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GĂ©ographie sociale

La géographie sociale est une branche de la géographie qui étudie les rapports entre les espaces et les sociétés. L'accent est mis sur la dimension sociale des dynamiques spatiales afin de comprendre les interactions entre ces derniers à différentes échelles.

L'objectif est d'appréhender l'organisation des sociétés et d'apporter une prise de conscience aux problÚmes sociaux. Elle est marquée par les engagements politiques et sociaux des chercheurs[1].

ÉpistĂ©mologie

On considĂšre aujourd’hui l’épistĂ©mologie comme « une Ă©tude critique des sciences ». L’épistĂ©mologie vise Ă  Ă©lucider les systĂšmes de pensĂ©es qui fondent les dĂ©marches des sciences en gĂ©nĂ©ral et de chaque discipline en particulier[2].

L’épistĂ©mologie de la gĂ©ographie est une « rĂ©flexion explicite sur les conditions de production et sur les procĂ©dures de vĂ©rification et de lĂ©gitimation du savoir gĂ©ographique »[3]. Cette rĂ©flexion Ă©pistĂ©mologique a tardĂ© Ă  venir en gĂ©ographie et est la rĂ©ponse Ă  une crise disciplinaire.

Le contexte d'émergence de la géographie sociale

On peut facilement attribuer la naissance de la gĂ©ographie sociale au gĂ©ographe libertaire ÉlisĂ©e Reclus Ă  la fin du XIXe siĂšcle.

À la fin des annĂ©es 1960, les gĂ©ographes font le constat que la nouvelle gĂ©ographie ne rĂ©sout pas les problĂšmes de la sociĂ©tĂ©. L’approche quantitative ignore l'aspect humain et les enjeux sociaux dans ses dĂ©marches analytiques[4]. On reproche Ă  la Nouvelle GĂ©ographie son nĂ©opositivisme, sa prĂ©tendue objectivitĂ© et son incapacitĂ© Ă  rĂ©flĂ©chir aux problĂšmes sociaux[5].

Les gĂ©ographes veulent alors fonder une gĂ©ographie capable de penser les problĂšmes de la sociĂ©tĂ© et de construire des outils pour les rĂ©soudre. Ces gĂ©ographies sont Ă  la fois sociales et critiques. La gĂ©ographie sociale considĂšre que la sociĂ©tĂ© est productrice d’espace. On assiste ensuite, au dĂ©but des annĂ©es 1980, Ă  un renouveau de la gĂ©ographie sociale.

La diffĂ©renciation de l’espace peut ĂȘtre lue Ă  travers de multiples indicateurs sociaux (les professions, les revenus, les diplĂŽmes, le chĂŽmage, les comportements Ă©lectoraux, la santĂ©). C’est dans cet esprit qu’Armand FrĂ©mont, Robert HĂ©rin, Jacques Chevalier et Jean Renard signent La GĂ©ographie sociale[6] en 1984. Ils dĂ©finissent l’inĂ©galitĂ© sociale comme une inĂ©galitĂ© spatiale.

Objets et enjeux de la géographie sociale

La gĂ©ographie sociale repose sur le principe que l'espace est avant tout une production des faits sociaux[7]. Tel que le conçoivent Guy Di MĂ©o et Pascal Buleon : «l’objet de la gĂ©ographie sociale est l’étude des rapports existants entre rapports sociaux et rapports spatiaux»[8].

L’objectif de la gĂ©ographie sociale est de fonder une gĂ©ographie de l’action, ouverte sur la sociĂ©tĂ© et sur les grandes questions sociales qui impliquent l’espace gĂ©ographique.

Portée et limites

Plusieurs gĂ©ographes ont avancĂ© l’idĂ©e d’une inutilitĂ© d’une gĂ©ographie sociale se distinguant de la gĂ©ographie tout court. C’est notamment le cas de Roger Brunet[9] ou de Michel Lussault qui considĂšrent que le «spatial» rend dĂ©jĂ  trĂšs bien compte du social, qu’il n’y a pas de spatial sans social.

Christine Chivallon souligne les divergences entre la géographie sociale et la géographie culturelle[10]. La géographie sociale est une notion plus récente. Elle apparaßt en 1982 pour la premiÚre fois avec la tenue à Lyon d'un colloque dont les actes ont été publiés sous la direction de D. Noin en 1983[11]. La géographie culturelle est marquée par le nom de Paul Claval. Elle est officiellement fondé en 1992 avec la parution de la revue Géographie et Cultures.

La géographie sociale est marquée par des géographes de gauche et marxistes comme Pierre Georges ou Robert Hérin. L'espace est la traduction des rapports de production d'une société. La géographie doit avoir un regard critique et responsable vis-à-vis des inégalités sociales et elle doit traiter les différences et les disparités.

La géographie culturelle considÚre l'espace comme une traduction liée aux faits des systÚmes de valeur, des idéologies et des langages symboliques. D'aprÚs P. Claval qui est attaché aux conceptions libérales « l'espace s'accorde avec la langue, la morale, la religion et les coutumes pour définir le groupe d'appartenance »[10].

Le renversement de l'ordre des facteurs

En 1964 au congrĂšs des gĂ©ographes français Ă  Lyon, RenĂ©e Rochefort dĂ©veloppe l'idĂ©e du renversement de l’ordre des facteurs[12]. En tenant compte de l’évolution des approches de l’espace vĂ©cu, cette idĂ©e cherche Ă  donner Ă  la gĂ©ographie sociale un nouveau fondement. Si Vidal de la Blache dĂ©finissait l’étude gĂ©ographique comme « la science des lieux et non celle des hommes » (1913), RenĂ©e Rochefort inscrit sa dĂ©marche dans l’étude dynamique des processus sociaux et prĂŽne « la sociĂ©tĂ©, ensuite l’espace »[13]. Ce renversement consiste donc Ă  mettre la sociĂ©tĂ© comme la clĂ© principale des enjeux spatiaux alors que jusqu'ici l'espace Ă©tait le concept central et premier aux dĂ©pens des faits sociaux dans une approche Vidalienne[12].

Guy Di MĂ©o aussi prend acte du renversement de l’ordre des facteurs. Cependant, il ancre sa pensĂ©e dans la dialectique de l’espace rĂ©el et des sujets sociaux. Il dĂ©finit en 2004 la gĂ©ographie sociale comme une « nouvelle gĂ©ographie cognitive, Ă  la fois sociale et culturelle »[14]. Cette apprĂ©hension novatrice procĂšde de deux orientations complĂ©mentaires. La premiĂšre est verticale, elle est un « dĂ©codage des rapports que les hommes socialisĂ©s nouent avec l’espace terrestre ». La seconde en est la consĂ©quence et suit un axe horizontal, elle consiste dans « l’identification des formes et des organisations gĂ©ographiques qui en dĂ©coulent »[15].

Le lien entre le « spatial Â» et le « social Â»

Densité de victimes à Belfast pendant les troubles de 1920-1922 (zones avec plus de 50/100/150 morts par km2)[16]

Le rapport sociĂ©tĂ©-espace est un nƓud fondamental dans le travail Ă©pistĂ©mologique de la gĂ©ographie sociale. Ce nƓud relĂšve de la double contrainte qui caractĂ©rise la gĂ©ographie depuis sa naissance, notamment dans sa revendication d’ĂȘtre incluse dans les sciences sociales. Il faut prendre en considĂ©ration l'importance du milieu naturel sans ĂȘtre dĂ©terministe[17]. Fabrice Ripoll et Vincent Veschambre parlent de cette contradiction en termes de « hantise Â» des gĂ©ographes de perdre leur identitĂ©. Fait qui, encore selon leurs mots, a souvent poussĂ© les gĂ©ographes Ă  « s’accrocher Â» Ă  l’espace, compris comme espace autonomisĂ©, extrait de la sociĂ©tĂ©, dans une « approche disjonctive Â»[18].

Veschambre, dans son article « Penser l’espace comme dimension de la sociĂ©tĂ© Â»[19], retrace l’histoire de l’utilisation de la notion de « dimension spatiale Â». Notion qui permettrait, selon l’auteur, de dĂ©passer la contradiction implicite Ă  discipline gĂ©ographique et « d’éviter le piĂšge de la rĂ©ification de l’espace». L’emploi de cette notion a comportĂ© un travail thĂ©orique important, entamĂ© en France lors de la premiĂšre confĂ©rence de gĂ©ographie sociale qui a eu lieu Ă  Lyon en 1982. Ce colloque, qui a le mĂ©rite d’affirmer cette branche de la discipline en France, est, d’un point de vue Ă©pistĂ©mologique, important pour la revendication de la primautĂ© du social sur le spatial[20] (Rochefort, 1982).

Ce tournant thĂ©orique contredit, ainsi, l’approche qui a longtemps dominĂ© la gĂ©ographie (en outre, sociale), en niant le statut autonome de l’espace. Ce statut s’exprimait, dans le champ spĂ©cifique de la gĂ©ographie sociale, par un rapport symĂ©trique entre espace et sociĂ©tĂ© (rapports sociaux/rapports spatiaux, effets de lieu/effets de classe, inĂ©galitĂ©s sociales/inĂ©galitĂ©s spatiales). Pourtant, la notion de « dimension spatiale Â» de la sociĂ©tĂ© ne s’est affirmĂ©e comme rĂ©fĂ©rence commune que dans les annĂ©es quatre-vingt-dix[21]

Au cours des annĂ©es quatre-vingt, diffĂ©rents auteurs, comme Robert HĂ©rin, revendiquent plutĂŽt la notion de « rapports spatiaux Â» (HĂ©rin, 1984)[22]. Cette prise de position doit ĂȘtre comprise dans son contexte idĂ©ologique, dans le but d’élargir les champs de sciences sociales Ă  diffĂ©rents types de rapports Ă  l’espace, tout en revendiquant la sociĂ©tĂ© comme objet premier de la gĂ©ographie sociale (Veschambre, 2006)[19].

Méthode de la géographie sociale

La mĂ©thode en science humaine et sociale est une des composantes de la mĂ©thodologie, avec les techniques et les outils[23]. Elle est Ă  la base de la dĂ©marche scientifique. Elle dĂ©finit l’ensemble des procĂ©dĂ©s intellectuels grĂące auxquels une discipline va pouvoir accĂ©der Ă  la vĂ©ritĂ© qu’elle vise et l’éprouver (Madeleine Grawitz, 1990[24]). Elle est aussi une maniĂšre d’aborder un sujet. Elle dĂ©signe alors une posture prise vis-Ă -vis de l’objet Ă©tudiĂ© et dĂ©termine une certaine maniĂšre d’organiser et d’aborder la recherche. Il faut cependant faire une distinction entre technique et mĂ©thode[25]. Le premier terme dĂ©signe des Ă©tapes prĂ©cises de la recherche, des principes concrets et pratiques, le second subsume ces opĂ©rations par une dĂ©marche raisonnĂ©e. Les outils, quant Ă  eux, constituent d’une part un intermĂ©diaire entre le sujet et le milieu, et d’autre part un lien entre l’anticipation d’une action et sa rĂ©alisation (Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, 2007[26]).

