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Tradition primordiale

La Tradition Primordiale est l'idée propre au pérennialisme qu'une unique vérité métaphysique relie intrinsÚquement l'ensemble des traditions sacrées à une révélation originaire, dont la cause est non-humaine (divine). Cette vérité intrinsÚque aux traditions constitue l'unique « Tradition universelle et unanime »[1], qui se laisse découvrir à travers les multiples correspondances symboliques, mythiques et rituelles qu'ont en commun les différentes traditions sacrées de l'humanité.

René Guénon (1886-1951), principal théoricien de l'idée de Tradition Primordiale et fondateur de l'Ecole de la Tradition.

DĂ©veloppant le concept de Perennis Philosophia, le concept de Tradition Primordiale est diversement thĂ©orisĂ© et problĂ©matisĂ© Ă  l'Ă©poque contemporaine par « l'École de la Tradition »[2]. Cette Ă©cole est constituĂ©e d'Ă©crivains, philosophes, anthropologues, historiens et essayistes des diverses confessions religieuses et dont le fondateur et principal reprĂ©sentant est le mĂ©taphysicien RenĂ© GuĂ©non. Pour lui, la Tradition Primordiale dĂ©signe la plus ancienne tradition de l'humanitĂ©, d'origine mĂ©ta-historique, qui est « commune Ă  l'ensemble des traditions authentiques et "orthodoxes”, dont les traces et signes apparaissent trĂšs lisiblement dans les symboles, rites et mythes »[3] des diffĂ©rentes « formes traditionnelles » ou religions observables.

La Tradition Primordiale est un concept qui se rĂ©fĂšre aux mythes fondateurs des diffĂ©rentes traditions sacrĂ©es de l'humanitĂ©, par exemple au paradis terrestre de la Bible, Ă  l'Ăąge d'or de la mythologie grĂ©co-romaine ou encore au krita yuga hindou[AS 1]. Intimement liĂ©e Ă  la connaissance intuitive et intellectuelle du « Principe ultime », la Tradition Primordiale dĂ©signe ainsi un Ă©tat d'ĂȘtre spirituel que l'homme a perdu lors de la chute et qu'il s'agit de retrouver[AS 2] au moyen de la connaissance mĂ©taphysique tant spĂ©culative (enseignement oral voire Ă©crit) qu'opĂ©rative (initiation rituelle).

Tradition et traditionalisme

Les membres de l'École de la Tradition sont qualifiĂ©s par Jean-Paul Lippi[2] de « traditionnistes » afin de les distinguer d'un autre courant de pensĂ©e, le « Catholicisme traditionaliste ». Les traditionnistes sont aussi appelĂ©s « pĂ©rennialistes » en rĂ©fĂ©rence Ă  leur courant de doctrine.

En effet, RenĂ© GuĂ©non et les autres membres de l'École de la Tradition s'entendent autour d'un concept commun. Il s'agit de la Tradition Primordiale, qui constitue au moins le point de dĂ©part de leur pensĂ©e et les Ă©carte d'une rĂ©duction de la tradition Ă  la coutume[4], comme d'une rĂ©duction de la tradition au seul aspect d'une religion particuliĂšre ou mĂȘme de la religion en gĂ©nĂ©ral, considĂ©rĂ©e par RenĂ© GuĂ©non comme restreinte aux traditions abrahamiques (juive, chrĂ©tienne et islamique), en ce qu'elles sont composĂ©es d'une morale, d'un dogme et d'un rite[5]. Plus largement, les traditionnistes mobilisent le concept de Tradition dans une critique commune du « monde moderne » : la modernitĂ© occidentale qui s'est dĂ©veloppĂ©e depuis le XIVe siĂšcle, et de façon accrue depuis la fin du XVIIIe siĂšcle, serait une pĂ©riode de dĂ©cadence intellectuelle profonde signalĂ©e par une rĂ©bellion contre l'autoritĂ© spirituelle, l'abandon de la mĂ©taphysique et l'inversion des rapports hiĂ©rarchiques du monde indo-europĂ©en traditionnel[6].

La conception « traditionniste » de la Tradition est donc d'abord mĂ©taphysique avant que d'ĂȘtre historique : elle ne se rĂ©fĂšre pas tant Ă  une Ă©poque (rĂ©volue ou non) ou une forme particuliĂšre d'existence, qu'Ă  un Principe transcendant et Ă  une structure gĂ©nĂ©rique et sacrale de communion de l'homme avec le Divin, que l'homme peut retrouver hic et nunc au moyen de la connaissance mĂ©taphysique et de l'initiation[7] - [8].

Les traditionnistes emploient Ă©galement le concept de Tradition Primordiale sous le diminutif de Tradition, avec un t majuscule.

La MĂ©thode Traditionnelle

La recherche de l'Unité perdue

Dans la perspective judĂ©o-chrĂ©tienne de la chute rĂ©sultant du pĂ©chĂ© originel comme celle de la doctrine des cycles d'HĂ©siode ou encore de l'hindouisme, la vision du monde des traditionnistes est structurĂ©e par la sensation d'une perte[9], la perte de l'Ăąge d'or. À ce sentiment nĂ©gatif correspond la volontĂ© positive d'un retour aux sources de toutes les expressions du sacrĂ© et de l'ĂȘtre humain : l'UnitĂ© principielle, "Dieu" selon le vocabulaire occidental, que les humains connaissaient pleinement et directement dans l'Ăąge d'or supposĂ© par la notion de Tradition Primordiale.

L'imaginaire traditionniste se veut ainsi attentif Ă  ce que disent chaque tradition orthodoxe observable et tire de leur commun rĂ©cit d'un Ăąge d'or la conclusion d'une "RĂ©vĂ©lation, ou illumination primitive de la pensĂ©e humaine"[10]. Le postulat de dĂ©part est donc qu'Ă  l'unitĂ© du Principe de la rĂ©alitĂ©, Dieu, correspond l'unitĂ© d'une rĂ©vĂ©lation primordiale qui s'exprime et se rĂ©vĂšle dans les diffĂ©rentes traditions sacrĂ©es de l'humanitĂ©. Le traditionniste accorde donc un crĂ©dit Ă©gal aux rĂ©cits des diffĂ©rentes "religions" qu'il considĂšre comme diffĂ©rents tĂ©moignages lĂ©gitimes d'une mĂȘme expĂ©rience originaire de type mĂ©taphysique. La "MĂ©thode Traditionnelle"[2] s'emploie ainsi Ă  "dĂ©couvrir une unitĂ© ou Ă©quivalence essentielle de symboles de formes, de mythes, de dogmes, de disciplines au-delĂ  des expressions variĂ©es que peuvent avoir les contenus dans les diffĂ©rentes traditions historiques"[11], dans le but de "faire ressortir le caractĂšre universel d'un symbole ou d'un enseignement en le rapprochant d'autres symboles correspondants appartenant Ă  d'autres traditions, afin d'Ă©tablir la prĂ©sence de quelque chose de supĂ©rieur et d'antĂ©rieur Ă  chacune de ces formulations, diffĂ©rentes entre elles, mais pourtant Ă©quivalentes"[12].

