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Zoo humain

L'expression « zoo humain » apparaĂźt au dĂ©but des annĂ©es 2000 pour dĂ©crire un phĂ©nomĂšne qui a prĂ©valu au temps des empires coloniaux (États-Unis inclus) jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, et qui Ă©tait prĂ©sentĂ© comme des expositions d'ethnographie coloniale ou des villages indigĂšnes.

Sous prétexte d'information, les expositions coloniales, universelles et internationales ont été l'occasion de présenter aux publics des métropoles occidentales des échantillons de divers peuples non-occidentaux, chacun mis en situation dans un environnement souvent bien éloigné du mode de vie réel des acteurs.

Les Somalis au Jardin d'acclimatation de Paris en 1890

Terminologie

À l'Ă©poque oĂč ces exhibitions Ă©taient organisĂ©es, on les prĂ©sentait comme des « expositions », « exhibitions » ou « spectacles » « ethnologiques », d'« ethnographie coloniale »[1] prĂ©sentant des villages typiques d'un pays ou d'une ethnie telle l'exhibition de l'« Afrique mystĂ©rieuse »[2]. On les qualifiait souvent de « villages noirs », « nĂšgres », ou « indigĂšnes » ; on prĂ©cisait parfois la nationalitĂ© (« village sĂ©nĂ©galais », « soudanais », « ceylanais ») ou le groupe ethnique (« indien », « malabare ») prĂ©sumĂ© des personnes qui y Ă©taient mises en scĂšne[3].

Le terme « zoo humain » a Ă©tĂ© popularisĂ© par la publication en 2002 de l’ouvrage Zoos humains. De la VĂ©nus Hottentote aux reality shows, sous la direction de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles BoĂ«tsch, Éric Deroo et Sandrine Lemaire, historiens français spĂ©cialistes du phĂ©nomĂšne colonial.

Controverse terminologique

Exposition coloniale au Parc de Tennoji (Osaka)

Pour l'historien de l'anthropologie Claude Blanckaert, directeur de recherche au CNRS, le terme extrapolĂ© de « zoo humain » n'est qu’un « artefact historiographique Â», « la formule emprunte au raccourci journalistique Â». Il fait fi de la dynamique d’un rapport autrement contradictoire entre colons et colonisĂ©s[4].

Le 28 novembre 2013, la tĂ©lĂ©vision nationale japonaise (NHK) a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă  payer 1 000 000 de yens Ă  la fille d'une membre de l'ethnie Paiwan de Taiwan, qui avait Ă©tĂ© envoyĂ©e par le Japon Ă  l'exposition anglo-japonaise de 1910 ; le juge a estimĂ© que l'emploi rĂ©pĂ©tĂ© de l'expression « Zoo humain » (äșșé–“ć‹•ç‰©ćœ’â€œNingen-Dobutsuen”) dans le programme documentaire Asia no Ittokoku d'avril 2009 Ă©tait diffamant Ă  l'Ă©gard d'elle-mĂȘme et de sa descendance[5].

Historique

Exhibitions de prestige avant l'Ă©poque contemporaine

Le phĂ©nomĂšne d'exhibition apparaĂźt dĂšs l'AntiquitĂ©. Les Grecs ont leurs « sauvages » et les Égyptiens ramĂšnent des nains du Soudan pour les exhiber[6].

Le premier « zoo humain », en AmĂ©rique, semble avoir Ă©tĂ© celui de Moctezuma Ă  Mexico, qui, en plus d'exhiber de vastes collections d'animaux, montrait aussi des ĂȘtres humains prĂ©sentant des difformitĂ©s : albinos, nains, bossus[7].

Le phĂ©nomĂšne de spectacle commence Ă  se dĂ©velopper dans les cours europĂ©ennes avec les Grandes dĂ©couvertes. Christophe Colomb ramĂšne en 1492 six Indiens qu’il prĂ©sente Ă  la cour d’Espagne. En 1550, des Indiens Tupinamba dĂ©filent Ă  Rouen devant Henri II, en 1644 des Groenlandais sont enlevĂ©s pour ĂȘtre exposĂ©s au roi FrĂ©dĂ©ric III de Danemark. Les ambassadeurs siamois sont prĂ©sentĂ©s comme un spectacle exotique sous Louis XIV en 1686, comme le Tahitien Omai Ă  la cour d’Angleterre en 1774[8].

