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USS Scorpion (SSN-589)

L'USS Scorpion (SSN-589) est un sous-marin nuclĂ©aire d'attaque amĂ©ricain de la classe Skipjack et le sixiĂšme bĂątiment de l'US Navy Ă  porter ce nom. Le Scorpion est perdu en mer le 22 mai 1968, avec 99 marins Ă  son bord, dans des circonstances toujours floues. L'USS Scorpion est l'un des deux sous-marins nuclĂ©aires que l'US Navy ait perdus, le second Ă©tant l'USS Thresher[1]. Il est l'un des quatre sous-marins Ă  avoir mystĂ©rieusement disparu en 1968 ; les autres Ă©tant le sous-marin israĂ©lien INS Dakar, le sous-marin français Minerve et le sous-marin soviĂ©tique K-129.

USS Scorpion
illustration de USS Scorpion (SSN-589)
En surface le 22 août 1960 au large de New London, Connecticut

Type Sous-marin nucléaire d'attaque
Classe Skipjack
Histoire
A servi dans Pavillon de l'United States Navy United States Navy
Chantier naval Chantier naval Electric Boat de Groton au Connecticut
Commandé 31 janvier 1957
Quille posée 20 août 1958
Lancement 19 décembre 1959
Armé 29 juillet 1960
Statut Disparu en mer le 22 mai 1968
Équipage
Équipage 8 officiers, 75 hommes
Caractéristiques techniques
Longueur 76,8 m
MaĂźtre-bau 9,7 m
Tirant d'eau 9,1 m
DĂ©placement 2 930 tonnes (surface)
3 124 tonnes (plongée)
Propulsion 1 réacteur nucléaire S5W
Caractéristiques militaires
Armement 6 tubes lance-torpilles de 533 mm
2 torpilles Mark 45
CarriĂšre
Port d'attache New London
Norfolk
Indicatif SSN-589
Localisation
CoordonnĂ©es 32° 54,9â€Č nord, 33° 08,89â€Č ouest
Géolocalisation sur la carte : océan Atlantique
(Voir situation sur carte : océan Atlantique)
USS Scorpion
USS Scorpion

L'Ă©pave qui a Ă©tĂ© retrouvĂ©e au bout de cinq mois de recherches se trouve Ă  une profondeur de 3 300 mĂštres non loin de l'archipel des Açores. L'opĂ©ration d'exploration de l'Ă©pave a Ă©tĂ© menĂ©e sous le couvert de la dĂ©couverte de l'Ă©pave du Titanic en 1985[2] - [3].

Service

Lancement de l'USS Scorpion.

La quille de l'USS Scorpion est posĂ©e le 20 aoĂ»t 1958 au chantier naval Electric Boat, une filiale de General Dynamics Corporation, basĂ©e Ă  Groton dans le Connecticut. Il est lancĂ© le 19 dĂ©cembre 1959, sous le parrainage d'Elizabeth S. Morrison, la fille du dernier commandant du dernier navire Ă  avoir portĂ© le mĂȘme nom, l'USS Scorpion (qui sera perdu corps et biens en 1944). Le Scorpion est commissionnĂ© le 29 juillet 1960, et son commandement est confiĂ© Ă  Norman B. Bessac.

Service (1960–1967)

L'USS Scorpion est affectĂ© Ă  la Submarine Squadron 6, Division 62, il quitte la base navale de New London le 24 aoĂ»t pour une mission de deux mois dans les eaux europĂ©ennes. Durant cette mission, il participe Ă  des exercices avec des unitĂ©s de la VIe flotte et des navires de pays membres de l'OTAN. À son retour en Nouvelle-Angleterre Ă  la fin du mois d'octobre, il s'entraĂźne sur la cĂŽte est des États-Unis jusqu'au mois de mai 1961. Le 9 aoĂ»t 1961, le Scorpion rentre Ă  New London, avant de partir pour Norfolk, un mois plus tard. En 1962, il obtient une Navy Unit Commendation.

La base navale de Norfolk sera le port d'attache du Scorpion pour le reste de sa carriĂšre, il s'y spĂ©cialise dans les tactiques de dĂ©tection des sous-marins nuclĂ©aires. Alternant les rĂŽles de chasseur et de chassĂ©, il participe Ă  des exercices le long de la cĂŽte atlantique, autour des Bermudes et de Puerto Rico. De juin 1963 Ă  mai 1964, il interrompt ses opĂ©rations et est placĂ© en pĂ©riode d'entretien Ă  Charleston. Il reprend du service Ă  la fin du printemps, avant d'ĂȘtre Ă  nouveau interrompu du 4 aoĂ»t au 8 octobre pour une patrouille transatlantique. Au printemps 1965, il conduit une patrouille similaire dans les eaux europĂ©ennes.

À la fin de l'hiver 1965, au dĂ©but du printemps et Ă  l'automne 1966, le Scorpion est dĂ©ployĂ© pour des opĂ©rations spĂ©ciales. AprĂšs avoir menĂ© Ă  bien ces missions, son commandant reçoit une Navy Commendation Medal (en) pour son remarquable leadership, sa prĂ©voyance et ses compĂ©tences professionnelles. D'autres officiers et marins du Scorpion sont Ă©galement citĂ©s pour leurs rĂ©alisations mĂ©ritoires. En 1966, le Scorpion parvient Ă  entrer dans une mer intĂ©rieure russe au cours d'un « Northern Run » et Ă  filmer le lancement de missiles soviĂ©tiques Ă  travers son pĂ©riscope avant de rĂ©ussir Ă  s'enfuir poursuivi par des navires de la marine soviĂ©tique.

RĂ©parations (1967)

Kiosque de l'USS Scorpion

Le , le Scorpion est envoyĂ© pour entretien et rĂ©parations au Norfolk Naval Shipyard pour y subir une rĂ©vision complĂšte. Cependant, Ă  la place de cette rĂ©vision complĂšte, seules les rĂ©parations d'urgence sont effectuĂ©es avant que le bĂątiment ne soit remis en service. Le programme SUBSAFE[4] - [5] requerrait un allongement de la durĂ©e des interruptions pour rĂ©parations, de 9 Ă  36 mois. Un examen minutieux de la qualitĂ© des composants du sous-marin Ă©tait nĂ©cessaire dans le cadre de SUBSAFE, couplĂ© avec diverses amĂ©liorations et une intensification des inspections structurelles — des inspections de la coque en particulier au moyen d'ultrasons — et la rĂ©duction de l'accessibilitĂ© aux piĂšces vitales telles que les conduites d'eau de mer. Les tensions dues Ă  la guerre froide obligeaient les officiers de la Submarine Fleet Atlantic (SUBLANT) Ă  chercher des moyens pour raccourcir les dĂ©lais ; la rĂ©paration du Scorpion sera donc courte et ne coĂ»tera qu'un septiĂšme des sommes normalement dĂ©pensĂ©es pour la rĂ©vision d'un sous-marin nuclĂ©aire Ă  l'Ă©poque. Il s'agit du rĂ©sultat de prĂ©occupations concernant le « pourcentage Ă©levĂ© de temps hors-service » des sous-marins nuclĂ©aires d'attaque, estimĂ© Ă  environ 40 % du temps de service total.

