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RĂ©volte kanak de 1917

La révolte kanak de 1917 est un soulÚvement de tribus kanaks contre l'administration coloniale française de la Nouvelle-Calédonie dans le contexte de la PremiÚre Guerre mondiale.

RĂ©volte kanak de 1917
Informations générales
Date mai 1917– mai 1918
Lieu Drapeaux de la Nouvelle-Calédonie Nouvelle-Calédonie
Issue Écrasement de la rĂ©volte par les autoritĂ©s coloniales françaises
Pertes
200 morts

D'une part, la Grande guerre en France entraĂźne une pression supplĂ©mentaire pour l'approvisionnement en denrĂ©es et en mobilisation de soldats dans les colonies. Certains colons français sont contraints d'Ă©tendre leurs Ă©levages sur des territoires habitĂ©s par des Kanaks pour rĂ©pondre Ă  la demande de l'administration coloniale. D'autre part, bien que le code de l’indigĂ©nat soustrait les Kanaks Ă  la conscription Ă  l'ArmĂ©e française, l'administration coloniale demande l'« engagement volontaire » de tribus kanaks en leur faisant faussement miroiter des droits et des gains territoriaux.

Les autoritĂ©s françaises organisent un pilou Ă  Tiamou en pour dĂ©samorcer les tensions grandissantes entre les tribus animistes d’AtĂ©ou et de Tiamou et les catholiques de Koniambo. Le chef de Tiamou, NoĂ«l NĂ©a Ma Pwatiba, se ravise le jour de la cĂ©rĂ©monie et brĂ»le sa case en signe de rĂ©volte contre l'autoritĂ© française. AprĂšs l'arrestation de membres de sa tribu, NoĂ«l de Tiamou se rĂ©fugie dans la brousse et entame avec d'autres membres de tribus animistes, dont CavĂ©at, chef de Ouen-Kout, une forme de guĂ©rilla contre l'administration française qui les traque dans les montagnes jusqu'en . Les autoritĂ©s françaises offrent une rĂ©compense pour la capture de NoĂ«l de Tiamou qui est finalement dĂ©capitĂ© le . La rĂ©volte est suivie par un procĂšs Ă  NoumĂ©a en 1919 ; 78 hommes sont jugĂ©s, 61 condamnĂ©s et 2 guillotinĂ©s en 1920.

Contexte général de colonisation

Politique de colonisation

La colonisation civile libre, puis organisĂ©e, ou du moins encadrĂ©e, se dĂ©veloppe pour la culture de la canne Ă  sucre, du cafĂ©, du coton, ou l’élevage, futurs Caldoche(s), et s'accompagne de personnels administratifs Ă  rĂ©sidence temporaire (Zoreilles).

La colonisation pĂ©nale, (au bagne de Nouvelle-CalĂ©donie) (1864-1924), importe une population nouvelle, destinĂ©e ou non Ă  demeurer sur le territoire, Ă  la fin de sa peine. Elle se double de la dĂ©portation de communards, et d'opposants des autres colonies, dont l'exil d’AlgĂ©riens kabyles rebelles.

Assez rapidement, est dĂ©crĂ©tĂ©e l'amnistie de communards, et l'installation de certains, dont Claude Petitjean (De la Commune de Paris Ă  l’Ɠuvre de colonisation par Luc Legeard).

Enfin, pour le travail minier (dont le nickel), mais aussi pour les plantations et l'Ă©levage, on fait appel Ă  une main d'Ɠuvre, sous contrat, d'origine asiatique (Tonkin, Java, Inde, Chine, Japon), et ocĂ©anienne (Nouvelles-HĂ©brides).

CÎté non mélanésien

Les colons s'installent sur des terres rĂ©putĂ©es disponibles, selon l'administration, et, de fait appartenant ou ayant appartenu aux populations autochtones, et mises Ă  disposition par l’administration, sous forme de concessions.

