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Homologie singulière

En topologie algébrique, l'homologie singulière est une construction qui permet d'associer à un espace topologique X une suite homologique de groupes abéliens libres ou de modules. Cette association est un invariant topologique non complet, c'est-à-dire que si deux espaces sont homéomorphes alors ils ont mêmes groupes d'homologie singulière en chaque degré mais que la réciproque est fausse.

Origine : intégration des formes différentielles fermées

Le théorème de Stokes appliqué à des formes fermées donne des intégrales nulles. Cependant, il se fonde sur une hypothèse cruciale de compacité. En présence de trous dans la variété sous-jacente, on peut construire des formes fermées avec des intégrales de bord non nulles. Par exemple,

1-forme définie sur ℝ2 \ { (0, 0) }. Vérifions sa fermeture :

Pourtant sa circulation le long du cercle unité est non nulle :

C'est bien le trou à l'origine qui empêche le théorème de Stokes de s'appliquer. Si on trace le cercle ailleurs dans le plan, pour qu'il n'entoure plus l'origine, la circulation de ω s'annulera. Les contours d'intégration fermés et formes différentielles fermées permettent ainsi de mesurer des caractéristiques topologiques de la variété sous-jacente.

Or les contours d'intégration ont une structure algébrique de groupe abélien. On peut additionner deux contours ; cela veut dire qu'on intégrera les formes sur chacun et qu'on sommera les résultats. D'autre part, on souhaite décréter nuls les contours qui intègrent à 0 toutes les formes fermées ; par le théorème de Stokes, ce sont tous les contours qui enferment un compact. Ces contours dits bords forment un sous-groupe, par lequel on peut quotienter pour obtenir les informations topologiques recherchées : les différentes façons d'intégrer les formes différentielles fermées.

L'homologie singulière abstrait cette mesure algébrique des propriétés topologiques d'un espace, en se détachant des notions analytiques de variété différentielle, intégrale et forme différentielle.

Le complexe

Avant de définir l'homologie singulière d'un espace topologique X, il est nécessaire d'introduire quelques définitions.

Simplexes

On appelle simplexe standard Δn de dimension n l'enveloppe convexe dans ℝn des points e0, e1, … , en, où e0 = (0,…,0) et ei = (0, … , 0, 1, 0, … , 0), le 1 étant placé à la ie position.

Un simplexe singulier de dimension n de X est une application continue de Δn dans X. Ainsi, un 0-simplexe s'identifie à un point de X. Un 1-simplexe est un chemin reliant deux points (éventuellement confondus). Un 2-simplexe est un triangle plein de X (ou plutôt une application du triangle Δ2 dans X).

On considère ensuite les sommes formelles de n-simplexes, c'est-à-dire les applications à support fini, définies sur l'ensemble des n-simplexes de X et à valeurs entières. On les appelle n-chaînes. Par exemple, une 0-chaîne s'écrit sous la forme ∑nPPnP est un entier relatif pour tout point P de X, la somme étant finie. L'ensemble Mn des n-chaînes constitue un groupe abélien libre (ou un module libre si on se place sur un anneau autre que ).

Par convention, M– 1 = 0.

L'application bord

On note ∂0 l'application (nulle) de M0 dans M–1.

Si σ est un simplexe de X de dimension n > 0, la i-ème face orientée σi de σ est la restriction de l'application au simplexe standard de dimension n – 1, enveloppe convexe des points e0, … , ei – 1, ei + 1, … , en. Le bord ∂σ de σ est par définition égal à

L'application bord est étendue par linéarité aux chaînes. On obtient alors un morphismen de Mn dans Mn – 1. Le bord d'une chaîne partage des analogies avec la notion de frontière d'une partie, mais cette dernière est une partie de X alors que le bord est un objet purement algébrique, sur lequel on peut effectuer des opérations.

