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Enkidu

Enkidu est un personnage légendaire de la Mésopotamie ancienne. Acolyte du héros Gilgamesh, il apparaît de ce fait à ses côtés dans ses aventures, en premier lieu l’Épopée de Gilgamesh.

Héros, peut-être Gilgamesh, voire Enkidu, serrant sur son cœur un lion vivant. Bas-relief du palais de Sargon II à Khorsabad, musée du Louvre

Nom

Le nom d'Enkidu est sumĂ©rien, et gĂ©nĂ©ralement Ă©crit dans les textes en cette langue par la sĂ©quence de signes en.ki.dĂąg (ou en.ki.du10). Cela signifie « Seigneur (du) lieu plaisant Â». Dans la version standard de l’ÉpopĂ©e de Gilgamesh, en akkadien, en-ki-dĂą. Dans ce texte, son nom est prĂ©cĂ©dĂ© du signe dĂ©terminatif de la divinitĂ© (d), ce qui signifie que ce personnage a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme d'essence divine[1].

Enkidu dans les récits en sumérien sur Gilgamesh

Enkidu apparaĂ®t d'abord dans des textes en sumĂ©rien relatant les aventures de Gilgamesh : Gilgamesh et Huwawa et Gilgamesh et le Taureau cĂ©leste dans lesquels il aide le hĂ©ros Ă  vaincre ces crĂ©atures, et Gilgamesh, Enkidu et les Enfers, qui se dĂ©roule après sa mort, et voit Gilgamesh se rendre aux Enfers pour le rencontrer, ainsi que La mort de Gilgamesh. Il y est en gĂ©nĂ©ral prĂ©sentĂ© comme le « serviteur Â» (ir) de Gilgamesh, son sujet (Gilgamesh est son « roi Â», lugal). Seul Gilgamesh, Enkidu et les Enfers le qualifie aussi comme son « ami Â» (ku.li), prĂ©sentant une relation similaire Ă  celle de l’ÉpopĂ©e, puisque dans ce texte Gilgamesh se lamente après la mort de son ami, qu'il prĂ©sente comme « mon serviteur favori, (mon) compagnon inĂ©branlable, celui qui me conseille Â». Dans La mort de Gilgamesh, le roi agonisant reçoit une vision d'Enkidu, qui y est lĂ  aussi dĂ©fini comme son ami prĂ©cieux[2].

Enkidu dans l’Épopée de Gilgamesh

L’Épopée de Gilgamesh, dans sa version la plus ancienne datée de la période paléo-babylonienne (v. 2004-1595 av. J.-C.), développe une biographie complète d'Enkidu, notamment sur sa naissance, absente des textes connus de langue sumérienne, et peut-être reprise d'une autre source non identifiée[3]. Enkidu devient là un personnage à la force fabuleuse créé par les dieux pour rivaliser avec Gilgamesh.

L'histoire de l’Épopée commence par l'évocation de divers méfaits de Gilgamesh, roi d'Uruk, qui suscitent l'exaspération de ses sujets, ce dont les dieux s'émeuvent, décidant alors la création d'Enkidu, façonné à partir d'argile par la déesse Aruru, dans la steppe, en plein monde sauvage. C'est donc un personnage à l'aspect humain mais qui ne connaît rien de la civilisation, vivant au milieu des animaux et se comportant comme eux :

(Et c'est lĂ ), dans la steppe,
(Qu')elle forma Enkidu-le-preux.
Mis au monde en la Solitude,
Aussi compact que Ninurta.
Abondamment velu par tout le corps,
Il avait une chevelure de femme,
Aux boucles foisonnant comme un champ d'Ă©pis.
Ne connaissant ni concitoyens, ni pays,
Accoutré à la sauvage,
En compagnie des gazelles, il broutait ;
En compagnie de (sa) harde, il fréquentait l'aiguade ;
Il se régalait d'eau en compagnie des bêtes.

