Zoo humain
L'expression « zoo humain » apparaĂźt au dĂ©but des annĂ©es 2000 pour dĂ©crire un phĂ©nomĂšne qui a prĂ©valu au temps des empires coloniaux (Ătats-Unis inclus) jusquâĂ la Seconde Guerre mondiale, et qui Ă©tait prĂ©sentĂ© comme des expositions d'ethnographie coloniale ou des villages indigĂšnes.
Sous prétexte d'information, les expositions coloniales, universelles et internationales ont été l'occasion de présenter aux publics des métropoles occidentales des échantillons de divers peuples non-occidentaux, chacun mis en situation dans un environnement souvent bien éloigné du mode de vie réel des acteurs.
Terminologie
Ă l'Ă©poque oĂč ces exhibitions Ă©taient organisĂ©es, on les prĂ©sentait comme des « expositions », « exhibitions » ou « spectacles » « ethnologiques », d'« ethnographie coloniale »[1] prĂ©sentant des villages typiques d'un pays ou d'une ethnie telle l'exhibition de l'« Afrique mystĂ©rieuse »[2]. On les qualifiait souvent de « villages noirs », « nĂšgres », ou « indigĂšnes » ; on prĂ©cisait parfois la nationalitĂ© (« village sĂ©nĂ©galais », « soudanais », « ceylanais ») ou le groupe ethnique (« indien », « malabare ») prĂ©sumĂ© des personnes qui y Ă©taient mises en scĂšne[3].
Le terme « zoo humain » a Ă©tĂ© popularisĂ© par la publication en 2002 de lâouvrage Zoos humains. De la VĂ©nus Hottentote aux reality shows, sous la direction de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles BoĂ«tsch, Ăric Deroo et Sandrine Lemaire, historiens français spĂ©cialistes du phĂ©nomĂšne colonial.
Controverse terminologique
Pour l'historien de l'anthropologie Claude Blanckaert, directeur de recherche au CNRS, le terme extrapolĂ© de « zoo humain » n'est quâun « artefact historiographique », « la formule emprunte au raccourci journalistique ». Il fait fi de la dynamique dâun rapport autrement contradictoire entre colons et colonisĂ©s[4].
Le 28 novembre 2013, la tĂ©lĂ©vision nationale japonaise (NHK) a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă payer 1 000 000 de yens Ă la fille d'une membre de l'ethnie Paiwan de Taiwan, qui avait Ă©tĂ© envoyĂ©e par le Japon Ă l'exposition anglo-japonaise de 1910 ; le juge a estimĂ© que l'emploi rĂ©pĂ©tĂ© de l'expression « Zoo humain » (äșșéćç©ćâNingen-Dobutsuenâ) dans le programme documentaire Asia no Ittokoku d'avril 2009 Ă©tait diffamant Ă l'Ă©gard d'elle-mĂȘme et de sa descendance[5].
Historique
Exhibitions de prestige avant l'Ă©poque contemporaine
Le phĂ©nomĂšne d'exhibition apparaĂźt dĂšs l'AntiquitĂ©. Les Grecs ont leurs « sauvages » et les Ăgyptiens ramĂšnent des nains du Soudan pour les exhiber[6].
Le premier « zoo humain », en AmĂ©rique, semble avoir Ă©tĂ© celui de Moctezuma Ă Mexico, qui, en plus d'exhiber de vastes collections d'animaux, montrait aussi des ĂȘtres humains prĂ©sentant des difformitĂ©s : albinos, nains, bossus[7].
Le phĂ©nomĂšne de spectacle commence Ă se dĂ©velopper dans les cours europĂ©ennes avec les Grandes dĂ©couvertes. Christophe Colomb ramĂšne en 1492 six Indiens quâil prĂ©sente Ă la cour dâEspagne. En 1550, des Indiens Tupinamba dĂ©filent Ă Rouen devant Henri II, en 1644 des Groenlandais sont enlevĂ©s pour ĂȘtre exposĂ©s au roi FrĂ©dĂ©ric III de Danemark. Les ambassadeurs siamois sont prĂ©sentĂ©s comme un spectacle exotique sous Louis XIV en 1686, comme le Tahitien Omai Ă la cour dâAngleterre en 1774[8].
