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Opération El Dorado Canyon

L’opĂ©ration El Dorado Canyon est une opĂ©ration militaire amĂ©ricaine de bombardement menĂ©e par l’US Air Force, l’US Navy et les Marine Corps contre la Jamahiriya arabe libyenne du colonel Kadhafi, le . Aussi appelĂ©e « bombardement de la Libye par les États-Unis », elle est menĂ©e en reprĂ©sailles de l'attentat Ă  la bombe, dix jours avant, d'une discothĂšque de Berlin-Ouest frĂ©quentĂ©e par des militaires amĂ©ricains. CritiquĂ©e par plusieurs pays et approuvĂ©e par d'autres, elle a abouti Ă  un accord de compensation monĂ©taire entre la Libye et les États-Unis en 2008.

Opération El Dorado Canyon
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Un bombardier stratégique F-111F de la 48th Tactical Fighter Wing décolle pour prendre part au bombardement de la Libye.
Informations générales
Date
Lieu Libye
Issue Victoire tactique des États-Unis
Pertes
2 personnels navigants tués
1 F-111 abattu
45 soldats, officiels et civils tués[1]
3–5 Il-76 dĂ©truits
14 Mig-23 détruits
2 hélicoptÚres détruits[2]
15 civils libyens tués

guerre froide

Origines

Le prĂ©sident des États-Unis Ronald Reagan consulte des membres du CongrĂšs des États-Unis la veille de l'attaque.

Dans les annĂ©es 1970 et au dĂ©but des annĂ©es 1980, Mouammar Kadhafi est impliquĂ© dans le terrorisme en Europe et ailleurs. Par exemple, il fournit 400 tonnes d'armes et d'explosifs Ă  l'ArmĂ©e rĂ©publicaine irlandaise (IRA), puis finance l'envoi d'une autre cargaison de 120 tonnes, qui sera interceptĂ©e par la France[3], tout comme il soutient l'ETA espagnol et les Brigades rouges italiennes[4]. AprĂšs les attentats des aĂ©roports de Rome et de Vienne en qui ont tuĂ© dix-neuf personnes et en ont blessĂ© environ 140 autres, Kadhafi fait savoir qu'il continuera Ă  financer la Fraction armĂ©e rouge, les Brigades rouges et l'IRA tant et aussi longtemps que les pays europĂ©ens appuieraient les Libyens opposĂ©s Ă  son rĂ©gime[5]. Le ministre des Affaires Ă©trangĂšres de la Libye qualifie les massacres d'« actes hĂ©roĂŻques »[6].

AprĂšs des annĂ©es d'escarmouches occasionnelles avec la Libye Ă  propos de la possession du golfe de Syrte, les États-Unis envisagent une attaque militaire contre des cibles Ă  l'intĂ©rieur de la Libye. En , les États-Unis, s'appuyant sur la limitation, en vertu de traitĂ©s internationaux, des eaux territoriales Ă  douze milles marins, envoient un navire prĂšs de la Libye qui rĂ©plique par des mesures militaires le [7]. C'est le dĂ©but de combats dans le golfe de Syrte.

Le , des agents libyens font exploser une bombe dans une discothĂšque de Berlin-Ouest, La Belle, tuant trois personnes et blessant 229 autres personnes, plusieurs faisant partie des forces armĂ©es amĂ©ricaines[8]. Les États-Unis interceptent des cĂąbles transmis par des agents libyens en Allemagne de l'Est impliquĂ©s dans l'attaque[note 1].

AprĂšs plusieurs jours d'Ă©changes diplomatiques avec des partenaires europĂ©ens et arabes, le prĂ©sident des États-Unis Ronald Reagan ordonne une attaque contre la Libye le [9].

Attaque

Le personnel au sol de la RAF Lakenheath prépare un F-111F du 48th Tactical Fighter Wing pour une attaque aérienne contre la Libye.