Par exemple, le bord d'un 1-simplexe reliant le point P au point Q est la 0-chaîne Q – P. Le bord d'un 2-simplexe de sommets P, Q, R est la 1-chaîne (QR) – (PR) + (PQ), en notant (QR) le chemin reliant Q à R, en se restreignant au premier côté de Δ2. On remarque que, si l'on prend le bord de (QR) – (PR) + (PQ), on obtient R – Q – R + P + Q – P = 0.

Plus généralement, on montre que la composition successive de deux applications bord est nulle. Autrement dit, ∂n ∘ ∂n + 1 = 0. On dit que la suite des groupes ou modules Mn, munie de l'application bord, forme un complexe de chaînes.

En général, le complexe construit est « très gros » et incalculable en pratique. Par exemple, le premier groupe, d'indice zéro, est le groupe des sommes formelles, à coefficients entiers relatifs, des points de l'espace étudié : c'est un groupe abélien libre de rang le cardinal de X.

Cycles et bords, groupes d'homologies

Puisque ∂n ∘ ∂n + 1 = 0, on a Im(∂n + 1) ⊂ Ker(∂n). Les éléments de Im(∂n + 1) sont appelés bords ; ce sont les chaînes qui sont images d'une autre chaîne par l'application bord. Les éléments de Ker(∂n) sont appelés cycles ; ce sont les chaînes dont le bord est nul. Tout bord est un cycle.

Le groupe quotient ou module quotient Ker(∂n)/Im(∂n + 1) est le n-ième groupe Hn d'homologie singulière de l'espace topologique X. C'est un invariant topologique. On associe ainsi à tout espace topologique une suite de groupes abéliens.

Par exemple pour deux points P et Q, le cycle P – Q sera considéré comme nul dans le zéroième groupe d'homologie H0 si c'est un bord. Il suffit qu'il soit le bord d'un chemin reliant P à Q. C'est le cas si P et Q sont dans la même composante connexe par arcs de X.

Résultats

Le calcul effectif des groupes d'homologie H0, H1, H2, ... est en général difficile. Nous donnons ici les résultats les plus classiques. Une version simplifiée de l'homologie singulière, l'homologie simpliciale permet de calculer les groupes d'homologie des espaces topologiques admettant une triangulation.

  • Le point : tous les groupes sont nuls, sauf H0 qui est isomorphe à ℤ.
  • La boule Bn de ℝn : comme le point, puisque la boule est contractile.
  • La sphère Sn de ℝn + 1, pour n ≥ 1 : tous les groupes sont nuls sauf H0 et Hn qui sont isomorphes à ℤ.
  • Le plan projectif réel P2(ℝ) :
    H0 = ℤ
    H1 = ℤ/2ℤ
    Hq = 0 si q ≥ 2.
  • Plus généralement, l'espace projectif réel Pn(ℝ) :
    H0 = ℤ
    Hq = 0 si 1 < qn et q pair
    Hq = ℤ/2ℤ si 1 ≤ q < n et q impair
    Hn = ℤ si n impair
    Hq = 0 si q > n.
  • L'espace projectif complexe Pn(ℂ) :
    Hq = ℤ si 0 ≤ qn et q pair
    Hq = 0 sinon
  • Le tore T2 :
    H0 = ℤ
    H1 = ℤ2
    H2 = ℤ
    Hq = 0 si q > 2.

Le tableau suivant donne les groupes d'homologie pour quelques espaces topologiques usuels, avec comme coefficients, les entiers, les entiers modulo 2, ou les réels.

Nom de l'espace topologiqueGroupes d'homologie à coefficients entiersGroupes d'homologie à coefficients entiers modulo 2Groupes d'homologie à coefficients réels
Espace euclidien RnH*(Rn, Z)=0H*(Rn,Z2)=0H*(Rn,R)=0
Sphère SnH*(Sn, Z)=Z[0]+Z[n]H*(Sn,Z2)=Z2[0]+Z2[n]H*(Sn,R)=R[0]+R[n]
Espace projectif Pn(R)H_p(PnR,Z)=Z si p=0 ou p=n impair ; Z/2Z si 0<p<n+1, 0 sinonH*(PnR, Z2)= Z2[0] +Z2[1] +...+Z2 [n]

Propriétés

Homologie et connexité par arcs

Si (Xk) est la famille des composantes connexes par arcs de X alors, pour tout q, Hq(X) est la somme directe des Hq(Xk)[1]. Il suffit donc de chercher les groupes d'homologie d'espaces connexes par arcs.

