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Droits des animaux

Les droits des animaux dĂ©signent les idĂ©es philosophiques et politiques qui soutiennent que les animaux non humains ont des droits moraux et qu'ils devraient ĂȘtre des sujets de droit dans les systĂšmes juridiques, oĂč jusqu'Ă  prĂ©sent seuls les humains ou des entitĂ©s de regroupement (personnes physiques et morales) sont gĂ©nĂ©ralement des sujets[1]. Les droits des animaux sont fondĂ©s sur l'idĂ©e que les besoins et intĂ©rĂȘts des espĂšces animales non humaines — se nourrir, se dĂ©placer, se reproduire et Ă©viter la souffrance, par exemple — sont suffisamment complexes et liĂ©s Ă  un dĂ©veloppement cognitif leur permettant d'avoir des droits moraux et lĂ©gaux[2].

Ces idĂ©es sont postulĂ©es par le mouvement de protection animale ou de libĂ©ration animale. Ce mouvement vise non seulement Ă  offrir de meilleures conditions de vie aux animaux, mais aussi Ă  les inclure dans la communautĂ© morale en donnant une importance Ă  leurs intĂ©rĂȘts fondamentaux. Il affirme que les animaux ne devraient pas ĂȘtre Ă©thiquement (et a fortiori lĂ©galement) considĂ©rĂ©s comme des biens humains ou traitĂ©s comme des ressources Ă  des fins humaines.

Histoire

Le dĂ©bat sur les droits des animaux a Ă©tĂ© initiĂ© par des philosophes de l'AntiquitĂ©[2] comme Pythagore au VIe siĂšcle avant notre Ăšre, que l'on a appelĂ© « le premier philosophe des droits des animaux »[3]. Il rĂ©clamait le respect pour les animaux parce qu'il croyait en la transmigration des Ăąmes entre humains et non-humains : en tuant un animal, on aurait pu alors tuer un ancĂȘtre. Il dĂ©fendait le vĂ©gĂ©tarisme, rejetant l'emploi des animaux comme nourritures ou victimes sacrificielles[4] - [5].

Buste de Théophraste.

Aristote, au IVe siĂšcle av. J.-C., dĂ©clarait que les animaux se plaçaient loin en dessous des humains dans la scala naturĂŠ, Ă  cause de leur irrationalitĂ©, et parce qu'ils n'auraient pas d'intĂ©rĂȘt propre[2]. L'un de ses Ă©lĂšves, ThĂ©ophraste, exprima son dĂ©saccord, se positionnant contre la consommation de viande en allĂ©guant qu'elle privait les animaux de leur vie, et qu'elle Ă©tait donc injuste. Les animaux, dit-il, peuvent raisonner, sentir, et ressentir de la mĂȘme maniĂšre que les ĂȘtres humains[6]. Cet avis ne prĂ©valut pas, et c'est la position d'Aristote - selon laquelle les humains et les non-humains vivaient dans des rĂšgnes moraux diffĂ©rents parce que les uns Ă©taient douĂ©s de raison et non les autres - qui persista largement jusqu'aux contestations de certains philosophes dans les annĂ©es 1970.

Peter Singer, dans son Oxford Companion to Philosophy, estime que le premier chapitre de la GenĂšse dĂ©crit comment Dieu donna aux ĂȘtres humains la domination sur les animaux, modĂ©rĂ©e dans la Torah par des injonctions Ă  la douceur ; par exemple, en ne faisant pas travailler ses bƓufs lors du chabbat. Le Nouveau Testament est dĂ©pourvu de telles exhortations, Paul interprĂ©tant cette exigence au bĂ©nĂ©fice des propriĂ©taires humains et non des animaux eux-mĂȘmes. Augustin considĂšre que JĂ©sus a laissĂ© les porcs de GadarĂšne se noyer[7] dans le but de dĂ©montrer que l'homme n'a aucun devoir de prendre soin des animaux, une position adoptĂ©e par Thomas d'Aquin, qui dit que les humains ne devraient montrer de la charitĂ© envers les animaux que pour s'assurer que des habitudes de cruautĂ© ne s'insinuent dans notre traitement envers les ĂȘtres humains[8], une position reprise par Locke et Kant.