Cette opération avait été en partie simulée lors d'un exercice en . Le 20th Tactical Fighter Wing stationné à la RAF Upper Heyford (en) avait reçu un ordre top secret d'effectuer une simulation le avec dix F-111E armés de 500 livres de bombes contre un aérodrome situé à Terre-Neuve au Canada au sud de la CFB Goose Bay. L'opération Ghost Rider était en fait la répétition d'une attaque à longue distance contre la Libye. La mission fut un succÚs, sauf pour un appareil qui ne put larguer les huit bombes attachées à l'une de ses ailes. Les observations lors de l'opération ont été transmises au 48th Tactical Fighter Wing, équipé des plus récents F-111F[10].

Des Ă©lĂ©ments du 4450th Tactical Group (en), unitĂ© utilisant les premiers avions furtifs en service et inconnue du grand public jusqu'alors, ont Ă©tĂ© mis en alerte pour rĂ©aliser la frappe contre la Libye. Le Tactical Air Command avait dĂ©jĂ  reçu plus de 30 F-117, lesquels dĂ©collaient depuis des bases secrĂštes au Nevada. Les commandants stationnĂ©s dans les thĂ©Ăątres de l'Afrique et la MĂ©diterranĂ©e ignoraient l'existence de ces avions. Une heure avant leur dĂ©collage, le SecrĂ©taire Ă  la DĂ©fense d'alors a rejetĂ© ce plan de peur que plusieurs secrets ne soient dĂ©voilĂ©s et a optĂ© pour une attaque avec des avions plus conventionnels. L'existence des F-117 a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e quelques mois plus tard en 1989 lors de l'invasion du Panama par les États-Unis et mis en avant lors de l'opĂ©ration Desert Storm.

La France, l'Espagne et l'Italie refusent aux appareils amĂ©ricains qui participent Ă  l'attaque le passage au-dessus de leur territoire, tout comme ils interdisent l'utilisation de leurs bases continentales europĂ©ennes. Cela oblige plusieurs appareils de l’US Air Force Ă  voler en eaux internationales par le dĂ©troit de Gibraltar, prolongeant ainsi leur vol de 1 500 milles marins[11].

Des avions de combat se préparant à décoller de USS America (CV-66) au cours de l'opération.

Dix-huit bombardiers stratĂ©giques F-111F du 48th Tactical Fighter Wing, basĂ©s Ă  la RAF Lakenheath en Angleterre, appuyĂ©s de quatre avions de contre-mesure Ă©lectronique EF-111A Raven du 20th Tactical Fighter Wing, basĂ©s Ă  la RAF Upper Heyford (en) en Angleterre, en parallĂšle avec quinze chasseurs-bombardiers A-6, A-7 et F/A-18 et un avion de guerre Ă©lectronique EA-6B Prowler, lancĂ©s des porte-avions USS Saratoga (CVA-60), USS America (CV-66) et USS Coral Sea (CV-43) stationnĂ©s dans le golfe de Syrte et escortĂ©s par des F-14 Tomcat, frappent cinq cibles Ă  2 h le (heure locale). L'attaque dure environ 20 minutes et les appareils ont larguĂ© environ 60 tonnes de bombes sur Tripoli, touchant ainsi un aĂ©rodrome, un site d'entraĂźnement d'hommes-grenouilles Ă  l'acadĂ©mie navale et la caserne Bab al-Azizia. Les A-6 et les F/A-18 bombardent des sites de radars et de dĂ©fense anti-aĂ©rienne des forces armĂ©es libyennes Ă  Benghazi, avant de bombarder des casernes Ă  Benina et Jamahiriya. Un F-111 qui participe Ă  l'attaque de Bab al-Aziziya est abattu au-dessus du golfe de Syrte par un tir de missile sol-air libyen.