ÉlisĂ©e Reclus, L’Homme et la Terre, 1905

Il existe deux grands types de raisonnements utilisĂ©s par le chercheur. L’induction qui s’interroge sur des faits observables en Ă©mettant des hypothĂšses et la dĂ©duction qui part d’une hypothĂšse qu’elle confronte Ă  la rĂ©alitĂ©. Toutes deux permettent d’énoncer des rĂšgles gĂ©nĂ©rales.

La gĂ©ographie sociale a pour spĂ©cificitĂ© d’avoir plusieurs approches. Cette pluralitĂ© dans l’analyse sociale s’explique notamment par un « renversement de l'ordre des facteurs » (RenĂ©e Rochefort)[27]. Ce n’est plus l’espace qui est premier mais la sociĂ©tĂ©. Ce changement de paradigme a des consĂ©quences directes sur la discipline, « l’objet de la gĂ©ographie sociale est - avant - tout l’étude des rapports existants entre rapports sociaux et spatiaux » (Guy Di MĂ©o, Introduction Ă  la gĂ©ographie sociale)[28]. Elle vise donc Ă  produire une explication des phĂ©nomĂšnes gĂ©ographiques Ă  caractĂšre social.

Un des pionniers de la discipline est ÉlisĂ©e Reclus. Ce gĂ©ographe libertaire[29] - [30] du XIXe siĂšcle atypique – car restĂ© Ă  l’écart de l’école vidalienne – va poser les fondations de ce courant en s’intĂ©ressant Ă  des thĂšmes encore inexplorĂ©s par la gĂ©ographie. Il va notamment Ă©tudier les tensions crĂ©Ă©es par les systĂšmes de classes et de castes, expliciter le lien entre sociĂ©tĂ©s et milieux naturels[31], mais aussi rompre avec le dĂ©terminisme ou le possibilisme en dĂ©montrant que l’homme par ses dĂ©cisions individuelles est capable de progrĂšs. Ce sont ses premiers questionnements qui vont structurer le champ de la gĂ©ographie sociale et permettre une ouverture pluridisciplinaire. Elle va donc emprunter des procĂ©dĂ©s d’enquĂȘte Ă  des disciplines telles que la sociologie qui permet une approche plus sensible tel que l'a fait Armand FrĂ©mont avec sa thĂ©orie de « l'espace vĂ©cu » - l’analyse de donnĂ©es statistiques, mais va aussi se baser sur des donnĂ©es plus subjectives, telles les cartes mentales, dispositif apparentĂ© Ă  l’anthropologie. On retrouve cette mĂ©thodologie dite « mixte » dans l’ouvrage d’Isabelle Danic, Olivier David et Sandrine Depeau, Enfants et jeunes dans les espaces du quotidien, dans une Ă©tude de terrain visant Ă  dĂ©finir la visibilitĂ© des jeunes dans la ville selon leurs Ăąges.

GĂ©ographie des Ăąges

Cette thĂ©matique sociale s’interroge sur les diffĂ©rentes pĂ©riodes de vie d’un individu ou groupe gĂ©nĂ©rationnel et de ses rapports entretenus Ă  l’espace. La dĂ©mographie est la premiĂšre Ă  s’intĂ©resser aux grandes Ă©tapes de l’existence Ă  travers des Ă©tudes statistiques. Les relations entre cette discipline et la gĂ©ographie sont prĂ©coces. Elles se tissent notamment autour de la gĂ©ographie de la population et de l’outil cartographique qui ont recours aux indicateurs dĂ©mographiques. La notion d’ñge recouvre des comportements, des pratiques et des conditions de santĂ© qui vont influencer les individus dans leur reprĂ©sentation et utilisation spatiales. Autant de phĂ©nomĂšnes qui « constituent, un problĂšme social qui concerne la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre »[32].

Avec l’essor Ă©conomique des annĂ©es 1960, l’organisation sociale va ĂȘtre bouleversĂ©e. On observe un accroissement de la population qui se traduit par une forte augmentation des naissances, mais aussi une baisse du taux de mortalitĂ© et donc un nombre de plus en plus important de vieux. C’est d’abord Ă  l’échelle nationale que ces phĂ©nomĂšnes sont constatĂ©s. RenĂ©e Rochefort, dans son article « Pour une gĂ©ographie sociale de la vieillesse » (1965)[32], observe que la population ĂągĂ©e est plus vulnĂ©rable aux inĂ©galitĂ©s et Ă  l’exclusion. Une mobilitĂ© rĂ©duite, des conditions de santĂ© plus fragiles, des revenus souvent amoindris, exigent un amĂ©nagement du territoire spĂ©cifique pour ne pas affaiblir davantage les aĂźnĂ©s[33].

L’enfance et la jeunesse sont aussi des enjeux pour la gĂ©ographie. Elle s’intĂ©resse tout particuliĂšrement au rĂŽle de l’espace public dans la sociabilitĂ© de l’enfant, mais aussi aux perceptions spatiales des jeunes, aux politiques publiques mises en Ɠuvre pour les intĂ©grer ou les exclure. Isabelle Danic, Olivier David et Sandrine Depeau dans Enfants et jeunes dans les espaces du quotidien analysent l’évolution, le rĂŽle, les reprĂ©sentations et les limites des espaces de l’enfance et de la jeunesse Ă  diffĂ©rentes Ă©chelles avec une approche pluridisciplinaire[34].

La géographie du handicap

Signalisation routiÚre au Québec

Cette branche de la discipline est en lien avec l'anthropologie, la sociologie mais aussi l'amĂ©nagement du territoire. L'objet d'Ă©tude porte sur le handicap, sa rĂ©partition, son accessibilitĂ© et toute autre problĂ©matique liĂ©e Ă  l'espace. Il faut savoir que la dĂ©finition du handicap varie d'un État Ă  un autre, Ă©voluant avec le temps. Le questionnement apparaĂźt dans les annĂ©es 1970 durant l'Ă©mergence de la Nouvelle GĂ©ographie. Les premiĂšres Ă©tudes s'inscrivent dans cette logique. Les outils utilisĂ©s pour comprendre la rĂ©partition de « l'incapacitĂ© ou la capacitĂ© mentale » sont la cartographie et les statistiques. Il faut attendre les annĂ©es 1990 et la gĂ©ographie sociale pour envisager le handicap « sensoriel dans un espace » puis en 2009, avec une conception plus « biomĂ©dicale et sociale » (Jason Borioli, 2010). Actuellement, Mathilde Mus est considĂ©rĂ©e comme la gĂ©ographe de rĂ©fĂ©rence dans ce domaine. ChargĂ©e d'Ă©tude, elle a fait du handicap en gĂ©ographie un sujet d'actualitĂ©. Selon elle, la gĂ©ographie peut rĂ©pondre aux questionnements sur les disparitĂ©s spatiales du handicap et envisager des solutions. Le handicap est reconnu mais sa place dans la sociĂ©tĂ© n'est pas encore acquise car l'intĂ©gration, sous forme d'icĂŽnes dans les espaces publics et amĂ©nagement, suscitent encore une forme de mise Ă  l'Ă©cart (Mathilde Mus, 2011).

À travers les diffĂ©rents travaux Ă©rigĂ©s sur la gĂ©ographie du handicap, il en ressort deux dimensions. La premiĂšre met en avant l'aspect matĂ©riel de l'espace Ă  travers la gĂ©ographie de l'amĂ©nagement. Les Ă©tudes permettent de soulever la question de l'accessibilitĂ©, quelles sont les actions effectuĂ©es. La seconde s'intĂ©resse aux pratiques sociales et aux espaces vĂ©cus, avec la gĂ©ographie sociale pour comprendre le processus de mobilitĂ©s des personnes atteintes d'un handicap. Il va de fait que l'espace noue les humains entre eux. Mais cet espace est normĂ© pour une personne sans handicap. L'Ă©volution de la dĂ©finition du handicap a donnĂ© lieu Ă  de nouvelles distributions de l'espace et de changement au niveau de la lĂ©gislation française (Mathilde Mus, 2011). En effet, en 2005 une loi a Ă©tĂ© promulguĂ©e pour faciliter l'accĂšs des espaces publics pour les personnes atteintes d'un handicap[35]. La gĂ©ographie cherche Ă  identifier les discontinuitĂ©s spatiales afin de permettre Ă  trouver des solutions pour une meilleure intĂ©gration des personnes handicapĂ©es dans la sociĂ©tĂ©.

Géographie urbaine sexuée

Il ressort d'Ă©tudes publiĂ©es dĂšs 1996 par Jacqueline Coutras, puis Ă  partir de 2008 par Sylvette DenĂšfle, et d'autres auteurs, que les femmes et les hommes ont des vĂ©cus trĂšs diffĂ©rents des espaces urbains. Les femmes, par peur des agressions, dĂ©veloppent des stratĂ©gies d'Ă©vitement de certains lieux, et choisissent aussi des modes de dĂ©placements en fonction du quartier, des horaires, du nombre d'hommes prĂ©sents et de leurs attitudes (buveurs Ă  un bar, vigiles, policiers, etc.), des Ă©clairages, mais aussi de leur propre habillement (tenue de soirĂ©e, sportive, etc.) et de leur compagnie (accompagnĂ©e par un homme ou non). À partir de ces Ă©tudes est Ă©tabli le constat que « les femmes n'ont pas l'insouciance des hommes », que les trajets en ville soulĂšvent des angoisses chez elles et que les « inĂ©galitĂ©s d’accĂšs aux villes françaises pour les femmes apparaissent Ă©videntes et naturelles, et passent pour cette raison mĂȘme inaperçues ». En 2015, le Haut Conseil Ă  l’égalitĂ© estime le phĂ©nomĂšne trĂšs largement rĂ©pandu et demande sa quantification prĂ©cise[36] - [37] - [38] - [39].

Géographie sociale et géographie culturelle

La géographie culturelle : un courant américain ?

