Poisson d'avril
Un poisson dâavril[1] - [2] est une plaisanterie ou une farce que l'on fait le 1er avril Ă ses connaissances, Ă ses amis et sa famille. Il est aussi de coutume de faire des canulars dans les mĂ©dias, aussi bien presse Ă©crite, radio, tĂ©lĂ©vision que sur Internet (canular informatique).
Une autre plaisanterie du est d'accrocher un poisson (souvent en papier) dans le dos d'une personne dont on veut se moquer sans qu'elle s'en rende compte. « Poisson dâavril ! » est une exclamation qui se dit une fois quâune des plaisanteries est dĂ©couverte.
Origine
La locution « poisson d'avril » est attestée au XVe siÚcle : sa plus ancienne occurrence connue se trouve dans le Doctrinal du temps présent de Pierre Michault, daté de ; elle y désigne un « entremetteur, intermédiaire, jeune garçon chargé de porter les lettres d'amour de son maßtre »[3]. Cet emploi est confirmé par le Livre de la Deablerie d'Eloy d'Amerval, daté de -[3]. Son emploi pour désigner une « tromperie, mystification traditionnelle du 1er avril » n'est attesté qu'au XVIIe siÚcle : sa plus ancienne occurrence connue se trouve dans La Vie de Charles V, duc de Lorraine, de Jean de Labrune, daté de [3]. Cet emploi entre dans le Dictionnaire de l'Académie française en par l'intermédiaire de la locution « donner un poisson d'avril » qui signifie « obliger quelqu'un à faire quelque démarche inutile pour avoir lieu de se moquer de lui »[3].
Les origines du poisson d'avril restent obscures[4] mais la tradition festive de personnes qui sont l'objet de farces ou de satires existe dans plusieurs cultures depuis l'AntiquitĂ© et le Moyen Ăge : fĂȘtes religieuses romaines des Hilaria cĂ©lĂ©brĂ©es le 25 mars ; la Holi, fĂȘte des couleurs hindouiste ; Sizdah bedar, fĂȘte persane ; Pourim, fĂȘte juive ; fĂȘte des Fous mĂ©diĂ©vale en Europe[5].
Les écrits folkloristes proposent de nombreuses origines mais il ne s'agit que de « vagues conjectures »[6].
Une premiĂšre explication relie le poisson d'avril Ă la PĂąques qui marque la fin du jeĂ»ne du carĂȘme, le poisson prenant une place alimentaire importante Ă cette pĂ©riode. De plus, l'ichthus chrĂ©tien, symbole graphique reprĂ©sentant un poisson, est souvent interprĂ©tĂ© comme un acronyme du nom de JĂ©sus utilisĂ© du Ier siĂšcle au IVe siĂšcle et le mot poisson serait une corruption du mot Passion[7].
Une autre hypothĂšse, couramment reprise par les mĂ©dias, relie la date du 1er avril Ă la rĂ©forme calendaire au XVIe siĂšcle. Au Moyen Ăge, dans plusieurs villes et rĂ©gions europĂ©ennes, lâannĂ©e commençait Ă des dates variĂ©es (NoĂ«l, 1er mars, 25 mars) qui correspondaient selon le calendrier julien au Jour de l'an. Le notamment Ă©tait associĂ© la fĂȘte de l'Annonciation Ă Marie[8] avec la tradition de s'Ă©changer des Ă©trennes[9]. En France, l'annĂ©e civile dĂ©butait Ă diffĂ©rentes dates selon les provinces mais dans celles oĂč elle commençait le , il Ă©tait courant de prolonger les fĂȘtes mariales jusqu'au 1er avril[10]. Le roi Charles IX dĂ©cide, par l'Ădit de Roussillon en 1564, que l'annĂ©e dĂ©buterait dĂ©sormais le 1er janvier, marque du rallongement des journĂ©es, au lieu de fin mars, arrivĂ©e du printemps. Le pape GrĂ©goire XIII Ă©tend cette mesure Ă l'ensemble de la chrĂ©tientĂ© avec l'adoption du calendrier grĂ©gorien en 1582.