Popularisation et industrialisation Ă partir du XIXe siĂšcle
Ă partir du XIXe siĂšcle, ces exhibitions ne sont plus rĂ©servĂ©es aux Ă©lites et se dĂ©mocratisent, devenant extrĂȘmement populaires, sur le modĂšle des grands spectacles de foire, avec notamment le dĂ©veloppement d'attractions calquĂ©es sur le plan de la scĂ©nographie, sur celui du zoo itinĂ©rant des cirques Barnum, puis allant dĂ©libĂ©rĂ©ment rĂ©investir des zoos existants.
ĂlĂ©ments de spectacles de cirque
Un des exemples les plus Ă©loquents est Saartjie Baartman, surnommĂ©e la « VĂ©nus hottentote », dont l'exposition en 1810 marque un tournant. Le 17 aoĂ»t 1861, l'entreprise montrĂ©alaise J.E. Guilbault exhibe au jardin Guilbault, aux limites du faubourg Saint-Laurent, trois membres de la famille Rudolph Lucasie, des Malgaches atteints d'albinisme, tous les jours de 9 h jusqu'Ă 19 h[9]. Le 6 septembre de l'annĂ©e suivante, l'entreprise ajoute Ă son zoo deux filles Ă la peau blanche et aux cheveux et aux yeux violets nĂ©es d'une mĂšre noire et qui ont des frĂšres noirs[10] - [11] - [12]. Des Samoans et des Samis sont exhibĂ©s dans des zoos allemands par Carl Hagenbeck en 1874, le pygmĂ©e congolais Ota Benga est placĂ© dans le zoo du Bronx en 1906, et des AmĂ©rindiens sont employĂ©s lors des Wild West Shows[6]; le terme s'applique aussi aux « freak shows » oĂč est notamment exhibĂ© William Henry Johnson.
Industrialisation du spectacle colonial
Une vĂ©ritable industrie du spectacle se met en place dĂšs cette Ă©poque : les impresarios occidentaux (comme Jean-Alfred VigĂ© et AimĂ© Bouvier en France) se crĂ©ent un rĂ©seau de recruteurs et chefs de troupes dans les diffĂ©rentes colonies (comme Jean Thiam et Mamadou Seck, sur l'Ăźle de GorĂ©e) pour alimenter un marchĂ© en forte croissance Ă la fin du XIXe siĂšcle. Au bout du compte, plus d'un milliard quatre cents millions de visiteurs ont pu voir 35 000 figurants dans le monde, entre 1800 et 1958, depuis les petites manifestations de cirque jusqu'aux grandes expositions coloniales et universelles pouvant mobiliser plusieurs millions de spectateurs[8], ainsi la grande exposition coloniale de 1907 Ă Nogent-sur-Marne attire 2,5 millions de visiteurs[13]. L'exotisme laisse alors la place au racialisme, lequel sâappuie sur un discours « scientifique »[14].
- « Si le fait colonial â premier contact de masse entre lâEurope et le reste du monde â induit encore aujourdâhui une relation complexe entre Nous et les Autres ; ces exhibitions en sont le nĂ©gatif tout aussi prĂ©gnant, car composante essentielle du premier contact, ici, entre les Autres et Nous. Un autre importĂ©, exhibĂ©, mesurĂ©, montrĂ©, dissĂ©quĂ©, spectularisĂ©, scĂ©nographiĂ©, selon les attentes dâun Occident en quĂȘte de certitudes sur son rĂŽle de « guide du monde », de « civilisation supĂ©rieure ». Aussi naturellement que le droit de « coloniser », ce droit dâ« exhiber » des « exotiques » dans des zoos, des cirques ou des villages se gĂ©nĂ©ralise de Hambourg Ă Paris, de Chicago Ă Londres, de Milan Ă Varsovie⊠»
- â « Zoos humains : entre mythe et rĂ©alitĂ© »[15].
Un autre exemple est celui des six Inuits que Robert Peary a fait venir Ă Manhattan sur le bateau de son expĂ©dition scientifique, depuis le Groenland, en 1897 : un pĂšre et ses enfants, un jeune homme, et deux autres adultes. Ils sont restĂ©s quelque temps au MusĂ©e amĂ©ricain d'histoire naturelle, oĂč ils Ă©taient Ă©tudiĂ©s. Les adultes et un des enfants sont morts de tuberculose trĂšs peu de temps aprĂšs - maladie inconnue chez eux. Le squelette du pĂšre a Ă©tĂ© exhibĂ© dans une vitrine. Son fils, Minik Wallace, seul survivant, a tentĂ© d'obtenir la restitution des ossements de son pĂšre, en vain[16].