La portĂ©e de la rĂ©vision complĂšte du Scorpion, prĂ©vue Ă  l'origine, est rĂ©duite : et la mise aux normes SUBSAFE attendue depuis longtemps, avec notamment l'installation d'un nouveau systĂšme central de contrĂŽle des vannes, n'est pas effectuĂ©e. Plus grave, son systĂšme d'urgence — celui-lĂ  mĂȘme qui avait causĂ© la perte du Thresher — n'est pas corrigĂ©. Alors que le Charleston Naval Shipyard affirme que le systĂšme de remplissage d'urgence du principal ballast (Emergency Main Ballast Tank Blow - EMBT) fonctionnait en l'Ă©tat, SUBLANT affirme au contraire que ce systĂšme Ă©tait dĂ©fectueux et l'EMBT « marquĂ© » ou rĂ©pertoriĂ© comme inutilisable. Les problĂšmes perçus, relatifs Ă  la durĂ©e de rĂ©vision, ont conduit Ă  des retards sur tous les travaux de mise aux normes SUBSAFE en 1967.

Le CNO, l'amiral David Lamar McDonald, valide la révision abrégée du Scorpion le 17 juin 1966. Le 20 juillet, McDonald diffÚre les améliorations SUBSAFE, considérées comme non essentielles jusqu'en 1968.

Service (1967-1968)

L'USS Tallahatchie County en compagnie du Scorpion, en dehors du Claywall Harbor, Naples, Italie, en avril 1968 (peu de temps avant que le Scorpion ne parte pour sa derniĂšre mission). Il s'agit probablement de la derniĂšre photographie prise du Scorpion.

Fin octobre 1967, l'USS Scorpion entame une sĂ©rie de tests de formation et de perfectionnement aux systĂšmes d'armes et reçoit un nouveau commandant, Francis Slattery. À l'issue de cette formation, menĂ©e au large de Norfolk, il est envoyĂ© le 15 fĂ©vrier 1968 en mer MĂ©diterranĂ©e pour une nouvelle mission. Il opĂšre au sein de la VIe flotte au mois de mai avant de prendre le chemin du retour vers son port d'attache. Le Scorpion subit plusieurs dysfonctionnements mĂ©caniques parmi lesquels une fuite chronique de gaz frĂ©on Ă  partir des systĂšmes de rĂ©frigĂ©ration. Un incendie d'origine Ă©lectrique se dĂ©clare dans un tuyau d'Ă©chappement aprĂšs qu'une fuite d'eau eut court-circuitĂ© une connexion d'alimentation alors que le bĂątiment Ă©tait Ă  quai. Il est cependant Ă  noter que les fuites de vapeur ne sont pas rares sur les sous-marins nuclĂ©aires d'attaque en dĂ©ploiements, y compris au XXIe siĂšcle[6]. Il n'existe aucune preuve que la vitesse du Scorpion ait Ă©tĂ© limitĂ©e Ă  partir de , mĂȘme si de maniĂšre prudente il Ă©vitait de plonger Ă  une profondeur supĂ©rieure Ă  500 pieds (152 m), en raison de la mise en Ɠuvre incomplĂšte des contrĂŽles et modifications de sĂ©curitĂ© prĂ©vues Ă  la suite de la perte du Thresher[7].

Quittant la MĂ©diterranĂ©e le 16 mai, deux hommes dĂ©barquent du Scorpion Ă  Rota en Espagne, l'un pour une urgence familiale et l'autre (IC1 Joseph Underwood) pour des raisons de santĂ©. Des sous-marins nuclĂ©aires lanceurs d'engins amĂ©ricains opĂ©raient Ă  partir de la base navale amĂ©ricaine de Rota et il est probable que l'USS Scorpion assurait la couverture sonore pour USS John C. Calhoun les deux bĂątiments entrant au mĂȘme moment dans l'Atlantique oĂč, immanquablement, des sous-marins d'attaque soviĂ©tiques essayeraient de dĂ©tecter et de suivre le sous-marin nuclĂ©aire lanceur d'engins amĂ©ricain. Ce jour-lĂ , deux sous-marins d'attaque soviĂ©tique de la classe November, pouvant naviguer jusqu'Ă  32 nƓuds (59 km/h), Ă©taient en position[7]. Le Scorpion est ensuite envoyĂ© pour observer les activitĂ©s navales soviĂ©tiques dans l'Atlantique Ă  proximitĂ© des Açores. Un sous-marin soviĂ©tique de la classe Echo-II opĂ©rait avec ce dĂ©tachement spĂ©cial ainsi qu'un destroyer lance-missile[8]. Ayant observĂ© et Ă©coutĂ© les unitĂ©s soviĂ©tiques, le Scorpion s'apprĂȘte Ă  retourner Ă  la base navale de Norfolk.

La disparition

Zone de naufrage du Scorpion

Pendant une durĂ©e exceptionnellement longue, commençant peu avant minuit le 20 mai et se terminant aprĂšs minuit le 21 mai, le Scorpion tente d'envoyer des messages radio Ă  la base navale de Rota en Espagne sans succĂšs et ne parvient Ă  joindre qu'une station de communication de la Navy NĂ©a MĂĄkri, en GrĂšce, qui a transfĂ©rĂ© les messages du Scorpion au ComSubLant[7]. Le lieutenant John Roberts reçoit le dernier message du commandant Slattery, indiquant qu'il se rapprochait du groupe naval soviĂ©tique Ă  une vitesse constante de 15 nƓuds (28 km/h) et Ă  une profondeur de 350 pieds (107 m) pour « commencer la surveillance des SoviĂ©tiques »[7]. Six jours plus tard, les mĂ©dias rapportent que le Scorpion qui Ă©tait attendu Ă  Norfolk ne s'Ă©tait pas prĂ©sentĂ©[9].

Les recherches (1968)

Photo de la section avant du Scorpion, prise en 1968 par l'Ă©quipage du bathyscaphe bathyscaphe Trieste II.

L'US Navy redoute une possible perte du bùtiment et lance une opération de recherche. L'USS Scorpion et son équipage sont déclarés « présumés perdus » le 5 juin. Son nom est retiré du Naval Vessel Register le 30 juin. Les recherches se poursuivent avec une équipe de mathématiciens conduite par le Dr John Piña Craven, responsable de la Division des projets spéciaux de l'US Navy. Ils emploient des méthodes de recherche fondées sur le théorÚme de Bayes, développées initialement pendant les opérations de recherche de la bombe à hydrogÚne perdue au large de Palomares, en Espagne, en janvier 1966 à la suite de la dislocation en vol d'un B-52.

