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Dramaturgie (cinéma)

La dramaturgie est l’art de transformer une histoire, vraie ou imaginaire, en un rĂ©cit construit, comportant un ou des personnages en action. Au cinĂ©ma, et en gĂ©nĂ©ral dans les films, la dramaturgie est l’art du rĂ©cit par l’illusion de la vĂ©racitĂ© d’une reprĂ©sentation enregistrĂ©e.

N.B. : Il ne faut pas confondre le terme « dramatique », qui signifie "conforme aux rĂšgles de la dramaturgie" et qui peut ĂȘtre le rĂ©cit d’une histoire avec une fin heureuse ou malheureuse, avec « tragique », qui reflĂšte systĂ©matiquement l'idĂ©e de malheur. Ce n'est que par abus de langage que les deux termes ont Ă©tĂ© confondus.

Histoire et récit

Certains auteurs font une diffĂ©rence entre l’histoire et le rĂ©cit, en apportant Ă  ces synonymes un complĂ©ment de sens, telle Marie-France Briselance : « L’histoire, c’est ce qui s’est passĂ© dans la rĂ©alitĂ© ou ce qui aurait pu se passer (dans les fictions), rapportĂ© dans l’ordre chronologique. Le rĂ©cit est le traitement dramatique de cette histoire, c’est-Ă -dire la maniĂšre de la raconter, qui suppose de mettre l’accent sur des parties de l’histoire, d’en supprimer d’autres, et de contracter ou dilater le temps rĂ©el pour crĂ©er le temps de la narration[1]. »

D’autres auteurs ne s’appuient pas sur cette dichotomie et comparent « une bonne histoire » Ă  un processus organique. C’est le cas de John Truby : « On pourrait dire que le thĂšme, ou ce que j’appelle le dĂ©bat moral, est le cerveau de l’histoire. Le personnage principal en est le cƓur et le systĂšme circulatoire. Les rĂ©vĂ©lations en sont le systĂšme nerveux. La structure de l’histoire est son squelette. Le tissage des scĂšnes, sa peau[2]. »

Yves Lavandier analyse les mĂ©canismes fondamentaux de l’écriture des scĂ©narios. À son avis, le travail du scĂ©nariste doit ĂȘtre menĂ© par des rĂ©flexions sur 4 points :

  • le conflit. L’intĂ©rĂȘt du spectateur est d’assister aux moments forts de la vie d’un personnage, auxquels il rĂ©agit avec Ă©motion, ressentant l’envie de s’identifier avec ce personnage ;
  • l'objectif. Le hĂ©ros, le protagoniste, dĂ©sire obtenir quelque chose d’important, ce qui va provoquer des conflits avec ceux qui s’opposent Ă  son dĂ©sir ou qui visent le mĂȘme objet de dĂ©sir ;
  • les obstacles rĂ©sultent de cette opposition, et plus ils sont nombreux et difficiles Ă  surmonter, plus le protagoniste en sort aurĂ©olĂ© de gloire, Ă  la grande satisfaction du public (mĂȘme s’il meurt, car le hĂ©ros accepte toujours un enjeu, de grĂ© ou de force, qui, le plus souvent, est sa propre vie) ;
  • la caractĂ©risation du protagoniste et de ses opposants est essentielle pour construire le scĂ©nario puisqu’un personnage se bĂątit Ă  travers ses actions (en grec : Ύρ៶Όα, drama = action).

En rĂ©sumĂ©, Y. Lavandier affirme : « Quand on s’assoit devant un film, on n’est plus boulanger ou philosophe, institutrice ou agriculteur, clown ou infirmiĂšre, ni mĂȘme juif ou catholique, noir ou blanc, jeune ou vieux, homme ou femme, on est comme son voisin, un ĂȘtre humain avec les mĂȘmes besoins fondamentaux[3]. »

Ce que ne dĂ©ment pas M.-F. Briselance : « La dramaturgie, comme la psychanalyse, trouve ses racines dans les mythologies du monde entier, car partout les hommes ont fait les mĂȘmes rĂȘves, ils ont eu les mĂȘmes peurs et ont inventĂ© les mĂȘmes histoires dont ils ont fait d’infinies variations[4]. »

Tous ces auteurs se rejoignent aussi quand il s’agit de rĂ©pĂ©ter que le travail de conception de l’histoire et/ou du rĂ©cit d’un film est un travail de type littĂ©raire. Le langage filmique, qui est celui du rĂ©alisateur, apportera ensuite le style et ce qui fera qu’un film deviendra un modĂšle du genre, une pĂąle copie ou un navet. Les deux versions de l’histoire de L’Homme qui en savait trop, malgrĂ© un mĂȘme thĂšme (sujet), forment deux rĂ©cits distincts et le style d’Alfred Hitchcock, qui a rĂ©alisĂ© les deux films (L'Homme qui en savait trop (film, 1934) et L'Homme qui en savait trop (film, 1956), apporte un supplĂ©ment de personnalisation Ă  ces deux histoires proches mais aux rĂ©cits diffĂ©rents.

Structure du récit

Lorsqu’un scĂ©nariste aborde la mise en place des Ă©lĂ©ments de dramaturgie qu’il a amassĂ©s pour bĂątir son rĂ©cit, comme tous ceux qui ont Ă  imaginer comment communiquer aux autres l’idĂ©e qui leur est venue, il est forcĂ© de rĂ©soudre un problĂšme crucial : par oĂč commencer, et comment poursuivre ?

François Truffaut, conscient que l’art du cinĂ©ma est basĂ© sur une maĂźtrise de l’espace et du temps, livrait une rĂ©flexion symptomatique : « Au moment de Tirez sur le pianiste, je me suis rendu compte que, dans mon travail de scĂ©nariste, j’avais tendance Ă  ĂȘtre banal et scolaire. Quand je commençais un scĂ©nario, c’était toujours trĂšs laborieux : la pĂ©nombre - dans une chambre - le rĂ©veil sonne - il se lĂšve - il met un disque - il allume une cigarette - aprĂšs, il va Ă  son travail
 Il y avait toujours la premiĂšre journĂ©e dĂ©crite comme cela. Quand j’avais un nouveau dĂ©cor, c’était identique : je faisais circuler le personnage dans chaque piĂšce pour qu’on voie bien l’appartement. À certains moments, c’était un peu laborieux. Il me manquait le courage de prendre des scĂšnes en plein milieu »[5].

La tradition grecque d’Aristote, dans sa PoĂ©tique[6], un traitĂ©, Ă©crit vers 335 av. J.-C., destinĂ© Ă  expliquer comment un conteur (un aĂšde) doit raconter une histoire, est le plus souvent considĂ©rĂ©e comme le dĂ©but de la rĂ©flexion humaine sur ce problĂšme, avec la thĂ©orie des « Trois actes » : tout rĂ©cit est d’abord une exposition (protase), oĂč l’objectif du hĂ©ros est expliquĂ©, suivie d’un nƓud dramatique (Ă©pitase), oĂč entrent en lutte le hĂ©ros et ses antagonistes, avec un dĂ©nouement mouvementĂ© (catastase), oĂč le hĂ©ros surmonte tous les obstacles et atteint son objectif, amenant chez le spectateur une catharsis, la « purification de ses passions »[7].

L’aĂšde HomĂšre, dĂšs la fin du VIIIe siĂšcle av. J.-C., comprend ce que François Truffaut dĂ©couvre vingt-huit siĂšcles plus tard, comme preuve que l’auteur (de piĂšces de thĂ©Ăątre, de romans ou de films) se doit d’errer comme ses prĂ©dĂ©cesseurs pour comprendre les mĂ©canismes de son art : « Dans l’Iliade[8], qui, par sa composition en chants Ă©piques, est une Ɠuvre dramatique, HomĂšre, pour raconter la guerre de Troie qui a durĂ© dix ans de prĂ©paratifs et dix annĂ©es de siĂšge, a concentrĂ© son rĂ©cit sur une pĂ©riode de cinquante-cinq jours, situĂ©e pendant la derniĂšre annĂ©e de la guerre »[9].

