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ConquĂȘte musulmane du Maghreb

La conquĂȘte musulmane du Maghreb (en arabe : Ű§Ù„ÙÙŽŰȘÙ’Ű­Ù Ű§Ù„Ű„ŰłÙ’Ù„ÙŽŰ§Ù…ÙÙŠÙÙ‘ لِلمَŰșÙ’Ű±ÙŰšÙ) s'inscrit dans la continuitĂ© des premiĂšres conquĂȘtes musulmanes suivant la mort de Mahomet en 632 et vise les territoires contrĂŽlĂ©s par les BerbĂšres et les Byzantins en Afrique du Nord.

ConquĂȘte musulmane du Maghreb
Informations générales
Date 647-709
Lieu Maghreb
Issue Victoire omeyyade
Changements territoriaux Le Maghreb passe sous contrĂŽle omeyyade.

Batailles

DĂ©clinĂ©e en trois Ă©tapes, la conquĂȘte musulmane du Maghreb dĂ©bute avec la bataille de SufĂ©tula en 647 et s'achĂšve avec la perte par l'Empire byzantin de ses derniĂšres forteresses restantes au profit du califat omeyyade, en 709.

Historiographie

Les premiers rĂ©cits arabes qui nous sont parvenus sont ceux d'Ibn Abd-al-Hakam, Al-Baladhuri et Ibn Khayyat, tous Ă©crits au IXe siĂšcle, soit environ 200 ans aprĂšs les premiĂšres invasions. Ils ne sont pas trĂšs dĂ©taillĂ©s. Dans le cas du plus informatif, La ConquĂȘte de l'Égypte, de l'Afrique du Nord et de l'Espagne par Ibn Abd al-Hakam, Robert Brunschvig[1] montre qu'il a Ă©tĂ© Ă©crit en vue d'illustrer les points de la loi maliki plutĂŽt que de documenter l'histoire, et que certains des Ă©vĂ©nements qu'il dĂ©crit sont probablement historiques.

À partir du XIIe siĂšcle, les lettrĂ©s de Kairouan commencent Ă  construire une nouvelle version de l'histoire de la conquĂȘte, finalisĂ©e par Ibrahim ibn ar-Raqiq. Cette version est copiĂ©e dans son intĂ©gralitĂ©, et parfois interpolĂ©e par des auteurs postĂ©rieurs, finalisĂ©e au XIVe siĂšcle, avec des savants tels que Ibn Idhari, Ibn Khaldoun et Al-NowaĂŻri. Elle diffĂšre des prĂ©cĂ©dentes versions en ce qu'elle donne des rĂ©cits contradictoires des Ă©vĂ©nements. Cependant, c'est la version la plus connue, utilisĂ©e pour l'article ci-dessous. Une controverse constante porte sur la fiabilitĂ© des deux versions.

En dĂ©finitive, la conquĂȘte dans son ensemble comporte beaucoup de points obscurs. Les sources sont tardives, elles s'appuient sur des traditions orales d'origines trĂšs diverses ; le problĂšme Ă©tant intrinsĂšque au genre des documents. Les livres de Maghazi (conquĂȘtes musulmanes) sont souvent l'Ɠuvre de juristes (cadi) dont la finalitĂ© est de prĂ©ciser dans quelles conditions les diffĂ©rentes provinces adoptent l'Islam, car, c'est de ces conditions que dĂ©coule le statut juridique des terres et des personnes. Or, ceux-ci laissent aux gens la possibilitĂ© de revendiquer le rĂ©gime le plus libĂ©ral, ils acceptent par consĂ©quent les rĂ©cits les plus contradictoires[2].

ConquĂȘte (647-709)

Prélude

En 642, les Arabes sont prĂ©sents Ă  Barqa et Ă  Tripoli. L’Égypte est conquise. Ceux qui, parmi les Coptes, ne supportent pas le pouvoir byzantin, accueillent les Arabes en libĂ©rateurs[3]. D'autres sources cependant indiquent que non seulement les Coptes n'ont pas apprĂ©ciĂ© leur venue, mais qu'ils les ont combattus aux cĂŽtĂ©s des Romains[4]. Al-Fustat est fondĂ©e, qui sert de base arriĂšre Ă  la conquĂȘte.