Le goût des occidentaux pour l'exotisme
Les ĂȘtres humains exhibĂ©s fascinent car ils sont prĂ©sentĂ©s comme Ă©tant sauvages, anormaux, extraordinaires, comme ayant des difformitĂ©s, voire des coutumes comme le cannibalisme que l'on prĂȘte Ă certains. Parmi les PygmĂ©es amenĂ©s aux Ătats-Unis par Samuel Verner en 1904, certains ont les dents taillĂ©s en pointe. C'est le cas du jeune Ota Benga. Cette coutume du bassin du Congo est interprĂ©tĂ©e comme la preuve de leur prĂ©tendu cannibalisme. Les FuĂ©giens exposĂ©s au jardin d'acclimatation de Paris Ă partir de 1877 sont Ă©galement prĂ©sentĂ©s comme des cannibales[17]. Le succĂšs est instantanĂ© : la frĂ©quentation du jardin double, atteignant cette annĂ©e-lĂ le million dâentrĂ©es[18].
Les individus exhibĂ©s sont prĂ©sentĂ©s comme des sous-hommes, voire comme des animaux. La mise en scĂšne europĂ©enne les oblige Ă se conduire comme tels puisquâil leur est interdit de manifester tout signe dâacculturation aussi longtemps quâils sont exposĂ©s, sous peine dâamende retenue sur leur solde[19]. On les transporte dâexposition en exposition dans des wagons Ă bestiaux, comme des marchandises, sur lesquelles sont d'ailleurs prĂ©levĂ©es des taxes au passage des frontiĂšres[17].
Les zoos humains sont un moyen de dĂ©montrer la prĂ©tendue supĂ©rioritĂ© de la civilisation occidentale. Ils auraient ainsi contribuĂ© au passage d'un racisme scientifique Ă un racisme populaire, d'aprĂšs notamment les travaux de Pascal Blanchard[17]. Mais l'anthropologue Claude Blanckhaert conteste cette hypothĂšse : « LâidĂ©e sous-jacente Ă cette dĂ©monstration [âŠ] consiste Ă dire que le racisme ordinaire est un sous-produit de la zoologie officielle ou que lâhomme de la rue est un consommateur passif de savoirs garantis par le corps acadĂ©mique. Câest une thĂšse discutable. Il faut la dĂ©montrer avant de lâimposer »[4].
Ăvolution du regard des EuropĂ©ens sur les peuples colonisĂ©s
Les travaux de plusieurs historiens, notamment ceux de Pascal Blanchard, montrent qu'il y a une Ă©volution du regard portĂ© sur les exhibĂ©s aprĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale. Environ un million dâhommes non-blancs sont venus au front, dans les usines ou dans les champs pendant la PremiĂšre Guerre mondiale. Cela change le regard sur ces personnes, quâon ne connaissait jusque lĂ que grĂące aux zoos humains. Le sauvage dâhier se transforme en courageux combattant ou en brave travailleur, qui aide Ă combattre contre plus sauvage que lui : lâAllemand. AprĂšs 1918, les personnes exhibĂ©es sont beaucoup moins souvent qualifiĂ©es de « sauvages ». Ces personnes sont plutĂŽt reprĂ©sentĂ©es comme des « indigĂšnes » en voie d'ĂȘtre civilisĂ©s[20]. Ce sont tout de mĂȘme des indigĂšnes, considĂ©rĂ©s comme infĂ©rieurs aux Blancs[17].
- Affiche publicitaire pour un village de Hottentots au Jardin d'acclimatation (Paris, 1877).
- Zoo humain au Tiergarten Nill de Stuttgart, en 1900.
PremiĂšres critiques
Ces spectacles sont loin de susciter l'unanimitĂ© en Occident. Selon Claude Blanckaert, la multiplication des spectacles « anthropozoologiques » souleva des questions Ă©thiques qui furent immĂ©diatement perçues par les contemporains. Parmi les plus hostiles, l'anthropologue LĂ©once Manouvrier rĂ©cusait dĂšs 1882 l'expĂ©rience qu'on pouvait attendre de lâexamen des indigĂšnes parquĂ©s au Jardin d'acclimatation[4]. William Schneider montre que l'enseignement attendu des spectacles ethniques devint rapidement « un point de discorde majeur entre les membres de la SociĂ©tĂ© d'Anthropologie » Ainsi, en 1886, la visite au Jardin ne mĂ©rite pas une dĂ©lĂ©gation savante[4].