Certains rapports indiquent qu'une importante opération secrÚte de recherche avait été lancée trois jours avant le retour de patrouille programmé du Scorpion. Cette information, combinée à d'autres informations déclassifiées, laisse penser que l'US Navy était au courant de la perte du Scorpion avant que l'opération de recherche publique ne soit lancée[10].

Le navire de recherche USNS Mizar

À la fin du mois d', le navire de recherche ocĂ©anographique de l'US Navy, Mizar, localise des sections de la coque du Scorpion au fond de l'ocĂ©an, Ă  740 km au sud-ouest des Açores[11] Ă  3 000 m de profondeur. La Navy avait auparavant publiĂ© les enregistrements sonores rĂ©alisĂ©s par le systĂšme d'Ă©coutes sous-marines SOSUS qui confirmaient la destruction du Scorpion. Une commission d'enquĂȘte est de nouveau convoquĂ©e et d'autres navires, parmi lesquels le bathyscaphe Trieste II, sont envoyĂ©s sur place pour collecter des donnĂ©es et pour prendre des photos de l'Ă©pave.

Bien que Craven se soit vu attribuer la localisation de l'épave du Scorpion, la contribution de Gordon Hamilton, un expert acoustique pionnier de l'utilisation de matériel hydroacoustique pour repérer les points d'impact en mer de missiles Polaris, a été déterminante et a permis de délimiter une « zone de recherche » réduite à l'intérieur de laquelle l'épave est retrouvée. Hamilton établit une station d'écoute aux ßles Canaries, il isole un signal clair que certains scientifiques analyseront comme étant le bruit émis par l'implosion de la coque alors que le bùtiment franchissait sa profondeur d'écrasement (en). Chester « Buck » Buchanan, un scientifique du Naval Research Laboratory, localisera finalement l'épave le , à l'aide de barges submersibles trainées par le Mizar et équipées de caméras[11]. Ces barges équipées de caméras, qui avaient été conçues par J. L. « Jac » Hamm de la Engineering Services Division du Naval Research Laboratory, sont aujourd'hui exposées au U.S. Navy Museum. Buchanan avait déjà localisé l'épave du Thresher en 1964 en utilisant cette technique.

Dégùts observés

Plan de coupe d'un sous-marin de classe Skipjack :
1. SystĂšmes sonar ;
2. Compartiment des torpilles ;
3. Poste de commandement ;
4. Compartiment du réacteur ;
5. Moteur auxiliaires ;
6. Compartiment de la propulsion.

La section avant du Scorpion a dérapé lors de l'impact sur la vase de Globigerina recouvrant le plancher océanique, creusant une importante tranchée. Le kiosque s'est délogé de la coque, aprÚs que le poste de commandement au-dessus duquel il se trouvait se soit désintégré ; il est couché à bùbord de l'épave. L'un des feux de position du Scorpion est retrouvé en position ouverte comme si le sous-marin était à la surface au moment de l'accident ; il est possible que ce feu ait été laissé en position ouverte lors de l'escale de la nuit que le bùtiment a effectuée à Rota. L'un des pilotes du Trieste II qui explore le Scorpion avance une autre hypothÚse : le choc de l'implosion pourrait avoir placé le feu en position ouverte.

L'enquĂȘte de l'US Navy – qui se base sur un grand nombre de documents photographiques, vidĂ©os et sur les tĂ©moignages des Ă©quipages du Trieste II envoyĂ©s examiner l'Ă©pave en 1969[12] – conclut que la coque du Scorpion a implosĂ© au moment oĂč le bĂątiment a franchi sa profondeur d'Ă©crasement. Le Structural Analysis Group, dont faisait partie Peter Palermo le directeur des Structures sous-marines au sein du Naval Ships Systems Command, constate que le compartiment des torpilles est intact, bien qu'il ait Ă©tĂ© Ă©cartĂ© du poste de commandement par la pression hydrostatique considĂ©rable Ă  cette profondeur. Le poste de commandement lui-mĂȘme est en grande partie dĂ©truit par la pression, la salle des machines ayant avancĂ© de 50 pieds (15 m) dans la coque. La jonction de la transition cĂŽne-cylindre a Ă©chouĂ© entre les moteurs auxiliaires et le compartiment de la propulsion.

Le seul dĂ©gĂąt subi par le compartiment des torpilles semble ĂȘtre une trappe manquante Ă  l'un des tubes. Palermo souligne que cette trappe s'est probablement dĂ©tachĂ©e sous la pression de l'eau qui est entrĂ©e dans la salle des torpilles au moment de l'implosion.

L'enquĂȘte de l'US Navy

Rapport de la commission d'enquĂȘte (1968)

Peu de temps aprĂšs le naufrage, l'US Navy convoque une Court of Inquiry (en) pour enquĂȘter sur l'accident et publier un rapport sur les causes probables du naufrage.

Cette commission est prĂ©sidĂ©e par le vice-amiral Bernard L. Austin, qui avait dĂ©jĂ  prĂ©sidĂ© la commission chargĂ©e d'enquĂȘter sur la perte de l'USS Thresher. Les conclusions de la commission sont rendues en 1968[13] ; elles ne sont pas publiques. Les responsables de la Navy citent alors une partie du rapport de 1968 affirmant qu'il Ă©tait impossible de dĂ©terminer de maniĂšre « concluante » les causes de la perte du Scorpion.

L'administration Clinton dĂ©classifie une grande partie du rapport en 1993 et c'est Ă  cette date que l'opinion publique dĂ©couvre que la commission d'enquĂȘte avait considĂ©rĂ© le dysfonctionnement d'une des torpilles du Scorpion comme cause possible du naufrage.

Rapport du Naval Ordnance Laboratory (1970)

L'analyse extensive, pendant plus d'un an, des signaux hydroacoustiques relatifs au naufrage du sous-marins (collectĂ©s par Gordon Hamilton) est menĂ©e par Robert Price, par Ermine (Meri) Christian et par Peter Sherman du Naval Ordnance Laboratory. Ces trois physiciens sont des experts des explosions sous-marines, de leurs signatures sonores et de leurs effets destructeurs. Price critique ouvertement Craven. Leurs conclusions, prĂ©sentĂ©es Ă  l'US Navy dans le cadre de la phase II de l'enquĂȘte, indiquent que le bruit enregistrĂ© a probablement eu lieu lorsque la coque a cĂ©dĂ© Ă  une profondeur de 2 000 pieds (610 m). Les fragments et les dĂ©bris ont ensuite poursuivi leur chute sur 9 000 pieds (2 743 m). Ces conclusions diffĂšrent de celles tirĂ©es par Craven et par Hamilton, qui ont menĂ© de maniĂšre indĂ©pendante une sĂ©rie d'expĂ©riences Ă©galement dans le cadre de la phase II de l'enquĂȘte, dĂ©montrant que d'autres interprĂ©tations des signaux hydroacoustiques pouvaient ĂȘtre basĂ©es sur la profondeur du sous-marin au moment oĂč il aurait Ă©tĂ© frappĂ© et par d'autres conditions opĂ©rationnelles.

