TĆdai-ji
Le TĆdai-ji (æ±ć€§ćŻș, littĂ©ralement « grand temple de lâEst »), de son nom complet Kegon-shĆ« daihonzan TĆdai-ji (èŻćłćźć€§æŹć±±æ±ć€§ćŻș), est un temple bouddhique situĂ© Ă Nara au Japon. Il est le centre des Ă©coles Kegon et Ritsu, mais toutes les branches du bouddhisme japonais y sont Ă©tudiĂ©es et le site comprend de nombreux temples et sanctuaires annexes. Dans lâenceinte se trouve la plus grande construction en bois au monde toujours existante[1] - [2], le Daibutsu-den (性ä»æźż, salle du Grand Bouddha), qui abrite une statue colossale en bronze du bouddha Vairocana appelĂ©e Daibutsu (性ä»), c'est-Ă -dire « Grand Bouddha ». Le bĂątiment, dâune largeur de huit travĂ©es de piliers (soit 57 mĂštres), est un tiers plus petit que le temple originel qui en comprenait douze.
TĆdai-ji | |
BĂątiment principal (Daibutsu-den) du TĆdai-ji. | |
Présentation | |
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Rattachement | Kegon, Ritsu |
DĂ©but de la construction | 752 |
Site web | http://www.todaiji.or.jp/ |
GĂ©ographie | |
Pays | Japon |
Ville | Nara |
CoordonnĂ©es | 34° 41âČ 21âł nord, 135° 50âČ 23âł est |
De nombreux bĂątiments secondaires ont Ă©tĂ© groupĂ©s tout autour de la salle du Grand Bouddha sur le flanc de coteau lĂ©gĂšrement inclinĂ© du mont Wakakusa. Parmi eux, le Kaidan-in (æćŁéą, salle dâordination), le ShĆsĆ-in (æŁćéą), ancien grenier qui fut transformĂ© en entrepĂŽt dâobjets dâart et le Hokke-dĆ (æłèŻć ), rĂ©putĂ© pour sa collection de sculptures du VIIIe siĂšcle. Le rĂŽle du temple est Ă©troitement liĂ© Ă la fonction impĂ©riale, les rites et cĂ©rĂ©monies qui sây dĂ©roulent devant protĂ©ger le pays et la famille de lâempereur.
Le temple, construit au VIIIe siĂšcle, est dĂ©truit et reconstruit presque intĂ©gralement deux fois au cours de son histoire, au XIIe et au XVIe siĂšcle. Son Ă©dification sous lâĂ©gide de lâempereur ShĆmu entre 745 et 752 requiert la mobilisation de toutes les ressources du jeune Ătat japonais et grĂšve durablement les finances publiques. Le monumentalisme inĂ©dit du projet traduit lâidĂ©al politique de ShĆmu, câest-Ă -dire un Ătat centralisĂ© fondĂ© sur le bouddhisme. Par la religion, ShĆmu compte accroĂźtre le contrĂŽle encore lĂąche de la cour impĂ©riale sur les provinces en Ă©tablissant un vaste rĂ©seau de temples Ă travers tout le pays, rĂ©unis sous la coupe du TĆdai-ji. Toutefois, la puissance des temples de Nara devient telle au VIIIe siĂšcle quâelle donne lâimpression de pouvoir mĂȘme menacer lâhĂ©gĂ©monie de la cour, conduisant les empereurs Ă des mesures fiscales et politiques importantes, notamment le dĂ©placement de la capitale. Le TĆdai-ji ne joue ainsi un rĂŽle politique et religieux prĂ©pondĂ©rant que durant quelques dĂ©cennies, son influence dĂ©clinant ensuite peu Ă peu, ce qui entraĂźne des difficultĂ©s majeures pour la gestion de ses domaines rĂ©partis dans tout le pays. Toutefois, symbole de lâempereur et de lâĂtat, le TĆdai-ji verra se mobiliser pleinement le gouvernement et la population pour sa reconstruction aprĂšs les destructions de 1180 et de 1567 en raison de guerres civiles.
Dans lâhistoire de lâart et de lâarchitecture du Japon, le TĆdai-ji joue un rĂŽle moteur lors de sa construction au milieu du VIIIe siĂšcle et lors de sa restauration fin du XIIe et dĂ©but du XIIIe siĂšcle. Il sâagit pour la premiĂšre phase du plus important projet de toute la pĂ©riode TenpyĆ, dont les pagodes de plus de cent mĂštres (aujourdâhui disparues) sont par exemple les plus hautes connues du Japon. Les artistes du temple excellent dans la sculpture naturaliste en bronze, en laque sĂšche et en terre influencĂ©e par la Chine des Tang. Le ShĆsĆ-in dĂ©tient en outre une collection inestimable dâobjets dâart et dâeffets personnels de lâempereur venant du Japon et de toute lâAsie via la route de la soie. Lors de la restauration de 1181, le TĆdai-ji redevient un important foyer dâart, principalement grĂące aux techniques architecturales provenant des Song du Sud en Chine et Ă la sculpture dynamique de lâĂ©cole Kei, dernier Ăąge dâor de la sculpture japonaise. Toutefois, la plupart des bĂątiments actuels ainsi que le bouddha colossal rĂ©sultent des reconstructions du XVIe et du XVIIe siĂšcle, oĂč le gĂ©nie crĂ©atif se ressent moins dans lâarchitecture et la sculpture.
De nos jours, le TĆdai-ji est toujours actif et sa communautĂ© de moines accomplit les rites et cĂ©rĂ©monies annuels ou quotidiens nĂ©cessaires, dont le plus important reste la cĂ©rĂ©monie de lâeau et du feu nommĂ©e Shuni-e. Le temple figure enfin au patrimoine mondial de lâUNESCO et nombre de ses bĂątiments ou biens sont classĂ©s au patrimoine culturel du Japon.
Historique
Contexte
Ă lâĂ©poque de Nara, la civilisation chinoise a une grande influence sur le Japon, lâĂtat sâinspirant en tout de la glorieuse dynastie Tang[3]. Ainsi, lâadministration centralisĂ©e et puissante liĂ©e Ă lâaristocratie qui se met en place prend pour modĂšle la vaste bureaucratie chinoise, et le bouddhisme commence Ă se rĂ©pandre dans lâarchipel, accroissant le besoin en images pieuses[4]. ConfrontĂ©e Ă une charge administrative de plus en plus importante, la cour impĂ©riale choisit pour nouvelle capitale HeijĆ-kyĆ en 710, de nos jours Nara[3]. Ă partir du dĂ©placement de la capitale dĂ©bute lâĂšre TenpyĆ, durant laquelle les grandes constructions de temples bouddhiques sont lĂ©gion. Ces vastes temples ont un impact trĂšs important sur le peuple, qui voit dans cette nouvelle religion une source de protection puissante pour le pays[5].
Lâempereur ShĆmu est le principal artisan de la fondation du TĆdai-ji ; influencĂ© par la grandeur de la Chine des Tang et fervent dĂ©fenseur du bouddhisme, il aspire Ă renforcer lâunitĂ© et la puissance de lâĂtat, souhaitant confĂ©rer Ă la fcontion dâempereur un rĂŽle plus central et essentiel dans la vie politique du Japon par rapport aux diffĂ©rentes familles ou factions de la cour[6]. DĂšs les annĂ©es 730, il soutient la construction de nombreux temples Ă travers lâarchipel[7]. En 741, il initie un vaste programme de construction de monastĂšres (kokubun-ji) et de couvents (kokubinin-ji) dans toutes les provinces du Japon[8] ; chaque monastĂšre doit ĂȘtre flanquĂ© dâune pagode Ă sept Ă©tages et dĂ©tenir dix copies du SĆ«tra du Lotus et dix autres du SĆ«tra de la LumiĂšre dorĂ©e, afin de garantir le bien-ĂȘtre du pays[9]. Cette politique survient en effet en rĂ©action Ă la grave Ă©pidĂ©mie de variole qui sĂ©vit jusque dans la capitale entre 735 et 737, Ă la rĂ©volte de 740 menĂ©e par Fujiwara no Hirotsugu et aux disettes[10]. ShĆmu prĂ©voit Ă©galement dâĂ©tablir un grand temple qui doit patronner les monastĂšres ; il proclame en 743 la construction de cet Ă©difice et dâune statue colossale (Grand Bouddha ou Daibutsu) du bouddha Vairocana (Rushana en japonais) en bronze, couverte de feuilles dâor : il sâagira du TĆdai-ji[11]. Fervent croyant, ShĆmu poursuivait sa vision dâun Japon centralisĂ© aussi bien en matiĂšre politique que religieuse, afin de renforcer son autoritĂ© sur les provinces et les diffĂ©rentes familles nobles[12] : pour lui, la cour et lâempereur doivent administrer le pays tout comme le TĆdai-ji doit occuper une place centrale parmi tous les temples bouddhiques secondaires[13]. Le choix du bouddha Vairocana nâest ainsi pas anodin, car il sâagit dâun bouddha abstrait, celui qui, placĂ© au centre de lâunivers, contient et anime tous les mondes[6]. Par le parallĂšle avec Vairocana, ShĆmu veut de fait suggĂ©rer lâimportance de lâempereur (au centre du pays) et du bouddhisme, modĂšle lĂ encore proche de la Chine des Tang[14] - [15]. Le temple doit enfin devenir le centre lâĂ©cole Kegon, celle des six Ă©coles bouddhiques de Nara qui a la prĂ©fĂ©rence de lâempereur, car proche de son modĂšle idĂ©al dâĂtat centralisĂ© bouddhique[16].
Construction du temple
DĂšs 742, le Bureau des copistes de sutras est crĂ©Ă© afin de copier les futurs textes religieux et sacrĂ©s indispensables pour un tel projet[8]. Le Bureau de construction du TĆdai-ji (ZĆ TĆdai-ji shi) est Ă©galement constituĂ© de façon ad hoc pour le chantier, mĂ©thode habituelle alors, mais lâampleur du projet est telle quâil devient la plus vaste administration du VIIIe siĂšcle, dirigeant durant la phase de construction une main-dâĆuvre importante, aussi bien employĂ©e que corvĂ©able[17].
Les premiers travaux dĂ©butent sur le site du KĆga-ji dans la province d'Ćmi au nord de Nara, sous la responsabilitĂ© de lâartisan Kuninaka no Muraji Kimimaro[18]. Toutefois, une sĂ©rie dâĂ©checs et dâincidents dĂ©cident lâempereur ShĆmu Ă retourner dans la capitale Nara en 745[19]. Lâemplacement du TĆdai-ji est choisi Ă lâest de la ville sur le site dâun petit temple nommĂ© KonshĆ-ji ; en effet, il nây a pas dâendroit suffisamment vaste dans la ville pour accueillir une structure aussi imposante[18].
En 746, le premier bĂątiment, le temple secondaire Hokke-dĆ, est achevĂ©[18]. Les travaux du Grand Bouddha (Daibutsu) et du bĂątiment devant lâabriter (la salle du Grand Bouddha, Daibutsu-den) sâĂ©talent environ de 747 Ă 752, hormis la dorure. Les premiers plans du gigantesque Daibutsu-den sont conçus en 748[19]. Les travaux se poursuivent nĂ©anmoins plusieurs annĂ©es aprĂšs 752, avec lâĂ©laboration des enceintes, pagodes, quartiers des moines, greniers ou lieux de priĂšre, ainsi que le creusage de lâĂ©tang du Miroir[20]. Le site Ă©tant limitĂ© Ă lâest par le mont Wakakusa, les ouvriers aplanissent Ă©galement les contreforts de la montagne sur 700 mĂštres, en quatre vastes terrasses[21]. Ces travaux ont un impact assez fort sur les rĂ©serves de lâĂtat, car les impĂŽts dâenviron 5 000 mĂ©nages sont allouĂ©s au chantier en plus des dons[22].
