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Modernité comportementale

La modernité comportementale[1] est un ensemble de caractéristiques cognitives et comportementales qui distinguent l'Homme moderne des autres espèces et populations humaines préhistoriques dites archaïques. Quoique la définition soit souvent débattue, de nombreux chercheurs s'accordent sur le fait que le comportement humain moderne est caractérisé par l'association de la pensée abstraite, la capacité de planification, l'extension du réseau humain des individus, la pensée symbolique (art, parure, musique…), l'inhumation ou les rituels autour des morts, la fabrication d'outils lithiques avancés, par exemple issus du débitage lamellaire, le développement d'une industrie sur os d'animaux, bois de cerf, ivoire, etc.[2] - [3] Ces comportements et innovations technologiques sont sous-tendus par des fondements cognitifs qui ont été acquis au cours de la Préhistoire.

Aujourd'hui, les universaux humains sont notamment l'appartenance culturelle, le respect de normes sociales, le langage, l'aide et la coopération entre proches (famille, clan), etc.[4] - [5]. De nombreux chercheurs pensent que le développement de ces caractéristiques comportementales modernes sont les facteurs qui ont permis le remplacement des autres espèces et populations humaines du Pléistocène supérieur, telles que l'Homme de Néandertal en Europe ou l'Homme de Denisova en Asie, par l'Homme moderne quand il s'est déployé sur tous les continents jusqu'à peupler la totalité de la planète[3] - [6].

En raison de la diversitĂ© des fossiles humains rĂ©cents et des vestiges archĂ©ologiques associĂ©s, il existe plusieurs thĂ©ories sur l'Ă©mergence de la modernitĂ© comportementale. On peut les ranger en deux courants : les approches gradualistes et les approches de rupture cognitive. La thĂ©orie du PalĂ©olithique supĂ©rieur propose que la modernitĂ© comportementale apparaisse brutalement, du fait d'une ou de plusieurs mutations gĂ©nĂ©tiques entrainant un basculement cognitif, entre 50 et 40 000 ans AP[7]. D'autres modèles avancent que la modernitĂ© comportementale est plutĂ´t issue d'une Ă©volution graduelle, perceptible dès la fin du PalĂ©olithique moyen en Afrique. Dans tous les cas, les comportements humains prĂ©historiques ne sont perceptibles qu'Ă  travers leurs traces archĂ©ologiques, le plus souvent lacunaires[2] - [3] - [8] - [9] - [10].

DĂ©finition

Afin de classifier les traits qui doivent être considérés comme des comportements « humains modernes », il convient de définir les traits universels parmi les groupes humains actuels. En matière d'universaux culturels humains, on peut citer la pensée abstraite, la capacité à la planification, le travail en collaboration, la décoration corporelle ainsi que l'usage et le contrôle du feu. En parallèle, les humains s'appuient énormément sur l'apprentissage social[11] - [12]. L'ensemble de ces traits distinguent la culture humaine de l'apprentissage des animaux. De plus, le recours à l'apprentissage social est peut-être en partie responsable de l'adaptation rapide des humains à de nombreux environnements en dehors de l'Afrique. Comme les universaux culturels se retrouvent dans toutes les cultures, y compris dans certains des groupes autochtones les plus isolés, ces traits doivent avoir évolué ou être apparus en Afrique avant l'expansion d'Homo sapiens en dehors du continent[13] - [14] - [15] - [16].

Archéologiquement, un certain nombre d'éléments empiriques ont été utilisés comme indicateurs du comportement humain moderne. Même s'ils sont débattus[17], ceux cités ci-après sont généralement admis[3] - [7] :

En revanche, la domestication du feu, au sens de sa production Ă  volontĂ© dans des foyers organisĂ©s, est acquise sur plusieurs continents dès 400 000 ans environ, avant mĂŞme l'apparition d'Homo sapiens[18].

Critiques

Plusieurs critiques ont été formulées à l'encontre du concept de modernité comportementale, tant méthodologiques que philosophiques[3] - [17]. Shea par exemple, met en avant plusieurs problèmes en rapport avec le concept, arguant que la terminologie de « variabilité comportementale » conviendrait mieux aux preuves archéologiques. L'utilisation d'une liste de critères fait courir le risque d'un biais taphonomique, certains sites pouvant fournir plus d'artefacts que d'autres malgré une population similaire ; de la même manière, une telle liste peut être ambiguë quant à la manière dont il est possible d'en identifier les éléments sur le terrain[17]. Le même attire l'attention sur le fait que la pression démographique, les changements culturels ou les modèles d'optimalité, comme ceux de l'écologie comportementale, pourraient mieux prédire les changements dans les types d'outils ou les stratégies de subsistance que la notion du passage d'un comportement « archaïque » à un comportement dit « moderne ». Certains chercheurs affirment qu'il faudrait mettre davantage l'accent sur l'identification des artefacts incontestablement ou purement symboliques, car ils sont les vrais marqueurs du comportement humain moderne[3].