Le groupe d'analyse structurelle (Structural Analysis Group - SAG) conclut que la survenance d'une explosion est improbable, et rejette de maniĂšre catĂ©gorique les essais menĂ©s par Craven et par Hamilton. Les physiciens du SAG se basent sur l'absence d'une bulle de gaz, qui se produit invariablement lors d'une explosion sous-marine, et affirment qu'il s'agit de la preuve absolue qu'aucune explosion de torpille ne s'est produite, ni Ă  l'extĂ©rieur ni Ă  l'intĂ©rieur de la coque. Craven tente de dĂ©montrer que la coque du Scorpion a pu « avaler » la bulle crĂ©Ă©e par la dĂ©tonation de la torpille en demandant Ă  Gordon Hamilton de dĂ©clencher de faibles charges Ă  proximitĂ© de conteneurs en mĂ©tal remplis d'air. Il est Ă  noter que l'explosion survenue lors du naufrage du K-141 Koursk le 12 aoĂ»t 2000, a Ă©ventrĂ© sa coque et Ă©mis une Ă©norme bulle de gaz qui a Ă©tĂ© enregistrĂ©e par plusieurs gĂ©ophones Ă  travers l'Europe. Le K-141 Koursk avait une coque deux fois plus grande que celle du Scorpion, ce qui laisse penser que mĂȘme une coque importante ne pouvait pas absorber la bulle.

Dans sa « lettre » de 1970, le Naval Ordnance Laboratory[14] sur l'Ă©tude acoustique des sons de la destruction du Scorpion par Price et par Christian, soutient le rapport du SAG. Dans ses conclusions et recommandations, l'Ă©tude acoustique du Naval Ordnance Laboratory dĂ©clare : « Le premier Ă©vĂ©nement acoustique du SCORPION n'a pas Ă©tĂ© causĂ© par une forte explosion, qu'elle soit interne ou externe Ă  la coque. La profondeur probable de l'Ă©vĂ©nement
 et les caractĂ©ristiques spectrales du signal viennent le confirmer. En rĂ©alitĂ©, il est peu probable que l'un des Ă©vĂ©nements acoustiques du Scorpion ait Ă©tĂ© causĂ©s par des explosions[14]. »

Le Naval Ordnance Laboratory fonde une grande partie de ses conclusions sur une vaste analyse acoustique du torpillage et du naufrage de l'USS Sterlet dans le Pacifique dĂ©but 1969, cherchant Ă  comparer les signaux acoustiques enregistrĂ©s Ă  cette occasion Ă  ceux gĂ©nĂ©rĂ©s par le Scorpion. Price estime que le torpillage programmĂ© du Sterlet par l'US Navy Ă©tait fortuit. En effet, le Sterlet Ă©tait un petit sous-marin Ă  propulsion diesel-Ă©lectrique construit pendant la Seconde Guerre mondiale dont la conception et la construction Ă©taient diffĂ©rentes de celle du Scorpion, en ce qui concerne sa coque de pression et ses autres caractĂ©ristiques. Trois signaux acoustiques identifiables sont isolĂ©s au cours de son torpillage, Ă  comparer avec les quinze signaux gĂ©nĂ©rĂ©s lors de la perte du Scorpion. Les calculs mathĂ©matiques utilisĂ©s par Price n'ont pas Ă©tĂ© rendus publics[14]. De plus, le Naval Ordnance Laboratory fonde ses rapports sur les donnĂ©es enregistrĂ©es par la station hydroacoustique des Ăźles Canaries. Ces donnĂ©es pourraient avoir Ă©tĂ© « nettoyĂ©es » de la signature acoustique de la bulle liĂ©e Ă  l'explosion d'une torpille externe avant d'ĂȘtre diffusĂ©es.

L'étude acoustique du Naval Ordnance Laboratory fournit une explication (sujette à controverse) de l'enchaßnement qui pourrait avoir conduit le Scorpion à atteindre sa profondeur d'écrasement. Cette explication fait référence de maniÚre anecdotique à l'incident qui avait failli causer la perte du sous-marin diesel USS Chopper en , lorsqu'un problÚme d'alimentation l'a conduit à plonger pratiquement jusqu'à sa profondeur d'écrasement, avant de pouvoir finalement refaire surface.

Dans le mĂȘme extrait de la lettre N77 de , la dĂ©claration suivante semble Ă©carter la thĂ©orie du Naval Ordnance Laboratory, et pointer sans Ă©quivoque vers une explosion Ă  l'avant du sous-marin :

« La Navy a Ă©tudiĂ© en dĂ©tail la perte du Scorpion Ă  travers la commission d'enquĂȘte initiale et les rapports de 1970 et 1987 par le Groupe d'analyse structurelle. Rien dans ces enquĂȘtes n'a conduit la Navy Ă  revoir ses conclusions voulant qu'un Ă©vĂ©nement catastrophique inexpliquĂ© se soit produit. »

Préoccupations environnementales

Proue de l'épave de l'USS Scorpion contenant deux torpilles nucléaires, photographiée en aout 1986 (photo de l'US Navy).
Poupe de l'épave, photographiée en 1986 par le personnel de Woods Hole.

L'Ă©pave du Scorpion repose aujourd'hui sur un sol sablonneux au fond de l'ocĂ©an Atlantique Ă  environ 3 000 m de profondeur. Le site est situĂ© Ă  environ 400 milles marins (741 km) au sud-ouest des Açores, sur la bordure orientale de la mer des Sargasses. Ses coordonnĂ©es gĂ©ographique sont32° 54,9â€Č N, 33° 08,89â€Č O[15]. L'US Navy reconnaĂźt qu'elle inspecte rĂ©guliĂšrement le site pour rĂ©aliser des mesures de la contamination radioactive provenant soit du rĂ©acteur nuclĂ©aire soit des deux torpilles nuclĂ©aires prĂ©sentes Ă  bord au moment du naufrage et pour dĂ©terminer si l'Ă©pave est visitĂ©e. La Navy n'a rendu publique aucune information sur le statut de l'Ă©pave, si ce n'est quelques photographies prises en 1968, puis Ă  nouveau en 1985 par des submersibles en eaux profondes.

La Navy a publié des informations des mesures de radioactivité réalisées sur et autour de l'épave du Scorpion. La Navy ne signale pas de fuite radioactive significative en provenance du sous-marin. Les photographies de 1985 sont prises par une équipe d'océanographes travaillant pour le Woods Hole Oceanographic Institution à Woods Hole (Massachusetts).

