Le Gendarme de Saint-Tropez
Le Gendarme de Saint-Tropez est un film comique franco-italien réalisé par Jean Girault, sorti en 1964.
RĂ©alisation | Jean Girault |
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Scénario |
Jacques Vilfrid Richard Balducci Jean Girault |
Musique | Raymond Lefebvre |
Acteurs principaux | |
Sociétés de production |
SNC (Paris) Franca Films (Rome) |
Pays de production |
France Italie |
Genre | Comédie |
Durée | 90 minutes |
Sortie | 1964 |
SĂ©rie du Gendarme de Saint-Tropez
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution
Imaginé par Richard Balducci après une rencontre insensée avec un gendarme assez débonnaire en poste à Saint-Tropez, le film raconte les aventures de Ludovic Cruchot, un gendarme très zélé, muté dans la cité balnéaire de Saint-Tropez, sur la côte d'Azur, avec le grade de maréchal des logis-chef. Il y découvre une brigade où il fait bon vivre et participe aux récurrentes chasses aux nudistes et aux nombreuses activités de détente de sa brigade, dirigée par l'adjudant Gerber, quelque peu dépassé.
Ludovic Cruchot est interprété par Louis de Funès, autour duquel tout le film a été construit. L'adjudant Gerber est joué par Michel Galabru et les autres gendarmes par Jean Lefebvre, Christian Marin et le duo Grosso et Modo. Nicole, la fille de Cruchot, est incarnée par Geneviève Grad. Conçu comme une « petite comédie sans prétention », avec un budget peu élevé, le film est tourné de juin à juillet 1964, en extérieurs à Belvédère et à Saint-Tropez ainsi qu'aux studios de la Victorine (Nice). La bande originale est composée par Raymond Lefebvre et comprend la chanson Douliou-douliou Saint Tropez, qui remporte un franc succès.
Sorti en salles le , Le Gendarme de Saint-Tropez rencontre à la surprise générale un succès considérable, arrivant en tête du box-office français de l'année 1964 avec plus de 7,8 millions d'entrées. L'accueil critique est partagé. Louis de Funès remporte une Victoire du cinéma pour son interprétation. Installé pour la première fois en haut du box-office, l'acteur voit sa carrière et sa célébrité définitivement lancées.
Ce triomphe inattendu entraînera la réalisation d'une suite, Le Gendarme à New York, dès l'année suivante, puis d'autres, formant finalement une série composée de six films, dont le dernier est sorti en 1982. Le Gendarme marque Saint-Tropez au point que le bâtiment de la gendarmerie montré par ces films devient un musée en 2016.
Synopsis
Synopsis court
Grâce aux loyaux services rendus à une commune non nommée des Hautes-Alpes[1] - [note 1], où il était jusqu'ici en poste, Ludovic Cruchot, gendarme, est muté dans le Var, à Saint-Tropez tout en étant promu maréchal des logis-chef.
Arrivé sur les lieux de sa nouvelle affectation, Cruchot participe aux vaines et répétitives chasses aux nudistes organisées par son supérieur, l'adjudant Gerber, tandis que de son côté sa fille unique Nicole, qui s'ennuyait autrefois à mourir dans son village, est éblouie par le luxe de sa nouvelle ville. N'arrivant pas à se faire accepter par les jeunes bourgeois de la station balnéaire, elle s'invente un père fictif richissime : celui-ci serait milliardaire, possèderait un yacht au port et s'appellerait Archibald Ferguson, qu'elle n'aurait jamais rencontré.
Contraint par Nicole, bien malgré lui, Cruchot se retrouve au cœur du mensonge de sa fille, qui le mêle à son baratin. Il traque un Rembrandt volé (au musée de l'Annonciade), alors que les amis de sa fille cherchent à le rencontrer. Il tente de sauver les apparences aux yeux de son adjudant et de ses collègues.
Fiche technique
- Titre original français : Le Gendarme de Saint-Tropez
- Titre italien : Una ragazza a Saint-Tropez
- RĂ©alisation : Jean Girault
- Assistants réalisateur : Jean Mylonas et Marc Simenon
- Scénario : Richard Balducci, Jacques Vilfrid et Jean Girault
- Photographie : Marc Fossard
- Montage : Jean-Michel Gautier et Jean Feyte
- Musique : Raymond Lefebvre
- Douliou-douliou Saint-Tropez, chanson composée par Raymond Lefebvre, écrite par André Pascal et chantée par Geneviève Grad.