Un autre modĂšle cĂ©lĂšbre du dĂ©but d’un rĂ©cit, pris le plus tard possible dans l’histoire, est ƒdipe roi[10], de l’auteur tragique grec Sophocle, Ă©crit au Ve siĂšcle av. J.-C. « La piĂšce de Sophocle, rappelle Yves Lavandier, commence alors que ƒdipe a dĂ©jĂ  :

  • Ă©tĂ© abandonnĂ© par ses parents ;
  • Ă©tĂ© recueilli par les souverains de Corinthe ;
  • grandi Ă  Corinthe ;
  • appris qu’il devait tuer son pĂšre et Ă©pouser sa mĂšre ;
  • fui Corinthe, croyant fuir ses vĂ©ritables parents ;
  • rencontrĂ© et tuĂ© un inconnu (LaĂŻos, son pĂšre) ;
  • rĂ©solu l’énigme du Sphinx ;
  • accĂ©dĂ© au trĂŽne de ThĂšbes ;
  • Ă©pousĂ© la veuve de LaĂŻos (Jocaste, sa mĂšre) ;
  • fait quatre enfants ;
  • dĂ©plorĂ© les ravages de la peste »[11].

C’est cette accumulation d’évĂ©nements importants du passĂ©, Ă©voquĂ©s au cours des scĂšnes, qui fait la force Ă©motionnelle de la piĂšce. Les scĂ©naristes ne peuvent pas mener leur ouvrage comme une piĂšce ou un roman ; leur film serait trop bavard et manquerait d’actions, Ă  moins d’utiliser des flashbacks, mais ce mode de retour en arriĂšre au cinĂ©ma sur un Ă©vĂ©nement passĂ© doit ĂȘtre installĂ©, montrĂ©, puis abandonnĂ© pour revenir au rĂ©cit prĂ©sent, c’est donc un dispositif un peu laborieux. Il n’a donc pas l’instantanĂ©itĂ© de la phrase, et la capacitĂ© que l’auteur de l’écrit a de revenir Ă  tout moment pour prĂ©ciser l’évĂ©nement. Quand le scĂ©nariste le peut, c’est pour deux, trois, tout au plus quatre flashbacks dans un film. Mais « le scĂ©nariste dispose d’un outil extraordinaire : le langage cinĂ©matographique, et il doit toujours avoir en tĂȘte qu’un scĂ©nario est une histoire Ă©crite en images avec des mots, et qui devra ĂȘtre rĂ©alisĂ©e en images mais avec des plans. Car un film ne donne pas Ă  voir le rĂ©el, il propose une interprĂ©tation du monde qui est celle de ses auteurs, scĂ©nariste et rĂ©alisateur. Le cinĂ©ma est bien davantage qu’une succession d’images. Comme la littĂ©rature, il relĂšve d’une Ă©criture, c’est-Ă -dire d’un outil d’abstraction et d’imagination, qui construit, dĂ©construit, puis reconstruit le monde filmĂ©[12]. »

Le dĂ©but d’un film peut ĂȘtre constituĂ© d’un flashback qui n’a pas besoin de mots pour ĂȘtre exposĂ©. La comprĂ©hension de ce flashback se fera par la suite, aussi bien par le dialogue que par le sujet des sĂ©quences, apportant un grand plaisir au spectateur qui peut dĂ©coder mentalement le dĂ©but du film en remplissant les informations qu’il reçoit plus tard. L’utilisation du flashback est depuis de nombreuses dĂ©cennies admise par le public qui comprend, on pourrait dire instinctivement, les procĂ©dĂ©s de jeu avec le temps et l’espace, caractĂ©ristiques des films. Comme le remarque le scĂ©nariste et auteur de thĂ©Ăątre Jean-Claude CarriĂšre, « nous interprĂ©tons sans aucun effort ces images juxtaposĂ©es, ce langage. Mais ce rapport trĂšs simple auquel nous ne prĂȘtons plus aucune attention, ce rapport automatique, rĂ©flexe, qui fait partie de notre systĂšme de perception comme une sorte de sens supplĂ©mentaire, a constituĂ© [
] une rĂ©volution discrĂšte mais rĂ©elle[13]. »

Personnages

Les secrets de la crĂ©ation des personnages d’un film font l’objet de maints ouvrages depuis les annĂ©es 1910. En 1911, la technique du cinĂ©ma, la dramaturgie, des exemples de scĂ©narios, un glossaire des termes techniques, font l’objet du livre d’un certain Epes Winthrop Sargent, qui est le premier auteur du genre : The Technique of the « photoplay »[14], un livre qui est une rĂ©ponse Ă  la demande des services de production des studios, Ă  une Ă©poque oĂč commence rĂ©ellement l’industrie du cinĂ©ma et oĂč l’on recherche des gens capables de fournir des synopsis faisables. Il contient dĂ©jĂ  tout ce qui sera Ă©crit dans le siĂšcle suivant sur le sujet. Il donne un conseil aux scĂ©naristes : « Un maximum de 250 mots [20 lignes – 1 page] est exigĂ© par la majoritĂ© des studios et certains retournent systĂ©matiquement les synopsis trop longs en demandant Ă  leurs auteurs de les rĂ©duire. La norme de 250 mots a Ă©tĂ© Ă©tablie par l’Edison Manufacturing Company, parce que chacune de ses monteuses reçoit un exemplaire de tous les projets acceptĂ©s. » Rappelons qu’en 1911, la photocopie n’existait pas.

Les manuels d’aujourd’hui ne prĂ©tendent pas donner les clĂ©s du succĂšs aux scĂ©naristes (chaque auteur met en garde ses lecteurs sur les piĂšges de l’écriture dramatique), mais ils Ă©voquent comme base de connaissances Ă©lĂ©mentaires les rĂšgles de la crĂ©ation de personnages au thĂ©Ăątre, Ă©tudiĂ©s depuis l’antiquitĂ©, et les spĂ©cificitĂ©s du langage filmique. Aristote est mis Ă  contribution, qui s’exprimait dans sa PoĂ©tique pour conseiller les jeunes auteurs de tragĂ©dies, en leur rappelant que « la tragĂ©die est une imitation, non pas des hommes, mais de leurs actions dans la vie
 Les hommes possĂšdent telles ou telles qualitĂ©s par naissance, mais ce sont leurs actions qui les font heureux ou malheureux. Ainsi, les personnages d’une tragĂ©die ne doivent pas agir pour se conformer au caractĂšre auquel ils se rattachent, mais leur caractĂšre doit se rĂ©vĂ©ler par leurs actions
 Il ne saurait y avoir de tragĂ©dies sans actions »[15].

Dans un film, « caractĂ©riser un personnage, c’est Ă  la fois lui inventer un caractĂšre et mettre en scĂšne sa personnalitĂ©. « Dis-moi ce que tu fais et je te dirai qui tu es », affirme la sagesse populaire qui a payĂ© assez cher pour savoir qu’on connaĂźt la vraie nature d’un ĂȘtre humain Ă  ses actions. Ce proverbe, lĂ©gĂšrement modifiĂ©, pourrait trĂšs bien dĂ©finir ce qu’est la caractĂ©risation d’un personnage : « montre-nous ce que fait ton personnage et nous saurons qui il est » »[16].

John Truby rappelle que « les archĂ©types traversent les frontiĂšres culturelles et ont une portĂ©e universelle
 Mais pour l’auteur, il s’agit d’une matiĂšre premiĂšre qu’il faut travailler. Si l’on ne pourvoit pas l’archĂ©type de dĂ©tails, il se transforme en stĂ©rĂ©otype »[17].