Pendant l'attaque, quelques bombes manquent leur cible, frappant ainsi des sites diplomatiques et civils de Tripoli. Quelques soldats libyens désertent leur poste par peur, alors que les officiers libyens ont tardé à donner des ordres. Les tirs anti-aériens libyens commencent aprÚs que les appareils soient passés au-dessus des cibles[12] - [13] - [14].

Les lumiÚres de Tripoli sont restées allumées pendant les vingt premiÚres minutes et aucun avion libyen n'a décollé pour donner la chasse aux avions américains[15].

Le but officiel de ces destructions est d'envoyer un message et, en mĂȘme temps, de rĂ©duire les capacitĂ©s de la Libye Ă  aider et Ă  entraĂźner des terroristes. Ronald Reagan a aussi affirmĂ© que « si nĂ©cessaire, [ils] le feront Ă  nouveau »[16].

Forces américaines et cibles

Iliouchine Il-76 libyens ciblés lors du bombardement de l'aéroport de Milaga.
Résultats de l'opération[17]
Cibles Planifiées Réalisées
AvionsBombes AvionsCibles
touchées
Cibles
manquées
Caserne de Bab al-Azizia 9 × F-111F36 × GBU-10 2 000 livres LGB 3 ont bombardĂ©
1 a manqué
4 ont avorté
1 perdu
13 3
Camp de Murat Sidi Bilal 3 F-111F12 × GBU-10 2 000 livres LGB Tous ont bombardĂ© 12 -
AĂ©roport de Milaga de Tripoli 6 × F-111F72 × Mk 82 500 livres RDB 5 ont bombardĂ©
1 avorté en vol
60 -
Caserne de Jamahiriyah (Benghazi) 7 × A-6E84 × Mk 82 500 livres RDB 6 ont bombardĂ©
1 a avorté sur le pont
70 2
AĂ©rodrome de Benina 8 × A-6E72 × Mk 20 500 livres CBU
24 × Mk 82 500 livres RDB
6 ont bombardé
2 ont avorté
60 × Mk 20
12 × Mk 82
-
RĂ©seaux de
défense aérienne
Tripoli 6 × A-7E8 × Shrike
16 × HARM[18]
Tous les avions ont tirĂ© 8 × Shrike
16 × HARM
Benghazi 6 × F/A-184 × Shrike
20 × HARM
Tous les avions ont tirĂ© 4 × Shrike
20 × HARM
Totaux45 avions300 bombes
48 missiles
35 ont bombardé
1 a manqué
1 a été perdu
8 ont avorté
227 touchées
5 manquées
48 missiles sur la cible

Défense aérienne libyenne

Le réseau de défense aérien de la Libye était étendu. Il comprenait[19] :

  • 4 unitĂ©s de missiles anti-aĂ©riens Ă  longue portĂ©e SA-5 Vega logĂ©es dans 24 lance-missiles.
  • 86 unitĂ©s de missiles anti-aĂ©riens SA-2 Volchov et SA-3 Neva logĂ©es dans 276 lance-missiles.

Tripoli était protégée par :

  • 7 unitĂ©s de missiles anti-aĂ©riens SA-2 Volchov.
  • 12 unitĂ©s de missiles anti-aĂ©riens SA-3 Neva.
  • 3 unitĂ©s de missiles anti-aĂ©riens SA-6 Kub logĂ©es dans 48 lance-missiles.
  • 1 rĂ©giment anti-aĂ©rien SA-8 Osa-AK Ă©quipĂ© de 16 vĂ©hicules lance-missiles.
  • 2 unitĂ©s de missiles anti-aĂ©riens Crotale II installĂ©s sur 60 pas de tirs

Pertes

Libyennes

Les pertes matérielles de ce raid sont de six Iliouchine Il-76, un Boeing 737 et d'un G.222 détruit à Tripoli, de quatre à seize MiG-23, deux Fokker F27 et deux Mi-8 détruits à Benina, des casernes et probablement une dizaine de sites de missiles sol-air endommagés. Durant l'opération Prairie Fire (en) qui eut lieu en , trois navires sont également coulés et un autre endommagé[20].

