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Dramaturgie (littérature)

La dramaturgie, du grec Ύρ៶Όα [drama] qui signifie action, est l’art de transformer une histoire, vraie ou imaginaire, en un rĂ©cit construit, comportant un ou des personnages en action. En littĂ©rature, la dramaturgie est l’art du rĂ©cit par son Ă©vocation Ă©crite figĂ©e.

N.B. : Il ne faut pas confondre le terme « dramatique », qui signifie "conforme aux rĂšgles de la dramaturgie" et qui peut ĂȘtre le rĂ©cit d’une histoire avec une fin heureuse ou malheureuse, avec « tragique », qui reflĂšte systĂ©matiquement l'idĂ©e de malheur. Ce n'est que par abus de langage que les deux termes ont Ă©tĂ© confondus.

La premiĂšre crĂ©ation littĂ©raire : lĂ©gende d’Isis et d’Osiris

Il y a quatre mille cinq cents ans, avant l’apogĂ©e de la civilisation moyen-orientale, et bien avant l’apparition de la civilisation occidentale, le premier grand État du monde, l’Égypte, avait dĂ©jĂ  construit sa lĂ©gende fondatrice, celle d’Isis et d’Osiris et ses prĂȘtres et ses artisans entreprirent de la graver sur la pierre. Cette lĂ©gende a Ă©tĂ© rapportĂ©e en Europe par le Grec Plutarque qui, au Ier siĂšcle de l’ùre chrĂ©tienne, l’avait recueillie lors d’un voyage en Égypte[1]. Comme les Grecs ne savaient pas dĂ©chiffrer l’écriture Ă©gyptienne, ils en appelĂšrent les signes hiĂ©roglyphes, « l’écriture secrĂšte », mais pour les Égyptiens, elles Ă©taient les « paroles divines »[2].

Ainsi que l’ont fait tous les peuples, la cosmogonie de l’Égypte ancienne explique la formation du monde et des Ă©lĂ©ments fondamentaux : la terre, le ciel, l’eau, le feu, et les mystĂšres qui entourent l’existence de tout ĂȘtre vivant : la reproduction, la naissance et la mort. Les parents d’Isis et d’Osiris sont deux dieux tutĂ©laires, souvent reprĂ©sentĂ©s dans leurs fonctions, strictement cosmogoniques : Geb, le dieu de la terre, dieu fertile qui nourrit les vivants, et sa sƓur et Ă©pouse, Nout, la dĂ©esse du ciel, voĂ»te cĂ©leste protectrice du monde[3].

Geb et Nout ont quatre enfants, les dieux Osiris et Seth, les dĂ©esses Isis et Nephtys. Ces enfants vivent et agissent dans un monde intermĂ©diaire, issu des dieux, et divin lui-mĂȘme, mais plus proche des hommes que des dieux tutĂ©laires, notamment par l’humanitĂ© de leurs dĂ©sirs, de leurs rĂ©pulsions et des actes qui en dĂ©coulent. La lĂ©gende d’Isis et d’Osiris a Ă©tĂ© mise au point au cours de plusieurs siĂšcles, voire en un millĂ©naire, et reprĂ©sente la plus ancienne occurrence d’un rĂ©cit construit Ă©crit mettant en place plusieurs personnages liĂ©s entre eux par leurs passions[4]. Elle peut se rĂ©sumer en trois parties :

  • Osiris Ă©pouse sa sƓur Isis, et Seth Ă©pouse sa sƓur Nephtys.

Seth est jaloux d’Osiris Ă  qui les dieux tutĂ©laires ont donnĂ© le titre de « Roi du monde des Hommes ». De plus, Osiris a eu avec Nephtys, l’épouse de Seth, un fils adultĂ©rin, Anubis. Seth attire son frĂšre dans un piĂšge, et le tue par noyade, constituant un climax ou acmĂ©, un moment fort de l’action[5]. En dramaturgie, ce crime est l’élĂ©ment dĂ©clencheur. Et celui-ci dĂ©cide Isis Ă  rendre vie Ă  son mari et Ă  perpĂ©tuer son sang en lui donnant un hĂ©ritier. C’est maintenant son objectif.

  • Isis rĂ©cupĂšre le cadavre de son Ă©poux.

