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Familles de cépages

Les familles de cépages (proles et sorto-types) se sont diversifiées, depuis l'Úre tertiaire, période à laquelle est apparu la vigne (Vitis sp.). Ces mutations successives sont le fait des périodes de glaciations et de réchauffement de la planÚte qui ont contraint cette espÚce à s'adapter à des climats de plus en plus diversifiés.

Grappe de Proles Orientalis, cépage à gros grains

Histoire de la diversité des cépages

Les travaux et les recherches de Henri Enjalbert lui ont permis de déterminer que l'Albanie, les ßles Ioniennes de la GrÚce, et sud de la Dalmatie dans l'actuelle Bosnie-Herzégovine peuvent avoir été le dernier refuge européen de la vigne, aprÚs l'Úre glaciaire[1].

Louis Levadoux en a d'ailleurs conclu : « Ces alternances de concrescence et de fragmentation de son aire d'extension ont eu comme conséquence, tout en conservant à l'espÚce une homogénéité remarquable, de permettre à des formes locales de s'affirmer. Telle est l'origine des groupes climatiques de cépages [2]. »

Une seconde raison doit ĂȘtre prise en compte pour la diversification des cĂ©pages de l'Europe occidentale, mise en exergue par A. Bouquet : « Les grandes invasions des Huns, Burgondes, Wisigoths et autres vont faire disparaĂźtre tout commerce de vin, tandis que les Sarrasins vont dĂ©truire le vignoble. Les vignes cultivĂ©es qui Ă©chappĂšrent Ă  la destruction retournĂšrent Ă  l'Ă©tat sauvage et s'intĂ©grĂšrent aux populations de lambrusques qui peuplaient les forĂȘts, les buissons et les haies[3]. »

Laurent Bouby explique : « La gĂ©nĂ©tique plaide aujourd’hui pour une forte contribution du patrimoine gĂ©nĂ©tique des vignes sauvages d’Europe occidentale dans la constitution des cĂ©pages caractĂ©ristiques de ces rĂ©gions qui doivent donc ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme zones de domestication, primaire ou secondaire, de la vigne[4] ».

Ampélographie

L'ampélographie est l'étude des cépages et leur description, c'est aussi cette discipline qui s'intéresse à leur classification.

Pierre Charnay, inspecteur de l’I.N.A.O., a notĂ©[5]:

« Jusqu’au milieu du XXe siĂšcle, les ampĂ©lographes avaient pour identifier un cĂ©page l’habitude de dĂ©crire les caractĂšres morphologiques, biologiques et sensoriels qui le sĂ©paraient de ses voisins. Chacun recevait donc une dĂ©finition phĂ©notypique qui aboutissait Ă  une sorte d’isolement. »

Au dĂ©but des annĂ©es 1960, deux ampĂ©lographes russe et français, les professeurs Negrul et Levadoux, s’attachĂšrent, au contraire, Ă  mettre en Ă©vidence les caractĂšres qui pouvaient ĂȘtre communs Ă  plusieurs cĂ©pages. Toutes ces variĂ©tĂ©s, avant le phylloxĂ©ra, Ă©taient le rĂ©sultat d'un croisement naturel. La disparition des vignes sauvages (lambrusques) a stoppĂ© net ce mĂ©tissage et depuis, seul l'homme peut le rĂ©aliser.

Différentes classifications

Groupes écolo-géographiques de Negrul

L’ampĂ©lographe russe A. M. Negrul a dĂ©terminĂ© trois grands groupes Ă©colo-gĂ©ographiques de cĂ©pages qu’il a appelĂ©s proles.

Grappe de raisin de Géorgie représentative de Proles Pontica
Grosse grappe, rameuse et lùche de la région de Tajik, typique de Proles Orientalis
Riesling, cépage à petits grains appartenant à Proles Occidentalis

Proles Pontica

Cette catĂ©gorie vitis vinifera pontica correspond aux premiĂšres vignes cultivĂ©es en Asie mineure de la Transcaucasie (ArmĂ©nie et GĂ©orgie) Ă  la MĂ©sopotamie (sources de l'Euphrate et du Tigre). Sa diffusion jusqu'Ă  la mer Noire est due aux SumĂ©riens et aux Assyriens. Ce furent les PhĂ©niciens qui implantĂšrent ces variĂ©tĂ©s en Europe par la Sicile et la pĂ©ninsule IbĂ©rique. Cette catĂ©gorie regroupe des vignes Ă  grappes moyennes et compactes qui comprennent aussi bien des variĂ©tĂ©s Ă  raisins de table comme le corinthe (vitis vinifera apyrena) que des raisins Ă  double fin comme le cinsault ou la clairette. Actuellement ces vignobles s’étendent de la GĂ©orgie Ă  l’Espagne[6].