Dans le cas particulier d'un espace X non vide et connexe par arcs, le zéroième groupe d'homologie H0(X) est canoniquement isomorphe à ℤ (ou à A si l'on considère les modules sur un anneau A)[1].

Dans le cas général, H0(X) est donc le groupe abélien libre (ou le module libre) sur l'ensemble des composantes connexes par arcs de X[1].

Homologie et homotopie

Soit X un espace connexe par arcs. Un 1-cycle de X est une 1-chaîne dont le bord est nul. Intuitivement, on peut le voir comme un chemin qui se referme, ou un lacet. Par ailleurs, un 1-bord est le bord d'une 2-chaîne. Si ce bord se décompose en deux cycles, ces deux cycles seront considérés comme égaux dans le groupe d'homologie H1(X), celui-ci étant le quotient de l'ensemble des cycles par l'ensemble des bords. Par ailleurs, on conçoit qu'on puisse déformer continûment l'un des cycles en l'autre en passant par la surface dont ils constituent les bords. On reconnaît alors la notion d'homotopie. Il n'est donc pas étonnant qu'il existe un rapport entre le premier groupe d'homotopie ou groupe fondamental de Poincaré π1(X) et le premier groupe d'homologie H1. Le théorème d'Hurewicz énonce que l'application qui, à une classe d'homotopie d'un lacet, associe la classe d'homologie de la 1-chaîne correspondant à ce lacet, est un morphisme surjectif de π1(X) sur H1(X), dont le noyau est le sous-groupe des commutateurs de π1(X). Il en résulte que H1(X) est l'abélianisé de π1(X), autrement dit isomorphe à π1(X) après avoir rendu la loi de composition du groupe commutative. Par exemple, le groupe fondamental d'un espace X en forme de 8 est le groupe libre engendré par deux éléments. Son groupe d'homologie H1 est le groupe abélien libre engendré par deux éléments.

Deux espaces ayant même type d'homotopie (et a fortiori deux espaces homéomorphes) sont quasi-isomorphes donc ont mêmes groupes d'homologie mais la réciproque est fausse : par exemple si G est un groupe parfait non trivial, l'homologie de l'espace d'Eilenberg-MacLane K(G, 1) est la même que celle du point, mais pas son groupe fondamental.

Nombres de Betti et caractéristique d'Euler

Le n-ième nombre de Betti bn de l'espace X est le rang (en) de son n-ième groupe d'homologie Hn. (Lorsque ce groupe est de type fini, c'est le nombre de générateurs du groupe abélien libre obtenu en quotientant Hn par son sous-groupe de torsion, constitué de ses éléments d'ordre fini.)

On définit alors la caractéristique d'Euler de X comme étant égale à :

si cette somme a un sens.

Dans le cas d'un espace X construit à partir de a0 points, reliés par a1 chemins, liés par a2 faces, etc. (voir « Homologie cellulaire » et « CW-complexe » pour une description plus complète) on montre que :

Généralisations

Mentionnons enfin que des méthodes inspirées de l'homologie singulière sont appliquées en géométrie algébrique, dans le cadre des théories homotopiques des schémas (en). Elles ont pour but de définir une cohomologie motivique, et ont des répercussions spectaculaires en arithmétique.

Notes et références

  1. (en) Allen Hatcher, Algebraic Topology, New York, CUP, , 544 p. (ISBN 978-0-521-79540-1, lire en ligne), p. 109.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • (en) Glen E. Bredon (en), Topology and Geometry [détail de l’édition]
  • (en) Marvin Greenberg, Lectures on algebraic topology, W. A. Benjamin, New-York
  • (en) Edwin Spanier, Algebraic Topology, McGraw-Hill
  • Michel Zisman, Topologie algébrique élémentaire, Armand Colin,
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