Au Moyen Âge, des procĂšs contre des animaux (porcs, charançons, chenilles, mulots, serpents, etc.) furent organisĂ©s par l'Église. Des avocats Ă©taient nommĂ©s en dĂ©fense des animaux[9] - [10].

Au XVIIe siĂšcle, le philosophe français RenĂ© Descartes soutint, dans sa thĂ©orie de l'animal-machine, que les animaux n'avaient ni Ăąme ni esprit, et qu'ils n'Ă©taient que des automates complexes. Ils ne pouvaient donc ni penser ni souffrir. Ils seraient Ă©quipĂ©s pour voir, entendre, toucher, et mĂȘme Ă©prouver la peur et la colĂšre, mais ils ne seraient pas conscients. En opposition Ă  cette thĂšse, Jean-Jacques Rousseau, dans la prĂ©face de son Discours sur l'inĂ©galitĂ© (1754), rappelle que l'homme a commencĂ© comme un animal, bien que non « dĂ©pourvu d'intelligence et de libertĂ© »[11]. Cependant, les animaux Ă©tant des ĂȘtres douĂ©s de sensibilitĂ©, « ils devraient participer au droit naturel, et 
 l'homme est sujet Ă  de certains devoirs envers eux ».

"Sita, un chimpanzé d'un an et demi, émigre en Afrique car les Pays-Bas ne veulent plus détenir de singes". Photo : Marcel Antonisse/Anefo, 1981.

Plus tard, au XVIIIe siĂšcle, l'un des fondateurs de l'utilitarisme moderne, le philosophe anglais Jeremy Bentham, dĂ©clara que la souffrance des animaux est aussi rĂ©elle et moralement importante que la souffrance humaine, et que « le jour viendra oĂč le reste de la crĂ©ation animale acquerra ces droits qui n'auraient jamais dĂ» leur ĂȘtre refusĂ©s si ce n'est de la main de la tyrannie »[12]. Bentham considĂ©rait que la facultĂ© de souffrir, et non la facultĂ© de raisonner, devait ĂȘtre le critĂšre pour Ă©valuer le traitement juste des autres ĂȘtres. Si la capacitĂ© Ă  raisonner en Ă©tait le critĂšre, plusieurs ĂȘtres humains, en comptant les bĂ©bĂ©s et les personnes handicapĂ©es, seraient traitĂ©es comme s'ils Ă©taient des choses, Ă©crivit-il en une citation cĂ©lĂšbre[13].

En 1822, le Parlement du Royaume-Uni adopta la premiĂšre loi de protection animale au monde : la loi Martin's Act, introduite par le dĂ©putĂ© irlandais Richard Martin[14]. Elle interdit les actes de cruautĂ© Ă  l'encontre du « bĂ©tail » (chevaux, vaches, moutons
)[15] - [16]. La premiĂšre association de protection animale ou de bien-ĂȘtre animal, la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals, fut fondĂ©e en Grande-Bretagne en 1824, et des groupes similaires naquirent rapidement ensuite en Europe puis en AmĂ©rique du Nord. En France, la SociĂ©tĂ© protectrice des animaux (SPA) est crĂ©Ă©e en 1845, Ă  Paris, en ayant pour objet d'amĂ©liorer « le sort des animaux, dans une pensĂ©e de justice, de morale, d'Ă©conomie bien entendue et d'hygiĂšne publique »[17]. Le 2 juillet 1850, le gĂ©nĂ©ral de Grammont fait adopter une loi relative aux mauvais traitements infligĂ©s aux animaux domestiques. Le premier groupe aux États-Unis, l'American Society for the Prevention of Cruelty to Animals, entra dans la charte de l'État de New York en 1866. Le premier mouvement anti-vivisection fut crĂ©Ă© dans la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle. Le concept de droits des animaux devint le thĂšme d'un livre influent en 1892, Animals' Rights: Considered in Relation to Social Progress, par le rĂ©formateur social anglais Henry Salt, un an aprĂšs avoir formĂ© la Ligue humanitaire, avec pour objectif d'interdire la chasse en tant que sport.

En 1978, une Déclaration universelle des droits de l'animal fut proclamée à la Maison de l'Unesco. Elle n'a cependant pas de valeur juridique.

