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FTP-MOI de la région parisienne

Les FTP-MOI en région parisienne ou Groupe Manouchian, sont les unités de la Résistance communiste qui ont, à partir d'avril 1942, conduit la lutte armée dans la région parisienne, pendant la Seconde Guerre mondiale. Les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée) ont en effet été particulièrement bien représentés en région parisienne où résidaient un grand nombre d'étrangers. Comme l'ensemble des FTP-MOI, ceux de la région parisienne ont pu dépendre selon les périodes, de la direction de la MOI, de la commission nationale militaire des FTP (Francs-tireurs et partisans) ou même directement de la direction du PCF clandestin.

Groupe Manouchian
Cadre
Type
Réseau ou mouvement de résistance française
Pays

Implication de la MOI dans la lutte armée à partir de juillet 1941

En juillet 1941, lorsque le Parti communiste français (PCF) décide d'entrer dans la lutte armée à la suite de l'invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie, les groupes armés du PCF sont de deux types, l'Organisation spéciale (OS), qui était jusque là une sorte de service d'ordre du Parti et les groupes de jeunes nouvellement formés. L'OS était alors elle-même divisée en deux groupes, le groupe français dirigé par Jules Dumont et le groupe étranger, celui de la MOI, dirigé par le républicain espagnol Conrad Miret i Musté assisté du Hongrois Joseph Boczov[1]. Après l'arrestation de Miret-Muste en décembre 1941, Boczov prend sa place. Ce groupe OS-MOI sous la conduite de Boczov aurait été l'auteur de déraillements de convois militaires allemands dans la banlieue-est les 11 et 14 juillet 1941[1].

La création de la FTP-MOI

Après la création de ces divers groupes armés dans la deuxième moitié de l'année 1941, les communistes français se dotent d'un mouvement de lutte armée spécifique, les FTPF, officiellement créé en avril 1942 et qui sera progressivement ouvert aux non-communistes. À partir de la création des FTPF, la MOI reçoit la mission de créer ses propres groupes de lutte armée, les FTP-MOI[2].

Jacques Kaminski, membre du triangle de direction de la MOI eut énormément de mal à convaincre Boczov d'intégrer des jeunes aux vétérans qui avaient souvent l'expérience de la Guerre d'Espagne. Boczov a le soutien de Rol-Tanguy, mais la direction du Parti tranche pour la création rapide des FTP-MOI sur le modèle des FTP[2]. Boris Holban est nommé responsable militaire des FTP-MOI, et en tant que tel, il est en contact avec la direction de la MOI (Kaminski) et la direction des FTPF. Aux côtés de Boris Holban, le triangle de direction des FTP-MOI en région parisienne est complété par un responsable politique, le Tchèque Karel Stefka[3], et d'un responsable technique, le catalan Joaquim Olaso Piera[4]. Le responsable politique est chargé de recevoir les nouveaux combattants, d'assurer leur subsistance et d'entretenir leur formation politique, et le responsable technique supervise l'approvisionnement et le stockage des armes et des explosifs ainsi que la logistique des opérations[2].

Après sa crĂ©ation, la FTP-MOI de la rĂ©gion parisienne se structure en quatre « dĂ©tachements Â» et une Ă©quipe. Chaque dĂ©tachement est constituĂ© en fonction de la nationalitĂ© ou de la langue de ses membres : « dĂ©tachement roumain Â» dirigĂ© par Edmond Hirsch, « dĂ©tachement juif Â» sous la direction de Sevek Kirshenbaum constituĂ© essentiellement de juifs polonais, « dĂ©tachement italien Â» sous la direction de Marino Mazetti, et « dĂ©tachement des dĂ©railleurs Â» commandĂ© par Boczov et constituĂ© principalement d'anciens d'Espagne. Ă€ ces quatre dĂ©tachements s'ajoute l'Ă©quipe bulgare, pas assez nombreuse pour constituer un dĂ©tachement[2]. Le « dĂ©tachement juif Â» est en fait le prolongement de la section juive de la MOI qui se caractĂ©risait par l'usage de la langue yiddish pour le matĂ©riel de propagande destinĂ© aux populations yiddishophones, mais d'autres juifs sont prĂ©sents dans d'autres dĂ©tachements, notamment le « dĂ©tachement roumain Â» qui comprend des juifs roumains et hongrois.