- DĂ©cors : Sydney Bettex
- Son : Jacques Gallois (prise de son) et Bernard Bourgouin (montage)
- Photographe de plateau : Marcel Dole
- Effets spéciaux et cascades : Gil Delamare
- Producteurs : Gérard Beytout et René Pignères
- Sociétés de production : Société nouvelle de cinématographie (SNC) et Franca Films
- Société(s) de distribution : Société Nouvelle de Cinématographie
- Affichiste : Clément Hurel
- Budget : 1 350 000 francs[2] - [3]
- Pays de production : France et Italie
- Langue originale : français
- Format : couleur (Eastmancolor) et noir et blanc — 35 mm — 2,35:1 — son mono — Filmé avec du matériel Dyaliscope
- Genre : Comédie
- Durée : 90 minutes
Distribution
- La brigade de Saint-Tropez :
- Louis de Funès : le maréchal des logis-chef Ludovic Cruchot
- Michel Galabru : l'adjudant Gerber[note 2]
- Jean Lefebvre : le gendarme Lucien Fougasse
- Christian Marin : le gendarme Albert Merlot
- Guy Grosso : le gendarme Gaston Tricart
- Michel Modo : le gendarme Jules Berlicot
- Geneviève Grad : Nicole Cruchot, la fille de Ludovic
- France Rumilly : sœur Clotilde, la religieuse à la 2CV
- Nicole Vervil : Mme CĂ©cilia Gerber, la femme de l'adjudant
- Claude Piéplu : André-Hugues Boiselier, riche tropézien
- Madeleine Delavaivre : Mme Boiselier
- Maria Pacôme : Mme Émilie Lareine-Leroy
- Martine de Breteuil : la duchesse d'Armentières
- Pierre Barouh : le gitan
- Giuseppe Porelli (VF : Jean-François Laley) : Mr Harpers
- Gabriele Tinti[note 3] (VF : Pierre Trabaud) : un homme de main de Mr Harpers
- Maurice Jacquin Jr.[note 4] : un homme de main de Mr Harpers
- Jean Droze : Lucas, un matelot du yacht
- Les jeunes de Saint-Tropez
- Daniel Cauchy : Richard
- Patrice Laffont : Jean-Luc
- Franck Vilcourt : Christophe Boiselier, le fils Ă papa
- Jean-Pierre Bertrand : Eddie
- Pierre Gare : Daniel
- Sylvie Bréal : Jessica
- Norma Dugo : Aliette
- Yveline CĂ©ry : Clotilde
- Michèle Wargnier : Mylène
- Fernand Sardou : le paysan au tracteur
- Jacques Famery : le prince oriental
- Paul Bisciglia : le conseiller du prince
- Jean Panisse : un bistrotier de Saint-Tropez
- Henri Arius : un pĂŞcheur sur son bateau
- Jean Girault : le marchand de vĂŞtements sur le port de Saint-Tropez[4]
- Raoul Saint-Yves : Bishop, l'ivrogne Ă la fĂŞte des Boiselier[note 5]
- Claudia Lebail
- Paul Mouchnino (danseur à la réception de la villa)
RĂ©alisation
Genèse et développement
Alors que Richard Balducci travaille à un scénario à propos de Saint-Tropez et qu'il y est en repérage, il se fait voler sa caméra dans sa décapotable pendant qu’il admirait le panorama à Grimaud. Il va déposer plainte à la petite brigade de gendarmerie de Saint-Tropez, 2 place Blanqui. Le gendarme s'étonne qu'une victime effectue cette démarche à l'heure du déjeuner. Le gendarme lui explique ingénument qu'il connaît son voleur car les gendarmes l'ont raté quelques jours plus tôt et qu'ils ne peuvent rien faire dans l'immédiat. Richard Balducci s'énerve et promet au gendarme débonnaire qu'il rendra célèbre une brigade aussi je-m'en-foutiste. Ayant été l'attaché de presse des films de Jean Girault Pouic-Pouic et Faites sauter la banque avec pour interprète Louis de Funès, il confie sa mésaventure à ce dernier qui trouve excellente l'idée d'un film sur une gendarmerie de Saint-Tropez. Balducci rédige un premier synopsis d'une dizaine de pages, avec déjà une chasse aux nudistes, le port de Saint-Tropez et sa « faune », les cafés célèbres et, s'inspirant d'un article de presse, avec le vol d'un tableau[5]. De Funès envisage rapidement l'opposition entre un gendarme sous-officier très « service- service », atrabilaire et obséquieux et un autre, débonnaire et depassé. L'acteur ajoute un détail décisif, le second sera le supérieur hiérarchique du premier[6].