Trois moines jouent un rĂŽle dĂ©terminant dans la fondation du TĆdai-ji : ils sont parfois dĂ©signĂ©s avec ShĆmu comme les quatre saints fondateurs du temple. Le moine RĆben dâabord, appartenant Ă lâĂ©cole Kegon, est un proche conseiller de ShĆmu officiant au petit ermitage du KonshĆ-ji[23]. Il est notamment chargĂ© de trouver le financement pour la statue colossale du bouddha Vairocana voulue par ShĆmu[6]. GyĆki est quant Ă lui responsable de la campagne de levĂ©e de fonds (kanjin) pour financer le chantier, sollicitant tous les habitants du pays pour contribuer financiĂšrement ou participer volontairement aux travaux[9] - [24]. Enfin, le moine indien Bodhisena, proche de RĆben et GyĆki, est un Ă©rudit du sĆ«tra Kegon (sĆ«tra Avatamsaka) qui prĂ©side la cĂ©rĂ©monie dâouverture des yeux de la statue colossale[9]. NĂ©anmoins, le projet titanesque du TĆdai-ji suscite des rĂ©sistances dans lâentourage de lâempereur. Des aristocrates critiquent le modĂšle centralisĂ© importĂ© de Chine que ShĆmu tente de mettre en place, et des moines conservateurs craignent que la statue nâocculte la recherche intĂ©rieure de la foi[25]. Deux Ă©vĂ©nements viennent cependant conforter ShĆmu dans son entreprise : dâune part la dĂ©couverte providentielle dâune mine dâor dans la province de Mutsu permet de rĂ©unir suffisamment de minerai pour dorer la statue colossale, dâautre part un oracle du kami shinto Hachiman provenant du sanctuaire Usa Hachiman-gĆ« rapporte vouloir protĂ©ger le Grand Bouddha en construction (certains documents dâĂ©poque rapportent mĂȘme que lâoracle aurait permis la dĂ©couverte du gisement dâor)[26] - [19]. Hachiman devient ainsi une divinitĂ© protectrice du temple et son culte est dĂ©placĂ© Ă Nara, sur le site du TĆdai-ji au sanctuaire Hachiman[27].
La cĂ©rĂ©monie dâouverture des yeux (kaigen) du Grand Bouddha, qui doit confĂ©rer Ă la statue son pouvoir spirituel, se tient en 752 avant mĂȘme son achĂšvement final, en raison de la santĂ© fragile de ShĆmu (il renonce dâailleurs au trĂŽne en 749 en faveur de sa fille pour entrer en religion avec son Ă©pouse KĆmyĆ)[6]. Plus de dix mille moines â japonais, indiens et chinois â ainsi que de nombreux courtisans assistent aux festivitĂ©s qui durent plusieurs jours[28]. Bodhisena dessine lui-mĂȘme les iris des yeux de la statue, le pinceau reliĂ© par des ficelles Ă ShĆmu[28]. La statue est achevĂ©e en 757, aprĂšs la pose de la dorure et les gravures du piĂ©destal[12]. De nombreux Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs ou rituels utilisĂ©s lors de la cĂ©rĂ©monie ont Ă©tĂ© conservĂ©s au ShĆsĆ-in, comme les masques en bois typiques de la danse nommĂ©e gigaku[29].
Chantier gigantesque qui a marquĂ© durablement le rĂšgne de ShĆmu, les spĂ©cialistes estiment que la construction a mobilisĂ© 370 000 forgerons et 500 000 charpentiers, laissant exsangues les finances de la jeune administration[18] - [30].
Ăpoques de Nara et de Heian : rapports mouvants avec la cour impĂ©riale
Le TĆdai-ji apparaĂźt comme le centre spirituel principal de la nouvelle capitale et symbolise le dynamisme du bouddhisme au Japon, Ă lâapogĂ©e du systĂšme bouddhique centralisĂ© mis au point par ShĆmu[31]. Il fait dâailleurs partie des quinze temples principaux (Nanto Shichidai-ji) dĂ©signĂ©s par lâĂtat, et devient Ă sa construction le centre de lâĂ©cole bouddhiste Kegon, ainsi que le centre du Ritsu Ă partir de 754[32]. ShĆmu et ses successeurs immĂ©diats poursuivent leur politique trĂšs favorable en faveur du bouddhisme. Les grands temples se voient accorder des champs (konden) et des exemptions dâimpĂŽt, de façon assez inĂ©gale ; le TĆdai-ji, principal temple du pays, est dotĂ© dâun domaine de quelque 6 000 hectares par lâĂtat[33]. Entre 749 et 756, des reprĂ©sentants du temple ont la tĂąche de prospecter et choisir les terres les plus favorables aux cultures. Un registre de 770 indique la possession de 92 domaines (shĆen) rĂ©partis sur 23 provinces[34]. Favorisant lâamĂ©lioration des techniques et des outils agricoles, les grands temples attirent de plus en plus les paysans[33].
Ces grands privilĂšges expliquent la richesse et lâinfluence que gagnent rapidement les moines bouddhiques, jusquâĂ donner mĂȘme lâimpression de pouvoir menacer la cour impĂ©riale[35] - [36]. En butte au pouvoir des grands temples de Nara qui irritent les grands dignitaires de lâaristocratie, lâempereur Kammu prend des mesures pour regagner le contrĂŽle Ă la fin de lâĂ©poque de Nara : il rĂ©duit les subventions, renforce les codes et dĂ©place la capitale[14]. Cette politique de rĂ©duction de lâindĂ©pendance des temples est poursuivie Ă plusieurs reprises par ses successeurs, notamment via les rĂ©formes fiscales de la fin du IXe siĂšcle qui rendent les revenus des terres agricoles possĂ©dĂ©es par les temples moins profitables, et conditionnĂ©s Ă une exemption dâimpĂŽt accordĂ©e par la cour[37]. Ainsi, aprĂšs une pĂ©riode de prospĂ©ritĂ©, lâinfluence de Nara tout comme celle du TĆdai-ji dĂ©cline, hormis au niveau local[38]. De plus, lâisolement politique sâaccompagne durant toute lâĂ©poque de Heian dâun dĂ©clin religieux, car de nouvelles Ă©coles bouddhiques sâimposent au Japon, dâabord les sectes Ă©sotĂ©riques Tendai et Shingon, puis la Terre pure (jĆdo). La cour ressent en effet le besoin dâinstaurer un bouddhisme moins rigide et plus proche des fidĂšles[39]. En 822, le temple perd par exemple le privilĂšge de dĂ©tenir seul une estrade dâordination pour tous les moines du Japon central, au profit de lâEnryaku-ji (temple Tendai)[32]. NĂ©anmoins, le TĆdai-ji demeure une institution importante et Ă©conomiquement prospĂšre grĂące Ă ses vastes domaines durant lâĂ©poque de Heian[40] - [41] : en 949 par exemple, 56 moines-soldats du temple se rassemblent chez un noble de Heian pour protester contre une nomination qui ne les satisfaisait pas, provoquant une rixe[42]. Ces pratiques fondĂ©es sur lâintimidation semblent avoir Ă©tĂ© courantes durant les Xe et XIe siĂšcles[42], de mĂȘme que les Ă©chauffourĂ©es entre temples (en particulier avec les moines du KĆfuku-ji et du mont Hiei) jusquâĂ la montĂ©e en puissance des clans guerriers (Taira et Minamoto pour les plus importants)[43].
Durant lâĂ©poque de Heian, le TĆdai-ji souffre Ă plusieurs reprises de destructions plus ou moins importantes, nĂ©cessitant des travaux de rĂ©novation qui transforment un peu le plan original. En 855, un tremblement de terre fait ainsi tomber la tĂȘte du Grand Bouddha de bronze[18]. En raison du prestige de ses fondateurs et du puissant symbole impĂ©rial que constitue le Grand Bouddha, les empereurs assurent les rĂ©parations nĂ©cessaires[44].
Destruction de 1180 et reconstruction
La fin de lâĂ©poque de Heian correspond au dĂ©clin de lâautoritĂ© de lâempereur et de lâaristocratie ; les seigneurs locaux (daimyos ou bushi), propriĂ©taires terriens et chefs de guerre, ont acquis peu Ă peu une force et une autonomie suffisante pour se disputer la domination du Japon. Parmi eux, deux principaux clans, les Taira et les Minamoto, se livrent plusieurs guerres entre 1156 et 1185. Ă la fin de 1180, le TĆdai-ji est incendiĂ© lors des guerres civiles de Genpei par les Taira, car les moines de Nara sâĂ©taient ralliĂ©s aux Minamoto. La plupart des bĂątiments â dont la Salle du Grand Bouddha, les pagodes, le Kaidan-in, les bains, les dortoirs et le rĂ©fectoire â sont dĂ©truits et le Grand Bouddha apparaĂźt sĂ©rieusement endommagĂ©, notamment la tĂȘte[45].
La destruction de ce symbole politique et religieux choque la population[46] et rallie de nombreux partisans aux Minamoto[47]. Lâempereur retirĂ© Go-Shirakawa, qui nâexerçait alors quâun pouvoir limitĂ©, dĂ©cide la restauration du temple. Le TĆdai-ji Ă©tant depuis ShĆmu un symbole de la puissance de lâĂtat, Go-Shirakawa souhaite rĂ©affirmer la gloire du trĂŽne et sa prĂ©pondĂ©rance sur le Japon, en impliquant dans le projet toutes les franges de la population[48]. Il Ă©tait de plus rĂ©putĂ© ĂȘtre un fervent bouddhiste, tout comme ShĆmu avec lequel il sâefforçait de rivaliser pour le surpasser. Il doit nĂ©anmoins faire face Ă deux difficultĂ©s majeures : dâune part les finances de la cour sont largement insuffisantes, dâautre part il luli faut composer avec Taira no Kiyomori, chef du clan Taira, qui domine dans un premier temps la guerre civile et sâinstalle Ă Heian-kyĆ (Kyoto) pour contrĂŽler le pouvoir dĂšs 1059[48]. Le TĆdai-ji lui-mĂȘme nâavait alors pas les ressources nĂ©cessaires pour assumer les travaux, dâautant plus que les Taira confisquent ses terres[48].
MalgrĂ© tout, les premiers plans de restauration sont Ă©tudiĂ©s dĂšs 1181, par lâintermĂ©diaire dâun proche conseiller de Go-Shirakawa, Fujiwara no Yakitaka, qui se rend sur place. AprĂšs sâĂȘtre entendu avec les fondeurs de Nara pour la reconstruction du Grand Bouddha, il suggĂšre en mars 1181 Ă lâempereur de mener une campagne de collecte de fonds dans tout le pays (kanjin), sur le modĂšle de la campagne menĂ©e au VIIIe siĂšcle par GyĆki. Outre le financement, impliquer le peuple doit permettre de concrĂ©tiser le lien direct voulu entre lâempereur et ses sujets[48].
Lâorganisation de la campagne de levĂ©e de fonds, ainsi que la supervision de lâensemble des travaux, est confiĂ©e Ă un moine nommĂ© ShunjĆbĆ ChĆgen, qui prĂ©tend avoir eu un rĂȘve prĂ©monitoire lui ordonnant dâaider le TĆdai-ji, tandis que Fujiwara no Yakitaka assure lâintendance gĂ©nĂ©rale du projet. Le choix de ChĆgen peut surprendre, car il ne sâagissait pas dâun moine trĂšs haut placĂ© dans la hiĂ©rarchie religieuse. Toutefois, il cumulait un certain nombre dâavantages : il avait dĂ©jĂ menĂ© deux campagnes de dons pour la construction de deux modestes temples de province, il aurait effectuĂ© trois voyages en Chine afin dâĂ©tudier les techniques de construction avancĂ©es des Song, et il serait un proche de HĆnen, moine trĂšs influent fondateur de la premiĂšre Ă©cole de la Terre pure au Japon, nommĂ©e JĆdo shĆ«[48]. Il a ainsi acquis le soutien de diverses personnalitĂ©s en province ou Ă la cour, comme le ministre Minamoto Moroyuki. GrĂące Ă ses voyages, il peut en outre faire venir plusieurs artistes chinois pour les restaurations[49].
LâĂ©dit impĂ©rial promulguant la campagne de levĂ©e de fonds pour la reconstruction du temple et du Grand Bouddha est Ă©mis par lâempereur aux alentours de juin 1181. Toutefois, le peuple Ă©tant dĂ©jĂ pauvre et malmenĂ© par la guerre civile, il est aujourdâhui dĂ©licat dâestimer les revenus rĂ©ellement dĂ©gagĂ©s par ChĆgen. Les historiens estiment plutĂŽt que lâessentiel des dons provient de grands mĂ©cĂšnes, en premier lieu Minamoto no Yoritomo, rival des Taira et maĂźtre du Japon dĂšs 1185, en partie afin de lĂ©gitimer son gouvernement[48] - [50]. Sur dĂ©cision de Yoritomo Ă©galement, les revenus des provinces de SuĆ et Bizen sont attribuĂ©s au financement de la reconstruction. Les travaux de restauration du Grand Bouddha dĂ©butent en octobre 1181, moins dâun an aprĂšs la destruction ; la tĂȘte intĂ©gralement refondue est achevĂ©e en 1185 sous la direction dâun maĂźtre chinois, Chen Hequing, venu Ă la demande de ChĆgen[51]. La cĂ©rĂ©monie dâouverture des yeux de la statue se tient la mĂȘme annĂ©e, Go-Shirakawa peignant en personne les yeux, une tĂąche qui normalement n'est pas dĂ©volue Ă un empereur[48]. La rĂ©novation complĂšte du temple prend en rĂ©alitĂ© un siĂšcle entier[52].