En plus de ces cinq groupes de combat, l'organisation dispose aussi d'un service mĂ©dical et d'un service de renseignements, dirigĂ© par une Roumaine, Ă©tudiante en biologie, Cristina Boico. Les Espagnols, bien reprĂ©sentĂ©s dans la MOI sont particulièrement sous-reprĂ©sentĂ©s dans la FTP-MOI de la rĂ©gion parisienne. Ils seront plus actifs, dans le Sud-Ouest, avec la perspective de poursuivre la lutte armĂ©e sur le sol espagnol[2]. L'ossature des dĂ©tachements FTP-MOI est formĂ©e de permanents, appointĂ©s entre 2 000 et 2 300 francs (l'Ă©quivalent d'un salaire ouvrier). Les non-permanents constituent une main-d’œuvre d'appoint auxquels on peut faire appel pour une action ponctuelle[2].

L'année 1942

Les dĂ©buts des dĂ©tachements FTP-MOI furent extrĂŞmement difficiles pour le dĂ©tachement juif, le premier Ă  entrer en action : l'engin explosif prĂ©parĂ© pour une opĂ©ration prĂ©vue pour le 1er mai 1942 explose le soir du 25 avril en tuant les deux jeunes rĂ©sistants qui le mettaient au point. Une souricière tendue par la police fait tomber une dizaine d'autres militants qui sont fusillĂ©s au Mont-ValĂ©rien avec 85 otages. Après ces dĂ©boires, les premières actions du 31 mai et du 29 juin visent des ateliers juifs travaillant pour des Allemands. Lors de la dernière attaque, LĂ©on Pakin, combattant aguerri des Brigades internationales et le jeune Ă©tudiant Elie Wallach sont arrĂŞtĂ©s et fusillĂ©s le 29 juillet 1942. Le dĂ©tachement juif renonce ensuite aux attaques contre les petits patrons juifs[2].

Les autres dĂ©tachements prennent le relais du dĂ©tachement juif et mènent sept actions d'ambition modeste en juillet, onze en aoĂ»t et vingt en septembre : incendies, dĂ©pĂ´ts d'engins explosifs devant des locaux occupĂ©s par les Allemands, dĂ©raillements[2].

Plaque en mémoire de Domingo Tejero Pérez, parc des Buttes-Chaumont, à Paris.

La mise en œuvre de la Solution finale initiée en France en juillet 1942 avec la Rafle du Vel d'Hiv affecte fortement la section juive de la MOI. Les jeunes juifs étrangers qui s'étaient intégrés aux Jeunesses communistes sont invités à se rassembler au sein de la section juive. Dans les semaines qui suivent la rafle, une bonne centaine de jeunes se mobilisent ainsi dans le secteur de la propagande ou dans celui de la lutte armée donnant ainsi un nouvel élan aux FTP-MOI parisiens. L'enthousiasme des jeunes recrues est assorti d'une haine contre l'occupant et contre Vichy, la plupart d'entre elles ont au moins un membre de leurs familles victimes de la rafle[2].

Au cours de l'année 1942, les FTP dans leur ensemble ont subi de lourdes pertes qui culminent en janvier 1943 avec l'arrestation de tout l'état-major parisien (notamment Roger Linet). En même temps, à la fin 1942, les opérations des FTP-MOI deviennent plus ambitieuses avec notamment la pratique de l'attentat à la grenade contre des détachements allemands en déplacement à Paris. Les auteurs du Sang de l’Étranger dénombrent encore onze actions en octobre, dix en novembre et douze en décembre. C'est devant cette situation que la direction du PCF sera amenée à solliciter davantage des FTP-MOI[2].

La thèse selon laquelle les FTP-MOI auraient Ă©tĂ© les seules forces disponibles Ă  la fin de l'annĂ©e 1942, dĂ©fendue en 1985 par les auteurs du Sang de l’Étranger[2] et reprise en 2006 par l'un des auteurs, Denis Peschanski[5], a Ă©tĂ© remise en cause par Franck Liaigre en 2012[6]. Celui-ci souligne que la part des FTP-MOI dans l'ensemble des FTP parisiens n'a jamais dĂ©passĂ© les 50 %, mĂŞme si la montĂ©e en puissance des FTP-MOI est indĂ©niable Ă  partir de l'automne 1942 : 7,5 % Ă  l'Ă©tĂ© 1942, 25 % en dĂ©cembre 1942, 45 % en fĂ©vrier 1943, 40 % Ă  l'Ă©tĂ© 1943 et moins de 22 % en octobre 1943, juste avant les arrestations massives de novembre 1943[7].