Popularisation et industrialisation Ă  partir du XIXe siĂšcle

À partir du XIXe siĂšcle, ces exhibitions ne sont plus rĂ©servĂ©es aux Ă©lites et se dĂ©mocratisent, devenant extrĂȘmement populaires, sur le modĂšle des grands spectacles de foire, avec notamment le dĂ©veloppement d'attractions calquĂ©es sur le plan de la scĂ©nographie, sur celui du zoo itinĂ©rant des cirques Barnum, puis allant dĂ©libĂ©rĂ©ment rĂ©investir des zoos existants.

ÉlĂ©ments de spectacles de cirque

Un des exemples les plus Ă©loquents est Saartjie Baartman, surnommĂ©e la « VĂ©nus hottentote », dont l'exposition en 1810 marque un tournant. Le 17 aoĂ»t 1861, l'entreprise montrĂ©alaise J.E. Guilbault exhibe au jardin Guilbault, aux limites du faubourg Saint-Laurent, trois membres de la famille Rudolph Lucasie, des Malgaches atteints d'albinisme, tous les jours de 9 h jusqu'Ă  19 h[9]. Le 6 septembre de l'annĂ©e suivante, l'entreprise ajoute Ă  son zoo deux filles Ă  la peau blanche et aux cheveux et aux yeux violets nĂ©es d'une mĂšre noire et qui ont des frĂšres noirs[10] - [11] - [12]. Des Samoans et des Samis sont exhibĂ©s dans des zoos allemands par Carl Hagenbeck en 1874, le pygmĂ©e congolais Ota Benga est placĂ© dans le zoo du Bronx en 1906, et des AmĂ©rindiens sont employĂ©s lors des Wild West Shows[6]; le terme s'applique aussi aux « freak shows » oĂč est notamment exhibĂ© William Henry Johnson.

Industrialisation du spectacle colonial

« Village sénégalais » mis en scÚne lors de l'exposition internationale d'Amiens de 1906.

Une vĂ©ritable industrie du spectacle se met en place dĂšs cette Ă©poque : les impresarios occidentaux (comme Jean-Alfred VigĂ© et AimĂ© Bouvier en France) se crĂ©ent un rĂ©seau de recruteurs et chefs de troupes dans les diffĂ©rentes colonies (comme Jean Thiam et Mamadou Seck, sur l'Ăźle de GorĂ©e) pour alimenter un marchĂ© en forte croissance Ă  la fin du XIXe siĂšcle. Au bout du compte, plus d'un milliard quatre cents millions de visiteurs ont pu voir 35 000 figurants dans le monde, entre 1800 et 1958, depuis les petites manifestations de cirque jusqu'aux grandes expositions coloniales et universelles pouvant mobiliser plusieurs millions de spectateurs[8], ainsi la grande exposition coloniale de 1907 Ă  Nogent-sur-Marne attire 2,5 millions de visiteurs[13]. L'exotisme laisse alors la place au racialisme, lequel s’appuie sur un discours « scientifique »[14].

« Si le fait colonial — premier contact de masse entre l’Europe et le reste du monde — induit encore aujourd’hui une relation complexe entre Nous et les Autres ; ces exhibitions en sont le nĂ©gatif tout aussi prĂ©gnant, car composante essentielle du premier contact, ici, entre les Autres et Nous. Un autre importĂ©, exhibĂ©, mesurĂ©, montrĂ©, dissĂ©quĂ©, spectularisĂ©, scĂ©nographiĂ©, selon les attentes d’un Occident en quĂȘte de certitudes sur son rĂŽle de « guide du monde », de « civilisation supĂ©rieure ». Aussi naturellement que le droit de « coloniser », ce droit d’« exhiber » des « exotiques » dans des zoos, des cirques ou des villages se gĂ©nĂ©ralise de Hambourg Ă  Paris, de Chicago Ă  Londres, de Milan Ă  Varsovie
 »
— « Zoos humains : entre mythe et rĂ©alitĂ© »[15].