Les attaques n'ont pas tué Mouammar Kadhafi. Un coup de téléphone du premier ministre maltais, Karmenu Mifsud Bonnici, l'aurait averti que des avions effectuaient un vol non autorisé au-dessus du territoire maltais et qu'ils se dirigeaient vers le sud en direction de Tripoli. Kadhafi et sa famille se sont réfugiés au sous-sol de sa résidence à Bab al-Azizia un peu avant que les bombes ne tombent. Selon le politicien Giulio Andreotti, et le ministre libyen des Affaires étrangÚres de l'époque, Abdel Rahman Shalgham, ce serait le président du Conseil des ministres d'Italie Bettino Craxi qui aurait averti Kadhafi[21] - [22].

Selon du personnel mĂ©dical d'un hĂŽpital prĂšs d'un site bombardĂ©, environ 24 militaires et 24 civils se sont prĂ©sentĂ©s Ă  l'hĂŽpital[23]. Le nombre total de victimes libyennes est estimĂ© Ă  60 personnes. Plusieurs messages contradictoires ont Ă©manĂ© des autoritĂ©s libyennes. Par exemple, Hannah, la « fille adoptive » de Kadhafi aurait Ă©tĂ© tuĂ©e, mais aucun journaliste n'a jamais entendu parler de celle-ci. Ces messages auraient eu un tel succĂšs que les mĂ©dias Ă©crits occidentaux auraient rapportĂ© sans sens critique les informations ainsi transmises[24] - [25]. Cependant, au mois d', le quotidien allemand Die Welt rĂ©vĂšle dans un article repris en anglais par Worldcrunch (en) que Hannah Kadhafi serait en fait toujours vivante. ÂgĂ©e dĂ©sormais d'une vingtaine d'annĂ©es (nĂ©e le ), la jeune fille aurait passĂ© quelques annĂ©es Ă  Londres, puis aurait Ă©tudiĂ© Ă  la facultĂ© de mĂ©decine de Tripoli. Devenue mĂ©decin, elle occuperait en 2011 un poste au ministĂšre de la SantĂ© dans la capitale libyenne[26] - [27] - [28] - [29]. Le , lors de l’émission Mise au point, diffusĂ©e sur la tĂ©lĂ©vision suisse romande, l’hypothĂšse — selon laquelle Hannah Kadhafi serait encore en vie — est implicitement Ă©voquĂ©e par Faiza Mazeg[note 2], qui parle d’un « secret de Polichinelle[30] ».

Américaines

Deux pilotes de l’US Air Force, les capitaines Fernando L. Ribas-Dominicci et Paul F. Lorence, ont Ă©tĂ© tuĂ©s lorsque leur F-111 a Ă©tĂ© abattu, probablement par un missile Crotale, au-dessus du golfe de Syrte. Le , Kadhafi a offert de retourner le corps de Lorence par l'intermĂ©diaire du pape Jean-Paul II. Selon une autopsie menĂ©e en 1989 et grĂące Ă  sa dentition, le corps a Ă©tĂ© identifiĂ© comme celui de Ribas-Dominicci, mort noyĂ©. La Libye nie dĂ©tenir le corps de Lorence, mais son frĂšre affirme avoir vu des extraits tĂ©lĂ©visĂ©s oĂč un Libyen tient un casque blanc portant au stylo le mot « Lorence »[31] De plus, le conseiller de Ronald Reagan William C. Chasey (en), qui a inspectĂ© la caserne de Bab al-Azizia, affirme avoir vu deux uniformes et deux casques de pilote, chacun marquĂ© des noms « Lorence » et « Ribas-Dominicci ». Il a Ă©galement vu la carcasse de leur F-111[32].

Postérité et conséquences

En reprĂ©sailles au bombardement, la Libye a tirĂ© de deux Ă  trois missiles Scud vers des stations de l’US Coast Guard installĂ©es sur l'Ăźle italienne de Lampedusa : ils ont ratĂ© leur cible[33].