L'US Navy surveille frĂ©quemment les conditions environnementales du site depuis le naufrage. Elle publie les rĂ©sultats dans un rapport public annuel sur la surveillance environnementale des bĂątiments Ă  propulsion nuclĂ©aire amĂ©ricains. Les rapports fournissent des dĂ©tails sur l'Ă©chantillonnage des sĂ©diments, sur la qualitĂ© de l'eau et sur la vie marine dans le but de dĂ©terminer si le sous-marin a considĂ©rablement affectĂ© son environnement immĂ©diat. Ces rapports expliquent Ă©galement la mĂ©thodologie utilisĂ©e pour la rĂ©alisation de cette surveillance en eaux profondes Ă  partir de navires de surface et de submersibles. Les donnĂ©es recueillies confirment qu'il n'y a eu aucun effet significatif sur l'environnement. Le combustible nuclĂ©aire prĂ©sent Ă  bord du sous-marin demeure intact et les inspections de la Navy n'ont pas rĂ©vĂ©lĂ© des niveaux de radioactivitĂ© anormaux. Le Scorpion emportait deux torpilles nuclĂ©aires anti-sous-marines Mark 45 ASTOR au moment du naufrage. Les ogives de ces torpilles font partie de la surveillance environnementale. Le scĂ©nario le plus probable est que le plutonium et l'uranium de ces torpilles se soient corrodĂ©s aprĂšs le naufrage pour former un matĂ©riau lourd et que les torpilles soient Ă  l'heure actuelle proches de leur position initiale dans le compartiment des torpilles. Si ces matĂ©riaux corrodĂ©s devaient ĂȘtre expulsĂ©s du sous-marin, leur gravitĂ© Ă©levĂ©e et leur insolubilitĂ© les piĂ©gerait Ă  l'intĂ©rieur des sĂ©diments.

Appels pour une nouvelle enquĂȘte (2012)

En novembre 2012, les US Submarine Veterans (en), une organisation regroupant 13 800 vĂ©tĂ©rans des forces sous-marines amĂ©ricaines, demande Ă  l'US Navy de rouvrir l'enquĂȘte sur les causes de la perte de l'USS Scorpion.

La Navy refuse cette demande. Une organisation privĂ©e, comprenant des proches des sous-mariniers disparus dĂ©clare alors qu'elle menera sa propre enquĂȘte, l'Ă©pave Ă©tant situĂ©e dans les eaux internationales[16].

Théories sur la perte du Scorpion

Activation accidentelle d'une torpille

La commission d'enquĂȘte de l'US Navy cite l'activation accidentelle des batteries d'une torpille Mark 37 comme une cause possible de l'explosion. Le systĂšme de propulsion de cette torpille Ă  guidage acoustique, dont la sĂ©curitĂ© aurait Ă©tĂ© dĂ©sactivĂ©e, se serait dĂ©clenchĂ© Ă  l'intĂ©rieur de son tube de lancement. ExpulsĂ©e du tube, la torpille se serait armĂ©e et elle aurait fait l'acquisition de la cible la plus proche — Ă  savoir le Scorpion lui-mĂȘme. Cette thĂ©orie est considĂ©rĂ©e comme hautement improbable, les marins du Scorpion ayant Ă  tout moment la possibilitĂ© d'ordonner l'autodestruction de la torpille avant qu'elle ne prenne son propre bĂątiment pour cible. MalgrĂ© les rĂ©vĂ©lations du Dr Craven affirmant que le rĂ©seau SOSUS avait permis d'observer le sous-marin revenant en arriĂšre sur sa route d'origine, ce virage Ă  180° correspondant Ă  une tentative d'activer les systĂšmes de sĂ©curitĂ© d'une torpille, Gordon Hamilton affirme que les donnĂ©es acoustiques ne permettent pas de rĂ©vĂ©ler ces genres de dĂ©tails.

Explosion d'une torpille

Une théorie alternative apparue par la suite suppose l'explosion d'une torpille à l'intérieur de son tube de lancement. Elle aurait causé un incendie incontrÎlable dans le compartiment des torpilles.

Les documents produits et les conclusions tirĂ©es dans l'ouvrage, Blind Man's Bluff, affirment que la cause probable de l'explosion aurait Ă©tĂ© la surchauffe d'une batterie dĂ©fectueuse de torpille[17] (le Dr Craven indiquera par la suite dans l'ouvrage Silent Steel qu'il avait Ă©tĂ© mal citĂ©). Les batteries argent-zinc Mark 46 utilisĂ©es dans les torpilles Mark 37 avaient tendance Ă  surchauffer et dans des cas extrĂȘmes pouvaient dĂ©clencher un incendie assez puissant pour provoquer une dĂ©tonation de faible ampleur de l'ogive. Si une telle dĂ©tonation avait eu lieu, elle aurait pu provoquer l'ouverture de la grande trappe de chargement des torpilles et causer le naufrage du Scorpion. Alors que les batteries Mark 46 Ă©taient connues pour dĂ©gager tellement de chaleur que les boĂźtiers de torpilles se dĂ©formaient, il n'existe pas de cas rĂ©pertoriĂ© pour lequel ce type de torpille aurait endommagĂ© un bĂątiment ou causĂ© une explosion[18].

Le Dr John Craven mentionne qu'il n'a pas travaillĂ© sur le systĂšme de propulsion de la torpille Mark 37 et n'a pas eu connaissance de la possibilitĂ© d'une explosion de la batterie, vingt ans aprĂšs la perte du Scorpion. Dans son livre The Silent War, il raconte avoir supervisĂ© l'exĂ©cution d'une simulation rĂ©alisĂ©e par l'ancien officier exĂ©cutif du Scorpion, le Lieutenant-commandant Robert Fountain, Jr. Fountain reçoit l'ordre de faire route vers son port d'attache Ă  18 nƓuds (33 km/h) Ă  la profondeur de son choix, puis une alarme indiquant « torpille en surchauffe » est dĂ©clenchĂ©e. Fountain rĂ©pond Ă  cette alarme par « coup de barre Ă  droite », un tour rapide du sous-marin sur lui-mĂȘme qui active le dispositif de sĂ©curitĂ© et empĂȘche la torpille de s'armer. Une explosion dans le compartiment des torpilles est alors introduite dans les paramĂštres de la simulation. Fountain ordonne le dĂ©clenchement des procĂ©dures d'urgence afin de faire remonter le bĂątiment Ă  la surface, affirme le Dr Craven, « mais il continue Ă  plonger, atteignant sa profondeur d'Ă©crasement et implose en 90 secondes - avec une seconde de dĂ©calage par rapport Ă  l'implosion relevĂ©e sur les enregistrements acoustiques de l'Ă©vĂ©nement rĂ©el. »

Craven, qui était le directeur scientifique du bureau des projets spéciaux de l'US Navy, ayant la responsabilité de la conception, du développement, de la construction, des essais, de l'évaluation opérationnelle et la maintenance du systÚme de lancement des missiles Polaris, croit longtemps que le Scorpion a été coulé par un tir de sa propre torpille. Il révise son opinion au milieu des années 1990 lorsque des ingénieurs qui testaient des batteries Mark 46 à Keyport, Washington, découvrent que l'électrolyte des batteries peut fuir à l'extérieur de l'enveloppe de la torpille et déclencher un incendie. Bien que le fabricant des batteries soit accusé de produire des batteries défectueuses, ce dernier parviendra à prouver que ses batteries présentent un taux de défaut identique à celui constaté sur celles produites par ses concurrents.