Ăpoques mĂ©diĂ©vales et modernes
Si la restauration du Grand Bouddha est une rĂ©ussite pour Go-Shirakawa, sa tentative de replacer la cour au centre de lâĂ©chiquier politique est en revanche un Ă©chec, puisque lâĂ©poque de Kamakura marque lâavĂšnement des guerriers et des premiers shoguns[48]. Au dĂ©but du XIVe siĂšcle, le prestige du TĆdai-ji dĂ©cline de nouveau, au profit dâautres temples comme le TĆ-ji[53] ; lâempereur Go-Daigo, qui rĂ©ussit Ă conserver le contrĂŽle de la religion, privilĂ©gie en effet les temples de la capitale, Heian[54]. De plus, la pratique de la religion devient plus intime, visant non plus Ă la protection de lâĂtat, mais Ă la recherche personnelle de la rĂ©demption et de la foi[55]. DĂšs le XIIe siĂšcle, il devient difficile pour le TĆdai-ji de percevoir les revenus de ses domaines Ă©loignĂ©s, les administrateurs locaux lui dĂ©sobĂ©issant sciemment et en toute impunitĂ©[56].
Le temple subit un nouvel incendie majeur lors de la guerre entre Matsunaga Hisahide et le clan Miyoshi en 1567, sinistre qui le dĂ©truit presque intĂ©gralement[18], conduisant Ă plusieurs restaurations durant le XVIe et le XVIIe siĂšcle, Ă lâĂ©poque d'Edo. DĂšs 1568, lâempereur Ćgimachi et plusieurs personnalitĂ©s comme Oda Nobunaga projettent les restaurations et une campagne de levĂ©e de fonds est une fois encore organisĂ©e en 1572, mais les troubles politiques et lâimportance rĂ©duite du temple font que cette bonne volontĂ© ne conduit quâĂ des restaurations mineures[57]. Il faut plusieurs dĂ©cennies avant que la reconstruction ne soit rĂ©ellement lancĂ©e, vers 1680, sous lâimpulsion du shogun Tokugawa Tsunayoshi[49]. La salle du Grand Bouddha est achevĂ©e en 1707[58]. Le moine KĆkei, responsable du projet, effectue tout comme ses prĂ©dĂ©cesseurs une campagne de levĂ©e de fonds dans le pays[49]. LâĂ©tat actuel du site est le fruit de ces grands travaux.
Les constructions de lâĂ©poque dâEdo prĂ©sentent des faiblesses architecturales importantes qui conduisent Ă une sĂ©rie de restaurations au XXe siĂšcle. Lâadministration Meiji adopte en effet Ă la fin du XIXe siĂšcle les premiĂšres lois de protection du patrimoine, dont bĂ©nĂ©ficie le TĆdai-ji entre 1906 et 1913 sous la direction et le financement du ministĂšre de lâIntĂ©rieur (Naimusho)[59]. La salle du Grand Bouddha est en grande partie dĂ©mantelĂ©e et reconstruite dâaprĂšs les plans de plusieurs architectes ayant Ă©tudiĂ© les techniques occidentales, Tsumaki Yorinaka, Ito Chuta, Sekino Tadashi et Amanuma Shunâichi ; ces derniers mĂšnent Ă©galement les premiĂšres Ă©tudes archĂ©ologiques sur le site[60]. Les techniques ancestrales avaient de fait Ă©tĂ© perdues et aucun architecte nâĂ©tait capable de restaurer un tel Ă©difice sans recourir Ă lâingĂ©nierie occidentale moderne, en particulier lâusage de tiges dâacier[61].
De nos jours, le temple fait partie depuis 1998 des « monuments historiques de l'ancienne Nara » inscrits au patrimoine mondial par lâUNESCO[62]. Les moines y tiennent toujours les cĂ©rĂ©monies et offices religieux, bien que le temple soit Ă©galement devenu lâune des principales attractions touristiques de lâancienne capitale de Nara[63].
Historiographie
Outre les archives et chroniques officielles â dont les Rikkokushi ou le Man'yĆshĆ« â, lâhistoire du TĆdai-ji peut ĂȘtre aisĂ©ment retracĂ©e grĂące Ă lâabondance dâarchives, annales, inventaires et autres documents historiques tenus depuis le VIIIe siĂšcle par les moines de Nara. Au nombre de ces derniers, les 8 516 feuillets montĂ©s en cent rouleaux des Archives du TĆdai-ji (TĆdai-ji monjo) offrent un aperçu sur lâadministration, les biens et les cĂ©lĂ©brations du temple, ainsi que sur la sociĂ©tĂ© de Nara et lâorganisation du Japon du VIIIe siĂšcle jusquâĂ lâĂ©poque dâEdo[64] - [65]. Autres documents, les Archives du ShĆsĆ-in (ShĆsĆ-in monjo), centrĂ©es sur la pĂ©riode de Nara uniquement, constituent la plus importante documentation de lâĂ©poque ; il y figure des registres assez prĂ©cis des commandes de statues, des Ă©dits, des recensements, des rĂ©coltes de riz, des taxes[66]⊠Durant lâĂ©poque mĂ©diĂ©vale, les moines du temple se piquent dâĂ©crire eux-mĂȘmes les annales et anecdotes sur les origines et lâhistoire du temple, en particulier les dix rouleaux du TĆdai-ji yĆroku (1106, rĂ©visĂ© en 1134) ou les neuf rouleaux du TĆdai-ji zoku-yĆroku (ultĂ©rieur Ă 1180)[64]. Enfin, le TĆdai-ji bettĆ shidai fournit la liste des supĂ©rieurs (les bettĆ) du temple jusquâen 1444[67].
Les mokkan (ensemble de tablettes en bois utilisĂ©es comme mĂ©mos ou notes de correspondance) retrouvĂ©s lors des fouilles archĂ©ologiques menĂ©es sur le site fournissent Ă©galement des informations sur lâapprovisionnement, la construction du temple et le fonctionnement du Bureau de construction du TĆdai-ji[68].
Site du TĆdai-ji
Le site actuel du TĆdai-ji sâĂ©tend sur une surface presque carrĂ©e de 800 par 900 mĂštres, bordĂ©e Ă lâest par les prĂ©mices du mont Wakakusa, dĂ©caissĂ© en quatre vastes terrasses[69]. Le mur dâenceinte nâexiste plus, mis Ă part la grande porte sud (Nandaimon) et la porte Tengai au nord-ouest. Le visiteur pĂ©nĂštre par la porte sud, alignĂ©e avec le cloĂźtre intĂ©rieur situĂ© 230 mĂštres plus loin[70]. Ce cloĂźtre, qui donne accĂšs au bĂątiment principal (le Daibutsu-den, hĂ©bergeant la statue colossale de Vairocana), mesure 110 mĂštres de profondeur pour 170 de large ; on y accĂšde par la porte intĂ©rieure (ChĆ«mon)[71]. Lâancien quartier des moines et la salle de lecture (kĆdĆ), originellement situĂ©s derriĂšre le Daibutsu-den, nâexistent plus.
Ă lâouest se trouvent plusieurs temples secondaires, dont le Kaidan-in (estrade dâordination), le Senju-dĆ, le Kanjin-so et le Sashizu-dĆ. Le ShĆsĆ-in, magasin principal oĂč Ă©taient entreposĂ©s les trĂ©sors du temple, et le Chisoku-in se situent au nord[71]. Au nord-est, quelques temples annexes demeurent, dont le HĆgen-in, le RyĆshĆ-in et le RyĆ«zĆ-in. Les terrasses de lâest comptent un grand nombre de bĂątiments : en premier le beffroi (shĆrĆ) et les bains, puis la salle des fondateurs (kaisan-dĆ), le kannon-in⊠Plus Ă lâest encore se trouvent le Nigatsu-dĆ oĂč se tient un important rituel une fois par an, le Hokke-dĆ et le sanctuaire shinto de Hachiman (Hachiman-jinja). Enfin, au sud du cloĂźtre intĂ©rieur dort lâĂ©tang du Miroir, bordĂ© par les bĂątiments administratifs[71].
Les travaux archĂ©ologiques et Ă©tudes des documents historiques montrent que le plan du site nâa pas fondamentalement changĂ© depuis lâorigine, bien que des bĂątiments nâaient pas Ă©tĂ© reconstruits[72]. Le plan des temples bouddhiques rĂ©pond aux concepts dâĂ©quilibre et dâharmonie propres Ă lâAsie de lâEst. Les façades sont tournĂ©es vers le sud, reprĂ©sentant le bien, et le site suit un axe nord-sud qui rĂ©vĂšle la hiĂ©rarchie entre les divers bĂątiments[71].
Administration
Organisation
Aux Ă©poques antiques et mĂ©diĂ©vales, le temple accueillait au moins 300 moines, rĂ©partis en deux groupes : les moines Ă©rudits vouĂ©s Ă la spiritualitĂ© et Ă lâĂ©tude des textes, et les moines non Ă©rudits assurant les services religieux moins prestigieux et lâadministration quotidienne du temple[73]. Dâautres groupes de moines existent en marge, dont les moines-soldats et les artisans[73], ainsi que les corps de laĂŻcs organisĂ©s en bureaux ou dĂ©partements nommĂ©s tokoro[74] et un corps dâesclaves au service des moines dans les temps anciens[75]. Traditionnellement, le temple est dirigĂ© par un moine appelĂ© bettĆ (le supĂ©rieur), qui est assistĂ© par un cabinet nommĂ© sangĆ pour les tĂąches administratives et politiques, et par les cinq maĂźtres (gosho, usuellement les plus ĂągĂ©s du temple) pour lâorganisation de la vie des moines et des services religieux au quotidien[73]. Le bettĆ est nommĂ© par la cour impĂ©riale ; Ă lâĂ©poque de Heian, il sâagit communĂ©ment dâun moine dâimportance, souvent issu de lâaristocratie. Il rĂ©side Ă partir du XIe siĂšcle Ă Heian (Kyoto) et joue le rĂŽle dâintermĂ©diaire auprĂšs de la cour pour relayer les dolĂ©ances. Le sangĆ se compose de quatre ou cinq membres chargĂ©s de lâadministration. Ă partir du XIe siĂšcle, lâabsence du bettĆ au temple lui confĂšre un rĂŽle plus important et plus indĂ©pendant[76].
Au dĂ©but de lâĂ©poque mĂ©diĂ©vale (XIIe siĂšcle), lâĂ©volution de la sociĂ©tĂ© et les difficultĂ©s fiscales modifient certains aspects de lâadministration du temple[77]. Le bettĆ vivant Ă la capitale, les rĂ©sidents locaux privilĂ©gient lâassemblĂ©e des moines (shuto ou manji) et lâinstauration dâune vĂ©ritable bureaucratie pour gĂ©rer les terres affiliĂ©es au temple[78]. De nombreuses dĂ©cisions sont dĂ©sormais prises par cette assemblĂ©e, qui est dirigĂ©e par les cinq maĂźtres et un secrĂ©taire (nenâyosho). Bien quâancienne, elle prend un rĂŽle plus important Ă partir du XIIe siĂšcle, y compris sur des sujets politiques ou Ă©conomiques[79]. Elle peut par exemple signer des documents officiels, sâadresser directement Ă la cour et sâimpliquer dans la gestion des domaines. En fait, les tensions entre les dirigeants et lâassemblĂ©e deviennent tangibles au cours du XIIe siĂšcle[80]. Ainsi, le conflit autour de la gestion du domaine dâĆi (Ći no shĆ) empoisonne les relations de 1211 Ă 1289[81]. Les domaines affiliĂ©s au temple sont par ailleurs gĂ©rĂ©s au niveau local par des administrateurs nommĂ©s shĆkan, fonction souvent hĂ©rĂ©ditaire dont le rĂŽle est dâassurer la bonne tenue du domaine et le versement des taxes aux moines[82]. Plus gĂ©nĂ©ralement, le TĆdai-ji Ă©tait Ă la tĂȘte dâun rĂ©seau de temples secondaires (in ou dĆ) quâil patronnait. Parfois mĂȘme, la gestion de domaines appartenant au TĆdai-ji est dĂ©lĂ©guĂ©e Ă des temples affiliĂ©s (ces accords sont nommĂ©s ukebumi)[83].