Initialement, Girault ne parvient pas à convaincre les producteurs qui se montrent réticents pour des raisons opposées : Bourvil, qui a été gendarme dans Le Roi Pandore (1949), a essuyé un échec, Jean Richard héros du Gendarme de Champignol (1959), a connu un succès qu'ils jugent improbable à reproduire[6]. De plus, ils estiment que Louis de Funès n'est pas bankable et demandent à Girault de proposer le rôle principal à Darry Cowl ou à Francis Blanche, qui déclinent l'offre[note 6]. Finalement, Girault exige la première place pour son ami Louis et l'obtient auprès de Gérard Beytout et de son associé René Pignères, dirigeant la Société nouvelle de cinématographie (SNC). Ils acceptent de produire le film pour un petit budget[8].
Choix des interprètes
Au départ, l'adjudant Gerber doit être interprété par Pierre Mondy. Ce dernier, occupé par une pièce de théâtre, ne fait pas le film. Il est remplacé par Michel Galabru. Ce dernier aime raconter l'anecdote des ringards : en vacances avec sa femme à l'hôtel de la Ponche à Saint-Tropez en 1963, il surprend du balcon de sa chambre une conversation à la terrasse entre les producteurs du film qui ne veulent dans le casting auprès de de Funès que des acteurs qualifiés de ringards, afin de ne pas trop les payer, dans ce film à petit budget. De retour à Paris, Galabru apprend qu'il est pressenti dans le casting. Il accepte de faire ce film « alimentaire » pour un cachet de 6 000 francs[9] (soit environ 9 100 euros en 2022[10]). Louis de Funès est payé dix fois plus.
Aux côtés de Louis de Funès sont imposés des comédiens qui ont déjà fait leurs preuves, Guy Grosso, Michel Modo, Jean Lefebvre et Christian Marin qui a joué dans Pouic-Pouic [8].
Tournage
Le tournage commence le en extérieurs à Saint-Tropez. Les prises de vues de l'intérieur de la gendarmerie ont lieu dans les décors du studios de la Victorine à Nice. L'essentiel est réalisé en extérieur, Jean Girault se ralliant à la tendance lancée par les réalisateurs de la Nouvelle Vague[11].
La séquence du début en noir et blanc, lorsque Cruchot est simple gendarme, est tournée dans la commune de Belvédère dans les Alpes-Maritimes.
La séquence en voiture avec la religieuse est réglée par le cascadeur Gil Delamare.
Bande originale
Le film, tourné en et , doit sortir en septembre de la même année : la musique du film doit donc être enregistrée en août. Or, à cette époque de l'année, la plupart des musiciens et compositeurs ne sont pas disponibles, étant partis en vacances : Jean Girault, après avoir essuyé beaucoup de refus, contacte Paul Mauriat et Raymond Lefebvre, qui n'étaient pas encore partis en vacances. Paul Mauriat, fatigué, laisse Lefebvre travailler tout seul à la musique du film. Celui-ci refuse dans un premier temps, voulant prendre du repos dans sa maison alors récemment acquise dans l'Oise. Il finit par accepter, Jean Girault l'ayant supplié, et se lance alors dans l'écriture de la musique pour « ne pas laisser tomber » le réalisateur[12].
La chanson Douliou-douliou Saint-Tropez, dont les paroles ont été écrites par André Pascal, est chantée par Geneviève Grad. Elle rencontre beaucoup de succès. Le pianiste qui donnait le rythme pour la chanson (la musique n'était pas encore enregistrée) ayant fait des fautes de mesures lors du tournage de la scène où Nicole chante dans le bar, Raymond Lefebvre est obligé de commettre à son tour ces fautes de mesures lorsqu'il a enregistré la musique, pour que le son colle à l'image. Lors d'un entretien, le compositeur en rit en commentant : « Ça, c'est la seule fois de ma vie où il m'est arrivé de faire un truc pareil ! »
Le thème musical du film, la fameuse Marche des Gendarmes, est une idée de Jean Girault : celui-ci insiste auprès de Raymond Lefèvre pour qu'il fasse un thème proche de la chanson Colonel Bogey March, rendue populaire en France par le film Le Pont de la rivière Kwai de David Lean[13] - [14]. Cette musique (comme la chanson Douliou-douliou Saint-Tropez), plaît beaucoup au public : elle est donc réemployée dans chaque film de la série (sauf dans Le Gendarme se marie. Son absence de ce film ayant fortement vexé Louis de Funès, elle est à nouveau utilisée dans les films suivants). Raymond Lefebvre ré-orchestre deux fois cette musique : en 1970, pour Le Gendarme en balade et, en 1982, pour Le Gendarme et les Gendarmettes.