Omar, second calife des Rachidoune, refuse d’annexer l’Afrique (actuelle Tunisie, et AlgĂ©rie orientale) et s’oppose Ă  toute expĂ©dition. Il meurt en 644, et son successeur, Othman ibn Affan, dĂšs 647, autorise les premiers raids[5]. La mĂȘme annĂ©e, une expĂ©dition est prĂ©parĂ©e et placĂ©e sous la direction du gouverneur d'Égypte, Abdallah ibn Saad.

PremiĂšre invasion (647-648)

Carte du monde méditerranéen à l'époque de la révolte de Grégoire le Patrice en 650.

La premiĂšre invasion de la province d'Afrique est dirigĂ©e par Abdallah ibn Saad en . 20 000 Arabes partent de MĂ©dine, dans la pĂ©ninsule arabique, 20 000 autres les rejoignent Ă  Memphis, en Égypte, et Abdallah les conduit vers l'Exarchat de Carthage. L'Afrique byzantine est sous l'autoritĂ© de GrĂ©goire le Patrice qui a profitĂ© des dissensions religieuses entre l'Église et l'empereur pour se dĂ©clarer indĂ©pendant ; il se porte devant l'armĂ©e arabe estimĂ©e Ă  20 000 hommes[5], mais est battu lors de la bataille de SufĂ©tula en 647. Si GrĂ©goire n'est peut-ĂȘtre pas tuĂ© dans la bataille[note 1], la province de ByzacĂšne reste dĂ©sormais sans dĂ©fense face Ă  la convoitise des Arabes. Ceux-ci passent alors plusieurs mois Ă  piller la province, en menant des opĂ©rations notamment dans la rĂ©gion de Capsa (actuelle Gafsa) et dans celle de Thysdrus (actuelle El Jem)[6].

Ruines de la cité romaine de Sufétula (actuelle Sbeïtla, en Tunisie).

Le successeur de GrĂ©goire, Gennadios II, assure le retrait des arabes en Ă©change d'un lourd tribut[7]. La campagne arabe a durĂ© 14 ou 15 mois, et les armĂ©es d'Abdallah regagnent l'Égypte en 648[8].

Toutes les autres conquĂȘtes musulmanes sont interrompues par une guerre civile entre les factions arabes rivales qui entraĂźne l'assassinat du calife Othman en 656. Il est remplacĂ© par Ali ibn Abi Talib, qui est assassinĂ© en 661. Le califat omeyyade s'Ă©tablit alors Ă  Damas, et le calife Muawiyah commence Ă  consolider son empire de la mer d'Aral Ă  la frontiĂšre occidentale de l'Égypte. Il met un gouverneur en place en Égypte Ă  Fostat, crĂ©ant un siĂšge de pouvoir subordonnĂ© qui se poursuit pendant les deux siĂšcles suivants. Il continue ensuite l'invasion des pays voisins non-musulmans, attaquant la Sicile, et l'Anatolie en 663. En 664, Kaboul, en Afghanistan, tombe sous le joug des armĂ©es musulmanes.

Un second raid de reconnaissance a lieu en 665, Ă  la fin de la Grande discorde et aprĂšs l'assassinat de Othman ibn Affan. Ce second raid sous la direction de Muawiyah, s'intĂ©resse aux villes du Nord. Sousse est assiĂ©gĂ©e et prise dit-on par Abdallah Ibn al-ZoubaĂŻr. Cette seconde Ă©tape montre une meilleure connaissance du terrain et de la tactique des byzantins. Une vraie conquĂȘte peut dĂ©sormais ĂȘtre organisĂ©e, ce qui sera l'Ɠuvre de Oqba Ibn Nafi al-Fihri[9].

Seconde invasion (665-689)

Les années 665 à 689 voient une nouvelle invasion musulmane de l'Afrique.

Elle dĂ©bute, selon Will Durant, afin de protĂ©ger l'Égypte « d'une attaque sur le flanc de la part de la citĂ© byzantine de CyrĂšne[10] ». Ainsi, « une armĂ©e de plus de 40 000 musulmans s'est avancĂ© Ă  travers le dĂ©sert Ă  Barqa, l'a pris, et est allĂ©e aux environs de Carthage », battant une armĂ©e byzantine de 20 000 hommes dans le processus.