La gĂ©ographie culturelle, nĂ©e en Allemagne avec Friedrich Ratzel, est pourtant demeurĂ©e une spĂ©cificitĂ© de la gĂ©ographie amĂ©ricaine, notamment Ă  partir des thĂšses de l’École de Berkeley. Les travaux de Peter Jackson ont influencĂ© et fait Ă©voluer celle-ci. Il publie en 1989 le premier manuel moderne de gĂ©ographie culturelle dans le monde anglo-saxon Maps Of Meaning et emprunte aux Cultural Studies de Stuart Hall le titre de son ouvrage en mettant l’accent sur la construction sociale et culturelle. Il propose une conception plus large de la culture « plus ouverte que celle qui limite son attention aux artefacts physiques et aux traits du paysage Â»[40]. P. Jackson ne considĂšre plus la gĂ©ographie culturelle dans sa dimension matĂ©rielle mais au niveau du discours. Il a introduit des thĂšmes tels que les inĂ©galitĂ©s sexuelles, le racisme ou l’impĂ©rialisme linguistique des groupes dominants mais aussi des pratiques culturelles plus marginales comme le graffiti ou la prostitution. Pour Jackson, la gĂ©ographie sociale est « une perspective en interaction qui Ă©tudie comment la gĂ©ographie sociale est constituĂ©e gĂ©ographiquement Ă  travers la structure spatiale des relations sociales. Â»

Géographie culturelle et géographie sociale, deux disciplines en concurrence

Par dĂ©finition, la gĂ©ographie culturelle (dans son sens large) place l’homme et la sociĂ©tĂ© au centre de sa dĂ©marche. Jacques LĂ©vy[41] l'a ainsi dĂ©signĂ©e comme Ă©tant un modĂšle Ă©largi d'anthropologie structurale appliquĂ© Ă  l'espace. Le « tournant culturel Â» a en effet abouti Ă  une « anthropologisation Â» des sciences sociales et la gĂ©ographie culturelle emprunte alors ses concepts et ses mĂ©thodes Ă  l'ethnographie et Ă  l'ethnologie. Dans une certaine mesure elle entre donc en concurrence avec la gĂ©ographie sociale qui se veut « l’étude des rapports existant entre rapports sociaux et rapport spatiaux Â»[42]. En rĂ©alitĂ© la question fait dĂ©bat. Les limites entre les deux disciplines sont floues et se confondent. Cette confusion vient du fait de l’objet mĂȘme de ces deux disciplines : les sociĂ©tĂ©s. Aussi, la gĂ©ographie culturelle a souvent Ă©tĂ© assimilĂ©e Ă  un sous-ensemble de la gĂ©ographie sociale. Elles se disputent des thĂšmes communs ou qui semblent toujours pouvoir ĂȘtre qualifiĂ©s tant de « culturels Â» que de « sociaux Â».

Géographie sociale et géographie culturelle, deux approches distinctes mais complémentaires

La gĂ©ographie sociale s’est institutionnalisĂ©e avant la gĂ©ographie culturelle. Selon Christine Chivallon, elle place la sociĂ©tĂ© au premier plan, devant l’espace[43]. La majoritĂ© de ses travaux ont portĂ© sur l’étude des sociĂ©tĂ©s caribĂ©ennes et amĂ©ricaines aux passĂ©s et fondements esclavagistes, ainsi qu’à la violence culturelle des rapports sociaux en leurs seins. Dans ses recherches elle associe les dimensions culturelles, mĂ©morielles et matĂ©rielles afin d’étudier l’impact des mĂ©diations matĂ©rielles sur les reprĂ©sentations sociales. Pour cela elle a Ă©tudiĂ© la trajectoire des anciens esclaves Ă  la Martinique, les rĂ©seaux pentecĂŽtistes des migrants jamaĂŻcains au Royaume-Uni, la mĂ©moire des esclaves dans les ports nĂ©griers europĂ©ens et les registres mĂ©moriels sur l’esclavage dans les CaraĂŻbes. La mĂ©thode de son Ă©tude consiste Ă  mettre constamment en lien la production des savoirs avec une exigence rĂ©flexive. Ses travaux comportent Ă©galement une dimension Ă©pistĂ©mologique, elle s’intĂ©resse aux variantes du postmodernisme, aux « cultural studies », aux Ă©tudes postcoloniales, Ă  la variabilitĂ© du sens des concepts et au « material turn » dans une analyse comparative entre les espaces acadĂ©miques français et anglo-amĂ©ricains. Enfin, elle a consacrĂ© un volet important de ses travaux sur le concept de diaspora.

Pour Pierre George[44], elle Ă©tudie les sociĂ©tĂ©s elles-mĂȘmes et leur rapport Ă  l’espace. Ainsi elle recouvre deux aspects : la socialitĂ© de l’espace d’une part et les questions sociales de l’autre (telles que la sĂ©grĂ©gation, les inĂ©galitĂ©s, les Ă©carts sociaux via l’espace etc.). En ce qui concerne la gĂ©ographie culturelle, Paul Claval l’a thĂ©orisĂ©e dans la revue L'Espace gĂ©ographique en 1981[45]. Il parle d’ « approche culturelle en gĂ©ographie ». Cette discipline prend en compte les systĂšmes de valeurs, les idĂ©ologies, les langages, les symboles et leur traduction dans l’espace. Elle Ă©tudie ainsi les reprĂ©sentations. Pour Paul Claval, elle constitue une dimension supplĂ©mentaire du cultural turn (tournant culturel). La complexitĂ© du champ gĂ©ographique est synthĂ©tisĂ© par JoĂ«l Bonnemaison[46] sous la formule suivante : il considĂšre l’espace Ă  trois Ă©tages, le premier est objectif, c’est l’espace physique des structures, le second est l’espace vĂ©cu et le troisiĂšme correspond Ă  l’espace culturel qui comprend les affectivitĂ©s et significations. Ainsi, gĂ©ographie sociale et culturelle n’entrent pas en concurrence mais constituent deux entrĂ©es diffĂ©rentes de la discipline. La gĂ©ographie culturelle peut aussi ĂȘtre dĂ©crite comme une « approche humaniste des phĂ©nomĂšnes sociaux »[47].

Approche sociale de la géographie culturelle, approche culturelle de la géographie sociale : un débat qui reste ouvert

Plusieurs auteurs ont reprochĂ© Ă  la gĂ©ographie culturelle d'oublier la prĂ©sence d'une instance dominante : le social. Guy Di MĂ©o[48] refuse ainsi la sĂ©paration entre gĂ©ographie sociale et gĂ©ographie culturelle, tout en affirmant le primat de la dimension sociale sur la composante culturelle en gĂ©ographie. Pour Ă©viter l’écueil culturaliste souvent reprochĂ© Ă  la gĂ©ographie culturelle, il propose une gĂ©ographie « cognitive et critique Â», qui se veut Ă  la fois sociale et culturelle. La gĂ©ographie culturelle tendrait Ă  regrouper toutes les dĂ©marches qui affirment le « retour du sujet ou de l'acteur Â»[49] dans l'analyse des dispositifs spatiaux mais elle sous-estimerait l'impact des marqueurs sociaux sur le rapport spatial. Or, d'aprĂšs lui, la culture se transforme en permanence avec les rapports sociaux et spatiaux mais elle contribue Ă©galement Ă  les signifier. Il conviendrait alors de parler d'approche culturelle au sein de la gĂ©ographie sociale plutĂŽt que de gĂ©ographie culturelle. D'autre part, selon Alain Touraine[49], reconnaĂźtre le multiculturalisme ne remet nullement en cause les valeurs universelles, essentielles Ă  la gĂ©ographie sociale, que sont pas exemple la justice ou l'Ă©galitĂ© de droit des individus. Pour Jacques LĂ©vy notamment, c'est mettre la culture au premier plan qui constitue un danger puisque cela revient Ă  effacer le social et le politique dans les faits gĂ©ographiques.

Guy Di Méo plaide donc, tout comme Jean-François Staszak, pour une géographie marquée par une consubstantialité du social et du culturel, ce que fait la géographie des pays anglophones depuis 1998 notamment M. A. Crang[50]. En France cependant et malgré la création d'une école de géographie sociale au début des années 1980 qui a fait naßtre une géographie sociale et culturelle, peu nombreux sont les géographes qui revendiquent cette double approche dans leurs recherches[48].

Grands thÚmes de la géographie sociale

La ségrégation

Ségrégation à Leland (Mississippi) en 1937 (phot. Dorothea Lange)

Le terme de « sĂ©grĂ©gation Â» a Ă©tĂ© utilisĂ© par des sociologues de l'École de Chicago (Ernest Burgess et Robert Park) pour dĂ©signer « des troubles de la cohabitation Â». En effet selon le Dictionnaire de la GĂ©ographie et de l'espace des sociĂ©tĂ©s (LĂ©vy Jacques et Lussaut Michel (dir.), 2003), la sĂ©grĂ©gation est un « processus et Ă©tat de sĂ©paration spatiale tranchĂ©e de groupes sociaux Â» et se traduit par « la constitution d'aires marquĂ©es par une faible diversitĂ© sociale, des limites nettes entre ces espaces et ceux qui les jouxtent et les englobent Â». Enfin, ces espaces se caractĂ©risent par « une lĂ©gitimation sociale, par une partie des acteurs au moins, de ce processus et de cet Ă©tat. Â»

Cette notion a Ă©tĂ© utilisĂ©e en sciences sociales dans des Ă©tudes sur l'habitat en zone urbaine. Cette forme particuliĂšre de rĂ©partition, voulue ou subie, des groupes sociaux et des individus est la consĂ©quence spatiale d'une sĂ©grĂ©gation qui se joue dans d'autres domaines et Ă  d'autres Ă©chelles. En effet, il existe diffĂ©rents types de sĂ©grĂ©gation (sociale, Ă©conomique, ethnique, religieuse), qui touchent des individus et les configurations spatiales trĂšs variĂ©s (ghettoĂŻsation, entre-soi, spĂ©cialisation, isolat).

La ségrégation sociale se traduit dans certains cas par un cloisonnement des individus. Ils sont assignés ou contenus dans un espace délimité pourvoyeur d'une identité. Selon Véronique de Rudder (1995), les termes de ségrégation et de discrimination sont liés. En effet, l'auteur parle de ségrégation lorsque l'espace public est différencié selon la provenance ethnique des individus, entraßnant ainsi des discriminations. L'apartheid établi en Afrique du Sud (1948-1991) illustre ce phénomÚne.