Régulièrement crédité « Raymond Lefèvre » sur ses disques, le compositeur a cette fois-ci son nom correctement orthographié « Raymond Lefebvre » au générique du film : ce sera de même dans les génériques des films Les Grandes Vacances, Le Gendarme se marie, Le Gendarme en balade et La Soupe aux choux, tous de Jean Girault.
La bande-originale du film est plusieurs fois rééditée par différents supports : par exemple, l'album Bande-originale du film Le gendarme de Saint-Tropez est sorti en 2010, soit 46 ans après la sortie du film et 2 ans après la mort de Raymond Lefebvre.
- Liste des pistes
- Non inclus dans cet album
- Zorro est arrivé, interprété par Henri Salvador.
- La Marche des compagnons, composée par Jacques Loussier (thème de la série Thierry la Fronde)
Accueil
L'affiche du film est réalisée par Clément Hurel, à l'instar des films suivants[15].
Accueil critique
À sa sortie, Le Gendarme de Saint-Tropez passe d'abord totalement inaperçu auprès de la presse[16]. Seul Le Parisien libéré lui consacre une petite notule[17]. Les jours suivants, de nombreux journaux, constatant l'attrait du public, publient leur avis[16]. Le film reçoit des critiques globalement favorables[17].
La tonalité générale de la critique est à l'heureuse surprise[17]. Robert Chazal, soutien sans faille de l'acteur, est le seul à ne pas être étonné, proclamant que « c'était gagné d'avance » dans France-Soir[17]: « Louis de Funès en gendarme, c'est déjà drôle. En faire le gendarme d'un petit village des Alpes à qui sa conduite vaut d'être muté à Saint-Tropez comme maréchal des logis-chef, cela devient irrésistible »[18] ; il inscrit positivement le métrage dans « la tradition de la bonne gauloiserie française »[alpha 1]. Le Parisien libéré livre une seconde critique plus élaborée et enthousiaste d'André Lafargue : « C'est la très bonne surprise de la rentrée : un film français drôle et sans prétention, visiblement mûri au soleil des vacances dont il nous apporte un joyeux reflet ! Des situations amusantes, des comédiens excellents, une profusion de gags parfaitement exploités et un climat de bonne humeur font que l'on prend un plaisir sans mélange à cette production qui ne vise à rien d'autre qu'à notre distraction. Le rire ici doit désarmer l'esprit critique. À quoi servirait d'ailleurs de faire la fine bouche ? »[17] - [19]. Patrick Thévenon de Paris-Presse-L'Intransigeant félicite « une œuvre singulièrement honnête : elle vise bas mais ne s'en cache nullement. À force de limiter ses ambitions et de le proclamer bien haut, on finit par obtenir plus qu'on n'osait espérer. (…) Les dialogues ne sont même pas vulgaires et la parodie des milieux tropéziens, bien qu'un peu simplette, fait sourire parfois »[17] ; titrant son article « C'est James Bond avec Louis de Funès », il salue la richesse des moyens et l'utilisation de la couleur, détonnant avec la pauvreté habituelle des comédies françaises[19]. Pascal Brienne dans Les Lettres françaises reconnait qu'« on n'attendait certes pas grand-chose de ce film de Jean Girault et l'on n'en est que plus surpris d'y trouver une gaieté, un entrain et pourquoi pas un rythme qui n'ont rien de forcé. C'est léger, hyperléger, mais seul le pisse-froid de service trouvera matière à faire le difficile »[17] - [18] - [14].
« C'est le genre de comédie sans prétention que l'on aime aller voir en rentrant de vacances… histoire de les prolonger un brin et d'oublier pour un moment encombrements et vapeurs d'essences ! (…) Le film sera peut-être démodé dans dix ans, mais l'on ne pourra pas reprocher aux auteurs de n'avoir point su utiliser les possibilités artistiques de ce presque défunt été '64 : le soleil, Zorro et Saint-Trop' en toile de fond. Plus une adorable enfant blonde, Geneviève Grad, la fille du gendarme qui porte à ravir l'uniforme tropézien. Une charmante façon, somme toute de poursuivre ses vacances… ou de les commencer ! »
— Marie-Dominique Mistler, L'Aurore, [17] - [18] - [19].
