick, 1936.
- AFGG 1/3/A1 no 222 : télégramme au général commandant la 2e armée, no 3989, 13 h 10, .
- AFGG 1/3, p. 1154-1157.
- AFGG 1/3/2e partie p. 1243-1244.
- AFGG 1/3/2e partie p. 1162-1163.
- GĂ©nĂ©ral von KĂŒhl, La Campagne de la Marne en 1914, Paris, Charles Lavauzelle, 2002, p. 348-349.
- AFGG 1/3/A1 no 115.
- AFGG 1/3/A1 no 109.
- Journal du lieutenant-colonel Jacquant, SHD 1K795/38.
- Le chef du 3e bureau du GQG, le colonel Pont, sera lâun des plus ardents partisans dâun arrĂȘt sur la Marne. Il pense Ă juste titre quâil sera trĂšs difficile de reprendre aux Allemands toute portion concĂ©dĂ©e du territoire national.
- AFGG 1/3/A1 no 222 : télégramme à général commandant la 2e armée, op. cit.
- AFGG 1/2/A2 no 2208.
- Baron Ludwick von Gebsattel, De Nancy au Camp des Romains 1914, 2015, p. 125.
- AFGG 1/3/A1 no 151 Ă 154.
- Général von Mertz, La volonté du chef, Paris, Payot, 1934, p. 186.
- AFGG 1/3/A1 no 54.
- AFGG 1/3/A1 no 65.
- Baron Ludwing von Gebsattel, op. cit., p. 106.
- Général von Mertz, op. cit., p. 190-191.
- Général Colin, Le Grand Couronné de Nancy, Paris, Payot, 1936, p. 236-238.
- Général Colin, op. cit., p. 138.
- Général Colin, op. cit., p. 230.
- Général von Mertz, op. cit., p. 194-195.
- Général Colin, op. cit., p. 137.
- Dans le livre de Karl Deuringer, on trouve deux paragraphes succincts indiquant que le groupement de Metz attaque Sainte-GeneviĂšve et se retire ensuite Ă Pont-Ă -Mousson.
- Cf. le rĂ©cit complet de cet Ă©pisode ; BenoĂźt Chenu, Castelnau le quatriĂšme marĂ©chal, Paris, Ăditions Bernard Giovananageli, 2017, p. 145-148.
- Selon Karl Deuringer, il sâagit de quinze compagnies dĂ©tachĂ©es de trois rĂ©giments de rĂ©servistes de type territorial (25e, 30e et 68e LIR) et, sur la rive gauche, dâĂ©lĂ©ments de la 33e division dâinfanterie de rĂ©serve. Cependant, ces forces sont appuyĂ©es par une puissante artillerie. Il y a notamment de lâartillerie lourde sur le mont Mousson qui balaye toute la rĂ©gion. Câest ce qui provoquera une attitude de crainte infondĂ©e chez les Français qui leur font face.
- AFGG 1/2/A2 no 1823.
- AFGG 1/3/A1 no 1229.
- AFGG 1/3/A1 no 272.
- L'Ăcho de Paris, ; Le Temps, .
- Sur les trente noms figurant sur le monument aux morts de Sainte-GeneviĂšve, seuls sept soldats français sont tombĂ©s ce jour-lĂ dont une majoritĂ© victimes du bombardement dâartillerie de la journĂ©e et non pas de lâattaque allemande de nuit : les soldats Brillanceau, Constant, Fichet, Gibaud, Petit, Picard et Rautureau.
- Rapport du capitaine Bosquet, AFGG 1/3/A1 no 1324.
- Principalement la rue Saint-Nicolas et la rue de la Hache.
- Patrick-Charles Renaud, La guerre Ă coups d'hommes, Escalquens, Ăditions Grancher, 2014, p. 412-413.
- PylĂŽnes dĂ©diĂ©s aux batailles de Verdun et du Grand-CouronnĂ© avenue des Champs-ĂlysĂ©es le 13-7-1919. photo sur Gallica.
- Baron Ludwig von Gebsattel, op. cit., p. 134.
- Gabriel Hanotaux, La Revue des Deux Mondes, décembre 1916.
- Gabriel Hanotaux, Histoire illustrĂ©e de la guerre de 14, t. 7, Paris, Ăditions Gouhnouillou, , p. 72.
- Général Dubail, Quatre années de commandement, 1914-1918, t. 1, p. 99.
- Général Edmond Buat, Journal. 1914-1923, Paris, Perrin, 2015.
- Le capitaine André Dussauge.
- L'Ăcho de Paris, 17 juin 1920.
- Maréchal Joffre, Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917), t. 1, Paris, Plon, 1932, p. 408.
- AFGG 1/3/A1 no 222 : télégramme à général commandant la 2e armée, no 3989, 13 h 10, 6 septembre 1914.
- SHD 5N260.
Voir aussi
Bibliographie
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- Renaud, Patrick-Charles, La guerre Ă coups dâhommes, Escalquens, Editions Grancher, 2014.
- Rolin Abbé Ch., « La bataille qui sauva Nancy : Champenoux 24 août-12 septembre 1914 », Le Pays lorrain, 1928, p. 385-401, p. 440-455.
- Von Bayern, Kronprinz Ruprecht, Mein Kriegstagebuch, ĂditĂ© par Deutscher National Verlag, 3 vols, 1929.
Liens externes
- Chaine dédiée au général de Castelnau sur YouTube
- Chaine consacrée aux 600 000 soldats et officiers qui ont participé à la bataille de lorraine d'août et et, notamment, à ceux qui ont combattu dans tout le secteur du Grand-Couronné
- « Bataille du Grand Couronné de Nancy (4 - 13 septembre 1914) », sur le site Sambre-Marne-Yser
- Stéphane Gaber, « Le problÚme de la fortification de Nancy 1873-1914 »(Archive.org ⹠Wikiwix ⹠Archive.is ⹠Google ⹠Que faire ?) [PDF], sur academie-stanislas.org,
- Gabriel Hanotaux, « Histoire illustrée de la guerre de 1914 : tome 7 »,