L'apogée des FTP-MOI

Comme pour les autres mouvements de RĂ©sistance armĂ©e, le Service du travail obligatoire incite un certain nombre de rĂ©fractaires Ă  s'engager dans les FTP-MOI. D'autre part, les multiples arrestations conduisent Ă  un certain nombre de rĂ©organisations :

À la tête des FTP-MOI parisiens, Stefka, arrêté le 4 décembre 1942 est remplacé par le Bulgare Boris Milev, jusqu'en avril 1943 où ce dernier cède le poste de commissaire politique au Polonais Joseph Davidovitch alors que le responsable technique Olaso est remplacé par le Tchèque Alik Neuer[8]. Le premier détachement, roumain est complété par l'équipe bulgare et quelques Arméniens dont Missak Manouchian[9]. Le Roumain de Bessarabie, Joseph Clisci devient le responsable militaire du détachement[8].

Une « Ă‰quipe spĂ©ciale Â» formĂ©e de quelques combattants d'Ă©lite est constituĂ©e pour effectuer les coups de mains les plus audacieux : deux jeunes juifs, Marcel Rajman et Raymond Kojitsky, un jeune italien Spartaco Fontanot, supervisĂ©s par un Allemand plus expĂ©rimentĂ© Leo Kneler, ancien des Brigades internationales[8].

Le service de renseignement est de plus en plus sollicité pour repérer d'éventuels objectifs allemands, préparer les plans d'attaque et de repli. Les membres du service de renseignement ne participent jamais aux opérations. Les objectifs repérés sont toujours allemands, jamais français, pour ne pas prêter le flanc à la propagande de Vichy[8].

Ainsi rĂ©organisĂ©s, les FTP-MOI mettront en Ĺ“uvre 92 attentats au cours des six premiers mois de l'annĂ©e 1943. Trente-deux sont Ă  imputer au Deuxième dĂ©tachement, trente-et-un au Troisième, dix-huit au premier et onze au Quatrième. Ces attentats parviennent Ă  crĂ©er un certain sentiment d'insĂ©curitĂ© parmi les militaires allemands qui sont obligĂ©s de prendre des mesures de protection, par exemple devant les cinĂ©mas et théâtres frĂ©quentĂ©s par les soldats allemands[8].

On peut essayer de classer les 92 attentats des moins risquĂ©s — par exemple incendie d'un vĂ©hicule Ă  l'arrĂŞt —, aux plus risquĂ©s — attaque directe de dĂ©tachements ennemis —. Les attaques directes Ă  la grenade et au revolver reprĂ©sentent un peu moins de la moitiĂ© des attentats. Un certain nombre d'actions Ă©chouent d'une façon ou d'une autre : militaires allemands qui ripostent et tuent des rĂ©sistants, accidents de manipulation d'explosifs, fuyards arrĂŞtĂ©s par la police. NĂ©anmoins, au total, les pertes sont relativement faibles pour les six premiers mois de l'annĂ©e 1943.

Filatures, traques et répression

Depuis la dissolution du Parti communiste en septembre 1939, la police française rĂ©publicaine d'abord, puis, Ă  partir de juillet 1943, celle des gouvernements de Vichy n'a jamais cessĂ© de pourchasser les communistes. Au sein de la police, deux Brigades spĂ©ciales sont spĂ©cialement chargĂ©es de la lutte contre les « communo-terroristes » : la BS1 sous le commandement du commissaire David et la BS2 sous le commandement du commissaire Henocque. Les Brigades spĂ©ciales sont intĂ©grĂ©es aux Renseignements gĂ©nĂ©raux (RG). Au sein de ces mĂŞmes RG, la Troisième section, chargĂ©e en principe de la surveillance des « Ă©trangers et juifs non-terroristes Â» se rĂ©vèle pour les organisations juives de la MOI aussi efficace et nuisible que les BS. Les inspecteurs de la Troisième section sont de terribles chasseurs de juifs[10].

La BS2, impliquĂ©e dans la traque des FTP-MOI compte plus d'une centaine d'inspecteurs en 1944, rĂ©partis en cinq groupes dont le cinquième, dirigĂ© par le commissaire Gaston Barrachin s'occupera plus spĂ©cialement des FTP-MOI. Les filatures menĂ©es par la BS2 sont d'une grande efficacitĂ© : il fallait avant tout identifier et « loger », c'est-Ă -dire repĂ©rer le logement de la personne filĂ©e. De proche en proche, chaque filature donnait lieu Ă  d'autres filatures, l'arrestation n'intervenait qu'en dernière instance[11].