Un autre exemple est celui des six Inuits que Robert Peary a fait venir Ă  Manhattan sur le bateau de son expĂ©dition scientifique, depuis le Groenland, en 1897 : un pĂšre et ses enfants, un jeune homme, et deux autres adultes. Ils sont restĂ©s quelque temps au MusĂ©e amĂ©ricain d'histoire naturelle, oĂč ils Ă©taient Ă©tudiĂ©s. Les adultes et un des enfants sont morts de tuberculose trĂšs peu de temps aprĂšs - maladie inconnue chez eux. Le squelette du pĂšre a Ă©tĂ© exhibĂ© dans une vitrine. Son fils, Minik Wallace, seul survivant, a tentĂ© d'obtenir la restitution des ossements de son pĂšre, en vain[16].

Le goût des occidentaux pour l'exotisme

Fuégiens à Paris, 1889.

Les ĂȘtres humains exhibĂ©s fascinent car ils sont prĂ©sentĂ©s comme Ă©tant sauvages, anormaux, extraordinaires, comme ayant des difformitĂ©s, voire des coutumes comme le cannibalisme que l'on prĂȘte Ă  certains. Parmi les PygmĂ©es amenĂ©s aux États-Unis par Samuel Verner en 1904, certains ont les dents taillĂ©s en pointe. C'est le cas du jeune Ota Benga. Cette coutume du bassin du Congo est interprĂ©tĂ©e comme la preuve de leur prĂ©tendu cannibalisme. Les FuĂ©giens exposĂ©s au jardin d'acclimatation de Paris Ă  partir de 1877 sont Ă©galement prĂ©sentĂ©s comme des cannibales[17]. Le succĂšs est instantanĂ© : la frĂ©quentation du jardin double, atteignant cette annĂ©e-lĂ  le million d’entrĂ©es[18].

Les individus exhibĂ©s sont prĂ©sentĂ©s comme des sous-hommes, voire comme des animaux. La mise en scĂšne europĂ©enne les oblige Ă  se conduire comme tels puisqu’il leur est interdit de manifester tout signe d’acculturation aussi longtemps qu’ils sont exposĂ©s, sous peine d’amende retenue sur leur solde[19]. On les transporte d’exposition en exposition dans des wagons Ă  bestiaux, comme des marchandises, sur lesquelles sont d'ailleurs prĂ©levĂ©es des taxes au passage des frontiĂšres[17].

Les zoos humains sont un moyen de dĂ©montrer la prĂ©tendue supĂ©rioritĂ© de la civilisation occidentale. Ils auraient ainsi contribuĂ© au passage d'un racisme scientifique Ă  un racisme populaire, d'aprĂšs notamment les travaux de Pascal Blanchard[17]. Mais l'anthropologue Claude Blanckhaert conteste cette hypothĂšse : « L’idĂ©e sous-jacente Ă  cette dĂ©monstration [
] consiste Ă  dire que le racisme ordinaire est un sous-produit de la zoologie officielle ou que l’homme de la rue est un consommateur passif de savoirs garantis par le corps acadĂ©mique. C’est une thĂšse discutable. Il faut la dĂ©montrer avant de l’imposer »[4].

Évolution du regard des EuropĂ©ens sur les peuples colonisĂ©s

Les travaux de plusieurs historiens, notamment ceux de Pascal Blanchard, montrent qu'il y a une Ă©volution du regard portĂ© sur les exhibĂ©s aprĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale. Environ un million d’hommes non-blancs sont venus au front, dans les usines ou dans les champs pendant la PremiĂšre Guerre mondiale. Cela change le regard sur ces personnes, qu’on ne connaissait jusque lĂ  que grĂące aux zoos humains. Le sauvage d’hier se transforme en courageux combattant ou en brave travailleur, qui aide Ă  combattre contre plus sauvage que lui : l’Allemand. AprĂšs 1918, les personnes exhibĂ©es sont beaucoup moins souvent qualifiĂ©es de « sauvages ». Ces personnes sont plutĂŽt reprĂ©sentĂ©es comme des « indigĂšnes » en voie d'ĂȘtre civilisĂ©s[20]. Ce sont tout de mĂȘme des indigĂšnes, considĂ©rĂ©s comme infĂ©rieurs aux Blancs[17].