La liste qu’il dresse des archĂ©types tient en neuf points :

  • le roi ou le pĂšre, forces tutĂ©laires bĂ©nĂ©fiques mais tyrans en puissance ou avĂ©rĂ©s ;
  • la reine ou la mĂšre, forces protectrices mais souvent abusives ;
  • le vieillard sage, le mentor ou le professeur, conseillers judicieux mais frileux ;
  • le guerrier, champion du droit mais adorateur de la force brute ;
  • le magicien ou le shaman, faiseurs de miracles mais aussi d’illusions ;
  • l'escroc, dĂ©rivĂ© moderne du magicien ;
  • l'artiste ou le clown, faiseurs de rĂȘves mais parfois crĂ©ateurs de cauchemars ;
  • l'amoureux, partenaire attentif mais passionnĂ© possessif ;
  • le rebelle, libĂ©rateur mais oppresseur Ă  son tour.

On peut recouper cette liste avec celle des archĂ©types de la lĂ©gende d’Isis et d’Osiris, le rĂ©cit le plus ancien de l’humanitĂ© (XXVe siĂšcle - XXIVe siĂšcle avant notre Ăšre), telle que la dĂ©cryptent Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin dans leur livre sur le personnage[18]. Osiris est sans conteste le roi et le pĂšre. De mĂȘme qu’Isis est la reine ou la mĂšre. Thot, qui aide Osiris dans le jugement des morts, est le sage qui ouvre la fĂ©licitĂ© aux bonnes Ăąmes et jette les mĂ©chantes en pĂąture Ă  la « grande dĂ©vorante » (le dĂ©mon). Le guerrier ne peut ĂȘtre que Horus qui provoque en duel Seth, l’assassin de son pĂšre, Osiris. Le magicien est Anubis, artisan de la vie immortelle et de la premiĂšre momie, celle d’Osiris. L’artiste ou le clown peuvent dĂ©signer le susnommĂ© Thot, dieu de la Lune et des scribes, vieillard sage qui dĂ©crit le monde idyllique du passĂ© et prĂ©dit un futur apocalyptique (pour les « mĂ©chants »). L’amoureux est plutĂŽt une amoureuse, c’est Isis et sa quĂȘte passionnĂ©e de la dĂ©pouille de celui qu’elle aime et ressuscite. Le dernier archĂ©type, le rebelle, est Ă©videmment Seth, transgresseur et jaloux, fratricide et prĂ©dateur. Mais les caractĂ©ristiques de ces archĂ©types conviennent aussi en partie aux autres archĂ©types, ajoutant ainsi les « dĂ©tails » dont parle John Truby. Car Isis est non seulement reine et mĂšre, et amoureuse, mais elle est aussi magicienne, capable de ressusciter son Ă©poux dĂ©cĂ©dĂ© et de le « chevaucher pour ĂȘtre fĂ©condĂ©e »[19]. Quant Ă  Seth, il est le rebelle, mais aussi le guerrier puisque sa protection des dieux, qui refusent que Horus lui prenne la vie, est la rĂ©compense du combat courageux qu’il mĂšne chaque nuit quand la barque solaire navigue sous terre, selon les croyances de l’Égypte antique, et que le serpent Apophis tente de la dĂ©truire mais en est empĂȘchĂ© par Seth qui le harcĂšle sans rĂ©pit. On peut Ă©galement attribuer le rĂŽle de magicien Ă  Seth qui, par jalousie, a rĂ©ussi Ă  assassiner son frĂšre Osiris en employant la ruse et le mensonge (il est donc Ă©galement un escroc).

Le conflit protagoniste/antagoniste

Les deux pĂŽles opposĂ©s de la dramaturgie au cinĂ©ma sont le protagoniste et l’antagoniste :

Le protagoniste est, par traduction directe du grec, « celui qui combat en premiĂšre ligne », autrement dit, le hĂ©ros, « celui qui est capable d’exploits remarquables ». Le protagoniste est soutenu dans sa mission par diffĂ©rents alliĂ©s. « Son objectif, c’est ce que le personnage veut obtenir ou conquĂ©rir ; son enjeu, c’est la raison profonde, parfois cachĂ©e, qui le pousse Ă  risquer si gros, jusqu'Ă  sa vie, et qui le conduit Ă  aller jusqu’au bout de l’aventure quoi qu’il lui en coĂ»te et quelle que soit la dĂ©termination de ceux qui veulent lui faire obstacle[20]. » « Un hĂ©ros n’est intĂ©ressant que si le personnage contre lequel il se bat est intĂ©ressant[21]. »

L’antagoniste est l’adversaire du protagoniste, entourĂ© lui aussi d’alliĂ©s ou de traĂźtres au hĂ©ros. Son monde est le symĂ©trique opposĂ© de celui du protagoniste. Il vise le mĂȘme but que lui, et s’évertue Ă  dresser le maximum d’obstacles devant lui pour l’empĂȘcher d’avancer dans sa quĂȘte. TrĂšs souvent, il vise mĂȘme Ă  supprimer son concurrent. « En termes structurels, cela a une signification trĂšs prĂ©cise : le principal adversaire est la personne la plus Ă  mĂȘme d’attaquer la grande faiblesse du hĂ©ros. Et il doit l’attaquer sans relĂąche, constamment. L’adversaire nĂ©cessaire force le hĂ©ros Ă  surmonter sa faiblesse, ou bien le dĂ©truit. En d’autres termes, l’adversaire nĂ©cessaire permet au hĂ©ros d’évoluer[22]. »

La confrontation protagoniste/antagoniste n’est pas le seul moteur des actions des personnages. Elle ne se rĂ©duit pas au face Ă  face, sa nature est protĂ©iforme, subtile.

Le protagoniste n’a aucun antagoniste

Yves Lavandier, dans son analyse des rapports entre conflit et Ă©motion (du spectateur), note que le malheur des autres est un facteur d’intĂ©rĂȘt naturel Ă  l’ĂȘtre humain. « Est-ce de la compassion ? Ou plutĂŽt un certain plaisir Ă  voir que l’on n’est pas le seul Ă  souffrir et qu’il y a pire malheur que le sien ? Probablement un mĂ©lange des deux. Toujours est-il que l’ĂȘtre humain est attirĂ© par le malheur des autres[23]. »

Dans Le SixiĂšme Sens, [rĂ©alisĂ© par Manoj Night Shyamalan en 1999], le pĂ©dopsychiatre Malcolm Crowe est blessĂ© griĂšvement tout au dĂ©but du film par l’un de ses anciens patients. Quelques mois plus tard, apparemment remis de sa blessure, il est obsĂ©dĂ© par une idĂ©e fixe : il ne s’est pas assez intĂ©ressĂ© au malade, il a commis une faute professionnelle qu’il ne doit pas rĂ©itĂ©rer. C’est pourquoi il s’attache Ă  rĂ©soudre les problĂšmes psychologiques d’un jeune garçon, Cole Sear, dont le seul souhait est de ne plus avoir peur car les victimes de morts violentes lui apparaissent, non pas en cauchemars, mais en rĂ©alitĂ©. Et elles ne savent pas qu’elles sont mortes, prĂ©cise-t-il. Dans ce film, aucun conflit n’apparaĂźt. Le malade assassin du dĂ©but n’est pas un vĂ©ritable antagoniste, il disparaĂźt aussitĂŽt. Aucune ombre de conflit n’intervient entre Cole et le mĂ©decin. Ils se contentent de se raconter eux-mĂȘmes, car le garçon semble comprendre que Malcolm souffre lui aussi d’un mal dont il n’est pas conscient, et il le fait se confier. « Le scĂ©nario cache l’essentiel, qu’il ne rĂ©vĂ©lera qu’à la fin du film, Malcolm va mourir de sa blessure
 C’est pour cela que son Ă©pouse, qu’il va parfois visiter, semble le bouder et ne lui adresse jamais la parole. Il croit qu’elle est fĂąchĂ©e, mais en rĂ©alitĂ© elle ne le voit pas »[24]. Cole, qui souffre de compassion pour des Ăąmes qui errent sans trouver la paix de la mort, rĂ©sout un mystĂ©rieux assassinat, et surtout il aide le pĂ©dopsychiatre Ă  se dĂ©tacher dĂ©finitivement de la vie en lui permettant de dire adieu Ă  son Ă©pouse, ce dont sa mort brutale l’avait privĂ© : « Je sais comment vous pouvez parler Ă  votre femme. Parlez-lui pendant son sommeil, elle vous Ă©coutera. » GrĂące au jeune garçon, l’ombre errante de Malcolm se dissout doucement dans la nuit.