Mi 2021, en Inde du Nord, la Haute Cour de l’Uttarakhand a reconnu au rĂšgne animal (c'est-Ă -dire Ă  toutes les espĂšces animales) un droit inhĂ©rent Ă  la vie, une premiĂšre juridique dans le monde[18]. Ce mĂȘme tribunal avait reconnu les droits du fleuve Gange[19] (dĂ©cision ensuite cassĂ©e sur demande de l’État de l’Uttrakhand qui a fait appel auprĂšs de la Cour suprĂȘme[20]).

En 2022, la Cour constitutionnelle de l'Équateur reconnait des droits juridiques distincts aux animaux sauvages, une premiĂšre mondiale. Cette dĂ©cision donne entre autres un droit “d’exister, de s’épanouir et d’évoluer” Ă  la biodiversitĂ© dans le contexte des interactions espĂšces. La chasse, la pĂȘche, la cueillette et la sylviculture restent autorisĂ©es tant qu’elles sont pratiquĂ©es dans le cadre d’autres lois prĂ©existantes (protĂ©geant des animaux menacĂ©s par exemple), et qu’elles sont menĂ©es de maniĂšre Ă  limiter la souffrance[21].

Différents mouvements à travers le monde

BanniĂšre "Les animaux ont des droits" lors d'une manifestation Ă  Paris en 2008.

En France, la plus ancienne association de défense des animaux est la SPA, fondée en 1845. En novembre 2016, le premier parti animaliste de France a vu le jour[22].

Certains mouvements sont parfois considĂ©rĂ©s comme radicaux, c'est-Ă -dire qu’ils rĂ©alisent des actions « coup de poing » qui sont dĂ©noncĂ©es comme Ă©tant trop violentes. C’est le cas des mouvements anglais Animal Rights Militia (ARM) ou Animal Liberation Front (ALF) Front de libĂ©ration des animaux et du mouvement amĂ©ricain The Revolutionary Cels - Animal Liberation Brigade (RCALB) (en). Ces mouvements s’en prennent parfois aux directeurs des laboratoires qui pratiquent la vivisection.

Arguments en faveur des droits des animaux

Théoriciens et aspect législatif des droits des animaux

Buste de Pythagore.
L'empereur japonais Temmu.

Le vĂ©gĂ©tarisme est une pratique qui peut ĂȘtre motivĂ©e par le droit – dĂ©fini comme l'« ensemble des rĂšgles qui rĂ©gissent la conduite de l'homme en sociĂ©tĂ©, les rapports sociaux[23] », dans le cadre Ă©videmment du droit considĂ©rant comme nĂ©cessaire les droits des animaux.

Le vĂ©gĂ©tarisme (ou l'interdiction de tuer/manger un animal), en tant que norme Ă  faire respecter par des lois, existe depuis l'AntiquitĂ©, avec, en Inde, les Ă©dits de l'empereur Ashoka (v. 304 av. J.-C. - 232 av. J.-C.), au Gujarat, les lois du roi jaĂŻn KumĂąrapĂąla (1143–1172)[24] - [25] - [26], et, au Japon, les lois promulguĂ©es (en 676 ap. J.-C.) par l'empereur Temmu[27] par exemple, mais aussi en Europe Ă  l'Ă©poque prĂ©socratique, avec, en particulier, Pythagore et EmpĂ©docle[28] :

« CicĂ©ron rapproche de maniĂšre critique les deux philosophes Pythagore et EmpĂ©docle quand il rapporte qu'Ă  leurs yeux, tous les vivants jouissant du mĂȘme droit, il fallait que les mĂȘmes sanctions frappent les homicides et ceux qui tuent des animaux[29] : les hommes [
] ne forment pas seulement une communautĂ© avec les dieux, mais avec les bĂȘtes [
] – en vertu, dit le Sceptique Sextus Empiricus, d'un « esprit un qui pĂ©nĂštre, Ă  la façon d'une Ăąme, le cosmos tout entier[29] » »

— Élisabeth de Fontenay, Le silence des bĂȘtes, la philosophie Ă  l'Ă©preuve de l'animalitĂ©, p.66[28].