Théories et modèles

Modèle du Paléolithique supérieur tardif, ou modèle de la révolution

Le « modèle du PalĂ©olithique supĂ©rieur tardif » ou « modèle de la rĂ©volution PalĂ©olithique » renvoie Ă  l'idĂ©e que, bien qu'Homo sapiens apparaisse en Afrique il y a environ 300 000 ans, il ne devient, cognitivement ou en termes de comportements, « moderne » qu'Ă  partir de 50 000 ans, ce qui conduit Ă  son expansion en Eurasie[7] - [19] - [20]. Les auteurs concernĂ©s notent que les traits cognitivo-comportementaux, reprĂ©sentatifs de la modernitĂ© comportementale, ne sont prĂ©sents conjointement que vers 50 Ă  40 000 ans AP. Richard Klein, en 1995, montre notamment que les preuves de la pratique de la pĂŞche, celles de l'utilisation des outils en os, ainsi que la diversitĂ© des artefacts et l'existence de tombes Ă©laborĂ©es sont toutes absentes avant ce moment[7]. Bien que des assemblages d'avant 50 000 ans montrent dĂ©jĂ  une notable diversitĂ©, les assemblages d'outils rĂ©ellement modernes n'apparaissent en Europe qu'Ă  partir de 48 000 ans[19]. Selon les tenants de cette thĂ©orie, l'art ne devient rĂ©ellement habituel qu'après ce moment, ce qui signifie le passage du statut d'humain archaĂŻque Ă  celui d'humain moderne[7]. Ils avancent qu'un changement neurologique ou gĂ©nĂ©tique, tel que celui permettant l'Ă©mergence du langage complexe, liĂ© au gène FOXP2 ou « gène de la parole », aurait causĂ© ce changement rĂ©volutionnaire de notre espèce[7] - [20].

Autres modèles


En opposition avec le modèle du « saut vers la cognition » qui se serait produit chez les humains anciens, d'autres auteurs, telle Alison Brooks (en), qui travailla Ă  l'origine sur l'archĂ©ologie africaine, mettent en avant l'accumulation progressive de comportements « modernes », qui aurait commencĂ© bien avant les 50 000 ans avancĂ©s par les tenants de la rĂ©volution du PalĂ©olithique supĂ©rieur[2] - [3] - [21]. Howieson's Poort, Blombos et d'autres sites archĂ©ologiques sud-africains, par exemple, recèlent des preuves de l'exploitation de ressources marines, de l'existence d'Ă©changes ainsi que des ornementations abstraites datant d'au moins 80 000 ans[2] - [8]. Compte tenu des Ă©lĂ©ments recueillis en Afrique et au Moyen-Orient, plusieurs hypothèses ont Ă©tĂ© Ă©mises pour dĂ©crire la transition progressive d'un comportement humain simple vers un comportement humain complexe. Quelques auteurs repoussent l'apparition de la modernitĂ© comportementale jusqu'aux alentours de 80 000 ans avant le prĂ©sent, afin de prendre en compte les donnĂ©es provenant d'Afrique du Sud[21].

D'autres chercheurs[2] - [3] dĂ©crivent les humains anatomiquement modernes comme cognitivement identiques aux humains actuels, et avancent que la modernitĂ© comportementale est le rĂ©sultat de milliers d'annĂ©es d'adaptation culturelle et d'apprentissage. Francesco D'Errico et d'autres pensent avoir trouvĂ© des preuves de manifestations de modernitĂ© culturelle chez NĂ©andertal[6], lequel prĂ©sente des traits similaires Ă  ceux considĂ©rĂ©s comme des marqueurs du comportement humain moderne ; les chercheurs affirment donc que la modernitĂ© comportementale trouverait en fait ses racines parmi nos ancĂŞtres du genre Homo[22]. Si les humains modernes et NĂ©andertal prĂ©sentent tous les deux des capacitĂ©s Ă  l'art abstrait et Ă  la fabrication d'outils complexes, la modernitĂ© comportementale ne peut ĂŞtre un caractère dĂ©rivĂ© propre Ă  notre espèce. Les auteurs avancent que la thĂ©orie de la « rĂ©volution humaine » reflète un grave biais eurocentrique. Ils exposent que les traces archĂ©ologiques les plus rĂ©centes prouvent que les humains, qui ont Ă©voluĂ© en Afrique depuis 300 ou mĂŞme 400 000 ans, commencèrent dès ce moment Ă  acquĂ©rir des caractĂ©ristiques cognitives et comportementales « modernes ». Sont visĂ©s notamment les lames en pierre et la technologie des microlithes, les outils en os, l'expansion gĂ©ographique, la chasse spĂ©cialisĂ©e, l'utilisation des ressources aquatiques, les Ă©changes Ă  longue distance, l'usage des pigments, l'art et la dĂ©coration. Ces objets et pratiques ne sont pas conjointement et soudainement apparus comme le prĂ©voit la thĂ©orie de la rĂ©volution, mais se retrouvent sur des sites largement sĂ©parĂ©s dans le temps et dans l'espace. Cela suggère un assemblage graduel de comportements humains modernes en Afrique, puis son « exportation » ultĂ©rieure vers les autres rĂ©gions du Vieux Monde.