Peu aprĂšs l'attaque, Kadhafi a annoncĂ© qu'il avait obtenu une grande victoire militaire contre les États-Unis. Cependant, son discours est apparu comme terne. Des citoyens libyens ont critiquĂ© plus ouvertement Kadhafi et des affiches de Kadhafi ont Ă©tĂ© dĂ©figurĂ©es[34].

L'attaque a été condamnée par plusieurs pays. Par la résolution 41/38 (79 voix pour, 28 contre et 33 abstentions), l'Assemblée générale des Nations unies « condamne l'attaque militaire perpétrée contre la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste le 15 avril 1986 qui constitue une violation de la charte des Nations unies et des lois internationales[trad 1] - [35] ». Entre 1994 et 2006, l'Assemblée générale des Nations unies a prévu d'entendre une déclaration de l'Organisation de l'unité africaine à propos de l'attaque[36], mais a systématiquement retardé l'évÚnement pour finalement le mettre de cÎté en 2005[37].

Quelques observateurs ont avancĂ© que l'article 51 de la charte de l'ONU limite l'usage de la force lors de l'exercice lĂ©gitime d'auto-dĂ©fense en l'absence d'un acte d'agression, et ont affirmĂ© qu'il n'y avait pas eu un tel acte de la part de la Libye. Ils ont accusĂ© les États-Unis de ne pas s'ĂȘtre prĂ©valus des mĂ©canismes autorisĂ©s par l'article 33 de la charte. D'autres ont avancĂ© que la Libye n'Ă©tait pas coupable de l'attentat Ă  la bombe contre la discothĂšque de Berlin[38].

Le gouvernement de la Libye a dĂ©clarĂ© que les États-Unis Ă©taient victimes de l'arrogance et du pouvoir et voulaient devenir les policiers du monde. Il a ajoutĂ© que tout groupe qui refusait de devenir un vassal amĂ©ricain Ă©tait un hors-la-loi, un terroriste et un dĂ©mon. Le mouvement des non-alignĂ©s a condamnĂ© l'« acte d'agression lĂąche, flagrant et fait sans provocation[trad 2] ». La Ligue arabe a exprimĂ© sa rage envers les États-Unis et, selon elle, cette attaque a renforcĂ© l'anarchie dans les relations internationales. L'assemblĂ©e des chefs de l'Union africaine a affirmĂ© que la tentative dĂ©libĂ©rĂ©e de tuer des Libyens violait les principes de la loi internationale. Le gouvernement de l'Iran a fait valoir que l'attaque dĂ©montrait une politique d'agression, de diplomatie de la canonniĂšre, un acte de guerre, et a demandĂ© le boycott politique et Ă©conomique des États-Unis. D'autres ont perçu les intentions des États-Unis comme une tentative d'Ă©liminer la rĂ©volution libyenne[39]. La Chine a affirmĂ© que l'attaque amĂ©ricaine a violĂ© les normes des relations internationales et a aggravĂ© les tensions qui existaient dans cette rĂ©gion. L'Union soviĂ©tique a affirmĂ© qu'il y avait un lien Ă©vident entre l'attaque et la politique amĂ©ricaine visant Ă  augmenter l'agitation et Ă  crĂ©er de nouveaux foyers de tension, tout en dĂ©stabilisant les relations internationales. L'Allemagne de l'Ouest a affirmĂ© que les disputes internationales doivent ĂȘtre rĂ©solues par la diplomatie et non les armes. La France a aussi critiquĂ© le bombardement et refusĂ© d'ouvrir son espace aĂ©rien aux forces aĂ©riennes amĂ©ricaines. Jacques Chirac, qui venait d'accĂ©der aux fonctions de premier ministre pour la premiĂšre cohabitation, expliqua qu'il n'entendait pas ĂȘtre impliquĂ© dans une opĂ©ration pour laquelle il n'avait pas Ă©tĂ© consultĂ©. Cette position approuvĂ©e par la gauche fut critiquĂ©e dans sa majoritĂ© par Jean Lecanuet, prĂ©sident de la commission des affaires Ă©trangĂšres de l'AssemblĂ©e nationale, et par ValĂ©ry Giscard d'Estaing, dĂ©putĂ©, qui lui envoya une lettre en l'appelant Ă  la solidaritĂ© entte alliĂ©s. Également, la presse amĂ©ricaine critiqua violemment l'attitude de Chirac. Quand il se rendra aux États-Unis en , Chirac qualifiera dans une interview au Washington Times ces frappes de « contre-productives ».