Vient ensuite en 670, une armĂ©e composĂ©e de 10 000 cavaliers arabes, et plusieurs milliers de Luwata (tribu berbĂšre originaire de Tripolitaine) prosĂ©lytes[11] dirigĂ©e par Oqba Ibn Nafi al-Fihri[12]. L'expĂ©dition mĂšne Ă  la fondation de Kairouan, crĂ©Ă©e pour des invasions futures ; Kairouan devient la capitale de la province omeyyade d'Ifriqiya, et sera l'un des principaux centres culturels musulman du Moyen Âge.

AprĂšs cela, comme l'Ă©crit Edward Gibbon, le gĂ©nĂ©ral Oqba « pĂ©nĂ©tra dans l’intĂ©rieur des terres ; il traversa le dĂ©sert oĂč ses successeurs ont Ă©levĂ© les brillantes capitales de Fez et de Maroc ; et il arriva enfin au rivage de la mer Atlantique et Ă  la frontiĂšre du grand dĂ©sert[13] ». Le gĂ©nĂ©ral assiĂšge la ville cĂŽtiĂšre de Saldae (actuelle BĂ©jaĂŻa, en AlgĂ©rie), malgrĂ© une rĂ©sistance vigoureuse des habitants[14], ainsi que Tingis (actuelle Tanger).

Mais ici, il est arrĂȘtĂ© et partiellement repoussĂ©. Luis Garcia de Valdeavellano Ă©crit :

« Dans leur lutte contre les Byzantins et les BerbÚres, les chefs arabes avaient considérablement étendu leurs possessions en Afrique, et au début de l'année 682, Oqba Ibn Nafi atteignait les cÎtes de l'Atlantique, mais il fut incapable d'occuper Tanger, car il a été contraint de rebrousser son chemin vers les monts de l'Atlas par un homme que l'histoire et la légende ont retenu sous le nom de comte Julien[15]. »

Comme l'Ă©crit Edward Gibbon, « cependant ce nouvel Alexandre, qui soupirait aprĂšs de nouveaux mondes, ne put garder les rĂ©gions qu’il venait d’envahir. La dĂ©fection gĂ©nĂ©rale des Grecs et des Africains le rappela des rivages de l’Atlantique[16] ».

À son retour de l'expĂ©dition (qui n'aurait pas pu rĂ©ellement dĂ©passer la vallĂ©e du ChĂ©lif, et la MĂ©diterranĂ©e[17]), l'armĂ©e de Oqba est prise en embuscade Ă  Tahouda par une armĂ©e berbĂšre et byzantine dirigĂ©e par le chef berbĂšre KoceĂŻla[18]. Lors de cette bataille, Oqba ibn Nafi et son lieutenant Abou al-Mouhajir Dinar sont tuĂ©s, ainsi que les 300 membres de la cavalerie personnelle d'Oqba. KoceĂŻla marche sur Kairouan et s'empare de la citĂ© ; ce qui reste de l'armĂ©e musulmane se retire en CyrĂ©naĂŻque.

Puis, ajoute Gibbon : « Zobeir, qui fut le troisiĂšme gĂ©nĂ©ral ou le troisiĂšme gouverneur de l'Afrique, vengea la mort de son prĂ©dĂ©cesseur et eut la mĂȘme destinĂ©e. Il remporta plusieurs victoires sur les naturels du pays ; mais il fut accablĂ© par une grande armĂ©e que Constantinople envoya au secours de Carthage[19] ».

Pendant ce temps, une nouvelle guerre civile entre rivaux pour la monarchie fait rage en Arabie et en Syrie. Il en résulte d'une série de quatre califes entre la mort de Muawiya en 680 et l'avÚnement d'Abd al-Malik ibn Marwan en 685 ; la lutte ne prend fin qu'en 692, avec la mort du chef rebelle.