PremiĂšres critiques

Ces spectacles sont loin de susciter l'unanimitĂ© en Occident. Selon Claude Blanckaert, la multiplication des spectacles « anthropozoologiques » souleva des questions Ă©thiques qui furent immĂ©diatement perçues par les contemporains. Parmi les plus hostiles, l'anthropologue LĂ©once Manouvrier rĂ©cusait dĂšs 1882 l'expĂ©rience qu'on pouvait attendre de l’examen des indigĂšnes parquĂ©s au Jardin d'acclimatation[4]. William Schneider montre que l'enseignement attendu des spectacles ethniques devint rapidement « un point de discorde majeur entre les membres de la SociĂ©tĂ© d'Anthropologie » Ainsi, en 1886, la visite au Jardin ne mĂ©rite pas une dĂ©lĂ©gation savante[4].

L'anatomiste français Georges Cuvier, dont les travaux Ă©taient tout Ă  fait conformes aux prĂ©jugĂ©s racistes de l'Ă©poque, juge, en 1800, qu'« il ne nous est pas permis mĂȘme lorsque nous le pourrions, de sacrifier le bonheur, ni mĂȘme de violer les volontĂ©s de nos semblables pour satisfaire une simple curiositĂ© philosophique »[4].

Inversement, des dĂ©marches sont entreprises en France auprĂšs du ministre de l’Instruction publique par Armand de Quatrefages, Franz Pruner-Bey et Louis Lartet, trois scientifiques monogĂ©nistes, modĂ©rĂ©s et mĂȘme rĂ©putĂ© antiraciste pour le premier d’entre eux, pour soutenir le projet d’exhibition de spĂ©cimens vivants des races de la terre lors de l’Exposition universelle de 1867[4].

À la suite de l’exposition coloniale de 1931 organisĂ©e Ă  Paris, qui montre entre autres des villages indigĂšnes reconstituĂ©s (africain, maghrĂ©bin, kanak) oĂč leurs habitants sont obligĂ©s d'ĂȘtre leurs propres acteurs sous l’Ɠil curieux de millions de visiteurs, des personnalitĂ©s issues de communautĂ©s religieuses et d’organismes sociaux divers se mobilisent et permettent de mettre fin Ă  ces exhibitions que l'on juge malsaines. « Le scandale ne tarda pas Ă  Ă©clater. En ce qui concerne les Kanaks, des plaintes se multiplient, d'abord de la part des Kanaks eux-mĂȘmes, relayĂ©es par tous les familiers de la Nouvelle-CalĂ©donie, les hommes d’Église, des CalĂ©doniens de Paris et mĂȘme une bonne partie des EuropĂ©ens de Nouvelle-CalĂ©donie »[21], parmi lesquels on compte le pasteur Maurice Leenhardt, le pĂšre Bazin et les Maristes, puis par la Ligue française pour la dĂ©fense des droits de l’homme et du citoyen, et par le pasteur Soulier, dĂ©putĂ© de Paris. « La presse politique demeura en revanche Ă  peu prĂšs muette, Ă  l’image de L’HumanitĂ© ». Il en fut de mĂȘme pour Le Canard enchaĂźnĂ©[22].

DĂ©clin des zoos humains au XXe siĂšcle

Le « village nÚgre » sur la place Hoche de Rennes, à la fin avril 1929.

Les zoos humains s’étalent sur une pĂ©riode d’un peu plus de cinquante ans. NĂ©anmoins, en 1931-1932, on constate une rupture majeure en Ă  peine deux ans. En effet, depuis les annĂ©es 1920, le public se lasse de ces exhibitions et les autoritĂ©s publiques souhaitent renouveler la forme de celles-ci[23]. L'essor du cinĂ©ma ringardise les zoos humains[17].

De plus, dans l'entre-deux-guerres, l’Occident veut montrer qu’il a Ă©duquĂ© les colonisĂ©s et qu'il a significativement amĂ©liorĂ© les conditions de vies dans les colonies (routes, Ă©coles, domaine de la santĂ©, etc.). Ainsi, Ă  la fin des annĂ©es 1920, les zoos humains commencent Ă  faire tache car ils incarnent l’échec de la mission civilisatrice, ils finissent donc par ĂȘtre interdits par l’administration coloniale[24]. Hubert Lyautey impose ainsi la fin de toute exhibition Ă  caractĂšre racial (Ă  l’instar de l’exhibition des NĂ©gresses Ă  plateaux) dans le cadre de l'Exposition coloniale internationale de Paris en 1931[23].