Entre les deux extrĂŞmes, une position intermĂ©diaire — incarnĂ©e par Chris Henshilwood[23], Curtis Marean[24], Ian Watts[25] et d'autres — consiste Ă  admettre qu'il y a eu une forme de « rĂ©volution de la modernitĂ© humaine », qu'elle a eu lieu en Afrique, mais qu'elle a pris des dizaines de milliers d'annĂ©es. Dans ce contexte, le terme de « rĂ©volution » ne signifie pas qu'il y a eu une mutation soudaine, mais plutĂ´t un dĂ©veloppement historique, plus rapide que l'Ă©volution darwinienne classique, mais trop lent pour ĂŞtre consĂ©cutif Ă  un seul Ă©vĂ©nement gĂ©nĂ©tique ou autre[26]. Ces archĂ©ologues notent en particulier l'apparition relativement soudaine des crayons d'ocre et des colliers en coquillages, utilisĂ©s, semble-t-il, Ă  des fins cosmĂ©tiques. Ils voient l'organisation symbolique de la vie sociale comme un Ă©lĂ©ment clĂ© de l'Ă©volution humaine. La dĂ©couverte, dans des sites comme ceux de Blombos et de Pinnacle Point, en Afrique du Sud, de coquillages percĂ©s, de pigments et d'autres signes que les humains de l'Ă©poque pratiquaient l'ornementation personnelle est placĂ©e dans une fenĂŞtre temporelle allant de 70 Ă  160 000 ans, dĂ©marrant donc au cĹ“ur du Middle Stone Age. Ces auteurs suggĂ©rent que l'Ă©mergence d'Homo sapiens coĂŻnciderait avec la transition vers la cognition et le comportement moderne[27]. Au lieu de considĂ©rer l'Ă©mergence du langage comme une rĂ©volution, cette Ă©cole de pensĂ©e l'attribue Ă  un processus social, culturel et cognitif Ă©volutif plutĂ´t qu'Ă  une mutation gĂ©nĂ©tique.

Un autre point de vue, celui notamment de Francesco D'Errico[28] et João Zilhão[29], adopte une perspective multi-espèces, avançant que des preuves de l'utilisation de symboles culturels se retrouvent aussi sur des sites néandertaliens, indépendamment de toute influence humaine « moderne ».

Les modèles d'Ă©volution culturelle mettent en lumière que, malgrĂ© des traces de modernitĂ© antĂ©rieures Ă  50 000 ans, cette modernitĂ© ne s'exprime pleinement qu'Ă  partir de ce moment. La petite taille des populations n'aurait peut-ĂŞtre pas permis l'Ă©mergence de caractĂ©ristiques sociales complexes[9] - [10] - [11] - [12]. Selon certains[9], tant que la densitĂ© de population n'est pas significative, les caractĂ©ristiques complexes ne peuvent s'exprimer vraiment. Ă€ l'appui, il convient de noter que certains Ă©lĂ©ments gĂ©nĂ©tiques semblent montrer une importante augmentation de population avant les migrations hors d'Afrique[20]. Des taux Ă©levĂ©s d'extinction dans une population donnĂ©e peuvent Ă©galement faire considĂ©rablement diminuer la diversitĂ© des caractĂ©ristiques culturelles, indĂ©pendamment des capacitĂ©s cognitives des intĂ©ressĂ©s[10].