Une approche ésotérique

La Méthode Traditionnelle relÚve ainsi d'une perspective "ésotérique" selon René Guénon, qui considÚre les divergences voire les oppositions entre les différentes traditions sacrées comme secondes et superflues, c'est-à-dire "exotériques", puisque leur intention premiÚre réside dans le fait de faire connaßtre la vérité divine unique. Cette vérité constitue leur unité doctrinale cachée, d'origine divine, qui les anime de l'intérieur et sans laquelle elles perdent par conséquent toute légitimité[13] - [14] - [15]. En examinant le contenu signifiant des différentes "religions", la Méthode Traditionnelle entend dépasser les exclusions dogmatiques réciproques dans un mouvement "métadogmatique"[16] de coïncidence des opposés. Ainsi, pour Julius Evola, autre grand nom du traditionnisme, "l'introduction de l'idée de Tradition permet de briser l'isolement de toute tradition particuliÚre, en ramenant le principe créateur et les contenus fondamentaux de cette tradition à un cadre plus vaste, par le moyen d'une intégration effective. Elle ne peut faire de tort qu'à d'éventuelles prétentions à un exclusivisme sectaire."[17]

L'École de la Tradition dĂ©ploie une approche qui ne se veut donc pas limitĂ©e au domaine religieux mais pĂ©nĂ©trer ce qu'elle considĂšre ĂȘtre son aspect intĂ©rieur, la mĂ©taphysique. Dans cette perspective, la "synthĂšse" qu'elle entend faire des diffĂ©rentes expressions doctrinales n'est pas un "syncrĂ©tisme" car elle n'entend pas mĂ©langer ni les rites, ni les symboles ni les mythes, mais dresser entre eux des comparaisons. En effet,

« Le syncrĂ©tisme consiste Ă  rassembler du dehors des Ă©lĂ©ments plus ou moins disparates et qui, vus de cette façon, ne peuvent jamais ĂȘtre vraiment unifiĂ©s ; ce n’est en somme qu’une sorte d’éclectisme, avec tout ce que celui-ci comporte toujours de fragmentaire et d’incohĂ©rent. C’est lĂ  quelque chose de purement extĂ©rieur et superficiel ; les Ă©lĂ©ments pris de tous cĂŽtĂ©s et rĂ©unis ainsi artificiellement n’ont jamais que le caractĂšre d’emprunts, incapables de s’intĂ©grer effectivement dans une doctrine digne de ce nom. La synthĂšse, au contraire, s’effectue essentiellement du dedans ; nous voulons dire par lĂ  qu’elle consiste proprement Ă  envisager les choses dans l’unitĂ© de leur principe mĂȘme, Ă  voir comment elles dĂ©rivent et dĂ©pendent de ce principe, et les unir ainsi, ou plutĂŽt Ă  prendre conscience de leur union rĂ©elle, en vertu d’un lien tout intĂ©rieur, inhĂ©rent Ă  ce qu’il y a de plus profond dans leur nature.»[18]

Pour RenĂ© GuĂ©non, la pratique religieuse en gĂ©nĂ©ral ne concerne que l'aspect exotĂ©rique, car essentiellement social et moral, de la Tradition Primordiale. Sa connaissance entend donc dĂ©passer, sans le nier mais en l'assumant dans son intĂ©gralitĂ©[19], le point de vue religieux. ÉpistĂ©mologiquement parlant, la connaissance mĂ©taphysique pour les traditionnistes ne relĂšve pas simplement de la raison, mais de l'intuition intellectuelle, qui est supra-rationnelle[20]. La connaissance de cette vĂ©ritĂ© cachĂ©e a donc pour but la "rĂ©alisation mĂ©taphysique" au moyen de rites initiatiques traditionnels distincts des simples rites religieux et inaccessibles au plus grand nombre[21] - [22]. Le christianisme fait nĂ©anmoins exception pour Frithjof Schuon et Jean Borella, pour qui les sacrements chrĂ©tiens sont bien initiatiques[23]. Quoi qu'il en soit, la MĂ©thode Traditionnelle est Ă  plusieurs Ă©gards une "mĂ©thode qui est le contraire d'une mĂ©thode puisqu'elle maintient les secrets, les Ă©preuves"[24].

La méthode des concordances

La Méthode Traditionnelle se donne pour but d'accéder à un niveau de connaissance plus profond que celui visé par les approches reposant sur des axiomes rationalistes, en accordant a priori du crédit aux propositions doctrinales des différentes formes traditionnelles et religieuses et en les comparant sur cette base. Il ne s'agit donc pas a priori de dénier aux différentes religions le caractÚre sacré qu'elles revendiquent à propos de leur contenu doctrinal, mais au contraire de l'accepter selon une approche à la fois comparative et métaphysique, de type intellectualiste (par opposition au rationalisme).

La MĂ©thode Traditionnelle ne relĂšve donc pas, Ă  proprement parler, de "la science comparĂ©e des religions universelles, laquelle s'en tient aux deux dimensions de la surface et possĂšde donc un caractĂšre empirique, non mĂ©taphysique"[11]. Selon cette MĂ©thode, il s'agit de s'Ă©lever Ă  l'IdĂ©e mĂ©taphysique dont les matĂ©riaux symboliques, mythiques et rituels des diffĂ©rentes religions sont des vĂ©hicules et des manifestations. De ces trois matĂ©riaux que sont "le symbole, le mythe et le rite", Mircea Eliade, anthropologue relevant de l'École de la Tradition, dit qu'ils "expriment sur des plans diffĂ©rents et avec les moyens qui leur sont propres, un systĂšme complexe d'affirmations cohĂ©rentes sur la rĂ©alitĂ© ultime des choses, systĂšme qu'on peut considĂ©rer comme constituant une mĂ©taphysique"[25] - [26].

La MĂ©thode Traditionnelle cherche ainsi essentiellement Ă  dĂ©passer la "mĂ©thode des influences (ou mĂ©thode historico-critique)" en Ă©laborant une "mĂ©thode des concordances"[27] qui se caractĂ©rise, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, "par deux principes : ontologiquement et objectivement, par le principe de correspondance, qui assure une corrĂ©lation fonctionnelle essentielle entre des Ă©lĂ©ments analogues, en les prĂ©sentant comme de simples formes homologues d'apparition d'une signification centrale unitaire ; Ă©pistĂ©mologiquement et subjectivement, par l'emploi gĂ©nĂ©ralisĂ© du principe d'induction, entendu ici comme approximation discursive d'une intuition spirituelle, oĂč se produisent l'intĂ©gration et l'unification des divers Ă©lĂ©ments comparĂ©s dans une signification unique et dans un principe unique."[28]

Origines historiques : de la philosophia perennis Ă  la Tradition Primordiale

Le concordatisme doctrinal à l'école néoplatonicienne d'AthÚnes

Saint Augustin d'Hippone (354-430)

L'École de la Tradition se constitue autour du postulat selon lequel existe une "philosophie Ă©ternelle", c'est-Ă -dire, selon Joan Halifax, "une unitĂ© numineuse sous-jacente Ă  toutes les formes et apparences, les diffĂ©rents mondes de la forme et des apparences Ă©tant en mĂȘme temps conçus comme interdĂ©pendants."[29] Cette idĂ©e s'enracine dans le programme de recherches qui existait chez les nĂ©oplatoniciens de l'Ă©cole d'AthĂšnes, qui avaient pour but, Ă  partir de Plutarque et le plus nettement chez Proclus, de concilier entre elles les traditions thĂ©ologiques orphique, pythagoricienne, platonicienne, aristotĂ©licienne, homĂ©rique et chaldaĂŻque[30]. Du reste, Ă  en croire ClĂ©ment d'Alexandrie[31], NumĂ©nius, nĂ©oplatoncien du IIe siĂšcle, aurait Ă©galement dĂ©clarĂ© : « Qu'est-ce que Platon, sinon MoĂŻse qui parle grec ? » Si ce tĂ©moignage est avĂ©rĂ©, les nĂ©oplatoniciens dits "paĂŻens" Ă©tendaient donc mĂȘme leur sympathie intellectuelle au-delĂ  de l'hellĂ©nisme.

L'inclusivisme du judaĂŻsme antique

Pour les juifs des deux derniers siÚcles avant notre Úre, la philosophie est un bien qui vient de Dieu. Selon Aristobule de Panéas, philosophe juif appartenant, selon Clément d'Alexandrie, à l'école péripatéticienne, les philosophes grecs ont puisé une grande partie de leur enseignements dans Moïse[32]. Cette thÚse du "larcin des Grecs" est également présente, sous une forme plus sérieuse, chez Philon d'Alexandrie[33]. Selon lui, les philosophes ont accédé aux grandes vérités soit en les empruntant à Moïse, soit par leur propre raison, soit, aussi, par une inspiration directe de Dieu. Un peu plus tard, durant le Ier siÚcle aprÚs J.-C., Flavius JosÚphe, dit admirer l'immense sagesse du grec Pythagore[34].