MalgrĂ© tout un public reste avide de ce type d’expositions pleines de stĂ©rĂ©otypes humiliants et dĂ©gradants pour les populations noires et en 1931[25] une troupe de Kanaks est recrutĂ©e par des imprĂ©sarios mal intentionnĂ©s qui bernent les MĂ©lanĂ©siens et les obligent Ă  jouer les cannibales au Jardin d’Acclimatation de Paris. De plus, le regard basĂ© sur l’inĂ©galitĂ© entre les populations perdure au travers de nouveaux procĂ©dĂ©s (le cinĂ©ma, le thĂ©Ăątre, la photographie, etc.)[24].

Parmi les derniĂšres tournĂ©es Ă  caractĂšre ethnographiques soit les derniĂšres tournĂ©es prĂ©sentant des « villages noirs » ou autres populations exotiques, on peut citer les deux derniĂšres prĂ©sentations d’Hagenbeck (la troupe de Canaques en 1931 et la troupe Tcherkesse l’annĂ©e suivante), ou encore les expositions de BĂąle, de Stockholm, de Kölen, de Milan ou enfin l’exhibition des « NĂ©gresses Ă  plateau Sara-Kaba » de Cologne[23]. Aux États-Unis, les foires telles que le sideshow (en) (mĂ©nagerie humaine installĂ©e en marge des cirques) et le World Circus Sideshow (en) de Coney Island, freak show oĂč l'exposition de peuples non occidentaux est supplantĂ©e par la mise en scĂšne de « monstres », d'« idiots »[26].

DÚs 1934 et jusqu'en 1940, le mouvement néocolonialiste allemand (Deutscher Kolonialismus in der Zeit des Nationalsozialismus), organisé par le Kolonialpolitische Amt (KPA), sous la tutelle du NSDAP, et dont le but principal est de militer en faveur de la restitution des anciennes colonies allemandes confisquées au nom du traité de Versailles en 1919, décision entérinée en 1922, organise à travers toute l'Allemagne nazie une tournée, la Deutsche Afrika-Schau (en). Ce zoo humain est utilisé par la propagande nazie et cherchait à prouver au monde que les Allemands sont capables d'administrer des colonies. La plupart des Afro-allemands embauchés dans cette tournée servaient de figurants, comme par exemple Bayume Mohamed Husen, dans ce qu'il convient d'appeler une mascarade[27] - [28].

L'exposition du monde portugais Ă  Lisbonne en 1940, est probablement l'une des derniĂšres exhibitions humaines Ă  caractĂšre colonial et ethnographique[29].

Exhibitions depuis 1945

Les bĂątiments de l'Exposition coloniale de Paris de 1931 ont rapidement Ă©tĂ© rasĂ©s, effaçant la trace du dernier grand zoo humain. Ces infrastructures sont bannies de la mĂ©moire collective car elles incarnent la preuve la plus frappante, selon Pascal Blanchard et ses co-auteurs, des mĂ©canismes du racisme populaire en Occident[30]. Restent cependant les spĂ©cimens humains conservĂ©s par les musĂ©es, comme celui de Saartjie Baartman, dĂ©cĂ©dĂ©e le 29 dĂ©cembre 1815 Ă  Paris et dont le corps est restituĂ© Ă  l’Afrique du Sud en 2002[24].

Des événements rappelant les zoos humains apparaissent cependant ponctuellement aprÚs 1945[31].

Un village congolais est ainsi reconstitué et montré à Bruxelles lors de l'Exposition universelle de 1958 ; certains visiteurs ayant jeté des bananes aux figurants, ceux-ci décidÚrent de partir[32].