En passant aux philosophes du XXe siĂšcle, il y a les thĂšses des philosophes du droit italiens Martinetti et surtout Goretti. En 1926, Piero Martinetti avait publiĂ© La psiche degli animali (Le psychisme des animaux), dans lequel il avait soulignĂ© que les animaux possĂšdent l'intelligence et la conscience et, en gĂ©nĂ©ral, une vie intĂ©rieure, comme il ressort des « attitudes, les gestes, la physionomie » ; cette vie intĂ©rieure est « probablement trĂšs diffĂ©rente et loin » de la vie intĂ©rieure humaine, mais elle « a aussi les caractĂ©ristiques de la conscience et ne peut pas ĂȘtre rĂ©duite Ă  un simple mĂ©canisme physiologique »[30]. En 1928 Goretti dĂ©passe ce point de vue, et affirme que les animaux sont de vĂ©ritables « sujets de droit » et que l'animal a une « conscience morale » et une perception du juridique[31]. De cette façon, il a anticipĂ© les questions de la bioĂ©thique et de l’éthologie ; malgrĂ© l'originalitĂ© et le caractĂšre novateur des thĂšses de Cesare Goretti, son travail a Ă©tĂ© entiĂšrement nĂ©gligĂ© dans le dĂ©bat sur les droits des animaux et dans les Ă©tudes d'Ă©thologie[32] - [33].

« On ne peut nier Ă  l'animal, quoique vague, l'utilisation de la catĂ©gorie de causalitĂ© ; de la mĂȘme façon, on ne peut pas exclure que l'animal, participant Ă  notre monde, ait un sens obscur de ce que peut ĂȘtre la propriĂ©tĂ© ou l'obligation. D'innombrables cas dĂ©montrent comment le chien est le gardien jaloux de la propriĂ©tĂ© de son maĂźtre, et comment il participe Ă  son utilisation. Quoique inconnue, doit fonctionner en lui cette vision de la rĂ©alitĂ© extĂ©rieure comme quelque chose qui lui est propre ; ce n’est que pour l'homme civilisĂ© qu’il s'agit de structures sophistiquĂ©es. Il est absurde de penser que l'animal qui rend service Ă  son maĂźtre agit seulement selon son instinct. [
] Le chien sent, de façon obscure et significative, ce rapport pour les services rendus et Ă©changĂ©s. Bien sĂ»r, l'animal ne peut pas comprendre le concept de ce qui est la propriĂ©tĂ©, l'obligation ; il suffit qu’il montre vers l'extĂ©rieur de faire usage de ces principes, qui en lui fonctionnent encore en maniĂšre obscure et sensible. »

— Cesare Goretti, L’animale quale soggetto di diritto, 1928

Aujourd'hui, c'est le philosophe amĂ©ricain Tom Regan, professeur Ă  l'universitĂ© d'État de Caroline du Nord (et prĂ©sident en 1993 de l' American Society for Value Inquiry), qui est cĂ©lĂšbre pour sa dĂ©fense du vĂ©gĂ©tarisme et des animaux dans le cadre du droit ; en premier lieu, il prend appui, pour dĂ©velopper sa thĂ©orie du droit, sur la considĂ©ration de la vie mentale des animaux, considĂ©rĂ©e selon leur degrĂ© de complexitĂ©, et en arrive Ă  ce bilan :

« La conclusion de T. Regan est la suivante : certains animaux ont une vie mentale suffisamment complexe pour avoir une expĂ©rience propre de leur bien-ĂȘtre. En d'autres termes, ils ont une vie mentale assez complexe pour que ce qui leur arrive leur importe. »

— Jean-Yves Goffi, Droits des animaux et libĂ©ration animale, Si les lions pouvaient parler, essais sur la condition animale, sous la direction de Boris Cyrulnik[34].

Ce faisant, les conséquences de ce point de vue amÚnent à considérer l'animal en tant que tel comme détenteur de droits :

« Les ĂȘtres qui sont les sujets d'une vie ont une valeur inhĂ©rente. Seul le langage des droits est apte Ă  exprimer l'exigence de ne pas leur infliger des dommages sans des raisons contraignantes. [
] On est le sujet d'une vie dĂšs lors qu'on est capable de manifester une vie mentale assez complexe pour s'intĂ©resser Ă  son bien-ĂȘtre [
]. Il s'ensuit que les animaux sont des sujets d'une vie et qu'ils sont des titulaires de droits, mĂȘme s'ils ne le savent pas. »

— Jean-Yves Goffi, op. cit.[35].