L'inclusivisme doctrinal dans la patristique

En plus des philosophes grecs, essentiellement nĂ©oplatoniciens, et des juifs prĂ©cĂ©demment citĂ©s, l'idĂ©e de l'universelle vĂ©ritĂ© prĂ©sente dans les diverses doctrines se retrouve chez certains pĂšres de l'Église, tels que saint Justin, saint ClĂ©ment d'Alexandrie, OrigĂšne, Pseudo-Denys l'ArĂ©opagite et saint Augustin. Saint Justin de NĂ©apolis (mort en 165), philosophe et martyr, est le premier Ă  formuler la doctrine du Logos Spermatikos, du "Verbe qui ensemence" les esprits en se rĂ©vĂ©lant personnellement Ă  eux, bien qu'imparfaitement et partiellement. Pour lui, ainsi, «Ceux qui ont vĂ©cu selon le Verbe sont chrĂ©tiens, eussent-ils passĂ© pour athĂ©es, comme chez les Grecs Socrate, HĂ©raclite et leurs semblables, et chez les Barbares, Abraham, Ananias, Azarias, MisaĂ«l, Elie et tant d'autres. »[35] - [36] Pour saint ClĂ©ment d'Alexandrie, Dieu a mĂȘme tissĂ© une deuxiĂšme Alliance avec les philosophes grecs, prĂ©parant sa RĂ©vĂ©lation christique de maniĂšre paĂŻenne avec les Grecs, de maniĂšre juive avec les Juifs[37]. Pour ClĂ©ment d'Alexandrie, MoĂŻse n'Ă©tait d'ailleurs pas le seul Ă  dispenser des enseignements prophĂ©tiques, mais des Egyptiens aussi. Plus encore, il Ă©tend la philosophie bien au-delĂ  des Grecs et des prophĂštes Egyptiens : de ses maĂźtres, dit-il, il y en a eu en « Assyrie les ChaldĂ©ens, en Gaule les Druides, en Bactriane les SamanĂ©ens, au pays Celtes les philosophes de lĂ -bas, en Perse les Mages — qui par leur magie surent mĂȘme prĂ©dire la naissance du Sauveur et furent guidĂ©s par une Ă©toile Ă  leur arrivĂ©e en terre Juive —, en Inde les Gymnosophistes et d'autres philosophes barbares ; car ils ont eu deux sortes, dites Sarmanes et Brachmanes. [...] Il y a aussi dans l'Inde ceux qui obĂ©issent aux prĂ©ceptes du Bouddha qu'ils vĂ©nĂšrent, vu son extrĂȘme saintetĂ©, comme un dieu. »[38] Jean Borella dĂ©veloppe plus avant en dĂ©tail sur ces sources patristiques[34]. On peut nĂ©anmoins citer, pour finir, Ă  titre d'illustration, le propos de saint Augustin dans ses Retractaciones :

« En soi, la rĂ©alitĂ© qu'on appelle aujourd'hui “religion chrĂ©tienne” existait mĂȘme chez les anciens, et fut prĂ©sente depuis le dĂ©but du genre humain jusqu'Ă  ce que le Christ vienne dans la chair ; et c'est en consĂ©quence de cette venue, que la vraie religion existant depuis toujours, a commencĂ© de s'appeler chrĂ©tienne. »

— Saint Augustin, Retractaciones, I, XII, 3[39] - [40]

En Chrétienté

L'Ă©crivain florentin Giovanni Boccaccio (1313-1375). Statue du Piazzale des Offices Ă  Florence.

Au Moyen Âge, on peut observer l'origine de l'idĂ©e de Tradition Primordiale en gĂ©nĂ©ral par la tradition de la fable des trois anneaux, popularisĂ©e plus tard par G.E.Lessing dans un sens tout diffĂ©rent de celui de Jean Boccace, qui en est l'auteur. Au dĂ©but du DĂ©cameron, Boccace prĂ©sente la fable des trois anneaux dans une perspective traditionniste : il dĂ©fend la thĂšse d'une vĂ©ritĂ© Ă©sotĂ©rique intrinsĂšque aux trois monothĂ©ismes abrahamiques, par-delĂ  leurs oppositions contingentes. Il illustre cette idĂ©e par la fable reprĂ©sentant analogiquement le legs de la vĂ©ritĂ© divine par le legs d'un pĂšre Ă  ses trois fils d'un unique anneau de vĂ©ritĂ©, rĂ©pliquĂ© trois fois. On peut donc dire que Boccace est un des premiers penseurs du traditionnisme, c'est-Ă -dire d'un pluralisme religieux de type perspectiviste et traditionnel opposĂ© Ă  l'approche de Lessing, dont la perspective se rapproche plutĂŽt de celle, laĂŻque, de la tolĂ©rance des LumiĂšres :

« Dans la version du conte chez Boccace, les trois anneaux sont authentiques et les trois religions monothĂ©istes vraies, alors que c’est le contraire chez Lessing. L’authenticitĂ© des anneaux [selon Lessing] est aussi impossible Ă  prouver que la vraie croyance. »[41]

A la fin du Moyen Âge, Nicolas de Cues (1401-1464), thĂ©ologien nĂ©oplatonicien fortement influencĂ© par le Pseudo-Denys l'ArĂ©opagite et par Proclus, formule la premiĂšre thĂ©orisation explicite de la Tradition Primordiale. Dans son dialogue irĂ©nique De Pace fidei, Ă©crit en 1453 en rĂ©ponse Ă  la prise de Constantinople par les Turcs, il imagine un concile universel rĂ©unissant autour du Verbe, Ă  JĂ©rusalem, les grands sages des diffĂ©rentes traditions. Selon lui, un seul culte existe derriĂšre la diversitĂ© des rites, et cette foi unique prĂ©supposĂ©e par tous les religieux s'enracine dans l'unitĂ© d'une "sagesse Ă©ternelle" (aeterna sapientia)[42], concept central dans le traditionnisme. Pour lui,

« Bien qu'apparaisse une diffĂ©rence dans la maniĂšre de dire, ce qui est dit est la mĂȘme chose. [...] VoilĂ  donc comment, tout en Ă©tant philosophes d'Ă©coles diffĂ©rentes, vous vous accordez sur la religion d'un Dieu unique, que vous prĂ©supposez tous, dĂšs lors que vous professez ĂȘtre des amis de la sagesse. »[43]

En islam

L'un des principaux philosophes de l'islam et grand maĂźtre du soufisme, Muhyiddin Ibn ‘Arabi, concevait l'unitĂ© des diverses religions aussi bien abrahamiques que non-abrahamiques par-delĂ  leurs divergences apparentes. « En somme, selon la plupart des intellectuels musulmans, Ibn Arabi excelle dans l'approche de l'idĂ©e de la "double vĂ©ritĂ©" religieuse, selon laquelle les textes islamiques sacrĂ©s ont deux composantes : d'une part, des Ă©noncĂ©s dogmatiques d'expression littĂ©rale Ă  portĂ©e de tous les fidĂšles et, d'autre part, des sens occultes accessibles uniquement Ă  une Ă©lite d'initiĂ©s. »[44] La thĂ©orie akbarienne (c'est-Ă -dire d'Ibn Arabi) de la concorde Ă©sotĂ©rique et spirituelle des diffĂ©rentes religions s'illustre dans ce poĂšme tirĂ© de L'interprĂšte des dĂ©sirs (TarjumĂąn al-AshwĂąq) :

« Mon cƓur est devenu capable de toute forme : il est un pĂąturage pour les gazelles et un couvent pour les moines chrĂ©tiens, et un temple pour les idoles, et la Kaabah du pĂšlerin, et la table de la Thorah et le livre du QorĂąn. Je suis la religion de l’Amour, quelque route que prennent ses chameaux ; ma religion et ma foi sont la vraie religion. »[45] - [46]