TroisiĂšme invasion (698-709)

L’avĂšnement de Hassan Ibn Numan provoque un retour de l'ordre interne qui permet au calife de reprendre la conquĂȘte musulmane du Maghreb. Il commence par l'invasion renouvelĂ©e de l'Ifriqiya. Edward Gibbon Ă©crit :

« Hassan, gouverneur de l’Égypte, fut chargĂ© du commandement des troupes : on destina Ă  cette expĂ©dition le revenu de l’Égypte et quarante mille hommes. Dans les vicissitudes de la guerre, les Sarrasins avaient alternativement subjuguĂ© et perdu les provinces intĂ©rieures ; mais la cĂŽte de la mer Ă©tait toujours au pouvoir des Grecs : les prĂ©dĂ©cesseurs de Hassan avaient respectĂ© le nom et les fortifications de Carthage ; et le nombre de ses dĂ©fenseurs Ă©tait augmentĂ© des habitans de CabĂ©s et de Tripoli qui s’y Ă©taient rĂ©fugiĂ©s. Hassan fut plus hardi et plus heureux ; il rĂ©duisit et pilla la mĂ©tropole de l’Afrique ; ce fut, disent les historiens, au moyen d’échelles ; ce qui fait penser qu’il s’épargna par un assaut les ennuyeuses opĂ©rations d’un siĂšge[20] ».

Mais l'Empire byzantin rĂ©pond avec des troupes venues Constantinople, unies par des soldats et des navires siciliens, et un puissant contingent de Wisigoths d'Hispanie. Cela force l'armĂ©e omeyyade a retourner Ă  Kairouan. Alors, Ă©crit Edward Gibbon : « les chrĂ©tiens firent leur dĂ©barquement ; les citoyens saluĂšrent la banniĂšre de la croix, et l’hiver fut inutilement employĂ© Ă  s’entretenir dans de vaines chimĂšres de victoires ou de dĂ©livrance[21] ».

Au printemps suivant, cependant, les Arabes lancent un nouvel assaut par voie maritime et terrestre, obligeant les Byzantins et leurs alliés à évacuer Carthage. Les Arabes abattent les civils, détruisent la ville et la brûlent, laissant la région désolée pendant les deux siÚcles suivants. AprÚs le départ de la force principale des Byzantins et de leurs alliés, une autre bataille est menée prÚs d'Utique, et les Arabes sont de nouveaux victorieux, obligeant les Byzantins à laisser cette partie de l'Afrique du Nord pour de bon.

Cela se suit d'une rĂ©bellion berbĂšre contre les nouveaux seigneurs arabes. Edward Gibbon Ă©crit : « Les tribus indĂ©pendantes prirent sous le drapeau de leur reine Cahina une sorte d’accord et de discipline ; et comme les Maures attribuaient Ă  leurs femmes le don de prophĂ©tie, ils attaquĂšrent les musulmans de leur pays avec un fanatisme Ă©gal au leur. Les vieilles troupes de Hassan ne pouvaient suffire Ă  la dĂ©fense de l’Afrique ; les conquĂȘtes d’une gĂ©nĂ©ration furent perdues en un jour ; le gĂ©nĂ©ral arabe, entraĂźnĂ© par le torrent, se retira sur les frontiĂšres de l’Égypte[22] ».

Vers 698, la reine berbÚre Kahina rencontre les troupes du général Hassan Ibn Numan, prÚs de la riviÚre nini dans le nord de l'AurÚs, et les bat lors de l'affrontement qui s'ensuit. Hassan quitte l'Ifriqiya et s'enfuit en Cyrénaïque[23].

4 ou 5 annĂ©es s'Ă©coulent avant que Hassan ne reçoive de troupes fraĂźches du calife. Pendant ce temps, les habitants des villes de l'Afrique du Nord se frictionnent sous le rĂšgne berbĂšre. Ainsi, Hassan est favorablement accueilli Ă  son retour. Edward Gibbon Ă©crit que « Cahina fut tuĂ©e dĂšs la premiĂšre bataille[24] », Ă  Tabarka.

Les Arabes subjuguent la plupart du Maghreb aux Byzantins. La rĂ©gion est divisĂ©e en trois provinces : l'Égypte avec son gouverneur Ă  Al-Fustat, l'Ifriqiya avec son gouverneur Ă  Kairouan et le Maghreb al-Aqsa (Maroc moderne) avec son gouverneur Ă  Tanger.