Les obligations qu'impose une telle conception du droit, vont au-delà de la pratique du végétarisme :

« Tom Regan considĂšre comme injustifiables des pratiques ou des institutions comme la chasse, la pĂȘche, l'alimentation carnĂ©e, les cirques, les zoos, l'Ă©levage intensif. [
] Il englobe dans la mĂȘme condamnation l'expĂ©rimentation sur l'animal dans une perspective mĂ©dicale ou biologique [
]. Il n'admet de transgression au principe de (non)-dommage que dans des cas soigneusement dĂ©finis d'auto-dĂ©fense.[
] Être le sujet d'une vie [
] suffit Ă  confĂ©rer des droits et Ă  justifier la protection du titulaire de ces droits, avant mĂȘme que quoi que ce soit ait Ă©tĂ© Ă©noncĂ© Ă  propos de ce qui rend la vie digne d'ĂȘtre vĂ©cue. La puissance publique doit protĂ©ger impartialement ces droits, indĂ©pendamment de toute conception du bien et du mal[36]. »

— Jean-Yves Goffi, op. cit.[37].

Ce point de vue est partagĂ© (mais Ă©largi Ă  tout ĂȘtre vivant sensible et non aux seuls animaux qui ont des capacitĂ©s cognitives complexes[38]) par le professeur de droit Ă  l'universitĂ© d'État du New Jersey Gary Francione[38], qui Ă©crit[39] :

« Le mouvement pour les droits des animaux soutient que tous les ĂȘtres sensibles, humains ou non, ont un droit : le droit fondamental Ă  ne pas ĂȘtre traitĂ©s comme la propriĂ©tĂ© d'autrui. Notre reconnaissance de ce droit fondamental signifie que nous devons abolir – et non pas simplement rĂ©glementer – les pratiques Ă©tablies d'exploitation animale, parce qu'elles supposent que les animaux sont la propriĂ©tĂ© des humains. (
) Nous considĂ©rons que le pas principal vers l'abolition que chacun de nous peut franchir consiste Ă  adopter un mode de vie vĂ©gan et Ă  Ă©duquer le public sur ce mode de vie[40] - [41]. »

Ce rapport au droit se veut donc une conception de la justice concernant les ĂȘtres humains ou non humains pour le bĂ©nĂ©fice de tous ; ainsi, dans l’introduction de Vegetarianism, a way of life, de Dudley Giehl, Isaac Bashevis Singer Ă©crit :

« Tant que les ĂȘtres humains continueront Ă  rĂ©pandre le sang des animaux, il n’existera pas de paix dans le monde. La distance qui existe entre la crĂ©ation des chambres Ă  gaz Ă  la Hitler et les camps de concentration Ă  la Staline n’est que d’un pas, car tous ces actes ont Ă©tĂ© perpĂ©trĂ©s au nom d’une justice sociale et il n’y aura aucune justice tant que l’homme empoignera un couteau ou un pistolet pour dĂ©truire des ĂȘtres plus faibles que lui. »

Selon la juriste et philosophe ValĂ©ry Giroux la cohĂ©rence du droit et de la morale exige l'extension des droits fondamentaux Ă  tous les ĂȘtres sensibles. Les droits fondamentaux en question sont les suivants: le droit Ă  ne pas ĂȘtre torturĂ©, le droit Ă  ne pas ĂȘtre tuĂ© et le droit Ă  ne pas ĂȘtre asservi ou exploitĂ©.

Ces droits se fondent sur les intĂ©rĂȘts spĂ©cifiques qu'ils protĂšgent. Respectivement, ils reposent sur l'intĂ©rĂȘt Ă  ne pas souffrir, l'intĂ©rĂȘt Ă  vivre et l'intĂ©rĂȘt Ă  ĂȘtre libre[42] - [43].

Certains universitaires juristes proposent de faire de l'animal une personne au sens juridique et plus précisément une personne physique non-humaine[44]. C'est le sens de la Déclaration de Toulon, à vocation internationale, proclamée le 29 mars 2019[45].