En 1994, le parc zoologique de Port-Saint-PĂšre[33], prĂšs de Nantes, en France, a essayĂ© d’ouvrir un village africain avec hommes et femmes qui devaient, par contrat, ĂȘtre torse nu quand la tempĂ©rature le permettait[34]. SponsorisĂ© par la sociĂ©tĂ© Biscuiterie Saint-Michel, pour faire la promotion de sa marque de gĂąteaux Bamboula (aujourd'hui disparue), le village de la CĂŽte d'Ivoire reconstituĂ© Ă  Port-Saint-PĂšre prit la dĂ©nomination de « Village de Bamboula », avec un personnage au mĂȘme nom, une attraction destinĂ©e Ă  des enfants[35] - [36]. Une levĂ©e de boucliers mit fin Ă  ce projet dont il ne resta plus, dans le parc, qu’un « village africain » dans les cases duquel on a pu voir pendant des annĂ©es des reptiles et des oiseaux.

Des artistes cherchent à choquer en reproduisant les zoos humains, comme la Cubaine Coco Fusco (en) au début des années 1990, mais, selon Blanchard et al., l'indifférence des visiteurs laisse penser que les zoos humains ne choquaient toujours pas à cette époque[37].

Depuis 1999, avec entre autres l'Ă©mission Big Brother, la tĂ©lĂ©vision est devenue le principal vecteur de crĂ©ation de zoos humains contemporains : c'est la thĂšse que dĂ©fendent des chercheurs comme Nicolas Bancel, avec son Ă©quipe, mais aussi Olivier Razac[38]. Le principe de ces tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©s est d'enfermer un groupe d'hommes et de femmes observĂ©s en direct par le biais des camĂ©ras d'une chaĂźne de tĂ©lĂ©vision. Les « acteurs Â» de ces shows sont le plus souvent des jeunes peu Ă©duquĂ©s, issus de rĂ©gions ou de milieux « stigmatisĂ©s Â»[39] - [40].

En 2002, un village pygmée est exposé dans un parc animalier à Yvoir (Belgique). L'opération se voulait humanitaire : récolter des fonds pour construire des puits, des dispensaires et des écoles au sud du Cameroun. Le Centre pour l'égalité des chances y a vu une manifestation de mauvais goût sans intention raciste[41].

Un village africain a été ouvert dans le zoo d'Augsbourg en Allemagne en juillet 2005[42]. Quelques journaux locaux protestent mais la directrice du zoo vante l'ouverture au monde que provoquerait cette exhibition pour les petits Allemands[43].

Dans l'archipel d’Andaman (Inde), le contact Ă©tabli avec la tribu isolĂ©e des Jarawa Ă  la fin du XXe siĂšcle a abouti Ă  la perte de leurs connaissances ancestrales, alors qu'ils restent maintenus Ă  la marge de la sociĂ©tĂ©, « piĂ©gĂ©s dans le cercle vicieux de la mendicitĂ©, du vol et de vexations diverses. » ExploitĂ©s sexuellement, vulnĂ©rables aux ravages de l’alcool, ils servent d’attraction touristique pour des safaris humains. De maniĂšre rĂ©currente, des touristes leur lancent des bananes ou des sucreries depuis leurs vĂ©hicules et leur ordonnent de danser[44].

Pendant quatre jours (du 26 au ), le zoo de Londres a accueilli des pensionnaires humains sur la montagne aux ours. Cette initiative visait à prouver « l'appartenance de l'homme au genre animal » et à « montrer que sa prolifération est un véritable fléau pour les autres espÚces »[45] - [46].

En 2007, des Pygmées ont été hébergés dans le zoo de Brazzaville pour le festival de musique panafricaine[47].

Un « zoo humain » ouvert en 2008 en Thaïlande présente des membres de l'ethnie karen et notamment les femmes Padaung, vulgairement appelées « femmes-girafes » par une certaine presse[48].

En Chine, prÚs de Kunming, a été ouvert en 2009 un parc à thÚme, le Royaume des petites personnes, présentant des performances artistiques et comiques réalisées par des personnes de petite taille. Ce parc a été critiqué par plusieurs organisations, dont Little People of America (en) et Handicap International. Les critiques affirment que le parc ressemble à un zoo humain et isole les handicapés du reste de la société[49].