Autre exemple remarquable : Qutb al-Din Aƥkevari, chiite et soufi à la fois, rédige une vaste histoire universelle de la sagesse, depuis le premier homme Adam jusqu'à son propre temps (XVIIe siÚcle). Les poÚtes et philosophes grecs (HomÚre, Pythagore, ThalÚs, Anaxagore, Socrate, Platon, Aristote, DiogÚne, etc.) y sont particuliÚrement à l'honneur :

« La plupart des hommes d'intelligence faible pourraient s'imaginer que les propos et les arguments des sages philosophes sont contradictoires avec les Lois divines apportées par les prophÚtes, mais il n'en est pas ainsi. »[47]

A la Renaissance

Nicolas de Cues est identifié par les historiens comme une des sources doctrinales du traditionnisme guénonien[48] - [49], parce que c'est lui qui pose les bases explicites du programme de "concorde des philosophies" que systématisera le grand chercheur de la Renaissance Marsile Ficin dans un retour à la Prisca Theologia[50] - [51]. C'est néanmoins à partir de Francesco Zorzi et Agostino Steuco, disciples de Pic de la Mirandole, qu'un livre intitulé le De perenni philosophia apparaßt, en 1540[52]. Agostino Steuco, né Guido degli Stuchi, était un chanoine régulier de Saint Augustin depuis 1513. C'était un grand orientaliste, responsable de la bibliothÚque du Vatican en 1538. Dans son De perenne philosophia, il soutient que la théologie chrétienne repose sur des principes universels antérieurs à la Révélation chrétienne, déduisant à partir de là, l'unité de la pensée humaine. Quant aux autres humanistes chrétiens :

« Ils manifestent un intĂ©rĂȘt marquĂ© pour les innombrables Ă©coles et sectes philosophiques (depuis les pythagoriciens jusqu'aux cyniques) qui ont Ă©tĂ© pourchassĂ©es par les autoritĂ©s chrĂ©tiennes des derniers siĂšcles de l'Empire romain. »[53]

A l'Ă©poque moderne

Joseph de Maistre (1753-1721)

Le syntagme de "philosophie pĂ©renne" ou "philosophie Ă©ternelle" est repris et popularisĂ© Ă  l'Ă©poque moderne par le philosophe Leibniz, qui dispose des livres d'Agostino Steuco et de Nicolas de Cues. Ainsi, dans sa lettre Ă  RĂ©mond de 1714, il explique que la vĂ©ritĂ© est plus rĂ©pandue qu'on ne le pense et que, en redĂ©couvrant les traces de vĂ©ritĂ©s prĂ©sentes chez les Anciens, on exhumerait une « certaine philosophie Ă©ternelle (perennis quaedam philosophia) »[54]. La Kabbale chrĂ©tienne (1486-1629), Ă  laquelle appartenait Pic de la Mirandole, mais aussi, le rosicrucianisme et la thĂ©osophie chrĂ©tienne allemande du XVIIe siĂšcle, particuliĂšrement en la personne de Jacob Boehme, ont contribuĂ©, par tous leurs aspects Ă©sotĂ©riques, Ă  l'Ă©laboration progressive du concept de Tradition Primordiale en relativisant l'horizon dogmatique dans l'expĂ©rience religieuse et en intĂ©grant dans leur Ă©conomie les mystĂšres des autres religions. Aussi voit-on, dans les milieux occultistes des XVIIIe et XIXe siĂšcles, se dĂ©velopper le vocabulaire de "rĂ©vĂ©lation primitive", d’A. Fabre d’Olivet (1768-1825) Ă  A. Saint Yves d’Alveydre (1842-1909). Mais chez eux, comme dans la "science catholique" du XIXe siĂšcle et les spĂ©culations de HiĂ©ron de Paray-le-Monial, la "rĂ©vĂ©lation primitive" n'est encore vue que comme une prĂ©manifestation du christianisme :

« En d’autres termes, dans une telle perspective, il s’agissait d’interprĂ©ter des monuments et des signes compris comme annonçant l’avĂšnement historique plus ou moins prochain de la religion chrĂ©tienne, conçue comme un accomplissement ultime, et non d’admettre l’existence d’une tradition spirituelle premiĂšre et unique, d’origine non-humaine, dont les religions historiques, christianisme inclus, seraient dĂ©rivĂ©es. Il n’était donc pas question ici, au contraire mĂȘme, de tendances Ă  l’universalisme religieux, ni Ă  mettre d’autres messages ou rĂ©vĂ©lations sur un pied d’égalitĂ© avec la religion chrĂ©tienne. Encore moins Ă  faire descendre celle-ci d’une « Tradition primordiale », Ă  l’aune de laquelle il faudrait Ă©valuer sa « conformitĂ© ».»[55]

Par ailleurs, Joseph de Maistre, Ă©crivain et penseur catholique ultra-montain en mĂȘme temps que franc-maçon du Rite Écossais RectifiĂ©, qui considĂ©rait Platon comme "la prĂ©face humaine de l'Evangile"[56], fut une des principales rĂ©fĂ©rences des adeptes de l'Ă©sotĂ©risme du XIXe siĂšcle[57], et une grande rĂ©fĂ©rence, aussi, de RenĂ© GuĂ©non[58].

Aldous Huxley, contemporain de Guénon, est quant à lui l'auteur d'un livre dense et savant, La philosophie éternelle (1945), mais aussi nombreux soient les rapprochements possibles entre les deux auteurs, sa perspective n'est néanmoins pas celle du traditionniste Guénon.

Influences doctrinales

Le sanatana dharma hindou

La Tradition Primordiale est pensée par ses théoriciens comme étant l'origine « non-humaine » (apurusheya, suivant l'expression des upanishad) de la connaissance universelle, ainsi que l'origine commune de toutes les traditions spirituelles de l'humanité. En ce sens, ce concept emprunte explicitement chez René Guénon au concept de sanatana dharma dans l'hindouisme[VD 1], qu'il préfÚre au concept de philosophia perennis en raison de sa référence à un horizon supérieur, selon lui, à celui de la philosophie. Il préfÚre également ce concept sanskrit parce qu'il signifie expressément l'« éternité » divine, et non la « pérennité », dont l'ambiguïté révÚle une certaine dépendance à la temporalité[59].

La méthode exégétique

L'opposition Ă©sotĂ©risme / exotĂ©risme chĂšre Ă  RenĂ© GuĂ©non provient de la pratique du ta’wil ("interprĂ©tation") de la tradition islamique. Cette exĂ©gĂšse est binaire. Elle distingue en effet deux grands sens de l'Écriture :

  • Zahir : sens exotĂ©rique, proche, obvie (Ă  portĂ©e sociale, d’établissement du droit et de la morale).
  • Batin : sens Ă©sotĂ©rique, lointain, obscur (en accord avec la Sagesse Ă©ternelle, atteignable par la pratique de la philosophie ; degrĂ©s initiatiques).

Cette binaritĂ© hermĂ©neutique diffĂšre de la mĂ©thode quadripartite juive dite du Pardes qui identifie le sens littĂ©ral (Pershat), allĂ©gorique (Remez), homĂ©litique (Drash) et enfin mystique (Sod). La tradition chrĂ©tienne, quant Ă  elle, identifie trois (OrigĂšne) ou quatre (Jean Cassien) niveaux de lecture dans l'interprĂ©tation de l'Écriture.