L'idĂ©e d'accorder des droits aux animaux est soutenue par des professeurs de droit tels qu'Alan Dershowitz[46] et Laurence Tribe de la facultĂ© de droit de Harvard[1], et des cours de loi animale sont maintenant dispensĂ©s dans 92 des 180 Ă©coles de droit des États-Unis[47].

Critique des droits des animaux

IntĂ©rĂȘts des animaux

Le philosophe Raymond Frey (en), en dĂ©saccord avec Peter Singer, se place pourtant comme ce dernier dans le cadre de l'utilitarisme des prĂ©fĂ©rences (en). Dans Interests and Rights (1980)[48], Frey postule que les animaux n’ont pas d’intĂ©rĂȘts. En effet, selon lui, les animaux n'ont pas de langage, donc pas de croyances (une croyance Ă©tant conçue par Frey comme la croyance qu'une certaine phrase est vraie), donc pas de dĂ©sirs, donc pas d'intĂ©rĂȘts propres.

Cette affirmation selon laquelle les animaux n’ont pas de croyances ou que le langage est nĂ©cessaire pour en avoir est aujourd’hui contredite par les connaissances acquises en sciences cognitives et en Ă©thologie[49]. Par ailleurs, ce point de vue soulĂšve la question des cas marginaux dans l'espĂšce humaine : certains humains, tels que les nouveau-nĂ©s ou encore des personnes souffrant de handicap mental, ne disposent pas du langage ; selon Frey, ces humains ne peuvent de ce fait pas avoir de croyances, donc pas de dĂ©sirs, donc pas d'intĂ©rĂȘts propres, et seuls les intĂ©rĂȘts de leurs proches seraient Ă  prendre en compte dans le traitement accordĂ© Ă  ces individus.

La question du langage chez les animaux est également soulevée[50].

Théorie du contrat social

DĂ©fendue par Carl Cohen, Roger Scruton et, en France, Francis Wolff, cette thĂ©orie consiste Ă  voir les droits comme rĂ©sultat d’un contrat social. Corollaire : seuls les ĂȘtres capables de rĂ©ciprocitĂ© morale peuvent avoir des droits, autrement dit il ne peut y avoir de droit sans devoir. Les animaux n’étant capables de comprendre ni la notion de droit, ni celle de rĂ©ciprocitĂ©, ils ne peuvent avoir de droits[51].

Outre que l’absence de rĂ©ciprocitĂ© chez les animaux est contestĂ©e par des travaux Ă©thologiques[52], se pose ici encore la question des cas marginaux, les humains incapables de rĂ©ciprocitĂ© : les nouveau-nĂ©s et les jeunes enfants, certains handicapĂ©s mentaux ou victimes de maladies neurodĂ©gĂ©nĂ©ratives, ainsi que les gĂ©nĂ©rations futures. La rĂ©ponse des thĂ©oriciens du contrat social est qu’il ne faut pas traiter les individus selon leurs caractĂ©ristiques propres, mais selon les caractĂ©ristiques « typiques » de leur espĂšce[53], ou plutĂŽt certaines caractĂ©ristiques « typiques » (personne ne propose de cesser de soigner les malades au motif que l’humain typique est en bonne santĂ© !) choisies par ces auteurs.

En considĂ©rant qu’il faut traiter les individus sur la base de certaines caractĂ©ristiques moyennes de leur espĂšce, ils s’opposent frontalement aux partisans des droits des animaux pour qui on doit traiter les individus en fonction de leurs caractĂ©ristiques propres. Il faut aussi noter que les droits des animaux ont Ă©tĂ© dĂ©fendus y compris dans le cadre thĂ©orique du contrat social[54].

Théorie du contrat domestique

Selon des auteurs comme Jocelyne Porcher, RaphaĂ«l LarrĂšre ou Catherine LarrĂšre, les animaux peuvent passer un contrat « symbolique » avec leur propriĂ©taire : c’est le contrat domestique[55], une sorte de « contrat de travail », ou « Ă©change de services » entre l’éleveur et ses animaux. Les termes de ce contrat sont les suivants: l'Ă©leveur travaille en prodiguant des soins aux animaux et ces derniers, en Ă©change, lui donnent le fruit de leur travail, c’est-Ă -dire leur chair, et acceptent donc de mourir lors de l’abattage. Cependant, un contrat nĂ©cessite l'accord des deux parties et le consentement des animaux semble rester purement hypothĂ©tique dans la thĂ©orie du contrat domestique, ce qui suscite de nombreuses critiques des dĂ©fenseurs des droits des animaux qui affirment notamment que les animaux « refusent leur mise Ă  mort »[56].