En décembre 1942, la deuxième brigade spéciale, la BS2 réussit son premier coup de filet : les policiers avaient installé une souricière au cabinet du docteur Léon Greif qui avait accepté de soigner les responsables des FTP-MOI. Ils parviennent ainsi à faire tomber Karel Stefka, Joaquin Olaso et leurs compagnes respectives, Edmond Hirsch et sa femme, et un certain nombre de militants de moindre responsabilité, au total trente-huit personnes arrêtées dont trente-trois sont remises aux Allemands. Ce résultat substantiel n'avait pas été obtenu par la seule souricière chez le docteur Greif, mais par un travail de fond avec des filatures organisées dès le mois de septembre. Boris Holban échappe par miracle à cette hécatombe[12].

Au cours des interrogatoires, les policiers se livrent à des opérations d'intoxication pour faire croire que tel ou tel responsable a trahi. Olaso et Holban sont ainsi suspectés par leurs camarades[12].

Au cours de la première moitiĂ© de l'annĂ©e 1943, trois grandes offensives seront menĂ©es par les Brigades spĂ©ciales et la Troisième section Ă  l'encontre d'organisations très proches des FTP-MOI ; la première offensive est dirigĂ©e contre l'organisation des jeunes Juifs oĂą militent une centaine de jeunes de quinze Ă  vingt deux ans. Le 18 fĂ©vrier, Ă  la suite de l'arrestation d'un jeune juif responsable d'un attentat contre un garage allemand, les policiers des BS2 commencent Ă  Puteaux la filature d'un jeune qui s’avèrera ĂŞtre Henri Krasucki, 18 ans, responsable des jeunes de la section juive. La filature qui s'Ă©tend rapidement Ă  un certain nombre de responsables des jeunes Juifs se poursuit jusqu'au 19 mars 1943 oĂą une intervention de la Troisième section des Renseignements gĂ©nĂ©raux, rivale de la BS2, oblige cette dernière Ă  conclure : au total, la BS2 arrĂŞte cinquante-sept militants de la section juive dont la plupart des responsables de la jeunesse parmi lesquels Krasucki. Adam Rayski Ă©chappe de justesse Ă  l'arrestation. Tous les jeunes interpellĂ©s sont battus et torturĂ©s avant d'ĂŞtre remis au SD allemand. Henri Krasucki est dĂ©portĂ© Ă  Auschwitz comme la plupart de ses camarades des jeunesses de la section juive. Seuls six d'entre eux sont rentrĂ©s[13].

Après la Jeunesse de la section juive, ce sera au tour de la direction de la MOI d'ĂŞtre prise aux filets non pas de la BS2 mais de la Troisième section des renseignements gĂ©nĂ©raux ; le triangle de direction de la MOI comprend Louis Grojnowski, Jacques Kaminski et Victor Blajek. Ce dernier est repĂ©rĂ© dès le 4 mars 1943. Après un mois de filature, le 14 avril, il fut dĂ©cidĂ© d'arrĂŞter toutes les personnes repĂ©rĂ©es, soit vingt-et-un cadres de la MOI dont Victor Blajek, les trois agents de liaison de Grojnowski et Jean JĂ©rĂ´me, très proche de la direction du PCF[14].

La troisième offensive des forces de rĂ©pression de Vichy conduit au dĂ©mantèlement de la section juive de la MOI. Elle se situe dans le prolongement de l'action contre l'organisation des jeunes juifs. La BS2 avait en effet pris soin de ne pas arrĂŞter tous les suspects qu'elle avait « logĂ©s Â». Il est ainsi possible de dĂ©velopper une nouvelle opĂ©ration de filatures de grande envergure entre le 23 avril et le 9 juillet. Au cours de cette opĂ©ration, cent-trois militants de la section juive sont repĂ©rĂ©s et parmi eux, soixante-dix-sept sont arrĂŞtĂ©s entre le 29 juin et le 9 juillet. Parmi ces cent-trois militants « repĂ©rĂ©s Â», quarante relèvent des FTP-MOI, et parmi eux, seize Ă©taient « logĂ©s Â»[15].