Dysfonctionnement d'un systÚme d'élimination des déchets

Pendant l'enquĂȘte de 1968, le vice-amiral Arnold F. Shade tĂ©moigne et affirme qu'il penche pour l'hypothĂšse du dysfonctionnement du systĂšme d'Ă©limination des dĂ©chets Ă  bord. Shade avance une thĂ©orie selon laquelle de l'eau de mer serait entrĂ©e Ă  l'intĂ©rieur du sous-marin par la trappe d'Ă©limination des dĂ©chets alors que le sous-marin Ă©tait Ă  l'immersion pĂ©riscopique. D'autres dĂ©faillances de matĂ©riel et des erreurs humaines dans le traitement de l'inondation auraient conduit Ă  la perte du sous-marin[19].

Une attaque soviétique

L'ouvrage All Hands Down de Kenneth Sewell et Jerome Preisler (Simon and Schuster, 2008) conclut que le Scorpion a été détruit alors qu'il était en route pour récolter des renseignements auprÚs d'un groupe naval soviétique opérant dans l'océan Atlantique[20]. La réception d'un ordre qui a fait dévier le sous-marin de sa route d'origine (qui devait le conduire à son port d'attache) est un fait connu du public ; les détails et les objectifs de cette mission demeurent classifiés.

L'ouvrage d'Ed Offley Scorpion Down suggĂ©re que le Scorpion aurait Ă©tĂ© coulĂ© par un sous-marin soviĂ©tique au cours d'une confrontation ayant dĂ©butĂ© avant le 22 mai. Offley affirme Ă©galement que ce combat pourrait avoir eu lieu Ă  peu prĂšs au moment oĂč le Scorpion se voit attribuer la mission de collecte de renseignements, pour laquelle il est dĂ©viĂ© de sa route initiale ; toujours selon Offley, la flottille venait d'ĂȘtre harcelĂ©e par un autre sous-marin amĂ©ricain, l'USS Haddo[21]. W. Craig Reed, qui servit Ă  bord du Haddo une dĂ©cennie plus tard en tant que quartier-maĂźtre et officier de plongĂ©e, et dont le pĂšre a Ă©galement servi dans l'US Navy et a permis des avancĂ©es significatives dans la dĂ©tection des sous-marins dans les annĂ©es 1960, a exposĂ© des scĂ©narios similaires Ă  celui d'Offley dans Red November[22] Ă  propos du torpillage du Scorpion par les SoviĂ©tiques. Il dĂ©taille sa propre expĂ©rience Ă  bord de l'USS Haddo quand, en 1977, en cours d'une mission Ă  l'intĂ©rieur des eaux territoriales soviĂ©tiques au large Vladivostok, des torpilles semblent avoir Ă©tĂ© tirĂ©es en direction du Haddo, avant d'ĂȘtre immĂ©diatement neutralisĂ©es par les SoviĂ©tiques en prĂ©textant un exercice de tir de torpille.

Les ouvrages All Hands Down et Scorpion Down pointent l'implication du rĂ©seau d'espionnage mis en place par le KGB (connu sous le nom de « Walker Spy-Ring ») dirigĂ© par John Anthony Walker qui travaillait au centre de communication de l'US Navy, indiquant qu'il pouvait avoir eu connaissance que le Scorpion avait Ă©tĂ© envoyĂ© en direction de la flottille soviĂ©tique. D'aprĂšs cette thĂ©orie, il existerait un accord tacite entre les marines amĂ©ricaines et russes pour Ă©viter d'Ă©voquer les naufrages du Scorpion et du K-129. Plusieurs sous-marins d'attaque amĂ©ricains sont entrĂ©s en collision avec des sous-marins soviĂ©tiques de la classe Echo dans les eaux soviĂ©tiques ou Ă©cossaises Ă  cette Ă©poque. Le commandant Roger Lane Nott, de la Royal Navy qui commandera le sous-marin d'attaque HMS Splendid en 1982 pendant la guerre des Malouines, affirme qu'en 1972, alors qu'il sert comme jeune officier de navigation Ă  bord du HMS Conqueror, un sous-marin soviĂ©tique a pĂ©nĂ©trĂ© dans le Firth of Clyde en Écosse, Conqueror ayant reçu l'ordre « de l'en chasser. » Ayant rĂ©alisĂ© qu'il Ă©tait poursuivi, « un capitaine soviĂ©tique trĂšs agressif ordonna Ă  son sous-marin de faire demi-tour et de foncer droit sur le HMS Conqueror. La collision fut Ă©vitĂ©e de peu[23]. »

La force sous-marine soviĂ©tique Ă©tait au moins aussi professionnelle que celles des principales forces du Bloc de l'Ouest. Selon un article de la Pravda, Moscou ne donna jamais l'ordre Ă  ses sous-marins de tirer pendant la guerre froide[24]. Cette version est remise en cause par des officiers de la Royal Navy : « il y avait eu d'autres occasions oĂč les Russes, harcelĂ©s, ont tirĂ© des torpilles pour effrayer les poursuivants »[23]. Les conclusions officielles de la commission d'enquĂȘte de 1968 indiquent qu'aucun bĂątiment ami ou ennemi ne se trouvait Ă  moins de 200 milles du Scorpion au moment de sa perte[25].