Moussa Ibn NoçaĂŻr, un gĂ©nĂ©ral yĂ©mĂ©nite, est nommĂ© gouverneur de l'Ifriqiya et est chargĂ© de mĂąter une nouvelle rĂ©bellion berbĂšre et de convertir la population Ă  l'islam. La rĂ©bellion est mĂątĂ©e et la campagne d'islamisation s'avĂšre ĂȘtre un succĂšs, car de nombreux BerbĂšres se convertissent Ă  l'islam et sont mĂȘme entrĂ©s dans son armĂ©e en tant que soldats et officiers, incluant probablement Tariq Ibn Ziyad, le futur conquĂ©rant de la pĂ©ninsule ibĂ©rique.

Moussa doit également faire face à la marine byzantine qui lutte toujours contre les envahisseurs musulmans. Il construit donc une marine qui parvient à conquérir les ßles chrétiennes d'Ibiza, de Majorque et de Minorque.

Fin de la conquĂȘte (709)

D'ici 709, toute l'Afrique du Nord est sous le contrĂŽle du califat omeyyade. La seule exception possible est Ceuta. Edward Gibbon dĂ©clare : « Les rois d’Espagne possĂ©daient alors, ainsi qu’à prĂ©sent, la forteresse de Ceuta, l’une des colonnes d’Hercule, qui n’est sĂ©parĂ©e que par un dĂ©troit de peu de largeur de l’autre colonne, qui est la pointe de l’Europe, il restait encore aux Arabes Ă  conquĂ©rir le petit canton de la Mauritanie ; mais Musa, qui dans l’orgueil de sa victoire avait attaquĂ© Ceuta, fut repoussĂ© par la vigilance et le courage du comte Julien, gĂ©nĂ©ral des Goths[25] ».

D'autres sources, cependant, soutiennent que Ceuta reprĂ©sente le dernier avant-poste byzantin en Afrique et que Julien, que les Arabes appellent Ilyan, est un exarque byzantin. Valdeavellano offre une autre possibilitĂ© : « Comme il semble plus probable, il [le comte julien] a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© un BerbĂšre qui Ă©tait le seigneur et le maĂźtre de la tribu catholique des Ghomaras[26] ».

En tout cas, Ă©tant un diplomate habile dans la politique wisigoth, berbĂšre et arabe, Julien a bien pu se rendre Ă  Moussa dans des termes qui lui ont permis de conserver son titre et son commandement.

À cette Ă©poque, la population de Ceuta comprend de nombreux rĂ©fugiĂ©s de la guerre civile wisigoth qui a Ă©clatĂ© en Hispanie pour la succession du roi Wittiza. Il s'agit notamment de la famille et des confĂ©dĂ©rĂ©s du dĂ©funt roi, des chrĂ©tiens ariens et des juifs fuyant les conversions forcĂ©es imposĂ©es par l'Ă©glise nicĂ©enne trinitaire wisigothique.

D'aprĂšs Gibbon, Moussa reçoit un message inattendu de Julian, « qui offrait aux successeurs de Mahomet sa personne, son Ă©pĂ©e, la place qu’il commandait[27] » au chef musulman en Ă©change de soutien dans la guerre civile. Bien qu'« il avait de grands biens, des partisans audacieux et en grand nombre[28] », il « avait beaucoup Ă  craindre et peu Ă  espĂ©rer du nouveau rĂšgne[28] ». Ce dernier est trop faible pour dĂ©fier directement RodĂ©ric. Il cherche donc l'aide de Moussa.

Pour Moussa, Julien, « maĂźtre de l’Andalousie et de la Mauritanie, ... tenait en ses mains les clefs de la monarchie d’Espagne[28] ». Ainsi, Moussa ordonne des raids initiaux sur la cĂŽte sud de la pĂ©ninsule ibĂ©rique en 710. Au dĂ©but de la mĂȘme annĂ©e, Tariq ibn Ziyad - trĂšs probablement un berbĂšre convertis Ă  l'islam - prend Tanger. Moussa le fait alors gouverneur lĂ -bas, soutenu par une armĂ©e de 6 700 hommes.

709 est la date de l'achĂšvement officiel de la conquĂȘte. En 711, les premiers contingents musulmans passent en Andalousie. Ils dĂ©barquent Ă  Gibraltar.