Selon la lĂ©gende, beaucoup de personnes eurent des difficultĂ©s Ă s'adapter au nouveau calendrier, d'autres n'Ă©taient pas au courant du changement et continuĂšrent Ă cĂ©lĂ©brer le 1er avril selon l'ancienne tradition. Pour se moquer d'elles, certains profitĂšrent de lâoccasion pour raconter aux Ă©tourdis des histoires pour rire et leur remettre de faux poissons correspondant Ă la fin du carĂȘme. Ainsi naquit le fameux poisson dâavril, le jour des fous, le jour de ceux qui nâacceptent pas la rĂ©alitĂ© ou la voient autrement[11]. Cette hypothĂšse de la rĂ©forme calendaire, qui s'appuyait sur le fait que la tradition du poisson d'avril est bien attestĂ©e au XVIe siĂšcle, est cependant contredite car l'expression ou la notion de poisson d'avril est Ă©voquĂ©e dans plusieurs Ă©crits antĂ©rieurs Ă 1564, notamment un poĂšme de Pierre Michault[12] en 1466, Le Livre de la deablerie (diablerie) du curĂ© Eloy d'Amerval en 1508[13] ou un poĂšme dans l'Ćuvre Testament rhetoricĂŠ d'Eduard de Dene en 1539[14].
Une autre origine viendrait de l'usage dans diffĂ©rents pays d'ouvrir la saison de pĂȘche le 1er avril ou au contraire dans d'autres de la suspendre, afin de respecter la pĂ©riode de reproduction. Pour faire un cadeau aux pĂȘcheurs, et pour se moquer un peu d'eux car la pĂȘche Ă©tait soit trop facile (abondance le jour d'ouverture), soit infructueuse (jour de suspension), on leur offrait un hareng. C'est alors qu'une habitude populaire se serait installĂ©e : on accrochait subrepticement un vrai poisson dans le dos des gens. Comme les habits Ă©taient plus larges, les victimes ne s'en apercevaient pas tout de suite, de sorte que le poisson devenait de plus en plus gluant et puant. Ainsi serait nĂ© le goĂ»t de faire ce jour-lĂ des petits cadeaux pour rire, des plaisanteries ou des mystifications. LĂ encore cette hypothĂšse est rejetĂ©e, les archives historiques mentionnant le choix d'autres dates par les autoritĂ©s gĂ©rant les pĂȘches[15].
Selon le folkloriste Alan Dundes, plusieurs usages semblent sâĂȘtre en fait mĂ©langĂ©s avec celui du carnaval en ce jour qui est une probable Ă©manation d'anciens rites de fertilitĂ© et d'inversion, de fĂȘtes au cours desquelles les victimes de farces sont confrontĂ©es Ă un rite calendaire de passage[4] : influence des fĂȘtes antiques, sortie du signe zodiacal des Poissons (dernier signe de lâhiver et dernier signe zodiacal), avril considĂ©rĂ© au Moyen Ăge comme le premier mois du printemps (le 1er avril Ă©tant fixĂ© comme un rite printanier), prolongement la pĂ©riode du carĂȘme oĂč il nâest permis de manger que du poisson.
En France, au dĂ©but du XXe siĂšcle, on s'envoyait de jolies cartes postales toutes ornĂ©es d'un poisson dâavril et richement dĂ©corĂ©es.
Le musée du chùteau de Dieppe conserve une trÚs importante collection de cartes postales sur ce thÚme[16].
Cette coutume de faire des plaisanteries s'est rĂ©pandue dans de nombreux pays, bien que le poisson ne se soit pas toujours exportĂ© en mĂȘme temps :
- les AmĂ©ricains et les Britanniques ont conservĂ© leur April Fool's Day (certains Ăcossais parlent aussi de Gowk ou de Cuckoo),
- les Allemands ont leur Aprilscherz ;
- cette coutume existe aussi au Danemark, aux Pays-Bas, en Belgique, au Canada, en Italie, en Pologne, en Croatie, en SlovĂ©nie, au Portugal, aux Ătats-Unis, en Suisse, en SuĂšde, en Finlande, au Japon, en CorĂ©e du Sud et en Chine;
- en Russie il s'appelle le «jour des fous» («den' dourakov»), «jour de fou» («den' douraka»), «jour de rire» («den' sm'éha»);
- en Roumanie, il s'agit de la « tromperie/duperie du 1er avril » (pÄcÄlealÄ de 1 aprilie) ;
- au Portugal et au BrĂ©sil il s'appelle « jour des mensonges » (dia das mentiras) et « jour des Ăąnes » (dĂa dos burros) en Galice (Espagne).
ĂvĂ©nements comparables
- Il existe en Espagne et en AmĂ©rique Latine une fĂȘte comparable, qui tombe cependant le 28 dĂ©cembre. Câest le « jour des Saints Innocents » (dĂa de los santos inocentes ou dĂa de los inocentes) ou « massacre des Innocents », qui commĂ©more le massacre des enfants de BethlĂ©em de moins de deux ans ordonnĂ© par HĂ©rode (selon l'Ă©vangile de Matthieu 2-16). CroisĂ© avec des rites paĂŻens comme la fĂȘte des Fous, il est devenu le jour des plaisanteries et des canulars, Ă la maniĂšre du premier avril. Câest un petit personnage de papier que lâon accroche au dos des personnes dont on veut se moquer.