Les tĂ©moignages recueillis dans le documentaire « K129 » ne rĂ©pond plus, diffusĂ© sur Arte en 2010, suggĂšrent — eux aussi — que le Scorpion aurait Ă©tĂ© torpillĂ© par les SoviĂ©tiques, selon un scĂ©nario diffĂ©rent. En mai 1968, les AmĂ©ricains ignorent que John Anthony Walker, qui opĂšre au central de communication de l'US Navy, a vendu au KGB les codes secrets de la Marine. À cette Ă©poque, les SoviĂ©tiques savaient donc dĂ©crypter les codes de l'US Navy et connaissaient l'ensemble des unitĂ©s amĂ©ricaines prĂ©sentes en mer. Lorsque le Scorpion passe le dĂ©troit de Gibraltar, des unitĂ©s de la Marine soviĂ©tique le suivent donc Ă  la trace et semblent connaĂźtre parfaitement son itinĂ©raire. Le commandant du Scorpion indique par radio sa position, celle du groupe naval soviĂ©tique et son heure d'arrivĂ©e sur zone. Avec ces donnĂ©es, les SoviĂ©tiques peuvent dĂ©terminer sa position exacte. Plusieurs tĂ©moignages d'anciens membres des forces amĂ©ricaines confirment que le Scorpion aurait annoncĂ© qu'il Ă©tait poursuivi par des unitĂ©s de la Marine soviĂ©tique et qu'il n'arrivait pas Ă  les semer. Le Scorpion Ă©tait devenu la proie. Selon le tĂ©moignage d'un ancien amiral soviĂ©tique, recueilli dans All Hands Down, les SoviĂ©tiques envoient alors Ă  la rencontre du Scorpion un hĂ©licoptĂšre, qui largue des bouĂ©es sonar et attend. Lorsque le Scorpion s'approche, l'hĂ©licoptĂšre Ă©met des signaux sonar. Le commandant du Scorpion ayant reçu pour mission de surveiller les activitĂ©s inhabituelles des SoviĂ©tiques, la prĂ©sence d'un hĂ©licoptĂšre Ă©mettant des signaux sonar au milieu de l'Atlantique pouvait le surprendre et l'inciter Ă  se placer en immersion pĂ©riscopique (l'Ă©pave du Scorpion montre le pĂ©riscope sorti). L'hĂ©licoptĂšre survole alors le Scorpion et lance une torpille. Le sous-marin essaye de plonger en urgence ; il est touchĂ© par la torpille soviĂ©tique. Pour maintenir le secret, y compris au sein de la Marine soviĂ©tique, l'hĂ©licoptĂšre avait dĂ©collĂ© d'un destroyer avec deux torpilles et il se serait reposĂ© avec une torpille sur un autre destroyer[26].

Conclusion de l'US Navy

Les rĂ©sultats des diffĂ©rentes enquĂȘtes de l'US Navy sur la perte du Scorpion ne se rĂ©vĂšlent pas concluants. Bien que la commission d'enquĂȘte n'ait jamais soutenu la thĂ©orie selon laquelle le Scorpion aurait Ă©tĂ© coulĂ© par sa propre torpille (thĂ©orie dĂ©fendue par le Dr Craven), ses « constatations de fait » — publiĂ©es en 1993 — placent cette thĂ©orie de torpille en tĂȘte de la liste des causes possibles de la perte du Scorpion.

La Navy n’informe pas le public que l’U.S. Submarine Force Atlantic , tout comme le Commander-in-Chief de la U.S. Atlantic Fleet rejettent la thĂ©orie de la torpille de Craven, qu’ils considĂ©rent comme infondĂ©e. Elle omet Ă©galement de rĂ©vĂ©ler qu'une seconde enquĂȘte technique sur la perte du Scorpion, achevĂ©e en 1970, a elle aussi rejetĂ© l’hypothĂšse que la dĂ©tonation d’une torpille ait jouĂ© un rĂŽle dans la perte du Scorpion. MalgrĂ© la deuxiĂšme enquĂȘte technique, la Navy continue d'attribuer une forte crĂ©dibilitĂ© Ă  l'hypothĂšse de Craven, comme en tĂ©moigne cet extrait d'une lettre de de la Division de guerre sous-marine (Submarine Warfare Division - N77), rĂ©digĂ©e par l'amiral P. F. Sullivan au nom du vice-amiral John J. Grossenbacher (commandant des forces navales sous-marines), du Naval Sea Systems Command, Naval Reactors et autres dans la marine amĂ©ricaine au sujet de son point de vue concernant les thĂ©ories alternatives sur le naufrage : les conclusions des rapports officiels de l'US Navy et de la commission d’enquĂȘte sur la perte du Scorpion suggĂšrent fortement que le Scorpion a Ă©tĂ© coulĂ© par l’une de ses propres torpilles Mk 37. L’hypothĂšse avancĂ©e par Sewell et Preisler dans All Hands Down, voulant que le sous-marin ait Ă©tĂ© coulĂ© par des torpilles soviĂ©tiques, peut ĂȘtre rejetĂ©e. Les affirmations de ces auteurs selon lesquelles le Scorpion avait une vitesse de 45 nƓuds (83 km/h) [27] et que la vitesse des torpilles Mk 37 est de 24 nƓuds (44 km/h)[27] ne sont pas crĂ©dibles. Il est peu probable qu’une torpille soviĂ©tique ait eu de meilleures performances d’une Mk 37 en 1968 et aucun sous-marin amĂ©ricain ou soviĂ©tique Ă  l’exception des sous-marins de la classe Alfa n'ont jamais eu une vitesse dĂ©clarĂ©e supĂ©rieure Ă  33 nƓuds (61 km/h)[28]. Il n’y a aucune possibilitĂ© qu’un sous-marin de la classe Skipjack ait dĂ©passĂ© 35 nƓuds (65 km/h) en bon Ă©tat de marche. Le Scorpion emportait dix Mk 37 Mod 1 Ă  filoguidage, prĂ©vues pour atteindre Ă  26 nƓuds (48 km/h) des cibles situĂ©es jusqu'Ă  6 milles, ainsi que ses variantes, des torpilles d’entraĂźnement Mk 37 dĂ©pourvues d’ogives et des torpilles rapides Mk 14 pour les cibles en surface[29]. Les photographies de l’épave suggĂšrent que la propulsion du Scorpion a Ă©tĂ© dĂ©truite par une Mk 37, ce qui correspond en tout point Ă  la façon dont les Mk 37 et les Mk 46 attaquent les sous-marins : elles ciblent l’hĂ©lice et la dĂ©truisent au moyen d’une petite explosion[30]. La question est de savoir comment la torpille Mk 37 a Ă©tĂ© tirĂ©e. Il a Ă©tĂ© prouvĂ© que le Scorpion avait exĂ©cutĂ© des missions dans la mer Noire, dans les eaux intĂ©rieures soviĂ©tiques, et son Ă©quipage comprenait des officiers et des matelots russophones. Si le Scorpion avait dĂ©tectĂ© des indices laissant Ă  penser que les SoviĂ©tiques interceptaient les communications de l'US Navy, il est peu probable qu’ils aient envoyĂ© ce message par des canaux fermĂ©s/ouverts jusqu'Ă  ce qu'il atteigne Norfolk. Les sous-marins de la classe Skipjack Ă©taient capables d’atteindre des vitesses de 30⁄33 nƓuds et il est peu probable qu’il ait Ă©tĂ© interceptĂ© par un sous-marin de la classe Echo (dont la vitesse maximale Ă©tait de 22 nƓuds ; les spĂ©culations sur le sort du Scorpion ne pourraient bien ĂȘtre qu’une tentative supplĂ©mentaire de parasiter une question d'une importance stratĂ©gique en 1968 au moment le plus dangereux de la guerre froide[31] - [32]. Les principaux amiraux amĂ©ricains et des conseillers de la DĂ©fense ont peut-ĂȘtre Ă©galement souhaitĂ© taire des questions d'espionnage potentiel, liĂ©es Ă  l'utilisation de drogues et les dĂ©sordres connus Ă  bord des bĂątiments de surface et des sous-marins de l'US Navy dans la pĂ©riode de la guerre du Vietnam. Une autre possibilitĂ© est que le commandant Slattery pourrait avoir ordonnĂ© de tirer une torpille Mk 37 aprĂšs avoir entendu un Ă©cho sonar erronĂ©, alors qu’il Ă©tait soumis Ă  des conditions de stress aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©ventuellement harcelĂ© et mĂȘme engagĂ© par des sous-marins soviĂ©tiques auparavant, au cours de cette longue mission. Des destroyers de l’US Navy et de la Royal Australian Navy ont Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă  de faux Ă©chos sonar plusieurs fois pendant la guerre du Vietnam, et notamment l'USS Turner Joy et l’USS Maddox au cours de l’incident du golfe du Tonkin[33] - [34]. D’anciennes frĂ©gates de la Royal Navy entendaient constamment de faux Ă©chos de torpilles pendant la guerre des Malouines. Le jour oĂč l’HMS Sheffield fut coulĂ©, le HMS Yarmouth avait indiquĂ© qu'il avait subi neuf attaques Ă  la torpille dans la journĂ©e, alors qu’il utilisait un sonar non Doppler 170/177 Ă  impulsions passive/active[35].