Jacques Brun et Catherine Rhein (1994)[51] Ă©tudient la sĂ©grĂ©gation spatiale Ă  l'Ă©chelle de la ville : les quartiers populaires seraient ainsi perçus comme des lieux de relĂ©gation spatiale, sociale, Ă©conomique et politique. Ainsi Erving Goffman[52], sociologue, dĂ©finit la sĂ©grĂ©gation comme une « captivitĂ© dans un territoire Â» et insiste donc sur l'importance du rĂŽle de l'accessibilitĂ© urbaine, des rĂ©seaux et des services urbains.

L'exclusion sociale

Le terme d’exclusion sociale n’est clairement dĂ©fini et utilisĂ© dans le vocabulaire courant qu’à partir des annĂ©es 1980, dans un contexte post-industriel suggĂ©rant un processus de mise Ă  l’écart des travailleurs ouvriers face Ă  la mĂ©canisation du travail. Il correspond au fait de marginaliser voire de rejeter une catĂ©gorie sociale ou un groupe d’individus qui ne s’adaptent pas au modĂšle dominant de la sociĂ©tĂ© et qui est perçu comme allant Ă  l’encontre de ses normes culturelles.

D’aprĂšs le Dictionnaire de la GĂ©ographie et de l'espace de sociĂ©tĂ©s, sous la direction de Jacques LĂ©vy et Michel Lussault (2003), la notion d’exclusion suppose de se reprĂ©senter un monde sĂ©parĂ© en deux parties (respectivement composĂ©es d’individus Â« exclus Â» et « inclus Â») et par consĂ©quent « de souscrire Ă  une vision de la sociĂ©tĂ© comme rĂ©alitĂ© construite sur une opposition entre un intĂ©rieur et un extĂ©rieur ».

Trois modĂšles d’exclusion sont mis en exergue par diffĂ©rents auteurs et rappelĂ©s par Emmanuel Didier (1998) :

  • celui de l’inadaptation, dĂ©crit par RenĂ© Lenoir[53] pour qui un exclu est un individu inadaptĂ© Ă  la sociĂ©tĂ© « en raison d’une infirmitĂ© physique ou mentale, de son comportement psychologique ou de son absence de formation (...) Â» ;
  • celui s’opĂ©rant Ă  travers la culture, prĂ©sentĂ© par le pĂšre Joseph Wresinski[54] qui explique que certaines personnes n’ont pas les moyens ou les outils nĂ©cessaires Ă  la comprĂ©hension de la sociĂ©tĂ© dans laquelle elles Ă©voluent. Par consĂ©quent, elles sont exclues de la culture (dĂ©finie comme un ensemble de traits communs qui relient les individus Ă  leur communautĂ© sociale.) qui prĂ©sente une barriĂšre ;
  • celui du marchĂ© dĂ©fini par l'INSEE. L’exclusion apparaĂźt alors comme Ă©tant le rĂ©sultat de processus empĂȘchant des individus d’intervenir sur des marchĂ©s (tels un faible niveau d’instruction, le chĂŽmage, l’isolement, des mauvaises conditions de vie).

La gentrification

Gentrification des anciens docks de St Katharine Ă  Londres

C’est en 1964 qu’est mentionnĂ© pour la premiĂšre fois le terme de « gentrification » par la sociologue britannique Ruth Glass. Il est utilisĂ© dans son ouvrage London: aspects of change[55] pour qualifier la rĂ©habilitation de certains quartiers urbains et le remplacement des catĂ©gories sociales populaires par d’autres catĂ©gories plus aisĂ©es. Jusqu’au milieu des annĂ©es 1980, l’usage de la notion reste limitĂ© au monde anglo-saxon. 

La notion n'est entrĂ©e dans les dictionnaires français qu'en 2003 avec l'ouvrage de Catherine Bidou-Zachariasen intitulĂ© Retours en ville. Des processus de gentrification urbaine aux politiques de revitalisation des centres[56]. La gentrification traduit la crĂ©ation d'une nouvelle centralitĂ© urbaine, sa mutation, son embourgeoisement ou la sĂ©paration des quartiers en fonction de la richesse et ce que cela implique (attractivitĂ©, nouveaux habitants, nouvelles constructions). Selon Anne Clerval[57] - [58] - [59], on assiste Ă  un enrichissement des quartiers via un accroissement de la valeur immobiliĂšre. La notion de gentrification dĂ©signe une forme particuliĂšre d’embourgeoisement des quartiers populaires, qui passe Ă  la fois par la transformation de l’habitat, mais Ă©galement par la transformation de l’espace public et des commerces.

Selon Mathieu Van Criekingen et Antoine Fleury (2006)[60], la mutation des structures et des paysages commerciaux constituent un Ă©lĂ©ment significatif de la gentrification. C’est la marque la plus visible de celui-ci Ă  l’échelle locale. Ainsi, dans le monde francophone, l’intĂ©rĂȘt acadĂ©mique et politique se porte avant tout sur les quartiers pĂ©riphĂ©riques, mais a une ampleur limitĂ©e Ă  l’inverse du phĂ©nomĂšne dit de « suburbanisation » (la migration en pĂ©riphĂ©rie des classes moyennes). Les phĂ©nomĂšnes de « yuppies Â» (young urban professionals), « bobos Â» (bourgeois-bohĂšmes) ou encore « jupes Â» (jeunes urbaines professionnelles Ă©mancipĂ©es et seules) apparaissent. Selon David Brooks (2000)[61], les personnes s’appropriant les quartiers centraux rĂ©habilitĂ©s, les gentrifieurs, correspondent majoritairement Ă  ceux qui sont dĂ©signĂ©s comme « bobo », rĂ©sider dans ce genre d’espace Ă©tant presque devenu un critĂšre d’appartenance Ă  cette catĂ©gorie de personnes.

Inégalités et géographie engagée

La gĂ©ographie engagĂ©e analyse et dĂ©nonce la production des Ă©carts sociaux Ă  travers l’espace. L’engagement implique une redĂ©finition de la discipline qui ne doit plus ĂȘtre neutre, mais utile Ă  la sociĂ©tĂ©.

Les premiers tenants de ce revers Ă©pistĂ©mologique et politique sont les gĂ©ographes anglo-saxons de la gĂ©ographie radicale. David Harvey dans Social Justice and the City (1973) dĂ©veloppe une thĂ©orie marxiste de la ville inspirĂ©e des travaux d’Henri Lefebvre (Le droit Ă  la ville, 1968). William Bunge, autre gĂ©ographe « radical » organisa des « expĂ©ditions gĂ©ographiques » dans des quartiers urbains pauvres de Detroit (Michigan) pour y dĂ©noncer les inĂ©galitĂ©s intrinsĂšques au capitalisme et l’utilisation de l’espace pour la reproduction de ce systĂšme. William Bunge intĂ©gra l’avis des personnes concernĂ©es Ă  son analyse, le savoir produit devant ĂȘtre transmis pour servir Ă  la contestation politique du pouvoir en place. 

Richard Peet, dans son ouvrage Inequality and Poverty : a Marxist-Geography Theory (1975), Ă©tudie les concentrations perpĂ©tuelles de pauvretĂ© et de problĂšmes sociaux dans certains quartiers urbains qu’il nomme alors « urban underclass » (notion empruntĂ©e Ă  la sociologie).

C’est avec la mĂȘme approche et durant la mĂȘme dĂ©cennie que David Sibley Ă©crit son ouvrage Outsiders in an Urban Society (1981). Ce sont les Ă©tudes menĂ©es par l’auteur sur les gitans anglais aux environs de Hull qui seront Ă  l’origine de ces textes. Si par la suite Sibley s’est ensuite concentrĂ© sur le lien entre marginaux (outsiders) et la construction de l’espace, il a Ă©largi ses cas d’étude, passant ainsi des enfants gitans aux dynamiques familiales et Ă  l’espace domestique. Ce qui l’amĂšnera Ă  publier Geographies of Exclusion (1995), un ouvrage clĂ© dans la littĂ©rature gĂ©ographique sur l’identitĂ© et la marginalisation[62]. Dans cet ouvrage il dĂ©finit la tendance des groupes dominants Ă  purifier l’espace Ă  travers l’exclusion des groupes minoritaires vus comme sales (dirty). Pour cet apport, l’influence des thĂ©ories fĂ©ministes, de la gĂ©ographie humaine et, en particulier, de la psychanalyse est sĂ»rement fondamentale. Pour Sibley, l’importance accordĂ©e par la psychanalyse aux processus de maintien de sa propre identitĂ© (self-identity), s’exprime dans un dĂ©sir, souvent inconscient, de maintenir une puretĂ© et propretĂ© autour de soi[62] [ii]. Les groupes hĂ©gĂ©moniques sont amenĂ©s Ă  identifier dans les groupes marginaux et perçus comme dĂ©viants, cette saletĂ© qu’ils Ă©chappent inconsciemment. L’importante contribution de ce travail doit ĂȘtre trouvĂ©e dans l’idĂ©e que le processus de marginalisation noue des liens avec l’imaginaire stĂ©rĂ©otypĂ© des groupes sociaux Ă  un niveau psychologique.

En France la gĂ©ographie des inĂ©galitĂ©s est moins radicale. La gĂ©ographie sociale s’est beaucoup dĂ©veloppĂ©e dans les annĂ©es 1960-1970. En 1975, Jacques LĂ©vy fonde la revue interdisciplinaire EspacesTemps centrĂ©e sur l’analyse de l’espace social. Celle-ci se concentra dans ses dĂ©buts sur l’analyse de la dialectique social / spatial. Dans La gĂ©ographie sociale publiĂ©e en 1984, Armand FrĂ©mont affirme que l’inĂ©galitĂ© sociale est aussi une inĂ©galitĂ© spatiale. L’exclusion sociale devient alors synonyme de marginalisation gĂ©ographique et inversement.

La gĂ©ographie sociale française souhaite aussi impliquer les sociĂ©tĂ©s dans l’analyse de l’espace et surtout dans son amĂ©nagement. Ainsi, Antoine Bailly prĂŽne une « gĂ©ographie par le bas » Ă  l’écoute des populations.