Dans Always, rĂ©alisĂ© en 1989 par Steven Spielberg, le hĂ©ros, Pete Sandich, pompier de l’air, se tue en survolant un incendie de forĂȘt Ă  trop basse altitude. CoupĂ© du monde des vivants, il n’en est pas moins liĂ© par l’amour ou l’amitiĂ© qu’il Ă©prouvait pour sa fiancĂ©e et pour une apprentie-pilote. Il revient en esprit afin de les soutenir et les conseiller. Sa survie dans l’au-delĂ  est bien sĂ»r ignorĂ©e de tous. D’abord guerrier du feu, Pete devient le mentor de sa protĂ©gĂ©e. L’absence complĂšte de conflit dans le rĂ©cit et d’antagoniste est compensĂ©e par la lutte mortelle contre le feu.

Le protagoniste et l’antagoniste sont confondus

Dans certains films, trĂšs rares, le protagoniste et l’antagoniste sont un mĂȘme et seul personnage. Le personnage principal s’affronte Ă  un seul obstacle : lui-mĂȘme, et la victoire, s’il en est, se fait sur sa propre personne. C’est le cas de John Merrick, dans Elephant Man, rĂ©alisĂ© en 1980 par David Lynch. L’homme prĂ©sente un syndrome de ProtĂ©e, sa tĂȘte est monstrueusement dĂ©veloppĂ©e. Sa difformitĂ© l’oblige Ă  se cacher, mais il faut bien vivre, il est exhibĂ© par un tourneur forain d’attraction des horreurs. Le conflit du film est centrĂ© sur les efforts que fait John Merrick pour prouver au monde normal que sa disgrĂące physique cache un ĂȘtre sensible, capable d’éprouver des souffrances morales, mais aussi de l’amour. S’accepter tel qu’il est constitue l’obstacle majeure Ă  sa trajectoire de reconstruction.

Pourtant, Yves Lavandier est rĂ©tif Ă  la caractĂ©risation proposĂ©e par le film. À son avis, un ĂȘtre comme John Merrick ne peut tirer de sa maladie et de sa situation qu’une irrĂ©versible amertume. « Les monstres physiques prĂ©sentĂ©s dans La Monstrueuse Parade ou Elephant Man (
) correspondent Ă  une vision romantico-judĂ©o-chrĂ©tienne de la monstruositĂ©, qui laisse entendre que l’anormalitĂ© est rĂ©demptrice »[25].

Les efforts hĂ©roĂŻques des athlĂštes des Jeux paralympiques seraient-ils une rĂ©futation du point de vue d’Yves Lavandier ? Un enfant handicapĂ©, aimĂ© aussi bien que mal aimĂ© par ses parents, peut devenir un adulte attentionnĂ© et aimable, gĂ©nĂ©reux et optimiste. Et dans le cadre plus Ă©troit de la dramaturgie au cinĂ©ma, ce passage d’un Ă©tat Ă  l’autre d’un personnage est un Ă©lĂ©ment positif et fort du rĂ©cit, puisque tous les manuels d’écriture de scĂ©nario prĂ©conisent qu’il faut « rendre le hĂ©ros et l’adversaire similaires par certains aspects »[26], et que « le conflit entre le hĂ©ros et l’adversaire n’est pas un conflit entre le bien et le mal mais celui de deux personnages qui ont des faiblesses et des besoins »[27]. Le protagoniste handicapĂ© est amenĂ© Ă  lutter contre son handicap, y compris au niveau des effets nĂ©fastes de son Ă©tat sur son caractĂšre. Le fait qu’il soit ainsi le protagoniste et son antagoniste n’est ni incompatible avec la psychologie, ni surtout avec les nĂ©cessitĂ©s de la dramaturgie.

Mais le couple protagoniste/antagoniste Ă  l’intĂ©rieur du mĂȘme personnage ne dĂ©bouche pas obligatoirement sur sa victoire. Ainsi, dans le film rĂ©alisĂ© en 1975 par Chantal Akerman, Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, Jeanne rĂ©cuse sa propre personne humaine et finit par succomber au nĂ©ant dont elle est persuadĂ©e qu’elle est faite. « Jeanne Dielman, qui se prostitue autant par nĂ©cessitĂ© Ă©conomique que pour remplir sa vie, aprĂšs avoir tuĂ© l’un de ses clients, reste immobile, prostrĂ©e, attendant elle ne sait quoi, un plan long, d’une durĂ©e de 5 minutes 30 »[28]. Ce plan en longueur (qui n’est pas un plan-sĂ©quence) fait penser qu’elle accepte d’avance son Ă©limination par une sociĂ©tĂ© dont elle attend passivement la punition.

Un tel conflit Ă  l’intĂ©rieur d’un mĂȘme personnage, en dehors de la prĂ©sence d’un autre antagoniste que lui-mĂȘme, se retrouve aussi bien dans Monster, le film Ă©crit et rĂ©alisĂ© en 2003 par Patty Jenkins, que dans De sang froid, le film rĂ©alisĂ© en 1967 par Richard Brooks, d’aprĂšs le roman Ă©ponyme de Truman Capote.

Un alliĂ© de l’antagoniste devient l’objectif du protagoniste

Un personnage proche de l’antagoniste devient l’objectif principal du protagoniste qui doit admettre les exigences de ce personnage pour obtenir ce qu’il dĂ©sire.

Ainsi, dans le western L'AppĂąt, rĂ©alisĂ© en 1953 par Anthony Mann, le personnage de Lina (Janet Leigh), est d’abord prĂ©sentĂ© comme Ă©tant la complice et amante du bandit Ben (Robert Ryan) recherchĂ© par le protagoniste, le chercheur de primes Howard (James Stewart). Une affection va naĂźtre entre la jeune femme et Howard, trahi autrefois par son Ă©pouse qui avait profitĂ© de son engagement dans la Guerre civile (guerre de SĂ©cession) pour suivre un autre homme en dĂ©possĂ©dant Howard de sa ferme qu’il avait mise Ă  son nom avant de partir Ă  la guerre oĂč il courait le risque d’ĂȘtre tuĂ©.

Vers la fin du film, Ben est abattu par un alliĂ© de Howard, aussi intĂ©ressĂ© que lui Ă  toucher la prime (partagĂ©e), mais lui-mĂȘme se noie en repĂȘchant le corps de Ben, emportĂ© par un torrent. Howard rĂ©cupĂšre le cadavre de Ben et le charge sur la selle d’un cheval pour retourner dans l’État Ă©loignĂ© qui recherche le bandit et offre une prime importante que le protagoniste veut empocher pour se racheter une ferme. Lina s’y oppose, exigeant que Howard enterre le corps de Ben. Et Howard comprend qu’il est tombĂ© amoureux de la jeune femme et que pour Ă©tablir une relation durable avec elle, il ne peut lui infliger ce retour en compagnie de la dĂ©pouille de son ex-amant. Il abandonne alors son objectif principal, qui Ă©tait la prime, pour emmener avec lui la jeune femme. Sans argent, il leur faudra refaire leur vie, mais cette fois l’un avec l’autre.