Proles Orientalis

Ce groupe (vitis vinifera orientalis), situé plus à l'est que le précédent, comprend exclusivement des vignes à raisins de table à grosses grappes, rameuses et lùches (Katta-Kourgan, Khalilé, Tcharas) ou des variétés apyrÚnes (Sultanine). Aujourd'hui, ces vignobles qui firent la renommée de Schiraz, se retrouvent essentiellement en Azerbaïdjan.

Proles Occidentalis

Cette famille (vitis vinifera occidentalis), a priori hĂ©tĂ©roclite, est originaire des vallĂ©es des grands fleuves mĂ©diterranĂ©ens (Haute vallĂ©e du Nil, vallĂ©e du RhĂŽne). RĂ©sultant du croisement entre des variĂ©tĂ©s de vitis vinifera pontica et de lambrusques locales, elle regroupe tous les cĂ©pages de cuve de l’Europe occidentale. On y retrouve des cĂ©pages Ă  petites baies comme le pinot, le cabernet, le riesling, le viognier, la syrah ou le mourvĂšdre ainsi que des cĂ©pages Ă  baies plus grosses tels le grenache ou le carignan[6]. ConsidĂ©rĂ© actuellement comme essentiellement rĂ©servĂ© Ă  la table, le chasselas (chasselas de Moissac, chasselas de Thomery) fut longtemps vinifiĂ© et le reste en Suisse, principalement autour du bassin lĂ©manique et en Valais, oĂč il prend le nom de fendant[6]. Longtemps considĂ©rĂ© comme un prole orientalis, des Ă©tudes gĂ©nĂ©tiques comparatives rĂ©centes, basĂ©es sur l'analyse des sĂ©quences microsatellites de plus de 500 cĂ©pages diffĂ©rents, ont conclu Ă  une origine initiale en provenance de la rĂ©gion situĂ©e entre la France, l'Italie, et la Suisse, correspondant vraisemblablement Ă  l'arc lĂ©manique et excluant dĂ©finitivement une origine orientale pour le chasselas[7].

Louis Levadoux, dans cette catégorie, classe ces différentes variétés parmi les cépages dits archaïques : « Ils sont caractérisés par une valeur vinique élevée et souvent par une saveur des baies qui rappelle celle des lambrusques et qui est d'autant plus accusée que l'on est en présence de formes plus archaïques. » Quant à Pierre Charnay, il souligne qu'il existe une sorte d'incompatibilité entre la grosseur et l'intensité aromatique des baies du raisin : « Les cépages à grosses baies sont peu parfumés tandis que les cépages à petites baies qui peuplent les vignobles occidentaux sont tous à la base de vins de grandes réputation[8]. »

Sorto-types de Levadoux

Les travaux ampĂ©lographiques de Louis Levadoux ayant mis en Ă©vidence des similitudes morphologiques constantes de cĂ©pages Ă  l’intĂ©rieur d’une zone de production bien dĂ©finie, il a Ă©tĂ© amenĂ© Ă  classer ces variĂ©tĂ©s par sorto-types.

Ses idées ont été confirmées à la depuis les années 1990, par deux équipes ampélographiques, celle de l'INRA de Montpellier menée par Jean-Michel Boursiquot et celle de l'université de Californie à Davis menée par Carole Meredith. Leurs résultats fondés sur l'analyse de sections d'ADN confirme l'origine génétique commune de nombre de familles décrites par Levadoux.

Carmenets

Merlot
Cabernet

D'aprĂšs Guy Lavignac[9] les carmenets viendraient du Pays basque espagnol. En 1994, Combret, un ampĂ©lographe, a trouvĂ© une lambrusque sauvage qui prĂ©sente des ressemblances fortes avec une vigne dĂ©crite dans l'AntiquitĂ©, l'acheria. Cette vigne sauvage a traversĂ© les PyrĂ©nĂ©es pour donner une population dans le sud-ouest de la France. Strabon, Pline puis Columelle vont dĂ©couvrir Burdigala et parler de culture de la vigne. Columelle cite mĂȘme le biturica, cĂ©page des Bituriges importĂ© des cĂŽtes galiciennes selon le gĂ©ographe Roger Dion. Les populations de ce cĂ©page trouvĂ©es dans les Landes de Gascogne, le BĂ©arn ou dans le vignoble de Bordeaux montrent une grande diversitĂ© gĂ©nĂ©tique.
Au Moyen Âge, les pùlerins de retour de Saint-Jacques-de-Compostelle vont ramener en France un cousin du cabernet franc, le fer servadou. La superposition de la carte des chemins de Saint Jacques avec celle de la diffusion du fer est frappante[10].
À partir de ces deux importations, des mutations gĂ©nĂ©tiques et des semis de pĂ©pins vont agrandir la famille. La carmĂ©nĂšre et le merlot vont apporter des arĂŽmes plus fruitĂ©s avant que les amours du cabernet franc et du sauvignon ne donnent un pĂ©pin Ă  la descendance florissante, le cabernet sauvignon[11].