Tariq ibn Ziyad envahis, peut ĂȘtre de sa propre initiative, la pĂ©ninsule ibĂ©rique. Partant de Ceuta Ă  bord des navires fournis par le comte Julien, il dĂ©fait le roi wisigoth RodĂ©ric lors de la bataille du Guadalete, et assiĂšge ensuite la capitale wisigothique de TolĂšde. Lui et ses soldats prennent Ă©galement Cordoue, Écija, Grenade, Malaga, SĂ©ville et d'autres villes.

Raisons de la défaite

D'aprĂšs l'historien Gabriel Camps, la conquĂȘte musulmane est facilitĂ©e par la faiblesse des Byzantins qui ont dĂ©truit le royaume vandale et reconquis une partie de l’Afrique en 533. Mais l’Afrique byzantine n’est plus l’Afrique romaine. Depuis deux siĂšcles, ce territoire est en proie Ă  de nombreux soulĂšvement berbĂšres, et alors mĂȘme que la conquĂȘte musulmane est commencĂ©e, une nouvelle querelle, nĂ©e de l’initiative de l’empereur Constant II, celle du Typos, dĂ©chire encore l’Afrique chrĂ©tienne. Bien que peu nombreux, les Arabes ne trouvent pas en face d’eux un État prĂȘt Ă  rĂ©sister Ă  une invasion, mais des opposants successifs : le patrice byzantin, puis des chefs berbĂšres, principautĂ©s aprĂšs royaumes, tribus aprĂšs confĂ©dĂ©rations. Quant Ă  la population citadine, de culture punico-berbĂšre, elle reste enfermĂ©e dans les murs de ses villes. Bien que fort nombreuse, elle n’a ni la possibilitĂ©, ni la volontĂ© de rĂ©sister longtemps. La capitation imposĂ©e par les Arabes (un impĂŽt nommĂ© en arabe « kharaj »), n'est guĂšre plus lourde que les exigences du fisc byzantin[8].

En mĂȘme temps s’accroĂźt la complexitĂ© sociologique, voire ethnique, du pays. Aux romano-berbĂšres des villes et des campagnes, parfois trĂšs mĂ©ridionales, et aux BerbĂšres non-romanisĂ©s, se sont ajoutĂ©s les nomades « zĂ©nĂštes », les Laguatans[note 2] et leurs Ă©mules, les dĂ©bris du peuple vandale, le corps expĂ©ditionnaire et les administrateurs byzantins qui sont des Grecs. Cette sociĂ©tĂ© devient de plus en plus cloisonnĂ©e dans un pays oĂč s’estompe la notion mĂȘme de l’État. C’est donc dans une Afrique dĂ©sorganisĂ©e, appauvrie et dĂ©chirĂ©e qu’apparaissent, au milieu du VIIe siĂšcle, les conquĂ©rants musulmans.

Christianisme berbĂšre aprĂšs la conquĂȘte musulmane

Le point de vue historique conventionnel est que la conquĂȘte musulmane du Maghreb a effectivement mis fin au christianisme dans la rĂ©gion pour plusieurs siĂšcles[29]. La vision dominante est que l'Église Ă  cette Ă©poque ne possĂ©dait pas la fermetĂ© d'une tradition monastique et souffrait encore des suites d'hĂ©rĂ©sies, y compris de l'hĂ©rĂ©sie dite donatiste, et cela a contribuĂ© Ă  l'effacement prĂ©coce de l'Église au Maghreb[30]. Certains historiens le contrastent avec la forte tradition monastique en Égypte copte, qui est crĂ©ditĂ© comme un facteur qui a permis Ă  l'Église copte de rester la foi majoritaire dans ce pays jusqu'aux environs du XIVe siĂšcle, malgrĂ© de nombreuses persĂ©cutions.

Cependant, une nouvelle Ă©tude est apparue qui conteste cette situation. Il y a des rapports selon lesquels le christianisme a persistĂ© en Tripolitaine (actuelle Libye occidentale), et dans l'actuel Maroc pendant plusieurs siĂšcles aprĂšs la fin de la conquĂȘte musulmane en 709. Des communautĂ©s de chrĂ©tiens autochtones se sont maintenues dans le sud tunisien, sans bĂ©nĂ©ficier d’apports extĂ©rieurs venus raviver leur foi.

En 1076, il ne restait plus que deux Ă©vĂȘques catholiques en Afrique, Cyriaque Ă  Carthage et un autre Ă  Hippone[31].