Dans Robin des bois, rĂ©alisĂ© en 1938 par Michael Curtiz, Sire Robin De Locksley (le pĂ©tillant Errol Flynn) est victime de sa tĂ©mĂ©ritĂ©. EmprisonnĂ©, il est condamnĂ© Ă  ĂȘtre pendu mais ses complices de la forĂȘt de Sherwood sauront le tirer Ă  temps de ce mauvais pas. Ce film est un modĂšle de dramaturgie au cinĂ©ma, mĂȘme s’il semble plutĂŽt simpliste. Les mĂ©chants se partagent les rĂŽles : le prince Jean, personnage historique revu par la lĂ©gende, est un fĂ©lon qui a trahi son roi, Richard Ier d'Angleterre (dit CƓur de Lion), parti en croisade. JouĂ© avec finesse par le comĂ©dien britannique Claude Rains, il se prĂ©sente comme un personnage froid qui se garde bien de porter les coups. Assassiner, « brancher » (pendre aux branches basses des arbres), est le fait du mĂ©chant, Sire Charles de Gisbourne, qui porte les traits sombres et aigus du comĂ©dien Basil Rathbone. Sire Charles aimerait Ă©pouser Lady Marian (la douce et lumineuse Olivia de Havilland), niĂšce du roi lĂ©gitime. Or, Robin des bois tombe amoureux de Lady Marian, une raison de plus pour Sire Charles d’éliminer son rival.

Son meilleur alliĂ© est au dĂ©but Lady Marian elle-mĂȘme, puisque, bien qu’elle ne soit pas amoureuse de Sir Charles, elle le considĂšre du moins comme un prĂ©tendant honorable, alors qu’elle juge Robin des bois comme un hors-la-loi qui doit ĂȘtre combattu. Son revirement dĂšs lors qu’elle comprend la fĂ©lonie du prince Jean et de son Ăąme damnĂ©e, Sir Charles, lui vaut d’ĂȘtre emprisonnĂ©e, mais aussi d’ĂȘtre sauvĂ©e par le chef de la bande de la forĂȘt de Sherwood, tous fidĂšles au roi Richard, l’oncle de Lady Marian.

Dans Tous en scĂšne, la comĂ©die musicale rĂ©alisĂ©e par Vincente Minnelli en 1953, le chorĂ©graphe Paul Byrd dirige la carriĂšre de Gabrielle Gerard (Cyd Charisse), une Ă©toile de la danse classique, dont il est aussi l’amant. Un projet de comĂ©die musicale sur scĂšne, qui se rĂ©vĂ©lera n’ĂȘtre qu’une grandiloquente et ridicule pseudo-tragĂ©die, les fait rencontrer Tony Hunter (Fred Astaire), un danseur de music-hall qui occupait le haut de l’affiche deux dĂ©cennies plus tĂŽt. ImmĂ©diatement, une forte opposition les dresse l’un contre l’autre : la jeune femme repousse le « danseur de claquettes », et le vieux beau la « ballerine ». Gabrielle Gerard et son chorĂ©graphe-amant tentent d’éloigner Tony Hunter, en vain. L’avant-premiĂšre est un Ă©chec, la piĂšce abandonnĂ©e. GrĂące Ă  la vente des tableaux de maĂźtres que Tony Hunter avait achetĂ©s quand leurs auteurs Ă©taient encore des inconnus, une nouvelle piĂšce est lancĂ©e, cette fois une vraie comĂ©die musicale. L’antagoniste, le chorĂ©graphe, refuse de se joindre Ă  ce projet, mais sa protĂ©gĂ©e, la « ballerine », accepte et se sĂ©pare de lui. Le vieux Tony et la jeune Gabrielle rĂ©ussissent alors Ă  se rejoindre par la danse et finalement, aprĂšs le succĂšs de leur spectacle, ils se rĂ©unissent dans la vie.

Dans La Mort aux trousses, le protagoniste, Roger Thornhill (Cary Grant), combat un groupe d’espions, menĂ© par un homme (James Mason) dont la maĂźtresse (Eva Marie Saint) semble, aux yeux de Thornhill, une ennemie active et dangereuse. Le hasard faisant bien les choses, et notamment les bons scĂ©naristes, le hĂ©ros s’éprend de la belle espionne, et celle-ci tombe dans le mĂȘme piĂšge. Roger Thornhill, qui mĂ©lange l’espionnage auquel il est forcĂ© de se consacrer, et l’amour auquel il ne peut plus Ă©chapper, fait courir un risque de mort Ă  la jeune femme qui est en fait un membre du contre-espionnage infiltrĂ© dans le groupe. Thornhill doit Ă  son tour entrer dans la peau d’un espion et risquer sa vie pour sauver la femme qu’il aime.

Le protagoniste est double

L’auteur d’une piĂšce de thĂ©Ăątre doit obligatoirement crĂ©er un protagoniste qui devient le fil conducteur de l’intrigue. PiĂšce en un, trois ou cinq actes, un ou plusieurs dĂ©cors, les possibilitĂ©s de navigation dans le temps et l’espace sont faibles. Alors que l’enregistrement de plans qui composent des sĂ©quences permet au cinĂ©aste de se dĂ©placer, aussi bien dans le temps que dans l’espace, comme dans un roman dont il n’a cependant pas la rapiditĂ© d’exĂ©cution[29]. En effet, le passage instantanĂ© d’un temps Ă  un autre, aller et retour, et le changement de lieu Ă  l’intĂ©rieur d’une mĂȘme phrase est un don d’ubiquitĂ© que seul le romancier possĂšde grĂące Ă  l’efficacitĂ© des mots, des phrases et de la conjugaison.

Les films peuvent ainsi ĂȘtre Ă©cartelĂ©s entre plusieurs personnages qui n’ont pas la fonction de protagoniste mais dont les trajectoires personnelles constituent la forme du rĂ©cit. Ce sont les films oĂč les personnages se croisent accidentellement (mais bien selon la volontĂ© du scĂ©nariste !), tels que Short Cuts, rĂ©alisĂ© par Robert Altman, astucieusement dĂ©signĂ© au QuĂ©bec sous le titre de ChassĂ©s-croisĂ©s. Deux Ă©lĂ©ments importants relient chaque personnage, ou plutĂŽt chaque couple de personnages, aux autres : le lieu (un quartier de Los Angeles) et la date (le jour de passage des hĂ©licoptĂšres qui vaporisent un produit insecticide, et le jour d’un tremblement de terre ordinaire, frĂ©quent dans la rĂ©gion). « Le spectateur profite des meilleurs morceaux de chaque partie de l’histoire, les plus significatifs du point de vue de la dramaturgie. En outre, il se voit investi d’un regard douĂ© d’ubiquitĂ©, il est Ă  la fois ici et ailleurs, dans les diffĂ©rents lieux oĂč se dĂ©roulent les actions, un regard chargĂ© d’un pouvoir omniscient dont la sensation est particuliĂšrement gratifiante »[30]. Le scĂ©nariste Frank Barhydt, s’appuyant sur l’ouvrage de l’écrivain Raymond Carver, Neuf histoires et un poĂšme, tresse les pĂ©ripĂ©ties tragiques ou drolatiques de chaque couple, les personnages se connaissent ou se sont rencontrĂ©s et sont ainsi liĂ©s dans une mĂȘme dramaturgie.