Mais, autre obstacle, Seth le dĂ©robe et cette fois, le dĂ©pĂšce en quatorze morceaux qu’il Ă©parpille sur les bords du Nil (autre climax ou acmĂ©). Isis pleure toutes les larmes de son corps de dĂ©esse, provoquant la premiĂšre crue du fleuve sacrĂ©. Elle part ensuite Ă  la recherche de la dĂ©pouille de son mari, en compagnie d’Anubis, son beau-fils. Ils retrouvent treize dĂ©bris du royal cadavre, le sexe a Ă©tĂ© dĂ©vorĂ© par un poisson. Anubis reconstitue le corps de son gĂ©niteur, faisant de lui la premiĂšre momie. Isis sculpte dans la glaise un pĂ©nis en Ă©rection pour parfaire l’illusion. Avec sa sƓur Nephtys, elles battent de leurs ailes et Osiris ressuscite, le temps pour Isis de le chevaucher et ĂȘtre fĂ©condĂ©e (autre climax ou acmĂ©). Osiris n’en a pas pour autant rejoint le monde des vivants. Les dieux tutĂ©laires le nomment alors « Roi du monde des TĂ©nĂšbres » et son rĂŽle est d’accueillir les Ăąmes mortes et de les juger en fonction de leurs actes dans le monde des vivants. Dans cette tĂąche, il est aidĂ© par Thot. Isis accouche en secret d’un fils, Horus, qu’elle dissimule dans un couffin au milieu des roseaux du Nil[6], afin que Seth ne puisse le trouver et le supprimer[7].

  • Ellipse temporelle. Horus a grandi.

Horus a Ă©chappĂ© Ă  la fureur meurtriĂšre de son oncle. Une idĂ©e l’obsĂšde : venger son pĂšre. Les dieux tutĂ©laires lui permettent de combattre Seth en un duel dont il sort vainqueur, bien que blessĂ© (autre climax ou acmĂ©), mais ils lui interdisent de tuer Seth. Isis proteste, Horus insiste, les dieux acceptent enfin qu’il chĂątie l’assassin en le chĂątrant (autre climax ou acmĂ©). Seth est dĂ©finitivement stĂ©rile, comme le dĂ©sert, dont il a la couleur (il est roux), tandis qu’Horus perpĂ©tue le sang de son pĂšre (qui est noir comme le limon du Nil et comme la majoritĂ© des habitants de l’Afrique aux Ă©poques oĂč naquit cette lĂ©gende). Horus devient le « Roi du monde des Hommes », un titre qu’il lĂšgue au premier des pharaons, son envoyĂ© sur terre, le seul Ă  porter le « sang d’Horus ». L’objectif d’Isis est ainsi atteint[8]. Il faut remarquer que le rĂ©cit de cette lĂ©gende met en place immĂ©diatement un conflit Ă  plusieurs causes entre Osiris et Seth, qui fait d’Isis une veuve, de Seth un assassin, et d’Osiris une victime ; tragique dĂ©but qui n’attend pas le dĂ©veloppement de l’histoire pour instaurer un climat dĂ©lĂ©tĂšre. Le Grec Aristote, dans sa PoĂ©tique[9], conseille aux conteurs d'entamer leur rĂ©cit par un moment fort, en Ă©vitant toute exposition inutile, et de rechercher au contraire une action signifiante.

L’épopĂ©e de Gilgamesh

NĂ©e oralement Ă  la mĂȘme Ă©poque, et bientĂŽt transcrite en Ă©criture cunĂ©iforme sur des tablettes de terre cuite, l’ÉpopĂ©e de Gilgamesh[10] Ă©voque un roi historique qui a rĂ©gnĂ© sur la ville d’Ourouk, une citĂ©-État de la MĂ©sopotamie, au bord de l’Euphrate, dans le sud de l’Irak actuel. Mais l’ouvrage lui prĂȘte des aventures et des amours purement lĂ©gendaires. Contrairement Ă  l’Égypte, qui Ă©tait structurĂ©e en État, avec une administration centrale et un vaste territoire sous sa domination, Ourouk est comme Sumer, Our ou Kish. « Elles Ă©taient toutes des villes indĂ©pendantes, dĂ©fendues par une muraille (celle d’Ourouk faisait 9 kilomĂštres de long), entourĂ©es de terres cultivĂ©es qui leur appartenaient et qui leur fournissaient la nourriture, les textiles, la laine, le bois, tout ce qui permettait Ă  une ville de plusieurs milliers d’habitants de prospĂ©rer. En contrepartie, la ville assurait aux paysans par son roi et son armĂ©e une protection contre les envahisseurs et les pillards, elle maintenait un ordre social grĂące Ă  ses fonctionnaires et ses juges, et elle apportait la protection divine par l’entremise de ses prĂȘtres »[11].