En 2014, Brett Bailey prĂ©sente Exhibit B, une sĂ©rie de tableaux vivants qui Ă©voquent les zoos humains. L'installation-performance de l'artiste sud-africain, qui tourna dans plus de 15 pays europĂ©ens, a entraĂźnĂ© Ă  Londres puis Ă  Paris une polĂ©mique, certaines personnes jugeant l’Ɠuvre raciste et dĂ©shumanisante[50] - [51].

Notes et références

  1. Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, « Ces zoos humains de la République coloniale », Le Monde diplomatique, août 2000, p. 16-17.
  2. ValĂ©rie ChĂ©biri, avril 2019, " Mission Touareg ", ou le voyage de l'AmĂ©nokal Moussa ag Amastan, Paris, Éditions Saint-HonorĂ©, p. 98-101.
  3. Groupe de recherche ACHAC, « Une large diffusion : les villages ethniques itinĂ©rants / De Hambourg 1874 Ă  Wembley 1924 », exposition Zoos humains. L’invention du sauvage, 2013.
  4. Claude Blanckaert, Spectacles ethniques et culture de masse au temps des colonies, Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2002/2 (no 7), p. 223-232
  5. R. Komatsu, Court orders NHK to pay Taiwanese woman for 'human zoo' reference, The Asahi Shimbun, 29/11/2013.
  6. Jean-Christophe Victor, « Exhibitions ou l'invention du sauvage », émission Le Dessous des cartes sur Arte, 27 mars 2012
  7. Mullan, Bob et Marvin Garry, Zoo culture: The book about watching people watch animals, University of Illinois Press, Urbana, Illinois, 2e Ă©dition, 1998, p. 32. (ISBN 0-252-06762-2).
  8. Pascal Blanchard et Nanette Jacomijn Snoep, « Exhibition : l'invention du sauvage », exposition au musée du Quai Branly, 29 novembre 2011 au 3 juin 2012
  9. J. E. Guilbault, « La curieuse famille des Albinos : Rudolph Lucasie, sa femme & enfant venant de Madagascar », La Minerve, vol. XXXIII, no 110,‎ , p. 3 (lire en ligne)
    « ILS ont une belle peau blanche et des yeux violets quoiqu'ils aient des pĂšre et mĂšre noirs. Maintenant EXHIBÉE au JARDIN GUILBAULT, pour QUELQUES JOURS SEULEMENT, commençant SAMEDI, le 17 aoĂ»t 1861. La famille a Ă©tĂ© engagĂ©e par M. Guilbault a de grandes dĂ©penses, et avec la permission de P. J. Barnum sera exhibĂ©e pour quelques jours seulement. Le public peut ĂȘtre certain que c'est la seule vraie famille des Albinos dans les États-Unis ou le Canada consistant de Parents ou Enfants parlant parfaitement l'anglais et le français. »
  10. « Merveilles vivantes! : Les enfants albinos sont arrivĂ©s et seron exhibĂ©s au Jardin Guilbault », La Minerve, vol. XXXIV, no 147,‎ , p. 3 (lire en ligne)
  11. Daniel Gay, Les Noirs du Québec : 1629-1900, Septentrion, coll. « Cahier des Amériques », , 514 p. (ISBN 978-2-89448-397-8, lire en ligne), p. 324
  12. Daniel Gay, Les Noirs du Québec : 1629-1900, Septenrtion, coll. « Cahier des Amériques », , 514 p. (ISBN 978-2-89448-397-8, lire en ligne), p. 325
  13. « Histoire. À Nogent-sur-Marne, les vestiges de “zoos humains” », sur Courrier international, (consultĂ© le ).
  14. Siegfried Forster, «Exhibitions» – ces zoos humains plein de « sauvages », sur RFI,
  15. « Zoos humains. L’invention du sauvage », sur achac.com (consultĂ© le ).
  16. (en) « Two big books by Nunavut historian Harper expose Arctic injustices », sur Nunatsiaq News, (consulté le )
  17. « Sauvages, au cƓur des zoos humains », documentaire de Pascal Blanchard et Bruno Victor-Pujebet, coproduction d'Arte France, Bonne Pioche TĂ©lĂ©vision, Archipel Production, 2018, 1h30
  18. Marc Ferro, Le livre noir du colonialisme : XVIe-XXIe siÚcle : de l'extermination à la repentance, Hachette Littératures, (ISBN 2-01-279183-2 et 978-2-01-279183-1, OCLC 418113081)
  19. Nicolas Bancel, Pascal,. Blanchard et Gilles Boetsch, Zoos humains XIXe et XXe siĂšcles, Ed. La DĂ©couverte, (ISBN 978-2-7071-3638-1 et 2-7071-3638-7, OCLC 491002006)
  20. Pascal Blanchard, Gilles Boetsch, Nanette Jacomijn Snoep et Lilian Thuram, Exhibitions : L’invention du sauvage, Actes Sud, (ISBN 978-2-330-00260-2 et 2-330-00260-2, OCLC 800631784).
  21. Zoos humains, op. cité, p. 82
  22. « Canaques de la Nouvelle-Calédonie à Paris en 1931. De la case au zoo » par Isabelle Leblic dans le Journal de la Société des océanistes, 1998, numéro 107 p. 237-239 http://www.guichetdusavoir.org/ipb/index.php?showtopic=40088.
  23. Bancel et al. Lemaire, p. 12.
  24. Blanchard et Deroo 2002, 1'34-51'32.
  25. « L'histoire de Marius Kolaïe, Kanak exposé dans un zoo humain », sur France Culture, (consulté le )
  26. Musée du Quai Branly, Exhibitions : l'invention du sauvage, Actes Sud, , p. 334.
  27. (de) « Afrika in Berlin », séminaire du Deutsches Historisches Museum, novembre 2004 - avril 2005.
  28. (de) Harald Sippel, « Kolonialverwaltung ohne Kolonien – Das Kolonialpolitische Amt der NSDAP und das geplante Reichskolonialministerium », in: Ulrich Van der Heyden et Joachim Zeller (dir.), Kolonialmetropole Berlin. Eine Spurensuche, Berlin, 2002, p. 412.
  29. Jean Copans, L'Ethnologie : idées reçues sur l'ethnologie, Le Cavalier Bleu Editions, , p. 87.
  30. Blanchard 2004, p. 422.
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  32. RTBF La PremiÚre, « Avec son "zoo humain", l'Expo '58 n'a pas laissé que de bons souvenirs », 17 avril 2018.
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Voir aussi