Noiriens

Chardonnay
Pinot noir Ă  Santenay en Bourgogne

Lors de la conquĂȘte de la Gaule par les Romains, la culture de la vigne gagne toute la façade mĂ©diterranĂ©enne, mais la culture plus au nord se heurte Ă  une zone climatique dĂ©favorable. C'est la dĂ©couverte de l'allobrogica, cĂ©page des Allobroges, qui permettra la conquĂȘte du nord par la vigne. Depuis cette Ă©poque, les historiens recherchent ce fameux cĂ©page. Ils y ont vu la syrah N, la mondeuse N ou encore le pinot noir N.
Les ampélographes, en particulier à partir de Pierre Viala, vont regrouper les cépages par familles de caractÚres. Ainsi, les pinots noir, gris et blancs, le chardonnay B, le melon B, la gamay N ou l'aligoté sont-ils appelés les noiriens.

Carole Meredith de l'université de Californie à Davis va pratiquer des tests ADN sur les cépages bourguignons en 1998. Il en ressort que le pinot noir N et le gouais B ont donné naissance à tous les autres noiriens. C'est une surprise de taille puisque le gouais est depuis longtemps décrié, au point qu'il ne subsiste plus en France que dans les collections ampélographiques.

CĂ©pages du sud-ouest de la France

Dans le vignoble du sud-ouest, Guy Lavignac[12] cite aussi les familles des CotoĂŻdes, des FolloĂŻdes, des Chenins et des Gouais.

CotoĂŻdes

D'aprÚs Guy Lavignac[9], ampélographe spécialiste du vignoble du sud-ouest, ils seraient originaire pour certains d'entre eux du Quercy. En effet, c'est là que se situe le berceau du CÎt N et en 1850, M. Valdiguié y a trouvé le valdiguié N qui porte son nom à Puylaroque.
Il existe aussi une souche pyrénéenne avec le tannat N ou le lauzet B. Elle possÚde les caractÚres ampélographiques des cotoïdes, mais aussi le lobe médian rappelant les cépages pyrénéens. Est-elle descendante d'un cotÎïde venu du Quercy ou d'un métissage avec un cépage pyrénéen ? Il faudra attendre les résultats de tests génétiques pour en savoir plus.

FolloĂŻdes

D'aprÚs Guy Lavignac[9] les folloïdes viendraient du vignoble du sud-ouest, plus particuliÚrement de Gascogne. La folle blanche cépage à haut rendement a colonisé les vignobles à eau de vie, armagnac et cognac, mais aussi autrefois le vignoble de l'Entre-Deux-Mers. Il a rejoint la région nantaise ou il produit le gros plant du pays nantais. Le jurançon connaßtra un engouement lors de la replantation aprÚs le phylloxera grùce à ses rendements importants.

Les muscats, famille forte de plus de 150 cépages.

Les chenins, famille représentée majoritairement dans le vignoble du Val de Loire. Les cépages de cette famille qui sont cultivés hors de cette région ont été introduits récemment.

Les gouais, les membres de cette famille (Muscadelle, Blanc dame...) sont présents dans de nombreux pays. Les études montrent l'origine balkanique trÚs ancienne du gouais et sa nombreuse filiation.

Cépages rhodaniens et méditerranéens

C'est à partir de la fondation de Massalia par les Phocéens qu'a commencé le métissage entre les lambrusques locales (Vitis vinifera subsp. silvestris, la vigne sauvage) et les variétés de la Proles Orientalis et de la Proles Pontica apportées par les Grecs (Vitis vinifera subsp. vinifera).