Usages de la Tradition Primordiale

Georges Vallin (1921-1983) et la philosophie non-dualiste

Georges Vallin fut professeur de philosophie Ă  l'UniversitĂ© de Nancy. Il publie en 1956 deux thĂšses universitaires sous la direction de Jean Wahl : Être et individualitĂ©[60] et La Perspective mĂ©taphysique[61]. Dans la premiĂšre il expose en profondeur, au long de 506 pages denses, une "phĂ©nomĂ©nologie de l'homme moderne". S'inspirant dĂ©libĂ©rĂ©ment des trois "stades" esthĂ©tique, Ă©thique et religieux de Kierkegaard, il dĂ©gage trois visĂ©es structurelles fondamentales de la conscience moderne, qui s'enchaĂźnent l'une Ă  l'autre par voie de consĂ©quence sinon chronologique, au moins logique. La premiĂšre, cosmologique et objectivante, ramĂšne le temps au dĂ©roulement d’un devenir purement rationnel, mais qui ignore la singularitĂ© (Aristote, Spinoza, Hegel, etc). La deuxiĂšme, esthĂ©tique, privilĂ©gie les donnĂ©es immĂ©diates : le "vĂ©cu" intuitif, la durĂ©e imprĂ©visible, ces donnĂ©es oĂč l’individu s’éprouve et se perd dans la jouissance ou la crĂ©ation. Enfin, la troisiĂšme achĂšve la dĂ©chĂ©ance de la conscience moderne : c'est la visĂ©e nĂ©gative, de type sartrienne, «dans laquelle l’individu ne se conquiert qu’en refusant aussi bien le monde objectif de la premiĂšre visĂ©e que celui du vĂ©cu possessif de la deuxiĂšme. Ici, la temporalitĂ© est saisie comme le lieu de notre Ă©chec, de notre mort, de notre nĂ©ant : la singularitĂ© de l’ĂȘtre individuel est dĂ©couverte comme un vide.»[62] C'est ce qui donne lieu au cƓur la spĂ©culation de Georges Vallin : l'opposition des deux vides. En effet, le "nĂ©ant" sartrien constitue pour Vallin une "indĂ©termination de pauvretĂ©", un vide par en bas, d'indigence, qui est l'aboutissement de la conscience moderne. À son exact opposĂ©, Vallin est emmenĂ© Ă  retrouver un autre vide qui se dĂ©finit par en haut, une "indĂ©termination de plĂ©nitude", informelle non pas par destruction, par dĂ©faut et nĂ©gation des formes, mais par excĂšs et abondance de sens et d'ĂȘtre : c'est l'Absolu, le Soi hindou, l'Un plotinien, la DĂ©itĂ© sur-essentielle eckhartienne ou le Non-Autre cusain.

En ce sens, La perspective mĂ©taphysique[63], dont Paul Mus, professeur au CollĂšge de France, rĂ©dige l'avant-propos Ă  la deuxiĂšme Ă©dition, est l'introduction Ă  Être et individualitĂ©. Dans l'introduction de son livre, Georges Vallin rend explicitement hommage Ă  RenĂ© GuĂ©non, dont la dĂ©couverte a Ă©tĂ© pour lui dĂ©terminante. Sa lecture l'emmĂšne Ă  conceptualiser le mouvement "mĂ©tadogmatique" des mystiques et gnostiques d'Orient et d'Occident qui, sans s'opposer aucunement au dogme, le dĂ©passent de l'intĂ©rieur. HĂ©ritier du traditionnisme guĂ©nonien, Georges Vallin n'envisage pas les grandes "mĂ©taphysiques" d'Orient et d'Occident au pluriel, comme des systĂšmes irrĂ©ductibles entre eux, mais au contraire comme de simples formulations diffĂ©rentes d'une mĂȘme pensĂ©e "Non-Dualiste" (advaita hindou). Le Non-Dualisme, en effet, autant dans l'hindouisme que dans le paganisme antique ou le christianisme, pour ne citer qu'eux, cesse d'envisager Dieu comme sĂ©parĂ© ou s'opposant dialectiquement au monde et au crĂ©Ă©, mais comme constituant au contraire son essence intime, parce qu'en lui rĂ©side la "coĂŻncidence des opposĂ©s", la rĂ©solution de tout dualisme possible parce qu'il est le Principe unique de toute rĂ©alitĂ© possible et imaginable : il est le RĂ©el en tant que tel, l'unitĂ© indĂ©passable de tout concept et de tout ĂȘtre possible.

En envisageant de tels croisements doctrinaux dans un mĂȘme esprit mĂ©taphysique, Georges Vallin est donc un des pionniers français de la philosophie comparĂ©e. Son grand apport conceptuel en la matiĂšre, la thĂ©orie mĂ©taphysique des "deux vides", est synthĂ©tisĂ©e dans le dernier chapitre de ses LumiĂšres du Non-Dualisme (1987)[64], recueil d'articles rassemblĂ©s et mis en ordre par le philosophe Jean Borella, lui-mĂȘme Ă©lĂšve de Georges Vallin ainsi que de Raymond Ruyer.

La critique de l'ésotérisme : du binaire au ternaire herméneutique

Jean Borella, agrégé de l'université, docteur Ús Lettres, a enseigné la métaphysique et l'histoire de la philosophie ancienne et médiévale à l'université de Nancy II jusqu'en 1995. Eminent théoricien et historien du symbole religieux[65] - [66], son positionnement à l'égard du concept guénonien de Tradition Primordiale consiste en sa reprise philosophique à l'intérieur du cadre religieux catholique. Son objection au guénonisme consiste à montrer que les sacrements de la religion catholique sont bien initiatiques, et qu'ils ne sauraient souffrir la concurrence d'autres rites initiatiques dans le cadre du christianisme.

Pour ce thĂ©oricien de l'hermĂ©neutique, Ă©lĂšve de Paul RicƓur, en effet, on ne saurait penser ce concept gĂ©nĂ©ral en faisant abstraction des doctrines dans lequel il se rapporte et prend son sens : "Ă©sotĂ©rique" et '"exotĂ©rique" dĂ©signent des aspects hermĂ©neutiques qui se rapportent toujours Ă  des revelata[67]. L'enjeu est donc sĂ©mantique pour Borella : on ne saurait abstraitement parler des religions sans faire attention Ă  ce qu'elles disent d'elles-mĂȘmes. C'est pourquoi, en adoptant le point de vue du "philosophe chrĂ©tien", Jean Borella juge bien plus rigoureux et honnĂȘte de penser la Tradition universelle de l'humanitĂ© Ă  l'aune de ce que le "mystĂšre chrĂ©tien" dit de lui-mĂȘme. C'est pourquoi Jean Borella identifie une approche bicĂ©phale des traditions sacrĂ©es chez RenĂ© GuĂ©non. À celle-lĂ , limitĂ©e selon lui au dualisme Ă©sotĂ©risme / exotĂ©risme, il oppose une approche ternaire ou triangulaire qui prend en compte l'articulation de ces deux pĂŽles autour de la doctrine rĂ©vĂ©lĂ©e auxquels ils se rapportent : Ă©sotĂ©rique / exotĂ©rique / revelatum. Ce dernier en effet est le seul objet unique, tandis que les approches Ă©sotĂ©rique et exotĂ©rique ne sont que des perspectives hermĂ©neutiques[67].