La politique fonciĂšre est ainsi faite de confiscations, d'expropriations, d'accaparements, de spoliations, entraĂźnant la constitution de petites, grandes (et trĂšs grandes) exploitations agricoles « europĂ©ennes ». Diverses tentatives de culture ne rĂ©ussissent pas : canne Ă  sucre, cafĂ©, coton


Pour nourrir la colonie, se met en place un Ă©levage bovin extensif, (le pic des 150 000 tĂȘtes est atteint en 1917). La divagation, intentionnelle ou non, de bĂ©tail, dĂ» au refus de clĂŽture des Ă©levages provoque la destruction de tarodiĂšres, champs d'ignames et autres cultures vivriĂšres kanaks.

L'incendie éventuel, accidentel, d'installations kanak prépare le terrain à des extensions, d'autant que n'est guÚre octroyé un droit de passage des mélanésiens sur les anciennes terres.

CÎté mélanésien, autochtone, kanak

Au fur et Ă  mesure du front de la colonisation, les populations autochtones sont dĂ©placĂ©es (par installations, familles, clans, villages, vallĂ©es), avec relĂ©gation sur des terrains de moindre qualitĂ© : montagne Ă  chĂšvre, roche nue, marĂ©cage, terre inondable, colline infertile, surface trop minĂ©ralisĂ©e. Puis, ce sont les assignations Ă  rĂ©sidence, cantonnements, « rĂ©serves » 

Le déracinement et la déstabilisation de l'économie vivriÚre mélanésienne entraßnent une sous-alimentation, accentuée par l'alcoolisation et le tabagisme.

Les rĂ©serves ont eu pour consĂ©quence la sĂ©grĂ©gation spatiale et sociale ; « Les rĂ©serves ont Ă©tĂ© un frein Ă  l'intĂ©gration des mĂ©lanĂ©siens autochtones et Ă  leur adaptation au monde moderne ». « DĂ©limitĂ©es sur la Grande Terre sans tenir compte des territoires rĂ©els de chaque clan, regroupant par le cantonnement des clans diffĂ©rents parfois ennemis, isolant les groupes, Ă©tablies dans l'ignorance de la nature rĂ©elle de l'organisation coutumiĂšre, elles ont modifiĂ© les hiĂ©rarchies et les relations traditionnelles. Insuffisantes en sols et en espace, elles ont gĂȘnĂ© l'extension des cultures commercialisables. »

Les structures sociales kanak sont disloquĂ©es : perte de terres coutumiĂšres, perte de grottes oĂč reposent les restes des ancĂȘtres, dĂ©racinement, perte d’identitĂ©, asthĂ©nie durable, dĂ©natalitĂ©, abandon de pans entiers de la coutume. Le premier recensement officiel donne 42 519 kanak en 1887, 35 000 en 1891, 30 304 en 1897, 27 768 en 1901, ce qui constitue une vĂ©ritable saignĂ©e : 5 % de la population mĂ©lanĂ©sienne. La population baisse, se maintenant Ă  environ 28 000 personnes (dont 17 000 sur la Grande Terre) entre 1900 et 1920[1].

Aux maladies courantes (echtyma, impétigo, herpÚs, eczéma, éléphantiasis, hydropisies, conjonctivite blépharite, infections pulmonaires
) s'ajoutent les maladies importées : lÚpre (1866, dÚs 1862 aux Loyauté, via des Samoans)[2], dengue (1883, 1908), variole (1893), blennoragie, pian, syphilis (importée ou non).

La christianisation, double, se poursuit, attisant des dissensions religieuses entre tribus catholiques et tribus protestantes, et tribus réticentes ou soucieuses de préserver leurs cultures. L'appropriation du christianisme par les Mélanésiens, acculturation, ou inculturation, ou adaptation partielle, des populations christianisées se fait avec la perte de certaines caractéristiques du mode de vie traditionnel kanak : imposition de la robe mission et du manou (hors Nouméa), destruction des huttes rondes (traditionnelles, adaptées, aérables, hygiéniques), imposition de constructions rectangulaires (inadaptées, inadaptables).