Les artistes et artisans forment une organisation Ă part au VIIIe siĂšcle, le Bureau de construction du TĆdai-ji (ZĆ TĆdai-ji shi), composĂ© de plusieurs dĂ©partements bien administrĂ©s et hiĂ©rarchisĂ©s ; lâapprovisionnement en matiĂšres premiĂšres, principalement le bois, relĂšve Ă©galement de lâorganisme[84] - [85]. Lâatelier de sculpture, dont le premier directeur est Kuninaka no Muraji Kimimaro (maĂźtre sculpteur du Grand Bouddha), fut le plus actif de lâĂ©poque et imprĂšgne de son style le milieu de la pĂ©riode TenpyĆ[86]. Les archives du temple permettent de comprendre la structure hiĂ©rarchisĂ©e mise en place pour gĂ©rer le nombre important dâemployĂ©s, au moins 8 000 artisans et 200 superviseurs en 759, placĂ©s sous la tutelle du responsable de chaque dĂ©partement choisi parmi lâaristocratie : sculpture, peinture, travail du bronze, travail du fer et du bois, laque, fabrique de tuiles, dorure, poterie[87]. Toutefois, le bureau est fermĂ© en 789 Ă la suite de son refus de sâinstaller Ă Heian (Kyoto), et ses membres se dispersent rapidement[88].
Finances et gestion des domaines
FavorisĂ© par les empereurs Ă lâĂ©poque de Nara, le TĆdai-ji pouvait compter sur dâimportants revenus financiers pour assurer son fonctionnement : subventions de lâĂtat (les impĂŽts de 5 000 mĂ©nages sont allouĂ©s au fonctionnement du temple, dont 1 000 pour les tĂąches de maintenance, 2 000 pour les cĂ©rĂ©monies et le reste pour la communautĂ©[89]), exemptions dâimpĂŽts, revenus des champs (konden) rĂ©partis dans tout le Japon, etc. Mais rapidement, la cour se dĂ©sengage financiĂšrement et les grands temples doivent pallier cela en accroissant leur domaine afin dâaugmenter les revenus, Ă partir du Xe siĂšcle[90] - [91]. Ces domaines sont nommĂ©s shĆen, dont le propriĂ©taire privĂ© percevait une partie des revenus. Un registre de 770 indique que le TĆdai-ji en possĂ©dait 92, et un autre de 1214 en mentionne 42[92] - [93], mais les possessions du temple ne sont pas fixes, les plus anciennes pouvant par exemple ĂȘtre laissĂ©es Ă lâabandon[94]. Durant la guerre de Genpei, tous les domaines sont momentanĂ©ment confisquĂ©s par les Taira, avant dâĂȘtre restituĂ©s par Minamoto no Yoritomo, que le TĆdai-ji avait soutenu[95] - [96]. Ă partir de lâĂ©poque de Heian, les temples deviennent donc dĂ©pendants de leurs terres mais Ă©galement de la cour impĂ©riale, car pour ĂȘtre profitable, un domaine devait obtenir une exemption dâimpĂŽts accordĂ©e de plein droit par lâĂtat ; obtenir une telle exemption pour chaque domaine sâimpose donc comme un enjeu capital[37]. Le propriĂ©taire pouvait Ă©ventuellement fixer une taxe supplĂ©mentaire, dans les strictes limites fixĂ©es par la loi[90].
Au XIIIe siĂšcle, la dĂ©pendance aux domaines sâaccroĂźt encore, car le pouvoir nâappartient plus directement Ă la cour impĂ©riale, tandis que les Ă©coles religieuses prolifĂšrent et entrent en compĂ©tition[78]. Lâattribution des revenus dâune province Ă un temple (chigyĆkoku) nâexiste dâailleurs plus, et nâest que marginalement reprise pour financer les travaux de restauration du TĆdai-ji de lâĂ©poque de Kamakura, aprĂšs que Minamoto no Yoritomo attribue au temple les impĂŽts des provinces de SuĆ, et dans une moindre mesure de Bizen et de Harima[97] - [98]. Les problĂšmes administratifs et financiers deviennent alors la premiĂšre prĂ©occupation des moines, car lâadministration des domaines (rĂ©partis dans tout le pays) et la perception des revenus, qui sont dĂ©sormais entiĂšrement laissĂ©es aux mains du clergĂ©, sâavĂšrent trĂšs complexes[97]. En effet, les puissantes familles ou les gĂ©rants locaux (jitĆ ou gokenin) sâarrogent les terres du TĆdai-ji ou refusent ostensiblement de payer les impĂŽts[56]. Les brigandages au milieu du XIIIe siĂšcle en raison des disettes et des Ă©pidĂ©mies posent Ă©galement de nouveaux problĂšmes[99], tout comme les rivalitĂ©s avec dâautres temples comme le KĆfuku-ji, protĂ©gĂ© par les Fujiwara et sa troupe de moines-soldats[100]. En rĂ©ponse Ă ces maux, les moines doivent sâinvestir bien plus quâavant dans lâadministration des domaines, notamment en nommant des reprĂ©sentants officiels (azukari dokoro) chargĂ©s de supplĂ©er les gĂ©rants locaux, de prĂ©fĂ©rence des moines haut placĂ©s afin de limiter la corruption[101]. NĂ©anmoins, les problĂšmes de gestion ne vont pas en sâamĂ©liorant et seuls huit domaines versent effectivement les taxes dues au TĆdai-ji en 1269, assurant un revenu minimal[102]. En conclusion, le XIIIe siĂšcle marque un tournant dans le financement du temple, les moines devant sâimproviser gestionnaires et faire fonctionner un modĂšle qui nâest plus en phase avec la sociĂ©tĂ©, la tendance Ă©tant Ă la centralisation des terres et non plus au maintien de domaines dispersĂ©s dans tout le pays[102].
Au XIVe siĂšcle, dâautres sources de revenus sont explorĂ©es, par exemple lâinstauration de droits de pĂ©age dans les ports[103] ou lâaugmentation importante des guildes de commerce et dâartisanat (za), dont la plus ancienne remonte Ă 1097 au TĆdai-ji[104].
De nos jours, le temple appartient toujours Ă lâĂ©cole Kegon dont il est le centre[105], Ă lâexception du ShĆsĆ-in et de son trĂ©sor qui sont administrĂ©s par lâAgence impĂ©riale[106]. Ă lâĂ©poque moderne, les temples et Ă©coles bouddhiques au Japon sont financĂ©s principalement par les services religieux quâils assurent (rites funĂ©raires, entretien des cimetiĂšres, priĂšres), les visites (tourisme ou pĂšlerinage) et les dons[107]. Dâautre part, les restaurations ou rĂ©parations des nombreux biens classĂ©s au patrimoine culturel du Japon sont subventionnĂ©es par lâĂtat[59] - [108].
Spiritualité et religion
Bouddhisme
Le TĆdai-ji est le centre des Ă©coles bouddhiques Kegon (Ă©cole de lâornementation fleurie) et Ritsu (Ă©cole de la discipline). Le Kegon (Huayan), importĂ© de Chine et basĂ© sur le sĆ«tra Avatamsaka, fait partie des six principales Ă©coles de Nara (Nanto rikushĆ«). Les enseignements essentiels de lâĂ©cole se fondent sur lâidĂ©e dâinterpĂ©nĂ©tration (Dharmadhatu, espace de la rĂ©alitĂ© absolue) des Ă©lĂ©ments de lâunivers : la crĂ©ation et lâinteraction des phĂ©nomĂšnes rĂ©els sont absolues et rĂ©ciproques selon le principe dâinfinitĂ© dans lâespace et le temps, signifiant quâun Ă©lĂ©ment de la rĂ©alitĂ© contient tous les autres, et inversement[109]. Les doctrines trĂšs Ă©litistes de lâĂ©cole proposent une classification stricte des enseignements du Bouddha jusquâĂ la comprĂ©hension complĂšte du Dharmadhatu[109]. Le bouddha Vairocana (le Grand Bouddha au TĆdai-ji) y tient un rĂŽle central. RĆben est lâun des principaux artisans de lâenseignement du Kegon au Japon, et le TĆdai-ji en devient le centre (honzan) par son truchement. LâĂ©cole nâest rĂ©ellement influente que durant lâĂ©poque de Nara, avant dâĂȘtre rapidement supplantĂ©e par les sectes Ă©sotĂ©riques au IXe siĂšcle[110]. Ă lâĂ©poque de Kamakura, elle connaĂźt un regain dâintĂ©rĂȘt momentanĂ© grĂące Ă plusieurs personnalitĂ©s ; dĂšs le Xe siĂšcle, KĆchi fonde le temple secondaire SonshĆ-in au TĆdai-ji afin de se dĂ©gager de lâĂ©sotĂ©risme dominant[111]. Puis SĆshĆ (1202-1278) et surtout GyĆnen (1240-1321) restaurent et modernisent lâenseignement du Kegon par une vision Ă©rudite mais plus Ă©clectique des pratiques et des dogmes, y apportant des Ă©lĂ©ments dâautres Ă©coles zen, Ritsu, Tendai et de la Terre pure[112]. MyĆe (1173-1232) enfin, moine important du XIIIe siĂšcle, poursuit cette voie : il Ă©tudie au TĆdai-ji avant de fonder au KĆzan-ji un courant du Kegon moins intellectuel, plus prĂ©occupĂ© par les besoins spirituels des fidĂšles[113].
LâĂ©cole Ritsu (Vinaya), appartenant Ă©galement aux six Ă©coles de Nara, prĂȘche plutĂŽt un ensemble de codes et de rĂšgles de la vie monacale permettant dâatteindre lâĂveil[114]. Lâordination et la pratique religieuse des moines qui en dĂ©coulent sont thĂ©oriques et strictement codifiĂ©es. Câest un moine chinois, Ganjin (Jianzhen), qui apporte cet enseignement au Japon Ă partir de 754. La cour lui accorde le droit dâouvrir une salle dâordination au TĆdai-ji, le Kaidan-in, oĂč les moines sont dĂ©sormais formĂ©s et intronisĂ©s[115]. MalgrĂ© la crĂ©ation dâautres estrades dâordination au Japon, le Kaidan-in reste la principale durant toute lâĂ©poque de Heian[116]. Tout comme le Kegon, lâĂ©cole Ritsu dĂ©cline aprĂšs lâĂ©poque de Nara et connaĂźt un bref regain dâintĂ©rĂȘt Ă lâĂ©poque de Kamakura, notamment en provenance du Saidai-ji[112].
Les temples constituent Ă lâorigine des lieux dâĂ©tude et dâenseignement qui ne sont pas restreints Ă un corpus prĂ©cis, mais permettent dâĂ©tudier au contraire les enseignements de diffĂ©rentes Ă©coles[40]. RĆben, un des fondateurs du temple, insuffle cette tradition studieuse en programmant des confĂ©rences et des sessions de lecture des sĆ«tras[117]. Les enseignements portaient sur la comprĂ©hension dâun sĆ«tra ou dâun concept, les moines pouvant se spĂ©cialiser dans diverses disciplines, par exemple lâĂ©tude de chacune des six Ă©coles de Nara au VIIIe siĂšcle[118]. Le TĆdai-ji reste ainsi un foyer spirituel important oĂč de nombreux moines des diffĂ©rentes Ă©coles de Nara et de Heian se cĂŽtoient, bien que lâĂ©cole Kegon perde grandement de son importance aprĂšs le VIIIe siĂšcle[113]. Depuis le Xe siĂšcle, le supĂ©rieur (bettĆ) du temple est dâailleurs choisi parmi le clergĂ© Shingon (Ă©cole Ă©sotĂ©rique)[119], et le rapprochement entre les deux Ă©coles semble remonter au temps du fondateur du Shingon, KĆ«kai, au IXe siĂšcle[113].
Syncrétisme et shinto
La religion au Japon se caractĂ©rise par le syncrĂ©tisme entre le shinto et le bouddhisme, câest-Ă -dire entre les croyances ancestrales et la religion continentale. Le TĆdai-ji participe aux prĂ©mices de ce syncrĂ©tisme, sâagissant dâun des premiers temples bouddhiques protĂ©gĂ©s par un kami shinto, Hachiman, divinitĂ© de la guerre et protecteur du pays. Durant la construction du TĆdai-ji, le culte de Hachiman Ă©tait principalement rendu Ă Usa (KyĆ«shĆ«)[120] ; toutefois, un oracle rapporte alors que le dieu souhaite protĂ©ger le Grand Bouddha du TĆdai-ji. Nara devient alors un des foyers du culte de Hachiman, et son sanctuaire (Tamekuya Hachiman-gĆ«) est Ă©tabli sur le site, Ă lâest sur les premiers contreforts du mont Wakakusa[26]. De plus, un sanctuaire dĂ©diĂ© Ă la divinitĂ© est Ă©tabli dans les monastĂšres provinciaux (kokubun-ji) dĂ©pendants du TĆdai-ji[21]. Outre la protection du temple, Hachiman devient Ă lâĂ©poque mĂ©diĂ©vale protecteur du clan Minamoto, qui dirige le Japon plusieurs dĂ©cennies, et de ses territoires du KantĆ[121]. Son culte se rĂ©pand dans tout le pays et de nombreux sanctuaires (plus de 30 000) lui sont dĂ©diĂ©s de nos jours[121]. Les cĂ©rĂ©monies tenues au sanctuaire mĂ©langent Ă©galement les pratiques des deux religions[122].