La plupart des critiques voient en Louis de Funès l'atout majeur du film[17]. S'il remarque « Michel Galabru et Jean Lefebvre [qui] composent deux amusants types de gendarmes très différents, le gros et le maigre, le tonitruant et le timide », Pierre Mazars dans Le Figaro soutient avant tout que cette « aimable pochade » tourne autour de Louis de Funès, « grommelant, soliloquant, reniflant, faisant bouger ses sourcils et cliqueter ses mâchoires, [il] nous ravit et nous étonne encore par la variété de ses jeux de physionomie… Il est infiniment plus à l'aise que dans d'autres films où il avait également le premier rôle mais dont le scénario et le personnage lui convenaient beaucoup moins »[17] - [19]. Marie-Dominique Mistler de L'Aurore relève aussi ce « ce personnage comique excessivement drôle et bourré de tics » et Libération applaudit ses « grimaces impayables »[17].
Certains critiques se font plus distants, à l'instar de La Dernière Heure pour qui le film « amuse vraiment sans jamais déchoir. Son petit côté boy-scout et canular est rafraîchissant » ou Le Soir qui considère qu'« on peut voir une ébauche de comédie dans la façon dont Jean Girault campe la faune tropézienne, mais la bouffonnerie des situations l'emporte »[20]. Le magazine américain Variety, dans un avis mitigé, évoque « une comédie acceptable, surtout parce que de Funès a plus de talent que son rôle »[21] - [note 7]. La Croix déplore « un tout, tout, tout petit film que sauvent tout juste — et encore, j'exagère tellement — la présence, les grimaces, malgré tout désopilantes, le jeu de Louis de Funès que flanquent deux ou trois compères du même tabac qui lui renvoient gentiment la balle (…) Il y si peu de film, si peu de scénario, si peu de dialogues ! (…) Cela peut distraire ? Certes, avec le mauvais temps qui vient, l'essentiel au cinéma, c'est d'être à l'abri, non ? Et puis, je vous l'ai dit, de Funès, quelque film qu'on lui fasse jouer, même les pires, s'arrange toujours pour avoir du talent. C'est toujours ça… »[17].
Les titres cinéphiliques raillent la petite comédie. Jean Collet parle dans Télérama d'un « cinéma de patronage pour nos arrière-grands-pères » : « Si vous êtes fatigué, si vous avez trop bien mangé, si vous aimez le comique troupier, si vous avez le rire facile, si vous n'avez jamais vu un film de Tati, alors vous réunissez les conditions nécessaires pour apprécier Le Gendarme de Saint-Tropez »[18]. Les Cahiers du cinéma estiment que « De Funès semble avoir toujours avoir plus d'idées que ses employeurs : c'est que le cinéma français manque moins d'acteurs à possibilités burlesques que d'auteurs qui seraient les premiers à rire de leurs grimaces. Les Marx durent un jour emprisonner Florey dans une cabine insonorisée pour cause d'hilarité trop bruyante sur le plateau : à coup sûr, Girault n'a gêné ici personne… »[18].
La critique la plus acerbe est une lecture politisée d'Henry Chapier dans Combat[22]. S'il ne reproche à Louis de Funès que de n'être qu'« une sorte de nounours des familles », il cherche avant tout « à décomposer les ingrédients de ce film » pour déceler, selon le titre de son article, « un reflet d'une société bien française »[22]. Il explique le succès par la vacuité du sujet, l'aspect paradisiaque de Saint-Tropez et le dénouement heureux et moral[18]. Surtout, il dénonce une représentation positive de l'appareil répressif[22] - [18]. La critique cinéphilique de gauche réclame à cette époque des œuvres mettant en cause l'ordre social, le pouvoir en place, la bourgeoisie, le capitalisme et voit donc dans ce Gendarme et les futurs films funésiens un discours conservateur, effaçant les conflits sociaux auprès des masses[23].
« La bêtise que l'on magnifie est aseptisée, passée à l'étuve. Ici, on fait beaucoup pour la réputation bon enfant du gendarme. Ces saintes forces de l'ordre ! Non seulement elles vous donnent l'impression que Paris est une immense prison à l'air libre, mais il faut encore qu'on les supporte à l'écran, sous des traits angéliques. Évidemment, ça n'est pas du tout complaisant, et tout à fait fidèle à l'image d’une certaine société française ! On comprend que ce genre de cinéma ait les faveurs du pouvoir. Avec une telle politique de loisirs, il peut régenter un peuple avachi en paix ! On ne va tout de même pas gaspiller l'argent en stimulant les aberrantes recherches de quelques intellectuels ! »
— Henry Chapier, « Un reflet d'une société bien française », Combat, [22] - [18].