On vise à éradiquer les coutumes traditionnelles : destruction des pierres panyao, d'abondance ou de guerre, chargées par le rite de capture de l'esprit du mort (ko devenant rhee) (Maurice Leenhardt, 1935, 220).

La dĂ©faite kanak, Ă  la suite de la grande rĂ©volte kanak de 1878, la pacification qui a suivi, les actions punitives, les rĂ©serves, tout conduit Ă  une asthĂ©nie gĂ©nĂ©rale, marquĂ©e par une dĂ©population (de 50 000 Ă  70 000 en 1850 Ă  28 000 en 1900-1920 [1]).

Les MĂ©lanĂ©siens peuvent bĂ©nĂ©ficier du salariat auprĂšs des colons (et des administrations) : ramassage du cafĂ©, soin au bĂ©tail, domesticitĂ©, construction (routes, ports)
 Mais, assez vite, ils sont concurrencĂ©s par la main d'Ɠuvre immigrĂ©e, contractuelle en principe, plus mallĂ©able, mais tout aussi soumise aux abus de colons et de gĂ©rants des mines (trucage de comptes, de pesages
). Les Kanak sont Ă  la fois protĂ©gĂ©s (au sens oĂč ils sont mis en rĂ©serves) et exposĂ©s aux abus ou maladresses des syndics du service des Affaires indigĂšnes (SAI), qui sont souvent des gendarmes (24).

L'absence d'Ă©tat-civil pour les seuls Kanak (dĂ©nomination, recensement, naissances-mariages-dĂ©cĂšs, filiation, adoption
) n'empĂȘche pas la mise en place d'un impĂŽt de capitation. La politique indigĂšne se rĂ©sume, pour l'ensemble des colonies françaises dans le monde, au statut ou rĂ©gime de l’indigĂ©nat (1887-1946) : les Kanaks sont « sujets français » , et non pas « citoyens français ».

L'administration se défie globalement des chefferies traditionnelles (bouleversées) et met en place ses propres structures. Les pressions exercées sur les grands chefs, les petits chefs, exigences administratives, sur les chefferies administratives et les chefferies de clans, jouent du feuilletage des pouvoirs, et sont ressenties comme autant d'humiliations, potentielles ou réelles. On peut parler d'une sorte de nationalisme kanak latent (rapport 727 du , gouverneur Repiquet).

Le village kanak de l'Exposition universelle de Paris de 1889[3] - [4] - [5] - [6] - [7] illustre bien l'image qu'on peut ou veut donner des populations autochtones.

Le tout se fait sur fond de rivalités ou de guerres coutumiÚres, ou de chefferies, mais aussi de solidarités claniques ou tribales. Les guerres tribales (ou conflits tribaux) diminuent. Pourtant on note :

  • la guerre de HienghĂšne (1897), opposant le grand chef de Tendo, Goa (mort en 1919), et le grand chef Bouarate (mort en 1915, frĂšre de Doui Philippe Bouarate suicidĂ© en 1919, tous deux dĂ©tenus ensuite Ă  Tahiti),
  • la guerre de Poyes (PwĂ©ĂŻ, 1901)[8], entre le grand chef Amane et le grand chef du district de Touho, Hippolyte, et le grand chef de TipindjĂ©, KavĂ©at, (Paix de PamalĂ© avec le chef Dui Amaan Bouillant BuliĂšg).

Toutes proportions gardées, il est légitime de penser au traitement américain, contemporain, des Nord-Amérindiens, ou au traitement (antérieur) des aborigÚnes d'Australie et des Maoris de Nouvelle-Zélande.

Contexte particulier de PremiĂšre Guerre mondiale (1914-1918)

Les ferveurs patriotiques européennes diffusent rapidement dans les divers empires coloniaux : colonies dans la PremiÚre Guerre mondiale.