Une communauté chrétienne est enregistrée en 1114 à Qal'a dans le centre de l'Algérie. Il y a également des preuves de pÚlerinages religieux aprÚs 850 dans des tombes de saints chrétiens en dehors de la ville de Carthage, et des signes de contacts religieux avec les chrétiens d'al-Andalus. En outre, les réformes calendaires adoptées en Europe à cette époque ont été diffusées parmi les chrétiens indigÚnes de Tunis, ce qui n'aurait pas été possible s'il n'y avait pas eu de contact avec Rome.

À partir du xie siĂšcle, le christianisme local fait l'objet de pressions lorsque les rĂ©gimes fondamentalistes berbĂšres musulmans Almohades et Almoravides sont arrivĂ©s au pouvoir, et les textes montrent des persĂ©cutions, et des demandes qui ont poussĂ© les chrĂ©tiens locaux de Tunis Ă  se convertir Ă  l'Islam. Certains auteurs attribuent mĂȘme la disparition du christianisme maghrĂ©bin aux Almohades et leur fanatisme religieux[note 3]. Il y a encore des rapports sur les habitants chrĂ©tiens et un Ă©vĂȘque dans la ville de Kairouan vers 1150 - un rapport important, puisque cette ville a Ă©tĂ© fondĂ©e vers 670 par les arabo-musulmans en tant que centre administratif aprĂšs leur conquĂȘte. Une lettre du XIVe siĂšcle montre qu'il y avait toujours quatre Ă©vĂȘchĂ©s en Afrique du Nord, certes une forte baisse, car il existait plus de quatre cents Ă©vĂȘchĂ©s au moment de la conquĂȘte musulmane[32]. Les chrĂ©tiens berbĂšres ont continuĂ© de vivre Ă  Tunis et Ă  Nefzaoua dans le sud de la Tunisie jusqu'au dĂ©but du XVe siĂšcle, et « au premier quart du xve siĂšcle, nous lisons mĂȘme que les chrĂ©tiens indigĂšnes de Tunis, quoique bien assimilĂ©s, ont Ă©tendu leur Église, peut-ĂȘtre parce que les derniers des chrĂ©tiens persĂ©cutĂ©s de tout le Maghreb s'Ă©taient rassemblĂ©s ici[33] ».

S'agissant du Maghreb central, il existe encore dans la deuxiĂšme moitiĂ© du XIe siĂšcle, prĂšs de la porte occidentale de Tlemcen, quelques sanctuaires, oĂč le culte chrĂ©tien continuait Ă  ĂȘtre cĂ©lĂ©brĂ©, quatre siĂšcles aprĂšs la conquĂȘte musulmane ; par contre, dĂ©jĂ  en ce XIe siĂšcle, il n y avait plus dans la petite ville d'Alger, bĂątie sur l'ancienne citĂ© romaine d'Icosium, qu'une Ă©glise en ruines et absolument dĂ©sertĂ©e[34].

Au xixe siĂšcle, lorsque les Français ont conquis l'AlgĂ©rie et la Tunisie, le christianisme local est Ă©teint. La croissance du christianisme dans la rĂ©gion aprĂšs la conquĂȘte de la France est assurĂ©e par les colons europĂ©ens ; toutefois, leurs descendants (dits pieds-noirs en AlgĂ©rie) sont majoritairement partis lorsque ces pays sont devenus indĂ©pendants, en 1956 pour la Tunisie et en 1962 pour l'AlgĂ©rie.