— Tablette I de la version standard de l’Épopée de Gilgamesh, traduction de J. Bottéro[4].

Au début de l'épopée Enkidu représente donc l'archétype de l'homme sauvage : il vit avec les bêtes sauvages et les protège en détruisant les pièges. Mais ses actions irritent un chasseur. Celui-ci se confie à son père qui lui conseille d'aller trouver le roi Gilgamesh. Celui-ci lui ordonne de partir à la rencontre d'Enkidu accompagné de la courtisane Shamhat. Enkidu est immédiatement séduit :

Quand elle eut laissé choir son vêtement,
Il s'allongea sur elle,
Et elle lui fit, Ă  (ce) sauvage,
Son affaire de femme,
Tandis que, de ses mamours, il la cageolait.
Six jours et sept nuits, Enkidu, excité,
Fit l'amour Ă  Lajoyeuse (Shamhat) !
Une fois soûlé du plaisir (qu')elle (lui avait donné),
Il se disposa Ă  rejoindre sa harde.
Mais, Ă  la vue d'Enkidu,
Gazelles de s'enfuir,
Et les bĂŞtes sauvages de s'Ă©carter de lui.

— Tablette I de la version standard, traduction de J. Bottéro[5].

Après six jours et sept nuits passĂ©s avec Shamhat, il veut repartir vers sa harde, mais celle-ci le repousse. Enkidu quitte donc la nature pour se tourner vers le monde des hommes : il s'habille, apprend Ă  boire et Ă  manger comme eux, puis par un retournement de rĂ´le devient celui qui veille sur les troupeaux de bergers la nuit face aux animaux sauvages[6]. Shamhat lui fait alors l'Ă©loge de Gilgamesh, qui a reçu deux visions en rĂŞve lui annonçant sa future amitiĂ© avec Enkidu. Ils se dirigent donc vers Uruk oĂą Enkidu est alors confrontĂ© Ă  un des mĂ©faits du roi, qui tente d'exercer un droit de cuissage lors d'un mariage entre deux de ses sujets : Enkidu s'interpose, et combat Gilgamesh. Les deux adversaires reconnaissent leur valeur respective, et se jurent amitiĂ©. Enkidu devient alors l'« ami Â» (ibru), le fidèle compagnon et conseiller de Gilgamesh, celui qu'il attendait manifestement depuis longtemps[7]. La nature de la relation entre les deux personnages a suscitĂ© beaucoup d'interprĂ©tations, certains y voyant en filigrane une relation amoureuse[8].

Enkidu rencontre finalement Gilgamesh, mais la conduite du roi avec son peuple provoque sa colère. S'ensuit un combat titanesque. En fin de compte, chacun reconnaissant en l'autre son égal, les deux héros se jurent une amitié éternelle.

Enkidu a l'occasion de prouver sa valeur en tant qu'acolyte lors des affrontements contre le démon Humbaba dans la forêt de cèdres, puis contre le Taureau céleste libéré à Uruk par la déesse Ishtar vexée d'avoir été éconduite par Gilgamesh. L'issue de ce dernier affrontement porte néanmoins en germe la perte d'Enkidu : il jette à la face de la déesse un cuisseau du taureau, en l’insultant. Après cela, Enkidu voit en songe une assemblée divine décidant de sa mort prochaine. Sa maladie se déclenche devant un Gilgamesh impuissant, qui assiste à sa longue agonie et à sa mort. Il lui organise ensuite des funérailles somptueuses.