Durant la reconstruction du TĆdai-ji Ă lâĂ©poque de Kamakura, ChĆgen a recours Ă la mĂȘme pratique en invoquant lâaide du sanctuaire shinto Ise-jingĆ«, dĂ©diĂ© principalement Ă la dĂ©esse Amaterasu[97]. Il sây rend en pĂšlerinage en 1186 oĂč, selon la lĂ©gende, la dĂ©esse lui apparaĂźt en rĂȘve et lui promet son aide pour la restauration du TĆdai-ji, si ChĆgen promet de raviver lâĂ©nergie spirituelle de la divinitĂ©[97]. Il ramĂšne donc au sanctuaire six cents rouleaux du SĆ«tra de la Grande Vertu de sagesse (Daihannya-kyĆ) Ă la tĂȘte dâune dĂ©lĂ©gation de soixante moines[123].
Rites et cérémonies
Les rites et cĂ©rĂ©monies sont essentiels dans la tradition japonaise, car ils permettent dâassurer protection et prospĂ©ritĂ©. Ătant donnĂ© qu'ils sont extrĂȘmement codifiĂ©s et rĂ©gis par un calendrier prĂ©cis, les moines sont chargĂ©s dâassurer leur bonne tenue, quâils soient quotidiens, saisonniers, annuels⊠DĂšs le VIIIe siĂšcle, RĆben Ă©tablit un programme annuel des cĂ©rĂ©monies et des confĂ©rences[117]. Les rites pratiquĂ©s au TĆdai-ji, bouddhiques ou shinto, sont assurĂ©s par diffĂ©rents groupes de moines affiliĂ©s Ă la salle du Grand Bouddha ou aux diffĂ©rents temples secondaires. Ă lâĂ©poque de Nara, les plus grandes cĂ©rĂ©monies sây tenaient, en prĂ©sence de hauts reprĂ©sentants de la cour impĂ©riale[124].
Le rituel nommĂ© Shuni-e (« cĂ©rĂ©monie du second mois ») ou Omizu-tori (lit. « cĂ©rĂ©monie du puisage de lâeau »), qui se tient chaque annĂ©e depuis 752, est le plus important du temple. Il se dĂ©roule du 1er au 14 mars au Nigatsu-dĆ afin de purifier le monde profane de ses pĂ©chĂ©s et favoriser la prospĂ©ritĂ© du pays[125]. Onze moines, les RengyĆshĆ«, sont chargĂ©s de la tenue de la cĂ©rĂ©monie. AprĂšs une pĂ©riode de prĂ©paration consacrĂ©e Ă la mĂ©ditation et la purification (bekka), le Shuni-e dĂ©bute le 1er mars. Les onze religieux observent chaque jour six rituels de repentance (keka). Le soir, pour le rituel Otaimatsu, des jeunes croyants brandissent sur le balcon du Nigatsu-dĆ dâimposantes torches de pins, faisant jaillir des myriades dâĂ©tincelles sur la foule en contrebas, afin de repousser les mauvais esprits[126]. Dans la nuit du 12 au 13 mars se tient la cĂ©rĂ©monie de lâOmizu-tori proprement dite, oĂč lâeau de source sacrĂ©e du temple est transfĂ©rĂ©e dans deux jarres, en offrande Ă la dĂ©esse Kannon : lâune contient un peu dâeau des quelque 1 250 festivals passĂ©s depuis 752, lâautre sert Ă recueillir lâeau nouvelle[125]. Cet ensemble de rituels sâinscrit dans les courants syncrĂ©tiques en tirant son origine, ses pratiques et les divinitĂ©s honorĂ©es tant du bouddhisme que du shinto[127].
Les autres rites annuels les plus importants dĂ©butent avec les cĂ©lĂ©brations du Nouvel An, dont la grande priĂšre du 7 janvier (shusho-e). Le 8 avril se tient la cĂ©rĂ©monie de la naissance du Bouddha historique, le 2 mai est consacrĂ© Ă la commĂ©moration de la mort de lâempereur ShĆmu (ShĆmu Tenno sai), et le 5 juillet Ă la mort de ChĆgen. En aoĂ»t se tiennent la cĂ©rĂ©monie de nettoyage du Grand Bouddha (ominugui) le 7 et le festival des dix mille lanternes le 15. Le festival dâautomne se dĂ©roule le 15 octobre, cĂ©lĂ©brant lâĂ©dit impĂ©rial Ă©mis pour annoncer la construction du Grand Bouddha. Enfin, la derniĂšre cĂ©rĂ©monie importante a lieu le 16 dĂ©cembre avec la lecture du sĆ«tra Avatamsaka (Kegon)[128] - [129].
Architecture
Temple original
TrĂšs peu de bĂątiments datant de la construction originelle Ă la pĂ©riode TenpyĆ subsistent de nos jours. Il sâagit du Hokke-dĆ, du ShĆsĆ-in, de la porte Tengai, de la salle du trĂ©sor du sanctuaire Tamukeyama Hachiman ainsi que de trois entrepĂŽts, le reste ayant disparu ou Ă©tĂ© reconstruit ultĂ©rieurement[18]. Le style original correspond aux influences de la Chine des Tang[130], le classicisme et la proximitĂ© au modĂšle chinois sâexpliquant par la fonction du bouddhisme dans lâĂtat, câest-Ă -dire la protection de lâempereur[131].
Deux longs murs dâenceinte cernaient le site sur les cĂŽtĂ©s ouest et sud, percĂ©s de trois portes chacun Ă la maniĂšre chinoise. Seule reste une des portes, la porte Tengai (Tengai-mon) au nord-ouest[132]. Elle Ă©tait utilisĂ©e pour les cĂ©rĂ©monies du sanctuaire shinto Tamukeyama Hachiman. ComposĂ©e de trois ouvertures, elle repose sur un socle en pierre et de lourds piliers soutiennent le toit Ă pignon de style nijĆ«kĆryĆ kaerumata[133]. Entre lâenceinte sud et le cloĂźtre intĂ©rieur, deux pagodes (tĆ en japonais) Ă sept Ă©tages sâĂ©levaient Ă lâest et lâouest, chacune adjointe dâune enceinte carrĂ©e ; les sept Ă©tages symbolisent les cinq Ă©lĂ©ments traditionnels ainsi que le Soleil et la Lune[134]. Cet emplacement des pagodes Ă lâextĂ©rieur du cloĂźtre est caractĂ©ristique du style de Nara, alors que les Ă©difices plus anciens comme le HĆryĆ«-ji disposaient dâune seule pagode situĂ©e Ă lâintĂ©rieur du cloĂźtre, lui confĂ©rant plus dâimportance[130] - [135]. Mesurant plus de cent mĂštres, soit le double des plus hautes pagodes japonaises existantes de nos jours, ces Ă©difices aujourdâhui disparus tĂ©moignent dâune grande maĂźtrise de la construction Ă pans de bois[132] - [136]. Le bĂątiment principal (Daibutsu-den) hĂ©bergeant la statue colossale a Ă©tĂ© Ă©galement dĂ©truit deux fois. DâaprĂšs les travaux architecturaux et archĂ©ologiques de Shunâichi Amanuma, le bĂątiment Ă©tait Ă lâorigine plus grand et rectangulaire, mesurant 86,1 mĂštres de haut au lieu des 57,1 actuels ; il prĂ©sentait un plan rectangulaire plus Ă©quilibrĂ©, avec onze baies de long au rez-de-chaussĂ©e et neuf au premier Ă©tage[124]. Le toit Ă comble inspirĂ© de Chine devait ĂȘtre de forme yosemune (faĂźte plat, pentes latĂ©rales trapĂ©zoĂŻdales et pentes frontales triangulaires), Ă©lĂ©gant et lĂ©gĂšrement courbĂ©[137]. Enfin, la salle de lecture des sĆ«tras (kĆdĆ), les vastes quartiers des moines (sĆbĆ), le rĂ©fectoire (jiki-dĆ) et le campanile situĂ©s au nord de la salle du Grand Bouddha ont Ă©galement disparu[132]. Deux bĂątiments du VIIIe siĂšcle subsistants prĂ©sentent un fort intĂ©rĂȘt architectural : le Hokke-dĆ et le ShĆsĆ-in.
Le Hokke-dĆ (salle du Lotus), ou plus communĂ©ment SangatsudĆ (salle du troisiĂšme mois) dâaprĂšs la cĂ©rĂ©monie de lecture du SĆ«tra du Lotus qui sây tient le troisiĂšme mois de lâannĂ©e, est un sanctuaire annexe bĂąti sur lâemplacement de lâancien temple KonshĆ-ji[18] - [40]. AchevĂ© probablement au plus tard en 746, il prĂ©sente un style architectural caractĂ©ristique de la pĂ©riode TenpyĆ primitive et sâĂ©lĂšve Ă lâest du site, sur les prĂ©mices du mont Wakakusa[132]. OrientĂ© au sud, sa forme rectangulaire profonde est constituĂ©e de cinq entrecolonnements pour la façade principale et huit pour les cĂŽtĂ©s. Il se compose dâune salle principale (shĆdĆ ou hondĆ) prĂ©cĂ©dĂ©e dâune salle de lecture au sud (raidĆ). Toutefois, le raidĆ a Ă©tĂ© ajoutĂ© ultĂ©rieurement en 1199 et rĂ©uni par un corridor au shĆdĆ, tandis que le plancher de bois a disparu[133]. La toiture particuliĂšre repose sur un ensemble dâencorbellements surmontĂ©s dâun maĂźtre dĂ© (daito) associĂ© Ă trois dĂ©s secondaires (to), selon le systĂšme dit degumi. Typique de lâĂ©poque, une piĂšce de support (kentozuka) est intercalĂ©e entre les poutres formant la charpente[133].
Les magasins ont Ă©tĂ© construits dans un style diffĂ©rent du Hokke-dĆ, lâazekura-zukuri, rĂ©current pour les greniers et entrepĂŽts[133]. Parmi les magasins subsistants, le ShĆsĆ-in situĂ© au nord est le plus grand Ă©difice de ce style, mesurant 33 mĂštres de face, 9,4 de profondeur et 14,24 de haut[138]. Soutenus par de lourds pilotis de bois sur fondation de pierre (structure dite takayuka-shiki), ses murs se composent dâun empilement horizontal de poutres triangulaires de cyprĂšs du Japon qui sâentrecroisent aux quatre coins (technique azekura). Deux piĂšces, au nord (hokusĆ) et au sud (nansĆ), flanquent la salle centrale (chĆ«sĆ), sĂ©parĂ©es par des cloisons internes en bois[133]. Cette structure donne une prĂ©servation idĂ©ale pour les entrepĂŽts[139] - [140]. Le ShĆsĆ-in sert Ă entreposer au fil du temps objets dâart et documents historiques inestimables ; dĂšs 756, lâimpĂ©ratrice du dĂ©funt ShĆmu fait don au ShĆsĆ-in dâune collection de quelque 10 000 objets dâart, dâartisanat ou de la vie quotidienne[141], venant du Japon et de tout le continent asiatique aux VIIe et VIIIe siĂšcles[5]. Pour cette raison, le bĂątiment fut soigneusement conservĂ© et les moines lui accordĂšrent le suffixe religieux honorifique « -in » ; certains ouvrages lui donnent le qualificatif de « premier musĂ©e du monde », bien que fort peu de personnes eussent lâautorisation dây pĂ©nĂ©trer[142]. Ces trĂ©sors ont Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s de nos jours dans divers musĂ©es nationaux pour une part, et dans une structure moderne en bĂ©ton non loin pour le reste[142].
Style Daibutsu de lâĂ©poque de Kamakura
Lâincendie du temple par les Taira en 1180 ne laisse que trĂšs peu de bĂątiments intacts, nĂ©cessitant la reconstruction de la plus grande partie du site. Seuls demeurent la salle des fondateurs (kaisan-dĆ, 1200), la salle de lecture (raidĆ) du Hokke-dĆ (1199), le beffroi (shĆ-rĆ, 1210) et surtout la grande porte sud (nandai-mon, 1195)[143].