La consĂ©quence d'une telle objection est la relativisation de l'idĂ©e de la Tradition Primordiale, en l'envisageant plus sous un mode nĂ©gatif ou "apophatique" plutĂŽt que sous un mode positif ou "cataphatique" : il ne s'agit pas tant d'une unitĂ© de doctrine que de l'unitĂ© de l'Objet (le Divin) visĂ© et prĂ©supposĂ© par les diverses religions, du message propre desquelles on ne saurait lĂ©gitimement s'abstraire. Plus largement, Ă  l'idĂ©e schuonienne d'une unitĂ© transcendante des religions, Jean Borella dit prĂ©fĂ©rer l'idĂ©e d'une unitĂ© transcendantale des religions, « dans la mesure oĂč transcendantal dĂ©signe, en philosophie, ce qui dĂ©passe toutes les catĂ©gories sans constituer soi-mĂȘme un genre. »[68]

De la Tradition Primordiale au Christ primordial : recentrer la gnose universelle sur l'Incarnation

Borella opĂšre donc un retour aux sources de la patristique et actualise l'ancienne thĂ©ologie chrĂ©tienne des logoi spermatikoi, des "nombreuses semences de vĂ©ritĂ© et de sanctification" prĂ©sentes en dehors du catholicisme dont parle la constitution dogmatique Lumen Gentium de Vatican II[69], et dĂ©veloppe un christocentrisme proche du P. Jacques Dupuis. Pour Borella, la Tradition Primordiale dĂ©signe en effet la "chose Christ", Ă  laquelle toutes les religions traditionnelles ont accĂšs parce qu'il les meut dans tout ce qu'elles ont de bon et de vrai, mais dont la plĂ©nitude se rĂ©vĂšle dans la RĂ©vĂ©lation du "nom" de JĂ©sus-Christ, dans le mystĂšre de l'Incarnation. Par l'Incarnation se rĂ©vĂšle l' "Universel concret" qui fait remonter l'homme Ă  la "gnose originelle". La Croix, en effet, est la dĂ©termination gĂ©omĂ©trique du point : en tant que ponctuel, le « fait mĂ©taphysique » trinitaire n’a pas pour but de constituer une gnose concurrente d’une autre, mais de « fixer » la gnose universelle. La religion chrĂ©tienne est ainsi la "situation de la gnose". Sa foi constitue pour Jean Borella le point de repĂšre de la sagesse universelle bel et bien prĂ©sente dans les autres Ă©coles et traditions de l'humanitĂ©[70] - [71].

Les sacrements chrĂ©tiens, que l'Église Catholique qualifie elle-mĂȘme d' "initiatiques"[72], constituent quant Ă  eux d'authentiques voies d'accĂšs effectives Ă  l'union divine, pourvu que le croyant adopte un "certain esprit d'Ă©sotĂ©risme" en mĂ©ditant et en cultivant la connaissance Ă  la fois mĂ©taphysique, symbolique et Ă©thique de la RĂ©vĂ©lation[73].

Mircea Eliade (1907-1986) : une conception générique du sacré
Le jeune Mircea Eliade (1907-1986)

Mircea Eliade est un grand nom de l'histoire comparĂ©e des religions. Savant mythologue, phĂ©nomĂ©nologue des religions et Ă©crivain roumain, Eliade place au cƓur de l'expĂ©rience humaine la notion du "sacrĂ©". Il dĂ©veloppe de nombreux thĂšmes chers Ă  RenĂ© GuĂ©non, dont il Ă©tait un lecteur et un admirateur[74] et prĂ©sentĂ© Ă  Carl Schmitt comme "guĂ©nonien"[75]. Les thĂšmes qu'il reprend Ă  GuĂ©non sont, en particulier, sa critique du monde moderne, l'initiation, le sens du sacrĂ© et surtout le symbolisme[76] - [77]. À propos de ce dernier, il ne cache pas son appartenance doctrinale Ă  l'idĂ©e de Tradition Primordiale, qui constitue en substance un leitmotiv de son Ɠuvre :

« Pour l'homme religieux, la sacralitĂ© est une manifestation plĂ©niĂšre de l'Être. Les rĂ©vĂ©lations de la sacralitĂ© cosmique sont en quelque sorte des rĂ©vĂ©lations primordiales : elles ont eu lieu dans le plus lointain passĂ© religieux de l'humanitĂ©, et les innovations apportĂ©es ultĂ©rieurement par l'Histoire n'ont pas rĂ©ussi Ă  les abolir.»[78]

Pour Mircea Eliade, la symbolique utilisée par les diverses religions s'insÚre en effet dans une structure symbolique préexistante qui a valeur d'objectivité : chaque ordre symbolique a une signification métaphysique qui lui est propre que les révélations ne nient pas mais utilisent et actualisent. Au sens large, Mircea Eliade s'est employé à exhumer des continuités, des unités génériques et des concordances historiques et symboliques entre les cultures et les religions pour mettre en évidence leur structure primordiale commune. Cette Méthode trÚs féconde lui vaut néanmoins aujourd'hui des contestations en anthropologie : l'hypothÚse "diffusionniste" de Mircea Eliade à propos du chamanisme est remise en cause par Philippe Descola. Pour lui, l'idée d'une « forme de religion archaïque définie par des traits typiques » survalorise le rÎle effectivement observable des chamanes dans les sociétés étudiées, et fait fi, par ailleurs, d'une diversité réelle plus grande que celle envisagée par Eliade[79].


Ananda Kentish Coomaraswamy (1877-1947) : approche comparée des religions, art sacré et patrimoine universel
Ananda Kentish Coomaraswamy (1877-1947)

Ananda K. Coomaraswamy fut un trÚs éminent historien de l'art et métaphysicien srilankais cofondateur, à bien des égards, de l'école pérennialiste. Conservateur de musée, spécialiste de l'art indien et cingalais ainsi que de l'hindouisme et du bouddhisme, il a publié des ouvrages théoriques fondamentaux sur ces sujets. Ce faisant, il a contribué à la découverte et à la compréhension de la culture indienne par le monde occidental, aussi bien sur les plans historique, artistique, philosophique que symbolique.

En faisant de l'hindouisme et du bouddhisme les rameaux d'une mĂȘme tradition primordiale, il corrige RenĂ© GuĂ©non au sujet de la religion du Bouddha en lui faisant admettre l'orthodoxie bien rĂ©elle du bouddhisme, non pas certes au regard de l'hindouisme (circonstances historiques obligent), mais de la Tradition. Il le corrige Ă©galement sur des points de doctrine telle que la traduction et la comprĂ©hension de la MĂąyĂą hindoue[80] - [81].

Fils d'un pĂšre hindou et d'une mĂšre europĂ©enne, il embrassait d'un mĂȘme mouvement les aspects traditionnels des deux civilisations orientale et occidentale. Pour lui, le VedĂąnta et le platonisme relevaient l'un et l'autre d'une seule et mĂȘme origine, et il avait une Ă©gale connaissance prĂ©cise et pĂ©nĂ©trante des patrimoines spirituels et artistiques d'Orient et d'Occident. C'est mĂȘme lui qui fait connaĂźtre Ă  RenĂ© GuĂ©non, semble-t-il, la mystique spĂ©culative de MaĂźtre Eckhart[82].

Parmi quelques-uns de ses ouvrages majeurs, on peut citer :

  • Aspects de l'hindouisme (6 essais), ArchĂš-Milan, 1988 - (ISBN 88-7252-019-3) ;
  • La Signification de la mort. Études de psychologie traditionnelle, ArchĂš-Milan, 2001 - (ISBN 88-7252-229-3) ;
  • Les symboles fondamentaux de l'Art Bouddhiste, ArchĂš-Milan, 2005 - (ISBN 88-7252-266-8) ;
  • La thĂ©orie mĂ©diĂ©vale de la BeautĂ©, ArchĂš-Milan, 1997 - (ISBN 88-7252-181-5) ;
  • La philosophie chrĂ©tienne et orientale de l'art, PardĂšs (1990) ;
  • Transformation de la Nature en Art -Les thĂ©ories de l'art en Inde, Chine et Europe mĂ©diĂ©vale, chez l'Âge d'Or-Delphica (1994).

RenĂ© GuĂ©non (1886-1951), pionnier contemporain de l'École de la Tradition

René Guénon (1886-1951)

René Guénon, à bien des égards, est le fondateur de ce que l'on nomme aujourd'hui l'école de la « Tradition », toujours avec un 'T' majuscule.