Le postmodernisme dynamisa les Ă©tudes gĂ©ographiques engagĂ©es traitant des inĂ©galitĂ©s. En effet ce nouveau courant s’oppose aux discours dominants en les dĂ©construisant et en valorisant les points de vue des opprimĂ©s. Cette gĂ©ographie affirme donc son caractĂšre militant en voulant agir sur les reprĂ©sentations de l’espace et des sociĂ©tĂ©s. C’est le cas de Robert HĂ©rin, un gĂ©ographe contemporain, dont les travaux portent sur les rapports collectifs au travail, Ă  la reproduction biologique, Ă  la santĂ©, Ă  l'Ă©ducation, Ă  l'habitat, aux loisirs, Ă  l'information, notamment face Ă  l’amplification de l'individualisme et aux crises Ă©conomiques dans les pays dĂ©veloppĂ©s au cours des annĂ©es 50-60. Ce gĂ©ographe engagĂ© a participĂ© Ă  de nombreuses Ă©tudes concernant la rĂ©partition de la formation et du travail en France. Dans son article « Chemin faisant, Parcours en gĂ©ographie sociale Â», il soutient l'idĂ©e selon laquelle « le travail est une valeur essentielle, crĂ©atrice de lien social et moteur de socialisation, et levier d'Ă©panouissement personnel et de reconnaissance sociale Â»[63] - [64].

C’est Ă©galement dans cette gĂ©ographie postmoderne que s’épanouit la gĂ©ographie postcoloniale, qui analyse les rapports Ă  l’espace des groupes minoritaires, et les gĂ©ographies fĂ©ministes. Les constructions genrĂ©es au sein du savoir gĂ©ographique est une des recherches principales de Gillian Rose, une gĂ©ographe britannique des annĂ©es 1990, notamment connue pour son ouvrage Feminism and Geography, publiĂ© en 1993[65]. Elle y critique l’approche dite-masculiniste de la gĂ©ographie. Elle questionne la maniĂšre dont les gĂ©ographes ont forgĂ© une gĂ©ographie qui lĂ©gitime les formes masculines de savoir gĂ©ographique en isolant les maniĂšres fĂ©minines de savoir et d’aborder la science. Ce privilĂšge du masculin sur le fĂ©minin est connectĂ© Ă  la construction d’un dualisme de nature dominant « nature/culture ». Elle illustre cette binaritĂ© avec deux courants de pensĂ©es distincts : le courant de pensĂ©e scientifique-social, qui se rĂ©clame de vĂ©ritĂ©s rationnelles et objectives, et le courant de pensĂ©e esthĂ©tique, qui fĂ©minise les lieux et les paysages. En montrant que les gĂ©ographes culturels Ă©tudient des paysages qui incarnent des perspectives masculines, elle cherche Ă  dĂ©montrer comment la comprĂ©hension et les expĂ©riences mises en place ont Ă©tĂ© marginalisĂ©es dans la discipline. ParallĂšlement, Gillian Rose intervient dans les dĂ©bats fĂ©ministes mĂ©thodologiques. Elle fait appel au concept de performativitĂ© introduit par Judith Butler pour critiquer l’utilisation fĂ©ministe de la notion de rĂ©flexivitĂ© comme stratĂ©gie pour situer les connaissances gĂ©ographiques. On a reprochĂ© Ă  Rose de ne pas interroger les catĂ©gories de genre, de classe, d’ethnicitĂ©, de nationalitĂ© ou de sexe. Avec Writing women and space, Colonial and Post-colonial geographies, elle Ă©voque les multiples sens de subjectivitĂ© des femmes, illustrĂ©s par des reprĂ©sentations Ă©crites de diffĂ©renciation spatiale. Elle fournit des exemples empiriques de recherche en gĂ©ographie fĂ©ministe, tout en soulignant le manque de savoir centrĂ©s sur la femme.

En 1991, KimberlĂ© Crenshaw crĂ©Ă© le terme « intersectionnalitĂ© » dĂ©signant « la situation de personnes subissant simultanĂ©ment plusieurs formes de discrimination dans une sociĂ©tĂ© » (Elsa Dorlin). Des Ă©tudes sont alors menĂ©es sur les « femmes noires aux États-Unis » par exemple. Ces Ă©tudes souvent trĂšs militantes se sont plus dĂ©veloppĂ©es dans les pays anglo-saxons.

Justice spatiale

La justice spatiale (spatial justice) est un concept scientifique qui consiste Ă  « replacer l’espace au centre de la rĂ©flexion sur les sociĂ©tĂ©s contemporaines »[66]. Cette notion n’est pas rĂ©cente en gĂ©ographie ; elle trouve son origine avant tout dans la gĂ©ographie radicale mais Ă©galement urbaine. Elle est apparue pour la premiĂšre fois dans le monde anglophone dans les annĂ©es 1970 par le biais de la gĂ©ographie radicale.

En l’occurrence, des gĂ©ographes britanniques dont John Rawls, Richard Peet, David Harvey, Marion Young se sont penchĂ©s sur la notion de justice spatiale dans le but de rĂ©duire voire supprimer les inĂ©galitĂ©s socio-spatiales par une gamme de mesures politiques et techniques. Chacun de ces gĂ©ographes anglo-saxons citĂ©s, possĂšde une position spĂ©cifique souvent en forte contradiction avec celles des autres dans le champ d’application de la justice spatiale. Cependant tous s'accordent sur l'objectif de « rĂ©duire » ou « abolir » les inĂ©galitĂ©s socio-spatiales. Dans sa thĂšse intitulĂ© La ThĂ©orie de la justice, John Rawls dĂ©fend l’idĂ©e d’une justice fondĂ©e sur l’équitĂ©, d’une sociĂ©tĂ© Ă©galitaire, dans la mesure oĂč les universalistes prĂ©tendent ne voir que des individus Ă©gaux en droits et n’avancent pas le constat de la prĂ©sence de nombreuses formes de discriminations. La position de la justice spatiale dans les questions de sociĂ©tĂ©s s’ouvre Ă  une diversitĂ© de champs d’actions. En effet, David Harvey, un gĂ©ographe radical s'oppose Ă©galement Ă  une gĂ©ographie conventionnelle dont les pouvoirs dominants sont privilĂ©giĂ©s au dĂ©triment des peuples « indigĂšnes ». À partir de lĂ , il applique cette dimension de la justice Ă  l’espace. La gĂ©ographie radicale de David Harvey s’inscrit d’une part dans une vision nĂ©o-marxiste qui se penche sur la thĂ©matique des inĂ©galitĂ©s. Il conçoit le capitalisme comme une base fondatrice des injustices socio-spatiales.

En dehors de l’espace anglo-saxon, il est indĂ©niable de savoir que la justice spatiale constitue un des objets principaux de la gĂ©ographie sociale en France, elle constitue une base des analyses d’interactions entre espace et sociĂ©tĂ© tout en se fusionnant avec la gĂ©ographie classique. La notion de justice spatiale est introduite dans la gĂ©ographie française en 1977 lors d’un dĂ©bat organisĂ© entre gĂ©ographes français et anglais. Alain Reynaud fut le prĂ©curseur de la notion justice spatiale en France. Il appliquait la justice spatiale dans une approche d’amĂ©nagement du territoire oĂč il Ă©tudiait les inĂ©galitĂ©s rĂ©gionales du degrĂ© infĂ©rieur (local) au degrĂ© supĂ©rieur (mondial)[67]. Cependant, les gĂ©ographes de son Ă©poque n’ont pas apprĂ©ciĂ© cette dĂ©marche de la justice spatiale dans son Ă©chelle globale, leur dĂ©marche s’appuyait particuliĂšrement sur une Ă©chelle rĂ©gionale voir locale.

RĂ©-unificatrice des dĂ©marches de la gĂ©ographie humaine, la notion de justice spatiale est appliquĂ©e selon des Ă©chelles d’études, du global au local. Cependant elle soulĂšve essentiellement une multitude de questions que ce soit dans la redistribution des ressources, de services, de biens mais surtout dans une vocation dĂ©fensive en ce qui concerne l’oppression de peuples minoritaires (peuples autochtones aux AmĂ©riques dans les annĂ©es 1970). Aujourd’hui, elle est fortement utilisĂ©e dans les Ă©tudes urbaines. En suivant cette optique, la dimension spatiale de la justice se voit mĂȘme ĂȘtre un levier essentiel des politiques territoriales et « son influence est telle que l’on a pu considĂ©rer que l’amĂ©nagement du territoire et la recherche de la justice spatiale Ă©taient Ă©quivalents »[68]. C’est Ă  l’aune de cette influence que la justice spatiale est actuellement revisitĂ©e et rĂ©activĂ©e face aux inĂ©galitĂ©s qui ne cessent de se creuser.

Géographie de la santé

C'est en 1943 que l'idée du lien entre santé et géographie émerge avec la publication de l'ouvrage Fondements biologiques de la Géographie humaine de Maximilien Sorre, qui fait alors partie du courant déterministe de la Géographie. Le concept qu'il développe est appelé d'abord géographie médicale. Il relie principalement des termes physiques de la géographie (milieu) avec les maladies[69]. Cette discipline s'apparente au départ à l'épidémiologie. Le concept se développe à mesure du temps et inclut dans la discipline des concepts sociologiques, économiques et d'aménagement du territoire. Il croise alors les données de la maladie et des soins avec le territoire. La cohérence de la géographie de la santé prend alors sens. La géographie de la santé est considérée comme l'aboutissement ou le croisement des domaines de la géographie des soins et de la géographie des maladies[70]. La géographie des soins analyse l'offre de soins d'un point de vue spatial et social. Elle développe le concept d'espace médical et de ses pouvoirs d'attractivité et toutes les dynamiques qui occurrent entre l'espace et les propositions de soins. La géographie des maladies croise la répartition des maladies avec l'espace et le territoire. Elle se charge d'une analyse spatiale des maladies et développe des modÚles de distribution.

Le rÎle de la géographie de la santé aujourd'hui est important. Elle participe à la prévention des risques sur la santé (les dégradations environnementales et l'impact sur la santé), de l'encadrement des populations en termes de soins et s'inscrit de plus en plus dans les démarches de l'aménagement du territoire[71].

Quelques géographes-clés

Jean Brunhes

Jean Brunhes

Jean Brunhes est un gĂ©ographe français. NĂ© Ă  Toulouse en 1869, Brunhes est bien connu pour ĂȘtre un des premiers gĂ©ographes Ă  rechercher le rapport entre la gĂ©ographie et le champ social. Il a notamment fondĂ© un sous-domaine de la gĂ©ographie sociale, que l'on nomme la « gĂ©ographie humaine ». Il dĂ©finit et expose les grandes lignes de cette thĂ©orie dans son Ɠuvre La gĂ©ographie humaine. Essai de classification positive. Principes et exemples[72].

PubliĂ© en 1910, cet essai-ci affirme qu’il existe trois besoins fondamentaux de l’espace humain : se nourrir, se vĂȘtir, et dormir[73]. Chez Brunhes, ces trois besoins gĂšrent la physionomie extĂ©rieure des espaces. Ils amĂ©nagent la vie terrestre et les groupes humains qui demeurent au sein de cet espace[73].