Références

Notes

  1. La plupart des textes arabes signalent la mort de GrĂ©goire dans la bataille, mais en l’insĂ©rant dans un rĂ©cit manifestement lĂ©gendaire sur le destin de sa fille. Au contraire, dans sa Chronique (Ă©d./trad Chabot, t. II, Paris, 1904, p. 440-441) Michel le Syrien signale que l’exarque survĂ©cut et fit aprĂšs la dĂ©faite sa soumission Ă  l’empereur Constant II (cf. notre article « GrĂ©goire », dans EB, t. XXI, Aix, 1999, p. 3211-3213). Cette version n’est pas Ă  dĂ©daigner car une des traditions rapportĂ©es par Al-Baladhuri indique aussi que ce fut le patrice, sans donner de nom, aprĂšs la dĂ©faite de SbeĂŻtla, qui nĂ©gocia la paix et l’indemnitĂ© versĂ©e aux Arabes (trad. Hitti et Murgotten, t. 1, p. 357).
  2. également nommés Leuathae dans les sources byzantines, et Luwata dans les sources arabes.
  3. Parmi ceux qui attribuent la fin du christianisme aux Almohades, voir entre autres H.R. Idris, ''La BerbĂ©rie orientale'', p. 761 ; Ch. Courtois, « GrĂ©goire VII et l’Afrique du Nord, remarques sur les communautĂ©s chrĂ©tiennes d’Afrique au XIe siĂšcle », ''Revue Historique'', CXCV (1945), p. 121 ; Robert Brunschvig, ''La BerbĂ©rie orientale sous les កafáčŁides des origines Ă  la fin du XVe siĂšcle'', Paris, Adrien-Maisonneuve, 1982, I, p. 5 ; J. Cuoq, ''L’Église d’Afrique du Nord du IIe au XIIe siĂšcle, Paris, Le Centurion, 1984'', p. 179. Ils se fondent Ă©galement sur al-MarrĂąkushĂź, ''KitĂąb al-Mu‘djib fĂź talkhĂźáčŁ akhbĂąr al-Maghrib'', Ă©d. R. Dozy, Amsterdam, Oriental Press, 1968, p. 223, qui Ă©crit qu’à son Ă©poque, sous le rĂšgne de Ya‘qĂ»b (1184-1198), juifs et chrĂ©tiens ne bĂ©nĂ©ficient plus du statut de ''dhimmĂź'' et qu’il n’y a plus dans le Maghreb ni synagogue ni Ă©glise.

Références

  1. Robert Brunschvig, Ibn Abd al-Hakam et la conquĂȘte de l'Afrique du Nord par les arabes, Al-Andalus, , p. 129-179
  2. Laraoui 2001, p. 79.
  3. Frédéric Soreau, L'Egypte, Editions Jean-paul Gisserot, (ISBN 978-2-87747-517-4, lire en ligne), p. 44
  4. (en) Atallah Mansour, Narrow Gate Churches : The Christian Presence in the Holy Land Under Muslim and Jewish Rule, Hope Publishing House, , 327 p. (ISBN 978-1-932717-02-0, lire en ligne), p. 103
  5. Diehl 1896, p. 558.
  6. Modéran 2013, p. 685.
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  • Al-Baladhuri (trad. de l'arabe), Livre des conquĂȘtes des pays [« Futuh al-Buldan »]
  • Ibrahim ibn ar-Raqiq (trad. de l'arabe), Histoire de l’IfriqiyĂą et du Maghreb [« TĂąrĂźkh IfriqiyĂą wa al-Maghrib »]
  • Ibn Idhari (trad. de l'arabe), Histoire de l'Afrique du Nord et de l'Espagne musulmane intitulĂ©e "Kitab al-Bayan al-Mughrib" [« Kitāb al-bayān al-mughrib fÄ« ākhbār mulĆ«k al-andalus wa'l-maghrib »]
  • Ibn Khaldoun (trad. William Mac Guckin de Slane), Histoire des BerbĂšres et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale, t. I, Imprimerie. du Gouvernement, , 604 p. (lire en ligne)
  • Ibn Khaldoun (trad. William Mac Guckin de Slane), Histoire des BerbĂšres et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale, t. III, Imprimerie. du Gouvernement, , 542 p. (lire en ligne)

Sources contemporaines

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  • Charles Diehl, L'Afrique byzantine : histoire de la domination byzantine en Afrique (533-709), Paris, Ernest Leroux, , 644 p. (lire en ligne)
  • Edward Gibbon (trad. François Guizot), Histoire de la dĂ©cadence et de la chute de l'Empire romain, vol. 10, , 552 p. (lire en ligne)
  • Hichem DjaĂŻt, La fondation du Maghreb islamique, Sfax, Amal, (ISBN 9973-51-596-X)
  • Louis BrĂ©hier et Albin Michel, BibliothĂšque de l'Ă©volution de l'humanitĂ©,
  • Abdallah Laroui, L'histoire du Maghreb : Un essai de synthĂšse, Casablanca, Centre Culturel Arabe, , 390 p.

Annexes

Articles connexes

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