Box-office
Le Gendarme de Saint-Tropez sort en salles en septembre 1964 en France. Pour sa première semaine en salles sur Paris, le film prend la première place du box-office avec 61 329 entrées sur sept salles, qui se confirme la semaine suivante avec 55 665 entrées supplémentaires, tout en restant en tête[24]. Il reste pendant cinq semaines dans les trois meilleures places du box-office parisien[24]. Finalement, Le Gendarme de Saint-Tropez finit son exploitation parisienne en salles avec 959 265 entrées[24] - [25]. Le succès se confirme en province, puisqu'il totalise 6,8 millions d'entrées supplémentaires, portant le cumul à 7 809 334 entrées[25]. L'énorme succès du Gendarme de Saint-Tropez lui vaut d'être le plus gros succès cinématographique de l'année 1964[25] et marque également une étape importante dans la carrière de Louis de Funès, puisqu'il devient une star du cinéma français, bien qu'ayant connu d'autres succès avec Pouic-Pouic, sorti en 1963 et Faites sauter la banque, sorti en , qui avaient réuni respectivement deux millions d'entrées, qui ont fait de lui un acteur reconnu, voire bankable à une période où Fernandel commençait à voir son succès décliner[24]. Fernandel déclare d'ailleurs à propos de Louis de Funès : « C'est un nouveau grand comique français ! »[26].
RĂ©compense
- 1964 : Victoire du cinéma pour Louis de Funès, décernée lors de la 20e Nuit du cinéma au théâtre Marigny[note 8].
Ă€ noter
- Ce film marque le début d'une série de six comédies sur le gendarme Cruchot qui ont marqué la carrière de Louis de Funès et ont rencontré un succès considérable en France tout au long des années 1960, 1970 et 1980. Un des ressorts du film est la chasse aux nudistes que les gendarmes organisent sur les plages de la petite cité balnéaire qui commençait à avoir une réputation nationale.
- Il y avait réellement une chasse aux nudistes à Saint-Tropez. Ainsi, en , soit un mois avant la sortie du film, on peut lire dans la presse : "Offensive antinudiste sur la côte varoise : l'opération avait été préparée depuis quelques jours dans le plus grand secret (...) Il avait été d'abord envisagé d'envoyer sur les lieux les effectifs d'une demi-compagnie de C.R.S. qui, dans la même tenue que les nudistes, se seraient mêlés à eux et auraient ensuite agi au moment convenu. Ce "plan de bataille" fut ensuite écarté et les responsables de l'ordre décidèrent l'envoi sur les plages d'officiers de police en tenue de bain qui, sur un signal déclenchèrent l'intervention de C.R.S. en uniformes qui avaient été dissimulés dans les bosquets environnants. Pris de panique, les nudistes s'égaillèrent dans la nature, mais vingt-trois d'entre eux, hommes et femmes, ont pu être rattrapés.[27]"
- Les six gendarmes furent : Louis de Funès (6 films), Michel Galabru (6 films), Michel Modo (6 films), Guy Grosso (6 films), Jean Lefebvre (4 films) et Christian Marin (4 films).
- Un musée consacré au film et au cinéma de Saint-Tropez, ouvert en , se trouve aujourd'hui en lieu et place de la gendarmerie utilisée dans les films du Gendarme de Saint-Tropez et qui accueillit la brigade de Saint-Tropez de 1879 à 2003. 100 000 visiteurs sont attendus par an[28].
- Vers la fin du film, quand Cruchot capture Mr Harpers et ses hommes de main, il porte le costume et la fronde du personnage, lorsque s'entend le thème du générique de la série Thierry la Fronde.
- La Ford Mustang du film est le premier exemplaire arrivé en France, importée de Belgique (elle porte sa plaque belge dans le film). C'est aussi la première apparition mondiale au cinéma de ce modèle (lancé le 17 avril 1964), peu de temps avant Goldfinger.
Notes et références
Notes
- Les extérieurs des premières scènes ont été tournés à Belvédère, dans les Alpes-Maritimes, cf. page « Belvédère (06) », consultée le .
- L'adjudant Gerber se prénomme Alphonse dans Le Gendarme de Saint-Tropez. Son prénom devient étrangement Jérôme dans Le Gendarme à New York, Le Gendarme se marie et Le Gendarme en balade, puis Antoine dans Le Gendarme et les Extra-terrestres, avant de revenir à Alphonse dans Le Gendarme et les Gendarmettes.