Certains scĂ©narios sont construits sur un couple insĂ©parable de protagonistes : des siamois qui n’en sont pas pour autant des jumeaux. Ainsi, les effrayants exĂ©cuteurs des basses Ɠuvres d’un certain Marsellus, Vincent Vega (John Travolta) et son ami Jules Winnfield (Samuel L. Jackson), dans Pulp Fiction, Ă©crit et rĂ©alisĂ© en 1994 par Quentin Tarantino, forment un Ă©trange duo de professionnels du crime. Le premier, beau gosse Ă  la chevelure raide de gel, amateur dĂ©sinvolte de clabaudages en tous genres, et le second, tueur maniaque fĂ©ru de citations bibliques et furieux moraliste, agissent « comme un seul homme » face Ă  tout danger.

Le protagoniste est parfois un objet, auquel ne peut s’identifier le spectateur. Il lui faut alors le soutien d’un second protagoniste de type humain ou pour le moins humanoïde.

C’est ainsi que dans Un amour de coccinelle, rĂ©alisĂ© en 1968 par Robert Stevenson, Jim Douglas, le coureur automobile qui n’a pas rĂ©ussi d’exploits sportifs remarquables, est sauvĂ© de son manque de talent par Coccinelle, une VW qui, elle, n’en manque pas, et, faut-il le prĂ©ciser, qui est une voiture un peu magique, une sorte de fĂ©e qui se penche avec affection sur le petit monde de ceux qui n’ont rien pour gagner. En face d’elle, un couple de jeunes gens dont elle va favoriser les amours, et un mĂ©cano plutĂŽt sympathique. Heureusement qu’il y a ce trio, car le public ne verrait dans ce film que de bons truquages Ă  partir de courses automobiles, s’il ne pouvait pas s’identifier Ă  des personnages humains. Mais le hĂ©ros est rĂ©ellement la voiture, c’est elle qui est la plus rapide et surtout la plus intelligente.

Avec Christine, le film rĂ©alisĂ© par John Carpenter en 1983 d’aprĂšs Stephen King, le scĂ©nario utilise la mĂȘme dichotomie machine-ĂȘtre humain, mais cette fois en tragĂ©die car Christine est une crĂ©ature malĂ©fique. C’est une Ă©pave automobile, « toute cabossĂ©e et dĂ©glinguĂ©e, qui tombe amoureuse du jeune Arnie Cunningham qui l’a remise en Ă©tat. Elle devient jalouse et possessive au point de vouloir tuer sa rivale, une jeune fille trop jolie et trop humaine »[31]. LĂ  aussi, le rĂ©flexe du spectateur pourrait ĂȘtre, et si ma propre voiture Ă©tait une arme ? On comprend que c’est lĂ  le message favori de Stephen King : sa mĂ©fiance en la technologie[32]. La prĂ©sence d’Arnie permet au spectateur, non pas de s’identifier Ă  lui puisque le jeune homme choisit d’ĂȘtre aussi mĂ©chant que son vĂ©hicule, mais lui permet de comprendre la jalousie anthropomorphique de Christine.

Le film WALL-E, dessin animĂ© rĂ©alisĂ© par Andrew Stanton, met en place un couple de protagonistes qui ne sont autres que des androĂŻdes : WALL-E, une machine intelligente programmĂ©e pour rĂ©cupĂ©rer les mĂ©taux qui traĂźnent en abondance dans une planĂšte Terre complĂštement dĂ©vastĂ©e par la surproduction industrielle et abandonnĂ©e par ses occupants humains, et EVE, un robot femelle, envoyĂ© sur Terre pour rapporter d’éventuelles traces de vie vĂ©gĂ©tale, afin de savoir si l’exode humain pourrait s’inverser. NaĂźt alors une histoire d’amour entre les deux machines, dont les pouvoirs ne sont pas identiques. WALLE-E ne sait que rouler Ă  l’aide de ses chenilles, EVE vole et possĂšde des armes de destruction.

Le spectateur est amusĂ©, voire attendri par cette histoire, mais les scĂ©naristes ont ajoutĂ© un objectif plus comprĂ©hensible par le public que l’amour chaste Ă©prouvĂ© par les deux robots. Un troisiĂšme protagoniste les supplĂ©e dans cette mission : le capitaine McCrea, qui dirige un vaisseau spatial oĂč l’humanitĂ© s’est rĂ©fugiĂ©e, loin de sa Terre d’origine. Le capitaine possĂšde un don que n’ont pas les robots : il parle. C’est par son biais que le spectateur comprend l’enjeu de WALL-E et de EVE.

Dans Star Wars, existent deux machines trĂšs diffĂ©rentes l’une de l’autre : D2-R2 et C-3PO, mais elles ne sont pas les protagonistes des films, seulement des personnages secondaires, et C-3PO maĂźtrise toutes les langues de l’univers, ce qui est un lien trĂšs fort avec le public.

Pour rĂ©sumer ce point, une rĂ©flexion d’Yves Lavandier : « Pour atteindre au rĂ©alisme, la dramaturgie ne doit pas hĂ©siter Ă  utiliser l’artifice »[33].

Le protagoniste et ses alliés

Le protagoniste est le plus souvent entourĂ© d’alliĂ©s qui jouent dans la dramaturgie du film des rĂŽles diffĂ©rents.

  • Le confident.

Venu tout droit de la dramaturgie du thĂ©Ăątre, ce personnage est un proche dont la prĂ©sence auprĂšs du hĂ©ros permet Ă  celui-ci de rĂ©flĂ©chir tout haut sans paraĂźtre ridicule. En fait, au niveau personnage, le confident est au service du protagoniste, il l’admire sans limite et il est son faire-valoir. « S’il est bon de donner un objectif Ă  tous les personnages d’une histoire, mĂȘme mineurs, il arrive que certains n’en aient pas. Ces personnages n’ont alors d’autre utilitĂ© que d’écouter un personnage plus important. Ils sont crĂ©Ă©s pour servir de rĂ©pondants. En bref, ils Ă©vitent Ă  l’auteur, surtout au cinĂ©ma, de faire monologuer leur personnage »[34].

C’est le cas du Docteur Watson, « aussi bien dans les diffĂ©rents Ă©pisodes de Sherlock Holmes, Ă©crits Ă  la fin du XIXe siĂšcle par Sir Arthur Conan Doyle, que dans les films qui en ont Ă©tĂ© adaptĂ©s, la plus grande partie du plaisir du lecteur ou du spectateur provient de ce dialogue incessant et contradictoire entre l’intuition aiguisĂ©e et inattendue de Holmes et le bon sens un peu lourd de Watson, qui reprĂ©sente en quelque sorte le lecteur ou le spectateur »[35].

C’est aussi le cas du colonel Hugh Pickering dans My Fair Lady, rĂ©alisĂ© par George Cukor, avec qui le professeur Henry Higgins (Rex Harrison) fait le pari de transformer Eliza Doolittle (Audrey Hepburn), la jeune fleuriste au langage de charretier, en une jeune femme du monde qui saura bluffer la plus haute sociĂ©tĂ©. Le colonel (Ă  la retraite) est un pĂąle comparse mais qui, en gagnant la confiance de Higgins malgrĂ© leur pari, est bien placĂ© pour constater avec lui les progrĂšs d’Eliza et de chanter les louanges du cĂ©lĂšbre linguiste Ă  la fin du film. Mais dĂšs que Higgins remporte son pari et qu’il ne s’agit plus que de « boucler » l’histoire sentimentale entre le vieux beau et la demoiselle, le scĂ©nariste Alan Jay Lerner se dĂ©barrasse du colonel, dĂ©sormais personnage inutile.

  • Le meilleur ami.