Notes et références

  1. « Personhood'Redefined: Animal Rights Strategy Gets at the Essence of Being Human », Association of American Medical Colleges, retrieved July 12, 2006
  2. « Animal Rights. » EncyclopÊdia Britannica. 2007
  3. Violin, Mary Ann. "Pythagoras—The First Animal Rights Philosopher," Between the Species 6:122–127, cited in Taylor, Angus. Animals and Ethics. Broad view Press, p. 34
  4. Taylor, Angus. Animals and Ethics. Broadview Press, p. 34.
  5. Pythagoras's thought has been the subject of much debate; none of his original work is extant. See Huffman, Carl. "Pythagoras" in Zalta, Edward N. The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Winter 2006, retrieved January 10, 2007
  6. Taylor, Angus. Animals and Ethics. Broadview Press, p. 35
  7. Mt. 8.28
  8. Singer, Peter. "Animals" in Honderich, Ted (ed). The Oxford Companion to Philosophy, Oxford University Press, 1995
  9. « Les procĂšs d’animaux au Moyen Âge - Archives dĂ©partementales de l'Aisne », sur archives.aisne.fr (consultĂ© le )
  10. HĂ©lĂšne Combis, « Truie condamnĂ©e Ă  mort, dauphins exorcisĂ©s... les Ă©tranges procĂšs d'animaux au Moyen Âge », sur France Culture, (consultĂ© le )
  11. Rousseau, Jean-Jacques. Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1754, préface
  12. Bentham, Jeremy. An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, 1789. Latest edition: Adamant Media Corporation, 2005
  13. W. Frankena, in A. Bondolfi, L'Homme et l'Animal : dimension Ă©thique de leur relation, Fribourg, Editions universitaires, , p. 123
  14. (en-US) « Richard Martin’s Act | BRANCH » (consultĂ© le )
  15. (en) "MARTIN, Richard (1754-1834)", The History of Parliament, 2009
  16. (en) "Martin, Richard (1754-1834)", Dictionary of National Biography vol. 36
  17. Georges Fleury, La Belle Histoire de la SPA : De 1845 Ă  nos jours, Grasset, Paris, 1995 (ISBN 2-246-49631-4).
  18. Nicolas Blain, « Inde : une Haute Cour reconnaßt les droits du rÚgne animal », sur Droits de la Nature, (consulté le )
  19. La rédaction, « Gange : pourquoi le fleuve sacré a-t-il été déchu de ses droits ? Les explications de notre photographe », sur Geo.fr, (consulté le )
  20. Reporterre, « Le Gange ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une « entitĂ© vivante », dĂ©cide un tribunal indien », sur Reporterre, le quotidien de l'Ă©cologie (consultĂ© le )
  21. L'Équateur, reconnait des droits aux animaux sauvages, une premiùre, HuffPost, 4 avril 2022
  22. Charline Vergne, « En France, le premier Parti animaliste voit le jour », sur lefigaro.fr, (consulté le )
  23. Émile LittrĂ©, Dictionnaire de la langue française, 1863, [lire en ligne]
  24. Voir sur books.google.fr.
  25. Voir sur indianfood.indianetzone.com.
  26. Voir sur clas.ufl.edu.
  27. Voir sur ivu.org.
  28. Le Silence des bĂȘtes, la philosophie Ă  l'Ă©preuve de l'animalitĂ©, Élisabeth de Fontenay, Ă©ditions Fayard.
  29. RĂ©fĂ©rence donnĂ©e par Élisabeth de Fontenay dans son ouvrage : Cf. Les PrĂ©socratiques, Ă©dition Ă©tablie par J.-P. Dumont, D. Delattre et J.-L. Poirier, Paris, Gallimard, l'histoire philosophique grecque.
  30. (it) Piero Martinetti, La psiche degli animali en Saggi e discorsi, éd. Paravia, Torino, 1926, maintenant en Pietà verso gli animali (édité par Alessandro De Chiara), éd. Il Melangolo, Genova, 1999