Dans la lĂ©gende d’Isis et d’Osiris, ainsi que dans la cosmogonie gĂ©nĂ©rale de l’Égypte ancienne, un point fondamental est Ă©tabli : l’inceste divin, le mariage du frĂšre et de la sƓur, permet aux dieux de conserver leurs forces. Le chef de l’État Ă©gyptien, Pharaon, reprend Ă  son compte cette tradition qui devient l’inceste royal, auquel se plieront tous les successeurs humains du dieu Horus, ceux qui « sont du sang d’Horus »[12].

Dans la lĂ©gende de Gilgamesh, d’autres traditions sont Ă©voquĂ©es. Gilgamesh Ă©prouve assez peu d’attirance pour la dĂ©esse Ishtar, dĂ©esse de l’amour et maĂźtresse de la vie et de la mort. Elle-mĂȘme se voudrait dĂ©sirĂ©e et aimĂ©e par ce roi superbe aux mƓurs belliqueuses. Mais Gilgamesh est tombĂ© amoureux d’un homme Ă©levĂ© parmi les animaux, Enkidu, un rude adversaire contre qui il lutte un jour Ă  Ă©galitĂ© de force, avant de tomber dans ses bras car les deux hommes se sont reconnus comme Ă©tant le seul amour qu’ils puissent Ă©prouver[13].

De rĂ©cents travaux rapprochent l’ÉpopĂ©e de Gilgamesh des douze Travaux d'HĂ©raclĂšs (l’homologue grec du hĂ©ros romain Hercule), la lĂ©gende babylonienne Ă©tant antĂ©rieure de prĂšs d'un millĂ©naire aux Ă©crits d’HomĂšre.

La Bible hébraïque

Les HĂ©breux, l’un des nombreux peuples qui Ă©taient sous domination Ă©gyptienne et payaient tribu Ă  Pharaon sous forme de corvĂ©es, imaginĂšrent une lĂ©gende dans laquelle leurs tribus (ce sont des nomades qui Ă©lĂšvent du bĂ©tail) jouaient un rĂŽle central. Les premiers textes seraient datĂ©s du XVe siĂšcle av. J.-C., mais le livre en lui-mĂȘme fut assemblĂ© entre le VIIIe siĂšcle et le VIe siĂšcle av. J.-C., qui sont les datations historiques actuellement admises.

La Bible hĂ©braĂŻque Ă©tait destinĂ©e sans doute Ă  rassembler, autour d’une lĂ©gende prĂ©sentĂ©e comme Ă©tant Ă  l’origine du monde, des peuples qui n’avaient de commun que leur nomadisme et leur sujĂ©tion. C’est une pure crĂ©ation littĂ©raire, avec les ingrĂ©dients de l’aventure, du fantastique, de la guerre et de la rĂ©volution. Sa datation rĂ©elle la porte au niveau des grandes Ă©popĂ©es du conteur grec HomĂšre, et les amours trĂšs humaines qui y sont dĂ©crites montrent un mĂȘme goĂ»t pour le rĂ©cit sentimental.

L’Iliade et l’OdyssĂ©e

L’Iliade est un poĂšme qui raconte le siĂšge de la ville de Troie, en Asie mineure, par les citĂ©s grecques coalisĂ©es autour de MĂ©nĂ©las dont l’épouse, la belle HĂ©lĂšne, avait Ă©tĂ© sĂ©duite par le beau Troyen PĂąris, et que le mari bafouĂ© voulait rĂ©cupĂ©rer. L’auteur prĂ©sumĂ© de ce long poĂšme de 15 337 vers s’appelait HomĂšre, qui l’a Ă©crit au VIIIe siĂšcle av. J.-C. Les aĂšdes grecs, tels HomĂšre, composaient leurs poĂšmes ou leurs tragĂ©dies de tĂȘte, oralement, et les dĂ©clamaient devant leur public. Plus tard, ces poĂšmes ont Ă©tĂ© transcrits fidĂšlement, devenant les premiĂšres Ɠuvres littĂ©raires qui ont ainsi pu profiter de diverses traductions et arriver jusqu’à nos jours.

La prĂ©paration du dĂ©barquement des troupes grecques avait pris dix annĂ©es, et le siĂšge lui-mĂȘme avait durĂ© dix autres annĂ©es. HomĂšre, pour intensifier sa dramaturgie, a pris soin de rapprocher le plus possible son action de l’épisode ultime de la guerre, c’est-Ă -dire la chute de Troie ; trĂšs exactement, cinquante-cinq jours avant. Les nombreux retours en arriĂšre lui ont permis d’évoquer les Ă©lĂ©ments du drame.