Pour l’OcĂ©anie, sont concernĂ©s aussi bien l’empire colonial français, l’empire britannique, l’empire colonial nĂ©erlandais, que l’empire colonial allemand, dont les possessions sont rapidement occupĂ©es par les troupes alliĂ©es.

En Nouvelle-CalĂ©donie, du fait du rĂ©gime de l’indigĂ©nat, le recrutement des Kanaks comme soldats, tirailleurs ou supplĂ©tifs n’est pas possible. Mais leur engagement volontaire l’est. L’argumentaire de l’administration coloniale peut se rĂ©sumer ainsi : La France a dĂ©jĂ  beaucoup de bons guerriers, et n’a donc pas vraiment besoin des redoutables guerriers kanaks. Mais les grands guerriers kanaks sont invitĂ©s Ă  participer Ă  la victoire finale, d’autant que, outre le lot commun (pĂ©cule, logement, uniforme, armement, nourriture, soins mĂ©dicaux, hospitalisation, transport, rapatriement), des avantages sont promis : mĂ©daille(s), suppression de l'impĂŽt de capitation, emploi rĂ©servĂ©, citoyennetĂ©, lot de terres en toute propriĂ©tĂ© [9]... Et des menaces sont Ă©galement profĂ©rĂ©es pour les tribus qui n'enverraient pas de volontaires. Les volontaires sont en fait, globalement, des requis[10].

La mobilisation a ainsi concernĂ© 1 025 Blancs ou EuropĂ©ens (sur 11 403 mobilisables, soit 8,48 %) et 1 078 indigĂšnes (sur 27 580 non mobilisables, soit 5,39 %). AprĂšs dĂ©fections, dĂ©sertions, prises de clandestinitĂ©, actes divers de rĂ©sistance, dans les deux groupes, 2 025 soldats partent rejoindre les 177 nĂ©o-calĂ©doniens dĂ©jĂ  mobilisĂ©s en mĂ©tropole : 1 047 europĂ©ens et 979 kanaks. Les Kanaks combattent principalement dans le Bataillon mixte du Pacifique, d’oĂč leur surnom de Niaoulis. Pour mĂ©moire, 575 nĂ©o-calĂ©doniens sont dĂ©clarĂ©s morts pour la France : 382 Kanaks et 193 citoyens français[11] - [12].

Le dĂ©part Ă  la guerre d’environ 2 000 hommes perturbe la tenue des exploitations et la vie des villages. Le ravitaillement par la mĂ©tropole est moins bien assurĂ©. Les conditions de vie des de toutes les communautĂ©s se dĂ©gradent.

En 1916, puis en 1917, deux cyclones trÚs violents causent de sérieux dommages.

Les faits

Les archives militaires sont correctement documentées en rapports de tous ordres, mais les documents non militaires sont également pertinents : mémoires écrits de religieux et de colons, mémoire orale kanak
[13] - [14].

Les mĂ©fiances inter-communautaires se doublent de dĂ©fiances intracommunautaires, des deux cĂŽtĂ©s. Il existe Ă  l’époque des tribus (rĂ©putĂ©es) pro-françaises, ou du moins qui ne sont pas en posture systĂ©matique d’opposition, de dĂ©fi ou de provocation, et des tribus Ă  rĂ©putation d’insoumission stricte. Les jeunes hommes ne sont pas forcĂ©ment en accord avec les Vieux des chefferies (administratives ou claniques). Les campagnes de recrutement, menĂ©es par l’administration française, rencontrent des difficultĂ©s, particuliĂšrement en 1917, en partie parce qu'on apprend le dĂ©cĂšs Ă  la guerre d'un certain nombre de volontaires du premier contingent.