Par conséquent, Brunhes a donc la voie au progrÚs du champ géographique social par rapport aux besoins humains.

Renée Rochefort

Renée Rochefort est une géographe française. Née à Lyon en 1924, et morte en 2012, Rochefort est connue pour sa mise en cause du déterminisme géographique[74]. Dans sa thÚse elle montre ainsi que le climat et la qualité des sols ne sont pas déterminants dans les problÚmes de développement en Sicile par rapports aux facteurs sociaux et politiques[74].

Contre ce déterminisme, Renée Rochefort propose un « renversement de l'ordre des facteurs »[75]. Elle indique ainsi :

« La gĂ©ographie sociale commence avec un renversement de l'ordre des facteurs, un renversement d'intĂ©rĂȘt, pour ne pas dire de direction de pensĂ©e, lorsque le gĂ©ographe dĂ©cide d'accorder plus d'importance au groupe humain qu'Ă  l'espace ou plus exactement dĂ©cide d'accorder de l'importance, au groupe humain d'abord, Ă  l'espace ensuite, Ă©tant entendu que ce groupe humain baigne dans l'hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de l'espace. » RenĂ©e Rochefort, « GĂ©ographie sociale et sciences humaines », Bulletin de l'Association de gĂ©ographes français, 1963, XL, n° 314, p. 20 (18-32)[76].

Les écrits de Rochefort se focalisent sur la question du travail, notamment dans le domaine agricole, mais aussi sur les activités industrielles et tertiaires[77]. Elle a conduit ses recherches en Sicile, en Italie[77] - [74]. Elle prÎne aussi une forme d'interdisciplinarité[74].

Ses contributions au champ sont utiles pour comprendre le lien entre l’espace et le travail. Elle est considĂ©rĂ©e comme l'une des figures essentielles des dĂ©buts de la gĂ©ographie sociale en France[78] - [79]. Elle dĂ©cĂšde en 2012.

Raymonde SĂ©chet

Raymonde SĂ©chet au FIG en 1996.

Raymonde SĂ©chet est une gĂ©ographe française. Elle conduit la plupart de sa recherche sur le lien entre la sexualitĂ©, la pauvretĂ© et l’espace public. Elle documente notamment les problĂ©matiques propres aux homosexuels et prostituĂ©es dans l’espace public[80].

Avec son collÚgue Emmanuel Jaurand, elle analyse la dimension spatiale des sexualités dans l'article « Sexualités et espaces publics ; identités, pratiques, territorialités » publié dans la revue Géographie et cultures[81]. Dans cet article, ils affirment que le lien entre la sexualité et l'espace a trois dimensions : les rapports sociaux, les rapports des acteurs aux normes et territorialités, et la dimension spatiale des revendications politiques et sociales[81].

Séchet est enseignante-chercheuse en géographie sociale à l'université Rennes-II[82].

Gill Valentine

Gill Valentine est une gĂ©ographe anglaise spĂ©cialisĂ©e dans la gĂ©ographie sociale en particulier la gĂ©ographie du genre, des sexualitĂ©s et des jeunes. Dans ses plusieurs ouvrages, Valentine explore le lien entre les identitĂ©s sociales et l’appartenance. Ses enquĂȘtes se manifestent notamment sous le coup d’analyser la consommation de l’alcool chez les jeunes, la gĂ©ographie de la femme, l'Ă©ducation et l'enfance.

Le gĂ©ographe amĂ©ricain Thomas Herman dit que la recherche de Valentine est une des enquĂȘtes les plus comprĂ©hensives par rapport Ă  la trajectoire de la gĂ©ographie des jeunes[83].

Phil Hubbard

Demeurant dans le Royaume-Uni en ce moment, Valentine est professeure de géographie à l'université de Sheffield.

Phil Hubbard

Phil Hubbard est un gĂ©ographe anglais. Il mĂšne plusieurs Ă©tudes dans la gĂ©ographie sociale, dans des champs tels que les villes et le changement social, la sexualitĂ© et l’espace, la consommation urbaine, la gĂ©ographie lĂ©gale[84].

Hubbard s’intĂ©resse de la ville comme un site de conflit social. C’est pour çà qu’il recherche la prostitution urbaine (sa rĂ©gulation, sa localisation, son impact) et le divertissement sexuel dans la ville.

Demeurant dans le Royaume-Uni en ce moment, Hubbard est professeur des Ă©tudes urbaines au King’s College de Londres[84].

GĂ©ographie sociale Ă  l'Ă©tranger

GĂ©ographie sociale en Italie

La géographie sociale italienne possÚde des similitudes avec la géographie sociale française selon Jean-Marc Fournier[85]. En Italie, elle s'est développée pour contrer la « géographie fasciste sous-jacente » qui ne prend pas en compte les transformations de la société et reste figée dans le temps. Avec des bases théoriques d'inspiration marxiste, la « géographie démocratique » se concentre sur les questions sociales, les actions et la critique d'une géographie dominante dans les milieux universitaires. Elle se constitue en réseau et n'est pas institutionnalisée dans les universités. Il existe aussi des différences de positionnement entre les chercheurs, comme pour la géographie sociale française.

L'ouvrage[86] d'Isabelle Dumont et Claudio Ceretti recense les échanges qu'ont pu avoir les géographes italiens et français lors d'une rencontre à Padoue en 2009 (suivie d'autres rencontres annuelles) autour du thÚme de la géographie sociale. Bien que les géographes italiens se considÚrent comme plus en retrait par rapport à leurs homologues français[87], l'apport des géographes italiens n'est pas négligeable. Les comptes rendus de l'ouvrage théorique de Mirella Loda[88] et les différentes études de cas témoignent de l'attrait des chercheurs italiens pour la géographie sociale. Des thÚmes comme l'immigration dans l'aire métropolitaine de Naples, la prostitution dans la population migrante en Italie sont par exemple abordés. Les travaux d'Ernesto Mazzetti[89] s'intéressent à la crise sociale et politique qui touche le sud de l'Italie et à l'expansion de l'urbanisation et ses conséquences socio-économiques sur le territoire italien. De ce fait, la démarche de ces géographes est donc éminemment sociale. Par exemple, Franca Miani[90] propose d'intégrer une réflexion sur la géographie sociale concernant les transformations urbaines en prenant en compte les enjeux autour de la qualité de vie, du logement, du développement durable à travers l'expérimentation de nouveaux modÚles d'urbanisme.

Les autres colloques franco-italiens, notamment celui de 2016 à de l'université de Tours intitulé « Pensée la fabrique de la ville en temps de crise(s)' »[91], ont permis à de nombreux enseignants-chercheurs (anthropologues, géographes, sociologues, spécialistes de l'aménagement...) de confronter leurs travaux. Maurizio Memoli, Alberto Pisano et Matteo Puttilli traitent des politiques néo-libérales et de leurs conséquences sur le développement local à travers le cas du quartier de Villanova à Cagliari (Sardaigne). Edigio Dansero, Giacomo Pettenati et Alessia Toldo s'intéressent à l'Urban Food Planning et au rÎle clé de la ville dans la mise en place des politiques alimentaires (Turin).

GĂ©ographie sociale au Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, les domaines de la gĂ©ographie sociale et culturelle sont trĂšs liĂ©es et les deux disciplines se construisent ensemble. Le groupe d’étude « Social and Cultural Geography » crĂ©e en 2003 rĂ©unit des gĂ©ographes britanniques aspirant Ă  Ă©tablir l’identitĂ© de la gĂ©ographie sociale et culturelle ; ses enjeux, engagements et perspectives[92]. Il appelle Ă  la re matĂ©rialisation des deux disciplines Ă  travers deux dĂ©marches distinctes. Les travaux de gĂ©ographie sociale et culturelle britannique rĂ©cent portent sur les thĂšmes de l’injustice spatiale et du bien-ĂȘtre. Ils tĂ©moignent d’une forte volontĂ© critique et d’un engagement politique[93]. Elles Ă©pousent de sujets extrĂȘmement variables et pensent les inĂ©galitĂ©s par le prisme des identitĂ©s religieuses ou des communautĂ©s. Ces derniers, plus difficilement applicable Ă  l’organisation sociale française ne sont pas aussi largement traitĂ©s par la gĂ©ographie sociale française. En plus de se recentrer sur les questions d’inĂ©galitĂ©s sociales, la re matĂ©rialisation de la gĂ©ographique sociale britannique aspire Ă©galement Ă  dĂ©velopper de nouvelles mĂ©thodes qui reposeraient sur des acquis concrets. Celles-ci ont pour but de pallier les biais de positionnement et de reprĂ©sentativitĂ© dans les Ă©tudes rĂ©alisĂ©es. La gĂ©ographie sociale et culturelle britannique peut-ĂȘtre incarnĂ©e par l’emotional geography[94], discipline traitant des significations immatĂ©rielles basĂ©es sur les diffĂ©rents sens produit par des objets gĂ©ographiques matĂ©riels.

Enfin la re matĂ©rialisation de la gĂ©ographie sociale et culturelle britannique se heurte au renforcement des institutions qui hiĂ©rarchisent les savoirs produits, favorisant la production de savoirs positionnĂ©s et non reprĂ©sentatif. À l’échelle globale, les travaux britanniques reste surreprĂ©sentĂ©s dans la mesure ou la langue anglophone demeure la plus valorisĂ©e dans la production d’études et de recherches.

La discipline est portée par des géographes tel que Phil Hubbard, spécialiste des questions sociales à l'échelle urbaine dont on retrouve les travaux dans la revue Social & Cultural Geography.

GĂ©ographie sociale aux États-Unis

La gĂ©ographie sociale aux États-Unis ne possĂšde pas une place Ă  part entiĂšre dans la gĂ©ographie contrairement au Royaume-Uni, comme le montre Vincent Del Casino, professeur de gĂ©ographie, dans son article intitulĂ© « US Social Geography, alive and Well ? »[95]. Elle n'est pas institutionnalisĂ©e. MĂȘme si elle est prĂ©sente dans de nombreux articles, elle traverse de nombreux champs de la gĂ©ographie. Apporter une nouveau souffle Ă  la gĂ©ographie Sociale ou mĂȘme pouvoir dĂ©battre sur celle-ci est alors complexe puisqu'elle n'existe pas en tant que telle, elle n'a pas d'identitĂ© bien dĂ©finie. Elle est alors Ă  la fois marginale mais Ă©galement centrale dans la gĂ©ographie aux États-Unis. La gĂ©ographie sociale est considĂ©rĂ©e comme une sous-discipline provenant d'un mĂ©lange de plusieurs thĂ©ories, approches mĂ©thodologiques et de pratiques techniques qui peuvent ĂȘtre perçus comme disparates avec des intersectionnalitĂ©s Ă  l'intĂ©rieur mĂȘme de la « sous-discipline ». Alors mĂȘme que la gĂ©ographie culturelle est au contraire perçue comme un ensemble bien organisĂ©[96]. C'est d'ailleurs Ă  travers cette derniĂšre que beaucoup de recherches appartenant Ă  la gĂ©ographie sociale ont Ă©tĂ© menĂ©es.