- Au générique de début, Gabriele Tinti est crédité par erreur « Gabriele Tini ».
- Maurice Jacquin Jr. est le fils du producteur Maurice Jacquin (qui a produit plusieurs films de Jean Girault où Louis de Funès apparaît).
- Lors de la fête, André-Hugues Boiselier explique à Cruchot que Bishop est un écrivain raté qui a écrit deux livres en treize ans (deux livres de philosophie contradictoires) et auquel le prix des Deux Magots aurait été refusé à six reprises.
- Déjà pour Pouic-Pouic, la production désirait Darry Cowl ou Francis Blanche pour le premier rôle au lieu de Louis de Funès[7].
- Variety, 25 août 1965, à la sortie américaine du film : « This simple situation comedy has turned out to be one of the top grossers of the season here, and has even had a sequel, Le Gendarme à New York, already finished. It also made a star of middle-aged comedian Louis de Funès. Film seems somewhat sparse for any arty or good play-off chances abroad. But dualer possibilities are there on its fair comédie flair. (…) De Funès is the main asset with his cannily timed and conceived slow bums, harmless maliciousness and disarming selfishness. In short, he sums up the slightly distrustful French everyman, with an évident lack of spite. This is turning him in a big name here. (…) It is mainly a passable comedy because de Funès has more talent than his material[21]. »
- Les Victoires du cinéma français sont la plus importante récompense du cinéma français de l'après-guerre jusque dans les années 1960, époque où le prix disparaît, pour laisser place quelques années plus tard aux César du cinéma. Ces prix sont attribués par deux collèges : les directeurs de salles de cinéma, représentés par le magazine Le Film français, et le public, qui vote en découpant un bulletin dans Le Figaro ou dans Cinémonde. Chaque collège décerne six prix : film, acteur et actrice français et film, acteur et actrice étrangers. Les directeurs de salles attribuent à Louis de Funès la Victoire 1965 de l'acteur français pour Le Gendarme de Saint-Tropez. Cette récompense demeure l'une des rares de sa carrière et l'unique récompense reçue par le film.
Références bibliographiques
- Sébastien Le Pajolec, « Cinégénie du gendarme ? La série du Gendarme de Saint-Tropez », Sociétés & Représentations, Cairn.info, vol. 16 « Figures de gendarmes », no 2,‎ , p. 131-143 (lire en ligne).
Autres références
- Odile Morain, « "Le gendarme de Saint-Tropez" a 50 ans et toujours le même succès », sur culturebox.francetvinfo.fr, : « Le scénario de base raconte les mésaventures de Ludocic Cruchot (Louis de Funès) simple gendarme des Alpes-Maritimes muté à Saint-Tropez. »
- Dicale 2009.
- Sabrina Piazzi, « Dossier saga du Gendarme de Saint-Tropez », sur cinema.jeuxactu.com (consulté le ).
- Jean-Michel Chevrier, Jean Girault, natif de Villenauxe et cinéaste méconnu, Troyes, Académie troyenne d'études cartophiles (ATEC), , 50 p., p. 28.
- Raggianti 2007, p. 58.
- Bertrand Dicale, Louis de Funès, grimaces et gloire, Grasset, , p. 233
- Dicale 2009, p. 216.
- Pascal Djemaa, Louis de Funès : le sublime antihéros du cinéma, Autres temps, , p. 99
- Michel Galabru, Je ne sais pas dire non !, Michel Lafon, , p. 75
- Chiffres de l'inflation en France d'après l'INSEE. Coefficient de transformation de l'euro ou du franc d'une année, en euro ou en franc d'une autre année – Base 1998 et Base 2015. Dernière mise à jour à l'indice de 2022.
- Bertrand Dicale, Louis de Funès, grimaces et gloire, Grasset, , p. 236
- Jérôme Wybon, Louis de Funès et les gendarmes (documentaire) :
« La musique du film devait s'enregistrer au mois d'août, parce que les tournages, c'était toujours juin / juillet, et les films sortaient en septembre et c'était un peu un handicap parce que au mois d'août, à l'époque, on trouvait pas tellement de musiciens disponibles à Paris. En plus de cela, Paul Mauriat était un peu fatigué, il m'a dit "Écoute, fais-le tout seul." ... et moi, j'avais pas envie parce que je venais d'acheter une maison dans l'Oise et j'avais envie de me reposer et de prendre des vacances. Jean Girault m'a téléphoné, il a insisté ; je lui ai dit "Bon, si tu m'envoies les minutages dans ma maison : je te ferai ce que tu veux, je vais pas te laisser tomber" »
— Raymond Lefebvre
- Dicale 2012
- Gilles Botineau et Jérémie Imbert, « Le Gendarme de Saint-Tropez : coulisses d'une saga culte », Dossiers, sur CineComedies, .