Les États-Unis ont reçu l'appui du Royaume-Uni, du Canada, de l'Australie, d'IsraĂ«l et de 25 autres pays. Sa doctrine de dĂ©claration de guerre envers les « paradis du terrorisme » n'a pas Ă©tĂ© appliquĂ©e Ă  nouveau avant 1998 lorsque le prĂ©sident Bill Clinton a ordonnĂ© une campagne de bombardements contre des bases terroristes en Afghanistan et au Soudan. L'utilisation, approuvĂ©e par le premier ministre Margaret Thatcher, des bases de la Royal Air Force a gĂ©nĂ©rĂ© un lot de critiques, y compris un article dans le Sunday Times suggĂ©rant que la reine Élisabeth II Ă©tait bouleversĂ©e par ce premier ministre « indiffĂ©rent ». Ces critiques ont provoquĂ© un refroidissement dans les relations amĂ©ricano-britanniques pendant le printemps. Kadhafi a commentĂ© ces bombardements : « Thatcher est une meurtriĂšre
 Thatcher est une prostituĂ©e. Elle s'est vendue Ă  Reagan [trad 3] - [40] ».

MĂȘme si l'Union soviĂ©tique coopĂ©rait avec la Libye, elle avait, au moment du bombardement, montrĂ© son ambivalence envers ce pays. En effet, Kadhafi avait critiquĂ© Ă  plusieurs reprises les politiques et l'idĂ©ologie de l'URSS. De plus, Ă  cette Ă©poque, sa proche association avec Kadhafi amenait un lot de rĂ©actions nĂ©gatives. C'est l'un des rares pays du Tiers-Monde avec lequel elle s'est toujours refusĂ©e Ă  signer un traitĂ© d'amitiĂ©. Pendant la crise, l'URSS a annoncĂ© qu'elle ne fournirait plus d'aide supplĂ©mentaire Ă  la Libye au-delĂ  du rĂ©approvisionnement en armements et en munitions. Elle n'a fait aucune manƓuvre militaire pour intimider les États-Unis, malgrĂ© les activitĂ©s militaires amĂ©ricaines dans le golfe de Syrte. Cependant, elle a dĂ©noncĂ© cette attaque comme « sauvage » et « barbare ». Également, Ă  la mĂȘme Ă©poque, elle se prĂ©parait Ă  des nĂ©gociations avec les États-Unis en vue d'un nouveau traitĂ© sur les armes. Mais Ă  l'annonce du bombardement sur Tripoli, elle fit reporter sine die le dĂ©placement de son ministre des affaires Ă©trangĂšres, Edouard Chevardnadze, Ă  Washington, prĂ©vu en . Il se rendra aux États-Unis trois mois plus tard, en septembre.

En , le fils de Kadhafi, Saif al Islam, a annoncĂ© qu'une entente Ă©tait en cours de nĂ©gociation avec les États-Unis afin que la Libye verse des compensations aux victimes amĂ©ricaines d'attaques terroristes si les victimes du bombardement de la Libye en 1986 sont Ă©galement indemnisĂ©es[41]. Le , le CongrĂšs des États-Unis approuve la Libyan Claims Resolution Act[42] qui redonne la pleine immunitĂ© Ă  la Libye dans les cours de justice amĂ©ricaines. Le , l’U.S.-Libya Comprehensive Claims Settlement Agreement est signĂ© Ă  Tripoli par l’Assistant Secretary of State for Near Eastern Affairs, David Welch (en), et par le SecrĂ©taire aux affaires amĂ©ricaines libyen, Ahmad Fituri[43].