L'anatomiste français Georges Cuvier, dont les travaux Ă©taient tout Ă fait conformes aux prĂ©jugĂ©s racistes de l'Ă©poque, juge, en 1800, qu'« il ne nous est pas permis mĂȘme lorsque nous le pourrions, de sacrifier le bonheur, ni mĂȘme de violer les volontĂ©s de nos semblables pour satisfaire une simple curiositĂ© philosophique »[4].
Inversement, des dĂ©marches sont entreprises en France auprĂšs du ministre de lâInstruction publique par Armand de Quatrefages, Franz Pruner-Bey et Louis Lartet, trois scientifiques monogĂ©nistes, modĂ©rĂ©s et mĂȘme rĂ©putĂ© antiraciste pour le premier dâentre eux, pour soutenir le projet dâexhibition de spĂ©cimens vivants des races de la terre lors de lâExposition universelle de 1867[4].
Ă la suite de lâexposition coloniale de 1931 organisĂ©e Ă Paris, qui montre entre autres des villages indigĂšnes reconstituĂ©s (africain, maghrĂ©bin, kanak) oĂč leurs habitants sont obligĂ©s d'ĂȘtre leurs propres acteurs sous lâĆil curieux de millions de visiteurs, des personnalitĂ©s issues de communautĂ©s religieuses et dâorganismes sociaux divers se mobilisent et permettent de mettre fin Ă ces exhibitions que l'on juge malsaines. « Le scandale ne tarda pas Ă Ă©clater. En ce qui concerne les Kanaks, des plaintes se multiplient, d'abord de la part des Kanaks eux-mĂȘmes, relayĂ©es par tous les familiers de la Nouvelle-CalĂ©donie, les hommes dâĂglise, des CalĂ©doniens de Paris et mĂȘme une bonne partie des EuropĂ©ens de Nouvelle-CalĂ©donie »[21], parmi lesquels on compte le pasteur Maurice Leenhardt, le pĂšre Bazin et les Maristes, puis par la Ligue française pour la dĂ©fense des droits de lâhomme et du citoyen, et par le pasteur Soulier, dĂ©putĂ© de Paris. « La presse politique demeura en revanche Ă peu prĂšs muette, Ă lâimage de LâHumanitĂ© ». Il en fut de mĂȘme pour Le Canard enchaĂźnĂ©[22].
DĂ©clin des zoos humains au XXe siĂšcle
Les zoos humains sâĂ©talent sur une pĂ©riode dâun peu plus de cinquante ans. NĂ©anmoins, en 1931-1932, on constate une rupture majeure en Ă peine deux ans. En effet, depuis les annĂ©es 1920, le public se lasse de ces exhibitions et les autoritĂ©s publiques souhaitent renouveler la forme de celles-ci[23]. L'essor du cinĂ©ma ringardise les zoos humains[17].
De plus, dans l'entre-deux-guerres, lâOccident veut montrer quâil a Ă©duquĂ© les colonisĂ©s et qu'il a significativement amĂ©liorĂ© les conditions de vies dans les colonies (routes, Ă©coles, domaine de la santĂ©, etc.). Ainsi, Ă la fin des annĂ©es 1920, les zoos humains commencent Ă faire tache car ils incarnent lâĂ©chec de la mission civilisatrice, ils finissent donc par ĂȘtre interdits par lâadministration coloniale[24]. Hubert Lyautey impose ainsi la fin de toute exhibition Ă caractĂšre racial (Ă lâinstar de lâexhibition des NĂ©gresses Ă plateaux) dans le cadre de l'Exposition coloniale internationale de Paris en 1931[23].
MalgrĂ© tout un public reste avide de ce type dâexpositions pleines de stĂ©rĂ©otypes humiliants et dĂ©gradants pour les populations noires et en 1931[25] une troupe de Kanaks est recrutĂ©e par des imprĂ©sarios mal intentionnĂ©s qui bernent les MĂ©lanĂ©siens et les obligent Ă jouer les cannibales au Jardin dâAcclimatation de Paris. De plus, le regard basĂ© sur lâinĂ©galitĂ© entre les populations perdure au travers de nouveaux procĂ©dĂ©s (le cinĂ©ma, le thĂ©Ăątre, la photographie, etc.)[24].