  31. (it) Cesare Goretti, L’animale come soggetto di diritto, en Rivista di filosofia, 1928, 348 ss. ; aussi, sous forme abrĂ©gĂ©e, dans Paolo Di Lucia, Filosofia del diritto, Raffaello Cortina editore, Milano, 2002, 83 s.
  32. (it) Paolo Di Lucia, ‘’Filosofia del diritto’’, Raffaello Cortina editore, Milano, 2002, 82
  33. (it) Attilio Pisano, Diritti deumanizzati, Ă©d. GiuffrĂš, Milano, 2012, 39 s.
  34. Jean-Yves Goffi, professeur agrĂ©gĂ© de philosophie et docteur d'État en lettres et sciences humaines, Droits des animaux et libĂ©ration animale, Si les lions pouvaient parler, essais sur la condition animale, sous la direction de Boris Cyrulnik, Ă©d. Gallimard (ISBN 2-07-073709-8), p. 900.
  35. Jean-Yves Goffi, op. cit., p. 902.
  36. Note de Jean-Yves Goffi : « L'objection classique consiste à tenir l'affirmation de droits pour une théorie déjà morale dans son principe. »
  37. Jean-Yves Goffi, op. cit., p. 902-903.
  38. Voir sur herenow4u.net.
  39. Principes parus dans la revue Les Cahiers antispecistes, décembre 2003. Des militants ont demandé à Gary Francione d'énoncer une série de principes résumant ce que sont pour lui les bases éthiques d'un authentique mouvement pour les droits des animaux.
  40. Texte intégral de l'interview sur le magazine de l'association Friends of Animal, 2002
  41. Voir sur herenow4u.net.
  42. Contre l'exploitation animale, p. 102-103.
  43. Jean-Yves Goffi, « ValĂ©ry Giroux, Contre l’exploitation animale. Un argument pour les droits fondamentaux de tous les ĂȘtres sensibles, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2017, 515 pages (Recension) », Philosophiques, no 1,‎ , p. 296 (lire en ligne, consultĂ© le )
  44. « Schéma sur la personne physique non-humaine », sur hal-univ-tln.archives-ouvertes.fr
  45. « La Déclaration de Toulon », sur univ-tln.fr
  46. Dershowitz, Alan. Rights from Wrongs: A Secular Theory of the Origins of Rights, 2004, p. 198–99, and "Darwin, Meet Dershowitz," The Animals' Advocate, Winter 2002, volume 21.
  47. « Animal law courses », Animal Legal Defense Fund (en).
  48. R.G. Frey, Interests and Rights: The Case against Animals, Clarendon Press, 1980.
  49. Voir par exemple JoĂ«lle Proust, Les animaux pensent-ils ? « Le temps d’une question », Paris, Bayard, 2003.
  50. « Arte plonge dans le langage des animaux », sur Libération.fr, (consulté le )
  51. F. Wolff, Notre humanitĂ© : d’Aristote Ă  l’homme neuronal, Paris, Fayard, 2010.
  52. Voir par exemple : Frans de Waal, Françoise Chemla et Paul Chemla, Le Bonobo, Dieu et nous aux origines animales de l’humanisme - avec dessins de l’auteur, Paris, Les Liens qui libùrent, 2013.
  53. Carl Cohen, « The Case for the Use of Animals in Biomedical Research », New England Journal of Medicine, vol. 315, issue 14, October 1986, pp. 865–870.
  54. Mark Rowlands, Animal Rights: A Philosophical Defence, Macmillan/St Martin’s Press, 1998 (ISBN 978-0-333-71131-6).
  55. Voir sur inra.fr.
  56. « Jocelyne Porcher, une manipulatrice engagée - Association Sentience », sur asso-sentience.net (consulté le )

Voir aussi

En français

En anglais

En italien

  • (it) Cesare Goretti, « L'animale quale soggetto di diritto » (L'animal comme sujet de droit) in Rivista di filosofia. 1928: 348

En espagnol

Articles connexes

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