- Franck et Jérôme Gavard-Perret, « Interview de M. Clément Hurel », sur Autour de Louis de Funès, (consulté le ).
- Loubier 2014, p. 221.
- Dicale 2009, p. 247.
- Raggianti 2007, p. 47.
- Schafer 2014, p. 26.
- Dicale 2009, p. 248.
- Dicale 2009, p. 273.
- Dicale 2009, p. 292.
- Dicale 2009, p. 293.
- « Le Gendarme de Saint-Tropez », sur boxofficestory.com (consulté le )
- « Box-office français 1964 », sur Jp's Box-office (consulté le ).
- Raggianti 2007, p. 10.
- L'Écho républicain de la Beauce et du Perche, 21 août 1964 : "Offensive antinudiste sur la côte varoise. 23 P.V. dressés à Saint-Trop"
- « Musée de la gendarmerie et du cinéma de Saint-Tropez », sur golfe-saint-tropez-information.com (consulté en )
Voir aussi
Articles connexes
Sur Le Gendarme de Saint-Tropez
- Sylvain Raggianti, Le Gendarme de Saint-Tropez : Louis de Funès, histoire d'une saga, Paris, Flammarion, , 175 p. (ISBN 978-2-08-120327-3 et 2-08-120327-8)
- Ellen Schafer, 50e anniversaire : La saga des gendarmes, un panorama des archives SNC, Groupe M6, Société nouvelle de cinématographie, .
- Philippe Pessay, Les Aventures du gendarme de Saint-Tropez, Anvers, Walter Beckers / Solar, coll. « Ciné Club », , 262 p.
Ouvrages de membres de l'Ă©quipe
- Claude Piéplu, Il faut croire aux éléphants blancs, éditions Ramsay, , 201 p. (ISBN 978-2-268-03156-9)
- Michel Galabru, Trois petits tours et puis s'en vont : mémoires, Paris, Flammarion, , 369 p. (ISBN 978-2-08-068212-3, BNF 38898351)
- Maria PacĂ´me, Maria sans PacĂ´me : fiction autobiographique, Le Cherche Midi, , 218 p. (ISBN 978-2-7491-0864-3 et 2-7491-0864-0)
- Michel Galabru et Sophie Galabru, Je ne sais pas dire non !, Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon, , 317 p. (ISBN 978-2-7499-1490-9, BNF 42530247)
- Christian Marin et Gilles Antonowicz, MĂ©moires d'un Chevalier du Ciel, Sillage Ă©ditions, , 189 p. (ISBN 978-2-915945-04-1 et 2-915945-04-7)
Sur Louis de Funès
- Bertrand Dicale, Louis de Funès, grimace et gloire, Paris, Grasset, , 528 p. (ISBN 978-2-246-63661-8 et 2-246-63661-2, présentation en ligne, lire en ligne).
- Bertrand Dicale, Louis de Funès, de A à Z, Paris, Tana (Editis), , 456 p. (ISBN 978-2-84567-785-2 et 2-84567-785-5).
- Jean-Marc Loubier, Louis de Funès : petites et grandes vadrouilles, Paris, Robert Laffont, , 564 p. (ISBN 978-2-221-11576-3 et 2-221-11576-7, lire en ligne)
Documentaires
- 2007 : Hugues Peysson, La saga des gendarmes, 52 minutes (documentaire accompagnant le livre de Sylvain Raggianti)
- 2014 : Jérôme Wybon, Louis de Funès et les gendarmes, Paris PremièreIntervenants : Bertrand Dicale (biographe), Sylvain Raggianti (biographe), Richard Balducci, Michel Galabru, Nicaise Jean-Louis, Rémy Julienne, Patrice Laffont, Maurice RischInterview d'archives : Louis de Funès, Michel Modo, Raymond Lefebvre
Liens externes
- Ressources relatives Ă l'audiovisuel :
- Allociné
- Centre national du cinéma et de l'image animée
- Ciné-Ressources
- Cinémathèque québécoise
- Unifrance
- (en) AllMovie
- (en) American Film Institute
- (pl) Filmweb.pl
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- (de) OFDb
- (en) Rotten Tomatoes
- (mul) The Movie Database