Parmi les derniĂšres tournĂ©es Ă caractĂšre ethnographiques soit les derniĂšres tournĂ©es prĂ©sentant des « villages noirs » ou autres populations exotiques, on peut citer les deux derniĂšres prĂ©sentations dâHagenbeck (la troupe de Canaques en 1931 et la troupe Tcherkesse lâannĂ©e suivante), ou encore les expositions de BĂąle, de Stockholm, de Kölen, de Milan ou enfin lâexhibition des « NĂ©gresses Ă plateau Sara-Kaba » de Cologne[23]. Aux Ătats-Unis, les foires telles que le sideshow (en) (mĂ©nagerie humaine installĂ©e en marge des cirques) et le World Circus Sideshow (en) de Coney Island, freak show oĂč l'exposition de peuples non occidentaux est supplantĂ©e par la mise en scĂšne de « monstres », d'« idiots »[26].
DÚs 1934 et jusqu'en 1940, le mouvement néocolonialiste allemand (Deutscher Kolonialismus in der Zeit des Nationalsozialismus), organisé par le Kolonialpolitische Amt (KPA), sous la tutelle du NSDAP, et dont le but principal est de militer en faveur de la restitution des anciennes colonies allemandes confisquées au nom du traité de Versailles en 1919, décision entérinée en 1922, organise à travers toute l'Allemagne nazie une tournée, la Deutsche Afrika-Schau (en). Ce zoo humain est utilisé par la propagande nazie et cherchait à prouver au monde que les Allemands sont capables d'administrer des colonies. La plupart des Afro-allemands embauchés dans cette tournée servaient de figurants, comme par exemple Bayume Mohamed Husen, dans ce qu'il convient d'appeler une mascarade[27] - [28].
L'exposition du monde portugais Ă Lisbonne en 1940, est probablement l'une des derniĂšres exhibitions humaines Ă caractĂšre colonial et ethnographique[29].
Exhibitions depuis 1945
Les bĂątiments de l'Exposition coloniale de Paris de 1931 ont rapidement Ă©tĂ© rasĂ©s, effaçant la trace du dernier grand zoo humain. Ces infrastructures sont bannies de la mĂ©moire collective car elles incarnent la preuve la plus frappante, selon Pascal Blanchard et ses co-auteurs, des mĂ©canismes du racisme populaire en Occident[30]. Restent cependant les spĂ©cimens humains conservĂ©s par les musĂ©es, comme celui de Saartjie Baartman, dĂ©cĂ©dĂ©e le 29 dĂ©cembre 1815 Ă Paris et dont le corps est restituĂ© Ă lâAfrique du Sud en 2002[24].
Des événements rappelant les zoos humains apparaissent cependant ponctuellement aprÚs 1945[31].
Un village congolais est ainsi reconstitué et montré à Bruxelles lors de l'Exposition universelle de 1958 ; certains visiteurs ayant jeté des bananes aux figurants, ceux-ci décidÚrent de partir[32].
En 1994, le parc zoologique de Port-Saint-PĂšre[33], prĂšs de Nantes, en France, a essayĂ© dâouvrir un village africain avec hommes et femmes qui devaient, par contrat, ĂȘtre torse nu quand la tempĂ©rature le permettait[34]. SponsorisĂ© par la sociĂ©tĂ© Biscuiterie Saint-Michel, pour faire la promotion de sa marque de gĂąteaux Bamboula (aujourd'hui disparue), le village de la CĂŽte d'Ivoire reconstituĂ© Ă Port-Saint-PĂšre prit la dĂ©nomination de « Village de Bamboula », avec un personnage au mĂȘme nom, une attraction destinĂ©e Ă des enfants[35] - [36]. Une levĂ©e de boucliers mit fin Ă ce projet dont il ne resta plus, dans le parc, quâun « village africain » dans les cases duquel on a pu voir pendant des annĂ©es des reptiles et des oiseaux.
Des artistes cherchent à choquer en reproduisant les zoos humains, comme la Cubaine Coco Fusco (en) au début des années 1990, mais, selon Blanchard et al., l'indifférence des visiteurs laisse penser que les zoos humains ne choquaient toujours pas à cette époque[37].