Des rĂ©unions tribales, gĂ©nĂ©ralement intertribales, ont lieu, en prĂ©sence ou non de l’administration française. Ces ‘’pilous de guerre’’ sont des rencontres formelles, cĂ©rĂ©monielles, ici de discussion sur (les conditions de) la participation (ou non) Ă  la guerre europĂ©enne. Ces ‘’pilou-pilou’’[15] s’achĂšvent gĂ©nĂ©ralement par une danse, dite pilou, qu’on peut comparer au haka maori ou au pow-wow amĂ©rindien.

Divers pilous de guerre ont eu lieu à Néami (1914) prÚs de Pamale, Tiedanit, Tiamou
 avec, entre autres, les chefs Néa, de Ouanash (Touho), Poindet Apengou, de Nétchaot (Pouembout), Maurice Paetou, et Noël, de Tiamou (ou Camou ou Cémû, prÚs de Koné). Le pilou manqué de réconciliation de Tiamou (Cémû, Réserve de Koniambo-Grombaou), le , en présence d'Alfred Fourcade, chef du service des Affaires IndigÚnes, a des conséquences désastreuses, dramatiques : les hostilités sont désormais manifestes.

La situation se précise début 1917, sans doute aprÚs le cyclone de février 1917 dans le nord de la Grande-Terre, quand les tribus (ou villages, ou chefferies), pro-françaises, ou loyalistes, de Koniambo sont attaquées le par (une partie rebelle de) la tribu de Tiamou, menée par son chef Noël, à la suite d'injures et de menaces échangées à l'occasion de la seconde campagne de recrutement.

Des rumeurs circulent, des provocations se produisent, les tensions s’exacerbent. Des manipulations des mĂ©contentements de certaines tribus kanak par des non kanak sont Ă  peu prĂšs Ă©tablies (Jean Guiart, 2013:145). Maurice Leenhardt et Paul D. Montague auraient participĂ© Ă  une forme d'envoĂ»tement du Kaiser, Ă  HouaĂŻlou (d'aprĂšs Alain Bensa, dans l'ouvrage collectif de Patrick Boucheron).

Les rebelles attaquent (arc, casse-tĂȘte, hache, lance/sagaie, fronde, fusil (Chassepot, Lebel, Remington), Winchester...) un certain nombre de stations (habitations, exploitations, ranchs, fermes) : brutalitĂ©s, exactions, destructions de biens, spoliations, incendies, crimes, massacres
 C'est la guerre Ă  KonĂš, TipindjĂ© et HienghĂšne.

Les rumeurs se multiplient. La répression suit : harcÚlement, mitrailleuse, incendie de village sympathisant des rebelles, destruction de cultures...

Le procĂšs

La cour d'assises de Nouméa, du au [16], traite du dossier, et plus précisément de : affaire Vouta (18-) ; affaire Bous () ; attaque du campement minier de Kopeto () ; affaire Barada (à Apia, le ) ; affaire de la station Gros (à Né-hou-iou, ) ; affaire Lecomte à la station Boutana (juin) ; affaire Grassin et Papin (, Oué-Hava) ; affaire Laborderie (), affaire Ouen-kout () ; affaire de la station Ragot () ; affaire Tiéou ; attaque du poste militaire de Voh ()


Le nombre des victimes non kanak se monterait Ă  12 (8 Ă  16 selon d’autres chiffrages) : 9 EuropĂ©ens, 1 IndonĂ©sien, 1 Tahitien, 1 Japonais. Le nombre de victimes kanak n'est pas prĂ©cisĂ©, approximativement 200 (au maximum 300 si l'on y intĂšgre la soixantaine de prisonniers morts en captivitĂ©) . L'une d'entre elles serait une des grands-mĂšres de Jean-Marie Tjibaou, de la tribu des OuĂ©lis.