Cependant, l'Ă©mergence de cette gĂ©ographie et sa diffusion a d'abord Ă©tĂ© marquĂ© en 1920 par Harlan Barrows (prĂ©sident de l'Association of Americans Geographers) qui a dĂ©fini la gĂ©ographie comme Ă©tant « the science of human ecology » incluant trois sous-disciplines : l'Ă©conomie, la politique et la gĂ©ographie sociale[97]. De plus, lors de la premiĂšre partie du XXe, la population des États-Unis est devenue plus urbaine que rurale, les gĂ©ographes ont alors tentĂ© de comprendre les pratiques humaines. En 1925, Robert Park, Ernest Burgess et Roderick McKenzie's proposent un modĂšle de ville fondĂ© sur Chicago montrant que les formes urbaines sont issues du complexe social. Il s'agit d'un point d'Ă©mergence de la gĂ©ographie Sociale. Celui-ci donne naissance Ă  de nombreuses approches sur la ville et la population urbaine qui vont dominer la gĂ©ographie entre 1950 et 1980[98].

NĂ©anmoins, la gĂ©ographie Sociale a Ă©galement Ă©tĂ© diffusĂ©e Ă  travers les travaux de gĂ©ographes radicaux qui s'appuient majoritairement sur les thĂ©ories marxistes interrogeant alors les inĂ©galitĂ©s et diffĂ©rences socio-spatiales dans les annĂ©es 1970. Ces derniers s'expriment dans la revue anglo-saxonne Antipode comme Richard Peet en 1977[99]. David Harvey (GĂ©ographe radical anglais) a notamment contribuĂ© Ă  la diffusion de la gĂ©ographie sociale aux États-Unis Ă  travers Social Justice and the City publiĂ© en 1973 oĂč il montre le lien fort entre la sociĂ©tĂ© et l'espace[100].

L'arrivĂ©e d'une nouvelle gĂ©ographie culturelle dans les annĂ©es 1980 a participĂ© au dĂ©veloppement de la gĂ©ographie sociale, les gĂ©ographes portent un intĂ©rĂȘt aux processus sociaux et aux façons dans les catĂ©gories sociales sont culturellement construites. Don Mitchell (professeur de gĂ©ographie culturelle) montre qu'il existe, outre des relations de classes, des relations de genre, de race et de sexe. Son analyse est fondĂ©e sur le social[97].

MĂȘme si la gĂ©ographie sociale est considĂ©rĂ©e comme une sous-discipline, Il existe des gĂ©ographes amĂ©ricains qui se revendiquent comme faisant partie Ă  part entiĂšre de la gĂ©ographie sociale. C'est notamment le cas de Vincent del Casino. Ces derniers participent Ă  l'innovation de nouvelles thĂ©ories socio-gĂ©ographiques. En effet, de rĂ©centes thĂ©ories et approches mĂ©thodologiques ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©es comme le montrent les travaux de Merrill sur l'immigration et les politiques raciales de 2006[97].

GĂ©ographie sociale en Espagne

InfluencĂ©e par les tendances radicales de la gĂ©ographie anglophone, l’Espagne dĂ©veloppe sa gĂ©ographie sociale et culturelle au cours des annĂ©es 1960 et 1970 par le biais de jeunes universitaires dĂ©sirant aller Ă  l’encontre de l’isolation intellectuelle du pays mise en place par Franco. Les questions urbaines et sociales sont alors Ă©tudiĂ©es par les gĂ©ographes espagnols. Toutefois, ces changements permettent l'Ă©closion de ce qu'on appelle la gĂ©ographie Marxiste. La gĂ©ographie sociale peine Ă  s'implanter en Espagne. Contrairement Ă  la France, elle ne possĂšde pas de chef de file en mesure de diffuser la gĂ©ographie sociale dans le pays. Certains travaux ne sont pas identifiĂ©s par leurs auteurs comme de la gĂ©ographie sociale. Il est donc difficile de voir l'impact de ces bouleversements sur la gĂ©ographie sociale et de sa naissance en Espagne[101].

AprÚs la transition démocratique qui a eu lieu à la fin des années 1970, la géographie espagnole a été influencée par les interprétations françaises, anglophones et brésiliennes. Par exemple, l'ouvrage de Milton Santos Pour une géographie nouvelle[102] sert à certains géographes espagnols pour développer leur définition des relations entre le temps social (en quelque sorte la société) et l'espace, pivot essentiel de la géographie sociale en général. Les travaux de Josefina Gómez Mendoza et Nicolas Ortega Cantero[103] mettent en relation les contextes, les processus d'internationalisation, les pratiques et les sujets étudiés en géographie internationale[101].

Les gĂ©ographes espagnols se sont notamment intĂ©ressĂ©s au rĂŽle des femmes dans la sociĂ©tĂ©. Les campagnes et les villes ont fait l'objet de plusieurs Ă©tudes poussĂ©es Ă  ce propos. Des auteurs tels que Gemma CĂ noves et Montserrat Villarino[104] ont notĂ© la prĂ©sence des femmes dans le tourisme rural ou comme Ana SabatĂ© Martinez[105] dans l’industrie de l’agriculture. De nombreux gĂ©ographes se sont Ă©galement penchĂ©s sur la question du rĂŽle de la femme dans les villes tels que Gemma CĂ noves ou Maria Prats[106]. La gĂ©ographie espagnole tient son originalitĂ© par les sujets qu'elle traite, mais Ă©galement par la part importante fĂ©minine parmi les gĂ©ographes citĂ©s prĂ©cĂ©demment. D'autres sujets ont Ă©tĂ© abordĂ©s comme les quartiers lesbiens et homosexuels par l'auteure Emilia Garcia Escalona[107]. Cette derniĂšre a instaurĂ© un modĂšle de quartier « gay » basĂ© sur plusieurs facteurs : les rĂ©seaux commerciaux et services pour personnes lesbiennes, la prĂ©sence d'associations prĂ©ventives et d'une culture homosexuelle dans ces quartiers[108].

L'étude de l'espace urbain a aussi été faite pour toucher la question des immigrants venant d'autres pays européens ou de pays étrangers à l'Union européenne comme l'ont fait les géographes Monica Buckley Inglesias[109] ou Pablo Pumares Fernandez[110]. La ville est aussi analysée par des auteurs espagnols comme un lieu dédié et géré par la consommation. Les études de Carles Carreras et Jorge Romero[111] vont en ce sens.

GĂ©ographie sociale en Allemagne

Benno Werlen est l'un des plus cĂ©lĂšbres gĂ©ographes allemands de ces trois derniĂšres dĂ©cennies et a inspirĂ© les nouvelles gĂ©nĂ©rations de chercheurs en gĂ©ographie humaine[112]. SpĂ©cialiste de la gĂ©ographie sociale, qu’il Ă©tudie Ă  travers l’analyse spatiale, contrairement Ă  la gĂ©ographie francophone qui elle s'oppose Ă  cette approche[112]. Werlen la dĂ©finit comme le « rapport entre sociĂ©tĂ© et espace » et la rĂ©sume en 3 termes : « SociĂ©tĂ©, Action, Espace »[112]. Selon lui, la gĂ©ographie sociale et son analyse se fondent sur le « faire »[112], c’est-Ă -dire qu’elle s'appuie sur la thĂ©orie de l'action[112] qui englobe tous les paramĂštres et situations de la vie de tous les jours[113].

Werlen s'est longtemps inspirĂ© de la gĂ©ographie humaine anglo-saxonne[112], reprenant l’idĂ©e de « turns » (linguistique, culturel, spatiale)[114] qui expliquent les motivations des thĂ©ories et engagements empiriques[113]. Ces « turns » ont permis d'avoir une reconnaissance universelle de l'idĂ©e de « socially constructed »[114], soit « socialement construit »[113], selon laquelle l'espace est considĂ©rĂ© comme un rĂ©cipient oĂč les structures et les Ă©vĂ©nements sociaux importants se produisent[113]. En outre, l'humain est considĂ©rĂ© tel un acteur social et Werlen lui accorde un niveau de libertĂ© suffisant pour faciliter les interprĂ©tations de leurs motivations, pensĂ©es, intentions, mĂ©moires, expĂ©riences et dĂ©sirs et finalement il crĂ©e et construit d’oĂč le terme « socially constructed »[113].

L'existence des intentions humaines et du vouloir (l’envie) est bien rĂ©elle mais ces derniers ont le statut de simple « rĂ©fĂ©rence »[113] c’est-Ă -dire qu’elles justifient les actions dĂ©jĂ  commises, contrairement Ă  l'action qui semble parler d'elle-mĂȘme[113]. Autrement dit, l’action conduit Ă  des rĂ©sultats Ă©vident contrairement aux envies qui restent souvent des pensĂ©es et des projets non mis en Ɠuvre, Toujours selon Werlen, l'espace est crĂ©Ă© Ă  travers l'action humaine; c’est ce qu’il nomme le « space making »[113].

L’espace est considĂ©rĂ© par le gĂ©ographe comme un corps central mais dĂ©nuĂ© d'existence Ă  priori de l'action humaine[113], aussi l'espace et la sociĂ©tĂ© comme deux blocs qui s'opposent[112]. Pour finir, l'action a plus d’importance que les motivations qui l'anime, ce que le gĂ©ographe allemand rĂ©sume par la phrase : « the focus is on the latter »[114], l’importance est sur le rĂ©sultat.

GĂ©ographie sociale en Argentine

L’Argentine a commencĂ© avec deux courants de gĂ©ographie sociale depuis le dĂ©but du XIXe siĂšcle. Le premier Ă©tait celui de l’épistĂ©mologie naturaliste lequel a Ă©tĂ© intĂ©grĂ© dans le programme scolaire en fassent partie des livres ainsi que des encyclopĂ©dies utilisĂ©es par les Ă©coles primaires. Le deuxiĂšme courant connu comme l’étude anthropogĂ©ographique ce concentrait sur la culture matĂ©rielle ainsi que sur la toponymie pour faire des analyses gĂ©ographiques. Ce deuxiĂšme courant est devenu marginal dans les annĂ©es 1940 parce que les gĂ©ographes naturalistes tels que Federico Daus ont dĂ©crit la gĂ©ographie de Vidal comme plus appropriĂ©e pour dĂ©crire la situation du territoire argentin[115].