Depuis 1999, avec entre autres l'émission Big Brother, la télévision est devenue le principal vecteur de création de zoos humains contemporains : c'est la thÚse que défendent des chercheurs comme Nicolas Bancel, avec son équipe, mais aussi Olivier Razac[38]. Le principe de ces téléréalités est d'enfermer un groupe d'hommes et de femmes observés en direct par le biais des caméras d'une chaßne de télévision. Les « acteurs » de ces shows sont le plus souvent des jeunes peu éduqués, issus de régions ou de milieux « stigmatisés »[39] - [40].
En 2002, un village pygmée est exposé dans un parc animalier à Yvoir (Belgique). L'opération se voulait humanitaire : récolter des fonds pour construire des puits, des dispensaires et des écoles au sud du Cameroun. Le Centre pour l'égalité des chances y a vu une manifestation de mauvais goût sans intention raciste[41].
Un village africain a été ouvert dans le zoo d'Augsbourg en Allemagne en juillet 2005[42]. Quelques journaux locaux protestent mais la directrice du zoo vante l'ouverture au monde que provoquerait cette exhibition pour les petits Allemands[43].
Dans l'archipel dâAndaman (Inde), le contact Ă©tabli avec la tribu isolĂ©e des Jarawa Ă la fin du XXe siĂšcle a abouti Ă la perte de leurs connaissances ancestrales, alors qu'ils restent maintenus Ă la marge de la sociĂ©tĂ©, « piĂ©gĂ©s dans le cercle vicieux de la mendicitĂ©, du vol et de vexations diverses. » ExploitĂ©s sexuellement, vulnĂ©rables aux ravages de lâalcool, ils servent dâattraction touristique pour des safaris humains. De maniĂšre rĂ©currente, des touristes leur lancent des bananes ou des sucreries depuis leurs vĂ©hicules et leur ordonnent de danser[44].
Pendant quatre jours (du 26 au ), le zoo de Londres a accueilli des pensionnaires humains sur la montagne aux ours. Cette initiative visait à prouver « l'appartenance de l'homme au genre animal » et à « montrer que sa prolifération est un véritable fléau pour les autres espÚces »[45] - [46].
En 2007, des Pygmées ont été hébergés dans le zoo de Brazzaville pour le festival de musique panafricaine[47].
Un « zoo humain » ouvert en 2008 en Thaïlande présente des membres de l'ethnie karen et notamment les femmes Padaung, vulgairement appelées « femmes-girafes » par une certaine presse[48].
En Chine, prÚs de Kunming, a été ouvert en 2009 un parc à thÚme, le Royaume des petites personnes, présentant des performances artistiques et comiques réalisées par des personnes de petite taille. Ce parc a été critiqué par plusieurs organisations, dont Little People of America (en) et Handicap International. Les critiques affirment que le parc ressemble à un zoo humain et isole les handicapés du reste de la société[49].
En 2014, Brett Bailey prĂ©sente Exhibit B, une sĂ©rie de tableaux vivants qui Ă©voquent les zoos humains. L'installation-performance de l'artiste sud-africain, qui tourna dans plus de 15 pays europĂ©ens, a entraĂźnĂ© Ă Londres puis Ă Paris une polĂ©mique, certaines personnes jugeant lâĆuvre raciste et dĂ©shumanisante[50] - [51].
Notes et références
- Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, « Ces zoos humains de la République coloniale », Le Monde diplomatique, août 2000, p. 16-17.
- ValĂ©rie ChĂ©biri, avril 2019, " Mission Touareg ", ou le voyage de l'AmĂ©nokal Moussa ag Amastan, Paris, Ăditions Saint-HonorĂ©, p. 98-101.
- Groupe de recherche ACHAC, « Une large diffusion : les villages ethniques itinĂ©rants / De Hambourg 1874 Ă Wembley 1924 », exposition Zoos humains. Lâinvention du sauvage, 2013.
- Claude Blanckaert, Spectacles ethniques et culture de masse au temps des colonies, Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2002/2 (no 7), p. 223-232
- R. Komatsu, Court orders NHK to pay Taiwanese woman for 'human zoo' reference, The Asahi Shimbun, 29/11/2013.
- Jean-Christophe Victor, « Exhibitions ou l'invention du sauvage », émission Le Dessous des cartes sur Arte, 27 mars 2012
- Mullan, Bob et Marvin Garry, Zoo culture: The book about watching people watch animals, University of Illinois Press, Urbana, Illinois, 2e Ă©dition, 1998, p. 32. (ISBN 0-252-06762-2).