Toute personne disparue (en milieu kanak) est rĂ©putĂ©e avoir Ă©tĂ© tuĂ©e, dĂ©pecĂ©e et consommĂ©e, ou au moins le cƓur ĂŽtĂ©. Le traitement des rebelles par les forces de l'ordre (mĂ©tropolitains et tahitiens), et leurs auxiliaires kanak, sous la responsabilitĂ© du gĂ©omĂštre Richard Bernier et de Nicolas Ratzel, est souvent violent, selon le tĂ©moignage du pĂšre Alphonse Rouel (1887-1969) dans sa lettre Ă  Monseigneur Claude Chanrion.

L’ensemble des troubles aurait Ă©tĂ© le fait d’environ 80 guerriers kanak, selon un premier chiffrage de l’administration, plus sĂ©rieusement d'environ 300 guerriers, partiellement soutenus par les populations.

Les trois principaux témoins, et acteurs, Kaféat (ou Téin ou Thieu ou Céou, ou Kaféat Cidop-waan ma Juat, chef de Wankut, mais aussi condamné pour avoir étranglé l'anglais Harkinson), Noël (Bwëé Noël Pwatiba, de Tiamou, réfugié de la répression militaire de 1878, coupable surtout d'avoir montré ses fesses à un gouverneur), et son frÚre Kaieu Poigny, ont été assassinés dÚs janvier et .

Au procĂšs, sur 250 personnes incarcĂ©rĂ©es, 75 prĂ©venus kanak sont jugĂ©s : 5 condamnĂ©s Ă  mort, 45 aux travaux forcĂ©s, 5 Ă  la rĂ©clusion criminelle Ă  perpĂ©tuitĂ© ; 8 sont acquittĂ©s... et 12 ne sont pas renseignĂ©s. Il ne semble pas ĂȘtre question de co-responsabilitĂ©s de la part de non kanak.

Le grand chef de HienghĂšne, Doui Philippe Bouarate, (Philippo Bwaarhat/Bwaxat), est accusĂ© par la veuve de KafĂ©at, femme autorisĂ©e, car « en relation de libre parler avec le chef Â», en chefferie, puis au tribunal (Leenhardt, Do Kamo, Ă©d. Tel, p. 238-239). Il est convaincu d’avoir lancĂ© le premier message de guerre (sous la forme d'une monnaie kanak), monnaie noire, reçue par KafĂ©at Cidopwaan ma Juat. Philippo Bwaxat, quelques jours plus tard, se suicide par pendaison. NĂ©a est acquittĂ©. Le devin PaĂ©tou, inspirateur du mouvement, se rend Ă  Leenhardt, qui l'accompagne chez le Gouverneur pour sa reddition. (Source : Jean Guiart 2001:159).

En 1920, l'amnistie profite aux condamnés, sauf aux guerriers condamnés pour meurtre, soit quinze Kanak.

Les suites

1920-1960

Une mission d’inspection, de Louis Bougourd et Paul PĂ©gourier, inspecteurs coloniaux, Ă©tablit un rapport[17], formule une analyse des causes, Ă©met des reproches. Le gouvernement français maintient en poste, et titularise, le gouverneur en place, Jules Repiquet, en poste de 1914 Ă  1923. Une Nouvelle Politique IndigĂšne est Ă  mettre en place par le gouverneur Joseph Guyon (1925-1932).

La pacification entraĂźne le dĂ©placements de populations (vallĂ©es dĂ©vastĂ©es, villages dĂ©truits, humains morts, disparus, blessĂ©s, traumatisĂ©s), l'accĂ©lĂ©ration du prosĂ©lytisme religieux, de la christianisation, et de la colonisation, la disparition des aspects publics du culte des ancĂȘtres-dieux (duĂ©Ă©) des clans.

Le désarroi kanak s'accompagne de méfiance entre clans rebelles et clans loyaux, d'échanges de réconciliation, d'un appel kanak au dialogue avec les colonisateurs, et d'une relative intercompréhension, dans le meilleur des cas.