Le « Groupe Manouchian »

En juillet 1943, Missak Manouchian qui avait exécuté sa première opération armée au sein du Premier détachement le 4 mars est nommé commissaire technique des FTP-MOI parisiens. Un mois plus tard, il remplace Boris Holban au poste de commissaire militaire. Holban avait été démis de ses fonctions par Rol-Tanguy, adjoint de Joseph Epstein à la tête des FTP de la région parisienne[16] - [17], ce qui semble indiquer qu'à cette date, en région parisienne, les FTP-MOI étaient bien intégrés aux FTP, ce qui n'avait pas toujours été le cas[18]. Dans l'interrégion parisienne, les FTP-MOI se seraient vus attribuer la 10e région[19]. Joseph Epstein avait été nommé responsable des FTP parisiens vers février 1943 après le coup de filet qui avait décapité la direction parisienne des FTP (Roger Linet, Victor Rousseau)[20]. Le fait qu'Epstein soit juif polonais a peut-être facilité l'intégration des FTP-MOI dans les FTP. Holban avait été démis de ses fonctions car il contestait d'appliquer une directive qui préconisait d'engager une quinzaine de combattants par opération plutôt que trois ou quatre[21].

Ă€ la tĂŞte des FTP-MOI parisiens, aux cĂ´tĂ©s de Manouchian, on trouve Joseph Dawidowicz, responsable politique, Alfredo Terragni, dit Secondo, comme responsable technique et Abraham Lissner, responsable aux cadres[21]. En aoĂ»t 1943, les FTP-MOI parisiens disposent de soixante-cinq militants dont quarante combattants. En septembre, ils seront soixante-six et en octobre cinquante-et-un. Ă€ la suite des diffĂ©rentes hĂ©catombes des militants juifs, le Deuxième dĂ©tachement a Ă©tĂ© dissous, et le Premier a quasiment disparu depuis le dĂ©cès du chef de ce groupe, Joseph Clisci, au cours d'une opĂ©ration le 2 juillet. Les forces des FTP-MOI sont donc regroupĂ©es en trois groupes : le Troisième dĂ©tachement autour de Boczov, le Quatrième dĂ©tachement et l'Ă©quipe spĂ©ciale. En dĂ©pit de la faiblesse de l'effectif et de l'Ă©puisement de certains de ses membres, les trois groupes FTP-MOI effectuent dix-sept opĂ©rations par mois et mĂŞme dix-huit le mois d'octobre. L'action la plus spectaculaire est l'exĂ©cution par l'Ă©quipe spĂ©ciale du gĂ©nĂ©ral SS Julius Ritter, qui supervisait l'exĂ©cution du Service du travail obligatoire en France. L'Ă©quipe Ă©tait composĂ©e de Marcel Rajman, Leo Kneler, Spartaco Fontanot et Celestino Alfonso[21].

On peut dater du 28 juillet le début de l'opération de filatures qui aboutit en novembre 1943 au démantèlement complet des FTP-MOI. Marcel Rajman pénètre au 68 boulevard Soult, un immeuble qui était sous surveillance de la police. Rayman avait déjà été repéré lors de la filature de l'organisation des jeunes juifs au début de l'année 1943, mais d'après un policier interrogé à la Libération, il fit partie de ceux que le commissaire Barrachin ne voulait pas arrêter pour pouvoir faire rebondir la filature. Les membres de l'équipe de Rajman sont ainsi repérés[22].

Les policiers ouvrent une autre piste le 8 septembre, qui les conduit Ă  « loger Â» l'ensemble des dĂ©railleurs du Quatrième dĂ©tachement, y compris leur chef Boczov[22]. En suivant Boczov, la BS2 localise Manouchian dès le 24 septembre, et quatre jours plus tard, les policiers assistent Ă  la rencontre hebdomadaire entre Manouchian et son supĂ©rieur Epstein. Le 18 octobre, c'est au tour de Dawidowicz d'ĂŞtre « repĂ©rĂ© Â» et « logĂ© Â». Les arrestations commencent le 26 octobre après que la police a assistĂ© presque en direct Ă  un dĂ©raillement organisĂ© par le Quatrième dĂ©tachement dont deux hommes sont interpellĂ©s. IndĂ©pendamment de cette opĂ©ration Dawidowcz est arrĂŞtĂ© et il donne un certain nombre d'informations Ă  la police ; grâce Ă  ces informations, la police prend connaissance du niveau de responsabilitĂ© de Manouchian et d'Epstein, arrĂŞtĂ©s le 16 novembre lors de leur rencontre hebdomadaire Ă  Évry-Petit-Bourg. La chute des deux dirigeants dĂ©clenche l'arrestation immĂ©diate des trente-cinq militants qui avaient Ă©tĂ© repĂ©rĂ©s au cours de la filature. Seuls cinq d'entre eux parviendront Ă  passer entre les mailles du filet. Au total, l'opĂ©ration aura permis Ă  la police d'apprĂ©hender soixante-huit personnes. Selon le rapport de la BS2, les soixante-huit personnes arrĂŞtĂ©es se dĂ©composent en trente-trois « aryens » dont dix-neuf Ă©trangers (onze Italiens et trois ArmĂ©niens), et trente-quatre Juifs dont trente Ă©trangers. Ving-et-une femmes figurent parmi les soixante-huit[22].