- Pascal Blanchard et Nanette Jacomijn Snoep, « Exhibition : l'invention du sauvage », exposition au musée du Quai Branly, 29 novembre 2011 au 3 juin 2012
- J. E. Guilbault, « La curieuse famille des Albinos : Rudolph Lucasie, sa femme & enfant venant de Madagascar », La Minerve, vol. XXXIII, no 110,â , p. 3 (lire en ligne)
« ILS ont une belle peau blanche et des yeux violets quoiqu'ils aient des pĂšre et mĂšre noirs. Maintenant EXHIBĂE au JARDIN GUILBAULT, pour QUELQUES JOURS SEULEMENT, commençant SAMEDI, le 17 aoĂ»t 1861. La famille a Ă©tĂ© engagĂ©e par M. Guilbault a de grandes dĂ©penses, et avec la permission de P. J. Barnum sera exhibĂ©e pour quelques jours seulement. Le public peut ĂȘtre certain que c'est la seule vraie famille des Albinos dans les Ătats-Unis ou le Canada consistant de Parents ou Enfants parlant parfaitement l'anglais et le français. »
- « Merveilles vivantes! : Les enfants albinos sont arrivĂ©s et seron exhibĂ©s au Jardin Guilbault », La Minerve, vol. XXXIV, no 147,â , p. 3 (lire en ligne)
- Daniel Gay, Les Noirs du Québec : 1629-1900, Septentrion, coll. « Cahier des Amériques », , 514 p. (ISBN 978-2-89448-397-8, lire en ligne), p. 324
- Daniel Gay, Les Noirs du Québec : 1629-1900, Septenrtion, coll. « Cahier des Amériques », , 514 p. (ISBN 978-2-89448-397-8, lire en ligne), p. 325
- « Histoire. Ă Nogent-sur-Marne, les vestiges de âzoos humainsâ », sur Courrier international, (consultĂ© le ).
- Siegfried Forster, «Exhibitions» â ces zoos humains plein de « sauvages », sur RFI,
- « Zoos humains. Lâinvention du sauvage », sur achac.com (consultĂ© le ).
- (en) « Two big books by Nunavut historian Harper expose Arctic injustices », sur Nunatsiaq News, (consulté le )
- « Sauvages, au cĆur des zoos humains », documentaire de Pascal Blanchard et Bruno Victor-Pujebet, coproduction d'Arte France, Bonne Pioche TĂ©lĂ©vision, Archipel Production, 2018, 1h30
- Marc Ferro, Le livre noir du colonialisme : XVIe-XXIe siÚcle : de l'extermination à la repentance, Hachette Littératures, (ISBN 2-01-279183-2 et 978-2-01-279183-1, OCLC 418113081)
- Nicolas Bancel, Pascal,. Blanchard et Gilles Boetsch, Zoos humains XIXe et XXe siĂšcles, Ed. La DĂ©couverte, (ISBN 978-2-7071-3638-1 et 2-7071-3638-7, OCLC 491002006)
- Pascal Blanchard, Gilles Boetsch, Nanette Jacomijn Snoep et Lilian Thuram, Exhibitions : Lâinvention du sauvage, Actes Sud, (ISBN 978-2-330-00260-2 et 2-330-00260-2, OCLC 800631784).
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- « Canaques de la Nouvelle-Calédonie à Paris en 1931. De la case au zoo » par Isabelle Leblic dans le Journal de la Société des océanistes, 1998, numéro 107 p. 237-239 http://www.guichetdusavoir.org/ipb/index.php?showtopic=40088.
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- « Un village pygmée exposé dans un parc animalier belge »
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Voir aussi
Monographies
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- Nicolas Bancel (dir.), Pascal Blanchard (dir.), Gilles BoĂ«tsch (dir.) et Sandrine Lemaire (dir.), Zoos humains et exhibitions coloniales : 150 ans dâinventions de lâAutre (rĂ©Ă©dition), Paris, La DĂ©couverte, (lire en ligne), p. 600.
- Didier Daeninckx, Cannibale, 1998 (ISBN 2070408833).