- En Inde, dans le cadre de la fĂȘte de Holi, il est coutumier de se faire des plaisanteries notamment en essayant de s'asperger mutuellement de couleurs. Elle a lieu gĂ©nĂ©ralement en mars au dĂ©but du printemps. Elle dĂ©pend du calendrier hindou[17].
Controverse et enquĂȘte
Aux Ătats-Unis, une enquĂȘte de la Securities and Exchange Commission (SEC) a Ă©tĂ© ouverte aprĂšs que la sociĂ©tĂ© Volkswagen a communiquĂ© sur son changement de nom en Voltswagen pour la sortie de vĂ©hicule Ă©lectrique au premier avril 2021, alors que ce jour la sociĂ©tĂ© ne change pas de nom[18].
Notes et références
- Informations lexicographiques et étymologiques d'« avril » (sens B) dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales [consulté le 19 novembre 2016].
- Informations lexicographiques et étymologiques de « poisson » (sens I, 3, f) dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales [consulté le 19 novembre 2016].
- Informations lexicographiques et Ă©tymologiques de « poisson » (sens A, 3, f ; Ătymol. et hist., 1, c) dans le TrĂ©sor de la langue française informatisĂ©, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales [consultĂ© le 2 avril 2017].
- (en) Alan Dundes, « April Fool and April Fish: Towards a Theory of Ritual Pranks », Etnofoor, vol. 1,â , p. 4-14.
- (en) Martin Wainwright, The Guardian Book of April Fool's Day, Aurum, , p. 1.
- Raoul RosiĂšres, « Les mystifications : l'origine du poisson d'avril », Revue des traditions populaires, vol. 7,â , p. 193.
- Les Archives de folklore, Presses de l'Université Laval, , p. 94.
- Le culte marial est si fort Ă Florence Ă la Renaissance que le 25 mars, fĂȘte de l'Annonciation, marque le dĂ©but de l'annĂ©e et ceci jusqu'en 1750.
- (en) Marsha Groves, Manners and Customs in the Middle Ages, Crabtree Publishing Company, , p. 27.
- (en) Jack Santino, All around the year : holidays and celebrations in American life, University of Illinois Press, , p. 97.
- Robert Delort, Les animaux ont une histoire, Ăditions du Seuil, , p. 226.
- Claude-Pierre Goujet, BibliothÚque françoise : ou Histoire de la littérature françoise, Pierre-Jean Mariette et Hippolyte-Louis Guérin, (lire en ligne), p. 351.
- Ăloy Damerval, S'Ensuyt la Grant Dyablerie de Maistre Ăloy Damerval, Ă©dition Michel Lenoir, , p. 5.
- (en) Timothy R. Levine, Encyclopedia of Deception, SAGE Publications, , p. 30.
- Th Lorin, « Essai sur les mystifications nommĂ©es vulgairement « poisson d'avril » », Travaux de l'AcadĂ©mie impĂ©riale de Reims, vol. XXII,â , p. 134-140.
- Ă Dieppe a Ă©tĂ© dĂ©posĂ© par l'ancien musĂ©e des arts et traditions populaires la sĂ©rie Poisson d'avril de l'important legs de Madame HĂ©lĂšne Meillassoux, de son immense collection de cartes postales (source : Timbres magazine, no 89 dâavril 2008, article de Serge Zeyons « Poissons dâavril ! »).
- Les fĂȘtes en Inde.
- Voir sur wrcbtv.com.
Voir aussi
Bibliographie
- Pascal Mateo, Les plus grands canulars français, Villeveyrac, Le Papillon rouge éditeur, , 288 p. (ISBN 978-2-917875-14-8).
- Théodore de Jolimont, Monologie du mois d'avril : poissons d'avril, , 27 p. (lire en ligne).
- Monique Laliberte, « Le poisson d'avril », Culture & Tradition, no 5,â , p. 79-89.
- (en) Nancy Cassell McEntire, « Purposeful Deceptions of the April Fool », Western Folklore, vol. 61, no 2,â , p. 133-151.
Article connexe
Liens externes
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- Ressource relative au vivant :
- (fr) Référence DORIS : espÚce Canularichthus aprilis .