La Tradition selon la perspective de RenĂ© GuĂ©non consiste dans l'idĂ©e que l'ensemble des « formes traditionnelles », c'est-Ă -dire des diverses traditions spirituelles du monde, ne s'opposent et ne diffĂšrent qu'extĂ©rieurement, exotĂ©riquement. En rĂ©alitĂ©, leurs correspondances symboliques, mythiques et rituelles montrent qu'elles dĂ©pendent toutes d'un « Principe » unique, la Tradition primordiale, qui est « la source premiĂšre et [le] fonds commun de toutes les formes traditionnelles particuliĂšres[JT 1] ». Ce « Principe » commun constitue l'unitĂ© d'une mĂȘme doctrine, d'une mĂȘme sagesse Ă  laquelle elles donnent accĂšs comme toutes autant de rayons menant Ă  un unique centre divin. En vertus des lois cycliques, la Tradition Primordiale est allĂ©e en s'occultant au fil de l'histoire humaine, et s'est rappelĂ©e Ă  l'ensemble des hommes par ses diffĂ©rentes rĂ©vĂ©lations s'adaptant depuis l'origine Ă  la mentalitĂ© et aux exigences de chaque « race » (selon le vocabulaire de son Ă©poque) suivant les conditions de temps et de lieu[JT 1]. GuĂ©non identifie la Tradition primordiale Ă  la notion de sanatana dharma dans l'hindouisme[JT 2].

Jean Tourniac explique à propos de la Tradition primordiale selon Guénon:

« la norme et le pivot, le germe impérissable de tout le « sacré », de tout l'Univers manifesté macrocosmique et microcosmique, le fondement de toutes les traditions secondaires et des diverses religions, le dépÎt éternel de la doctrine et de la Connaissance, en un mot le Temple de la Vérité éternelle, c'est [...] la Tradition primordiale[JT 3]. »

Louis Cattiaux (1904-1953), la synthĂšse des grandes traditions

Correspondant de René Guénon[83], Louis Cattiaux a étudié attentivement les écrits des différentes grandes traditions (Livre des morts égyptien, Ancien et Nouveau Testament, Coran, Tao te king, ouvrages hermétiques et alchimiques, etc.), dont il offre une sorte de synthÚse originale, exprimée en courtes sentences disposées en deux colonnes et réunies en quarante chapitres. Charles d'Hooghvorst, disciple de Cattiaux comme son frÚre Emmanuel d'Hooghvorst, commente cette synthÚse, intitulée Le Message Retrouvé, de la maniÚre suivante :

« Ce Message n'est pas nouveau, il n'affirme rien qui n'ait déjà été dit et redit, et les citations qui ouvrent et qui ferment chacun des quarante livres en font foi[84]. »

La chose n'échappa pas à Guénon qui s'en ouvrit dans une de ses lettres adressées à Cattiaux[85]. Ce dernier écrivit à un autre correspondant :

« Je vous demande de bien vouloir rapprocher constamment l'enseignement du livre des PÚres du Taoïsme avec celui des évangiles et vous découvrirez l'identité métaphysique de ces paroles étonnantes. Quant à ce qui est caché derriÚre, il vous suffira de lire le Message dans son entier pour le voir paraßtre[86]. »

Tradition primordiale
Emmanuel d'Hooghvorst (Ă  droite) et son frĂšre Charles.
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
(Ă  85 ans)

Emmanuel d'Hooghvorst (1914-1999), la pensée hermétique du traditionnisme

Disciple de Cattiaux, Emmanuel d'Hooghvorst s'inspire du Message RetrouvĂ© pour rĂ©diger son Ɠuvre maĂźtresse, en deux tomes, Le Fil de PĂ©nĂ©lope. L'accent y est mis plus explicitement sur le sens kabbalistique, hermĂ©tique et alchimique des diffĂ©rentes traditions. L'auteur Ă©largit la perspective Ă  des domaines moins abordĂ©s, ou dĂ©laissĂ©s, par Cattiaux, tels que les anciens auteurs grecs et latins, les contes et les tarots. Son frĂšre, Charles d'Hooghvorst, prĂ©sente l'ouvrage en ces termes :

« Certains s'Ă©tonneront peut-ĂȘtre en lisant le sommaire de ce recueil, oĂč voisinent les Contes de Perrault et l' OdyssĂ©e, la Cabale judaĂŻque et l' ÉnĂ©ide, les Tarots et l'Alchymie ; mais la diversitĂ© des thĂšmes n'est pas nĂ©cessairement dispersion[87]. »

Dans une lettre adressĂ©e Ă  son frĂšre, Emmanuel d'Hooghvorst rĂ©sume lui-mĂȘme le point de vue traditionniste qui anime ses Ă©crits :

« Les textes rabbiniques confirment d'une façon si complĂšte, et Le Message [RetrouvĂ©], et tout ce que Cattiaux nous disait, que vraiment, c'est la mĂȘme chaĂźne qui se ressoude Ă  travers le temps. Rien d'Ă©tonnant non plus que les enseignements de l'hermĂ©tisme paraissent identiques, j'ai fait moi aussi bien souvent cette expĂ©rience[88]. »

Julius Evola (1898-1974), la pensée politique du traditionnisme

Julius Evola (1898-1974)

Julius Evola est philosophe, peintre, poĂšte et artiste italien. Il Ă©tait Ă  la fois mĂ©taphysicien et penseur politique[2], les deux aspects Ă©tant Ă©troitement solidaires chez lui, contrairement Ă  RenĂ© GuĂ©non dont le tempĂ©rament Ă©tait rĂ©putĂ© contemplatif du dĂ©but Ă  la fin de sa vie et de son Ɠuvre. Julius Evola est l'auteur d'une Ɠuvre trĂšs considĂ©rable, dense et relevant clairement de la recherche para-universitaire, en particulier dans sa MĂ©taphysique du sexe (1958) dont le caractĂšre solidement rĂ©fĂ©rencĂ© fit dire Ă  Marguerite Yourcenar qu'Evola fut un « Ă©rudit de gĂ©nie »[89]. La philosophie de Julius Evola se situe Ă  la croisĂ©e de Friderich Nietzsche et de RenĂ© GuĂ©non, comme le dĂ©montre Jean-Paul Lippi[90]. RĂ©putĂ©, en particulier dans sa jeunesse, pour son anti-christianisme sulfureux et fascisant, contrairement Ă  son contemporain RenĂ© GuĂ©non, ses positions Ă©voluĂšrent dans un sens plus concordataire, en mĂȘme temps que davantage contemplatif, au fil de sa vie (cf. Jean-Paul Lippi). Aussi vint-il, malgrĂ© son premier livre de jeunesse ImpĂ©rialisme paĂŻen, Ă  se positionner contre la "parodie" du "nĂ©opaganisme": « N’oublions pas, Ă©crit-il, que le catholicisme peut remplir une fonction de “barrage”, car il est porteur d’une doctrine de la transcendance : aussi peut-il, dans une certaine mesure, empĂȘcher que la mystique de l’immanence et la subversion prĂ©varicatrice venue d’en-bas ne dĂ©passent un certain seuil. »[91]

Dans L'arc et la massue, Julius Evola donne sa conception exacte de la Tradition Primordiale : pour lui, il existe une « unité transcendante [...] de toutes les grandes traditions spirituelles ». « Du point de vue traditionnel, poursuit-il, celles-ci apparaissent comme "homologables", comme des formes variées et plus ou moins complÚtes d'une sapientia perennis, comme des émanations d'une tradition primordiale intemporelle. Les différences ne concernent que l'aspect contingent, conditionné et impertinent de chaque tradition historique particuliÚre, et aucune tradition ne peut prétendre détenir, en tant que telle, le monopole de la vérité absolue.»[92]

En vertu de sa perspective politique, Julius Evola « se rĂ©clame d'une Tradition primordiale et universelle, d'origine hyperborĂ©enne, et s'inspire pour cela des travaux de RenĂ© GuĂ©non, Hermann Wirth et Johann Jakob Bachofen. D'aprĂšs cette Tradition, les fonctions sont rĂ©parties par un systĂšme hiĂ©rarchisĂ© de castes, en quatre parties, selon la terminologie hindoue : chefs religieux (« brahmanes »), noblesse guerriĂšre (« kshatriya »), bourgeoisie marchande (« vaishya ») et serfs (« shudra »). Pour l'auteur italien, l'appartenance Ă  une caste prime sur celle Ă  une nation, c'est pourquoi il est favorable Ă  un pouvoir impĂ©rial et fĂ©dĂ©ratif, plutĂŽt qu'Ă  un nationalisme intĂ©gral de type maurrassien. L’État est bĂąti autour d'un centre, incarnĂ© dans la personne d'un chef spirituel et temporel, le monarque sacrĂ©. Contrairement Ă  RenĂ© GuĂ©non, pour qui l'autoritĂ© spirituelle a le pas sur le pouvoir temporel, Evola estime que la figure du monarque dĂ©passe les deux fonctions. Il se positionne contre la dĂ©mocratie et surtout le communisme qu'il considĂšre aussi comme l'Ă©chelon le plus bas Ă  atteindre sur l'Ă©chelle du politique.»