LâĂ©tude des styles architecturaux de la Chine des Song du Sud par le biais de ChĆgen suscite un nouveau style nommĂ© daibutsu-yĆ ou tenjiku-yĆ[144], qui explore le monumentalisme grĂące Ă de nouvelles techniques de construction plus robustes[130] et le retour aux sources du bouddhisme[145]. Lâusage de bras de console (hijiki, poutre supportant lâavancĂ©e des avant-toits) et de traverses (nuki, piĂšce de construction horizontale) encastrĂ©s ou fixĂ©s directement aux piliers et non plus reposant au-dessus renforce la structure et permet de gagner en hauteur, modulo les difficultĂ©s dâapprovisionnement en poutres suffisamment hautes et larges[143]. Multiplier les traverses et tasseaux permettait de construire des structures massives rapidement et efficacement, notamment en rĂ©duisant la complexitĂ© des consoles et en standardisant les piĂšces[146] - [145]. Lâajout de supports trĂšs larges (taiheizuka) entre les consoles, trĂšs employĂ©s dans lâarchitecture zen par la suite, est Ă©galement inhabituel[130]. Le style daibutsu-yĆ, Ă©loignĂ© des courants japonais traditionnels, reste peu usitĂ© au Japon, si bien que rares en sont les exemples subsistants de nos jours, dont la grande porte sud du TĆdai-ji qui en illustre toutes les caractĂ©ristiques[130]. Cette derniĂšre est une construction massive achevĂ©e en 1203, mesurant 25,7 mĂštres de haut et 29,7 de large[144], soit la plus grande porte de temple du Japon[147]. Deux toits en demi-croupe se superposent, soutenus par les piliers imposants de plus de 19 mĂštres formant cinq baies[147] - [148]. Six entraits sont encastrĂ©s dans les piliers pour supporter les deux toits ; de plus, les espaces vides entre ces entraits sont comblĂ©s par des consoles factices, donnant ces angles Ă 45 degrĂ©s qui partent en sens inverse du toit[145]. Enfin, des poutres « arc-en-ciel » (lĂ©gĂšrement bombĂ©es) soutiennent la poussĂ©e latĂ©rale du toit principal au sommet des piliers[149]. La porte abrite deux imposantes statues gardiennes (niĆ) de plus de huit mĂštres. Lâensemble des autres bĂątiments a Ă©tĂ© dĂ©truit dans lâincendie de 1567, mais devait probablement observer un style proche de la grande porte sud, du moins durant le vivant de ChĆgen.
Ă sa mort lui succĂšdent Ă la tĂȘte des travaux les moines Eisai puis GyĆyĆ«, qui amĂšnent chacun quelques variations architecturales, en particulier des Ă©lĂ©ments dâinspiration zen (style zenshĆ«)[143]. Le style expĂ©rimentĂ© par Eisai permet de combiner les aspects massifs du daibutsu-yĆ et dĂ©coratifs du zen, avec des toits trĂšs incurvĂ©s et des tasseaux plus discrets[130]. Le clocher du TĆdai-ji construit en 1202 sous son Ă©gide tĂ©moigne de cette phase de transitions[149].
Temple actuel
Le temple actuel rĂ©sulte grandement des restaurations entreprises Ă lâĂ©poque dâEdo Ă partir de 1685. La salle du Grand Bouddha, achevĂ©e en 1707, est de dimension rĂ©duite par rapport au bĂątiment original, avec sept baies de large et une surface au sol non plus rectangulaire mais carrĂ©e ; il reste toutefois le plus grand bĂątiment couvert en bois au monde[144] - [58], mesurant 47 mĂštres de haut, 57 de long et 52 de large[124]. En raison du budget limitĂ©, rassembler le bois pour les tasseaux supportant lâavancĂ©e du toit posait problĂšme, si bien que des renforts en fer furent ajoutĂ©s[144]. Lors des restaurations de 1906 Ă 1913, la structure est grandement renforcĂ©e pour pouvoir supporter le poids de la charpente, des Ă©tudes ayant montrĂ© des faiblesses importantes[150]. Bien que structurellement proche du bĂątiment restaurĂ© sous la conduite de ChĆgen, en mĂȘlant styles daibutsu et zen, quelques Ă©lĂ©ments reflĂštent les avancĂ©es des XVIe et XVIIe siĂšcles, tel le large pignon (karahafu)[130].
- Porte Tengai-mon (VIIIe siĂšcle).
- La salle des fondateurs (kaisan-dĆ, 1200).
- Nigatsu-dĆ (salle du deuxiĂšme mois, 1669).
- Salle du Grand Bouddha (Daibutsu-den, 1707).
- Sashizu-dĆ (XVIIIe siĂšcle).
- ShunjĆ-dĆ (XVIIIe siĂšcle).
Sculpture
PĂ©riode TenpyĆ
La sculpture bouddhique de la pĂ©riode TenpyĆ sâinspire de la sculpture de la Chine des Tang[151]. La multiplication des temples suscite une production soutenue, si bien que des bureaux dâartisans regroupant divers corps de mĂ©tiers sont crĂ©Ă©s sous lâempereur Temmu, administrĂ©s par des fonctionnaires ou des temples ; le Bureau des sculptures du TĆdai-ji a comptĂ© le plus grand nombre dâartisans alors, jusquâĂ sa fermeture en 789. Ces premiĂšres productions datent principalement du milieu et de la fin de la pĂ©riode TenpyĆ, seconde moitiĂ© du VIIIe siĂšcle.
Statuaire du Hokke-dĆ et du Kaidan-in
Historiquement, la technique du TenpyĆ classique repose sur lâusage de la laque sĂšche creuse (dakkan kanshitsu), dans un style naturaliste teintĂ© dâune certaine idĂ©alisation, façonnĂ© par les artistes japonais Ă partir des modĂšles Tang (qui emploient la laque dĂšs le IVe siĂšcle)[12]. La mĂ©thode consistait en la rĂ©alisation dâun moule grossier en terre, que les artistes recouvraient dâune Ă©paisse couche de tissus enduits de laque. Une fois cette derniĂšre sĂšche, le moulage interne Ă©tait retirĂ© et remplacĂ© par une armature en bois[153]. Lâartiste pouvait alors modeler les dĂ©tails du visage et du corps[154].
Au TĆdai-ji demeure de la pĂ©riode TenpyĆ un ensemble de neuf statues en laque sĂšche creuse et cinq en terre sĂ©chĂ©e, abritĂ©es dans le Hokke-dĆ, qui semblent avoir eu une grande influence sur les artistes contemporains[155]. La divinitĂ© principale de lâensemble ornemental est un FukĆ«kenjaku Kannon (une forme puissante du bodhisattva de la compassion Kannon) Ă huit bras et trois yeux de 3,60 m de haut, en laque sĂšche recouverte dâor, rĂ©alisĂ© probablement avant 749[156]. Debout sur un socle octogonal surmontĂ© de pĂ©tales de lotus, la statue observe une symĂ©trie verticale rigoureuse, notamment la robe et les bras (en pose de vĂ©nĂ©ration ou portant divers attributs religieux). Le vaste nimbe en bronze dorĂ© prĂ©sente une forme unique Ă quarante-deux rayons inĂ©gaux, ornĂ©s de rinceaux floraux. La coiffe est en argent dorĂ© et dĂ©corĂ©e de pierres prĂ©cieuses et de perles serties en forme de magatama ; elle est parĂ©e dâune petite sculpture en argent du bouddha Amida en son centre[157] - [155]. Le style global reste caractĂ©ristique de lâĂ©poque, visant Ă lâharmonie et au naturalisme, tout en suggĂ©rant une puissance nouvelle par la tĂȘte, proportionnellement plus grande, ainsi que le corps et les bras volumineux ; lâartiste souligne surtout la dignitĂ©, la grandeur distante et la compassion bienveillante[158]. Le FukĆ«kenjaku Kannon forme une triade avec deux autres statues en laque de divinitĂ©s hindoues intĂ©grĂ©es au bouddhisme, Indra et BrahmÄ (Taishaku Ten et Bon Ten en japonais). Les six autres Ćuvres en laque, originales par les positions et les armures des statues, reprĂ©sentent les quatre rois cĂ©lestes (Shi TennĆ) et deux NiĆ, rĂ©alisĂ©es ultĂ©rieurement vers 759, auxquelles sâajoutent les dĂ©esses Kichijo-ten et Benzai-ten provenant Ă lâorigine dâun autre bĂątiment (le Kichijo-dĆ, brĂ»lĂ© en 754) qui sâinscrivent dans la pleine pĂ©riode de la sculpture en laque sĂšche et offrent un portrait notable de la fĂ©minitĂ© inspirĂ© des dames Tang[159].
Parmi lâensemble en terre sĂ©chĂ©e ou argile du Hokke-dĆ, lâidentitĂ© des deux statues positionnĂ©es de part et dâautre du FukĆ«kenjaku Kannon est incertaine selon les historiens de lâart : NikkĆ et GakkĆ (gĂ©nĂ©ralement affiliĂ©s au bouddha Yakushi) ou Bon Ten et Taishaku Ten[155]. Elles sont constituĂ©es dâun cĆur de bois recouvert de terre sĂ©chĂ©e et de paille puis dâune fine couche dâargile, sur laquelle les couleurs ont presque disparu ; leur expression, yeux mi-clos et mains jointes, revĂȘt lâaspect de la sĂ©rĂ©nitĂ© et de la dĂ©votion[157]. Elles montrent clairement une tendance Ă lâintrospection[158], rĂ©vĂ©lant lâessence de lâart Ă la fois puissant et spirituel du milieu de la pĂ©riode TenpyĆ[160]. Enfin, la statue du ShĆ«kongĆ-jin (1,8 mĂštre) â une image « secrĂšte » exposĂ©e une seule fois par an aux yeux du public, le 16 dĂ©cembre, dâoĂč son Ă©tat de conservation exceptionnel â exerce une impression de force par son corps musculeux rigoureusement proportionnĂ©, ses veines saillantes, son visage furieux et son bras menaçant[153] - [161]. On distingue encore nettement les couleurs (rouge, vert et bleu) et la dorure formant des motifs floraux fins sur lâarmure, lâensemble ajoutant au rĂ©alisme de la statue[155]. Toutefois, sous ses dehors furieux, câest la bontĂ© de ShĆ«kongĆ-jin qui est dissimulĂ©e[161]. Le FukĆ«kenjaku Kannon et lâensemble de statues en terre proviennent probablement dâun mĂȘme atelier, ou du moins ont Ă©tĂ© produits Ă la mĂȘme pĂ©riode, en raison dâun style et de tailles (2 Ă 4 m) similaires[162]. En revanche, les autres statues en laque sĂšche creuse sont ultĂ©rieures et ne proviennent probablement pas du mĂȘme ensemble Ă lâorigine, le style Ă©tant moins puissant et expressif[163].
Outre lâensemble du Hokke-dĆ, le Kaidan-in possĂšde deux des quatre rois cĂ©lestes (Jikoku-ten et Komoku-ten, rĂ©alisĂ©es entre 742 et 746) de 1,78 et 1,63 mĂštre en terre sĂ©chĂ©e (seconde moitiĂ© du VIIIe siĂšcle), pour lesquels lâartiste sâest concentrĂ© sur lâarmure et lâexpression de rage contenue du visage trĂšs humain, mais nĂ©gligeant les jambes[158] - [153].
Grand Bouddha et travail du métal
La statue colossale du bouddha Vairocana (le Daibutsu) constituait lâĂ©lĂ©ment le plus frappant du site, probablement inspirĂ©e de statues colossales semblables en Chine[164]. Le responsable du Bureau des sculptures du TĆdai-ji, Kuninaka no Muraji Kimimaro (dâorigine corĂ©enne), a Ă©laborĂ© le moule en terre, avant que la statue soit fondue en bronze par les artisans Takechi no Ćkuni, Takechi no Mamaro et Kakinimoto no Odama, entre 747 et 749[18]. Entre 749 et 752, les artistes sâattellent aux finitions du visage et au polissage, la pose de la dorure venant aprĂšs[165]. Selon les travaux de Katori Tadahiko et diverses fouilles archĂ©ologiques, le processus de fabrication a consistĂ© en premier lieu Ă creuser un vaste trou au fond renforcĂ© par une dalle. LĂ , deux moules en terre imbriquĂ©s ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s de sorte de laisser une cavitĂ© entre les deux, oĂč le mĂ©tal fondu doit ĂȘtre coulĂ© en huit phases[166]. Pour chacune, le moule est progressivement enfoui sous une colline de terre, afin dây installer Ă mesure peut-ĂȘtre vingt Ă trente fourneaux capables de fondre le bronze dans le moule, du socle jusquâĂ la tĂȘte. Enfin, la colline est peu Ă peu aplanie pour les finitions[167] - [164]. La dorure recouvrant le bronze est appliquĂ©e Ă partir de 752. NĂ©anmoins, en raison des dĂ©gradations et des incendies, il ne reste du Grand Bouddha original quâune partie du piĂ©destal et des genoux, le reste rĂ©sultant majoritairement de la restauration de 1692. Selon Joan R. Piggott, 338 tonnes de cuivre et 16 tonnes dâor sont nĂ©cessaires pour lâĆuvre originale, pour une hauteur dâenviron 16 mĂštres[168].