Enfin, la théorie bicamérale, hautement spéculative, expose qu'un saut culturel (plutôt que génétique) se serait produit à l'âge du bronze, faisant passer l'esprit humain d'une forme cognitive d'où était absente la conscience de soi à une forme d'esprit où serait apparue la conscience de soi. Cette théorie s'appuie sur les écrits de l'âge du bronze, où serait pour la première fois mentionnée la notion de « soi », laquelle aurait remplacée la « voix des dieux » en tant que forme principale de la cognition humaine. Cette théorie non conventionnelle n'est pas largement acceptée, mais suscite sporadiquement un regain d'intérêt.

Preuves archéologiques

Afrique

Avant que l'origine africaine de l'Homme moderne soit largement acceptĂ©e, il n'y avait pas de consensus quant Ă  l'endroit oĂą avait Ă©voluĂ© l'espèce humaine et, par consĂ©quent, sur l'endroit oĂą Ă©tait apparu le comportement humain moderne. DĂ©sormais, l'archĂ©ologie africaine est devenue fondamentale dans la recherche des origines de l'humanitĂ©. Dans la mesure oĂą l'expansion en Eurasie, il y a environ 50 000 ans, est dĂ©jĂ  le fait d'humains « modernes »[19], la question est de savoir si la modernitĂ© comportementale est apparue en Afrique bien avant 50 000 ans, comme une rĂ©volution du PalĂ©olithique tardif ayant entraĂ®nĂ© la migration hors d'Afrique, ou si elle s'est produite hors d'Afrique puis s'y est diffusĂ©e en retour.

Des traces d'images abstraites, de stratĂ©gies de subsistance Ă©laborĂ©es et d'autres comportements modernes ont Ă©tĂ© dĂ©couverts en Afrique, au sud et au nord. La grotte de Blombos, par exemple, est cĂ©lèbre pour ses plaques d'ocre rectangulaires gravĂ©es de lignes gĂ©omĂ©triques, datĂ©es de 77 000 ans[30]. Des perles et d'autres objets ornementaux ont Ă©tĂ© trouvĂ©s au Maroc, datĂ©s de 130 000 ans ; de mĂŞme, la grotte des foyers, en Afrique du Sud, a livrĂ© des perles datant de plus de 50 000 annĂ©es[2].

Des stratĂ©gies de subsistance Ă©largies comme la chasse au gros gibier et la diversification subsĂ©quente des outils sont considĂ©rĂ©es comme des signes de modernitĂ© comportementale. De nombreux sites sud-africains ont montrĂ© une capacitĂ© Ă  exploiter les ressources aquatiques, poissons et coquillages. Ă€ Pinnacle Point en particulier, on trouve des traces d'exploitation de ressources marines datant de 120 000 ans, peut-ĂŞtre en rĂ©ponse aux conditions arides de l'intĂ©rieur des terres[8]. Devenir dĂ©pendant de dĂ©pĂ´ts prĂ©visibles de coquillages, par exemple, pourrait rĂ©duire la mobilitĂ© et faciliter l'Ă©mergence de systèmes sociaux complexes ainsi que celle du comportement symbolique. La grotte de Blombos et le site 440 au Soudan montrent tous deux des signes de pĂŞche. Les changements taphonomiques dans les squelettes de poissons de la grotte de Blombos ont Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©s comme une capture de poissons vivants, un comportement humain manifestement intentionnel[2].

Les humains d'Afrique du Nord, Ă  Nazlet Sabaha, Égypte, ont, dès 100 000 ans AP, pratiquĂ© l'exploitation minière de chert pour la confection d'outils en pierre[31].

Europe

Alors qu'elle Ă©tait traditionnellement considĂ©rĂ©e comme une illustration du modèle de la rĂ©volution palĂ©olithique[7], l'archĂ©ologie europĂ©enne a montrĂ© que la chose Ă©tait plus complexe qu'envisagĂ©. Plusieurs technologies diffĂ©rentes de façonnage d'outils en pierre sont prĂ©sentes au moment de l'expansion de l'homme moderne en Europe, ce qui indique des comportements modernes. La culture aurignacienne, par exemple, est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©e comme une preuve de comportement humain pleinement moderne[32] - [33]. La dĂ©couverte de complexes de transition, tel le proto-aurignacien, montre que les humains passent par des Ă©tapes dans l'innovation[32]. Si, comme on le pense gĂ©nĂ©ralement, des groupes humains montrant des signes de pleine modernitĂ© comportementale migrèrent vers l'Europe orientale Ă  partir de 48 000 ans, alors les changements cognitifs correspondants auraient pu se rĂ©pandre en retour vers l'Afrique, ou bien ils s'Ă©taient dĂ©jĂ  produits en Afrique avant l'expansion.