Les promesses sont tenues tardivement pour certains anciens combattants de 1914-1918 : rĂ©sidence libre (), exonĂ©ration de l'impĂŽt de capitation pour 15 ans (), possibilitĂ© d'obtenir une concession de 5 hectares (, dĂ©cret de 1938), accession Ă©ventuelle Ă  la citoyennetĂ© (). Globalement, les promesses ne sont guĂšre tenues, parfois pas revendiquĂ©es, ou pas transmises.

Les Mélanésiens connaissent l'aggravation de l'impÎt de capitation (1923, 1932, 1933), l'accroissement des prestations exigées pour participer à "l'effort de colonisation" (réquisition, travail obligatoire pour les services publics)(en 1925, 1929, 1931), trois mois, par an dÚs 1929, puis l'atténuation des sanctions (en 1928, 1933).

Parmi les aspects positifs, il y a l'obligation faite aux éleveurs de bétail de réaliser et entretenir des clÎtures, à leurs frais, à des coûts vite jugés prohibitifs, avec pour conséquence la réduction des élevages européens et les débuts tardifs des élevages kanak.

L'établissement progressif d'un état civil, pour les Kanak, à partir de 1935, permet de constater les métissages, de fait, la meilleure pratique de la langue française, la reprise de la natalité, la baisse de la mortalité.

L'exposition coloniale internationale (1931), et son zoo humain kanak (KakĂ© Wathio Gravine, KalĂ© Nigoth), avec guerriers et danseurs, et tournĂ©e europĂ©enne, vĂ©hicule pourtant la mĂȘme image dĂ©valorisante des populations autochtones.

En 1946, la disparition de l’indigĂ©nat fait entrer les kanaks dans la citoyennetĂ©, pressentie par les avantages de l'importante prĂ©sence amĂ©ricaine (1942-1945). On assiste Ă  plusieurs vagues d'immigration wallisienne et futunienne.

La mémoire orale kanak (cachée)[18] conserve et enrichit le souvenir de cette derniÚre révolte, en divers ténÎ ou rhénÎ, poésies-récits, pouvant atteindre plusieurs centaines de vers :

  • BwĂ«ungĂ€ Cöpiu GöröpwĂȘjilĂši : Nous deux regrettons le pays (1919),
  • Dui BwĂ©kua Noris PoomĂ€ NĂ€nyùùkĂ€rĂ€wĂą (mort en 1925) : Commence la fraĂźcheur par ici (1919).

Et commence l'écriture de textes conservant une mémoire du passé, par les kanak lettrés (natas, moniteurs, infirmiers, assistants, intermédiaires, interfaces...).

1960-2000

La révolte de 1917 réapparaßt tardivement, à partir des années 1970, avec le renouveau du nationalisme kanak, et la revendication des terres ancestrales spoliées.

La mémoire orale kanak se développe, et s'écrit :

  • AtĂ©Ăš Tiijit : Les cocotiers dĂ©cimĂ©s de Tiwaka et d'Amoa (1971).
  • BwĂ«ungĂ€ Pierre Pwiaa et TĂ©Ăą Emmanuel NeĂŒnùù : Histoire sur la rĂ©bellion en 1917 (JĂšmùù goro i "rĂ©bĂšlio" nùù 1917) (1973).
  • Cau PwĂ«nyĂź MĂȘrĂȘatĂŒ : Pourquoi sommes-nous dans cet Ă©tat ? (1973).
  • Gööru Ignace GöröpwĂȘjilĂši : Mauvais temps en 1917 (ĂšpĂ« nĂ€pĂŽ nùù 1917)(1975Ì .
  • UjiĂ© SimĂ©on Goromido : Histoire de WĂ€rĂč dans la riviĂšre de Tchamba et de l'origine du cĂšmuhĂź (jĂ©mùù goro pwi WĂ€rĂč nùù nĂ€-iriwĂą CĂąba mĂ€ goro i mĂ€joro camukĂź) (1975).
  • TĂ©Ăą Alphonse Goa : La parole cachĂ©e du grand chef de HienghĂšne (1976).
  • PwĂ€dĂ© François Pwiaa : La Guerre en 1917 (1991).