Un des rares documents iconographiques sur la statue dâorigine est fourni par les Rouleaux des lĂ©gendes du mont Shigi (Shigisan engi emaki), peint prĂ©cĂ©demment Ă la destruction de 1180 (voir)[23]. Quelques statues de lâĂ©poque comme le bouddha Vairocana du TĆshĆdai-ji et le FukĆ«kenjaku Kannon du Hokke-dĆ permettent aussi dâimaginer le style du premier Grand Bouddha[158]. De plus, les pĂ©tales de lotus du piĂ©destal en bronze portent des gravures datant dâenviron 757 qui illustrent des scĂšnes de lâunivers bouddhique autour de Shaka[13]. Ces gravures empruntent Ă©galement beaucoup Ă lâart chinois Tang (les proportions rĂ©alistes, le drapĂ© et le visage rond) et sont probablement trĂšs proches du style du Grand Bouddha original qui devait ĂȘtre plus Ă©lĂ©gant que la statue actuelle[169], gĂ©nĂ©ralement jugĂ©e banale hormis ses dimensions[141]. Cette derniĂšre date donc du XVIIe siĂšcle, mesure environ un mĂštre de moins que lâoriginal, soit 14,98 mĂštres assise, et 18 mĂštres avec le piĂ©destal[170]. La statue reste malgrĂ© tout lâun des plus grands bouddhas assis au monde[62].
Il semble que la fonte du Grand Bouddha a Ă©puisĂ© la majeure partie des rĂ©serves de cuivre de lâarchipel, ce qui peut expliquer la baisse significative de production de statues en bronze Ă cette Ă©poque. La statuette en bronze de la naissance de Shaka sertie dans un petit bassin gravĂ© de fleurs et dâanimaux servait lors des cĂ©rĂ©monies du 8 avril commĂ©morant lâanniversaire de Shaka, oĂč lâon versait de lâeau parfumĂ©e dessus. Ici, la finesse du modelĂ© et la fraĂźcheur du visage en font une des plus belles Ćuvres sur le sujet[171]. Il reste Ă©galement la large lanterne octogonale en bronze qui se tient devant la salle du Grand Bouddha, forgĂ©e de fins croisillons et ornĂ©e sur quatre faces de reliefs Ă©lĂ©gants reprĂ©sentant des bodhisattvas jouant de la musique[172]. Ces deux sculptures renseignent lĂ encore sur lâapparence du Grand Bouddha original[173].
Ăpoque de Heian
DĂšs la seconde moitiĂ© de la pĂ©riode TenpyĆ dĂ©bute une phase de transition artistique jusquâĂ lâĂ©poque de Heian, oĂč le bois a dĂ©finitivement remplacĂ© la plupart des autres matĂ©riaux[154]. Ă partir des annĂ©es 760, une technique transitoire, la laque sĂšche sur bois (mokushin kanshitsu), apparaĂźt : contrairement Ă la laque sĂšche creuse, le moulage interne en bois nâĂ©tait pas retirĂ©, ce qui permettait de rĂ©duire lâĂ©paisseur de laque nĂ©cessaire[12]. Dans une pĂ©riode de dĂ©sengagement financier de lâĂtat et de divergences politiques (la capitale change de Nara Ă Heian), les subventions accordĂ©es aux grands ateliers des temples de Nara sont significativement rĂ©duites, expliquant cette Ă©volution. De fait, la laque est coĂ»teuse Ă produire Ă la diffĂ©rence du bois ; or, les artistes se sont rapidement aperçus que plus la structure interne en bois est finement travaillĂ©e, plus la couche de laque nĂ©cessaire diminue[154]. De plus, les Japonais subissent lâinfluence du nouveau style chinois, plus volumineux, idĂ©aliste et sĂ©vĂšre, auquel la laque sĂšche sur bois correspondent bien[12]. Câest probablement par le truchement du moine Ganjin au TĆshĆdai-ji que ce mouvement gagne le Japon, et donc lâatelier du TĆdai-ji[12] - [174].
MalgrĂ© la fermeture de lâatelier de sculpture du TĆdai-ji en 789, le style TenpyĆ conserve une influence sur les productions du temple au tout dĂ©but de lâĂ©poque de Heian (Ăšre JĆgan)[175]. Les sculpteurs de Nara participent Ă Ă©tablir les nouveaux canons de lâĂ©poque, caractĂ©risĂ©s par un style plus massif, stylisĂ© aux proportions forcĂ©es, loin du naturalisme TenpyĆ[176]. Le bouddha Miroku (IXe siĂšcle) et la statue du moine RĆben (XeâââXIe siĂšcle) reflĂštent cette approche[177] ; la seconde Ćuvre, au visage rectangulaire, au corps trĂšs large et aux plis de la robe Ă plat, donne une impression de monumentalitĂ©, sans respect des proportions[178]. DatĂ©e du dĂ©but de lâĂ©poque de Heian (Ăšre JĆgan), elle pourrait ĂȘtre une copie dâune Ćuvre plus ancienne[176]. Rapidement, lâinfluence de Nara dĂ©croĂźt et les principaux apports techniques et stylistiques (notamment le yosegi-zukuri popularisĂ© par JĆchĆ et les influences Ă©sotĂ©riques) proviennent dâautres centres artistiques[179]. Le Kannon Ă onze tĂȘtes ou la statue dâAizen (XIIe siĂšcle), aujourdâhui entreposĂ©s au TĆdai-ji mais produits ailleurs, reflĂštent ces innovations[180]. Au TĆdai-ji, le style du dĂ©but du IXe siĂšcle perdure encore jusquâau XIIe siĂšcle (Ăšre Fujiwara)[181].
Ăcole Kei de lâĂ©poque de Kamakura
La derniĂšre grande Ă©poque de la sculpture bouddhique au Japon est mise au crĂ©dit de lâĂ©cole Kei, fondĂ©e Ă Nara et qui connaĂźt un grand essor dĂšs la fin du XIIe siĂšcle, Ă lâĂ©poque de Kamakura[46]. Rompant avec lâidĂ©alisme et lâacadĂ©misme de Heian, elle propose un style marquĂ© par le rĂ©alisme, le dynamisme et les influences de la Chine des Song, correspondant mieux au goĂ»t des samouraĂŻs, nouveaux maĂźtres du Japon, et des nouvelles Ă©coles de la Terre pure[182] - [183]. Cette approche nâest pas sans rappeler le naturalisme de TenpyĆ, mais de maniĂšre moins paisible, privilĂ©giant dynamisme et impression de mouvements[184]. Câest Ă Nara que lâĂ©cole Kei se dĂ©veloppe, prenant grandement part aux rĂ©novations des temples dĂ©truits par les Taira en 1180[51]. Au TĆdai-ji, la plupart les maĂźtres de lâĂ©cole â dont KĆkei, Unkei, Kaikei et JĆkaku â participent aux restaurations, sous lâĂ©gide de ChĆgen qui possĂšde des connaissances poussĂ©es sur les techniques chinoises contemporaines[51]. LâĂ©cole pousse plus avant les techniques dâassemblage (yosegi-zukuri) qui leur permettent de travailler plus vite[182]. LâĂ©tude rĂ©aliste des corps et des mouvements se ressent particuliĂšrement dans lâart du portrait sculptĂ©[182].
Parmi les Ćuvres Kei les plus rĂ©putĂ©es au TĆdai-ji figurent les statues colossales en bois des gardiens (niĆ) de la Nandai-mon (grande porte sud) rĂ©alisĂ©es en 1203, dont la fonction Ă©tait de protĂ©ger lâaccĂšs au temple[147]. Mesurant 8,36 et 8,42 mĂštres, leurs corps fins, les muscles saillants, le drapĂ© fluide et le visage farouche correspond bien au dynamisme du style Kei[185]. Ces statues colossales ont Ă©tĂ© produites en environ soixante-dix jours par Kaikei, Unkei et leurs disciples, bien que le rĂŽle exact jouĂ© par chaque sculpteur fasse encore dĂ©bat ; un dĂ©lai aussi court suggĂšre la participation de nombreux assistants[186] - [187]. Ă partir dâun modĂšle en argile rĂ©alisĂ© par les maĂźtres afin dâextrapoler les proportions rĂ©alistes, la statue est rĂ©alisĂ©e avec la technique du yosegi-zukuri (par assemblage de piĂšces de bois)[185]. LâĂ©cole reconstitue en fait lâensemble des statues essentielles au temple, dont les quatre rois cĂ©lestes de la salle du Grand Bouddha (1196) ou les deux gardiens de la porte centrale (1194), aujourdâhui dĂ©truits[182]. Kaikei, sensible Ă la perfection brute des formes et aux influences Song, produit de nombreuses Ćuvres plus gracieuses et sereines, dont restent notamment les statues dâAmida (au ShunjĆ-dĆ, 1202), de Hachiman vĂȘtu comme un moine (sanctuaire de Hachiman, 1201) et de JizĆ (au KĆkei-dĆ, entre 1203-1208)[188] - [187]. Il sâintĂ©resse clairement pour Hachiman, kami shinto, Ă reprĂ©senter la divinitĂ© sous une forme essentiellement humaine[189]. La couleur des motifs floraux de la robe et des pĂ©tales de lotus du piĂ©destal est riche, et le tout exprime Ă©lĂ©gance et dignitĂ©[190] - [191]. Ces statues au caractĂšre individualisĂ© et aux draperies fluides sont lâĆuvre dâun Kaikei au « sommet de son art[51] ». Dans un autre genre de rĂ©alisme, le portrait sculptĂ© de ChĆgen du ShunjĆ-dĆ, en bois assemblĂ© polychrome (auteur inconnu), sâattache Ă saisir avec le plus grand rĂ©alisme lâimperfection et lâimpermanence du corps Ă travers la grande vieillesse du moine[192] ; le visage apparaĂźt ainsi ridĂ©, creusĂ©, dĂ©charnĂ©, et la peau tendue[193].
La production reste intense Ă Nara dans les annĂ©es 1180 et 1190 pour la restauration des temples, tandis que le style Kei se rĂ©pand rapidement au Japon[194]. La ville redevient donc le principal foyer artistique du pays pour quelques dĂ©cennies, jusquâĂ lâinstallation de lâĂ©cole Kei Ă Heian dĂšs 1210. Au XIIIe siĂšcle, les Ă©coles amidistes deviennent prĂ©pondĂ©rantes, y compris dans lâĆuvre de Kaikei qui popularise le style AnâAmiyĆ (reprĂ©sentation dâAmida). Plus tard, la production au TĆdai-ji devient moins individuelle, plus figurale, comme lâillustre la triade dâAmida du Kaidan-in datĂ©e de 1221[51]. Cette approche se ressent chez Tankei, qui devient maĂźtre de lâĂ©cole Kei en 1218, annĂ©e oĂč il rĂ©alise avec Higo JĆkei les quatre bouddhas de la pagode de lâEst du TĆdai-ji (aujourdâhui disparue)[195]. Deux autres maĂźtres produisent des sculptures notables au temple durant le milieu et la fin du XIIIe siĂšcle : Zen'en, Ă la technique perfectionnĂ©e, et KĆen, apprenti de Tankei au style exagĂ©rĂ©ment formalisĂ©[51].
Comme le notent Peter C. Swann ou Donald F. McCallum, lâĂ©cole Kei marque le dernier Ăąge dâor de la sculpture japonaise, qui sera ensuite artistiquement pauvre et sans originalitĂ©[196] - [197].
- NiĆ en laque sĂšche creuse du Hokke-dĆ (VIIIe siĂšcle).
- Zochoten (roi céleste) en terre séchée du Kaidan-in (VIIIe siÚcle).
- Naissance de Shaka en bronze (VIIIe siĂšcle).
- Portrait de RĆben en bois (IXe siĂšcle).
- Statue de JizĆ en bois assemblĂ© par Kaikei (XIIIe siĂšcle).
Peinture et arts décoratifs
La longue histoire du TĆdai-ji et la diversitĂ© des courants religieux qui y furent Ă©tudiĂ©s ont permis dây constituer une collection dâart trĂšs Ă©clectique, bien que trĂšs partielle en raison des destructions successives du temple[198].