Face au corpus de preuves de plus en plus important montrant que l'Homme de Néandertal possédait une culture artistique, des capacités cognitives élevées et la capacité à façonner des outils complexes, quelques chercheurs ont retenu un modèle multi-espèces concernant la modernité comportementale[6] - [22] - [34]. Les Néandertaliens ont souvent été considérés comme se situant dans une impasse évolutive, des cousins simiesques moins avancés que leurs contemporains Sapiens. Leurs représentations artistiques étaient considérées comme de pâles imitations de l'art rupestre des H. sapiens. Néanmoins, les traces archéologiques européennes montrent une grande variété d'artefacts artistiques appartenant au Châtelperronien et attribués à Néandertal. Ainsi, le site de la grotte du Renne a produit des dents d'ours, de loups et de renards gravées, percées ou incisées, de l'ocre et d'autres symboles[34]. Bien que les traces d'enterrement soient peu nombreuses et controversées, il existe des indices de l'existence de rituels funéraires[22]. Il y a deux options pour décrire le comportement symbolique de Néandertal : soit il a copié la culture des humains modernes, soit il possédait des traditions culturelles compatibles avec la notion de modernité comportementale. Même s'il n'a fait que copier, ce qui est discuté par plusieurs auteurs[6] - [22], cela montre néanmoins une capacité culturelle proche de la modernité comportementale. Si Néandertal est, lui aussi, « comportementalement moderne », alors cela ne peut être un caractère dérivé propre à notre espèce.

Asie

La plupart des dĂ©bats autour de la modernitĂ© comportementale se sont concentrĂ©s sur l'Afrique et l'Europe mais l'Est asiatique retient de plus en plus l'attention. Cette rĂ©gion offre une occasion unique pour tester les diffĂ©rentes hypothèses dĂ©mographiques[35]. Ă€ la diffĂ©rence de l'Europe, oĂą l'expansion initiale de Sapiens venu d'Afrique se produit Ă  partir de 48 000 ans, il existe en Chine une mandibule fragmentaire attribuĂ©e Ă  Homo sapiens datĂ©e de 110 000 ans (grotte de Zhiren)[36]. Cela remet en cause l'hypothèse de la modernitĂ© comportementale comme moteur de la migration.

L'Ă©tude des outils lithiques est particulièrement intĂ©ressante dans l'Est asiatique. Après l'expansion d'Homo ergaster hors d'Afrique il y a environ 1,5 million d'annĂ©es, la culture acheulĂ©enne ne semble pas se diffuser au-delĂ  de l'Inde actuelle, selon la thĂ©orie de la ligne de Movius. De la mĂŞme manière, les cultures lithiques de mode 3, telles que le MoustĂ©rien, n'apparaissent en Chine que tardivement[37]. Ce retard de l'Asie orientale dans la technologie lithique a Ă©tĂ© expliquĂ© par une succession d'effets fondateurs et par la faible densitĂ© de population[38]. Bien que les complexes d'outils soient manquants ou fragmentaires comparativement Ă  l'Europe, il existe d'autres preuves de modernitĂ© comportementale. Par exemple, le peuplement de l'archipel japonais offre l'occasion d'investiguer l'usage prĂ©coce d'embarcations. Bien qu'un site, celui de Kanedori sur l'Ă®le d'HonshĹ«, suggère l'utilisation d'embarcations il y a 84 000 ans, il n'y a aucune autre preuve de la prĂ©sence d'humains au Japon avant 50 000 ans[35].

Le système karstique de Zhoukoudian, près de PĂ©kin, fouillĂ© depuis les annĂ©es 1920, a livrĂ© de prĂ©cieuses donnĂ©es sur le comportement humain ancien en Chine du Nord. Quoique le sujet soit discutĂ©, il est possible qu'il existe des tombes et des restes humains enterrĂ©s volontairement, datant de 34 Ă  20 000 ans[35]. Ces restes sont associĂ©s Ă  des ornements sous forme de perles et de coquillages travaillĂ©s, suggĂ©rant un comportement liĂ© Ă  la pensĂ©e symbolique. Aux cĂ´tĂ©s des Ă©ventuelles tombes, de nombreux autres objets symboliques comme des dents d'animaux perforĂ©es et des perles, certaines teintes en ocre rouge, ont Ă©tĂ© trouvĂ©s Ă  Zhoukoudian[35]. Ă€ ce jour, les vestiges archĂ©ologiques trouvĂ©s en Asie orientale ne montrent guère de preuves de modernitĂ© comportementale avant 50 000 ans, mais les fouilles archĂ©ologiques portant sur la PrĂ©histoire sont encore embryonnaires dans de nombreux pays de cette rĂ©gion.

Références

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Bibliographie

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