La modernisation de la gĂ©ographie a eu lieu en Argentine avec Elena Chiozza vers la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle. Elle a enrichi ses perspectives Ă  travers ses Ă©tudes dans diffĂ©rents domaines et c'est Ă  ce moment que la professionnalisation des sciences sociales a eu lieu. Ceci est un tournant important car auparavant, les Ă©tudes de gĂ©ographie Ă©taient orientĂ©es vers le monde acadĂ©mique tandis qu'avec l'approche sociale; la recherche, le travail et les professions non-acadĂ©miques ont commencĂ© Ă  se dĂ©velopper. Autrement dit, la gĂ©ographie de l'action a Ă©galement Ă©tĂ© Ă©tablie en Argentine Ă  travers la gĂ©ographie sociale.En reprennent la citation prĂ©cĂ©dente de Guy Di MĂ©o et Pascal Buleon, c’était dans ce moment-lĂ  que le concept d’espace est introduit dans les Ă©tudes gĂ©ographiques ainsi que les relations entre la sociĂ©tĂ© et l’organisation spatiale.

Ce nouveau courant est conflictuel avec la gĂ©ographie de Richard Hartshorne (un gĂ©ographe AmĂ©ricain naturaliste) laquelle Ă©tait prĂ©dominante Ă  l’époque ; la modernisation de la gĂ©ographie avait Ă©lĂ©ments de la thĂ©orie de la dĂ©pendance ainsi que marxistes, un exemple est la crĂ©ation du Journaux gĂ©ographiques « El PaĂ­s de los Argentinos » lequel parlait de inĂ©galitĂ©s, peuplements traditionnels face Ă  l’économie moderne, entre autres. Ce journaux fut diffusĂ© entre 1974 et 1974 en s’arrĂȘtent en raison de la dictature militaire (entre 1976 et 1983) et ce n’est jusqu’à les annĂ©es 1980 que la gĂ©ographie sociale a pu ĂȘtre rediffusĂ©e avec les nouveaux ouvrages « Aportes para el Estudio del Espacio SocioeconĂłmico » entre 1986 et 1989. Cette nouvelle phase montre des renouvelassions de perspectives, nous retrouvons encore des aspects marxistes inspirĂ©s par le gĂ©ographe brĂ©silien Milton Santos qui reconnaĂźt par exemple que l’espace social est construit de l’espace physique avec les caractĂ©ristiques de culture, pouvoir, et production, du lieu.

MalgrĂ© l'influence marxiste persistante dans l'histoire de la gĂ©ographie argentine, aujourd'hui les thĂšmes de recherche ont Ă©tĂ© renouvelĂ©s en se concentrant sur quatre thĂšmes principaux ; les questions environnementales, oĂč les risques et la vulnĂ©rabilitĂ© sociale sont au centre des Ă©tudes sur la dĂ©gradation de l'environnement, en second lieu, les Ă©tudes rurales et urbaines ont gagnĂ© en popularitĂ©, principalement dans l'analyse des dynamiques rurales et urbaines et comment cela se traduit par la production de zones rurales pĂ©riphĂ©riques, comme l'a indiquĂ© Barros[116]. Parmi les sujets les plus Ă©tudiĂ©s dans ce domaine figurent Ă©galement des Ă©tudes sur la mondialisation, les flux migratoires et leur contexte social, le renouvellement urbain et les politiques nĂ©olibĂ©rales, qui sont Ă©galement pertinentes pour la gĂ©ographie sociale italienne. TroisiĂšmement, la gĂ©ographie du genre a eu son Ă©poque populaire Ă  la fin des annĂ©es 1990 avec les mouvements fĂ©ministes, mais aujourd'hui la gĂ©ographie du tourisme est un Ă©tude qui gagne plus d'intĂ©rĂȘt dans la politique et Ă©conomie du pays, ainsi que par rapport aux impacts de l'environnement, le patrimoine et le dĂ©veloppement de la localitĂ©.

GĂ©ographie sociale en Asie du Sud Est

L'Asie du Sud-Est est une rĂ©gion englobant trop de situations et de cultures diffĂ©rentes pour en faire un tout homogĂšne[117]. Cependant certains traits communs peuvent ĂȘtre perçus, de par l'histoire de la rĂ©gion ponctuĂ©e d'importants flux migratoires, ainsi que par diverses colonisations occidentales.

Les gĂ©ographes de l'Asie du Sud-Est vont ĂȘtre rattachĂ©s Ă  des institutions publiques comme des universitĂ©s, ou, Ă  des institutions privĂ©es comme des ONG. Une institution publique qui est donc rattachĂ©e Ă  l'État va plutĂŽt orienter ses recherches sur des thĂ©matiques souhaitĂ©es. Certaines institutions portent une part importante de la recherche dans le domaine de la gĂ©ographie sociale en Asie du Sud-Est, c'est le cas de l'universitĂ© de Singapour.

La gĂ©ographie sociale dans cette rĂ©gion du monde a Ă©voluĂ© de façon rapide depuis les annĂ©es 1970, avec l'Ă©mergence de politiques sociales et culturelles portant un grand intĂ©rĂȘt Ă  la construction identitaire des individus. Ainsi l'identitĂ© nationale et la fixation des frontiĂšres Ă©tatiques dans les esprits sont des thĂšmes souvent abordĂ©s. Cependant la multitude d'appartenance socioculturelle des habitants qui traversent ces frontiĂšres gouvernementales montre bien la difficultĂ© d'imposĂ© Ă  tous les habitants des frontiĂšres Ă©tatique.

Cet volontĂ© de dĂ©coupage en États-nations, Ă  forte influence occidentale est un sujet souvent traitĂ© par les gĂ©ographes. La colonisation est Ă©tudiĂ©e par certains comme faisant partie d'un hĂ©ritage patrimonialisĂ© sĂ©lectif par le pouvoir en place, c'est le cas de Kroff. Mais d'une façon plus actuelles la colonisation est vue par des gĂ©ographes comme Ă©tant le fruit d'un soft-power anglo-saxon. Bunnell y expose d'ailleurs dans son Ă©tude des Twin Towers de Kuala Lumpur en Malaisie, l'intention de marquer dans l'espace, et de lĂ©gitimĂ© le pouvoir et l'idĂ©ologie portĂ© par les politiques en place, avec la construction de bĂątiments monumentaux, et prouvant une forte influence amĂ©ricaine sur ceux-ci. Selon Bryant, la reprĂ©sentation du pouvoir va alors passer par l'idĂ©e de dĂ©veloppement et de modernitĂ©, Ă©tant vĂ©hiculĂ© par l'idĂ©ologie occidentale du « progrĂšs », et pouvant alors passĂ© par une politique d'amĂ©nagement urbain, comme le Super Corridor MultimĂ©dia de Malaisie qui a pour ambition de connecter tout le territoire.

La question de la crĂ©ation identitaire est une thĂ©matique fondamentale de la gĂ©ographie de l'Asie du Sud-Est. Le gouvernement est d'ailleurs un acteur prĂ©dominant dans ces Ă©tudes. La volontĂ© du pouvoir en place de crĂ©er un imaginaire collectif, ainsi que d'y assoir sa lĂ©gitimitĂ© passe donc par l'espace, en y dĂ©ployant des symboliques visibles. Mais cela entraĂźne aussi en contrepartie par une marginalisation de groupe minoritaire, qui refusent de ce laisser dĂ©possĂ©der de leurs cultures et pratiquent, comme l'Ă  mis en avant l'Ă©tude de Berner et Korf en 1995 sur les rĂ©sistances Ă  la culture global Ă  Manille et Ă  Bangkok. Nicholas montre Ă  ce propos que la marginalisation de certains groupes de la population est marquĂ© pour certains par le stigmate d'« indigĂšne ». Un statut qui pour Bryant, rĂ©vĂšle la montĂ©e d'une idĂ©ologie occidentale Ă©cologiste sur des populations vue alors comme « traditionnelle ». Cependant d'autres Ă©tudes comme celle de Chang en 1997, viennent approfondir la position de ces groupes traditionnels, qui peuvent ĂȘtre mis en avant par des politiques Ă©conomiques tournĂ©es vers le tourisme, mais d'un autre cotĂ© rĂ©primandĂ©s si certaines pratiques vont Ă  l'encontre des normes de la sociĂ©tĂ©.

Dans cette ambivalence de l'État face Ă  l'acceptation de certains comportement par rapport Ă  la morale dĂ©finit. Des gĂ©ographes mettent en lumiĂšre le paradoxe encore plus important du positionnement de la femme dans certaines sociĂ©tĂ©s et son rĂŽle. Ainsi le genre et plus prĂ©cisĂ©ment le rĂŽle de la femme dans la sociĂ©tĂ© est une thĂ©matique trouvant beaucoup d'intĂ©rĂȘt par les chercheurs dans le domaine socio-spatial en Asie du Sud-Est. Dans la rĂ©gion les femmes sont souvent positionnĂ©es comme femme au foyer, un statut normatif du genre qui peut alors ĂȘtre politiquement renforcĂ© selon le pays. L'Ă©tude de Huang et Yeoh montre Ă  ce sujet l'incorporation progressive des femmes sur le marchĂ© du travail comme Ă  Singapour ou Ă  Hong Kong, ce qui Ă  progressivement fait Ă©voluer les idĂ©ologies du genre. Cette transformation a souvent Ă©tĂ© impulsĂ©e dans un premier temps par l'admission des femmes migrantes par le gouvernement sur le marchĂ© de l'emploi. MĂȘme si certaines femmes restent toujours en marge de ces Ă©volutions, les nouvelles gĂ©nĂ©rations de femmes se voient ĂȘtre de plus en plus contestataires et mobiles, des caractĂ©ristiques centrales dans la construction identitaire, selon Inge Komardjaja.

Enfin, les interactions entre chercheurs d'Asie du Sud-Est peuvent ĂȘtre compliquĂ©es par la diversitĂ© des langues dans lesquelles sont rĂ©digĂ©es les recherches. Cependant l'utilisation de plus en plus importante de l'anglais pourrait permettre la convergence et l'accroissement de la richesse des Ă©tudes interĂ©tatique dans la rĂ©gion[117].

Revues scientifiques de géographie sociale

Revues françaises

  • Justice spatiale | Spatial Justice

Revues Ă©trangĂšres

  • Social & Cultural Geography

Notes et références

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