Le procès et l'Affiche rouge

Vingt-quatre des combattants arrêtés au cours de la filature de novembre comparaissent devant la cour martiale du tribunal allemand auprès du commandement du Grand-Paris dans un procès qui s'ouvre à Paris le . De ce procès qui est mené de façon très expéditive, on ne connaît que le verdict qui fut reproduit par une presse sous contrôle, les autres détails du procès étant très contradictoires. Vingt-trois des personnes jugées sont condamnées à mort, la vingt-quatrième ayant été mêlée au procès par erreur. Le , les vingt-deux hommes sont fusillés au fort du Mont-Valérien, et la seule femme, Olga Bancic, responsable du dépôt d'armement, est envoyée à Stuttgart pour y être décapitée le 10 mai 1944[23]. La plupart des hommes sont enterrés dans le cimetière d'Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, où une stèle a été érigée en leur mémoire. Parmi les vingt-deux condamnés à mort, se trouvent Manouchian et Boczov, mais pas Epstein qui ne comparait pas à ce procès mais est jugé avec quarante autres FTP français arrêtés après le coup de filet de novembre 1943[22]. Il sera fusillé au Mont-Valérien le [24].

Ă€ la suite du procès, les Allemands lancent une vaste campagne de propagande en faisant placarder une affiche rouge devenue cĂ©lèbre exhibant les identitĂ©s et les photographies de Manouchian et neuf Ă©trangers condamnĂ©s au procès et intitulĂ©e « Des libĂ©rateurs ? La libĂ©ration par l'armĂ©e du crime ! Â»[25].

Historiographie, débats et controverses

Sur la responsabilité de la direction du PCF

En 1985, Mosco Boucault réalise un documentaire, Des terroristes à la retraite[28]. Dans ce long métrage, qui met en scène Simone Signoret en voix off, Mélinée, l'épouse de Missak Manouchian, accuse la direction de l'époque du Parti communiste français (PCF) d'avoir lâché, voire vendu, le groupe Manouchian pour des raisons tactiques[29]. Dès le 14 juin 1985, avant la diffusion télévisée, Mélinée Manouchian répète devant les journalistes ce qu'elle affirme dans le film, sa conviction que son mari, Missak Manouchian, a été sacrifié avec ses hommes par le chef militaire des FTP Main d'œuvre immigrée, Boris Holban[30]. Le film apporte le témoignage de Louis Grojnowski, qui fut de 1942 à 1945 l'agent de liaison entre Jacques Duclos, un des dirigeants du PCF clandestin en l'absence de Maurice Thorez aux côtés de Benoît Frachon, Auguste Lecœur et Charles Tillon, et la direction de la MOI, témoignage dans lequel cet homme clef, resté fidèle à son Parti, déclare « Par mesure de sécurité, on a envoyé des militants se cacher (...) Mais il fallait qu'il en reste pour combattre. Oui, dans chaque guerre il y a des sacrifiés ».

En 1986, l'historien Philippe Robrieux publiait un livre dans lequel il accusait plus précisément Jean Jérôme, proche de la direction du PCF d'avoir été à la source du coup de filet de novembre 1943[31].

En 1989, les trois historiens Stéphane Courtois et Denis Peschanski et Adam Rayski réfutent complètement la thèse d'un abandon volontaire des combattants FTP-MOI par la direction du PCF en se basant sur les archives policières dans lesquels on pouvait suivre parfaitement tous les éléments qui aboutirent au coup de filet de novembre 1943. Le fait que le commissaire politique des FTP-MOI, Joseph Dawidowicz ait parlé n'avait pas été déterminant dans la réussite du coup de filet, et en aucun cas il n'apparaissait que la direction du PCF ait pu ou ait voulu sacrifier le groupe[32]. La thèse d'une machination de la direction du PCF ne fut plus jamais reprise. Un documentaire diffusé sur France 2 le 15 mars 2007, conseillé par Denis Peschanski, s'aligne sur ce qui est maintenant la version reconnue par tous les historiens.