- Catherine Hodeir et Michel Pierre, LâExposition Coloniale, Paris 1931, Paris-Bruxelles, Complexe, 1991 ; Ădition rĂ©actualisĂ©e, Paris, Editions AndrĂ© Versaille, 2011 (ISBN 978-2-87495-164-0)
Chapitres et articles
- Nicolas Bancel, « Et la race devint spectacle. GĂ©nĂ©alogies du zoo humain en Europe et aux Ătats-Unis (1842-1913) : L'HĂ©ritage colonial, un trou de mĂ©moire. », dans Nicolas Bancel et Thomas David et Dominic Thomas (dir.), L'Invention de la race : Des reprĂ©sentations scientifiques aux exhibitions populaires, Paris, La DĂ©couverte, coll. « Recherches », (lire en ligne), p. 315-330
- Pascal Blanchard, « Le zoo humain, une longue tradition française », Hommes et Migrations, no 1228 « L'hĂ©ritage colonial, un trou de mĂ©moire »,â , p. 44-50 (lire en ligne).
- Pascal Blanchard, « Regard sur l'affiche: Des zoos humains aux expositions coloniales », Corps, no 4,â , p. 111-128 (lire en ligne)
- Claude Blanckaert, Spectacles ethniques et culture de masse au temps des colonies, Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2002/2 (no 7), p. 223-232
- Catherine Hodeir, âHuman Exhibitions at Worldâs Fairs: Between Scientific Categorization and Exoticism? The French Colonial Presence at Midway Plaisance, Worldâs Columbian Exposition, Chicago, 1893â, Nicolas Bancel, Thomas David and Dominic Thomas (ed), The Invention of Race, Scientific and Popular Representations, New York and London, Routledge, 2014, (ISBN 978-0-415-74393-8)
- Catherine Hodeir, "Decentering the Gaze at French Colonial Exhibitions", Paul S.Landau and Deborah D.Kaspin (ed.), Images and Empires, Visuality in Colonial and Postcolonial Africa, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, 2002, (ISBN 0-520-22949-5)
- Sandrine Lemaire et Pascal Blanchard, « Exhibitions, expositions, médiatisation et colonies », dans Culture coloniale 1871-1931, Paris, Autrement, coll. « Mémoire/Histoire », (lire en ligne), p. 43-53
- Hilke Thode-Arora, « Hagenbeck et les tournĂ©es europĂ©ennes : L'Ălaboration du zoo humain », dans Nicolas Bancel et al. (dir.), Zoos humains et Exhibitions coloniales : 150 ans dâinventions de lâAutre, Paris, La DĂ©couverte, (lire en ligne), p. 150-159
Lien web
- Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, « Ces zoos humains de la République coloniale : Des exhibitions racistes qui fascinaient les Européens », sur Le Monde diplomatique,
- Pascal Blanchard et Olivier Barlet, « Les "zoos humains" sont-ils de retour ? », sur Le Monde,
- Charline Zeitoun, « Ă lâĂ©poque des zoos humains », sur CNRS Le journal,
Vidéographie
- Zoos humains de Pascal Blanchard et Ăric Deroo, 2002, 52 min.
Articles connexes
- Exposition coloniale
- Saartjie Baartman
- Jardin tropical de Paris
- Musée royal de l'Afrique centrale (en Belgique)
- Félicien Cattier dénonciateur du zoo humain de l'exposition de Tervuren en 1897.
- Monstre humain et TĂ©ratologie
- Theodor Wonja Michael
Liens externes
- « Colonial crimes | DW Documentary » (consulté le )
- Exposition Zoos humains. L'invention du sauvage - Groupe de recherche Achac
- [PDF] Zoos humains : entre mythe et rĂ©alitĂ©, par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles BoĂ«tsch, Ăric Deroo, Sandrine Lemaire, sur Groupe de recherche ACHAC - Colonisation, immigration, post-colonialisme - article fondamental sur ce concept.
- Ces zoos humains de la République coloniale, article de N. Bancel, P. Blanchard et S. Lemaire, dans le Monde diplomatique, août 2000, no 557.
- Exposition Exhibitions. L'invention du sauvage au musée du Quai Branly, du 29 novembre 2011 au 3 juin 2012.
- Françoise VergÚs, Rapport de la mission sur la mémoire des expositions ethnographiques et coloniales, 2011
- Pascal Blanchard et Olivier Barlet, « Les zoos humains sont-il de retour ? », Le Monde, 27 juin 2005.
- « Des zoos humains aux apothéoses coloniales : l'Úre de l'exhibition de l'autre », Africultures, 1er décembre 2001.
- Letizia Gaja Pinoja, Dehumanisation, animalisation: inside the terrible world of Swiss human zoos, The Conversation (22 juin 2023)