« Avoir participĂ© en hĂ©ros Ă  la fameuse guerre de Troie confĂ©rait Ă  une famille un haut lignage. Un aĂšde douĂ©, et grassement payĂ©, pouvait faire jouer aux ancĂȘtres d’un gĂ©nĂ©reux donateur un rĂŽle important imaginaire parmi des hĂ©ros rĂ©putĂ©s tels qu’Agamemnon, Achille, Ulysse et les autres, ce qui a longtemps fait supposer que la guerre de Troie Ă©tait pure invention du poĂšte HomĂšre, alors qu’en vĂ©ritĂ© elle a bien eu lieu »[14]. Mais les pĂ©ripĂ©ties que HomĂšre dĂ©crit dans son Iliade sont dans leur majoritĂ© inventĂ©es par l’aĂšde ou, pour le moins, embellies par son talent lyrique.

L’"OdyssĂ©e" est une Ă©popĂ©e composĂ©e plus tardivement par HomĂšre, un poĂšme de 12 109 vers. L’action se passe aprĂšs la guerre de Troie, et elle est centrĂ©e sur le personnage d’Ulysse, le plus rusĂ© des guerriers grecs puisque c’est par un stratagĂšme imaginĂ© par lui (le cheval de Troie) que la ville fut prise, « dans le cheval de bois, oĂč nous Ă©tions embusquĂ©s, tous les meilleurs guerriers d’Argos, portant aux Troyens le meurtre et la mort »[15]. Ulysse vainqueur, revient dans son royaume d’Ithaque, ou du moins il tente de regagner son rivage oĂč l’attendent sa fidĂšle Ă©pouse, PĂ©nĂ©lope, et son fils TĂ©lĂ©maque. PosĂ©idon, le dieu de la mer, pleure son fils, le Cyclope PolyphĂšme, dont Ulysse a crevĂ© l’unique Ɠil. Il poursuit de sa haine le hĂ©ros de Troie et provoque son naufrage. Il faudra Ă  Ulysse de nombreuses annĂ©es pour rejoindre son royaume, car il va tomber sous le charme d’une magicienne et rencontrer de terribles adversaires. Ce qui ne l’empĂȘche pas, au sein de ce poĂšme, de raconter tout ce qu’il a fait avant, lors du siĂšge de Troie, une façon habile d’HomĂšre de recommencer ce rĂ©cit mythique, et d’en exploiter le succĂšs, cette fois vu Ă  travers les yeux du guerrier « aux mille ruses ».

La chanson de geste

La chanson de geste reprend au Moyen Âge le principe du rĂ©cit lĂ©gendaire pour inculquer les rĂšgles de la chevalerie.

Références et notes

  1. Plutarque, Isis et Osiris, traduction de Mario Meunier, Paris, L’Artisan du livre, 1924
  2. Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, Le Personnage, de la « Grande » histoire à la fiction, Paris, Nouveau Monde, , 436 p. (ISBN 978-2-36583-837-5), p. 11-18
  3. Bernard Mathieu, Quand Osiris rĂ©gnait sur terre, revue trimestrielle Égypte, Afrique et Orient, no 10, Avignon, Centre Vauclusien d'Ă©gyptologie, aoĂ»t 1998
  4. Briselance et Morin 2013, p. 21
  5. Beaucoup plus tard, un peuple dominĂ© et mis en sujĂ©tion par le puissant État Ă©gyptien, les HĂ©breux, imagine sa propre cosmogonie et son histoire mythique (la Bible), reprenant le thĂšme du frĂšre fratricide avec Abel, prĂ©fĂ©rĂ© par leur dieu unique, Yahweh, Ă  son frĂšre CaĂŻn qui le tue
  6. De mĂȘme qu’ils reprirent le mythe du frĂšre fratricide, les rĂ©dacteurs hĂ©breux donnĂšrent Ă  un personnage clĂ© de l’histoire juive, MoĂŻse, la mĂȘme errance dans les roseaux du Nil oĂč sa mĂšre l’y avait dissimulĂ© pour Ă©chapper aux ordres de Pharaon, qui Ă©taient de tuer tous les nouveau-nĂ©s mĂąles du peuple hĂ©breu
  7. Briselance et Morin 2013, p. 106
  8. Idem
  9. Aristote (trad. Joseph Hardy), Poétique, Paris, Belles Lettres, , 165 p.
  10. L’ÉpopĂ©e de Gilgamesh, traduit par Abed AzriĂ©, Paris, Berg International Ă©diteurs, 1979
  11. Briselance et Morin 2013, p. 43
  12. Briselance et Morin 2013, p. 17
  13. Briselance et Morin 2013, p. 43-46
  14. Briselance et Morin 2013, p. 90
  15. L’OdyssĂ©e, chant IV, trad. MĂ©dĂ©ric Dufour et Jeanne Raison, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 62

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