« Le premier événement cataclysmique était d'une telle ampleur que la seule conclusion possible est qu'un événement cataclysmique (explosion) se soit produit, entraßnant une inondation incontrÎlable, probablement dans les compartiments avant. »

  • Badge de l'USS Scorpion.
    Badge de l'USS Scorpion.

Notes et références

  1. Sontag et Drew 1998
  2. (en) Eric Levenson, « Inside the secret US military mission that located the Titanic », sur CNN, (consulté le )
  3. Clément Lasserre, « La découverte du Titanic était une couverture pour l'armée américaine », sur Slate.fr, (consulté le )
  4. Submarine Safety Program (SUBSAFE), Electric Boat Corporation.
  5. 
qualification and authorization of activities to perform SUBSAFE work

  6. (en) B. Farmer, « People were going to die
 Catastrophic systems failure : on HMS Turbulent in Med, 2011 », Daily Telegraph,‎
  7. Sewell et Preisler 2008
  8. (en) M.A.Bradley, Why they called the Scorpion "Scapiron", 'Proceedings July 1998' US Naval Institute. Annapolis, vol. 124 7/1/1, p. 145
  9. (en) « After 25 years of loss, families resent Navy's silence about sub », sur Baltimore Sun,
  10. Offley 2007
  11. (en) « Strange Devices That Found the Sunken Sub Scorpion », Popular Science,‎ , p. 66-71 (lire en ligne)
  12. Photos de l'Ă©pave prises en 1968
  13. Rapport de la commission - Déclassifié
  14. (en) JR Potts, « Our continuation of the USS Scorpion (SSN-589) Nuclear Attack Submarine story », sur www.militaryfactory.com (consulté le )
  15. Command History of the Commander in Chief U.S. Atlantic Fleet, OPNAV REPORT 5750-1, July '68 – June '69, p. 104, 4. a.
  16. (en) « Submarine vets call for USS Scorpion investigation », sur usatoday.com, (consulté le )
  17. Sontag et Drew 1998, p. 432
  18. Johnson 2006, p. 304
  19. (en) Stephen Johnson, « A long and deep mystery/Scorpion crewman says sub's '68 sinking was preventable », Houston Chronicle, Hearst Corporation,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  20. Sewell et Preisler 2008, p. 288
  21. Offley 2007, p. 480
  22. (en) W.C Reed, Red November : Inside the Secret US-Soviet Submarine War, New York, William Morrow, , p. 212-214 et 287-290
  23. (en) Rowland White, Vulcan 607, Londres, Bantam/Random House, , p. 39
  24. « Has the "Fire!" Command Sounded in the Compartments of the Cold War? », sur rusnavy.com (consulté le ).
  25. Court of inquiry, finding of fact #49 to 53, voir http://www.jag.navy.mil/library/investigations/USS%20SCORPAIN%2027%20MAY%2068.pdf
  26. [vidéo] « K129 » ne répond plus sur Dailymotion, film-documentaire de Dirk Pohlmann (titre original : Tod in der tiefe : Schlagabtaush der supermÀchte), diffusé sur Arte le 9 juin 2010
  27. Sewell et Preisler 2008, p. 239
  28. Janes Fighting Ships, Ă©ditions 1975-1976 Ă  1995-1996
  29. Johnson 2006, p. 18-20
  30. La torpille Mk 37 dispose d’un systĂšme de guidage actif acoustique qui aurait explosĂ© sous la quille ou aurait visĂ© l'arbre Ă  hĂ©lice et aurait explosĂ© Ă  l'extĂ©rieur du bĂątiment.
  31. Sewell et Preisler 2008, p. 241
  32. La Pravda du 29 avril 2008 sur rusnavy.ru
  33. Interview de Robert McNamara dans Fog of War, DVD
  34. (en) J. P. Carroll, Out of sight, out of mind. The RAN Vietnam 1965-1972, Rosenburg, NSW, 2013
  35. Amiral S. Woodward, One hundred days. The memoirs of the Falklands battleground command, Ă©d. Harper Publishing. Londres, 2012, p. 22

Voir aussi

Articles connexes

Sources et bibliographie

  • (en) Sherry Sontag et Christopher Drew, Guerre froide sous les mers [« Blind Man's Bluff : The Untold Story of American Submarine Espionage »], New York, Harper Paperbacks, , 432 p.
  • (en) Robert W. Love, History of the U.S. Navy, 1942–1991 (History of the U.S. Navy), Stackpole Books, , 912 p. (ISBN 0-8117-1863-8)
  • (en) Stephen Johnson, Silent Steel : The Mysterious Death of the Nuclear Attack Sub USS Scorpion, Hoboken, New Jersey, John Wiley, , 292 p. (ISBN 978-0-471-26737-9)
  • (en) Kenneth Sewell et Clint Richmond, Red Star Rogue : The Untold Story of a Soviet Submarine's Nuclear Strike Attempt on the U.S., Pocket Star, , 480 p. (ISBN 1-4165-2733-8, lire en ligne)
  • (en) Ed Offley, Scorpion Down : Sunk by the Soviets, Buried by the Pentagon : The Untold Story of the USS Scorpion, New York, Perseus Books Group, , 241 ff. (ISBN 978-0-465-00884-1)
  • (en) Kenneth Sewell et Jerome Preisler, All Hands Down : The true story of Soviet Attack on the USS Scorpion, New York, Simon & Schulster, , 288 p. (ISBN 978-0-7432-9798-1 et 0-7432-9798-9)
  • (en) Bruce Rule, Why the USS Scorpion (SSN 589) Was Lost : The Death of a Submarine in the North Atlantic, Nimble Books LLC, , 74 p. (ISBN 978-1-60888-120-8 et 1-60888-120-2)

Liens externes

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