En , la Libye a versé 1,5 milliard USD dans un fonds[44] qui servira à compenser les parents des :

  • victimes de l'attentat de Lockerbie d'un montant additionnel de 2 millions chacun, elles avaient dĂ©jĂ  reçu 8 millions auparavant[44] ;
  • victimes de l'attentat Ă  la bombe de la discothĂšque de Berlin en 1986[44] ;
  • victimes de l'attentat Ă  la bombe du Vol 772 UTA en 1989[44] ;
  • victimes du bombardement amĂ©ricain de 1986 contre Tripoli et Benghazi[44].

À la suite de cet effort de la Libye, le prĂ©sident amĂ©ricain George W. Bush a signĂ© un ordre exĂ©cutif qui redonne l'immunitĂ© amĂ©ricaine au gouvernement libyen contre les poursuites judiciaires pour terrorisme et annule toutes les procĂ©dures judiciaires amĂ©ricaines rĂ©clamant des compensations[44].

Pour commémorer l'évÚnement, les postes libyennes ont émis plusieurs timbres entre 1986 et 2001. La premiÚre série a été émise le [45] - [46]. La derniÚre série a été publiée le [47] - [48] - [49].

Noam Chomsky, dans son ouvrage Deux heures de luciditĂ© (2001), analyse l’évĂ©nement comme suit[50] :

« C’est le premier bombardement de l’Histoire Ă  avoir Ă©tĂ© programmĂ© pour coĂŻncider avec l’heure de plus grande Ă©coute Ă  la tĂ©lĂ©vision. Il a Ă©tĂ© programmĂ© pour 19 heures prĂ©cises (Eastern Standard Time), lorsque les trois grandes chaĂźnes amĂ©ricaines diffusent leur journal tĂ©lĂ©visĂ© national. [
] Comment se fait-il que toutes les chaĂźnes de tĂ©lĂ© se trouvaient dĂ©jĂ  sur place ? Elles n’ont pas de bureaux Ă  Tripoli !

Cet ami m’a donc appelĂ© de Tripoli pour me dire qu’ils Ă©taient en train d’attendre qu’il soit deux heures du matin, heure locale, parce qu’on les avait prĂ©venus qu’il allait y avoir un gros Ă©vĂ©nement. Et que tous devaient feindre la surprise. Les journalistes en studio Ă  New York devaient faire semblant d’apprendre la nouvelle. Tout Ă©tait arrangĂ© pour que, pendant les vingt premiĂšres minutes, on ne voie que de palpitantes images d’action, des bombes qui tombent, etc. Puis l’antenne a Ă©tĂ© donnĂ©e Ă  Washington, oĂč pendant quarante minutes chacun y est allĂ© de son explication. Bref, une heure de pure – et trĂšs bien faite – propagande. »

Terrorisme lié à la Libye

MalgrĂ© le bombardement, la Libye a peu modifiĂ© son rapport au terrorisme[23]. Le gouvernement libyen aurait ordonnĂ© le dĂ©tournement du Vol 73 Pan Am au Pakistan le , qui a eu pour rĂ©sultat la mort de vingt personnes[51]. Cette allĂ©gation a Ă©tĂ© publiĂ©e par The Sunday Times en , quelques jours aprĂšs que le premier ministre britannique Tony Blair eut officiellement rendu visite Ă  Mouammar Kadhafi, la premiĂšre d'un dirigeant occidental depuis une gĂ©nĂ©ration[52]. En , l'Australie a expulsĂ© des diplomates libyens et a rompu les liens avec la Libye, affirmant que la Libye alimentait la violence en Australie et en OcĂ©anie[53] - [54]. Vers la fin de 1987, les autoritĂ©s françaises ont arrĂȘtĂ© un navire marchand, le MV Eksund, parti de Libye, qui livrait 150 tonnes d'armes soviĂ©tiques Ă  des groupes terroristes europĂ©ens.