Ô chemins (qu'avait pris) Enkidu jusqu'à la Forêt des Cèdres,
Pleurez-le, jour et nuit, sans répit !
Pleurez-le, Ă´ Anciens, parmi les larges rues d'Uruk-les-clos !
Pleure-le, foule (!) qui nous suivait, en nous saluant !
Pleurez-le, passes (?) étroites des régions montagneuses,
Que nous avons escaladées de conserve (?) !
Lamente-le, campagne, comme (si tu étais) sa mère !
Pleurez-le [...] Cyprès et Cèdres,
Entre lesquels, dans notre fureur,
Nous avons fait un carnage (?) !
Pleurez-le, ours, hyènes, panthères, tigres (?), cerfs (et) guépards,
Lions, buffles, daims, bouquetins, grosses et petites bĂŞtes sauvages !
Pleure-le, Ulaia (un fleuve) sacré, aux bords duquel nous nous pavanions !
Pleure-le, Saint Euphrate,
dont nous faisions couler en libations l'eau (gardée en nos) outres !
Pleurez-le, Ă´ Gaillards d'Uruk-les-Clos,
Qui nous avez vu combattre et tuer le Taureau-géant !

— Tablette VIII de la version standard, traduction de J. Bottéro[9].

C'est à la suite de la mort de son compagnon que Gilgamesh prend conscience de sa mort future, et décide de se lancer dans la quête d'immortalité qui occupe le reste du récit de l’Épopée.

Autres sources

Enkidu n'a pour ainsi dire pas d'existence en dehors des récits relatifs à Gilgamesh. Pour autant que l'on sache, il n'a jamais été un dieu auquel était rendu un culte, et est absent des listes de divinités de l'ancienne Mésopotamie. Il semble apparaître dans une invocation d'époque paléo-babylonienne visant à faire taire un bébé qui pleure, texte qui évoque aussi le fait qu'Enkidu serait tenu pour avoir déterminé les trois veilles permettant la mesure du passage du temps la nuit, apparemment en relation avec son rôle de gardien de troupeau la nuit dans l’Épopée de Gilgamesh[10].

Dans la culture contemporaine

Notes

  1. George 2003, p. 138-139.
  2. George 2003, p. 140-142.
  3. George 2003, p. 142.
  4. Bottéro 1992, p. 69-70
  5. Bottéro 1992, p. 75
  6. Sur la transformation d'Enkidu : A. Finet, « De la brute à l'homme : la socialisation du sauvage d'après l'épopée de Gilgamesh », dans L. Bodson (dir.), Le statut éthique de l'animal : conceptions anciennes et nouvelles. Journée d’étude – Université de Liège, 18 mars 1995, Liège, Université de Liège/Institut de zoologie, , p. 35-39 ; (en) A. Westenholz et U. Koch-Westenholz, « Enkidu - the Noble Savage », dans A.R. George et I. L. Finkel (dir.), Wisdom, Gods and Literature: studies in Assyriology in honour of W. G. Lambert, Winona Lake, Eisenbrauns, , p. 437-451.
  7. George 2003, p. 142-143. Voir aussi M.-M. Bonavero, « L'amitié dans l'épopée : des liens entre les hommes, des liens entre leurs œuvres », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, vol. 1,‎ , p. 187-198 (lire en ligne).
  8. Discussions dans (en) J. S. Cooper, « Buddies in Babylonia: Gilgamesh, Enkidu and Mesopotamian Homosexuality », dans T. Abusch (dir.), Riches Hidden in Secret Places: Ancient Near Eastern Studies in Memory of Thorkild Jacobsen, Winona Lake, Eisenbrauns, , p. 73-85 ; Th. Römer et L. Bonjour, L'homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible, Genève, Labor et Fides, , p. 80-102.
  9. Bottéro 1992, p. 149
  10. George 2003, p. 143-144.
  11. Brice Bonfanti, Chants d'utopie, deuxième cycle, Paris, Sens & Tonka, , 264 p. (ISBN 978-2-35729-109-6)

Bibliographie

  • Jean BottĂ©ro, L’ÉpopĂ©e de Gilgameš : le grand homme qui ne voulait pas mourir, Gallimard, coll. « L'aube des peuples »,
  • (en) Andrew R. George, The Babylonian Gilgamesh Epic : Introduction, Critical Edition and Cuneiform Texts, Oxford, Oxford University Press, (2 volumes)

Articles connexes

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