TrĂ©sors du ShĆsĆ-in
Au VIIIe siĂšcle, lâintĂ©rieur des temples apparaĂźt richement dĂ©corĂ© de peintures, broderies, tapisseries, et les arts profanes sont affinĂ©s par lâaristocratie de Nara, elle-mĂȘme inspirĂ©e par le goĂ»t de la glorieuse capitale des Tang en Chine. Toutefois, il subsiste peu de ces premiĂšres Ćuvres, car toutes les ornementations de la salle du Grand Bouddha ont brĂ»lĂ© depuis[199]. Le tĂ©moin le plus inestimable de cet Ăąge fĂ©cond est le trĂ©sor du ShĆsĆ-in au TĆdai-ji, oĂč sont entreposĂ©s les biens personnels de lâempereur ShĆmu et de nombreux nobles. Plusieurs milliers de piĂšces dâart ou effets personnels datant du VIIIe siĂšcle y ont Ă©tĂ© conservĂ©s : peintures, meubles, masques, armes, jeux, laques, objets du quotidien, objets rituels, Ă©toffesâŠ, venant du Japon, de Chine et de toute lâAsie via la route de la soie[142] - [200].
Le seul paravent subsistant, la BeautĂ© sous lâarbre peint en 752, sâinspire dâun thĂšme indien ou iranien pour donner une peinture selon la mode chinoise. Le visage et les mains de la femme sont colorĂ©s avec soin, tandis que la robe et la coiffure rĂ©sultaient Ă lâorigine de lâapplication de plumes multicolores, quasiment disparues aujourdâhui ; il demeure le fin tracĂ© prĂ©paratoire Ă lâencre. Lâexpression plus libre quâaccoutumĂ©e du visage tĂ©moigne dâune sensibilitĂ© japonaise dans lâĆuvre[201]. Dâautres peintures de motifs chinois au trait fin ornent des instruments de musique (biwa et genkan) : musiciennes au printemps, joueurs de go sous des pins, chasse au tigre, lettrĂ©s dans un paysage de montagne⊠Les peintures Ă©taient appliquĂ©es sur du cuir recouvrant lâinstrument, en apposant dâabord une couche blanche sur laquelle lâencre et les pigments sont apposĂ©s. Un vernis conservatoire donne enfin un effet de transparence[202]. Dans ces compositions, les paysages formĂ©s de vallĂ©es profondes apparaissent typiquement chinois par lâeffet de profondeur et la grandeur[203]. Quelques paysages dâinspiration plus japonaise peuvent ĂȘtre trouvĂ©s par exemple en marge des cartes gĂ©ographiques, sur un recoin de papier ou encore sur des Ă©toffes de chanvre ; ces peintures se caractĂ©risent alors par un style plus lyrique et dĂ©coratif[202].
Le ShĆsĆ-in referme Ă©galement les divers objets utilisĂ©s lors de la cĂ©rĂ©monie dâinauguration du temple en 752 ; parmi ces piĂšces figurent un ensemble original de costumes et dâimposants masques de gigaku (une danse traditionnelle dâorigine continentale) en bois ou laque, parmi les plus anciens masques conservĂ©s du monde avec ceux du HĆryĆ«-ji[204] - [205]. Divers objets rituels utilisĂ©s pour les cĂ©rĂ©monies depuis le VIIIe siĂšcle y Ă©taient entreposĂ©s, tels des brĂ»leurs dâencens, des instruments de musique, de la vaisselle en porcelaine ou encore des tenues rituelles[206].
Mandalas et sƫtras
Parmi les rares peintures religieuses du TĆdai-ji ayant survĂ©cu Ă lâincendie de 1180 figurent deux prĂ©cieux mandalas, ces reprĂ©sentations en forme de diagramme de divinitĂ©s et des relations entre divinitĂ©s prisĂ©es dans la peinture Ă©sotĂ©rique. Le Hokke-dĆ Kompon mandala (couleurs sur soie) datant de la fin du VIIIe siĂšcle dĂ©crit le Bouddha historique accompagnĂ© de plusieurs moines et bodhisattvas. Le style Tang, caractĂ©risĂ© par les corps naturalistes et Ă©lĂ©gants, les drapĂ©s fluides et le paysage montagneux, sây ressent pleinement, et lâĆuvre devait probablement ĂȘtre associĂ©e aux sculptures contemporaines du Hokke-dĆ, Ă©galement de style sinisant (voir plus haut)[207]. Toutefois, la sentimentalitĂ© et la douceur japonaise sây ajoutent de façon surprenante, peut-ĂȘtre apportĂ©es par les restaurations que subit le mandala au XIIe siĂšcle[208]. AprĂšs lâĂ©poque de Nara, la production dĂ©croĂźt trĂšs fortement au TĆdai-ji au profit des temples de Heian[209]. Du XIIe siĂšcle reste le Kucha mandala, attribuĂ© sans certitude Ă Chinkai, Ă©galement centrĂ© sur le Bouddha historique et deux bodhisattvas liĂ©s. Ils sont entourĂ©s de dix moines indiens, et protĂ©gĂ©s aux quatre coins et sur les cĂŽtĂ©s par les Quatre Rois cĂ©lestes (shitennĆ) et deux rois gardiens (niĆ). Bien que clairement inspirĂ© des arts anciens de la pĂ©riode de Nara, le style est toutefois moins grandiose et puissant, avec un traitement Ă plat des peintures[209].
Les sĆ«tras du VIIIe siĂšcle calligraphiĂ©s au TĆdai-ji sont composĂ©s de caractĂšres chinois au style dit rĂ©gulier (kaishu). Le Kengu-kyĆ illustre lâapproche de lâĂ©poque, par le trait relativement libre, Ă©pais et plein dâaisance ; un temps attribuĂ© Ă lâempereur ShĆmu lui-mĂȘme, il semble plus probable quâil est lâĆuvre dâun scribe chinois. Des extraits de bois aromatiques sont incorporĂ©s au papier de chanvre pour Ă©loigner les insectes[210]. Un autre sĆ«tra de lâĂ©poque, une version du Kegon-kyĆ dont restent vingt rouleaux, se compose Ă©galement de caractĂšres rĂ©guliers prĂ©cis, Ă©lĂ©gants et fastueux en raison de lâencre en argent employĂ©e sur papier bleu marine. Ce sĆ«tra entreposĂ© au Nigatsu-dĆ a brĂ»lĂ© en partie lors dâun incendie en 1667[210]. Ce type de calligraphie Ă lâencre dâargent ou dâor sur papier sombre perdure durant plusieurs siĂšcles, comme en tĂ©moigne une autre version du Kegon-kyĆ de 1195 (dĂ©but de lâĂ©poque de Kamakura), dont la couverture est illustrĂ©e au revers dâune triade de Shaka en or et argent[211].
Portraits et peintures narratives médiévales
Au dĂ©but de lâĂ©poque de Kamakura, les artistes du TĆdai-ji rĂ©alisent de nombreux portraits sur kakemono (rouleaux suspendus) de moines illustres ou de personnes associĂ©es Ă la fondation du temple. Lâiconographie reste empreinte de classicisme, suivant les conventions traditionnellement employĂ©es pour reprĂ©senter les disciples de Bouddha[209]. Les portraits de RĆben et de patriarches chinois (comme Jizang, fondateur de lâĂ©cole Sanlun) sont ainsi reprĂ©sentĂ©s de trois quarts, le trait prĂ©cis et rĂ©gulier, les couleurs claires et apposĂ©es Ă plat[212]. Autre type dâiconographie originaire de Chine, le portrait de Fazang, troisiĂšme patriarche de lâĂ©cole Huayan (Kegon), adopte une vue en plongĂ©e et des couleurs trĂšs vives, dans un style plus dĂ©coratif[212].
La peinture narrative se dĂ©veloppe Ă lâĂ©poque de Heian pour devenir prĂ©pondĂ©rante du XIIe au XIVe siĂšcle : sur rouleaux suspendus (kakemono) ou plus souvent sur rouleaux horizontaux (emakimono), ces Ćuvres mĂȘlent le texte et lâimage de façon Ă illustrer rĂ©cits, chroniques ou textes religieux[213]. Les temples bouddhistes produisent ces rouleaux dans un but didactique et prosĂ©lyte, afin dâexpliciter les dogmes auprĂšs du peuple ou de les Ă©tudier dans lâintimitĂ© ; les thĂšmes religieux les plus rĂ©pandus sont les rĂ©cits de la fondation des temples, les biographies de moines cĂ©lĂšbres ou encore les sĆ«tras et lĂ©gendes bouddhiques[214]. Ces peintures adoptent le style yamato-e, qui privilĂ©gie le goĂ»t et les sujets japonais, en opposition aux peintures dâinspiration chinoise[215]. Parmi les principaux emakimono du temple, les archives mentionnent les Rouleaux illustrĂ©s des lĂ©gendes du TĆdai-ji (TĆdai-ji engi ekotoba, 20 rouleaux, environ 1337), aujourdâhui perdus, et il demeure le prĂ©cieux Rouleau des Cinquante-cinq Lieux du sĆ«tra Avatamsaka (Kegon gojĆ«go-sho emaki, fin XIIe siĂšcle)[209] ; ce dernier illustre un chapitre du sĆ«tra Kegon qui narre le pĂšlerinage en Inde du jeune Zenzai (SudhanakumĂąra) jusquâĂ son Illumination. Les tons clairs et dĂ©licats sâinscrivent dans le style yamato-e dĂ©coratif de la cour de Heian, bien que lâarchitecture et les personnages soient de facture chinoise ; fait inhabituel, chaque portion du rouleau est introduite par un texte Ă©crit dans un rectangle au-dessus des peintures[216]. Toutefois, le style de peintures narratives propre aux artistes de Nara (parfois nommĂ© nara-e) ne devient courant quâaprĂšs lâĂąge dâor des emaki, si bien que la plupart des Ćuvres du TĆdai-ji datent de lâĂ©poque de Muromachi (XVeâââXVIe siĂšcle)[217] - [218]. Leur approche se caractĂ©rise par la composition plus chargĂ©e, les couleurs vives et lâacadĂ©misme trop strict de lâĂ©cole Tosa[219]. Ce style populaire est favorisĂ© par la concentration dâartistes et de marchands Ă Nara au XVe siĂšcle, en raison des guerres civiles Ă Kyoto[218]. Les LĂ©gendes du Daibutsu de Shiba Rinken (Daibutsu engi emaki, trois rouleaux, 1536) racontent lâhistoire de la fondation du Grand Bouddha du TĆdai-ji, en particulier sa construction et sa restauration ; le Grand Bouddha est reprĂ©sentĂ© Ă plusieurs reprises, dominant la composition aux fonds abstraits et Ă la couleur riche[220]. Dans un style similaire, les LĂ©gendes de Hachiman de SĆken (Hachiman engi emaki, deux rouleaux, 1535) illustrent lâimportation du culte de Hachiman depuis la CorĂ©e, lâĂ©tablissement de son grand sanctuaire dâUsa et le cortĂšge pour son dĂ©placement Ă Nara lors de la construction du Grand Bouddha au VIIIe siĂšcle[221]. Ces deux Ćuvres, dont plusieurs copies ont Ă©tĂ© faites, visaient Ă sâadresser au plus grand nombre dans le but dâobtenir des dons pour financer des travaux de restauration[220]. Parmi les autres emakimono figurent le ShĆ«kongĆ-jin engi emaki (fin du XVe siĂšcle), conte sur le moine RĆben et sa divinitĂ© protectrice ShĆ«kongĆ-jin dont le style apparaĂźt plus harmonieux, et le Nigatsu-dĆ engi emaki (XVIe siĂšcle), centrĂ© sur le rĂŽle du moine JitchĆ« durant la construction du TĆdai-ji et les miracles associĂ©s au Kannon du Nigatsu-dĆ[222].
- Bol en argent doré orné de scÚne de chasse (VIIIe siÚcle).
- BrĂ»leur dâencens en argent (VIIIe siĂšcle).
- Gravures dâor sur bois (VIIIe siĂšcle).
- Kegon kai-e zenchishiki mandara zu (mandala, couleur sur soie, 1294).
- Portrait de KashĆ Daishi (XIIIe siĂšcle).
- Légendes illustrées du Daibutsu (1536).
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Articles connexes
Liens externes
- (en + ja) Site officiel du temple.
- (ja) « Base de données des propriétés culturelles du Japon », sur kunishitei.bunka.go.jp (consulté le ).
- « Monuments historiques de l'ancienne Nara », sur whc.unesco.org (consulté le ).
- 251381458 TĆdai-ji sur OpenStreetMap