À Beyrouth au Liban, trois otages dĂ©tenus par l'organisation d'Abou Nidal, financĂ©e par la Libye, ont Ă©tĂ© tuĂ©s en reprĂ©sailles. De plus, le journaliste John McCarthy (en) a Ă©tĂ© enlevĂ©, alors que le touriste Paul Appleby a Ă©tĂ© tuĂ© Ă  JĂ©rusalem en IsraĂ«l. Un autre otage a aussi Ă©tĂ© tuĂ© en reprĂ©sailles du bombardement[55]. Le survient l'attentat de Lockerbie. En 1991, deux Libyens sont accusĂ©s, un seul est condamnĂ© le lors d'un procĂšs controversĂ© et mĂ©diatisĂ©[56].

Le , le gouvernement libyen a reconnu formellement sa culpabilitĂ© dans l'attentat de Lockerbie : il a offert 2,7 milliards de dollars amĂ©ricains Ă  titre de compensation aux familles des 270 victimes[57]. Le Libyen condamnĂ©, Abdelbaset Ali Mohmed Al Megrahi, a affirmĂ© ĂȘtre atteint d'un cancer en phase terminale et a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© en par les autoritĂ©s Ă©cossaises, ces derniĂšres invoquant la compassion. Depuis, l'Ă©tendue et la sĂ©vĂ©ritĂ© de sa maladie ont Ă©tĂ© mises en doute (il est finalement mort en 2012, soit prĂšs de 3 ans plus tard). En , le dĂ©partement d'État des États-Unis a indiquĂ© qu'il prĂ©pare une procĂ©dure de demande d'extradition auprĂšs du Conseil national de transition[58].

Notes et références

Citations originales

  1. (en) « condemns the military attack perpetrated against the Socialist People's Libyan Arab Jamahiriya on 15 April 1986, which constitutes a violation of the Charter of the United Nations and of international law »
  2. (en) « dastardly, blatant and unprovoked act of aggression »
  3. (en) « Thatcher is a murderer
 Thatcher is a prostitute. She sold herself to Reagan »

Notes

  1. Plus d'informations seront retrouvées dans les dossiers de la Stasi aprÚs la réunification de l'Allemagne. Des agents impliqués dans l'opération sont identifiés et poursuivis en Allemagne dans les années 1990[8].
  2. Faiza Mazeg, exilĂ©e Ă  GenĂšve depuis 42 ans, est la fille de l’ex-Premier ministre liĂ© Ă  l’ancien rĂ©gime ayant prĂ©valu jusqu’au coup d’État du 1er septembre 1969. En outre, l’ex-mari de Faiza Mazeg Ă©tait le bras droit du roi Idris Ier.

Références

  1. (en) http://www.kirasalak.com/Libya.html
  2. (en) Kenneth M. Pollack, Arabs At War, Military Effectiveness 1948–1991, University of Nebraska Press, 2002
  3. (en) Liam Clarke, « Sinn Fein in Gaddafi U-turn : Despot who backed IRA denounced by republicans », Belfast Telegraph,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  4. Eugénie Bron, « Kadhafi : de la monarchie à la monarchie révolutionnaire », Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (consulté le )
  5. (en) Ronald Bruce St. John, « Libyan terrorism : the case against Gaddafi », Contemporary Review,‎
  6. (en) Patrick Seale, Abu Nidal : A Gun for Hire. Hutchinson, 1992, p. 245.
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Voir aussi

Bibliographie

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Articles connexes

Liens externes

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