J. AndrĂ© et L. Levadoux, en 1964, publiĂšrent une Ă©tude sur La vigne et le vin des Allobroges. Ils y dĂ©montraient que le fameux cĂ©page de l'antiquitĂ©, Vitis allobrogica Ă©tait une proto-mondeuse et qu'il y avait des similitudes morphologiques entre la syrah rhodanienne et la mondeuse savoyarde[13]. Il en Ă©tait de mĂȘme avec les cĂ©pages blancs que sont la roussanne, la marsanne et le viognier[14]. Ce faisant, ils mirent en Ă©vidence l'existence d'un sorto-type allobrogique ou famille des SĂ©rines[15].

Pierre Charnay a fait de mĂȘme dans son ouvrage consacrĂ© aux vignobles et vins des CĂŽtes-du-RhĂŽne. Il a regroupĂ© dans un sorto-type mĂ©diterranĂ©en indigĂšne les cĂ©pages locaux issus d'une croisement avec des variĂ©tĂ©s de la Proles Pontica. Il y classe outre la clairette et le cinsault, l'aspiran, le calitor, le tibouren et le picpoul.

CĂ©pages d'Europe centrale

L'Allemagne, l'Autriche, la Suisse, la France (Alsace, Jura) et le nord de l'Italie possÚdent des cépages apparentés. La famille des Traminers, probablement née en Italie, va gagner le nord. Arrivée en France, elle va donner une variante aromatique par sélection draconienne d'une mutation.

Notes et références

  1. Welcome to wines Albania
  2. Louis Levadoux, op. cit..
  3. Cf. A. Bouquet, Évolution de l'encĂ©pagement français, ProgrĂšs Agricole et Viticole, Montpellier, 1982.
  4. Laurent Bouby, ingĂ©nieur d’étude au CNRS-CBAE, Montpellier, Vins, vignes, pĂ©pins, production viticole aux temps anciens : la science mĂšne l’enquĂȘte ! sur le site cnrs.fr
  5. Cf. P. Charnay, Vignobles et vins des Cîtes-du-Rhîne, Éd. Aubanel, Avignon, 1985.
  6. Marcel Lachiver, op. cit., p. 22.
  7. [PDF] Étude historico-gĂ©nĂ©tique de l'origine du « Chasselas » par J.F. Vouillamoz et C. Arnold dans Revue suisse Vitic. Arboric. Hor tic., Vol. 41(5):299-307, 2009
  8. P. Charnay, op. cit..
  9. Guy Lavignac "CĂ©pages du sud-ouest, 2000 ans d'histoire", Éditions du Rouergue, 2001, (ISBN 2-84156-289-1)
  10. in "Guy Lavignac "CĂ©pages du sud-ouest, 2000 ans d'histoire", Éditions du Rouergue, 2001, (ISBN 2-84156-289-1), page 31
  11. Carole Meredith et le cabernet sauvignon
    • Guy Lavignac "CĂ©pages du sud-ouest, 2000 ans d'histoire", Éditions du Rouergue, 2001, (ISBN 2-84156-289-1)
  12. En 2000, les chercheurs de l’UniversitĂ© Davis, en Californie, et ceux de l’INRA de Montpellier, ont mis en Ă©vidence que la syrah Ă©tait le produit d’un croisement entre la dureza, cĂ©page noir de l’ArdĂšche, et la mondeuse blanche de Savoie.
  13. Le viognier, lui-mĂȘme, descend de la mondeuse blanche et constitue avec les autres cĂ©pages rhodaniens un sorto-type homogĂšne.
  14. Le serine était la dénomination de la syrah sur le terroir d'Ampuis.

Annexes

Bibliographie

  • A. M. Negrul et al., AmpĂ©lografia, Moscou, 1946 Ă  1956.
  • Louis Levadoux, La connaissance des cĂ©pages, Cahiers techniques de l'I.N.A.O., 1954.
  • Louis Levadoux, Les populations sauvages et cultivĂ©es de Vitis vinifera, Annales de l'amĂ©lioration des plantes, 1956.
  • Louis Levadoux, La Vigne et sa culture, P.U.F., Paris, 1961.
  • I. L. Mitchenka et A. M. Negrul, Catalogue variĂ©tal des collections ampĂ©lographiques de l’U.R.S.S., Yalta, 1962.
  • Jacques AndrĂ© et Louis Levadoux, La vigne et le vin des Allobroges, Journal des Savants, Vol. 3, no 3, p. 169-181, 1964
  • Marcel Lachiver, Vins, vignes et vignerons. Histoire du vignoble français, Ă©ditions Fayard, Paris, 1988 (ISBN 2-213-02202-X)
  • Guy Lavignac CĂ©pages du sud-ouest, 2000 ans d'histoire, Éditions du Rouergue, 2001, (ISBN 2-84156-289-1)

Articles connexes

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