L'Ă©valuation des pertes ennemies

À l'aide des archives policières où ils ont retrouvé des rapports de police, mais aussi les rapports internes des résistants, les historiens ont pu reconstituer approximativement la liste des attentats exécutés par les détachements FTP-MOI. L'évaluation des pertes réelles subies par les Allemands reste toutefois hasardeuse. Néanmoins, il est apparu qu'un certain nombre d'ouvrages basés sur des souvenirs ou des témoignages allaient dans le sens de l'exagération. Ainsi, Albert Ouzoulias, qui fut Commissaire militaire national des FTP écrivait-il en 1975 pour illustrer la nouvelle politique d'organiser des attentats avec des groupes de 10 ou 15 combattants[33] :

« Nous savions qu'un détachement allemand, chaque jour, à la même heure, montait au pas de l'oie, par une avenue montant à l’Étoile … Au passage du détachement, trois grenades explosent, arrêtent le pas de l'oie, définitivement pour des dizaines de soldats nazis et provisoirement pour d'autres … Au cours de cette opération un seul camarade fut légèrement blessé à la main par un coup de feu tiré par les Allemands »

En 1989, les auteurs du Sang de l’Étranger notent qu'aucune source ne vient confirmer la réalité de cette opération de grande ampleur[34].

En fait, les auteurs des attentats Ă©taient souvent dans l'incapacitĂ© de dresser le bilan des opĂ©rations effectuĂ©es. Ainsi le rapport mensuel des FTP-MOI de juillet 1943 fait-il Ă©tat de l'attentat contre le gĂ©nĂ©ral Ernst Schaumburg (de)le 29 juillet 1943 :

« Dans la voiture, il y avait le général, son aide de camp et son chauffeur... L'explosion a eu lieu à l'intérieur de la voiture… ses occupants ont été déchiquetés. »

En fait, l'opération a bien eu lieu, Leo Kneler a bien lancé une grenade, mais Le général Schaumburg avait été remplacé le 1er mai, ce n'était pas son remplaçant qui était dans la voiture, mais un lieutenant-colonel, et la grenade a explosé derrière la voiture[35].

Une autre opĂ©ration cĂ©lèbre est celle qui fut exĂ©cutĂ©e par le Premier dĂ©tachement commandĂ© par Joseph Clisci le 2 juillet 1943 au matin. Il s'agissait d'attaquer un autobus transportant des soldats allemands Ă  Clichy. Poursuivi, Clisci se rĂ©fugia dans une cave oĂą il fut mortellement touchĂ© par des balles allemandes. Se basant sur le rapport d'activitĂ© des FTP-MOI, une sĂ©rie d'auteurs tirent de cet Ă©pisode le mĂŞme rĂ©cit Ă©pique : L'attaque du bus a parfaitement rĂ©ussi, la première grenade a atteint son effet, le chauffeur du bus a Ă©tĂ© tuĂ© d'une balle dans la tĂŞte, la deuxième grenade lancĂ©e par Clisci sur ses poursuivants tue 6 soldats allemands. Ensuite, du soupirail de sa cave, il dĂ©charge 7 balles de son pistolet sur les Allemands, se suicidant avec la dernière balle[36].

Sur la base des diffĂ©rents rapports de police, Franck Liaigre a pu Ă©tablir que cet attentat n'avait pas Ă©tĂ© la rĂ©ussite totale rapportĂ©e par les autres auteurs : la grenade qui avait atterri sur la plate-forme du bus et avait Ă©tĂ© repoussĂ©e du pied ne fit aucune victime allemande. Clisci avait blessĂ© grièvement l'un des deux poursuivants français en lui tirant une balle dans le ventre ; Depuis la cave oĂą il s'Ă©tait rĂ©fugiĂ©, il ne blessa lĂ©gèrement qu'un seul Feldgendarme allemand. Il ne s'est pas suicidĂ©, mais touchĂ© par plusieurs balles allemandes, il est mort Ă  l'HĂ´pital Beaujon[37].