C’est un personnage plus important que le confident, chargĂ© de recueillir les rĂ©flexions les plus intimes du protagoniste. Son rĂŽle est aussi de veiller sur lui, c’est-Ă -dire de le protĂ©ger des autres, mais aussi de lui car le meilleur ami est gĂ©nĂ©ralement plus lucide que son ami sur la situation Ă  un moment ou Ă  un autre du rĂ©cit. Dans la sĂ©rie Dr House, par exemple, le meilleur ami de Gregory House (Hugh Laurie), c’est James Wilson (Robert Sean Leonard), qui n’est pas sans regretter le comportement moqueur et provocateur de son ami, et les jugements Ă  l’emporte-piĂšce qu’il a sur tout un chacun et chacune. « DĂšs le dĂ©but, le personnage de House est construit pour exaspĂ©rer le tĂ©lĂ©spectateur par son comportement insociable
 Contrairement Ă  House, Wilson fait preuve d’affabilitĂ© vis-Ă -vis de quiconque se prĂ©sente Ă  lui. Il refuse de juger, chacun vit sa vie comme il peut ! House lui reproche son comportement, il y voit une marque de faiblesse, voire de lĂąchetĂ©. « Tu es sur terre pour donner ton opinion et l’imposer Ă  tes amis ». MalgrĂ© leurs reproches mutuels permanents, Wilson veille sur House comme s’il Ă©tait son frĂšre »[36].

Le meilleur ami est souvent celui qui aide le protagoniste Ă  comprendre ce qui se trame et l’empĂȘche de franchir tel ou tel obstacle. C’est la rĂ©vĂ©lation d’une vĂ©ritĂ© qui, jusqu’alors ignorĂ©e par le protagoniste, peut ĂȘtre formulĂ©e par le meilleur ami. Celui-ci gagne ainsi la sympathie du public et son Ă©coute. Le meilleur ami est chargĂ© alors de prĂ©senter un point de vue moral sur le protagoniste, et notamment sur ses Ă©garements, car le protagoniste intĂ©ressant est celui qui peine Ă  saisir la complexitĂ© des problĂšmes qu’il rencontre, et l’auteur ne peut s’abstenir d’ĂȘtre conscient des erreurs de son personnage principal. « Un problĂšme demeure : comment [le scĂ©nariste] peut-il exprimer son propre point de vue moral sur ce qui est bien ou mal si celui-ci est distinct de celui du hĂ©ros ? Les points de vue de l’auteur et du hĂ©ros ne sont en effet pas nĂ©cessairement les mĂȘmes[37]. » LĂ  encore, James Wilson est l’exemple d’un point de vue moral qui passe par les reproches qu’il adresse Ă  son ami, auxquels le spectateur adhĂšre car il partage avec le meilleur ami son Ă©tonnement et son dĂ©saveu devant le comportement paradoxal et souvent asocial de House. Mais comme lui, il ne peut qu’admirer le rĂ©sultat quand House dĂ©couvre le secret d’un Ă©tat maladif qui Ă©chappe Ă  tout diagnostic.

  • Le second, ou le bras droit.

Le hĂ©ros fait prendre des risques Ă  ceux qu’il entraĂźne, et son second prend parfois les coups Ă  sa place. C’est ainsi que sont tuĂ©s systĂ©matiquement les coĂ©quipiers de Harry Calahan, Dirty Harry, policier de San Francisco aux mĂ©thodes brutales, dans L'Inspecteur Harry. Seconder le protagoniste est un rĂŽle dangereux dans la dramaturgie des films d’action, mais la colĂšre que leur assassinat provoque chez le hĂ©ros est salutaire, comme ce fut le cas dans l’Iliade, l’épopĂ©e d’HomĂšre, quand le valeureux Achille est privĂ© de son amant, tuĂ© par Hector, le champion des Troyens dont Achille et les Grecs assiĂšgent la ville durant la guerre de Troie. Achille, en dĂ©saccord avec ses compatriotes, s’était retirĂ© sous sa tente. La mort de son amant Patrocle lui procure la fameuse colĂšre d’Achille qui va faire de lui une machine Ă  tuer. Harry Callahan est un Achille du XXe siĂšcle.

Par le jeu surnaturel du dĂ©calage temporel, le personnage de Kyle dans Terminator est intĂ©ressant pour deux raisons : il est Ă  la fois le futur gĂ©niteur de son chef, et le bras droit de celui-ci. Dans cette perspective, il est envoyĂ© dans le passĂ© afin de protĂ©ger la future mĂšre du chef de la rĂ©bellion des humains contre la domination des machines. En lui Ă©vitant d’ĂȘtre tuĂ©e par un « terminator », un robot humanoĂŻde envoyĂ© pour empĂȘcher la jeune femme de procrĂ©er, Kyle est aussi en quelque sorte son second, de mĂȘme qu’il devient son coĂ©quipier en devenant son amant. « La foi de Kyle est totale, il connaĂźt l’avenir, il en vient. Il sait maintenant qu’il est le pĂšre de John Connor, ou plutĂŽt qu’il doit le devenir. Sa mission est de protĂ©ger Sarah et de lui faire un enfant
 Il sait aussi qu’il va mourir, peut-ĂȘtre en dĂ©fendant Sarah contre le terminator, ou seul, parmi les victimes du cataclysme nuclĂ©aire, puisque John Connor lui a dit que son pĂšre Ă©tait dĂ©jĂ  mort quand il est venu au monde »[38]. Les seconds ont souvent la vocation du martyre, et les scĂ©naristes ne sont pas Ă©trangers Ă  cette coutume.

Dans Le Seigneur des anneaux, Sam Gamegie est au service de « Monsieur Frodon » (Frodon Sacquet) dans son expĂ©dition organisĂ©e pour dĂ©truire le maĂźtre anneau convoitĂ© par les forces du mal (Sauron) et le difforme Gollum. Mais Gollum, pour qui Sam Gamegie ne cache pas son hostilitĂ© car il a compris la duplicitĂ© du personnage, rĂ©ussit Ă  ruiner la confiance que Frodon Ă©prouvait pour son ami et bras droit. Le faux alliĂ© Gollum triomphe ainsi quelque temps et peut mener Frodon dans un piĂšge, tandis que Sam est meurtri par le dĂ©saveu de celui qu’il a promis solennellement au mage Gandalf de protĂ©ger. Le hĂ©ros trahit son coĂ©quipier et fait montre d’un aveuglement auquel il Ă©chappera aprĂšs avoir risquĂ© sa vie en repoussant Sam et en Ă©coutant les conseils de Gollum. Sam Gamagie participe Ă  ce qu’on appelle une ironie dramatique, car il sait aussi bien que les spectateurs, que Gollum est un traĂźtre et qu’en lui faisant confiance, Frodon court au devant de grands dangers.

Un maĂźtre guide le protagoniste

Dans l’OdyssĂ©e, HomĂšre, estimant que le jeune fils d’Ulysse, parti Ă  la recherche de son pĂšre victime de multiples alĂ©as maritimes, n’a pas encore la maturitĂ© nĂ©cessaire Ă  un pĂ©riple qui peut le mener trĂšs loin de son rivage, a mis Ă  ses cĂŽtĂ©s un sage personnage, Mentor, un vieillard qui est en rĂ©alitĂ© un avatar de la dĂ©esse AthĂ©na qui veut protĂ©ger le jeune homme. Sans ce personnage, il eut Ă©tĂ© invraisemblable qu’un tout jeune homme qui n’a connu de la vie que celle de la cour d’Ithaque dont Ulysse est le roi lĂ©gitime, puisse dĂ©jouer tous les piĂšges semĂ©s sur sa route. Aujourd’hui, Mentor est devenu un nom commun qui dĂ©signe un conseiller sage et expĂ©rimentĂ©, un mentor[39].

Dans Star Wars, Yoda est un mentor, et sa présence et son enseignement ne sont pas étrangers à la réussite finale du jedi Luke Skywalker.