Monographies

Chapitres et articles

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  • Pascal Blanchard, « Le zoo humain, une longue tradition française », Hommes et Migrations, no 1228 « L'hĂ©ritage colonial, un trou de mĂ©moire »,‎ , p. 44-50 (lire en ligne).
  • Pascal Blanchard, « Regard sur l'affiche: Des zoos humains aux expositions coloniales », Corps, no 4,‎ , p. 111-128 (lire en ligne)
  • Claude Blanckaert, Spectacles ethniques et culture de masse au temps des colonies, Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2002/2 (no 7), p. 223-232
  • Catherine Hodeir, “Human Exhibitions at World’s Fairs: Between Scientific Categorization and Exoticism? The French Colonial Presence at Midway Plaisance, World’s Columbian Exposition, Chicago, 1893”, Nicolas Bancel, Thomas David and Dominic Thomas (ed), The Invention of Race, Scientific and Popular Representations, New York and London, Routledge, 2014, (ISBN 978-0-415-74393-8)
  • Catherine Hodeir, "Decentering the Gaze at French Colonial Exhibitions", Paul S.Landau and Deborah D.Kaspin (ed.), Images and Empires, Visuality in Colonial and Postcolonial Africa, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, 2002, (ISBN 0-520-22949-5)
  • Sandrine Lemaire et Pascal Blanchard, « Exhibitions, expositions, mĂ©diatisation et colonies », dans Culture coloniale 1871-1931, Paris, Autrement, coll. « MĂ©moire/Histoire », (lire en ligne), p. 43-53
  • Hilke Thode-Arora, « Hagenbeck et les tournĂ©es europĂ©ennes : L'Élaboration du zoo humain », dans Nicolas Bancel et al. (dir.), Zoos humains et Exhibitions coloniales : 150 ans d’inventions de l’Autre, Paris, La DĂ©couverte, (lire en ligne), p. 150-159

Lien web

Vidéographie

Articles connexes

Liens externes

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