Au reste, RenĂ© GuĂ©non meurt avant le concile Vatican II tandis que Julius Evola n'expire que neuf ans aprĂšs sa fin. Il a donc le temps de commenter l'ƓcumĂ©nisme alors mis en place par l'Église, et, contrairement Ă  ce que son rejet de l'exclusivisme religieux laissait Ă  penser, il estime que l'unitĂ© vers laquelle se dirige le catholicisme n'est qu'une contrefaçon d'unitĂ©, uniformisante et soumise au monde moderne. À l'inverse, il considĂšre qu'une unitĂ© rĂ©elle, c'est-Ă -dire spirituelle, entre les religions ne peut se faire que "par en haut", et non "par en bas" :

« Sur le plan des religions, seule est valable l'unitĂ© transcendante, rĂ©alisĂ©e par en haut : l'unitĂ© qui rĂ©sulte de la reconnaissance de la Tradition Une au-delĂ  de ses diverses formes particuliĂšres et historiques, la reconnaissance des contenus mĂ©taphysiques constants qui se prĂ©sentent sous des revĂȘtements divers - comme autant de traductions en plusieurs « langues » - dans les multiples religions et traditions sacrĂ©es du monde. La condition indispensable, c'est donc la comprĂ©hension « Ă©sotĂ©rique » de ce qui se manifeste Ă  travers la variĂ©tĂ© confuse et parfois contradictoire des religions et des traditions. La rencontre, par consĂ©quent, ne pourra se faire qu'au sommet, au niveau d'Ă©lites capables de saisir la dimension interne et transcendante des diverses traditions ; alors l'unitĂ© suivrait automatiquement et des « dialogues » pourraient avoir lieu sans troubler les limites propres Ă  chaque tradition au niveau de la « base » et de la doctrine externe. Mais il n'y a rien de semblable dans les rĂ©centes initiatives rĂ©formistes qui ont suscitĂ© l'« euphorie ƓcumĂ©nique ». II s'agit essentiellement d'une simple tolĂ©rance qui renonce plus ou moins au dogme.»[92]

Frithjof Schuon (1907-1998), théoricien de l'ésotérisme absolu

Frithjof Schuon (1907-1998)

Dans ses Ă©crits, Frithjof Schuon Ă©tend les thĂ©matiques guĂ©noniennes Ă  un ensemble d'autres sujets tout en prolongeant, affinant et prĂ©cisant les idĂ©es maĂźtresses de GuĂ©non. Dans L'unitĂ© transcendante des religions (1948), un de ses maĂźtre-ouvrages, il envisage l'unitĂ© des diffĂ©rentes religions fondĂ©es sur une mĂȘme sagesse Ă©sotĂ©rique, c'est-Ă -dire inaccessible au plus grand nombre. Dans sa prĂ©face, il confirme la critique guĂ©nonienne de la philosophie en rappelant que celle-ci n'est que d'ordre rationnel et se limite donc au niveau individuel[93]. Quant Ă  la mĂ©taphysique pure, elle relĂšve, non de la raison, mais de l'intuition intellectuelle donc supra-rationnelle ; Ă©tant intemporelle, essentielle, primordiale et universelle, Schuon se rĂ©fĂšre Ă  cette mĂ©taphysique en tant que philosophia perennis, religio perennis ou sophia perennis, en fonction de telle ou telle accentuation[94].

Dans L'Ă©sotĂ©risme comme principe et comme voie (1978), il dĂ©fend l'idĂ©e d'un « Ă©sotĂ©risme en soi, que nous appellerions volontiers sophia perennis et qui en lui-mĂȘme est indĂ©pendant des formes particuliĂšres puisqu'il en est l'essence»[95]. Patrick Riggenberg affirme que Schuon se distancie de la notion guĂ©nonienne de Tradition Primordiale, qui lui apparaĂźtrait comme trop historiciste : « De fait, si Schuon reprend de GuĂ©non l’idĂ©e d’une tradition primordiale, origine anhistorique des traditions manifestĂ©es dans l’histoire, il lui reproche en mĂȘme temps de n’avoir qu’une fonction limitĂ©e, en quelque sorte cosmique et cyclique. Or, Schuon s’intĂ©resse bien plus Ă  comprendre la racine des religions en Dieu, que de retracer leur filiation terrestre Ă  partir d’une tradition primordiale. Son emploi du terme de religio perennis le dit bien : il s’agit d’une connaissance universelle et immuable (perennis), qui relie (religio) directement au Ciel. Avec la religio perennis et la sophia perennis, Schuon fait de l’idĂ©e d’universalitĂ© des traditions un lien sapientiel et spirituel permanent avec le Divin.»[96]

Raymond Abellio (1907-1986) et la "nouvelle gnose" : une phénoménologie de la désoccultation

Raymond Abellio (1907-1986)

La philosophie de Raymond Abellio s'oppose Ă  l'Ă©loge du secret dĂ©fendue par RenĂ© GuĂ©non et Julius Evola. Quoiqu'opposĂ© Ă  ces deux penseurs, il fait lui-mĂȘme partie de l'École de la Tradition, dans la mesure oĂč sa philosophie s'organise elle aussi autour du postulat guĂ©nonien de la Tradition Primordiale. À l'instar de tous les autres traditionnistes, il affirme en effet croire en l'existence d'une « Tradition Primordiale, qui est celle d'un temps commun Ă  toutes les religions, Ă  toutes les philosophies, Ă  tous les mythes, Ă  tous les symboles. »[97] Ce qui le diffĂ©rencie du guĂ©nonisme est sa conception Ă©volutionniste de la Tradition Primordiale, provenant de son appartenance au marxisme : « La Tradition Primordiale a Ă©tĂ© donnĂ©e aux hommes d'un seul coup, tout entiĂšre, mais voilĂ©e. Ou plutĂŽt les hommes qui l'ont reçue ne disposaient pas encore des moyens intellectuels nĂ©cessaires pour la traduire en notions claires (...) C'est Ă  nous, hommes d'aujourd'hui, qu'il incombe d'expliciter la tradition en passant d'une simple "participation" Ă  une vraie "connaissance".»[98] À partir de ces prĂ©misses, Raymond Abellio, principalement influencĂ© par Edmond Husserl et Martin Heidegger, construit donc une "phĂ©nomĂ©nologie gĂ©nĂ©tique" complexe qui entend Ă©tablir une "nouvelle gnose" qui achĂšverait en mĂȘme temps qu'elle accomplirait, la promesse de tous les Ă©sotĂ©rismes traditionnels. Cette gnose abĂ©lienne constitue pour lui la voie, la tĂąche et l’Ɠuvre propres de l’Occident, ce lieu spirituel d’avĂšnement de la conscience transcendantale mais aussi de mobilisation et de dĂ©passement de la raison.


En littérature


Références

  1. Patrick Ringgenberg, De la Tradition primordiale Ă  la sophia perennis, L'appel de la sagesse primordiale (Dir. P. Faure), p. 354
  2. Patrick Ringgenberg, De la Tradition primordiale Ă  la sophia perennis, L'appel de la sagesse primordiale (Dir. P. Faure), p. 355
  • Jean Tourniac, Melkitsedeq ou la tradition primordiale, 2010
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