En 1999, les victimes kanak de la PremiÚre Guerre mondiale, engagés volontaires, sont reconnus et inscrits sur le Mémorial de la Guerre, à Nouméa.

La Conférence de Bandung (1955), le Tiers-mondisme et les luttes indépendantistes de différentes régions colonisées, en Afrique, Asie et Océanie, influent sur la prise de conscience des populations de Nouvelle-Calédonie : Algérie, Vietnam, Guinée, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Fidji, Vanuatu, Timor Oriental, Tavini Huiraatira, Fretilin, etc.

Depuis 2000

La mémoire orale kanak (relative à 1917 et plus généralement à la PremiÚre Guerre mondiale, dite de 14-18) s'affirme :

  • PwĂ«nyĂź Ignace PĂ©aru (1938-2013) : TovĂšn, heurs et malheurs de 1917 (2005), Göröwùùo, le parcours des ancĂȘtres (2002),
  • AndrĂ© Dogo WĂ€rĂč : La bataille de NĂ©tchaot (2008), (PwĂ€dĂ© IpĂ©gu WĂ€rĂč, Poindet, de NĂ©tchaot),
  • PwĂ€dĂ© ApĂ©gu Joseph Goromido : Le sacrifice d'ao TiahĂź (2008),
  • IatĂ© JubĂ©li Pwaaniin : Exil et accueil des chefs (2011),
  • BwĂ«ungĂ€ AnaĂŻs NĂ€gÚÚ (1936-) : Le panier sacrĂ©, publiĂ© dans Les sanglots de l'aigle pĂȘcheur (2015),

Le , jour anniversaire de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par Auguste Febvrier Despointes en 1853, à Cémû (Tiamou), 500 personnes célÚbrent la mémoire de deux insurgés de 1917, Bwëé Noël Pwatiba (assassiné en 1918) et Wùii Mikael Pwatiba (mort vers 1955), du clan GöiÚta, dont la famille avait dû quitter ses tertres Néa et Pwatiba de la vallée de Poya en 1878.

En 2015, le film La derniÚre révolte (Alain Nogues) donne une image actualisée de ces événements, commandée par et diffusée sur NC1[19].

Références

  1. Pierre MĂ©tais, « DĂ©mographie des NĂ©o-CalĂ©doniens », Journal de la SociĂ©tĂ© des OcĂ©anistes, PersĂ©e - Portail des revues scientifiques en SHS, vol. 9, no 9,‎ , p. 99–128 (DOI 10.3406/jso.1953.1773, lire en ligne, consultĂ© le ).
  2. http://leprosyhistory.org/file_db/NewCaledoniaFiles.pdf
  3. « Habitants village canaque paris 1889 », sur picture-worl.org (consulté le ).
  4. (en) « HugeDomains », sur HugeDomains (consulté le ).
  5. aissa, « 5 mai 1889. La France expose fiÚrement ses "nÚgres", Kanaks et Annamites à l'Expo universelle. », sur Black-Feelings.com (consulté le ).
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  7. Terrain, n° 30/mars 1998 : Le regard, , 176 p. (ISBN 978-2-85822-222-3, lire en ligne), p. 102.
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Bibliographie

  • Alban Bensa, Yvon KacuĂ© Goromoedo, Adrian Muckle, Les Sanglots de l'aigle pĂȘcheur. Nouvelle-CalĂ©donie : la Guerre kanak de 1917, Anacharsis, , 716 p. (ISBN 978-2914777971),
  • Jean-Marie Annonier, Anname, un hĂ©ros canaque, 2013, Edilivre, biographie romancĂ©e du chef Anname (1871-1917) et de la Guerre des Poyes,

Articles connexes

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