Bibliographie

Filmographie

Liens externes

Références

  1. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 5, p. 117-142.
  2. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 6, p. 143-170.
  3. Daniel Grason, Gérard Larue, « STEFKA Karel alias MATUCH Karol », dans Le Maitron, Maitron/Editions de l'Atelier, (lire en ligne)
  4. Daniel Grason, Gérard Larue, « OLASO PIERA, Joaquim dit Emmanuel alias MARTIN Jean », dans Le Maitron, Maitron/Editions de l'Atelier, (lire en ligne)
  5. Denis Peschanski, article « Francs-tireurs et partisans de la Main-d’œuvre immigrée » dans Dictionnaire historique de la Résistance, dir. François Marcot, p. 187-188.
  6. Franck Liaigre, « Les Francs-Tireurs et Partisans (FTP) face à la répression. Une autre approche de l'histoire de la résistance par Franck Liaigre », sur theses.fr (consulté le )
  7. Franck Liaigre, Les FTP, nouvelle histoire d'une résistance, Perrin, 2014, p. 124-125.
  8. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 11, p. 261-271.
  9. Stéphane Courtois, article « Missak Manouchian » dans Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.
  10. Jean-Marc Berlière et Laurent Chabrun, Les policiers français sous l'Occupation, Perrin, 2001 p. 138-148 et 268-272.
  11. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 9, p. 221-241.
  12. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 17, p. 171-187.
  13. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 8, p. 189-219.
  14. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 10, p. 243-260.
  15. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 12, p. 273-301.
  16. Boris Holban, Testament, Calmann-LĂ©vy, 1989, p. 177-179.
  17. Roger Bourderon, Rol-Tanguy, Tallandier, 2004
  18. Emmanuel de Chambost, La direction du PCF dans la clandestinité, les cyclistes du Hurepoix, L'Harmattan, 1997, p. 233-236.
  19. Franck Liaigre, Les FTP, nouvelle histoire d'une résistance, Perrin, 2014, p. 122. On ne retrouve malheureusement pas dans l'ouvrage ce que recouvre la 10e région.
  20. Liaigre, p. 249-250.
  21. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 13, p. 303-333.
  22. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 14, p. 335-370.
  23. En application du manuel de droit criminel de la Wehrmacht, une femme ne pouvait pas être fusillée (Benoît Rayski, L'Affiche rouge – 21 février 1944, éditions du Félin, 2004, p. 116).
  24. Jean Maitron et Claude Pennetier, article Joseph Epstein dans Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.
  25. Denis Peschanski, article « Affiche rouge » dans Dictionnaire historique de la Résistance, dir. François Marcot, p. 996-997.
  26. Dominique Buffier, « Avec Henri Karayan, "l’Affiche rouge" a perdu son avant-dernier survivant », sur lemonde.fr, (consulté le )
  27. Voir dans la bibliographie, le récit écrit par D. Goldenberg
  28. (en) Fiche du documentaire Des terroristes Ă  la retraite sur IMDb.
  29. Jean-Francois Lixon, « Après la disparition d'Arsène Tchakarian, les œuvres inspirées par l'Affiche rouge et le Groupe Manouchian », Culturebox,‎ (lire en ligne, consulté le )
  30. Journal de l'année, p. 88, Larousse, Paris, 1986.
  31. Philippe Robrieux, L'affaire Manouchian, 1986
  32. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989.
  33. Albert Ouzoulias, Les fils de la nuit, Grasset, p. 354 ; Jean Maitron et Claude Pennetier ont repris cette version des faits dans l'article Joseph Epstein du
  34. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 14, p. 327.
  35. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski 1989, chapitre 14, p. 318.
  36. Page de gloire des 23, brochure communiste, 1951, p. 128 ; Gaston Laroche, On les nommait des Ă©trangers, les immigrĂ©s dans la RĂ©sistance, Les Ă©diteurs français rĂ©unis, 1965, p. 95 ; Philippe Ganier-Raymond, L'Affiche rouge. Juifs Ă©trangers, communistes, ils furent les premiers rĂ©sistants, Marabout, 1985, p. 218-223 (1re Ă©dition 1975) ; Boris Holban, Testament, Calmann-LĂ©vy, 1989, p. 142 ; Courtois, Peschanski et Rayski, Le sang de l'Ă©tranger, Fayard, 1989, p. 316 ; ces derniers auteurs reprennent la mĂŞme trame en se montrant plus prudents sur l'estimation des pertes ennemies
  37. Franck Liaigre, Les FTP, nouvelle histoire d'une résistance, Perrin, 2014, pp.14-15
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