De mĂȘme, dans Le Seigneur des anneaux, le mage Gandalf est un mentor qui, par son expĂ©rience, tire plusieurs fois le protagoniste de mauvaises passes, et qui, par ses pressentiments et ses connaissances des lieux oĂč rĂšgne le mal, participe au suspense.

Molly Brown (Kathy Bates), dans Titanic, est une parvenue qui en impose au monde conventionnel des « premiĂšres classes » par l’ampleur de sa fortune, mais qui se rappelle ce qu’elle Ă©tait avant cette accession, et elle conseille Jack Dawson (Leonardo DiCaprio) pour Ă©viter l’humiliation publique en acceptant une invitation Ă  une table de riches voyageurs. Telle une fĂ©e bienfaitrice, Molly mĂ©tamorphose mĂȘme son protĂ©gĂ© en lui faisant endosser le smoking de son ex-mari. Le mentor est en effet dotĂ© de dons extraordinaires : Yoda et Gandalf les exploitent avec mesure, sauf Gandalf pour amuser les enfants hobbits.

Dans le film Pinocchio des Studios Disney, Jiminy Cricket, le petit grillon que la FĂ©e bleue (personnage trĂšs secondaire) charge de guider la marionnette vivante Ă  travers les embĂ»ches de la vie, est un mentor sans dons particuliers, si ce ne sont sa bonne Ă©ducation (c’est un grillon du foyer) et son sens moral trĂšs dĂ©veloppĂ©.

Le sacrifice du protagoniste

Le sacrifice du hĂ©ros ne peut jamais ĂȘtre vain, la dĂ©ception, le chagrin, la colĂšre des spectateurs en sortant du film est un danger du bouche Ă  oreille qui peut diminuer les recettes d’un film. Lorsque le scĂ©nariste dĂ©cide de faire mourir le protagoniste, il lui faut payer en retour le spectateur par des compensations dramatiques et affectives. Il est nĂ©cessaire que le hĂ©ros rĂ©ussisse Ă  atteindre son objectif avant de mourir, et sa mort sera alors traitĂ©e en apothĂ©ose de victoire, de façon que le public puisse faire son deuil d’un personnage dont il a suivi, parfois en s’y identifiant, les pĂ©ripĂ©ties de sa vie telle qu’elle est contĂ©e dans le film.

Ainsi, le gĂ©nĂ©ral Maximus (Russell Crowe), rejetĂ© au rang de combattant des arĂšnes, dans Gladiator, rĂ©ussit Ă  vaincre l’empereur fourbe qui a fait assassiner sa famille, mais il meurt aussitĂŽt, frappĂ© lĂąchement d’un coup de stylet avant le combat. Sa victoire qui lui a coĂ»tĂ© la vie est acclamĂ©e par les autres gladiateurs et l’armĂ©e romaine, mais une postface avec un gladiateur noir rappelle que dans ses croyances, son Ă©pouse et son enfant assassinĂ©s l’attendent dans les Champs Ă©lysĂ©ens, douce consolation pour le spectateur attristĂ© mais rĂ©compensĂ© de son chagrin.

Dans Il faut sauver le soldat Ryan, « une mĂšre apprend que trois de ses fils sont morts. Il lui en reste encore un qui se trouve quelque part en Normandie. Ce dernier fils, l’état-major dĂ©cide de l’épargner. D’autres hommes, une dizaine, vont mourir en recherchant le soldat Ryan, ce qui peut sembler absurde, mais aussi se comprendre selon l’idĂ©al dĂ©mocratique : il n’est pas juste qu’une mĂšre donne tous ses fils, tandis que d’autres conserveraient les leurs »[40]. Le capitaine John Miller (Tom Hanks) est chargĂ© de diriger une unitĂ© pour retrouver Ryan. Lorsque, enfin, il a devant lui le soldat recherchĂ©, alors que lui-mĂȘme est blessĂ© mortellement, sa mission est accomplie, le soldat James Ryan va ĂȘtre dĂ©mobilisĂ© et pourra retrouver sa pauvre mĂšre et tenter de la consoler. Le souvenir reconnaissant qu’il a de son sauveur « paye » le spectateur pour le chagrin Ă©prouvĂ© Ă  la mort du hĂ©ros.

Le mĂȘme sacrifice du protagoniste est au cƓur de films tels que Titanic, Casque d'or, Elysium, et bien d’autres.

Références

  1. Marie-France Briselance, Les 36 situations dramatiques, Paris, Nouveau Monde, coll. « Leçons de scénario », , 363 p. (ISBN 2-84736-180-4), p. 15
  2. John Truby (trad. de l'anglais), L’Anatomie du scĂ©nario, Paris, Nouveau Monde Ă©ditions, , 463 p. (ISBN 978-2-84736-490-3), p. 14.
  3. Yves Lavandier, La Dramaturgie : les mĂ©canismes du rĂ©cit, Cergy, Le Clown & l’enfant, , 488 p. (ISBN 2-910606-00-7, BNF 35696878), p. 110
  4. Briselance 2006, p. 7
  5. François Truffaut et Anne Gillain, Le Cinéma selon F.T., Paris, Flammarion, 1988, (ISBN 2-08211-406-6), 455 p., p. 271
  6. Aristote, Poétique, édit. Claude Barbin, Paris, 1692, 501 pages
  7. Lavandier 1994, p. 116
  8. HomĂšre, Illiade, traduction Mario Meunier, Paris, Livre de Poche, Ă©ditions Albin Michel, 1956
  9. Briselance 2006, p. 16
  10. Sophocle, TragĂ©dies : Antigone, Électre, ƒdipe roi, Sept contre ThĂšbes (Les), ƒdipe Ă  Colonne, traduction Paul Mazon, PrĂ©face Pierre Vidal-Naquet, Paris, Gallimard, Les Belles Lettres, 1962, 1973
  11. Lavandier 1994, p. 154
  12. Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, Construire le temps du récit (revue), Paris, Synopsis (no 6), , 130 p. (ISSN 1291-2328), p. 84-87.
  13. Jean-Claude Carriùre, Le Film que l’on ne voit pas, Paris, Plon, 1996, (ISBN 9782259181877), 224 p.
  14. (en) Epes Winthrop Sargent, The Technique of the photoplay, New York, The Moving Picture World, 1911, 184 p.
  15. Aristote, Poétique, op. cité, citation de la p. 72
  16. Briselance 2006, p. 21
  17. Truby 2010, p. 77
  18. Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, Le Personnage, de la « Grande » histoire à la fiction, Paris, Nouveau Monde, , 436 p. (ISBN 978-2-36583-837-5), p. 18
  19. Briselance et Morin 2013, p. 17
  20. Briselance et Morin 2010, p. 499
  21. Truby 2010, p. 101
  22. Truby 2010, p. 101-102
  23. Lavandier 1994, p. 32
  24. Briselance et Morin 2013, p. 350-351
  25. Lavandier 1994, p. 103
  26. Truby 2010, p. 103
  27. Idem
  28. Briselance et Morin 2010, p. 507
  29. Briselance et Morin 2010, p. 67
  30. Briselance et Morin 2010, p. 524
  31. Briselance et Morin 2010, p. 419-420
  32. (en)Tony Magistrale, The Moral Voyages of Stephen King, Wildside Press, 1989, (ISBN 1-55742071-8), 157 p., p. 27-41
  33. Lavandier 1994, p. 98
  34. Lavandier 1994, p. 95
  35. Briselance et Morin 2013, p. 242
  36. Briselance et Morin 2013, p. 239 et 242
  37. Truby 2010, p. 98
  38. Briselance et Morin 2013, p. 141
  39. Le Robert
  40. Briselance 2006, p. 155

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Marie-France Briselance, Leçons de scĂ©nario – Les 36 situations dramatiques, Paris, Nouveau Monde Ă©ditions, 2006, (ISBN 2-84736-180-4), 363 pages
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